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LE COURRIER
VENDREDI 1ER NOVEMBRE 2019
E-CHANGER 60 ANS 13
PARTENARIAT
E-CHANGER 60 ANS
Mobilisation du Mouvement des sans Terre (MST) du Brésil en 2018. Depuis ses origines, E-CHANGER cherche à renforcer ses partenaires, les mouvements sociaux et la société civile du sud. © Fonte
ICI, LÀ-BAS, TOUJOURS !
Depuis soixante ans, E-CHANGER travaille à culièrement les plus vulnérables,
mais c’est toute l’humanité qu’elle
dans l’interview qui lui est consacrée,
précisant: «J’y ai énormément appris
vile par un appui technique et une mise
en réseau, une société civile qui, pour
renforcer la société civile des pays où elle s’engage. interpelle: nous sommes tous respon-
sables des changements à impulser.
et ai rencontré des personnes dont la
connaissance m’est depuis lors restée
sa part, cherche à répondre aux pro-
blèmes sociaux et environnementaux:
Au cours des années, l’appui solidaire de plus Réplique à un trop facile repli identi-
taire, l’heure doit, au contraire, être à
précieuse». Ce travail de sensibilisa-
tion, de mise en lien pour renforcer
telle est l’option que nous choisissons.
Elle permet, à nos yeux, la dignité de
de 1000 coopér-actrices et coopér-acteurs a l’engagement; nous devons renforcer
les partenariats et les collaborations.
la nécessaire solidarité internationale
auprès des leaders d’opinion, consti-
l’action, souligne l’engagement des
sociétés pour affronter les difficultés
manifesté et mis en œuvre les deux piliers C’est l’un des points du propos de Raji
Sultan, secrétaire général d’UNITE, et
tue un pivot du programme Nord
d’E-CHANGER. Car la Suisse, elle aus-
qu’elles connaissent, et nous place en
situation de co-responsabilité face aux
identitaires de notre mouvement: coopération c’est ainsi que travaille E-CHANGER.
Face aux défis qu’affrontent le Brésil
si, est un pays en développement; elle a
grandement besoin d’ouverture, de lien
problématiques du Sud et du Nord.
active dans le Sud et action transformatrice et le Burkina Faso, face aussi aux forts
remous qui agitent actuellement, en
social, de solidarité, et nous voulons
contribuer à répondre à ces carences.
Depuis soixante ans, la dignité ca-
ractérise l’action et le discours du
en Suisse. Suisse, le monde de la solidarité in-
ternationale, notre stratégie consis- «La coopération par l’échange de
mouvement E-CHANGER. La di-
gnité, l’engagement politique, mais
tant à toujours agir en partenariat personnes est le visage humain de aussi la réciprocité. Ce mouvement,
C
’est là ce que met claire- et ses conséquences multiples: pour se voit confirmée et renforcée. Ain- la mondialisation»: c’est ainsi que qui a traversé les décennies non sans
ment en évidence Sergio les peuples qui y vivent ou en vivent, si, nous travaillons historiquement, Judith Somda, jusqu’à très récemment crises et remises en question, de celles
Ferrari, journaliste et pour la biodiversité et pour le climat entre autres, avec la Marche Mondiale chargée de coordination dans le pro- qui fortifient et qui mettent au défi de
membre actif de notre de la planète entière. On l’observe des Femmes, Action de Carême, Novo gramme Burkina Faso, définit notre réussir, a toujours choisi de donner la
association depuis 40 ans, auteur au Burkina Faso, un pays qui compte Movimento, Paysans Solidaires, en principale méthode d’action. Une mé- priorité à l’action pour les plus vulné-
de l’article présentant l’historique parmi les plus pauvres du monde, où cherchant toujours à renforcer les col- thode faite de rencontres et de prises rables. C’est pourquoi, forts de cette
d’E-CHANGER dans ce dossier. le terrorisme gagne du terrain depuis laborations en Suisse et au Sud. de conscience permettant de s’ouvrir à histoire qui nous oblige, nous sommes
plusieurs années, accroissant l’insé- l’autre et de déconstruire les barrières, en solidarité totale avec nos parte-
Avec ces personnes et tant d’autres, curité et appauvrissant encore une Le travail de mise en lien se concré- qui porte des fruits très concrets. En naires au Brésil, au Burkina Faso et
acteurs/actrices, de près ou de loin, population déjà extrêmement vulné- tise aussi par les délégations 2018, 15 organisations de la société ci- maintenant en Bolivie, qui se battent
dans le mouvement E-CHANGER, rable. En Suisse enfin, la dégradation qu’E-CHANGER organise, depuis vile du Brésil et du Burkina Faso ont pour les plus pauvres et contre les re-
nous poursuivons nos projets et pro- du contexte socio-économique est dix-huit ans, tour à tour au Forum été appuyées, tant par le travail d’un plis identitaires. Face aux crises clima-
grammes visant à concrétiser la pos- illustrée par la force croissante des Social Mondial ou dans certains de coopér-acteur ou d’une coopér-ac- tiques et politiques, nous continuons
sibilité d’un AUTRE MONDE, un lobbys, par la peur de l’autre engen- nos programmes. Ainsi, une quinzaine trice que par le réseautage organisé à nous engager, ici, là-bas, toujours.
monde juste et solidaire. drant les replis identitaires qui créent de délégations suisses ont déjà été par les chargé-e-s de coordination. Ces
Or le contexte planétaire est loin l’illusion d’une solution. mises sur pied, réunissant notamment organisations locales ou nationales FRÉDÉRIQUE SORG GUIGMA,
de s’améliorer. On le constate notam- des personnalités politiques et des re- œuvrent à renforcer la souveraineté SECRÉTAIRE GÉNÉRALE D’E-CHANGER
ment au Brésil, avec l’exploitation sans Les causes et conséquences de la présentants des médias. Luc Recordon, alimentaire et à défendre les droits des ANTOINETTE ROMANENES,
cesse accrue de la forêt amazonienne crise planétaire affectent parti- ancien parlementaire fédéral, en parle plus vulnérables. Appuyer la société ci- PRÉSIDENTE D’E-CHANGER
14 E-CHANGER 60 ANS LE COURRIER
VENDREDI 1ER NOVEMBRE 2019
PARTENARIAT
Olivier Barman,
ancien
coopér-acteur
d’E-CHANGER
au Burkina
Faso, dans
son travail
quotidien.
E-CH, 2018
UN MOUVEMENT
solidaire, écologique et humaine. Bien
qu’elle se réfère toujours aux valeurs
chrétiennes, elle se distancie de l’église
institutionnelle. Frères Sans Frontières,
EN MOUVEMENT
qui se définit désormais tant comme
ONG que comme mouvement social,
change de nom et adopte dorénavant celui
d’E-CHANGER (E-CH).
T
ragique, la nouvelle a consterné chalet Analakely, au Bouveret, reçut les Un autre monde est possible
à la fois la Suisse et le Nicara- «partants» à ces séminaires de formation. À partir de 2001, dans l’enthousiasme de la
gua, ce 16 février 1986. Mau- Dix ans plus tard, le vent nouveau naissance du Forum social mondial de Por-
rice Demierre, un «volontaire» «post-mai 68» se fit sentir. Comme l’ex- to Alegre, auquel elle participe activement,
fribourgeois de Frères Sans Frontières plique François Cordonier, alors président elle commence à développer le concept
(FSF), venait d’être tué dans une embus- de FSF, «le mouvement s’est impliqué, de «partenaires mondiaux», dépassant
cade par un groupe contre-révolution- en Suisse, dans des questions controver- le cadre d’un pays spécifique. Une colla-
naire, dans le nord de ce pays d’Amérique sées, telles que le statut des objecteurs de boration est lancée, par exemple, avec la
centrale, théâtre d’un conflit armé, dra- conscience, la solidarité avec les réfugiés Marche mondiale des femmes et avec Via
matique à l’époque. et les étrangers, le retrait des réserves de Campesina. En même temps, elle s’engage
FSF des banques collaboratrices de l’apar- activement en Suisse dans les différentes
Origine missionnaire theid en Afrique du Sud», ainsi que le sou- initiatives du mouvement altermondia-
Beaucoup, en Suisse, ont alors découvert, tien aux Magasins du Monde naissants, en liste émergent, avec le slogan «Un autre
pour la première fois, l’existence de Frères faveur d’un commerce équitable et d’une monde est possible».
Sans Frontières, une ONG fondée en Va- plus grande justice mondiale. Cette vision correspond aux valeurs d’E-
lais, en 1959, par Guy Balet et Pierre Duc, CH, telles que définies dans sa Charte de
deux jeunes catholiques ayant décidé de Engagement sociopolitique 1997: «Dans une planète où tout se mon-
soutenir le travail missionnaire en Afrique. En juillet 1979, le triomphe de la révolu- Les premiers volontaires de Frères Sans Frontières sont partis en Afrique pour travailler dialise, nous croyons à l’unité profonde de
Madagascar fut la destination initiale tion populaire sandiniste au Nicaragua comme missionnaires laïcs avec les diocèses catholiques romains. Un volontaire (à droite), l’humanité et à la solidarité de destin qui
des premiers volontaires. La région orien- donna naissance à un large mouvement de au début des années 1960, avec son partenaire et des «bénéficiaires» au Gabon. E-CH doit lier tous les peuples. Notre planète est
tale et les Hautes Terres avaient été dé- solidarité en Europe. De nombreux futurs une et appartient à tous: chaque être hu-
vastées, en mars 1959, par deux cyclones volontaires de FSF et membres de certains main en est le citoyen, chaque peuple est
successifs. Des missionnaires valaisans de ses groupes régionaux suisses, comme Suisse, seront marqués par l’engagement le concept de «coopération pour quali- partenaire des autres peuples». E-CHAN-
lancèrent un appel à leurs compatriotes, celui de Fribourg, furent activement inté- sociopolitique de FSF et la «politisation», fier la participation populaire aux chan- GER vivra, durant les vingt dernières an-
demandant de l’aide pour reconstruire grés dans cette dynamique. non partisane, de l’association. gements», c’est-à-dire «qualifier la lutte nées, une nouvelle étape, une voie créative
écoles, églises et maisons. Leur requête Les premiers «coopérants internatio- sociale», comme indiqué dans divers do- et innovante, avec une cinquantaine de
fut entendue. Les fondateurs de FSF défi- nalistes» de FSF arrivèrent dans ce pays Une nouvelle boussole: cuments de la COAR (Coordination - Arti- coopér-actrices/acteurs sur le terrain.
nirent trois buts principaux: «rechercher en 1981. En quelques années, leur nombre les mouvements sociaux culation du programme Brésil). Cette action a conduit à la promotion
des jeunes avec un métier et de bonnes se monta à près de trente volontaires. la défaite électorale sandiniste de 1990, le d’expériences novatrices, en particulier
qualités morales et religieuses, assurer
une formation avant le départ et se faire
Ceux-ci bénéficiaient du soutien détermi-
né de FSF qui, à la lumière de ses valeurs
reflux du mouvement de solidarité, la nou-
velle situation mondiale après la chute du
E-CHANGER au cours de la dernière décennie. E-CH
valorise ainsi le statut de «coopérant-e-s
le relais des possibilités d’engagement chrétiennes fondatrices, s’identifiait au mur de Berlin, en 1989, tous ces boulever- fait le pari nationaux-nales» qui sont des personnes
outre-mer». slogan sandiniste: «Entre christianisme et sements ont ouvert des questions essen- engagées localement. L’association en-
FSF est ainsi né avec une forte em- révolution, il n’y a pas de contradiction». tielles quant à la continuité de l’action. d’une coopération courage aussi les échanges horizontaux
preinte humaniste. Il s’agissait de «mis- La participation de prêtres au gouverne- C’est alors que Frères Sans Frontières entre partenaires du Sud, ainsi que leur
sionnaires laïcs» qui partaient pour as- ment, la force croissante des communau- décida de renforcer son programme de véritablement venue en Suisse, dans le but d’apporter
surer le soutien des églises locales et
des évêchés africains dans divers pays
tés ecclésiales de base, le large modèle
humaniste de cette révolution – économie
coopération au Brésil. En effet, ce pays vi-
vait une transformation dynamique, avec
solidaire, connaissances et expériences à leurs ho-
mologues suisses.
– Madagascar, puis République Centrafri-
caine, Gabon, Tchad, Cameroun, Burundi,
mixte, pluralisme politique, non-aligne-
ment international – renforcèrent l’enga-
des communautés ecclésiales de base,
des associations actives dans le monde
horizontale, E-CHANGER fait le pari d’une coopéra-
tion véritablement solidaire, horizontale,
Rwanda, Niger, Sénégal, etc. – une action gement pour la solidarité internationale. rural et urbain, des personnalités clés non paternaliste non paternaliste et exigeante sur le plan
qui s’étendra plus tard à quelques pays L’assassinat de Maurice Demierre, en de l’Eglise progressiste telles que, entre professionnel. L’association relève égale-
d’Asie et d’Amérique latine (Bolivie, Pé- 1986, renforça les relations entre FSF et autres, Dom Antônio Fragoso, Leonardo et exigeante sur le ment le défi essentiel de contribuer au ren-
rou, Equateur, Colombie, Brésil). Ils/elles ses homologues locaux. Des initiatives no- Boff, Frei Betto. La forte progression de forcement des acteurs sociaux, porteurs
étaient électriciens, mécaniciens, maçons, vatrices furent prises, telles que la colla- ces mouvements incita FSF à développer plan professionnel. de changement et d’espoir, en fonction de
secrétaires, infirmières, prêt-e-s à renfor- boration avec des organismes publics. Un davantage son action dans ce pays lati- la demande qu’eux-mêmes expriment.
cer le travail des diocèses du sud. accord-cadre de coopération, le premier no-américain. C’est de la rencontre nationale de 1997, En 2009, le théologien brésilien de la li-
Parallèlement, dans la plupart des can- du genre, fut signé avec le gouvernement C’est également dans ces années-là que à Camamu, au Brésil, qu’est née l’idée de bération, Frei Betto, partenaire historique
tons romands, des «groupes régionaux» nicaraguayen, qui sera reproduit, des an- de nouveaux critères de professionnalisa- «coopér-acteur / coopér-actrice», qui sou- du mouvement, l’a souligné en ces termes:
se développèrent, véritables centres de nées plus tard, avec l’Etat bolivien. tion de la coopération – évaluations rigou- ligne les deux piliers identitaires: coopé- «Une règle d’or de toute coopération
formation décentralisés pour les futurs Cette deuxième phase de la vie de FSF a reuses, nouvelles exigences de qualité et ration active dans le Sud et action trans- exige de promouvoir l’auto-estime des ac-
volontaires. Avec le temps, la préparation impliqué une transition doctrinale pour le de mesure des impacts – commencèrent formatrice en Suisse. Ce concept a ainsi teurs sociaux du Sud. Elle doit agir au Sud
initiale à la mission se développa, com- mouvement. Sans perdre ses racines chré- à se substituer, en partie, aux valeurs his- remplacé les termes historiques de «vo- avec l’idée de renforcer la solidarité avec
prenant un week-end par mois pendant tiennes, le travail des coopérant-e-s ac- toriques et humanistes qui avaient jusque lontaire» ou «coopérant-e». les luttes des mouvements sociaux».
un an, ainsi qu’un mois entier de vie com- tuel-le-s, leur formation préalable, avant là motivé le travail au Sud. A la lumière de La nouvelle Charte, adoptée en 1997, SERGIO FERRARI
mune. Pendant de nombreuses années, le le départ, le travail de sensibilisation en l’expérience brésilienne, FSF incorpora propose désormais une vision globale, TRADUCTION ROSEMARIE FOURNIER
LE COURRIER
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E-CHANGER 60 ANS 15
PARTENARIAT
CIDSE
Stefania
Daini, ancienne
coopér-actrice
d’E-CHANGER,
avec ses
partenaires
de l’ONG
ARFA, dédiée
à l’agriculture
soutenable, au
Burkina Faso.
E-CH
«L’ESPOIR QU’UN AUTRE «UNE COOPÉRATION
MONDE EST POSSIBLE» ORIGINALE ET PERTINENTE»
comme un levier important pour la sécurité alimen- Nord, dans leurs réseaux et même au-delà, une expé-
taire et les droits humains; Baobab fait la promotion rience acquise dans leur période australe: c’est un vé-
de l’économie sociale et solidaire, avec un accent par- ritable échange, aidé en cela par la présence fréquente
ticulier sur l’autonomisation des femmes et des per- en Suisse de partenaires du Sud venu-e-s expliquer la
sonnes vulnérables; ABAPE (Association Burkinabè situation de leur pays et de leur continent. Person-
d’accompagnement psychologique et d’aide à l’En- nellement, je m’inscris ainsi dans la tradition de ma
fance) promeut le droit à l’éducation et l’inclusion famille: mes grands-parents paternels avaient créé,
JUDITH sociale des enfants autistes et déficients intellectuels; en 1921, le poste de Pékin de l’Armée du Salut, mais
CEFISE (Centre d’Education et de formation Intégrée évidemment c’était alors encore l’époque de l’aide
SOMDA, Sourds et Entendants) promeut le droit à l’éducation LUC bienveillante un peu paternaliste.
et à l’insertion socioprofessionnelle des personnes
BURKINA sourdes et malentendantes; le consortium Teeltaab RECORDON, Quelle évaluation faites-vous des partenaires Sud
de cette ONG ?
E-CH
Tula est le regroupement de trois organisations qui
FASO SUISSE
SFi
ont pour but d’atteindre la sécurité alimentaire. Ma participation à sept sessions du FSM et deux
Les partenaires historiques tels que ARFA (Asso- autres voyages «internes» m’ont permis d’apprécier
ciation pour la Recherche et Formation en Agroécolo- le travail impressionnant de nos partenaires, organi-
Titulaire d’une licence en sociologie de l’université gie), la FENOP, (Fédération Nationale des Organisa- Ancien parlementaire aux Chambres fédérales – au sés et déterminés, affichant le sourire même dans des
de Ouagadougou, Judith Somda a conclu une forma- tions paysannes) et CNABio (Conseil National pour Conseil national de 2003 à 2007, puis au Conseil des conditions souvent difficiles.
tion en genre et développement de l’IHEID. Coordi- l’Agriculture Biologique), interviennent dans la pro- Etats de 2007 à 2015 – actuellement conseiller muni-
natrice du programme Burkina Faso d’E-CHANGER
de 2013 à 2019, elle est actuellement chargée du pro-
motion de l’agroécologie, l’agriculture biologique, les
exploitations agricoles familiales; il y a également la
cipal dans la localité de Jouxtens-Mérezy, Luc Recor-
don (membre du parti Les Vert-e-s) est une person- «Il m’est tout de suite
jet «renforcement des capacités» à l’agence belge de
développement dans ce pays africain. Entretien.
Marche Mondiale des Femmes, qui lutte pour la pro-
motion des droits des femmes et des filles.
nalité reconnue en Suisse, tant sur le plan politique
qu’associatif.
apparu qu’E-CHANGER
représentait la forme
D’où vient votre relation avec la coopération
suisse ?
«La coopération par Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir membre
d’E-CHANGER, à poursuivre votre participation à de coopération
J’ai travaillé pour une organisation partenaire
d’E-CHANGER. C’est là que j’ai découvert et appris à
l’échange de personnes ce mouvement et même, depuis plusieurs années,
à en intégrer le comité ? correspondant le mieux
mieux connaître ce mouvement et sa vision, en parti- participe à donner Lors de mon arrivée aux Chambres fédérales, en au-
à mes attentes.»
cipant aux rencontres volontaires-partenaires de pla- tomne 2003, il m’est tout de suite apparu qu’E-CHAN-
nification et d’évaluation... En outre, je lisais aussi ré- un visage humain GER représentait la forme de coopération correspon-
gulièrement leurs publications. Quand l’opportunité dant le mieux à mes attentes. Vivement encouragé La coopération internationale en général
s’est présentée de m’engager auprès de cette organi- à la mondialisation.» par ma très expérimentée collègue Anne-Catherine (et plus particulièrement la coopération suisse) est
sation – dont les valeurs d’équité et de justice sociale Menétrey, je me suis d’emblée inscrit à la délégation confrontée à une situation complexe de réductions
me parlaient vraiment – je n’ai pas hésité. Quel est l’impact, l’importance de ce type suisse du Forum social mondial (FSM) de janvier budgétaires, de hiérarchisation des intérêts de la
de coopération, dans un pays comme le Burkina, 2004, à Mumbai (Inde). Cette rencontre du FSM a été Confédération, de son utilisation comme antidote
Quelle est votre perception de cette forme de plus en plus affecté par la violence une vraie réussite, tant pour la délégation suisse que aux migrations en provenance du Sud...
particulière de coopération internationale qui des groupes armés ? sur un plan général. J’y ai énormément appris et ai Quel espace conservera, à l’avenir, le type
consiste à envoyer au Sud des coopérant(e)s La violence exercée par les groupes armés est un phé- rencontré des personnes dont la connaissance m’est d’échanges de personnes proposé par E-CH ?
suisses ou à y soutenir des coopérant(e)s nomène quasi-mondial, mais les effets en sont plus depuis lors restée précieuse. J’ai compris que ma par- Il faut impérativement que les autorités fédérales et
nationaux(ales) ? importants dans les pays pauvres, comme le Burkina, ticipation au comité d’E-CH allait m’aider à saisir les nos soutiens privés continuent à comprendre que,
La coopération par l’échange de personnes participe qui disposent de peu de ressources pour y remédier. enjeux complexes de la coopération et des relations outre le professionnalisme de ce type d’actions, les
à donner un visage humain à la mondialisation; cela Pouvoir bénéficier de compétences, grâce à la col- internationales. flux d’échange Sud-Nord et Nord-Sud aident à at-
contribue, à mon avis, à briser (même si c’est à pe- laboration avec E-CHANGER, entretient, pour les teindre les objectifs communs, fondamentaux dans
tite échelle) certaines barrières culturelles. Par ail- organisations partenaires et leurs bénéficiaires, la La coopération solidaire à visage humain est une époque marquée par des relations internatio-
leurs, ce type de coopération contribue fortement flamme de l’espoir qu’un autre monde est possible. la définition d’E-CH depuis sa création. nales tendues et dangereuses.
à l’apprentissage tout au long de la vie: en effet, les Lors de plusieurs voyages, vous avez rencontré
coopérant(e)s et leurs organisations partenaires ap- Comment le travail des coopérant(e)s s’inscrit-il de nombreux/ses coopér-acteurs/trices d’E-CH. Que doit faire, ou renforcer, E-CH pour consolider
prennent mutuellement. dans les priorités de l’Agenda 2030 de l’ONU ? Selon vous, quels ont été et continuent d’être son travail futur?
L’ONU et l’UE ont reconnu le volontariat comme un les éléments essentiels de ce type de coopération Avec mon expérience parlementaire, je ne peux que
Pourriez-vous nous décrire rapidement outil indispensable à l’atteinte des Objectifs du Déve- basée sur l’échange de personnes? recommander d’accorder une grande attention au
les principaux partenaires d’E-CH, loppement Durable (ODD), avec une plus-value dans Le modèle de l’échange de personnes développé par renouvellement régulier de notre base d’appui aux
au cours des dernières années, au Burkina ? le domaine de la citoyenneté mondiale et la culture E-CH est original et pertinent: les coopératrices et Chambres fédérales. La diversité et la qualité des
Durant ces cinq dernières années, de nouveaux par- de la paix. L’intervention des coopérant(e)s renforce coopérateurs sont appelé-e-s à s’insérer dans un personnes qui composent notre comité constitue un
tenariats ont été mis en place. L’association Maneg- l’efficacité d’action des organisations partenaires. mouvement social dans les pays du Sud, à y appor- impératif tout aussi important.
dzanga valorise l’alphabétisation: elle la considère PROPOS RECUEILLIS PAR SERGIO FERRARI ter une vraie valeur ajoutée. Mais aussi à réinjecter au PROPOS RECUEILLIS PAR SERGIO FERRARI
16 E-CHANGER 60 ANS LE COURRIER
VENDREDI 1ER NOVEMBRE 2019
PARTENARIAT
«LA PLUS-VALUE
DE RENFORCER LES ACTEURS
SOCIAUX DU SUD»
mocraties occidentales et les autres, est aujourd’hui
dépassée. Un changement doit également avoir lieu
ici. Nous sommes tous responsables.
Echanger signifie aussi influencer. Selon votre
réflexion, ces vécus du Sud doivent, d’une manière
ou d’une autre, avoir un impact en Suisse
pour y renforcer une conscience solidaire.
Au vu des discours xénophobes et isolationnistes,
cet objectif est-il réellement atteint?
On a parfois tendance à sous-estimer le poids de la
RAJI SULTAN, société civile, car il existe aujourd’hui une tendance
E-CH
à tout mesurer selon des critères financiers. Si nous
SUISSE examinons les budgets des ONG, il est évident qu’ils
sont infiniment inférieurs au chiffre d’affaire du sec-
teur privé. Néanmoins, l’appui et l’intérêt de la popu-
Licencié en relations internationales, Raji Sultan est lation suisse pour la coopération continue d’être très
secrétaire général d’Unité, la plateforme suisse re- grand et nous constatons que ce secteur a la capacité
groupant les organisations de coopération au déve- de faire bouger les choses, notamment par le biais de
loppement par l’échange de personnes. Avant de re- coalitions, comme l’initiative «Pour des multinatio-
joindre Unité, il a travaillé pour la Fondation Brocher nales responsables» ou l’Alliance pour le climat.
à Hermance et pour l’Ambassade Suisse au Liban, son
pays d’origine.
Dans le cadre tumultueux des menaces officielles
«Un changement doit
de réductions budgétaires, de nouvelles
conditions, de concentration géographique – par
également avoir lieu ici.
exemple, le retrait d’Amérique latine – quelle est Nous sommes tous
la valeur essentielle de la coopération basée
sur l’échange mutuel de personnes, responsables.»
comme le pratique E-CHANGER?
Ces vingt-cinq dernières années, la coopération a ob-
tenu d’importants succès. Entre 1990 et 2015, le taux Pour «impacter» efficacement en Suisse, il faut
d’extrême pauvreté a, par exemple, reculé de 36% à concentrer les efforts, multiplier les synergies.
10% de la population mondiale. Néanmoins, elle af- En ce sens, UNITE, la plateforme que vous
fronte de grands défis. Le plus préoccupant d’entre coordonnez et qui réunit une vingtaine d’ONG
eux est peut-être le désengagement des gouverne- d’échange de personnes, est-elle un modèle
ments. Y compris dans un pays comme la Suisse, l’un dans le monde de la coopération?
des plus riches du monde – qui réalise des bénéfices Je ne voudrais pas ériger UNITE en modèle. Je dirais
depuis trois ans – l’objectif de consacrer 0,5 % du re- plutôt que c’est un bon exemple. De telles structures
venu national brut (PNB) à la coopération n’est pas peuvent avoir un effet multiplicateur. D’un côté, elles
atteint. Et on est très loin du 0,7 % fixé au niveau augmentent l’écho que l’on peut avoir dans le débat
international. Nous observons que les Etats tentent politique. De l’autre, elles renforcent chacune des en-
de compenser par le secteur privé leur manque de fi- tités de la plateforme, en leur permettant de confron-
nancement et de lier leur engagement à des intérêts ter leurs pratiques à celles d’organisations similaires
nationaux, tels que la limitation des flux migratoires et en leur permettant de développer des synergies.
ou l’accès à des marchés. Le nouveau message de la Cet échange horizontal est d’ailleurs au cœur de la
coopération internationale suisse n’échappe mal- coopération par l’échange de personnes. Cette coo-
heureusement pas à cette règle. Cette évolution est pération est bidirectionnelle et doit également nous Le paysan suisse, Antoine Hentsch, et son alter ego du MST / Brésil, Manoel Missias Bezerra, en visite en Suisse pendant
très préoccupante, car elle remet en cause la mise en amener – grâce au regard critique du Sud – à remettre trois semaines, en août passé, dans le cadre d’un échange Sud-Nord entre le MST et UNITERRE, promu par E-CH.
œuvre de l’Agenda 2030 et l’objectif de lutte contre en cause notre modèle de développement, qui se fait Neil Labrador, L’Événement syndical
la pauvreté, pourtant ancré chez nous dans une loi. au détriment d’autres peuples.
Dans cette conjoncture complexe, la coopération
par l’échange de personnes (Ndlr: historiquement «le Avec soixante ans d’existence, E-CHANGER constater cette tendance, alors que des ONG comme passé qu’elle est une organisation dynamique, pro-
volontariat international») joue un rôle fondamental, (auparavant Frères Sans Frontières) est E-CH jouent un rôle essentiel pour soutenir la so- mouvant beaucoup d’innovations, telles par exemple
en renforçant des acteurs de la société civile, dans les l’une des plus anciennes ONG de Suisse. ciété civile dans des contextes qui se fragilisent: par que l’affectation de professionnel-le-s du Sud en
pays du dénommé «Sud» et en portant leur voix au Quels sont les risques et les défis principaux exemple, au Burkina Faso, menacé par un accroisse- Suisse, où ils/elles viennent partager leurs connais-
«Nord». Dans cette étape de globalisation, doit pri- d’un mouvement comme E-CH? ment de la violence fondamentaliste, et au Brésil, qui sances et leurs expériences. Cela s’est produit en
mer une perspective holistique de la coopération. Les Un problème, dont nous avons déjà parlé, est l’appa- voit une montée de l’extrême droite mettant en péril août passé, avec la présence ici d’un dirigeant paysan
causes et conséquences des problèmes de la planète rent désengagement de l’Etat concernant la coopéra- sa démocratie. Ce travail demande de la persévérance brésilien, venu durant trois semaines pour échanger
sont communes à tous: la crise climatique, la migra- tion au développement. Une ONG comme E-CHAN- et une grande résilience, qui sont difficiles à assurer connaissances et expériences avec des producteurs
tion, les pandémies transcendent les frontières natio- GER pourra recevoir, dès 2021, au maximum 40% sans contribution étatique suffisante. Mais je ne suis suisses organisés dans UNITERRE.
nales. La division entre le Nord et le Sud, entre les dé- de son budget de la part de la DDC. C’est triste de pas inquiet pour E-CHANGER qui a montré par le PROPOS RECUEILLIS PAR SERGIO FERRARI
EN BREF TROIS CONTINENTS, UN ENGAGEMENT
E-CHANGER est aujourd’hui active, Comment l’engagement citoyen se manifeste-t-il et comment la Solidaires et députée au Grand Conseil vaudois, de Stéphanie
avec un programme, dans 4 pays : population devient-elle actrice de changement, à l’ère de la globali- Vonarburg, militante syndicale et féministe suisse, vice-présidente
sation et des crises sociale, environnementale et politique? de Syndicom, et de Laura Drompt, co-rédactrice en cheffe du
Brésil: 10 organisations partenaires, quotidien Le Courrier pour la modération.
dont 7 appuyées par un-e coopér-acteur/ Dans le cadre de sa campagne d’information, E-CHANGER, en IMPRESSUM du dossier
trice national-e. partenariat avec Paysans Solidaires, veut proposer une réflexion sur Autres activités prévues: «60 ans d’E-CHANGER»
les défis de l’engagement, dans le contexte préoccupant de crises E-CHANGER
Burkina Faso: 12 organisations socio-politique et environnementale dont les effets et l’impact se • Lundi 11 novembre - Berne Avenue du Grammont 7, 1007 Lausanne
partenaires, avec 3 coopér-acteurs/ www.e-changer.org
manifestent au niveau global. 19 h 00 à la Kaefigturm, Marktgasse 67
trices suisses et 3 coopér-acteurs/trices Soirée Brésil avec Guilherme Boulos et Djalma Costa, coordinateur Responsable: Sergio Ferrari
nationaux. • Samedi 9 novembre 16 h 00 du programme Brésil d’E-CHANGER Textes, photos, corrections:
Haute école de travail social et de la santé (EESP), Frédérique Sorg Guigma,
Bolivie: Un redémarrage en 2019, Antoinette Romanens, Egzona Cahani,
Auditoire B040, Chemin des Abeilles 14, Lausanne • Lundi 11 novembre - Fribourg
avec 1 coopér-acteur suisse Rosemarie Fournier, Thérèse Parrat,
et 4 organisations partenaires. 18 h 30 à la Paroisse St-Pierre, Av. Jean-Gambach 4
Claude Desimoni, Hans Peter Renk,
«L’engagement collectif et solidaire, Conférence sur le Burkina Faso avec Souleymane Ouédraogo et Noël Beat Tuto Wehrle, Douglas Mansur,
Suisse: Membre d’Unité et de la coalition une réponse aux replis identitaires?» Zankone, coordinateur du programme Burkina Faso d’E-CHANGER. Neil Labrador / L’Evénement syndical,
d’organisations porteuses de l’initiative Rencontre avec des interlocuteurs privilégiés: Guilherme Boulos, Sergio Ferrari.
pour des multinationales responsables. politicien et militant brésilien, membre de la Coordination nationale • Vendredi 15 novembre - Genève Tirage: 9500 exemplaires
Partenariat étroit notamment avec du mouvement des travailleurs sans toit (MTST) et Souleymane 18 h 30 à l’Université de Genève, Uni Mail, Bd du Pont-d'Arve 40
Ouédraogo, militant burkinabè, chargé de partenariats stratégiques E-CHANGER remercie la FEDEVACO et
Le Courrier, Action de Carême, Novo Projection et débat sur la problématique des multinationales et de
la FGC pour leur soutien financier,
Movimento, le FIFF, syndicom, Voz do au sein du mouvement le Balai citoyen. Ils animeront la table ronde leur impact sur les populations autochtones au Brésil, avec Aurélien et le journal Le Courrier pour
Cerrado, et les Fédérations cantonales aux côtés de Martine Meldem, présidente du comité de Paysans Fontanet, Aurélien Stoll, Marine Vasina et Djalma Costa. son appui en tant que «partenaire»
de coopération.
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