Introduction. Innovations sociales et développement des territoires dans les campagnes européennes

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Norois
                         Environnement, aménagement, société
                         241 | 2016
                         Innovation sociale et développement des territoires
                         dans les campagnes européennes

Introduction. Innovations sociales et
développement des territoires dans les campagnes
européennes
Social Innovations and Territorial Development in the European Rural Areas

Guillaume Lacquement et Christophe Quéva

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/norois/5978
DOI : 10.4000/norois.5978
ISBN : 978-2-7535-5504-4
ISSN : 1760-8546

Éditeur
Presses universitaires de Rennes

Édition imprimée
Date de publication : 30 décembre 2016
Pagination : 7-13
ISBN : 978-2-7535-5483-2
ISSN : 0029-182X

Référence électronique
Guillaume Lacquement et Christophe Quéva, « Introduction. Innovations sociales et développement
des territoires dans les campagnes européennes », Norois [En ligne], 241 | 2016, mis en ligne le 31
décembre 2018, consulté le 03 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/norois/5978 ; DOI :
10.4000/norois.5978

© Tous droits réservés
Norois n° 241, 2016/4, p. 7-13

      www.pur-editions.fr                             Revue en ligne : http://norois.revues.org

                                       Introduction
                   Innovation sociale et développement des territoires
                            dans les campagnes européennes
             Social Innovations and Territorial Development in the European Rural Areas

                                   Guillaume Lacquementa et Christophe Quévab

a
 Professeur de Géographie, Université de Perpignan, UMR CNRS 5281 ART-Dev. (lacqueme@univ-perp.fr)
b
  Maître de conférences en Géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,UMR Géographie-Cités 8504.
(christophe.queva@univ-paris1.fr)

   Ce dossier thématique s’appuie sur la valorisa-                            communautaire. Il se concentre sur les formes, les
tion d’une sélection de communications issues du                              modalités et la diversité des processus d’innovation
colloque international de géographie rurale, « Les                            sociale pour interroger la manière dont se combinent
campagnes : espaces d’innovation dans un monde                                l’introduction d’une nouveauté institutionnelle et
urbain », organisé en juin 2014 par l’UMR CNRS                                la capacité organisationnelle des sociétés locales à
6590 Espaces et sociétés (ESO), la Commission                                 l’appliquer ou à la réinventer. À cette fin, le dossier
de Géographie rurale (CNFG), le Grupe de geogra-                              met la focale sur le programme européen LEADER
fia rural, le Rural geography research group, et les                          (Liaisons Entre Actions de Développement de l’Éco-
Arbeitskreise Ländlicher Raum und Dorfentwicklung.                            nomie Rurale), en tant que démarche de mobilisa-
Ce colloque visait à interroger la place et le rôle                           tion des acteurs locaux et dispositif de création de
des espaces ruraux dans les processus de compé-                               ressources en faveur du développement et de l’at-
titivité territoriale et d’innovation, dans le contexte                       tractivité des territoires ruraux.
de sociétés de plus en plus urbaines. Dans ce cadre,
les innovations analysées – envisagées soit comme
                                                                              Les innovations sociales entre
l’adaptation à une contrainte, soit comme la mise
                                                                              réseaux d’acteurs, ressources
à profit d’une opportunité nouvelle – concernaient
                                                                              sociales et capital social
à la fois les pratiques des populations rurales, les
usages et les fonctions des campagnes, ou encore                                 La notion d’innovation sociale « se définit par son
les modalités d’organisation, d’aménagement et de                             caractère novateur ou hors normes et par l’objec-
développement des territoires ruraux. C’est dans                              tif général qu’elle poursuit, soit celui de favoriser
cette dernière perspective que s’inscrit ce dossier                           le mieux-être des individus et des collectivités.
thématique, dont l’enjeu est d’analyser la diffusion                          Elle se caractérise tout autant par un processus de
des outils et des démarches de développement ter-                             mise en œuvre impliquant une coopération entre
ritorial dans plusieurs régions rurales de l’Europe                           une diversité d’acteurs que par les résultats obte-

                                                                                                                                   7
Dossier thématique : Innovation sociale et développement des territoires dans les campagnes européennes

nus, immatériels ou tangibles » (Cloutier, 2003).         interpersonnelles (Rambonilaza, 2010). Les liens
Dans le cadre plus spécifique du développement            établis et les interactions entre les individus tissent
local et des projets de territoires, « l’innovation       une matrice de ressources sociales qui accompagne
sociale correspond aux changements au niveau tant         la réalisation des projets (Burt, 1992). Cette matrice
institutionnel que des comportements collectifs           de relations plus ou moins denses, plus ou moins
et individuels (personnes éminentes, leadership)          équivalentes, mais dans tous les cas interdépen-
contribuant à l’intégration sociale » et à un déve-       dantes (Forsé, 2008), constitue un capital social qui
loppement territorial intégré (Hillier et al., 2004).     crée une sorte de valeur ajoutée (Lin, 1995) et qui
Ces dynamiques de coordination de l’action collec-        détermine la capacité d’action des structures par-
tive peuvent être considérées comme un facteur de         tenariales à finaliser des projets et en entreprendre
développement des territoires, contribuant à struc-       de nouveaux.
turer localement des réseaux d’acteurs porteurs de
projets. L’innovation ne se réduit pas à l’introduction
                                                          Le développement
de techniques nouvelles de production ou de service
                                                          des territoires au prisme
dans les activités économiques. Elle comprend une
                                                          de l’innovation sociale
dimension sociale qui s’exprime dans un processus
d’interactions entre des individus en situation d’ap-        Construit social, l’innovation revêt également une
prentissage, favorisant la création d’activités nou-      dimension territoriale. La réflexion à ce sujet a été
velles ou reconfigurées (Dargan, Shucksmith, 2008).       initiée par Philippe Aydalot en lien étroit avec celle
   Ce système d’innovation se structure en réseaux,       du développement endogène (ou développement
au sein desquels les acteurs sociaux partagent des        local), considéré comme le résultat abouti d’une
représentations, se distribuent des responsabilités       société locale innovatrice (Aydalot, 1985). Les inte-
ou des rôles, édictent des règles ou des normes, per-     ractions sociales qui animent les institutions par-
mettant de faire circuler l’information, de distribuer    tenariales se doublent d’interactions territoriales,
les ressources et de prendre des décisions. Pour le       dans le sens où elles s’inscrivent dans un ensemble
courant de l’économie territoriale, les réseaux se        territorialisé, régi par des normes, des règles, des
forment à partir de logiques de proximité (Torre,         valeurs qui sont autant de mécanismes agissant sur
Filippi, 2005). Cela concerne non seulement les           le comportement des individus et sur les relations
distances géographiques qui en séparent ou en rap-        qu’ils entretiennent (Fontan et al., 2004 ; Camagni,
prochent les membres, mais aussi les liens qui s’éta-     Maillat, 2006 ; Crevoisier, 2006). Elles forment un
blissent entre eux, en fonction de leur appartenance      milieu innovateur qui se distingue par sa capacité à
sociale et des valeurs qu’ils partagent (Bouba-Olga,      formuler des projets, à identifier et à valoriser des
Carrincazeau, Coris, 2008 ; Torre, 2009). Ils se          ressources économiques nouvelles conduisant à
constituent en institutions formelles ou informelles      l’adaptation et au renouvellement des systèmes de
qui coordonnent l’action collective en faveur du          production (Kébir, Maillat, 2004).
développement territorial. L’institutionnalisation se        L’interprétation de l’inscription territoriale de
lit ainsi à travers la création de structures nouvelles   l’innovation sociale conduit à considérer l’existence
de coordination et d’impulsion, de partenariats           d’un capital territorial (Camagni, 2006). Il se pré-
divers, comme les groupes d’action locale (GAL)           sente sous la forme d’une matrice qui exprime la
des programmes européens LEADER.                          capacité des sociétés locales à traduire la proximité
   L’action collective en faveur du développement         géographique et relationnelle en réseau de coopéra-
économique dépend alors des relations interperson-        tion partenariale, et se saisir des éléments matériels
nelles qui se développent au sein de ces réseaux. La      et immatériels du territoire local pour concevoir
sociologie structurale postule que les phénomènes         et valoriser des ressources économiques nouvelles
économiques sont, de cette manière, « encastrés »         (Camagni, 2013). Envisagé comme construction
(embedded) dans les relations sociales (Granovetter,      sociale et territoriale, le processus d’innovation est
1985). La décision de financer un projet de territoire    sensible aux effets de contextes géographiques qui
ou une action de développement résulte d’un pro-          différencient les formes de coordination et de mise
cessus de négociation, pris dans un jeu de relations      en réseau des acteurs impliqués dans le dévelop-

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Guillaume Lacquement, Christophe Quéva – Norois n° 241 (2016/4) p. 7-13

pement économique et la gestion des territoires            taliser) que d’une logique de projets de développe-
(Fontan et al., 2004).                                     ment local et d’innovations, portée par les acteurs
                                                           locaux (Quéva, Brès, 2016). Caractérisées par le
Les campagnes, angles-morts                                « déploiement d’une économie diffuse peu polari-
ou foyers d’émergence                                      sée mais structurante en matière de tissu d’activités
pour les innovations ?                                     et d’emplois, et donc de maintien d’une population
                                                           permanente » (Barthe, Milian, 2011), les campagnes
   Au premier abord, les espaces ruraux consti-            peu densément peuplées sont moins marquées par
tuent un terreau a priori peu propice à l’affirma-         les rapports hiérarchiques ou de domination que
tion de logiques innovantes : la faible densité qui        dans le cas d’espaces concentrés ou polarisés, où
les caractérise s’associe à un « agencement socio-         un centre, un pôle urbain, exerce une influence sur
spatial singulier » (Barthe, Milian, 2011), marqué         son espace environnant (Quéva, 2015). Dès lors,
par les caractères suivants : « occupation humaine         le développement local dans les espaces ruraux est
distendue et faible empreinte des infrastructures,         envisagé comme une dynamique endogène, initiée
activités principales basées sur la valorisation agri-     par des acteurs locaux porteurs de projets, qui peut
cole et forestière, importance des espaces ouverts         se voir accompagnée et renforcée par des politiques
et rapports privilégiés à la nature » (ibid.). C’est en    publiques, nationales ou européennes.
ce sens que les campagnes ont longtemps été, en
France, comme dans les autres pays européens,
                                                           Le programme européen
associées à l’idée de crise rurale, constituant de
                                                           LEADER, un accélérateur
véritables « synecdoques de la déprise rurale et
                                                           d’innovations dans
agricole » (Clarimont et al., 2006). Or, depuis les
                                                           les territoires ruraux ?
années 1990, à la suite des travaux de B. Kayser
(1990) sur la « renaissance rurale » dans les pays           Le programme européen LEADER fait partie des
industrialisés, les études statistiques et scientifiques   politiques publiques qui encouragent l’émergence de
sur les espaces ruraux montrent que les campagnes          systèmes d’action locaux destinés à promouvoir les
– même les plus isolées – connaissent des muta-            initiatives endogènes de développement et d’intégra-
tions positives : croissance démographique avec            tion socio-économique des territoires ruraux. Il intro-
notamment l’installation de « néoruraux », déve-           duit une forme nouvelle de gouvernance des terri-
loppement de nouvelles fonctions (environnemen-            toires, en invitant les acteurs locaux à prospecter et à
tale, touristique, résidentielle, de loisirs, etc.) dans   valoriser des ressources alternatives, afin de diversifier
l’espace rural, affirmation de nouvelles représenta-       les activités rurales. L’innovation se situe donc dans
tions spatiales, fondées notamment sur un idéal de         la genèse d’une action politique de niveau local met-
quiétude, un besoin d’espace et d’accès à la nature,       tant en scène des acteurs représentatifs de la société
etc. Ce changement de regard et de posture vis-à-          rurale et les impliquant dans un ensemble d’arrange-
vis des campagnes des pays industrialisés s’associe        ments institutionnels. La composition et le fonction-
également à l’identification de potentialités ou de        nement des réseaux de coopération du programme
ressources rurales à valoriser : « La faible densité,      LEADER (les groupes d’action locale ou GAL) déter-
d’abord interprétée sur le mode négatif, assure la         minent alors le pilotage des initiatives endogènes et
cohésion d’un groupe à la recherche de solutions           le contenu des projets de développement. La diffu-
[…]. Elle n’est plus exclusivement définie en termes       sion de cette innovation sociale en Europe s’opère
de problème, elle devient parfois un atout à valori-       de manière différenciée en raison de la diversité des
ser, un élément fondateur de l’attractivité nouvelle       trajectoires territoriales et des effets de contexte géo-
de ces territoires ruraux » (Clarimont et al., 2006).      graphique (Maurel, Chevalier, Lacquement, 2014).
   Dans cette perspective, les enjeux actuels d’amé-         Dans quelle mesure l’émergence et la diffusion des
nagement des espaces ruraux relèvent moins d’une           innovations sociales dans les espaces ruraux relèvent-
logique d’assistance par les politiques publiques          elles avant tout d’initiatives locales ou plutôt de stra-
(pour des campagnes identifiées avant tout comme           tégies d’accompagnement par les politiques publiques
des espaces de contraintes et de handicaps à revi-         – de l’échelle européenne aux échelles nationales

                                                                                                                   9
Dossier thématique : Innovation sociale et développement des territoires dans les campagnes européennes

et régionales ? Plus spécifiquement, en quoi les            loppement territorial dans les pays européens, tout
démarches soutenues par le programme européen               en conservant une perspective géographique, croise
LEADER relèvent-elles de logiques innovantes sur            des approches et des outils issus de différentes dis-
les plans social et territorial ?                           ciplines. Les contributions de ce dossier font réfé-
   Nous formulons trois hypothèses principales pour         rence à l’appareil conceptuel élaboré par les études
appréhender ces questionnements. La première                de transfert de politiques publiques (Delpeuch,
est que, dans le contexte des pays industrialisés et        2008, 2009) (policy tranfer studies) (Wolman, Page,
notamment européens, les espaces ruraux sont poten-         2002) et empruntent les méthodes de l’économie
tiellement porteurs d’innovations sociales, les acteurs     spatiale (Gaudard, 2004 ; Coulet, Pecqueur, 2013)
locaux contribuant de plus en plus à élaborer des           pour étudier les stratégies et les projets de dévelop-
projets tournés vers la valorisation des potentialités      pement portés par les acteurs locaux. Pour décrire
de ces territoires. Cette perspective s’inscrit dans la     le mode de fonctionnement des systèmes d’action
continuité des travaux récents sur les dynamiques           locaux, les analyses mobilisent les outils concep-
des espaces de faible densité, identifiant paradoxa-        tuels et méthodologiques de la sociologie politique
lement les fragilités des espaces ruraux comme les          (Muller, 2000), comme par exemple l’analyse des
possibles déclencheurs d’une réactivité forte de la         réseaux (Mercklé, 2011). L’efficience économique
part des populations et acteurs locaux : « l’inventi-       de l’innovation sociale est évaluée au prisme de la
vité, dans un contexte de fortes contraintes (écono-        notion de « coût de transaction » (Coase, 2005 ;
miques, politiques) traverse les pratiques sociales         Williamson, 1994). En outre, la pluralité des ter-
renforçant l’hypothèse que ces espaces pourraient           rains étudiés (France, Irlande, Italie, Allemagne et
être des laboratoires d’expérimentation dans dif-           Hongrie) inscrit les analyses dans un cadre interna-
férents registres à disposition de l’ensemble de la         tional et comparatif. La confrontation des terrains
société » (Barthe, Milian, 2011).                           d’enquête permet, au-delà de la démarche mono-
   Notre deuxième hypothèse porte sur la distinc-           graphique, d’explorer le processus de diffusion de
tion nécessaire entre l’émergence de l’innovation           l’innovation au regard de régimes territoriaux et de
dans les espaces ruraux d’une part, et la diffusion de      contextes géographiques différents.
l’innovation d’autre part. Nous considérons ainsi              Trois enseignements principaux peuvent être rete-
que, pour la première, la place des encadrements            nus de ces croisements disciplinaires. Tout d’abord,
– par les politiques publiques des États européens          les quatre études considèrent l’innovation sociale
et de l’Union européenne – reste potentiellement            au sein du programme européen LEADER comme
importante en tant que déclencheurs des projets             l’apprentissage des règles et des normes de la gouver-
innovants, alors que la diffusion de l’innovation se        nance locale. Ces dernières construisent un modèle
fonderait principalement sur des enjeux locaux et de        de gestion des territoires qui se situe à l’articulation
proximité, par le rôle de l’ingénierie et des réseaux       de logiques endogènes et exogènes, les initiatives
locaux de coopération.                                      des acteurs locaux étant contractualisées par des
   Enfin, notre troisième hypothèse considère que           dispositifs établis par l’emboîtement des échelons
les logiques d’innovation sociale à l’œuvre dans les        du système territorial et par l’application du principe
territoires ruraux contribuent également à structurer       de subsidiarité (Union européenne, États nationaux,
et à faire émerger des constructions territoriales fortes   régions). Cette approche institutionnelle s’oppose
– autour des territoires LEADER et des territoires          à la vision normative de l’innovation qui se focalise
de développement local en général – marquées par            sur la fabrication de nouveaux produits ou sur l’uti-
des logiques fonctionnelles et identitaires de plus         lisation de nouvelles techniques de production ou
en plus marquées.                                           de services. Elle met également en cause la concep-
                                                            tion classique de l’administration et de la gestion
Au croisement des disciplines                               des territoires, la manière de penser les politiques
et des méthodes                                             publiques. Elle suppose que les institutions de
                                                            gouvernement n’ont plus le monopole de l’action
  Dans le dossier qui est ici proposé, l’analyse de         publique, qui se trouve déléguée à des acteurs de
la diffusion des outils et des démarches de déve-           statuts divers, organisés en réseaux pour concevoir

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Guillaume Lacquement, Christophe Quéva – Norois n° 241 (2016/4) p. 7-13

des projets de territoire et coordonner une action         tion des enveloppes budgétaires. L’ingénierie parti-
collective de développement.                               cipe de l’efficience des politiques publiques, mais
  Le deuxième enseignement concerne les condi-             encadre au final au moins partiellement l’apprentis-
tions de cet apprentissage. La démarche LEADER,            sage de la gouvernance locale.
décrite comme une démarche bottom up ou ascen-
dante, suppose trois conditions principales. La
                                                           Le poids des contextes
première renvoie à l’application d’un processus de
                                                           territoriaux
décentralisation, qui prévoit la délégation de com-
pétences de gestion territoriale au niveau local, et         Les quatre contributions, prenant appui sur
qui a pour conséquence de faire émerger de nou-            une pluralité de terrains en France et en Europe,
velles relations entre les différents niveaux du sys-      montrent que le dispositif LEADER s’est progres-
tème territorial (supranational, national, régional et     sivement imposé comme l’un des lieux privilégiés
local). Dans le cadre de l’application du programme        d’innovation en matière d’apprentissage des prin-
européen, il s’agit de relations de contractualisation.    cipes du développement endogène et de la gou-
Mais le transfert de prérogatives crée des situations      vernance locale. Le transfert des politiques de
de conflit et contraint à la négociation en ce qui         développement rural au sein des pays de l’Union
concerne la répartition des tâches. La deuxième            européenne s’illustre par une certaine convergence
condition tient à la création de partenariats tripar-      des pratiques de gestion du développement socio-
tites, dont la structuration et le fonctionnement          économique dans les zones rurales. Cependant, les
obéissent à des règles nouvelles et déterminent le         études localisées montrent également que l’appren-
capital social des territoires locaux. La démarche         tissage de la démarche LEADER est sensible aux
LEADER suppose la mobilisation, au sein des                effets de contexte géographique. Cela concerne le
groupes d’action locale (GAL), d’individus issus à         cadre institutionnel des États nationaux, qui régit
la fois de la sphère publique, du monde de l’entre-        le processus de décentralisation et de redistribution
prise et du secteur associatif. Les configurations         des prérogatives de gestion territoriale, ainsi que les
d’acteurs dans les GAL se composent alors par des          modalités d’application du programme européen.
jeux complexes de négociation et d’interprétation          Cela concerne tout autant le cadre spatial, c’est-
des équilibres de la représentativité. La démarche         à-dire les propriétés spécifiques des lieux et les
LEADER s’exprime en troisième lieu dans la coor-           formes de l’organisation de l’espace, qui influent
dination d’une action collective qui implique la déli-     sur les jeux sociaux et les stratégies développées par
mitation d’un périmètre d’application, la conception       les acteurs locaux. La démarche LEADER donne
d’une stratégie de développement et la sélection de        lieu à un apprentissage spatialement différencié.
projets de valorisation des ressources locales.            En tant qu’innovation sociale, elle s’inscrit dans un
  Cette manière de territorialiser les politiques          processus territorialisé. C’est ce que nous enseigne
publiques de développement économique présente             la lecture croisée de ces études. Le dossier part du
néanmoins des limites. Le troisième enseignement           contexte français (M. Berriet-Solliec, D. Lépicier et
de ce dossier pointe le fait que l’apprentissage de la     D. Vollet), et élargit progressivement les perspec-
démarche LEADER dépend de structures d’ingénierie          tives à l’échelle européenne – du contexte de l’Eu-
territoriale qui facilitent la traduction opérationnelle   rope occidentale (M. Cawley) à celui de l’Europe
de la politique d’intervention. Les groupes d’action       orientale (P. Chevalier et G. Lacquement) en pas-
locale sont portés par des structures territoriales        sant par le cadre italien (M. Labianca).
organisées en syndicats mixtes (comme les parcs              Le premier article de Marielle Berriet-Solliec,
naturels régionaux) ou en association (comme les           Denis Lépicier et Dominique Vollet prend le parti
Pays). L’équipe d’animation de ces structures joue         de questionner l’efficience de la politique publique
un rôle décisif dans la préparation du dossier de          en évaluant ses coûts de mise en œuvre. L’approche
candidature, dans la construction des équilibres           économique s’intéresse aux coûts de transaction
de la composition des GAL, dans la rédaction des           du programme LEADER – c’est-à-dire aux coûts
documents programmatiques, dans l’instruction et           de gestion, d’animation et de suivi de son applica-
la programmation des projets, ainsi que dans la ges-       tion – dans deux régions françaises, l’Auvergne et

                                                                                                               11
Dossier thématique : Innovation sociale et développement des territoires dans les campagnes européennes

la Bourgogne, retenues à partir de critères morpho-         de comprendre le rôle d’arbitre conservé par l’État
fonctionnels (la place des espaces ruraux dans le           central, qui au nom de l’efficience des politiques
développement régional) et gestionnaires (modes             publiques, accroît les compétences des collectivi-
passés et présents de gestion des politiques terri-         tés locales dans le pilotage et la coordination des
toriales). L’étude propose une estimation du niveau         programmes de développement rural, revenant au
et de la variabilité des coûts propres au programme         final à leur attribuer la responsabilité du programme
LEADER pour le mettre en regard avec le béné-               LEADER.
fice des actions menées. L’analyse mesure ainsi le             L’article de Marinela Labianca apporte un éclai-
« prix à payer » pour innover et renouveler l’action        rage complémentaire intéressant dans le contexte
publique en faveur du développement des espaces             d’une région rurale italienne, les Pouilles, marquée
ruraux. Elle souligne l’impact des coûts de transac-        par la fragilité économique et relevant du zonage
tion sur la démarche LEADER, c’est-à-dire sur le            « Convergence » de l’Union européenne. En ana-
mode de coordination de l’action locale, qui tendent        lysant les documents d’aménagement régional pour
à favoriser les projets portés par les collectivités ter-   le développement rural (2007-2013), ainsi que les
ritoriales aux dépens de ceux portés par des opéra-         textes des appels à projets entre 2000-2015, l’au-
teurs privés. Elle conclut alors aux enjeux politiques      teure propose un regard critique sur les modèles de
et financiers que représente l’ingénierie territoriale      gouvernance qui se dessinent. Si elle note l’impor-
dans l’application des politiques publiques ascen-          tance et la nécessité des innovations sociales dans le
dantes et contractualisées.                                 contexte des espaces ruraux fragilisés, l’étude relève
   La contribution de Mary Cawley sur le pro-               également un certain nombre de difficultés de mise
gramme LEADER en Irlande se rapporte à un autre             en œuvre. À travers une analyse textuelle, Marinela
enjeu tout aussi important, l’enjeu politique et ins-       Labianca pointe ainsi l’influence de l’Union euro-
titutionnel de la redistribution des compétences            péenne et de l’État italien dans la formulation des
de gestion territoriale. L’auteure montre comment           objectifs régionaux et locaux, ainsi que la mobilisa-
l’application des principes de la gouvernance locale        tion d’un champ lexical de l’innovation largement
a mis en cause les structures du gouvernement               influencé par un cadre européen prescriptif, limitant
local. L’introduction du programme européen au              l’autonomie des acteurs et des territoires locaux. En
début des années 1990 a bénéficié dans ce pays              termes de contenus de projets, l’auteure note que
de la tradition associative qui compensait le déficit       l’innovation sociale reste très secondaire par rapport
d’intervention des collectivités locales en matière         à l’innovation économique centrée sur les systèmes
de gestion des services ruraux. Les structures              productifs et la compétitivité des entreprises. La
associatives se sont largement impliquées dans la           rhétorique dominante du développement rural dans
création et l’animation des groupes d’action locale         les Pouilles repose ainsi avant tout sur une approche
(GAL) institués par le programme LEADER. Mais               productiviste, dans le cadre d’un modèle de gou-
l’extension progressive des GAL a créé un nouveau           vernement prescriptif, où les processus participa-
maillage d’intervention qui est venu transgresser à         tifs ne jouent qu’un rôle globalement secondaire.
l’échelle locale le maillage administratif des comtés.      Au-delà de cette tendance générale, certains GAL
La délégation de prérogatives de gestion des terri-         n’en restent pas moins innovants sur le plan social,
toires ruraux aux nouvelles structures partenariales        en proposant des projets de gouvernance réinven-
est venue émousser les fonctions des administra-            tés, notamment dans le cadre de réseaux d’acteurs
tions locales alors même qu’une réforme de l’État           locaux marqués par une assise territoriale forte.
transformait leur fonctionnement selon les principes           C’est également ce poids des effets de
néolibéraux du new public management. L’étude suit          contextes qui est mis en avant dans l’article de
l’évolution de la situation de tension et de conflit        Pascal Chevalier et Guillaume Lacquement, cen-
qui s’est alors établie entre les formes nouvelles de       tré sur l’analyse du programme LEADER dans deux
démocratie participative et les structures réformées        régions marquées par l’héritage socialiste et la tran-
de démocratie représentative. La description des            sition à l’économie de marché : le Land de Thuringe
réformes administratives successives et des dispo-          en Allemagne (ex-RDA), et le comitat de Baranya
sitifs de coordination des politiques rurales permet        en Hongrie. L’innovation sociale y est analysée au

12
Guillaume Lacquement, Christophe Quéva – Norois n° 241 (2016/4) p. 7-13

prisme de deux groupes d’action locale (GAL), dont                  Delpeuch T., 2008. L’analyse des transferts internationaux
les auteurs analysent les modalités, les forces et les                 de politiques publiques : un état de l’art, Questions de
                                                                       recherche, CERI/Sciences Po, no 27, 69 p.
fragilités, dans le contexte d’une décentralisation et
                                                                    Delpeuch T., 2009. Comprendre la circulation internationale
d’une autonomisation des collectivités territoriales                   des solutions d'action publique : panorama des policy trans-
en rupture systémique avec l’héritage communiste.                      fer studies, Critique internationale, vol. 2, no 3, p. 153-165.
Après avoir présenté le contexte et les modalités de                Hillier J. et al., 2004. Trois essais sur le rôle de l’innovation
mise en œuvre du programme dans les deux États,                        sociale dans le développement territorial, Géographie, Éco-
P. Chevalier et G. Lacquement analysent de façon                       nomie, Société, 2, vol. 6, p. 129-152.
                                                                    Fontan J.-M. et al., 2004. Innovation et société, pour élargir
fine le fonctionnement des GAL en recourant aux                        l’analyse des effets territoriaux de l’innovation, Géographie,
méthodes de la sociologie structurale, permettant                      Économie et Société, 2, vol. 6, p. 115-128.
de donner à voir la nature, l’intensité et les désé-                Forsé M., 2008. Définir et analyser les réseaux sociaux, les
quilibres des relations au sein des réseaux de gou-                    enjeux de l’analyse structurale, Informations sociales, vol. 3,
vernance constituant les GAL. Les auteurs mettent                      no 147, p. 10-19.
                                                                    Gaudard G., 2004. La nouvelle économie spatiale, Revue d’Éco-
ainsi en évidence des liens d’interconnaissance, per-
                                                                       nomie Régionale et Urbaine, 3, p. 453-463.
mettant de mesurer les degrés d’intégration sociale                 Granovetter M., 1985. Economic action and social structure:
et de faire ressortir une structuration d’ensemble                     The problem of embededdness, American Journal of Socio-
des deux GAL étudiés, plus ou moins équilibrée.                        logy, vol. 91, no 3, p. 481-510.
Les leaderships identifiés et resitués dans leurs tem-              Kayser B., 1990. La renaissance rurale. Sociologie des campagnes
poralités par les deux auteurs permettent de diffé-                    du monde occidental, Paris, Armand Colin, 316 p.
                                                                    Lin N., 1995. Les ressources sociales : une théorie du capital
rencier des logiques de gouvernance plus ou moins
                                                                       social, Revue Française de Sociologie, vol. 36, no 4, 1995,
ancrées territorialement, intégratrices ou excluantes,                 p. 685-704.
le poids des contextes nationaux et des spécificités                Maurel M.-C., Chevalier P., Lacquement G., 2014. Trans-
locales jouant un rôle central dans la compréhension                   fert et apprentissage du modèle LEADER en Europe centrale,
de ces différenciations.                                               Paris, L’Harmattan, coll. « Questionner l’Europe », 300 p.
                                                                    Mercklé P., 2004. Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La
                                                                       Découverte, nouvelle édition, 2011, 128 p.
                                                                    Muller P., 2000. L’analyse cognitive des politiques publiques,
Bibliographie                                                          vers une sociologie politique de l’action publique, Revue
                                                                       française de science politique, no 50, p. 189-208.
Barthe L., Milian J., 2011. Les espaces de la faible densité,       Quéva C., 2015. De l’espace à faible densité à l’espace diffus :
   processus et scénarios, Territoires 2040, no 4, p. 151-183.         essai de définition, in Devès C. (dir.), Vivre et travailler dans
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