European Review of History: Revue europeenne d'histoire

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                                European Review of History: Revue
                                europeenne d'histoire
                                Publication details, including instructions for authors and
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                                Introduction
                                                   a                       b
                                Emmanuel Berger & Heinz-Gerhard Haupt
                                a
                                    Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgium
                                b
                                 Universität Bielefeld, Bielefeld, Germany
                                Published online: 07 Dec 2013.

To cite this article: Emmanuel Berger & Heinz-Gerhard Haupt (2013) Introduction,
European Review of History: Revue europeenne d'histoire, 20:6, 937-943, DOI:
10.1080/13507486.2013.852521

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European Review of History—Revue européenne d’histoire, 2013
                                                          Vol. 20, No. 6, 937–943, http://dx.doi.org/10.1080/13507486.2013.852521

                                                                                                     Introduction
                                                                                    Emmanuel Bergera* and Heinz-Gerhard Hauptb
                                                          a
                                                           Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, Belgium; bUniversität Bielefeld, Bielefeld,
                                                                                                     Germany

                                                          Les révoltes et violences populaires ont fait l’objet de nombreuses recherches depuis les
                                                          travaux pionniers menés, entre autres, par George Rudé, Charles Tilly, Louise Tilly, Eric
                                                          Hobsbawm, Richard Cobb et Edward P. Thompson. Ces noms célèbres de l’histoire
                                                          sociale et politique ont réussi à sortir de l’ombre les rationalités, les identités et les
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                                                          dynamiques des révoltes populaires qui ont éclaté aux 18ème et 19ème siècles. Dès l’origine,
                                                          la perspective adoptée s’est voulue comparée et européenne, s’affranchissant d’une
                                                          histoire nationale figée de même que de barrières chronologiques trop rigides. L’étude des
                                                          révoltes initiée à partir des années 1960 peut se prévaloir d’une tradition historiographique
                                                          forte, principalement fondée sur l’histoire sociale, mais qui est restée ouverte aux
                                                          influences d’autres champs disciplinaires. Aujourd’hui, alors que de nombreux travaux
                                                          continuent à être menés dans ce domaine, il nous a paru important de présenter les
                                                          orientations contemporaines prises par l’histoire des protestations populaires.
                                                               Parmi les nouvelles perspectives de recherche, la problématique des violences
                                                          populaires et de leur régulation par les institutions judiciaires occupe une place
                                                          particulière. A vrai dire, le questionnement de ces rapports a été présent dès les premiers
                                                          travaux consacrés aux briseurs de machines, aux révoltes frumentaires et aux différents
                                                          soulèvements ruraux et urbains. On remarquera que les historiens britanniques ont
                                                          développé un intérêt particulièrement vif en la matière. Cette attention ne s’explique pas
                                                          uniquement par leurs convictions politiques ou par le souvenir de la « Glorieuse
                                                          Révolution » mais également par la forte tradition juridique du Common Law.
                                                          La prégnance du droit anglais a conduit « naturellement » l’histoire sociale britannique à
                                                          s’intéresser au rôle joué par les institutions et les acteurs judiciaires dans la résolution et la
                                                          répression des violences populaires. La réflexion sur le « social crime » se situe au cœur de
                                                          cette démarche. Initiée par Edward P. Thompson, elle interroge les liens entre questions
                                                          sociales et justice pénale, en se démarquant de l’image d’un droit consensuel véhiculée par
                                                          les travaux de Leon Radzinowicz.1 La publication en 1975 des travaux du « crime group »
                                                          de la Warwick University a connu un grand retentissement2 et ouvert la voie à de
                                                          nombreuses études liant étroitement histoire sociale et histoire de la justice.
                                                               En France, si la publication de Surveiller et punir par Michel Foucault (1975) fait date,
                                                          il faut attendre l’approche du bicentenaire de la Révolution franc� aise pour que l’histoire
                                                          sociale s’intéresse pleinement aux questions judiciaires. En Belgique, en Italie ou encore
                                                          en Allemagne, le champ de la justice reste longtemps une prérogative des historiens du
                                                          droit. Le déséquilibre entre la situation anglaise et l’Europe continentale commence à
                                                          changer à partir de la création, en 1978, de l’International Association for the History of
                                                          Crime and Criminal Justice par Herman Diederiks, Maurice Aymard et Pieter

                                                          *Corresponding author. Email: emmanuelberger@hotmail.com; heinzgerhard.haupt@eui.eu

                                                          q 2013 Taylor & Francis
938                               E. Berger and H-G. Haupt

                                                          Spierenburg. L’IAHCCJ offre en effet le cadre scientifique nécessaire au développement
                                                          européen d’une approche pluridimensionnelle de l’histoire du crime et de la justice.
                                                          En l’espace de quelques années, les travaux se multiplient, embrassant à la fois les
                                                          instruments et les acteurs du maintien de l’ordre ( policing), les modes de régulations
                                                          sociales et les différents types de violences.
                                                               Dans le contexte d’une historiographie renouvelée, les contributions du numéro
                                                          spécial ont pour objectif de mettre en évidence les nombreux apports des recherches
                                                          récentes menées dans différentes disciplines: histoires du genre (J. Rowbotham), du crime
                                                          (P. King), de la justice (X. Rousseaux), politique (J. Eibach et M. Cottier), sociale
                                                          (F. Jarrige) et économique (R. Bianchi et M. Streng). L’identification disciplinaire de
                                                          chaque contribution est sans aucun doute réductrice dans la mesure où leurs auteurs
                                                          s’attachent à multiplier les angles d’analyse. A travers des approches croisées, les articles
                                                          soulignent en réalité la polysémie des violences populaires, qu’elles soient
                                                          événementielles ou de longue durée, collectives ou individuelles, locales ou nationales,
                                                          réprimées ou tolérées. Etant donné l’ampleur du sujet, le champ géographique des
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                                                          recherches publiées dans le présent numéro s’est limité à six pays européens: la Grande-
                                                          Bretagne, l’Italie, l’Allemagne, la Suisse, la France et la Belgique. Cette diversité
                                                          nationale témoigne de l’intérêt historiographique continu suscité par l’histoire des révoltes
                                                          populaires dans l’Europe du long 19ème siècle.
                                                               Dans sa contribution relative au « gendering protest » en Grande-Bretagne, Judith
                                                          Rowbotham met en lumière l’importante du genre dans l’interprétation de la violence
                                                          individuelle et collective. Elle relève, à partir de la 2ème moitié du 19ème siècle, une
                                                          modification des attitudes socialement admises. Alors qu’au 18ème siècle, la violence
                                                          féminine était encore acceptée, celle-ci est désormais illégitime. Une telle évolution
                                                          s’explique par l’image terrifiante des « tricoteuses » de la Révolution franc� aise et surtout
                                                          par l’affirmation de nouvelles normes culturelles: les femmes doivent rester cantonnées à
                                                          la sphère domestique et leurs instincts pacifiques sont censés contenir la violence
                                                          masculine. Le développement de ce stéréotype a plusieurs conséquences. Dans le domaine
                                                          de la criminalité ordinaire et quotidienne, on constate une « masculinisation » de l’appareil
                                                          judiciaire qui considère progressivement la présence féminine comme anormale. Cette
                                                          anormalité provoque une réinterprétation constante du droit et de ses normes à propos
                                                          du degré d’acceptabilité sociale des violences perpétrées ou subies par les femmes.
                                                          Les stéréotypes féminins empêchent également la participation des femmes aux
                                                          manifestations et les excluent de la sphère publique. L’un des premiers mouvements à
                                                          contester le monopole masculin de la force et de la protestation est celui des fameuses
                                                          suffragettes qui décidèrent de recourir délibérément à une stratégie d’actions violentes.
                                                               La rupture constatée dans la représentation culturelle et sociale des femmes entre les
                                                          18ème et 19ème siècles s’inscrit dans le vaste débat relatif au monopole de la violence
                                                          légitime de l’Etat et au procès de civilisation. Les deux problématiques initiées par Max
                                                          Weber et Norbert Elias ont profondément influencé les recherches portant sur l’homicide.
                                                          Depuis les travaux pionniers menés dans les années 1980 par Ted Gurr3 et Lawrence
                                                          Stone4, la question de l’homicide fait l’objet de nombreuses interprétations. L’un des
                                                          enjeux consiste à mesurer, à l’échelle de l’Europe, les taux d’homicide et d’expliquer les
                                                          différences relevées tant géographiquement que chronologiquement. Dans sa contribution,
                                                          Peter King s’interroge sur les conclusions tirées notamment par Manuel Eisner décrivant,
                                                          pour le long 19ème siècle, des taux d’homicide bas dans les nations industrialisées du nord
                                                          de l’Europe et élevés dans les pays de la périphérie (Europe de l’est et Méditerranée).
                                                          Le facteur décisif serait l’impact de l’urbanisation. A partir de l’étude de plusieurs régions
                                                          de la Grande-Bretagne, Peter King parvient cependant à des conclusions opposées. Les
European Review of History – Revue européenne d’histoire                    939

                                                          villes, à l’exception de Londres, enregistrent proportionnellement à la population le plus
                                                          grand nombre d’homicides. Le facteur ruralité/urbanisation se révèle dès lors insuffisant et
                                                          ne permet pas d’établir une corrélation entre le taux d’homicide et le degré de « modernité
                                                          » d’un territoire. L’interprétation de l’évolution de l’homicide nécessite en réalité une
                                                          approche multifactorielle prenant en compte les codes d’honneur, le degré d’implantation
                                                          de l’Etat, la culture de la masculinité, le type de propriétés, etc. Peter King propose enfin
                                                          que cette approche plurielle s’accompagne d’une plus grande attention portée aux
                                                          variations régionales dans la mesure où celles-ci transcendent souvent les frontières
                                                          nationales.
                                                               Les questions de la porosité des frontières et du contrôle de la violence légitime par
                                                          l’Etat moderne se situent au cœur de l’une des problématiques les plus connues de
                                                          l’histoire sociale à savoir celle du brigandage. A travers l’analyse de la répression du
                                                          banditisme dans les territoires belges depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’aux
                                                          lendemains de la 1ère guerre mondiale, Xavier Rousseaux revisite les voies empruntées par
                                                          l’Etat dans sa recherche de légitimation populaire et questionne par conséquent l’existence
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                                                          du « bandit social » popularisé par Eric Hobsbawm.5 Lors de chaque crise (Ancien
                                                          Régime, Révolution franc� aise, 1850 – 60, 1ère guerre mondiale), le gouvernement s’attache
                                                          à stigmatiser les bandes de brigands en criminalisant leurs actions et en refusant de les
                                                          considérer comme une forme de protestation sociale ou politique. Ce processus de
                                                          construction de la marginalité s’opère grâce à la « modernisation » des instruments de
                                                          régulation et au renforcement sans précédent des structures du maintien de l’ordre public,
                                                          reposant principalement sur la justice et la gendarmerie. La fixation des frontières des
                                                          nouveaux Etats modernes facilite également la répression des bandits qui ne peuvent plus
                                                          profiter, comme sous l’Ancien Régime, du morcellement territorial pour se forger des
                                                          sanctuaires. Toutefois, la réapparition du banditisme lors de chaque crise majeure atteste
                                                          de la fragilité de l’autorité de l’Etat belge. Il ne parviendra à imposer sa légitimité qu’au
                                                          cours des années 1919 – 20, du fait de l’ « union sacrée » entre les différentes composantes
                                                          de la société dans le but d’éradiquer les bandes de voleurs.
                                                               L’article de Joachim Eibach et Maurice Cottier met en valeur une étonnante forme de
                                                          stratégie politique dans la Suisse de la première moitié du 19ème siècle. Dans le contexte
                                                          d’un large mouvement en faveur d’un gouvernement représentatif suisse, le recours à la
                                                          tradition de la démocratie directe de la « Landsgemeinde » a joué un rôle important.
                                                          Ce recours apparaı̂t remarquable moins par le mélange entre les formes anciennes et
                                                          modernes de la protestation populaire que par ses objectifs: les bourgeois libéraux
                                                          utilisaient les symboles et rituels de la « Landsgemeinde » afin de mobiliser les classes
                                                          rurales et inférieures et de soutenir leur projet politique contre les gouvernements
                                                          conservateurs des cantons. Chants, drapeaux et arbres de la liberté sont mis, sans crainte,
                                                          au service d’une politique de mobilisation. A la différence d’autres sociétés européennes
                                                          où la mobilisation des masses est identifiée, depuis la Révolution franc� aise, à la Terreur,
                                                          à la guerre civile et à l’anticléricalisme, en Suisse cette interprétation ne semble pas avoir
                                                          joué le même rôle. Il est surprenant de constater l’assurance montrée par la bourgeoisie
                                                          libérale dans sa capacité à canaliser et contrôler la violence symbolique et effective des
                                                          mouvements de masse. Même lorsque ceux-ci prennent une tournure agressive et militaire
                                                          à la fin des années 1830, cette conviction ne semble pas ébranlée. Le recours au modèle
                                                          politique de la « Landsgemeinde » qui subit un changement et un élargissement
                                                          sémantique en devenant le « Volk » semble dès lors être un moyen commode pour
                                                          légitimer des actions et les intégrer dans une histoire longue. Si les stratégies libérales de
                                                          mobilisation sont spécifiques à la Suisse, il semble néanmoins que le phénomène se
940                               E. Berger and H-G. Haupt

                                                          rencontre dans d’autres pays européens, tels que la Savoie et le Wurtemberg bien qu’à une
                                                          moindre échelle.6
                                                               Un moment crucial de l’historiographie des violences populaires est le passage d’une
                                                          histoire considérant celles-ci comme menées de manière aveugle et autodestructrice par
                                                          une populace irrationnelle à une analyse de leurs écrits, des processus d’action, des
                                                          « logiques des foules » (Arlette Farge/Jacques Revel) et de leur « répertoire d’action »
                                                          (Charles Tilly). Dès l’entre-deux guerre, Georges Lefebvre a jeté les jalons de cette
                                                          réinterprétation par une étude de cas qui a été généralisée après 1945 par George Rudé.
                                                          Georges Lefebvre souligne que les acteurs de la « Grande Peur » du début de la Révolution
                                                          franc� aise n’étaient pas des marginaux mais des artisans et des paysans qui craignaient un
                                                          complot aristocratique et contrerévolutionnaire tendant à restaurer la « féodalité ». Leurs
                                                          moyens d’action tenaient de ceux pratiqués sous l’Ancien Régime: attaque des châteaux,
                                                          destruction des archives, occupation des terres, etc.7 En s’inscrivant dans cette tradition
                                                          historiographique, l’article de Franc� ois Jarrige démontre clairement que le bris de machine
                                                          et surtout la menace d’en user sont un phénomène largement répandu en Europe durant la
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                                                          première moitié du 19ème siècle. Seule l’Italie semble avoir échappé à cette vague de
                                                          protestations. Au cours de celles-ci, les ouvriers d’abord du textile, puis d’autres métiers
                                                          protestent contre l’innovation technologique accusée de provoquer un accroissement du
                                                          chômage. Ce type de protestation fut en Angleterre moins vive parmi les artisans
                                                          indépendants qui étaient moins liés aux marchands que dans le « putting out system ».
                                                          Pour saisir la complexité des violences, Franc� ois Jarrige souligne à quel point l’analyse du
                                                          langage est devenue incontournable. L’attention portée à l’acte même de la violence
                                                          préconisée par Trutz von Trotha permet de reconstruire nombre de constellations
                                                          d’action.8 Il est également utile de prolonger la réflexion menée par Eric Hobsbawm qui
                                                          inclut le bris de machines parmi le « bargaining by riot » pratiqué au sein des
                                                          communautés. Dans ce contexte, le rapport des pouvoirs locaux, les traditions de révolte et
                                                          surtout l’analyse des forces de l’ordre deviennent importants. En France, l’appréciation
                                                          publique des bris de machines change autour de 1830 passant d’un acte de défense
                                                          populaire accepté par la communauté à sa criminalisation. Le changement apparaı̂t
                                                          notamment dans la prononciation de peines plus sévères. Suivant Franc� ois Jarrige, le bris
                                                          de machine n’est dès lors plus seulement un effet des conditions de production et de la
                                                          technologie, mais également un facteur constitutif des projets de société antagonistes.
                                                          En effet, si le bris de machines a permis de freiner leur introduction en France,
                                                          sa criminalisation a au contraire contribué au développement d’une culture de production.
                                                               Le concept d’« économie morale » proposé par Edward P. Thompson a joué un rôle
                                                          important dans le débat relatif aux violences populaires.9 Thompson soutient qu’à
                                                          l’intérieur de la société anglaise d’Ancien Régime, les relations sociales de même que les
                                                          droits et devoirs des élites et des classes populaires sont fondés sur le droit à la subsistance.
                                                          Le recours à la violence comme moyen de protestation populaire se situe à l’intérieur de
                                                          certaines limites acceptées. La notion de justice dans les rapports sociaux fait alors partie
                                                          intégrante de la morale publique. Dans sa contribution, Roberto Bianchi inscrit les révoltes
                                                          populaires qui ont éclaté en Italie à la suite de la première guerre mondiale comme une
                                                          survivance de ce type de rapports publics « justes ». Il souligne l’étendue d’un mouvement
                                                          de protestation nationale contre la vie chère appelé « Bocci-Bocci », son assise sociale
                                                          parmi les femmes et les jeunes hommes, mais aussi ses rapports étroits avec les
                                                          mouvements socialistes et ouvriers. Basé sur l’étude des procès et des rapports de police,
                                                          l’article signale l’allégresse provoquée par un mouvement pour la défense de la
                                                          subsistance de la population. La revendication d’un minimum de nourriture et de bien-être
                                                          déjà défendue durant la première guerre mondiale contre les conceptions libérales d’une
European Review of History – Revue européenne d’histoire                      941

                                                          économie du marché a joué un rôle important. Dans une certaine mesure, Roberto Bianchi
                                                          voit se réaliser une « nouvelle économie morale » en Italie après 1918. Il serait intéressant
                                                          d’approfondir cette interprétation et de montrer la pertinence du concept dans l’analyse
                                                          des villages italiens en s’appuyant sur les suggestions de James C. Scott. Ce dernier
                                                          soutient que les villages du sud-est asiatique maintiennent grâce à la défense d’un système
                                                          communautaire de dépendance mutuelle, un standard minimal de subsistance et de
                                                          bien-être.10
                                                               Une des dates clés de l’histoire des violences populaires est sans aucun doute l’année
                                                          1848. L’historiographie traditionnelle y voit la fin des révoltes annonaires et le début d’une
                                                          organisation des mouvements violents populaires. La chronologie a depuis été remise en
                                                          question et de nouvelles recherches ont insisté sur un retour des « food riots » durant la
                                                          deuxième moitié du 19ème siècle et le 20ème siècle.11 L’article de Marcel Streng reprend
                                                          cette hypothèse et la développe à partir de travaux menés sur la consommation. Il met en
                                                          lumière l’importance des changements de la géographie commerciale et du « local »
                                                          comme lieu de confrontation. L’accent est également mis sur la place des experts dans la
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                                                          distribution des marchandises et sur les découvertes scientifiques dont se servent tant les
                                                          producteurs que les distributeurs. A travers l’étude d’un conflit autour de la viande à
                                                          Berlin, Marcel Streng différencie les dynamiques propres aux mouvements pacifiques
                                                          (boycott) et aux actions violentes de même que le rôle joué par les différents acteurs: les
                                                          femmes forment le gros des protestataires dans les marchés tandis que les jeunes hommes
                                                          dominent les rues.
                                                               Le présent volume n’a pas pu couvrir la totalité du cadre européen dans lequel s’est
                                                          produit, au cours des dernières années, un renouveau historiographique. Malgré des
                                                          articles consacrés à l’Angleterre et à l’Italie, les travaux se concentrent sur l’Europe de
                                                          l’Ouest. L’intégration des études sur d’autres pays de la Méditerranée ainsi que sur
                                                          l’Europe du Nord, du Centre et de l’Est reste à faire.12 Les articles privilégient également
                                                          le cadre urbain soulignant ainsi que, dans le champ des violences rurales, un important
                                                          travail reste à faire pour la deuxième moitié du 19e siècle et le 20e siècle.13 Si les travaux
                                                          publiés dans ce numéro s’inscrivent principalement dans un cadre national, ils restent
                                                          ouverts à une approche comparative ou à des micro-études locales qui révèlent la diversité
                                                          des pratiques violentes. Ils démontrent que la littérature relative à la violence protestataire
                                                          est à réécrire et appellent à de nouvelles investigations afin de saisir davantage les rituels et
                                                          les symboliques, les discours et les actions propres à chaque communauté. Dans sa critique
                                                          de Edward P. Thompson, John Bohstedt insiste avec raison sur cette perspective.14
                                                          Une autre lacune des recherches réside dans la quasi-absence de la prise en compte des
                                                          relations transnationales. Joachim Eibach et Maurice Cottier citent l’importance des
                                                          mercenaires suisses comme médiateurs culturels entre la France et la Suisse. Ici s’ouvre un
                                                          champ important de nouvelles recherches déjà perceptible dans les études sur l’exil et les
                                                          migrations internationales.15 Enfin, la perspective globale qui reprend certaines
                                                          problématiques de recherche développées dans le volume produira les outils d’analyse
                                                          nécessaires à une meilleure interprétation des conditions et des formes de la violence
                                                          protestataire.

                                                          Notes
                                                           1.   Radzinowicz, A History of the English Criminal Law.
                                                           2.   Douglas et al., Albion’s Fatal Tree.
                                                           3.   Gurr, “Historical Trends in Violent Crime.”
                                                           4.   Stone, “Interpersonal Violence in English Society.”
                                                           5.   Hobsbawm, Bandits.
942                                E. Berger and H-G. Haupt

                                                           6.   Milbach, L’éveil politique de la Savoie; Delivré, “Giustizia popolare.”
                                                           7.   Lefebvre, La Grande Peur de 1789; Rudé, The Crowd in the French Revolution; Rudé,
                                                                The Crowd in History.
                                                           8.   von Trotha, ed., Soziologie der Gewalt.
                                                           9.   Thompson, “The Moral Economy of the English Crowd;” Thompson, Customs in Common;
                                                                Fassin, “Les économies morales revisitées.”
                                                          10.   Scott, The Moral Economy of the Peasant.
                                                          11.   Haupt, “Gewalt in Teuerungsunruhen.”
                                                          12.   L’étude de Steve Smith souligne l’intérêt des recherches menées en Europe de l’Est: Smith,
                                                                “Moral Economy.”
                                                          13.   Corbin, Le village des cannibales; Chauvaud and Mayaud, Les violences rurales au quotidien;
                                                                Cobo Romero, Fascismo o democracia.
                                                          14.   Bohstedt, The Politics of Provision.
                                                          15.   Hoerder, “Migrationen und Zugehörigkeiten.”
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                                                          Notes on contributors
                                                          Emmanuel Berger is Marie Curie Fellow at the Université catholique de Louvain (Belgium). He led
                                                          several research projects at the Université Paris 1-Sorbonne, CESDIP (CNRS), Université de
                                                          Montréal, National Archives (Belgium), European University Institute and University of Leicester.
                                                          His main research fields are the history of criminal justice during the French Revolution and the
                                                          Napoleonic Empire and the history of popular justice in eighteenth- and nineteenth-century Europe.
                                                          He published Le tribunal correctionnel de Bruxelles sous le Directoire (Archives générales du
                                                          Royaume, 2002) and La justice pénale sous la Révolution. Les enjeux d’un modèle judiciaire liberal
                                                          (Presses universitaires de Rennes, 2006). He edited L’acculturation des modèles policiers et
                                                          judiciaires franc� ais en Belgique et aux Pays-Bas (1795 – 1815) (Archives générales du Royaume,
                                                          2010).
                                                          Heinz-Gerhard Haupt is Professor of History at Bielefeld University. He has taught in several
                                                          universities: Bremen, Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, Lyon 2, European University
                                                          Institute and Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg. He has published books and articles
                                                          dedicated to the history of nationalism (nineteenth and twentieth centuries), the “petite bourgeoisie”
                                                          in Europe (nineteenth and twentieth centuries), the history of consumption, the history of political
                                                          violence and methodology in comparative and transnational history. He recently co-edited Control of
                                                          Violence: Historical and International Perspectives on Violence in Modern Societies (2010) and
                                                          Comparative and Transnational History: Central European Approaches and New Perspectives
                                                          (2012).

                                                          Bibliography
                                                          Bohstedt, John. The Politics of Provision. Food Riots, Moral Economy and Market Transition in
                                                              England, c. 1550 – 1850. Farnham: Ashgate Publishing, 2010.
                                                          Chauvaud, Frédéric, and Jean-Luc Mayaud, eds. Les violences rurales au quotidien. Paris, 2005.
                                                          Cobo Romero, Francisco. Fascismo o democracia? Campesinado y politica en la crisis del
                                                              liberalismo europeo, 1870 – 1939. Granada: Universidad de Granada, 2012.
                                                          Corbin, Alain. Le village des cannibales. Paris: Aubier, 1990.
                                                          Delivré, Emilie. “Giustizia popolare e transizione giuridica: i Rügegerichte nella Sattelzeit.” In La
                                                              transizione come problema storiografico, edited by Paolo Pombeni and Heinz-Gerhard Haupt,
                                                              249 – 272. Bologna: Il Mulino, 2013.
                                                          Fassin, Didier. “Les économies morales revisitées.” Annales HSS, no. 6 (novembre-décembre 2009):
                                                              1237– 66.
                                                          Gurr, Ted. “Historical Trends in Violent Crime: A Critical Review of the Evidence.” Crime and
                                                              Justice: An Annual Review 3 (1981): 295– 353.
                                                          Haupt, Heinz-Gerhard. “Gewalt in Teuerungsunruhen in europäischen Grobstädten zu Beginn des
                                                              20. Jahrhunderts: Ein U¨ berblick.” In Kollektive Gewalt in der Stadt. Europa 1890 – 1939, edited
                                                              by Friedrich Lenger, 167– 186. Munich: Oldenbourg Wissenschaftsverlag, 2013.
European Review of History – Revue européenne d’histoire                    943

                                                          Hay, Douglas, Peter Linebaugh, John G. Rule, Edward P. Thompson, and Cal Winslow, eds.
                                                              Albion’s Fatal Tree: Crime and Society in Eighteenth Century England. London: Pantheon
                                                              Books, 1975.
                                                          Hobsbawm, Eric. Bandits. London: Weidenfeld & Nicolson, 1969.
                                                          Hoerder, Dirk. “Migrationen und Zugehörigkeiten.” In Geschichte der Welt 1870 – 1945, edited by
                                                              Akira Iriye and Jürgen Osterhammel. 433 – 589. Munich: C. H. Beck, 2012.
                                                          Lefebvre, Georges. La Grande Peur de 1789. Paris: A. Colin, 1988.
                                                          Milbach, Sylvain. L’éveil politique de la Savoie. Conflits ordinaires et rivalités nouvelles
                                                              (1848 – 1853). Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2008.
                                                          Radzinowicz, Leon. A History of the English Criminal Law and Its Administration from 1750, 5 vols.
                                                              London: Stevens and sons, 1948 – 86.
                                                          Rudé, George. The Crowd in the French Revolution. Oxford: Clarendon Press, 1959.
                                                          Rudé, George. The Crowd in History. A Study of Popular Disturbances in France and England. New
                                                              York: J. Wiley and sons, 1964.
                                                          Scott, James C. The Moral Economy of the Peasant: Rebellion and Subsistence in Southeast Asia.
                                                              New Haven: Yale University Press, 1976.
                                                          Smith, Steve A. “Moral Economy and Peasant Revolution in Russia: 1861 – 1918.” Revolutionary
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                                                              Russia 24 (2011): 143– 171.
                                                          Stone, Lawrence. “Interpersonal Violence in English Society 1300 – 1980.” Past and Present
                                                              101 (1983): 22 – 33.
                                                          Thompson, Edward P. “The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century.” Past
                                                              and Present 50 (1972): 76 – 181.
                                                          Thompson, Edward P. Customs in Common: Studies in Traditional Popular Culture. New York:
                                                              New Press, 1991.
                                                          von Trotha, Trutz, ed. Soziologie der Gewalt. Opladen/Wiesbaden: Westdeutscher Verlag, 1997.
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