Fonds de réserves pour les retraites : faut-il l'investir en actions ?
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ISSN 1293-2868 Document de travail de la Branche Retraites de la Caisse des dépôts et consignations n° 2000 - 29 Contact : Laurent Vernière = 01 40 49 89 55 — laurent.verniere@br.caisssedesdepots.fr Juin 2000 Réalisation : Direction de la Communication Fonds de réserves pour les retraites : faut-il l’investir en actions ? Dossier préparé par Laurent Vernière gestion financière des réserves. cement d’une partie des réserves L a France a créé en 1999 un fonds de réserves pour les re- traites destiné à préfinancer une Toutefois, au vu des expériences étrangères récentes, le choix de collectives pour bénéficier de leur rendement beaucoup plus partie des engagements du régi- la politique d’investissement du élevé à long terme par rapport me général et des régimes ali- fonds et son contrôle vont pro- aux titres de taux (obligations) gnés qui viendront à échéance bablement rapidement devenir mais avec en contrepartie des lors de l’arrivée à l’âge de la re- des préoccupations urgentes risques accrus. traite des générations du baby puisque va se poser la question de Au cours des dernières années, boom. Jusqu’à ce jour, les débats la composition du portefeuille les États-Unis et le Canada, qui ont essentiellement porté, lors d’actifs dans lesquels seront in- disposent d’un fonds de réserves de la discussion des lois de fi- vesties les réserves afin d’en important associé à leur régime nancement de la Sécurité So- maximiser le rendement. L’op- public de retraite de base par ciale, sur les modalités d’abon- tion la plus discutée concerne répartition, ont en effet été dement régulier du fonds de ré- essentiellement le choix des ac- confrontés à cette question à serves puisque seules les dota- tions comme instrument de pla- l’occasion de la réforme de leur tions des années 1999 et système public de re- 2000 ont été fixées par DANTE traite. Aux États-Unis, ces lois. Cet aspect n’est LE SITE INTERNET DE LA la proposition était an- évidemment pas mineur BRANCHE RETRAITES cienne puisqu’elle fai- puisque la capacité d’in- Observatoire des débats parlementaires, sait partie de l’une des tervention du fonds recueil hebdomadaire des textes et ana- options examinée dans pour alléger les charges lyses, observatoire des fonds de pension, le rapport de l’Adviso- revue de presse et analyse bimensuelle, qui pèseront sur les ac- monographie des régimes de retraite ry Council publié en tifs dans le futur, dé- publique en Europe, comparaison des 1997 1. En outre, le plan pendra directement du dispositifs, risques professionnels, simu- de sauvegarde de la So- montant des réserves lation de calcul des pensions. cial Security annoncé accumulées en propor- Dante présente également des études et des par le Président Clinton tion des engagements à informations sur la retraite et l’indemnisation au début de l’année financer. Par ailleurs, des risques professionnels pour les 1999 était principale- employeurs, les affiliés et les retraités de la aucune décision défini- CNRACL, de l’IRCANTEC et de FONPEL. ment axé sur l’utilisa- tive n’a encore été prise tion des surplus budgé- Vous pouvez aussi télécharger “Questions sur le statut juridique du Retraite” à partir du site. taires pour accroître les fonds, sur son organisa- Son adresse : réserves du Trust Fund tion administrative et www.caissedesdepots.fr/dante et sur une programma- sur les modalités de la tion de placement en 1 Cf. Questions Retraite n° 97-01 «Sécurité Sociale aux États-Unis». Laurent VERNIERE. Février 1997. 1
n° 2000 - 29 - juin 2000 actions d’une fraction de ces d’une marge de manœuvre bud- •Les conséquences de la déten- réserves 2. Le Canada a franchi gétaire qui permette de limiter tion d’actions par les pouvoirs le pas à l’issue de la réforme de et de rendre acceptables les publics via le fonds de réserves : 1997 du régime des pensions ajustements dans les régimes d’une part, le choix des titres du Canada (RPC) en créant de retraite existants. Ces propo- des entreprises ou des activités par la loi un «Office d’investis- sitions ont toutefois suscité d’in- dans lesquels investir le fonds sement du régime des pensions tenses débats académiques et de réserves pourrait être du Canada», organisme indé- politiques. Dans le contexte influencé par des considéra- pendant chargé de gérer et d’in- américain, trois aspects4 ont été tions politiques, ce qui pour- vestir les réserves « afin d’obte- plus particulièrement explorés : rait à la fois déséquilibrer le nir un taux de rendement maxi- cours de ces titres mais aussi mal sans risque excessif de •Le principe de l’inves- conduire à une sous per- perte ». En régime de croisière, tissement en actions en formance en termes de ren- l’objectif du Canada est de faire général, c’est-à-dire ce qui dement, d’autre part, la rela- jouer aux produits financiers justifie économiquement le tion avec la «corporate gover- choix de ce support pour le du fonds de réserves le rôle de nance» des entreprises au placement de réserves collec- « troisième financeur » à côté travers de l’exercice des droits tives abordé au travers de deux des employeurs et des salariés de vote. questions : comment rendre dans le financement du régime 3. Dans le contexte américain, plus efficace le partage inter- le troisième point a été générationnel des risques, Par rapport à la situation fran- le plus abondamment discuté quelle sera l’évolution à long çaise, le Canada et les États- parce que le fonds de réserves, terme de la prime de risque Unis disposent déjà d’un fonds dans l’hypothèse où il (« equity premium ») mesurée de réserves ayant accumulé des serait autorisé à intervenir sur par l’écart entre le rendement réserves importantes essentiel- le marché des actions, des actions et le taux sans lement investies en obligations. deviendrait le plus important risque des obligations ? De ce fait, la modification de investisseur en proportion de la politique de placement du •L’impact de la réalisation la capitalisation boursière. Les fonds est synonyme d’une réal- éventuelle du risque associé au critiques du projet des auto- location du portefeuille du placement en actions sur les rités américaines ont mis en fonds de réserves en faveur des paramètres des régimes de avant deux problèmes : la actions afin de bénéficier de retraite, en particulier sur les possibilité de conflits d’intérêt l’opportunité d’accroître les pro- taux de cotisation : il s’agit entre la sphère publique et le duits financiers. Cette réalloca- d’évaluer l’effet financier de secteur privé dès lors que le tion constitue un atout dans la réalisation de mauvaises fonds de réserves détiendrait les mains des pouvoirs publics performances financières du une part significative du au cours du processus de réfor- fonds de réserves, de déter- capital de certaines entreprises, me des régimes publics de re- miner qui supporte le risque l’introduction de distorsions traite : en optimisant le rende- (cotisants et/ou retraités) et le dans le fonctionnement effi- ment financier du fonds de ré- degré d’acceptabilité du risque cace des marchés financiers. serves, l’objectif est de disposer additionnel. Les deux premiers points ont 2 Cf. Questions Retraite n° 99-19 «Le rôle du fonds de réserves aux États-Unis et les propositions de réforme de la Social Security». Laurent VERNIERE, Juin 1999. Il convient de noter qu’en outre trois propositions de loi déposées par la Chambre des représentants et deux par le Sénat américain abordent également, à des degrés divers, le problème de la politique d’investissement du Trust Fund de la Social Security américaine. 3 Cf. Questions Retraite n° 99-15 «Le fonds de réserves du régime des pensions du Canada». Laurent VERNIERE, Janvier 1999. 4 Cf. A. Munnell, P. Balduzzi «Investing the Social Security Trust Funds in Equities», Working Paper AARP, Mars 1998. 2
n° 2000 - 29 - juin 2000 par contre été analysés par de sorte que les futurs cotisants réserves collectives. Celles-ci rapport à la proposition alter- bénéficient en régime de préfinancent partiellement les native de transformation croisière d’un allégement des engagements de régimes par radicale du système public de taux de cotisation permis répartition, c’est-à-dire des retraite qui consisterait à par les recettes financières du régimes qui garantissent un abandonner la technique de fonds. Dans ces conditions, taux de remplacement. De ce la répartition pour créer un la réduction des taux de fait, les perspectives de rende- système de comptes individuels cotisation par rapport à la ment à long terme et les risques fonctionnant en capitalisation. répartition pure va dépendre liés à la détention d’actions ne La comparaison des deux pro- directement du rendement des doivent pas remettre en cause positions, investir en actions investissements financiers du les objectifs de ces régimes de via les réserves collectives fonds de réserves, ce qui peut base. Le problème est donc ou via des comptes individuels expliquer le changement de d’apprécier comment le couple d’épargne retraite, s’est d’abord cap dans la politique d’inves- rendement-risque relatif aux intéressée au choix des tissement du fonds. La prin- actions va évoluer sur longue dispositifs les plus efficaces cipale question concernait le période et quel sera son impact pour augmenter le taux choix de la méthode pour en termes de distribution des d’épargne des ménages amé- obtenir le résultat escompté. risques sur les différentes ricains qui est considéré Les autorités canadiennes ont cohortes. comme trop faible. En second choisi, d’une part, de créer un Comme on peut le constater, lieu, l’impact sur la politique Office d’investissement indé- la France est à ce jour assez budgétaire a retenu l’attention pendant, c’est-à-dire sans lien éloignée de l’expérience de ces puisque le choix d’investir en avec les pouvoirs publics et deux pays. Toutefois, dans actions une partie des réserves disposant de la plénitude un proche futur, il n’est pas signifie une réallocation du des moyens pour déterminer impossible que la question du portefeuille du Trust Fund qui la politique d’investissement, provisionnement des enga- n’est plus utilisé en totalité et, d’autre part, de fixer par gements en matière de retraite pour acheter des obligations la loi les «règles du jeu» qui ne soit pas limitée au fonds de émises par le Trésor Public. s’imposent à cet organisme réserves. Les régimes complé- en matière de gestion admi- mentaires de salariés ARRCO Le débat au Canada a été de nistrative et financière des et AGIRC disposent dès à moindre ampleur, sans doute, réserves. présent de réserves dont la d’une part, parce que le projet Bien que les débats aient été gestion financière pourrait être de réforme du régime des vifs et que des décisions aient modifiée, certains régimes de pensions du Canada a été été prises, il est intéressant retraite des professions indé- rapidement adopté, d’autre de noter que, tant aux pendantes accumulent éga- part, parce que la réforme a été États-Unis qu’au Canada, les lement des réserves, situations explicitement conçue autour pouvoirs publics ont été qui pourraient conduire à d’un renforcement du rôle du extrêmement prudents dans s’interroger sur l’adaptation du fonds de réserves : il a pour leur démarche, principalement cadre réglementaire et fiscal vocation à devenir permanent en raison du statut des permettant une diversification 3
n° 2000 - 29 - juin 2000 des placements afin de béné- celui-ci est utilisé pour lisser régimes par répartition, alors que ficier de l’opportunité de ren- l’évolution des taux de coti- la persistance, voire l’augmen- dements plus élevés. La princi- sation (États-Unis), soit de tation, de l’écart de rendement pale différence par rapport aux baisser significativement le taux entre la répartition et l’épargne politiques suivies par les États- de cotisation par rapport à retraite pourrait laisser craindre Unis et le Canada vient de ce celui de la répartition pure un accroissement des distorsions que la constitution de réserves lorsque le fonds est permanent préjudiciable à la fois au fonc- collectives a lieu en France au (Canada). Au cours d’un pro- tionnement efficace de l’éco- sein de régimes de retraite au cessus de réforme des régimes de nomie et au financement des moment où ils sont arrivés à retraite visant à restaurer l’équi- régimes de retraite. Cet argu- maturité : les possibilités de libre financier à long terme, ment est important à considérer surcotisation afin d’abonder le cette option permet de détendre lorsque les autorités publiques fonds de réserves sont limitées, les contraintes financières et de retiennent l’option de conforter ce qui laisse penser que le limiter l’impact des ajustements la place de la répartition dans la montant des réserves en pour- possibles des autres paramètres constitution des droits à la centage des prestations à payer d’acquisition et de liquidation retraite dans un environnement ne pourra pas atteindre ce qui des droits à la retraite. où le rendement de la ré- est observé sur le continent Un deuxième argument est partition pure devrait rester américain. souvent associé à celui de relativement faible dans le futur. l’augmentation des recettes Pourquoi le fonds financières. Dans la plupart des Un troisième argument est de réserves détien- pays développés, le rendement ajouté pour prendre en compte drait-il des actions? implicite associé aux régimes par les caractéristiques de la répartition est appelé à diminuer distribution de la détention L’intérêt accordé à la détention fortement parce qu’on s’attend à d’actions selon le niveau d’actions dans le portefeuille du un ralentissement de la crois- de revenu des ménages. Dans fonds de réserves vient essen- sance de la masse salariale brute, tous les pays, on constate que la tiellement du fait que, lorsque assiette des cotisations. Investir détention d’actions est concen- les réserves accumulées sont en actions une partie des trée parmi les titulaires de importantes et que le rendement réserves est un moyen d’aug- hauts revenus. Les salariés des actions est également élevé menter pour les générations situés dans le bas de l’échelle comparativement au rendement futures, toutes choses égales par salariale n’ont que peu des autres catégories d’actifs, ailleurs, le rendement de l’opé- de possibilités d’investir en les recettes financières du ration retraite grâce à la Bourse, soit individuellement fonds contribuent pour une part diversification des sources de via des plans d’épargne retraite, croissante au financement financement des retraites. soit collectivement via des plans des régimes de retraite. Cette L’équité intergénérationnelle de retraite d’entreprise en marge de manœuvre présente est renforcée puisque les généra- capitalisation. Les contraintes l’avantage soit de repousser tions futures ne seront pas de revenu induites par la la date à partir de laquelle pénalisées pour leur parti- faiblesse de leurs ressources ne le fonds est épuisé lorsque cipation obligatoire à des leur permettent pas de dégager 4
n° 2000 - 29 - juin 2000 probabilité de bénéficier de que en faveur de l’inves- régime par répartition en plans de retraite d’entreprise. tissement en actions est fondé annuités, le taux de rempla- Investir le fonds de réserves en sur l’efficacité du partage cement est garanti : si les rende- actions serait alors un moyen de intergénérationnel des risques ments financiers des investis- entre les «jeunes» (les actifs) et sements du fonds sont faibles, réduire cette inégalité entre les les retraités6. Investir en actions il sera toujours possible d’aug- différentes catégories de salariés signifie en espérance des menter les taux de cotisation en permettant aux salariés rendements plus élevés mais afin de satisfaire cette garantie, disposant de faibles salaires de également des risques accrus sur hausse des taux que les «jeunes» bénéficier, par l’intermédiaire de les revenus. Un partage efficace supporteront7. En répartissant le l’investissement des réserves des risques requiert que les risque sur toutes les catégories collectives constituées au sein individus supportent plus de d’âge, on améliore la répartition des régimes de retraite par risques quand ils sont jeunes que du risque, ce qui est susceptible répartition, des rendements quand ils sont âgés. Munnell et d’améliorer le bien-être de toutes Balduzzi énoncent trois motifs les générations. élevés offerts par les marchés en faveur de la détention d’actifs financiers. risqués par les «jeunes» : Quelle évolution à On admet également qu’un long terme de la fonds de réserves est en mesure, •lorsqu’ils sont affectés par de prime de risque sur à cause de son poids et surtout mauvaises performances des les actions ? quity p de son horizon de placement, de marchés financiers, les «jeunes» rendem gérer efficacement les risques ont la possibilité d’ajuster leur Investir le fonds de réserves en risqués ( associés à la détention d’actions niveau de revenu en modifiant actions trouve sa justification risque ( leur offre de travail ou la dans les rendements élevés supplém et en conséquence de les réduire. répartition de leur revenu entre observés dans le passé sur cette par les in En effet, la plupart des études la consommation et l’épargne, catégorie d’actifs par rapport aux montrent que plus la durée de titres de taux (obligations). Les détention des actions est longue, •en raison de leur horizon de actions sont cependant un actif plus faible est la probabilité de placement, les «jeunes» ont la risqué en ce sens que leur sous-performance par rapport à possibilité d’obtenir la moyenne rendement peut fortement varier la détention d’actifs non des rendements et de tirer et exposer les détenteurs à des risqués5. Par ailleurs, il ne faut avantage des fluctuations de la variations de grande amplitude pas négliger le fait que les coûts Bourse, de leurs revenus et de leur de gestion d’un fonds collectif patrimoine. On appelle prime de •les «jeunes» ont moins sont extrêmement faibles et d’aversion pour le risque que les risque («equity premium») n’amputent pas les rendements retraités et sont donc plus l’écart de rendement entre les financiers. disposés à détenir des actions. actifs risqués (actions) et les actifs sans risque (obligations). le partage efficace C’est le supplément de ren- Investir le fonds de réserves en des risques actions revient à déplacer vers dement exigé par les inves- les «jeunes» le risque concentré tisseurs pour prendre le risque Le principal argument économi- sur les retraités puisque, dans un d’acquérir des actions. 5 La volatilité du rendement des actions se réduit fortement lorsque la durée de détention s’accroît. Les calculs réalisés aux États-Unis sur la période 1926-1998 montrent que : • sur des périodes de 5 ans, le rendement varie entre -12,4% et 24,1%, • sur des périodes de détention de 10 ans, le rendement varie entre -0,8% et 19,9%, • sur des périodes de détention de 20 ans, le rendement varie entre 3,1% et 17,7%, • sur des périodes de détention de 25 ans, le rendement varie entre 5,9% et 14,9%. 6 Cf. Questions Retraite n° 2000-27 «La gestion et le partage des risques dans les régimes de retraite». Laurent VERNIERE, mars 2000. 7 Cf. Questions Retraite n° 98-08 «Les réserves capitalisées dans les régimes de retraite par répartition». Laurent VERNIERE, Février 1998. 5
n° 2000 - 29 - juin 2000 Sur le passé, à condition de les contraintes d’emprunt et les a) l’evolution de la prime de prendre des périodes de compa- coûts de transaction qui restrei- risque dans le passé. raison très longues, on observe gnent les échanges entre les effectivement que cet écart de générations et aboutissent à un Un tableau cité par P. Diamond10 rendement est significatif, lissage imparfait de la consom- permet de retracer les rende- en général supérieur à trois mation sur le cycle de vie. ments des actions et des obliga- points par an. La prime de risque Comme c’est l’existence de cette tions aux États-Unis sur des pé- est toutefois en théorie une prime de risque qui justifie le riodes de différentes longueurs « énigme » en ce sens que, dans choix de détenir des actions dans le passé. Au cours des deux les modèles de détermination du dans le portefeuille du fonds de derniers siècles, le rendement prix des actifs fonctionnant avec réel des actions dans ce pays a réserves, il devient légitime de l’hypothèse que les individus été en moyenne de 7% et celui se demander d’une part, quelle opèrent sur des marchés finan- des obligations de 3,5%. La sera son évolution dans le futur, ciers efficients et optimisent leur prime de risque a été en moyen- d’autre part, si la politique d’in- consommation dans un cadre ne de 3,5% mais on observe vestissement du fonds est intertemporel avec une aver- qu’elle est plus élevée sur des pé- susceptible de l’affecter. sion pour le risque constante, les riodes plus courtes et plus ré- Comme l’écrit I. Welch 9, « la rendements à l’équilibre des centes. Sur la période après prime de risque est sans doute le 1946, elle s’élève à 6,5% par an, actions et des obligations chiffre le plus important en essentiellement en raison de la devraient différer de moins d’un pour cent. Pour expliquer une économie financière » et prévoir diminution du rendement des prime de risque plus élevée, son évolution au cours des obligations. Au cours des dix plusieurs auteurs ont considéré prochaines décennies est un dernières années, le rendement que le comportement anormal exercice qui est loin d’être des actions a été en moyenne de du prix des actifs trouve son consensuel. L’observation et la 13%. Dans ces conditions, doit- origine dans les imperfections comparaison des rendements on retenir, comme le fait la So- des marchés financiers. Deux réalisés dans le passé ne suffisent cial Security américaine dans ses types d’imperfections sont pas pour affirmer qu’au cours exercices de projection à 75 ans, avancées : le partage imparfait des cinquante prochaines un rendement réel des actions du risque au sein des générations années, les rendements seront de 7% par an et une prime de à cause des problèmes d’aléa aussi élevés que ceux des dix risque de l’ordre de 4%, ou bien moral et de sélection adverse 8, dernières années. doit-on s’attendre à une correc- Rendement réel (en %) des actions et des obligations aux États-Unis (moyenne géométrique) P RIME DE RISQUE P ÉRIODES A CTIONS (1) O BLIGATIONS (2) (1-2) 1802-1998 7,0 3,5 3,5 1802-1870 7,0 4,8 2,2 1871-1925 6,6 3,7 2,9 1926-1998 7,4 2,2 5,2 1946-1998 7,8 1,3 6,5 Source : Jeremy Siegel, «The Shrinking Equity Premium : Historical Facts and Future Forecasts». 8 Les actions ne sont détenues que par une fraction de la population et, en conséquence, le risque est concentré sur cette catégorie. 9 Ivo Welch. «Views of Financial Economists on the Equity Premium and on Professional Controversies». Mimeo, University of California, 1999. 10 Peter Diamond. «What Stock Market Returns to expect for the Future». Issue in brief, n°2, 1999, Center for Retirement Research, Boston College. 6
n° 2000 - 29 - juin 2000 tion du marché concernant le n’explique pas dans quel délai les fondamentaux de l’économie prix des actions et compte tenu le marché pourrait s’ajuster. (les relations entre le taux de des perspectives de croissance croissance de l’économie, les re- économique à une diminution Une autre façon de montrer la venus du capital et le prix des du rendement réel des actions et difficulté du problème est de actifs financiers) et les réalisa- de la prime de risque? Répondre retracer l’évolution de la capi- tions historiques des variables fi- à ces questions n’est pas un exer- talisation boursière rapportée au nancières, l’autre qui met en cice facile pour plusieurs raisons : PIB en France au cours des avant les transformations in- dernières années : On constate duites par le développement de •les différentes variables qu’en raison de la forte aug- l’économie de l’information économiques et financières mentation des cours de la bourse avec leur impact sur la croissan- sont endogènes et il apparaît en 1998 et 1999, la capi- ce des gains de productivité, difficile de disposer d’un talisation boursière en pour- l’essor de la technologie finan- modèle explicatif robuste qui centage du PIB a été multipliée cière qui abaisse les coûts de ges- intègre conjointement la par plus de 3 au cours des cinq tion et de transaction des actifs sphère réelle et la sphère dernières années. Si l’on suppose financiers, ainsi que la modifi- financière ainsi que les facteurs qu’en régime de croissance cation des comportements des explicatifs de la prime de équilibrée, ce rapport devrait individus en matière d’alloca- risque. La raison en est la très être, à périmètre inchangé, tion de portefeuille, d’aversion grande volatilité du prix des relativement constant, on pour le risque et d’horizon de actions en comparaison de devrait s’attendre à une cor- placement. Pour appréhender l’évolution de variables telles rection du marché pour ramener les termes du débat, le plus que la consommation des les évolutions sur leurs tendances simple est de commencer par ménages ou les revenus des de long terme11. Cette correction quelques éléments de référence actions. Il en résulte que la ne signifie pas forcément que le qui permettent de guider les rai- prime de risque est inexpliquée rendement des actions et la sonnements en matière finan- pour des valeurs acceptables prime de risque vont fortement cière. La formule du rendement des paramètres d’aversion pour diminuer dans le futur de façon des actions Ra 12 est un point de le risque, permanente mais que tem- départ utile : porairement les rendements D •un consensus d’experts ne élevés observés ces dernières R a= P° a + ––––––––––– pourra donner qu’une éva- années pourraient rejoindre leur Pa luation des tendances à long moyenne historique. Le rendement des actions est la terme. Or l’interprétation des somme de deux composantes : le évolutions des années récentes, b) Comment pourrait évoluer taux de croissance du prix des qui conduit souvent à conclure la prime de risque dans le futur? actions P° a et le «rendement» à la surévaluation du marché des dividendes (D/Pa) où les des actions, est souvent Cette question oppose schéma- dividendes distribués D repré- un élément qui influence tiquement deux écoles, l’une, sentent une fraction des revenus cette donnée d’expert et qui comme on l’a dit, qui examine de l’entreprise. On a donc deux France : Capitalisation boursière en % du PIB 1995 1996 1997 1998 1999 31,6% 38,6% 49,3% 64,6% 110% 11 Un exemple simple permet de comprendre les conséquences du prolongement des évolutions récentes du prix des actions. Supposons que la capitalisation boursière croisse, dans les 40 prochaines années, à un rythme supérieur de 3% au taux de croissance du PIB, sachant que la capitalisation boursière représente 1,1 PIB en 1999. En 2040, la capitalisation boursière serait égale à 1.1*(1.03)40 = 3.6 PIB. Avec un taux de rendement réel par exemple de 8%, le montant du rendement financier s’élèverait en 2040 à près de 30% du PIB annuellement ! 12 Il s’agit de la «formule de Gordon» établie en 1962 dans le cadre d’un modèle de croissance équilibrée. 7
n° 2000 - 29 - juin 2000 variables dont il faut connaître actions serait le signal que, son de l’augmentation du volu- l’évolution, le prix des actions et dans le futur, les rendements me des dividendes ou en raison le montant des dividendes devraient diminuer. d’un fort ralentissement voire distribués. Cette formule peut Une seconde approche examine d’une diminution du prix des être utilisée pour apprécier une situation de croissance actions, soit que les prix des comment le rendement des équilibrée illustrée par les actions continuent d’enregistrer actions pourrait évoluer dans le hypothèses suivantes : une progression beaucoup plus futur. rapide que le taux de croissance Une première approche est •les prix des actions augmentent du PIB. Dans ce dernier cas, d’évaluer la possibilité que vont au même rythme que les l’hypothèse d’un rendement persister les évolutions observées revenus du capital, c’est-à-dire constant des dividendes (D/Pa dans la dernière décennie au même rythme que le PIB à constant) signifie que les reve- caractérisées en particulier par long terme quand on fait nus du capital croîtraient au une forte croissance du prix l’hypothèse que la part des même rythme que le prix des des actions. Cette hypothèse est revenus du capital dans le PIB actions, résultat qui à long terme en fait rejetée par beaucoup de est constante. Pour la France, impliquerait soit une défor- spécialistes de l’économie les exercices de projection mation continue du partage des financière parce qu’elle signi- retiennent un taux de revenus entre les facteurs travail fierait une augmentation conti- croissance du PIB au plus égal et capital en faveur de ce nue de la capitalisation bour- à 2% par an, dernier, soit une forte croissance sière exprimée en pourcentage du rendement économique du du PIB. Ce résultat serait •le rendement des dividendes capital qu’il faudrait expliquer. contradictoire avec les fonda- distribués reste constant au mentaux de l’économie, en niveau enregistré en moyenne Ces corrections, augmentation particulier avec ce qu’on peut dans le passé, soit par exemple des dividendes distribués ou attendre du rendement éco- environ 2% à 3% aux États- croissance rapide du prix des nomique du capital investi13. Le Unis. actions sur longue période, sont développement de nouvelles considérées comme peu plau- activités liées à l’économie de Ces deux éléments donneraient sibles pour de nombreux spécia- l’information n’est pas un argu- un rendement des actions listes. On devrait donc s’at- ment robuste pour envisager que compris entre 4% et 5 % et tendre à une diminution de la les gains de productivité seront donc, avec un rendement des prime de risque qui pourrait dans le futur massifs et que la obligations de 2% à 3%, une alors s’expliquer par divers plus grande part de ces gains prime de risque de 1% à 2%, arguments : seront affectés à la rémunération c’est-à-dire une diminution du capital. C’est ce type de notable par rapport aux valeurs •le développement des divers raisonnement qui suggère qu’une historiques enregistrées dans le formes de gestion collective de correction des marchés finan- passé14. Pour avoir une prime de l’épargne et l’élargissement des ciers devrait intervenir pour risque plus forte, il faudrait dans marchés financiers devraient ramener les variables financières le futur soit que le «rendement» permettre de diminuer nota- sur leur tendance moyenne. des dividendes distribués aug- blement les coûts de gestion La forte hausse du prix des mente considérablement en rai- des portefeuilles avec une 13 Cf. «Le rendement du capital : éléments de diagnostic». O. DAVANNE, Février 1999, note distribuée à la Commission Charpin. 14 On retrouve des ordres de grandeur des rendements financiers comparables à ceux utilisés dans les scénarios de simulation du fonds de réserves en France. Cf. Questions Retraite n° 99-16/17 «Fonds de réserves : simulations de scénarios d’accumulation et d’utilisation des réserves». Laurent VERNIERE, Janvier-Février 1999. 8
n° 2000 - 29 - juin 2000 répercussion sur le rendement évolutions à court terme des des risques que pourrait per- exigé des actions et, en évolutions à long terme. Les mettre une allocation adaptée à conséquence, sur la prime de évolutions de court terme l’horizon de placement d’un risque, du rendement des actions sont fonds de réserves. Il est probable difficilement prévisibles compte que la question de la politique •la détention d’actions par les tenu de la volatilité intrinsèque d’investissement du fonds de ré- ménages devrait continuer à du cours des actions. Par contre, serves sera en France en partie s’accroître (directement ou la prévision des évolutions appréhendée selon ce présuppo- indirectement à travers les à long terme s’appuie sur la sé qui ne prend pas en compte plans d’épargne retraite) avec comparaison aux moyennes des les enseignements des expé- de plus grandes possibilités de réalisations observées sur longue riences étrangères. Par ailleurs, diversification des placements, période dans le passé. C’est la le débat actuel sur la possible deux motifs qui signifient au mesure des écarts entre ces sur-évaluation des marchés fi- total que le risque est mieux moyennes sur longue période et nanciers et sur les différents scé- partagé et donc que les les réalisations actuelles qui narios d’ajustement introduit un investisseurs supportent moins permettent de porter un élément d’incertitude supplé- de risques. La prime de risque diagnostic sur les risques à court mentaire susceptible d’orienter exigée devrait être plus faible terme de rendements moins les choix futurs. Enfin, s’ajoute dans le futur. élevés. Le principal incon- l’argument selon lequel la mesu- vénient de l’incertitude de ces re des effets du vieillissement de L’anticipation d’une diminution prévisions est qu’elles laissent la population sur la valorisation de la prime de risque ne signifie indéterminées les périodes au des actifs financiers ne jouerait pas que, dans le futur, le cours desquelles auront lieu les rendement des actions sera, de pas en faveur de la détention ajustements des marchés façon permanente, inférieur à sa d’actions puisqu’elle implique- financiers. tendance historique. Si l’on opte rait une chute de leurs prix au pour l’hypothèse que les marchés Remarques de moment où les générations du financiers sont actuellement conclusion. baby boom atteindront l’âge surévalués, une correction des dela retraite et liquideront leur prix abaissera temporairement le En Europe continentale, la rela- patrimoine financier. Ces as- rendement des actions qui tion entre les marchés financiers pects négatifs, qui conduiraient retrouvera par la suite ses et la retraite est souvent consi- à recommander d’adopter un tendances historiques. Le scé- dérée comme suspecte parce que comportement prudent et passif nario alternatif considère au l’accent est d’abord mis sur les dans la politique de placement contraire que les marchés risques que les retraités soient du fonds de réserves, sont trop financiers sont correctement perdants en laissant dépendre le souvent sans nuance au point évalués et que la diminution de montant de leur retraite des d’oublier les objectifs assignés au la prime de risque est inéluctable performances de ces marchés. fonds de réserves. Dans la ver- dans le futur. L’écart de rendement des actions sion française, il est probable Ces quelques éléments de par rapport aux autres supports que le fonds de réserves sera uti- raisonnement montrent qu’il est de placement est ignoré comme lisé pour lisser l’évolution des important de distinguer les l’est la notion de diversification taux de cotisation afin d’alléger 9
n° 2000 - 29 - juin 2000 la charge du coût de finance- cédents courants du régime des fonds devrait être adaptée à par- ment des retraites par réparti- pensions, solde des rembourse- tir du moment où le fonds serait tion pesant sur les générations ments d’obligations venant à utilisé pour financer une frac- en activité après 2015-2020. De échéance) sont intégralement tion des pensions. Il est prévu ce fait, le niveau des pensions investis en actions afin de di- que ce n’est qu’après 2020 que versées aux futurs retraités ne versifier le portefeuille. La part cette utilisation sera faite. Dans dépendra pas des performances des actions étrangères ne peut l’intervalle, il serait peu crédible financières du fonds de réserves. dépasser 20% des investisse- que les autorités publiques n’as- Seuls les actifs seront plus ou ments. L’investissement en ac- signent pas au fonds de réserves moins bénéficiaires par rapport à tions canadiennes doit, dans la un objectif de maximisation du la répartition pure selon la per- période intérimaire, reproduire la rendement obtenu par l’inter- formance du fonds de réserves. composition de l’indice TSE 300 médiaire d’un investissement Il serait inefficace de choisir un de la Bourse de Toronto. Il est partiel en actions. portefeuille composé unique- prévu qu’ultérieurement, une ment de titres à revenu fixe alors gestion active pourra être mise même qu’il est recommandé par en place lorsque l’ensemble des ailleurs de privilégier les poli- règles de placement et de tiques maximisant la croissance contrôle deviendront défini- économique. tives. Le placement du Fonds est Le Canada offre un exemple organisé sous la forme de man- d’organisation et de contrôle du dats accordés à un ou plusieurs fonds d’investissement des ré- gestionnaires extérieurs et un serves adapté à la «maximisation dépositaire extérieur conserve du taux rendement sans risque les actifs du Fonds. excessif de perte» «dans l’intérêt La France pourrait s’inspirer de des cotisants et des presta- la démarche canadienne en ce taires». Le choix des actions qui concerne l’organisation et le est explicitement recommandé contrôle de la politique d’inves- dans les limites compatibles tissement du fonds de réserves. avec les règles de prudence afin Le choix des actions comme ins- de diversifier le portefeuille trument de placement des ré- qui était uniquement composé- serves pourrait être strictement d’obligations. A cette fin, le délimité par la loi en fonction Conseil d’administration de de l’horizon de placement et des l’Office d’investissement du objectifs assignés au fonds. Régimes des Pensions du Cana- Comme le fonds de réserves da a élaboré un «énoncé provi- n’est pas à ce jour conçu comme soire des principes, des normes un préfinancement permanent et des procédures en matière de et constant des engagements des placement». La totalité des ren- régimes de retraite, la part des trées alimentant le Fonds (ex- actions dans le portefeuille du 10
n° 2000 - 29 - juin 2000 Bibliographie. I. I. Welch. «A Note on the Equity Size Puzzle». Mimeo, Novembre 1999, UCLA. II. I. Welch. «Views of Financial Economists on the Equity Premium and on Professional Controversies». Mimeo, 1999, UCLA. III. P. Diamond. «What Stock Market Returns to Expect for the Future». Issue in Brief, n° 2, Septembre 1999, Center for Retirement Research, Boston College. IV. CIEBA Report. «Implications of Investing Social Security Funds in Financial Markets». Juin 1999. V. A. Iglesias, R. Palacios. «Managing Public Pension Reserves. Part 1 : Evidence from the International Experience». Janvier 2000, Working Paper, World Bank. VI. J. Golob, D. Bishop. «What Long-term Returns can Investors Expect from the Stock Market?». Economic Review, 1997, Federal Reserve Bank of Kansas City. VII. A. Munnell, P. Balduzzi. «Investing the Social Security Trust Funds in Equities». Working Paper n° 9802, Mars 1998, AARP. VIII. GAO Report. «Implications of Government Stock Investing for the Trust Fund, the Federal Budget and the Economy». Avril 1998. IX. P. Pestieau, U. Possen. «Investing Social Security in the Equity Market. Does it Make a Difference?». Working Paper, Décembre 1997. X. M. Kiley. «Stock Prices and Fundamentals in a Production Economy». Working Paper, Janvier 2000, Federal Reserve Bank. 11 67 rue de Lille 75007 Paris - = 01 40 49 86 06 Directeur de la publication : Bernard Cochemé Branche Retraites
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