" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique

La page est créée Jessica Girard
 
CONTINUER À LIRE
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Cahier
         de Français
            (N°2)
         Séquence 3

« Formes et significations »
   La modernité poétique :
           Alcools
de Guillaume Apollinaire, 1913

       Janvier-mars 2005

    Classe de 1°L1—M. BURAUD

               1
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Livres étudiés

                            Œuvre intégrale >

                                       Réalisez une anthologie de vos poèmes préférés pris
Lectures et consignes pour le          parmi les œuvres suivantes. Elle comportera une préface
    vendredi 20 janvier>               qui présentera le corpus et justifiera vos choix, 9
                                       poèmes issus d’au moins 4 œuvres différentes et un
                                       sonnet de votre composition.

                                 Blaise Cendrars,                  Jean Cassou,
         Emily Brontë,           Au cœur du monde,                 33 sonnets
         Poèmes                  1919                              composés au secrêt,
                                                                   1944

                                 André Breton,                       René Char,
        Baudelaire,
                                 Clair de terre,                     Fureur et mystère,
        Les fleurs du Mal
                                 1922                                1947
        1857

                                 Paul Eluard,                        Guillevic,
         Arthur Rimbaud,
                                 Capitale de la                      Terraqué,
         Poésies
                                 douleur,                            1942
         1872
                                 1926

                                 Robert Desnos,                      Aragon,
         Paul Verlaine,                                              Le roman inachevé,
                                 Corps et biens,
         Fêtes galantes,                                             1956
                                 1930
         Romances sans
         paroles
         1871
                                  2
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Biographie de G. Apollinaire

                         Courte biographie de Guillaume Apollinaire

                                                                                          1
         Apollinaire, Guillaume (1880-1918), pseudonyme de Wilhelm Apollinaris
         de Kostrowitzky, écrivain français qui incarna l'«esprit nouveau» en
         poésie tout en se passionnant pour la peinture moderne.                          5

    Né à Rome, fils naturel d'un officier italien et d'une Polonaise, il suivit sa mère
sur la Côte d'Azur, où il fréquenta les lycées de Monaco, de Cannes et de Nice.           10
Arrivé à Paris en 1899, il occupa divers emplois précaires avant d'être engagé
comme précepteur en Rhénanie. De ce séjour d'un an en Allemagne (1901-
1902), il puisa de précieux thèmes d'inspiration ainsi que le titre de ses poésies        15
«Rhénanes» recueillies dans Alcools en 1913. Amoureux fou d'une jeune
Anglaise, Annie Playden, il fit en vain des voyages à Londres pour obtenir ses
faveurs, et rapporta de cette expérience le fameux poème intitulé «la Chanson du          20
mal-aimé», qui parut pour la première fois en revue en 1909.

     En 1910, Apollinaire rassembla seize contes merveilleux sous le titre de
l'Hérésiarque et Cie, puis publia les courts poèmes du Bestiaire ou Cortège               25

d'Orphée (1911), illustrés de bois gravés par Raoul Dufy. Alors que prenait fin sa
liaison avec Marie Laurencin, il fit paraître coup sur coup un essai théorique
                                                                                          30
consacré à l'art contemporain les Peintres cubistes, méditations esthétiques
(1913) et Alcools, recueil de ses meilleurs poèmes écrits entre 1898 et 1912.

      Quand il s'engagea pour la durée de la guerre, en décembre 1914, le poète           35
venait de vivre, avec Louise de Coligny-Châtillon, surnommée «Lou», une brève
aventure amoureuse qu'il exorcisa par l'intermédiaire de plusieurs lettres
envoyées du front à son ancienne maîtresse. Il en rassembla un certain nombre             40
qu'il publia dans Calligrammes (1918), accompagnées de «poèmes
conversations» et d'«!idéogrammes lyriques!». Les autres furent réunies dans les
Poèmes à Lou (posthume, 1947). D'abord artilleur, il fut ensuite affecté dans le          45
96e régiment d'infanterie avec le grade de sous-lieutenant. Blessé à la tempe par
un éclat d'obus, il fut trépané (1916) et, peu après, détaché dans les services de
l'arrière.                                                                                50

    Pendant sa convalescence parut le Poète assassiné (1916), recueil de
nouvelles et de contes à la fois mythiques et autobiographiques. Dès sa guérison,
                                                                                          55
Apollinaire reprit une intense activité littéraire. Il donna un «!drame
surréaliste!» (les Mamelles de Tirésias, 1917) qui, sur le ton de la farce, traite de
la grave question de la repopulation, et participa à une conférence très
                                                                                          60
remarquée sur l'«!esprit nouveau!» où il exalta l'esthétique de la surprise tout en
se réclamant des valeurs de l'humanisme classique. Après avoir épousé
Jacqueline Kolb, la «jolie rousse» du dernier poème de Calligrammes, il rédigea
plusieurs articles de critiques dans différents journaux, publia encore un recueil        65
de chroniques (le Flâneur des deux rives, 1918) et succomba à l'épidémie de
grippe espagnole de l'automne 1918.

                                        3
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Le vers libre

                    LE SOLEIL EN LAISSE                                             Sur quels principes se fonde
1                                                                                   l’unité du vers libre dans « Le
                       Le grand frigorifique blanc dans la nuit des temps           soleil en laisse » de Breton,
                       Qui distribue les frissons à la ville
                                                                                    dans « Masque nègre » de
5
                                                                                    Senghor, et dans l’ effort
     Chante pour lui seul
                                                                                    humain de Prévert ?
     Et le fond de sa chanson ressemble à la nuit
     Qui fait bien ce qu’elle fait et pleure de le savoir
10   Une nuit où j’étais de quart sur un volcan
     J’ouvris sans bruit la porte d’une cabine et me jetai aux pieds de la lenteur
     Tant je la trouvai belle et prête à m’obéir
15   Ce n’était qu’un rayon de la roue voilée
     Au passage des morts elle s’appuyait sur moi
     Jamais les vins braisés ne nous éclairèrent
20
     Mon amie était trop loin des aurores qui font cercle autour d’une lampe arctique
     Au temps de ma millième jeunesse
     J’ai charmé cette torpille qui brille
25
     Nous regardons l’incroyable et nous y croyons malgré nous
     Comme je pris un jour la femme que j’aimais
     Nous rendons les lumières heureuses
30
     Elles se piquent la cuisse devant moi
     Posséder est un trèfle auquel j’ai ajouté artificiellement la quatrième feuille
35
     Les canicules me frôlent comme les oiseaux qui tombent
     Sous l’ombre il y a une lumière et sous cette lumière il y a deux ombres
     Le fumeur met la dernière main à son travail
40   Il cherche l’unité de lui-même avec le paysage
     Il est un des frissons du grand frigorifique.

45                                                                    André Breton, Clair de terre, 1924.

     Masque nègre
50   À Pablo Picasso
     Elle dort et repose sur la candeur du sable.
     Koumba Tam dort. Une palme verte voile la fièvre des cheveux, cuivre le front courbe
55   Les paupières closes, coupe double et sources scellées.
     Ce fin croissant, cette lèvre plus noire et lourde à peine - où le
        sourire de la femme complice?
60   Les patènes des joues, le dessin du menton chantent l'accord muet.
     Visage de masque fermé à l'éphémère, sans yeux sans matière
     Tête de bronze parfaite et sa patine de temps
     Que ne souillent fards ni rougeur ni rides, ni traces de larmes ni de baisers
65
     O visage tel que Dieu t'a créé avant la mémoire même des âges
     Visage de l'aube du monde, ne t'ouvre pas comme un col tendre pour émouvoir ma chair.
     Je t'adore, ô Beauté, de mon oeil monocorde!
70
                                                                                        Leopold S. Senghor

                                                          4
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Le vers libre

L’EFFORT HUMAIN

L'effort humain
n'est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l'imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l'autre jambe en l'air
la douceur du retour à la maison
Non
l'effort humain ne porte pas un petit enfant sur l'épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l'épaule gauche
avec des outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras.
L'effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois.
L'effort humain n'a pas de vraie maison
il sent l'odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui…

J. Prévert, Paroles, 1945

                          5
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Zone (extrait)

             À la fin tu es las de ce monde ancien

             Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

             Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

             Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
             La religion seule est restée toute neuve la religion
             Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

             Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
             L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X
             Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
             D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
             Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
             Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
             Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
             Portraits des grands hommes et mille titres divers

             J’ai vu ce matin une rue dont j’ai oublié le nom
             Neuve et propre du soleil elle était le clairon
             Les directeurs les ouvriers et les belles sténodactylographes
             Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
             Le matin par trois fois la sirène y gémit
             Une cloche rageuse y aboie vers midi
             Les inscriptions des enseignes et des murailles
             Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
             J’aime la grâce de cette rue industrielle
             Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes

             Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant
             Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc
             Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
             Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église
             Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en
             cachette
             Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
             Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste
             Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ

Dans quelle mesure Apollinaire respecte-t-il les rimes traditionnelles dans le début
de « Zone » ? Quelles libertés s’accorde-t-il ? »
Quels problèmes pose le décompte des syllabes dans « Zone » ? Quels vers
ressemblent à des alexandrins ? Pourquoi peut-on hésiter à les reconnaître ?
Repérez-vous des vers emboîtés ?

                                          6
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Robert Delaunay, Tour Eiffel aux arbres, 1910

            7
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier n°2,
                                                                        1912

Observation :
1.   Que voyez-vous ?
2.   Pouvez-vous isolez
     une silhouette ?
3.   Vous fait-elle penser à
     un nu ?
4.   Quelles formes
     géométriques
     dominent ?
5.   Quels éléments
     donnent des effets de
     mouvements ?
6.   Quels éléments
     fournissent des effets
     de rythme ?

Interpération :
1.    Dans quel mesure le
      tableau vous semble-t-
      il illustrer le titre ?
2.    Comparez ce tableau
      aux deux autres
      tableaux de la page
      suivante.
3.    En quoi réside la
      modernité du
      tableau ?

                                              8
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Marcel Duchamp, Nu descendant un escalier n°2,
                                        1912

       Bruegel, La parabole des aveugles, 1525

    Marinetti, Fillette courant sur un balcon, 1910

                    9
" Formes et significations " - (N 2) Cahier de Français Séquence 3 - La modernité poétique
Blaise Cendrars, « les Pâques à New York », 1912

                 Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,         Et je me remémore un cantique allemand,
                 J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion
                                                                           Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très purs,
                 Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes            La beauté de votre Face dans la torture.
                 paroles                                                                                                                  1
                 Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.          Dans une église, à Sienne, dans un caveau,
                                                                           J'ai vu la même Face, au mur, sous un rideau.
 Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
 Il traçait votre histoire avec des lettres d'or                           Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz,                    5
                                                                           Elle est bossuée d'or dans une châsse.
 Dans un missel, posé sur ses genoux,
 Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.                         De troubles cabochons sont à la place des yeux
                                                                           Et des paysans baisent à genoux Vos yeux.                     10
 A l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
 Il travaillait lentement du lundi au dimanche.                            Sr le mouchoir de Véronique Elle est empreinte
                                                                           Et c'est pourquoi Sainte Véronique est votre sainte.
 Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.                                                                                        15
 Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.                               C'est la meilleure relique promenée par les champs,
                                                                           Elle guérit tous les malades, tous les méchants.
 A vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
 Le bon frère ne savait si c'était son amour                               Elle fait encore mille et mille autres miracles,              20
                                                                           Mais je n'ai jamais assisté à ce spectacle.
 Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.                        Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté
                                                                           Pour voir ce rayonnement de votre Beauté.                     25
 Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
 Dans la chambre à côté, un être triste et muet                            Pourtant, Seigneur, j'ai fait un périlleux voyage
                                                                           Pour contempler dans un béryl l'intaille de votre image.
 Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !                                                                                     30
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Eternel.                      Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains
                                                                           Y laisse tomber le masque d'angoisse qui m'étreint.
 Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.
 Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.                        Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma          35
                                                                           bouche
 Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.                             N'y lèchent pas l'écume d'un désespoir farouche.
 Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;
                                                                           Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous,          40
 Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère                        Peut-être à cause d'un autre. Peut-être à cause de Vous.
 Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.
                                                                           Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le
 Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;                 Sacrifice                                                     45
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.                          Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les
                                                                           hospices.
 Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
 Le dos voûté, le coeur ridé, l'esprit fébrile.                            D'immenses bateaux noirs viennent des horizons                50
                                                                           Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.
 Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
 Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.                          Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
                                                                           Des Russes, des Bulgares, de Persans, des Mongols.            55
 Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang                        Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
 Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,                   On leur jette un morceau de viande noire, comme à des
                                                                           chiens.
 D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,                                                                                    60
 Calices renversés ouvert sous vos trois plaies.                           C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
                                                                          Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.
 Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
 Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.                    Seigneur, dans le ghettos, grouille la tourbe des Juifs
                                                                           Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs.                65
 Les fleurs de la passion sont blanches comme des cierges,
Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge.               Je le sais bien, ils ont fait ton Procès ;
                                                                           Mais je t'assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.
 C'est à cette heure-ci, c'est vers la neuvième heure
 Que votre tête, Seigneur, tomba sur votre Coeur.                          Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre,        70
                                                                           Vendent des vieux habits, des armes et des livres.
 Je suis assis au bord de l'océan
                                                                     10
Blaise Cendrars, « les Pâques à New York », 1912
                 Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,         Je suis assis au bord de l'océan
                 J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion     Et je me remémore un cantique allemand,

                 Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes            Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très
                 paroles                                                   purs,                                                        1
                 Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.          La beauté de votre Face dans la torture.

                  Un moine d'un vieux temps me parle de votre              Dans une église, à Sienne, dans un caveau,
                  mort.                                                    J'ai vu la même Face, au mur, sous un rideau.                5
 Il traçait votre histoire avec des lettres d'or
                                                                           Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz,
 Dans un missel, posé sur ses genoux,                                      Elle est bossuée d'or dans une châsse.
 Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.                                                                                      10
                                                                           De troubles cabochons sont à la place des yeux
 A l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,                          Et des paysans baisent à genoux Vos yeux.
 Il travaillait lentement du lundi au dimanche.
                                                                           Sr le mouchoir de Véronique Elle est empreinte               15
 Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.                          Et c'est pourquoi Sainte Véronique est votre sainte.
 Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.
                                                                           C'est la meilleure relique promenée par les champs,
 A vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,                   Elle guérit tous les malades, tous les méchants.             20
 Le bon frère ne savait si c'était son amour
                                                                           Elle fait encore mille et mille autres miracles,
 Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père                           Mais je n'ai jamais assisté à ce spectacle.
Qui battait à grands coups les portes du monastère.                                                                                     25
                                                                           Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté
 Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.                     Pour voir ce rayonnement de votre Beauté.
 Dans la chambre à côté, un être triste et muet
                                                                           Pourtant, Seigneur, j'ai fait un périlleux voyage            30
 Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !                       Pour contempler dans un béryl l'intaille de votre image.
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Eternel.
                                                                           Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains
 Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.                           Y laisse tomber le masque d'angoisse qui m'étreint.          35
 Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.
                                                                           Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma
 Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.                             bouche
 Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;                   N'y lèchent pas l'écume d'un désespoir farouche.             40

 Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère                         Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous,
 Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.                    Peut-être à cause d'un autre. Peut-être à cause de Vous.
                                                                                                                                        45
 Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;                 Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.                          Sacrifice
                                                                           Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les
 Je descends à grands pas vers le bas de la ville,                         hospices.                                                    50
 Le dos voûté, le coeur ridé, l'esprit fébrile.
                                                                           D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
 Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil                        Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.
 Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.                                                                                       55
                                                                           Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
 Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang                        Des Russes, des Bulgares, de Persans, des Mongols.
 Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,
                                                                           Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.       60
 D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,                      On leur jette un morceau de viande noire, comme à des
 Calices renversés ouvert sous vos trois plaies.                           chiens.

 Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.                           C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
 Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.                   Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.               65

 Les fleurs de la passion sont blanches comme des cierges,                 Seigneur, dans le ghettos, grouille la tourbe des Juifs
Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge.               Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs.

 C'est à cette heure-ci, c'est vers la neuvième heure                      Je le sais bien, ils ont fait ton Procès ;                   70
 Que votre tête, Seigneur, tomba sur votre Coeur.                          Mais je t'assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.

                                                                     11
Blaise Cendrars, « les Pâques à New York », 1912

                 Ils sont dans des boutiques sous des lampes de
                                                                                                                                  1
                 cuivre,                                              J'ai peur des grands pans d'ombre que les maisons
                 Vendent des vieux habits, des armes et des           projettent.
                 livres.                                              j'ai peur. Quelqu'un me suit. Je n'ose tourner la tête.
                                                                                                                                  5
                 Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans           Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
                 leurs défroques.                                     J'ai peur. J'ai le vertige. Et je m'arrête exprès.
                 Moi, j'ai ce soir marchandé un microscope.
                                                                      Un effroyable drôle m'a jeté un regard
                                                                                                                                  10
 Hélas! Seigneur, Vous ne serez plus là, après Pâques !               Aigu, puis a passé, mauvais comme un poignard.
Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques.
                                                                      Seigneur, rien n'a changé depuis que vous n'êtes plus
 Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à               Roi.
                                                                                                                                  15
 Golgotha                                                            Le mal s'est fait une béquille de votre Croix.
 Se cachent. Au fond des bouges, sur d'immondes sophas,
                                                                      Je descends les mauvaises marches d'un café
 Elles sont polluées de la misère des hommes.                         Et me voici, assis, devant un verre de thé.
                                                                                                                                  20
 Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum
                                                                      Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dos
 Elles cachent leur vice endurci qui s'écaille.                       Sourient, se penchent et sont polis comme des magots.
 Seigneur, quand une de ces femmes parle, je défaille.
                                                                                                                                  25
                                                                      La boutique est petite, badigeonnée de rouge
 Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.                    Et de curieux chromos sont encadrés dans du bambou.
Seigneur, ayez pitié des prostituées.
                                                                      Ho-Koussaï a peint les cent aspects d'une montagne.
                                                                                                                                  30
 Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,                Que serait votre Face peinte par un Chinois.
 Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs.
                                                                      Cette dernière idée, Seigneur, m'a d'abord fait sourire.
 Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,        Je vous voyais en raccourci dans votre martyre.
                                                                                                                                  35
 Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.
                                                                      Mais le peintre pourtant, aurait peint votre tourment
 Seigneur, l'un voudrait une corde avec un noeud au bout,             Avec plus de cruauté que nos peintres d'Occident.
 Mais ça n'est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.
                                                                                                                                  40
                                                                      Des lames contournées auraient scié vos chairs,
 Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit.                  Des pinces et des peignes auraient strié vos nerfs,
 Je lui ai donné de l'opium pour qu'il aille plus vite en paradis.
                                                                      On vous aurait passé le col dans un carcan,
                                                                                                                                  45
 Je pense aussi aux musiciens des rues,                               On vous aurait arraché les ongles et les dents,
 Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l'orgue de
 Barbarie,                                                            D'immenses dragons noirs se seraient jetés sur Vous,
                                                                      Et vous auraient soufflé des flammes dans le cou,
                                                                                                                                  50
 A la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier ;
 Je sais que ce sont eux qui chantent durant l'éternité.              On vous aurait arraché la langue et et les yeux,
                                                                      On vous aurait empalé sur un pieu.
 Seigneur, faites-leur l'aumône, autre que de la lueur des becs
                                                                                                                                  55
 de gaz,                                                              Ainsi, Seigneur, vous auriez souffert toute l'infamie,
 Seigneur, faites-leur l'aumône de gros sus ici-bas.                  Car il n'y a pas plus cruelle posture.

 Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,                  Ensuite, on vous aurait forjeté aux pourceaux
                                                                                                                                  60
 Ce qu'on vit derrière, personne ne l'a dit.                         Qui vous auraient rongé le ventre et les boyaux.

 La rue est dans la nuit comme une déchirure                          Je suis seul à présent, les autres sont sortis,
 Pleine d'or et de sang, de feu et d'épluchures.                      Je suis étendu sur un banc contre le mur.
                                                                                                                                  65
 Ceux que vous avez chassé du temple avec votre fouet,                J'aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église ;
 Flagellent les passants d'une poignée de méfaits.                    Mais il n'y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville.

 L'Etoile qui disparut alors du tabernacle,                           Je pense aux cloches tues : - où sont les cloches
 Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.              anciennes ?
                                                                                                                                  70
                                                                      Où sont les litanies et les douces antiennes ?
 Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,
 Où s'est coagulé le Sang de votre mort.                              Où sont les longs offices et où les beaux cantiques ?
                                                                      Où sont les liturgies et les musiques ?
 Les rues se font désertes et deviennent plus noires.
 Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.                  Où sont les fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains ?

                                                               12
Blaise Cendrars, « les Pâques à New York », 1912

    Où l'aube blanche, l'amict des Saintes et des Saints ?

    La joie du Paradis se noie dans la poussière,
   Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières.

    L'aube tarde à venir, et dans le bouge étroit
    Des ombres crucifiées agonisent aux parois.

    C'est comme un Golgotha de nuit dans un miroir
    Que l'on voit trembloter en rouge sur du noir.

    a fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint
    Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins.

    Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue,
    Comme votre Tête, triste et morte et exsangue.

    Des reflets insolites palpitent sur les vitres ...
    J'ai peur, - et je suis triste, Seigneur, d'être si triste.

    "Dic nobis, Maria, quid vidisti in via ?"
    - La lumière frissonner, humble dans le matin.

    "Dic nobis, Maria, quid vidisti in via ?"
    - Des blancheurs éperdues palpiter comme des mains.

    "Dic nobis, Maria, quid vidisti in via ?"
    - L'augure du printemps tressaillir dans mon sein.

    Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
    Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

    Déjà un bruit immense retenti sur la ville.
    Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

    Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
    Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

    La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
    Des sirènes à vapeur rauques comme des huées.

    Un foule enfiévrée par les sueurs de l'or
    Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

    Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
   Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.

   Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne ...

                          13
Arthur Rimbaud, « Le Bateau ivre », 1870
1
                        Comme je descendais des Fleuves impassibles,     Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
                        Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :

5                       Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour   J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
                        cibles,                                          Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
                        Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.    La circulation des sèves inouïes,
10                                                                       Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
     J'étais insoucieux de tous les équipages,
     Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.                      J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
15
     Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,                        Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
     Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.                   Sans songer que les pieds lumineux des Maries

20                                                                       Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !
     Dans les clapotements furieux des marées,
     Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,          J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
25   Je courus ! Et les Péninsules démarrées                             Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
     N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.                         D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
                                                                         Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !
30
     La tempête a béni mes éveils maritimes.
     Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots                   J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
35   Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,                        Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
     Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !                 Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
                                                                         Et des lointains vers les gouffres cataractant !
40   Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
     L'eau verte pénétra ma coque de sapin                               Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
     Et des taches de vins bleus et des vomissures                       Échouages hideux au fond des golfes bruns
45
     Me lava, dispersant gouvernail et grappin.                          Où les serpents géants dévorés des punaises
                                                                         Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
50   Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
     De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,                          J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
     Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême                     Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
55   Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;                          - Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
                                                                         Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
     Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
60
     Et rythmes lents sous les rutilements du jour,                      Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
     Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,                La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
     Fermentent les rousseurs amères de l'amour !                        Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
65                                                                       Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...
     Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
     Et les ressacs et les courants : je sais le soir,                   Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
70   L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,                      Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
     Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !                  Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
                                                                         Des noyés descendaient dormir, à reculons !
     J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
     Illuminant de longs figements violets,                              Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
     Pareils à des acteurs de drames très antiques                       Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,

                                                                  14
Arthur Rimbaud, « Le Bateau ivre », 1870
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

                            15
Marie Laurencin, Apollinaire et ses amis, 1908

                 Douanier Rousseau,
                  La muse inspirant le
                         poète, 1909

            16
Apollinaire, « La colombe poignardée et le jet d’eau »
                                Calligrammes, 1916

                                     La colombe poignardée et le jet d’eau

                         Douces figures poignardées Chères lèvres fleuries. MIA
                         MAREYE YETTE LORIE ANNIE et toi MARIE où êtes-
                         vous ô jeunes filles MAIS près d’un jet d’eau qui pleure
                         et qui prie cette colombe s’extasie.

                         Tous les souvenirs de naguère
                         O mes amis partis en guerre
                         Jaillissent vers le firmament
                         Et vos regards en l’eau dormant

                         Meurent mélancoliquement
                         Où sont-ils Braque et Max Jacob
                         Derainaux yeux gris comme l’aube
                         Où sont Raynal Billy Dalize

                         Dont les noms se mélancolisent
                         Comme des pas dans une église
                         Où est Cremnitz qui s’engagea

                         Peut-être sont-ils morts déjà
                         De souvenirs mon âme est pleine
                         Le jet d’eau pleure sur ma peine

                         CEUX QUI SONT PARTIS À LA GUERRE AU NORD
                         SE BATTENT MAINTENANT
                         Le soir tombe O sanglante mer
                         Jardins où saigne abondamment le laurier rose fleur
                         guerrière

                         Marie Laurencin, peintre et compagne du poète qu’elle abandonna à
                         l’automne 1912
                         Braque : peintre, dessinateur et graveur français cubiste entre 1909 et
                         1911
                         Max Jacob : Poète français auteur notamment du Cornet à dés (1917)
                         Derain : Peintre, dessinateur et sculpteur français.
                         Raynal, Billy et Dalize : trois amis d’Apollinaire avec lesquels il
                         fonda avant la guerre la revue Les soirées de Paris.

                   17
Apollinaire, « Adieu », Poèmes à Lou
                                                           1918

       amour est libre il n’est jamais soumis au sort
LO U

       Lou le mien est plus fort encor que la mort
       n coeur le mien te suit dans ton voyage au Nord

       ettres Envoie aussi des lettres ma chérie
LO U

       n aime en recevoir dans notre artillerie
       ne par jour au moins une au moins je t’en prie

       entement la nuit noire est tombée à présent
LO U

       n va rentrer après avoir acquis du zan
       ne deux trois A toi ma vie A toi mon sang

       a nuit mon coeur la nuit est très douce et très blonde.
LO U

       Lou le ciel est pur aujourd’hui comme une onde
       n coeur le mien te suit jusques au bout du monde

       heure est venue Adieu l’heure de ton départ
LO U

       n va rentrer Il est neuf heures moins le quart
       ne deux trois Adieu de Nîmes dans le Gard

                                                        février 1915

                   Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, XVIII

                       18
Apollinaire, « Poème du 9 février 1915 »
                    Calligrammes, 1916

  19
Le Pont Mirabeau
                                                 Le Pont Mirabeau

                   Sous le pont Mirabeau coule la Seine
                   Et nos amours
                   Faut-il qu'il m'en souvienne
                   La joie venait toujours après la peine

                        Vienne la nuit sonne l'heure
                        Les jours s'en vont je demeure

                   Les mains dans les mains restons face à face
                   Tandis que sous
                   Le pont de nos bras passe
                   Des éternels regards l'onde si lasse

                        Vienne la nuit sonne l'heure
                        Les jours s'en vont je demeure

                   L'amour s'en va comme cette eau courante
                   L'amour s'en va
                   Comme la vie est lente
                   Et comme l'Espérance est violente

                        Vienne la nuit sonne l'heure
                        Les jours s'en vont je demeure

                   Passent les jours et passent les semaines
                   Ni temps passait
                   Ni les amours reviennent
                   Sous le pont Mirabeau coule la Seine

                        Vienne la nuit sonne l'heure
                        Les jours s'en vont je demeure

                                                                                Les Colchiques
                                      Les Colchiques

                  Le pré est vénéneux mais joli en automne
                  Les vaches y paissant
                  Lentement s'empoisonnent
                  Le colchique couleur de cerne et de lilas
                  Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la
                  Violatres comme leur cerne et comme cet automne
                  Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

                  Les enfants de l'école viennent avec fracas
                  Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
                  Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
                  Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
                  Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

                  Le gardien du troupeau chante tout doucement
                  Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
                  Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne

La genèse des « Colchiques » d’Apollinaire s’est faite à partir de la forme d’un sonnet. Pouvez-
vous retrouver les vestiges de la forme mère ? Quelles métamorphoses a-t-elle subies ?

                                                  20
La Loreley

A Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes Ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien

Mon coeur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon coeur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon coeur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence

Va t'en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon coeur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil

                               21
Lyrisme et Orphisme

                                                                    Le mythe d’Orphée

                                                                     LIVRE DIXIÈME
                        Orphée et Eurydice

                          De là, Hyménée, couverte, de son manteau couleur de safran, s’éloigne à travers l’immensité des airs; il
 1                        se dirige vers la contrée de Ciconiens , où l’appelle vainement la voix d’Orphée. Il vient, il est vrai, mais
                          il n’apporte ni paroles solennelles, ni visage riant, ni heureux présage. La torche même qu il tient ne
      cesse de siffler en répandant une fumée qui provoque les larmes; il a beau l’agiter, il n’en peut faire jaillir la flamme. La
      suite fut encore plus triste que le présage; car, tandis que la nouvelle épouse, accompagnée d’une troupe de Naïades, se
 5    promenait au milieu des herbages, elle périt, blessée au talon par la dent d’un serpent. Lorsque le chantre: du Rhodope
      l’eut assez pleurée à la surface de la terre, il voulut explorer même le séjour des ombres; il osa descendre par la porte du
      Ténare jusqu’au Styx passant au milieu des peuples légers et des fantômes qui ont reçu les honneurs de la sépulture, il
      aborde Perséphone et le maître du lugubre royaume, le souverain des ombres; après avoir préludé en frappant les 5 cordes
 10
      de sa lyre il chanta ainsi: « O divinités de ce monde souterrain où retombent toutes les créatures mortelles de notre espèce,
      s’il est possible, si vous permettez que, laissant là les détours d’un langage artificieux, je dise la vérité, je ne suis pas
      descendu en ces lieux pour voir le ténébreux Tartare, ni pour enchaîner par ses trois gorges, hérissées de serpents, le
 15   monstre qu’enfanta Méduse ; je suis venu chercher ici mon épouse ; une vipère, qu’elle avait foulée du pied, lui a injecté
      son venin et l’a fait périr à la fleur de l’âge. J’ai voulu pouvoir supporter mon malheur et je l’ai tenté, je ne le nierai pas;
      l’Amour a triomphé. C’est un Dieu bien connu dans les régions supérieures; l’est-il de même ici? Je ne sais; pourtant je
      suppose qu’ici aussi il a sa place et, si l’antique enlèvement dont on parle n’est pas une fable, vous aussi vous avez été
 20   unis par l’Amour. Par ces lieux pleins d’épouvante, par cet immense Chaos, par ce vaste et silencieux royaume, je vous en
      conjure, défaites la trame, trop tôt terminée, du destin d’Eurydice. Il n’est rien qui ne vous soit dû; après une courte halte,
      un peu plus tard, un peu plus tôt, nous nous hâtons vers le même séjour. C’est ici que nous tendons tous; ici est notre
 25
      dernière demeure; c’ est vous qui régnez le plus longtemps sur le genre humain. Elle aussi, quand, mûre pour la tombe,
      elle aura accompli une existence d’une juste mesure, elle sera soumise à vos lois ; je ne demande pas un don, mais un
      usufruit. Si les destins me refusent cette faveur pour mon épouse, je suis résolu à ne point revenir sur mes pas; réjouissez-
      vous de nous voir succomber tous les deux.»
 30      Tandis qu’il exhalait ces plaintes, qu il accompagnait en faisant vibrer les cordes, les ombres exsangues pleuraient;
      Tantale cessa de poursuivre l’eau fugitive; la roue d’Ixion s’arrêta; les oiseaux oublièrent de déchirer le foie de leur
      victime, les petites-filles de Bélus laissèrent là leurs urnes et toi, Sisyphe, tu t’assis sur ton rocher. Alors pour la première
      fois des larmes mouillèrent, dit-on, les joues des Euménides, vaincues par ces accents ; ni l’épouse du souverain, ni le dieu
 35   qui gouverne les enfers ne peuvent résister à une telle prière; ils appellent Eurydice; elle était là, parmi les ombres
      récemment arrivées; elle s’avance, d’un pas que ralentissait sa blessure. Orphée du Rhodope obtient qu’elle lui soit
      rendue, à la condition qu’il ne jettera pas les yeux derrière lui, avant d’être sorti des vallées de l’Averne; sinon, la faveur
 40   sera sans effet. Ils prennent, au milieu d’un profond silence, un sentier en pente, escarpé, obscur, enveloppé d’un épais
      brouillard. Ils n’étaient pas loin d’atteindre la surface de la terre, ils touchaient au bord, lorsque, craignant qu’Eurydice ne
      lui échappe et impatient de la voir, son amoureux époux tourne les yeux et aussitôt elle est entraînée en arrière; elle tend
      les bras, elle cherche son étreinte et veut l’étreindre elle-même; l’infortunée ne saisit que l’air impalpable. En mourant
 45   pour la seconde fois elle ne se plaint pas de son époux (de quoi en effet se plaindrait-elle sinon d’être aimée?); elle lui
      adresse un adieu suprême, qui déjà ne peut qu’à peine parvenir jusqu’à ses oreilles et elle retombe à l’abîme d’où elle
      sortait.
         En voyant la mort lui ravir pour la seconde fois son épouse, Orphée resta saisi comme celui qui vit avec effroi les trois
 50
      têtes du chien des enfers, dont celle du milieu portait des chaînes; sa terreur ne le quitta qu’avec sa forme première, quand
      son corps fut changé en pierre; tel encore cet Olénos qui prit sur lui la faute de son épouse et voulut paraître coupable;
      telle tu étais aussi, ô malheureuse Léthéa, trop fière de ta beauté; coeurs jadis étroitement unis, ce ne sont plus aujourd’hui
 55   que des rochers sur l’humide sommet de l’Ida. Orphée a recours aux prières; vainement il essaie de passer une seconde
      fois; le péager le repousse; il n’en resta pas moins pendant sept jours assis sur la rive, négligeant sa personne et privé des
      dons de Cérès; il n’eut d’autres aliments que son amour, sa douleur et ses larmes. Accusant de cruauté les dieux de
      l’Érèbe, il se retire enfin sur les hauteurs du Rhodope et sur l’Hémus battu des Aquilons. Pour la troisième fois le Titan
 60   avait mis fin à l’année, fermée par les Poissons, habitants des eaux, et Orphée avait fui tout commerce d’amour avec les
      femmes, soit parce qu’il en avait souffert, soit parce qu’il avait engagé sa foi; nombreuses cependant furent celles qui
      brûlèrent de s’unir au poète, nombreuses celles qui eurent le chagrin de se voir repoussées.

 65

                                                               22
22
Lyrisme et Orphisme

                                                       LIVRE ONZIÈME
                                                        Mort d’Orphée
                                                                                                                       1
                  Tandis que par Ces accents le chantre de Thrace attire à lui les forêts et les bêtes sauvages
                  tandis qu’il se fait suivre par les rochers eux-mêmes voici que les jeunes femmes des Ciconiens
délirantes la poitrine couverte de peaux de bêtes, aperçoivent dc haut d’un tertre Orphée qui marie ses chants
aux sons des cordes frappées par sa main. Une de ces femmes secouant sa chevelure dans l’air léger: «Le voilà,         5
s’écrie-t-elle, le voilà celui qui nous méprise! » Et elle frappe de son thyrse la bouche harmonieuse du chantre
qui eut pour père Apollon; mais la pointe, enveloppée de feuillage, y laisse seulement une empreinte sans la
blesser. Une autre s’arme d’une pierre; mais celle-ci lancée à travers les airs, est vaincue en chemin par les
                                                                                                                       10
accords de la voix et de la lyre; comme si elle implorait le pardon de ces criminelles fureurs, elle vient tomber
aux pieds d’Orphée. Cependant ses ennemies l’attaquent avec un redoublement d’audace, rien ne les arrête
plus; elles n’obéissent plus qu’à Érinyes déchaînée. La mélodie émousserait tous leurs traits, mais leurs
clameurs retentissantes, la flûte de Bérécynthe - au pavillon recourbé, les tambourins, les claquements des            15
mains, les hurlements des bacchantes ont couvert le son de la cithare; à la fin, n’entendant plus le poète, les
pierres se sont teintes de son sang.
   Les premières victimes sont les animaux que ses accents retenaient encore immobiles d’admiration, des
oiseaux innombrables, des serpents, toute une troupe de bêtes sauvages; les Ménades ravissent à Orphée ce              20
témoignage de son triomphe. Puis elles tournent contre Orphée lui-même leurs mains ensanglantées; elles se
rassemb1ent comme les oiseaux qui aperçoivent l’oiseau des nuits errant par hasard en plein jour. Semblable au
cerf qui, condamné à périr le matin dans l’arène de l’amphithéâtre, est la proie des chiens, le poète voit femmes
                                                                                                                       25
marcher sur lui et le frapper avec leurs thyrses, ornés d’un vert feuillage, qui n’étaient point faits pour cet
office. Elles brandissent contre lui les unes des mottes de terre, les autres des branches arrachées aux arbres,
d’autres des pierres; tout va leur être bon pour armer leur fureur. Il se trouvait que des bœufs retournaient la
terre sous le poids de la charrue; non loin de là, préparant la récolte à force de sueurs, des paysans creusaient le   30
sol rebelle de leurs bras vigoureux; à la vue de cette troupe, ils prennent la fuite, abandonnant leurs instruments
de travail; dans la campagne déserte gisent épars les sarcloirs, les eaux pesants et les longs hoyaux; les
Ménades, hors d’elles-mêmes, s’en sont emparées; elles ont mis en pièces les bœufs aux cornes menaçantes;
alors elles reviennent en courant pour achever le chantre inspiré dieux; il leur tendait les mains, il prononçait      35
des paroles qui, pour la première fois, restaient impuissantes; rien n’était plus sensible à sa voix; ces femmes
sacrilèges lui donnent le dernier coup; par cette bouche, ô Jupiter, qui s’était fait écouter des rochers et
comprendre des bêtes sauvages son âme s’exhale et s’envole dans les airs.                                              40
   Sur toi, Orphée, pleurèrent les oiseaux désolés et la multitude des bêtes sauvages et les durs rochers, et les
forêts que tes chants avaient si souvent attirées; pour toi, les arbres, se dépouillant de leur feuillage, faisant
tomber leur chevelure, prirent le deuil; les fleuves mêmes, dit-on, s’accrurent de leurs propres larmes; les
Naïades et les Dryades refoulèrent leurs voiles sous un manteau noir et laissèrent flotter leurs cheveux. Les          45
membres de la victime sont dispersés çà et là; tu reçois, ô fleuve de l’Hèbre, sa tête et sa lyre; et alors nouveau
miracle, emportée au milieu du courant, sa lyre fait entendre je ne sais quels accords plaintifs; sa langue privée
de sentiment murmure une plaintive mélodie et les rives y répondent par des plaintifs échos. Maintenant ces
                                                                                                                       50
débris quittent le fleuve de la patrie pour la mer où il les a conduits; elle les dépose à Méthymne, sur le rivage
de Lesbos. Là un horrible serpent s’élance vers cette tête laissée à l’abandon sur une plage étrangère, vers ces
cheveux encore humides de la rosée des flots. Enfin Phébus arrive; il repousse le serpent prêt à mordre; il
pétrifie sa gueule ouverte et l’immobilise béant, tel qu’il était, sous la forme d’un dur rocher. L’ombre              55
d’Orphée descend sous la terre il reconnaît tous les lieux qu’il avait déjà vus auparavant; dans les champs
qu’habitent les âmes pieuses il cherche Eurydice; il la trouve et la serre entre ses bras avides. Tantôt à côté l’un
de l’autre ils parcourent ce séjour d’un même pas; tantôt il suit sa compagne qui le guide, tantôt il marche
devant elle: Orphée peut enfin se retourner sans crainte pour regarder son Eurydice.                                   60

                                                                                      Ovide, Les Métamorphoses
                                                                                                                       65

                                                        23
Lyrisme et Orphisme, sujet de bac

Corpus d’étude

1. « Terre, ouvre moi … », Ronsard, Sur la mort de Marie, 1578
2. « L’adieu », Apollinaire, Alcools, 1917
3. « Notre vie », Éluard, Le Temps déborde, 1947
4. « Eurydice », Mambrino, Ainsi ruse le mystère, 1983

Texte 1
Terre, ouvre-moi ton sein, et me laisse reprendre
Mon trésor, que ta parque a caché dessous toi;
Ou bien, si tu ne peux, ô terre, cache moi
Sous même sépulture, avec sa belle cendre.

Le trait qui la tua devait faire descendre
Mon corps auprès du sien pour finir mon émoi;
Aussi bien, vu le mal qu'en sa mort je reçois,
Je ne saurais plus vivre, et me fâche d'attendre.

Quand ses yeux m'éclairaient, et qu'en terre j'avais
Le bonheur de les voir, à l'heure je vivais,
Ayant de leurs rayons mon âme gouvernée.

Maintenant je suis mort : la Mort qui s'en alla
Loger dedans ses yeux, en parlant m'appela,
Et me fit de ses pieds accomplir ma journée.

                            Ronsard, Sur la mort de Marie, 1578.

  Texte 2

    L’adieu

   J’ai cueilli ce brin de bruyère
   L’automne est morte souviens-t’en
   Nous ne nous verrons plus sur terre
   Odeur du temps brin de bruyère
   Et souviens-toi que je t’attends

                    Apollinaire, Alcools, 1917

                                                       Notes           Atropos) qui       destinée (cf. Les
                                                       Parque :        filent, dévident sœurs
                                                       Chacune des     et coupent le fil filandières*).
                                                       trois déesses   des vies
                                                       infernales      humaines;
                                                       (Clotho,        par métaph. La
                                                       Lachésis,       vie et la mort, la

                                24
Vous pouvez aussi lire