It Must Be Heaven Bilan 2019 - LE MENSUEL - Les Fiches du Cinéma
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LE MENSUEL It Must Be Heaven de Elia Suleiman Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan rencontres avec Karim Aïnouz pour La Vie invisible d’Eurídice Gusmão Anne Émond pour Jeune Juliette Andreas Horvath et Patrycja Planik pour Lillian Bilan 2019 DÉCEMBRE 2019 • #12
SOMMAIRE BILAN 2019 FILMS DU 4 DÉCEMBRE 2019 Brooklyn Affairs de Edward Norton HHH Ceux qui nous restent de Abraham Cohen HHH La Famille Addams de Conrad Vernon et Greg Tiernan H It Must Be Heaven de Elia Suleiman HHH Jumanji : Next Level de Jake Kasdan H Made in Bangladesh de Rubaiyat Hossain HH Le Meilleur reste à venir de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière HH Premiers pas dans la forêt Film collectif HH Les Reines de la nuit de Christiane Spiéro HH Seules les bêtes de Dominik Moll HH Souviens-toi de ton futur de Énora Boutin HHH Un été à Changsha de Zu Feng HH Le Voyage du prince de Jean-François Laguionie et Xavier Picard HHH FILMS DU 11 DÉCEMBRE 2019 Le Choix d’Ali de Amor Hakkar HH Le Cristal magique de Regina Welker et Nina Wells HH Docteur ? de Tristan Séguéla H Les Envoûtés de Pascal Bonitzer HH Jeune Juliette de Anne Émond HHH Rencontre avec Anne Émond Lillian de Andreas Horvath HHHH Rencontre avec Andreas Horvath et Patrycja Planik Lola vers la mer de Laurent Micheli HH Pahokee de Ivete Lucas et Patrick Bresnan HH Sans rivages de Mathieu Lis H Une vie cachée de Terrence Malick HH La Vie invisible d’Eurídice Gusmão de Karim Aïnouz HHH Rencontre avec Karim Aïnouz
FILMS DU 18 DÉCEMBRE 2019 Après la nuit de Marius Olteanu HH Au cœur du monde de Gabriel & Maurilio Martins HH Emma Peeters de Nicole Palo H The Lighthouse de Robert Eggers HH Notre dame de Valérie Donzelli HH Paroles de bandits de Jean Boiron-Lajous HHH Talking About Trees de Suhaib Gasmelbari HHH FILMS DU 25 DÉCEMBRE 2019 Benjamin de Simon Amstell HHH Charlie’s Angels de Elizabeth Banks H Jésus de Hiroshi Okuyama HH Le Lac aux oies sauvages de Diao Yinan HHH La Sainte famille de Louis-Do de Lencquesaing H La Vérité de Hirokazu Kore-eda HH
Bilan 2019 QUI EST IN LES FICHES DU CINÉMA QUI EST OUT 26, rue Pradier 75019 Paris Administration & Rédaction : 01.42.36.20.70 Parasite de Bong Joon-ho Fax : 09.55.63.49.46 .............................................................. RÉDACTEUR EN CHEF Il y a deux ans, l’événement qui avait le plus bouleversé les cinéphiles Nicolas Marcadé redaction@fichesducinema.com était une série (Twin Peaks : The Return de David Lynch). En 2019, RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT l’année a été fortement marquée par deux films non distribués en Michael Ghennam salle : le dernier Scorsese, The Irishman, diffusé sur Netflix, et le michael@fichesducinema.com Mektoub my Love : Intermezzo de Kechiche, présenté en compétition SECRÉTAIRE DE RÉDACTION Thomas Fouet à Cannes dans une atmosphère de scandale et renvoyé à un destin thomas@fichesducinema.com de film maudit (remontage, disparition : on ne sait quel sera son .............................................................. futur). De plus en plus la vie du cinéma n’est plus circonscrite à ses ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO activités intramuros (l’actualité des sorties) mais étendue à tout ce Michel Berjon, Adèle Bossard- Giannesini, Isabelle Boudet, qui se déroule dans sa périphérie : dans les festivals, sur Netflix, à la Jef Costello, Marguerite Debiesse, télé… Et puis dans l’actualité. En effet, si le cinéma français a réussi Paul Fabreuil, Venceslas Fouineteau, à créer l’événement cette année, cela n’a pas été à travers un film Margherita Gera, Michael Ghennam, mais un entretien télévisé : l’intervention d’Adèle Haenel sur le site Simon Hoareau, Amélie Leray, Julie Loncin, Jacques-Antoine Maisonobe, de Mediapart pour dénoncer le harcèlement dont elle dit avoir été Nicolas Marcadé, Keiko Masuda, victime de la part du cinéaste Christophe Ruggia, et plus généralement Sulamythe Mokounkolo, Marion les violences faites aux femmes dans le milieu du cinéma. Cette Philippe, Marine Quinchon, prise de parole, venant après un très long silence et engendrant une Gaël Reyre, Gilles Tourman, Valentine Verhague. modification de fond des comportements et des modes de pensée, Les commentaires des «Fiches» était à l’image de cette fin de décennie où tout ce qui avait longuement reflètent l’avis général du comité incubé, dans une atmosphère de pression et d’apathie, semble enfin .............................................................. se déclarer, se manifester avec force dans les actes. Le “moment PRÉSIDENT François Barge-Prieur Adèle Haenel” a posé un jalon. Tout le monde en a entendu parler. ADMINISTRATION Tout le monde en a parlé. Cela se passait dans le cinéma. Mais ça ne administration@fichesducinema.com se passait pas au cinéma. TRÉSORIER De fait, on sent en ce moment une sorte de déséquilibre entre ce Guillaume de Lagasnerie Conception Graphique que sont les films et la puissance des enjeux qui les entourent et les 5h55 traversent. Certes, il s’en est encore trouvé plusieurs (Le Traître, Once www.5h55.net upon a time… in Hollywood, La Flor, Nuestro tiempo par exemple) IMPRESSION pour, en 2019, porter haut les puissances de l’image, de la mise en Compédit Beauregard 61600 La Ferté-Macé scène, de la fiction. Mais pas mal d’autres ont pu sembler décevants Tél : 02.33.37.08.33 ou insuffisants. Souvent le cinéma a paru tâtonner de façon encore .............................................................. trop maladroite autour de l’élaboration de nouveaux langages qui lui «Les Fiches du Cinéma». permettraient de se synchroniser avec un monde qui se transforme. Tous droits réservés. Toute reproduction même partielle des Cependant, si elle n’a pas encore livré les grands films qu’il revient textes est soumise à autorisation. sans doute aux années 20 de produire, l’année cinématographique Photo de couverture : 2019 a su renvoyer, sur les écrans et autour, une image juste de It Must Be Heaven (Le Pacte) l’époque. En premier lieu en donnant celle d’un monde coupé en © Rectangle Prod. - Nazira Films - Pallas Film - Possibles Media deux, traversé de toutes parts par des lignes de fracture et divisé en - Zeyno Film clans, qui s’opposent, noir contre blanc, avec de moins en moins de WWW.FICHESDUCINEMA.COM zones grises pour faire un lien.
La Flor de Mariano Llinas ÉCRAN CONTRE ÉCRAN comme au théâtre), à diversifier leur offre… et donc, paradoxalement, à devenir finalement une sorte de La démultiplication des écrans et des canaux de télévision hors les murs de la maison : un canal diffusion, que le nom de Netflix à lui seul sert de plus, dans lequel circulent des “programmes”. maintenant à désigner, continue de remodeler Ainsi, les choses étant ce qu’elles sont devenues, en profondeur le monde du cinéma. On se pose on arrive à cette configuration insolite qui est désormais des questions qu’on ne se posait que des documentaires de facture relativement pas avant. Parmi les idées qui sont dans l’air, télévisuelles sont diffusés sur grand écran, tandis on peut attraper et mettre cote à cote ces deux- que The Irishman de Martin Scorsese n’est visible là : d’une part tous les films n’auraient pas que sur tablette et ordinateur. nécessairement vocation à être diffusés en salle, À la faveur d’une sorte de tectonique des plaques, d’autre part les salles n’auraient pas vocation conséquence du séisme engendré notamment à diffuser exclusivement des films. Ce que l’on par l’explosion des plateformes de streaming, le appelle le “hors films”, qui existe et progresse cinéma se transforme dans son dispositif même. discrètement depuis plusieurs années, en marge Pour le pire le plus souvent, mais aussi parfois du système d’exploitation traditionnel, fait son pour le meilleur (ou du moins le plus intéressant). petit bonhomme de chemin : en mars 2019, la En février Libération mettait en Une le magnifique retransmission en direct du spectacle Bonne nuit La Flor, avec cette accroche : “Le film de quatorze Blanche de Blanche Gardin dans 150 cinémas à heures de l’Argentin Mariano Llinas […], explose les travers la France, a par exemple battu un record en codes de l’expérience cinématographique”. Et de réunissant 92 000 spectateurs en une soirée. Dans fait, c’était exact : par sa durée hors normes, par sa un autre secteur économique, on remarque que construction en forme de digression infinie, où les les salles accueillent dans le cadre de projections histoires ne se finissent pas, où des parenthèses exceptionnelles un nombre grandissant de films ne cessent de s’ouvrir dans des parenthèses, le auto-produits se frayant une place sur les écrans film invitait à une expérience de spectateur qui hors du circuit de distribution classique, ou bien des n’est ni celle proposée par le cinéma traditionnel documentaires plus ou moins militants circulant ni celle proposée par les séries. C’était en outre à travers la France sous la forme de projections- une expérience de distribution à part, impliquant débats. Pour exister individuellement, pour se se un rapport différent au temps, à l’expérience de la singulariser, les salles de cinéma sont poussées à projection, le film étant diffusé en quatre parties, faire des “coups de programmation”, à faire vivre sorties successivement quatre mercredis d’affilée. leur espace comme lieu de spectacle (dans de plus Cette expérience s’inscrivait dans la continuité en plus de cinémas les places sont numérotées de celle de Senses, film japonais de 5h20, qui, 5 © les Fiches du Cinéma 2019
Adults in the Room de Costa-Gavras présenté en festivals en un seul bloc, avait ensuite, en 2018, été découpé en cinq épisodes et distribué dans les salles en trois parties, avec l’accroche “La première série cinéma”. Globalement ces expériences s’inscrivaient dans une tendance qui tend à se répandre, au développement de projets hors-format, débordant la durée et les structures du récit traditionnel : Nymphomaniac (vaste tapisserie d’épisodes et paraissait dans Le Monde une tribune réagissant à de digressions découpée en deux films), Twin ce rapport et contestant ses conclusions, intitulée Peaks : The Return (série, certes, mais avant tout La France : le seul pays au monde qui pense avoir immense film d’auteur de 12h), Mektoub my Love trop de cinéma d’auteur ! Elle était paraphée par (projet au long cours dont le récit avance lentement 11 organisations professionnels et 800 signataires. dans Canto Uno, puis se tient pratiquement en Pourtant le 25 juillet Dominique Boutonnat était suspension durant les 3h30 d’Intermezzo, et dont nommé à la tête du CNC. Le message adressé à la on ne sait où il ira ensuite). On pourrait encore profession avait le mérite d’être clair : le cinéma est citer les films-fleuve de Lav Diaz, ou, cette année, une entreprise et la feuille de route de son nouveau Un grand voyage vers la nuit, long métrage d’une gérant sera la même que pour toutes les autres. durée raisonnable (2h30) mais contenant deux films Désormais, votre objectif n’est plus d’apporter (du siamois, et jouant sur le rituel de la projection lui- sens, de la pensée, de la beauté, du prestige) mais même, en opérant un passage à la 3D dans sa de rapporter, comme tout le monde. seconde partie. Dans un autre registre, les 3h30 de The Irishman étant diffusées sur Netflix, une Quand, en 2007-2008, Pascale Ferran avait fait un proposition de découpage de l’œuvre en quatre combat de la défense de ce qu’elle appelait les parties, établie par des internautes, a circulé pour “films du milieu”, le message n’était pas toujours permettre de la regarder comme une mini-série. bien passé, beaucoup y voyant alors le combat d’un Dans la matière même des films, dans la façon cinéma bourgeois, sur-subventionné, cherchant à de les diffuser et de les voir, dans le rapport que défendre ses privilèges. Pourtant la formule “le les spectateurs peuvent avoir eux, plus rien n’est milieu n’est plus un pont mais une faille” (titre stable. du “rapport de synthèse” de son Club des 13), aurait pu être mieux entendu, comme le constat ART CONTRE INDUSTRIE d’un phénomène systémique, rapidement appelé à concerner tout le monde. Car aujourd’hui nous S’il y a donc un devenir-programme des films, en sommes là. La faille est profonde. Il y a deux un devenir-télévision des salles, c’est avant tout mondes, disons celui de l’art et celui de l’industrie parce qu’il y a un devenir-produit de tout. Et ce qui pour reprendre une dernière fois les termes d’une a changé c’est que ce que l’on appelait “l’exception formule usée jusqu’à la corde, qui a surtout servi culturelle” (qui signifiait qu’un bien artistique ne à faire passer la pilule du virage néo-libéral dans peut pas être un produit commercial comme le monde du cinéma. Les deux se font face. Ils se les autres) n’est pratiquement plus protégée regardent mais ont de moins en moins à voir l’un par les pouvoirs publics, le respect de la chose avec l’autre. artistique et intellectuelle n’étant plus ancrée dans les mœurs comme elle l’a longtemps été. Dans Adults in the Room de Costa Gavras, Au mois de mai, Dominique Boutonnat remettait un reconstitution du bras de fer entre le ministre des rapport sur le financement privé de la production finances grec Yanis Varoufakis et les institutions et de la distribution. Y était notamment défendue européennes autour de la question de la dette en l’idée qu’il se produit trop de films en France, 2015, on pouvait voir à l’œuvre cette logique de diagnostic assorti du constat que la moitié de ces séparation des mondes, quand elle est poussée films fait moins de 50 000 entrées. Implicitement, il jusqu’à l’absurde, et que la logique, le bon sens était donc suggéré que c’est dans cette production ou l’honnêteté ne peuvent plus intervenir pour “improductive” qu’il faudrait tailler. Début juillet, faire le lien. Le livre de Varoufakis dont le film est 6 © les Fiches du Cinéma 2019
Synonymes de Nadav Lapid Joker de Todd Phillips adapté posait en exergue à son récit la description tendance plus vaste), formant une suite parfaitement d’une ligne de séparation du monde : d’un côté cohérente autour de l’idée d’une société - et d’un les “insiders” (ceux qui sont dans le système et en cinéma - en guerre. assurent coûte que coûte la pérennité) et de l’autre Joker et Synonymes ont en commun d’être, les “outsiders” (ceux qui sont en dehors). La lutte esthétiquement et thématiquement, entièrement qui était ensuite décrite était ainsi posée comme structurés autour de systèmes d’oppositions. Film celle d’un outsider contre les insiders, et donnée d’exil, de reniement patriotique et de quête d’un pour cette raison comme perdue d’avance. Insiders territoire, Synonymes, est entièrement traversé / Outsiders, c’est sans doute là qu’est aujourd’hui par les frontières : entre le corps et le langage, les la grande ligne de rupture. Celle qui englobe riches et les pauvres, ici et ailleurs, les juifs et les toutes les autres. Celle qui traverse la société en autres, le fantasme et le réel, etc. Et soit dit en la divisant en deux, mais aussi celle qui trace un passant il reconduit (côté israélien) le constat que fait lien entre des secteurs et des gens qui pouvaient également (côté palestinien) cet autre récit d’exil être jusqu’ici éloignés, mais que le fait d’être mis qu’est It Must be Heaven d’Elia Suleiman : on dans le même sac rassemble : chômeurs, ouvriers, n’échappe pas à Israël, car aujourd’hui la zone de migrants, intellectuels, fonctionnaires, artistes, conflit est partout, la tension est la même partout. idéalistes, etc. Dans Joker, même principe de balancier entre des contraires : la comédie / la tragédie, les pauvres / DEDANS CONTRE DEHORS les riches, le dedans / le dehors, la folie / la raison… Et on peut encore retrouver le même principe, par Cannes, Berlin, Venise : Synonymes, Parasite, Joker. exemple, dans le Zombi Child de Bonello, qui lui En 2019, dans les trois festivals du grand Chelem, aussi avance continuellement sur deux plateaux : les grands prix (Ours, Palme, Lion) ont tous été le passé et le présent, les vivants et les morts, les à des films que l’on n’attendait pas forcément si noirs et les blancs, les élites de la Nation et les haut (surprise à chaque fois assez réjouissante), damnés de la Terre, le savoir et la croyance, etc. Le mais surtout à un brelan d’œuvres agressives, monde est clivé et les films s’en ressentent jusque désespérées (et représentatives en cela d’une dans leur forme. 7 © les Fiches du Cinéma 2019
Us de Jordan Peel De Parasite à Joker courait l’axe d’une lutte des haute société en en supplantant le personnel de classes durcie et radicalisée, auquel ils n’étaient maison. Dans Synonymes, un jeune couple des pas les seuls à être accrochés. Comme l’a dit la beaux quartiers recueille dans son appartement sociologue Monique Pinçon-Charlot : “Les ouvriers un exilé, débarqué d’Israël, arrivé devant sa porte sont passés du statut d’exploités au statut de nu comme l’enfant qui vient de naître. Dans Us les déchets. C’est un processus de déshumanisation doubles négatifs (pauvres, abîmés, bancals) de où les ouvriers, les salariés, les intellectuels, les familles bourgeoises remontent des profondeurs journalistes, qui sont les créateurs de richesse, qui pour forcer l’entrée de leur maison, les tuer et sont ceux qui font fonctionner l’économie réelle, prendre leur place. Dans Chanson douce, une deviennent des coûts, des charges, des problèmes, nounou psychotique vient introduire le danger des variables d’ajustement, des lignes comptables.” dans un foyer bobo. Dans Une fille facile, l’image Traduction en images : dans le bien nommé Parasite matrice est encore une image d’opposition : le port ou le pas mal nommé non plus Us de Jordan de Cannes, et d’un côté les yachts de l’autre les Peel, les pauvres sont montrés comme vivant bars populaires. En douceur cette fois, par la voie très littéralement terrés comme des rats, dans transversale de la séduction et du sexe, quelques Atlantique la société les rejette à la mer et dans personnages du dehors sont invités à passer à Bacurau ils sont convertis en gibier pour les safaris l’intérieur. Et une fois de plus l’histoire sera ensuite de quelques ultra riches, tandis que leur village est celle de cette intrusion et des rapports de forces physiquement effacé des cartes de Google Maps. qu’elle induit. Dans tous ces cas, évidemment, le cinéma met en scène ce qui, pour n’importe quel scénariste ou n’importe sociologue, apparaîtra comme PAROLE CONTRE SILENCE la conséquence inévitable de cette situation, à savoir la réplique, violente, sanglante, qui dans C’est encore sur une ligne de rupture que s’est Joker se formule en un slogan : “Kill the Rich” . joué le dernier temps fort de l’année : la séquence Enfin entre les trois grands primés, courait une Adèle Haenel. On pourrait croire que cette ligne image et un thème récurrents de l’année : la est celle de la guerre des sexes. Mais en premier maison, l’entrée de l’étranger ou de l’adversaire lieu ce qui se joue dans cette affaire, c’est toujours dans la maison. Dans Joker, il y a ceux qui sont le prolongement de la même ligne. Car ce qu’a dedans et ceux qui sont dehors. Il y a ceux qui sont fait exploser en premier lieu ce témoignage, dans la télévision et ceux qui sont devant. Il y a c’est l’antagonisme entre ceux qui ont la parole ceux qui sont dans les palais et ceux qui sont à la et ceux qui ne l’ont pas ; ceux que le fait d’être grille. Après avoir été l’incarnation de la seconde à l’intérieur du système protège et ceux que le catégorie, le héros va, avec toute la violence du fait d’être à l’extérieur rend inaudibles. Pourtant, refoulé faisant retour, entrer dans la télévision et ce surgissement de la parole, en l’occurrence, forcer la porte du palais. Dans Parasite, une famille venait de l’intérieur. Adèle Haenel l’a dit de pauvre s’infiltre peu à peu dans une famille de la façon on ne peut plus claire : elle prenait la 8 © les Fiches du Cinéma 2019
Le Traître de Marco Bellocchio J’accuse de Roman Polanski parole parce que elle – connue et reconnue, et le maire de Nicolas Pariser, où un insider, socialement tout à fait bien intégrée – pouvait maire de Lyon, homme de pouvoir accompli, fait se le permettre, mais elle parlait avant tout appel à une outsider, philosophe, intellectuelle, pour “les autres” (comprendre : les “outsiders”). pour réactiver sa capacité à produire des idées. Étrangement, cette idée que la libération de la La faillite des institutions (que l’on peut recroiser parole doive venir de l’intérieur avait déjà été dans Hors normes, où elles se montrent incapables formulée dans des films, comme l’expression de gérer les cas d’autisme trop graves et se d’une aspiration de l’époque. C’est le cas par reposent alors - tout en la contestant - sur la exemple dans Grâce à dieu de François Ozon, qui bonne volonté d’un éducateur de la société civile, évoque l’affaire (authentique) du père Preynat, ou dans Les Misérables, où un caïd en maillot prêtre pédophile, et du Cardinal Barbarin, accusé de foot est appelé - et considéré comme - “le de l’avoir couvert. En effet, dans cette histoire, le maire” dans son quartier…) est génératrice de personnage qui déclenche le processus judiciaire nouveaux modes d’action et de communication. qui mènera à la condamnation du prêtre, mais On le voit partout dans le monde et chez nous le avant cela à la création d’une association nommée cas des Gilets jaunes en est un exemple frappant. La Parole libérée, est un catholique convaincu. S’il L’intervention d’Adèle Haenel peut en être un trahit l’institution catholique c’est par fidélité aux autre exemple. Car l’effet de surprise suscité par valeurs catholiques et à la haute image qu’il se fait la forme que prenait sa démarche a pesé dans son de ce que doit être l’Église. En cela, son attitude impact. Or cette démarche prenait sa source dans est absolument semblable à celle de Tommaso une volonté affirmée de contourner la procédure Buschetta vis-à-vis de la camora sicilienne dans habituelle et les institutions concernées. “La Le Traître de Bellocchio et que celle du Colonel justice nous ignore, on ignore la justice” affirmait Piquard vis-à-vis de l’armée dans (curieux paradoxe) le J’accuse de Polanski. L’un et l’autre l’actrice en ouverture du dossier de Mediapart. sont de fidèles soldats, qui se retournent contre Sur cette question du langage, le cinéma peut l’institution lorsque celle-ci leur semble faillir à son paraître quelque peu à la traîne par rapport à la code de l’honneur. Le “traître positif” aura donc été société, dans la mesure où lui n’a pas encore su une figure importante de l’année 2019, comme une produire des prototypes ayant suffisamment force cristallisation du rapport de défiance que l’époque d’évidence pour créer un véritable engouement entretient avec le pouvoir et les institutions, comme populaire (Joker est à peu près le seul film de un horizon d’attente. En effet, ce personnage, qui l’année à avoir réussi l’équation entre connexion a à voir avec les lanceurs d’alerte contemporains, avec l’époque, originalité dans l’approche et est aussi une représentation de ce que l’on attend rencontre avec le public). Néanmoins on sent que sans doute des hommes politiques aujourd’hui : tous les ingrédients sont déjà dans les éprouvettes qu’ils trahissent la classe politique au nom du pour y parvenir. Il ne reste qu’à trouver le bon respect de la fonction politique. C’est d’ailleurs dosage. Les années 20 peuvent commencer. plus ou moins le fantasme que caresse Alice Nicolas Marcadé 9 © les Fiches du Cinéma 2019
TOP 10 DE LA RÉDACTION 1. Parasite de Bong Joon Ho 2. Le Traître de Marco Bellocchio 3. Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma 4. Joker de Todd Phillips 5. Douleur et Gloire de Pedro Almodóvar 6. Ad Astra de James Gray So Long, My Son de Wang Xiaoshuai 8. Midsommar de Ari Aster 9. Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles Sorry We Missed You de Ken Loach Puis... : 11. Les Éternels de Jia Zhang-ke La Flor de Mariano Llinás Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino 14. Alice et le maire de Nicolas Pariser 15. La Favorite de Yorgos Lanthimos Les Misérables de Ladj Ly 90’s de Jonah Hill Nuestro tiempo de Carlos Reygadas Sibyl de Justine Triet 10 © les Fiches du Cinéma 2019
Brooklyn Affairs (Motherless Brooklyn) de Edward Norton Un détective privé, cherchant à comprendre les causes FILM NOIR Adultes / Adolescents de la mort de son patron, se retrouve emporté dans le New York véreux des années 1950. Ce deuxième u GÉNÉRIQUE film d’Edward Norton déborde (trop) d’ambition Avec : Edward Norton (Lionel Essorg), Gugu Mbatha-Raw (Laura et convoque les fantômes des grands films noirs. Rose), Alec Baldwin (Moses Randolph), Bobby Cannavale (Tony Vermonte), Willem Dafoe (Paul), Bruce Willis (Frank Minna), Ethan Suplee (Gilbert Coney), Cherry Jones (Gabby Horowitz), Dallas Roberts (Danny Fantl), Josh Pais (William Lieberman), Radu Spinghel (le géant), Fisher Stevens (Lou), Peter Lewis (le maire), Robert Ray Wisdom (Billy Rose), Michael Kenneth Williams (le trompettiste), Nelson Avidon (Jacob Gleason), DeShawn White (Betty), Leslie Mann (Julia Minna), Joseph Siravo, Isaiah J. Thompson, Russell Hall, Joe Farnsworth, Jerry Weldon, Eric Berryman Jr., Migs Govea, Erica Sweany, Katy Davis, Olli Haaskivi, Yinka Adeboyeku. Scénario : Edward Norton D’après : le roman Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem (1999) Images : Dick Pope Montage : Joe Klotz 1er assistant réal. : Adam Escott Musique : Daniel Pemberton Son : Danny Michael Décors : Beth Mickle Costumes : Amy Roth Effets spéciaux : Jimmy Hays Effets visuels : Mark Russell Dir. artistique : Michael Ahern Maquillage : © Warner Bros. Louise McCarthy Casting : Avy Kaufman Production : Class 5 Films et MadisonWellsMedia Pour : Warner Bros. Producteurs : Bill Migliore, Edward Norton, Michael Bederman, Gigi Pritzker, HHH Pour sa deuxième réalisation après Au nom Rachel Shane, Robert F. Smith et Daniel Nadler Distributeur : d’Anna en 2000, l’acteur Edward Norton porte à l’écran Warner Bros. le roman Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem, dont il avait acquis les droits à sa publication en 1999. 144 minutes. États-Unis, 2019 Un cheminement de près de vingt ans pour cette adaptation Sortie France : 4 décembre 2019 ambitieuse, qui transpose l’action du roman des années 1990 u RÉSUMÉ dans les années 1950. Norton envisage son long métrage New York, 1957. Lionel Essrog travaille pour l’agence de comme un pur film noir, respectueux du genre mais dénué détectives de Frank Minna. À l’issue d’un rendez-vous avec de toute révérence excessive. Un objectif qu’il ne tient pas William Lieberman, Frank est blessé et meurt. Julia, sa veuve, dans son exposition, sage et explicative, qui aurait gagné confie la direction de l’agence à Tony Vermonte. Un indice trouvé à être resserrée. Mais, une fois entré dans le vif du sujet dans les affaires de Frank mène Lionel au King Rooster, - l’enquête initialement revancharde qui anime Lionel -, un club de jazz à Harlem tenu par Billy Rose. Lionel y remarque le film plonge dans des méandres narratifs envoûtants. Laura, la fille de Billy et secrétaire de la politicienne Gabby Le talent d’écriture de Norton est de raconter avec simplicité Horowitz. Il les suit à un conseil municipal : le maire et le responsable du développement urbain, Moses Randolph, une intrigue aux abords très complexes et aux ramifications sont pris à parti par l’assistance pour leur gestion des tentaculaires (tendance Chinatown), tout en ne quittant résidences Inwood, déclarées à tort insalubres. presque jamais son “privé” atypique. Le récit comme SUITE... Lionel y fait la connaissance de Paul, et sympathise avec le spectateur avancent ainsi au gré des rencontres de Lionel, Laura. Billy le prend pour un sbire de Moses et le fait passer à de la progression aléatoire de ses investigations. Et ainsi, tabac. Lionel découvre que Paul, ingénieur, est le frère de Moses, le cinéaste en vient à aborder de façon naturelle le cœur de et que Lieberman reçoit des dessous-de-table sur des son sujet : l’embourgeoisement du New York des années opérations immobilières. Billy est assassiné. Amoureux de 1950, exécuté à grand coups de projets urbains et de Laura, Lionel lui avoue les raisons de son enquête. Elle lui spoliations des populations de couleur (ici, les Afro- apprend que Paul est son père. Moses pose un ultimatum Américains). Norton introduit une figure du mal (Alec à Lionel : il a 24h pour lui fournir le dossier constitué par Baldwin, imposant et inquiétant à souhait), dont il fait Frank. Lionel retrouve le dossier, lequel contient l’acte de naissance de Laura : Moses est son père. Lionel échappe à la fois le démiurge illuminé d’une métropole ultra moderne, à Tony, à la solde de Moses, et sauve Laura, qui devait être et un vulgaire parrain mafieux perpétuant les méthodes éliminée. Il va voir Moses, qui lui avoue avoir violé la mère du Tammany Hall. Face à lui, Norton apporte sa justesse et de Laura. Lionel négocie avec Moses la sécurité de Laura, sa fragilité à un Lionel loin des clichés du héros de film noir, et lui révèle que Lieberman l’a trahi. Puis il envoie le dossier et le rend résolument attachant. _Mi.G. de Frank à un journaliste, et retrouve Laura. Visa d’exploitation : 151926. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 250 copies (vo / vf). 11 © les Fiches du Cinéma 2019
Ceux qui nous restent de Abraham Cohen En 2013, le cinéma Le Méliès, à Montreuil, est DOCUMENTAIRE Adultes / Adolescents le “théâtre” d’un grave et long conflit social. Ce document partisan s’attache à relater les péripéties u GÉNÉRIQUE de la lutte entre les salariés et la municipalité, Scénario : Abraham Cohen Images : Abraham Cohen et Olga mais surtout son impact sur la vie des protagonistes. Nuevo Roa Montage : Abraham Cohen et Victoria Follonier Production : Ad Libitum Producteurs : Catherine Bizern, Dominique Cabrera et Edmée Doroszlai Distributeur : Ad Libitum. © Ad Libitum 115 minutes. France, 2019 HHH Depuis longtemps, le cinéma Le Méliès est Sortie France : 4 décembre 2019 une institution cinématographique à Montreuil. Cet établissement public est un lieu privilégié de transmission ce qui explique la durée confortable du film, du cinéma et de partage avec les spectateurs, animé cette lutte est ponctuée de petites victoires, de par son directeur artistique, Stéphane Goudet. En 2013, moments de découragement, de dissensions ce dernier, ainsi qu’une partie de l’équipe, sont accusés internes, et de souffrance psychique. C’est là entre autres de détournement de fonds publics, et de fournir que se situe l’intérêt premier de ce film qui s’attache des stupéfiants à des cinéastes invités (!). En conséquence, à nous montrer à quel point le combat militant, quatre membres sont écartés du Méliès par la municipalité, la lutte pour garder son boulot, peuvent s’avérer âpres, avec la bénédiction de sa maire, Dominique Voynet. usants, et parfois mortels à la longue. Les salariés Les salariés du Méliès récusent ces accusations et doutent, souffrent, craquent, tombent malades. s’organisent en collectif. La résistance prend la forme Le réalisateur prend le temps de capter ces moments d’un mouvement de grève pour demander la réintégration incertains, entre deux assemblées générales, où des professionnels. Des débats publics ont lieu dans les personnes vacillent, semblent vaincues par le cinéma, les spectateurs fondent un comité de soutien ; l’épuisement et le découragement. Des extraits le conseil municipal est régulièrement interpellé sur de films diffusés au cinéma commentent les actions cette situation par le collectif et les opposants politiques. en cours sur le terrain du réel. Une façon d’indiquer Les salariés tentent, avec l’appui d’un syndicat, de rencontrer que ce documentaire sur un cinéma en lutte la maire à plusieurs reprises, sans succès. Au bout de se souvient des luttes sociales telles qu’elles plus de 45 jours de grève, le mouvement, épuisé, s’arrête. furent montrées depuis toujours au cinéma. En Une nouvelle direction est nommée. Mais l’affaire n’en reste accompagnant ce petit groupe de combattants, pas là. Et, sur fond de campagne électorale pour les élections on s’aperçoit vite que leur mouvement se confond municipales, la demande de réintégration de l’ancienne avec une haute idée de leur mission : garder équipe reprend du souffle. Certains des candidats, s’ils un lieu vivant de partage et de transmission. En sont élus, font la promesse de valider le retour de l’équipe. mettant en évidence l’investissement personnel Le nouveau maire communiste, après avoir tergiversé, et professionnel de ces personnes, le film milite permet de clore l’affaire. L’équipe historique reprend aussi pour que vive un lieu de diffusion différent, son travail dans un cinéma rénové et agrandi. Ces faits attaché à une certaine idée du cinéma. Et c’est sont relatés dans ce document partisan et militant, au justement avec de bonnes idées de cinéma qu’il plus près de ses acteurs. Étalée sur plusieurs années, y parvient. _J.C. Visa d’exploitation : 143778. Format : 1,66 - Couleur - Son : Mono. 12 © les Fiches du Cinéma 2019
La Famille Addams (The Addams Family) de Conrad Vernon et Greg Tiernan Ces nouvelles aventures de la famille Addams COMÉDIE Famille pâtissent d’un scénario sans surprise et d’une forme impersonnelle. Les plus jeunes apprécieront, mais u GÉNÉRIQUE les amateurs de l’ambiance gothique des films précédents Avec : Oscar Isaac (Gomez Addams), Charlize Theron (Morticia pourront passer leur chemin sans regret. Addams), Chloë Grace Moretz (Mercredi Addams), Finn Wolfhard (Pugsley Addams), Nick Kroll (l’oncle Fétide), Snoop Dogg (la Chose), Bette Midler (Mamie), Allison Janney (Margaux Needler), Martin Short (le grand-père Frump), Catherine O’Hara (la grand-mère Frump), Tituss Burgess (Glenn), Jennifer Lewis (la grande-tante Sloom), Elsie Fisher (Parker), Conrad Vernon (Lurch / le prêtre / l’esrit / le docteur Flambe), Aimee Garcia (Denise), Scott Underwood (Mitch), Mikey Madison (Candi), Pom Klementieff (Layla & Kayla), Chelsea Frei, Deven Green, Maggie Wheeler, Harland Williams. Avec : Kev Adams (Gomez Addams), Mélanie Bernier (Morticia Addams), Alessandra Sublet (Margaux Needler). Scénario : Matt Lieberman et Pamela Pettler, d’après une histoire de Conrad Vernon, Matt Lieberman et Erica Rivinoja D’après : les personnages de Charles Addams (créés en 1938) Montage : Kevin Pavlovic et David Ian Salter Animation : Mike Linton Musique : Mychael & Jeff Danna Son : Tim Chau Décors : Patricia © Universal Atchison et Kyle McQueen Effets spéciaux : Neil Eskuri Dir. artistique : Kyle McQueen Casting : Ruth Lambert et Robert McGee Production : MGM, Bron Creative, The Jackal Group et H Ces nouvelles aventures de la fameuse famille Cinesite Studios Producteurs : Gail Berman, Alison O’Brien et Addams consistent cette fois-ci en un film d’animation Alex Schwartz Distributeur : Universal Pictures. en images de synthèse, inspiré néanmoins des cartoons originaux. Malheureusement, l’esthétique d’ensemble, trop 87 minutes. États-Unis, 2019 lisse, ne nous fait éprouver le côté effrayant de la famille Sortie France : 4 décembre 2019 qu’au tout début, durant le générique. S’inscrivant dans u RÉSUMÉ la mouvance des blockbusters d’animation contemporains Pour assurer sa sécurité, la famille Addams s’est installée - tel Les Indestructibles -, ce style graphique est plus adapté dans un manoir isolé sur une colline du New Jersey. aux personnages “ordinaires” du récit - ainsi, Margaux, Ensemble, ils préparent la Mamoushka de leur fils Pugsley, la présentatrice télé - qu’à la famille Addams elle-même rituel initiatique réservé aux garçons. Mais ce dernier ne et à son décorum gothique. La bande originale, quant à s’intéresse pas à la maîtrise de l’épée, indispensable à cette elle, manque de personnalité, et pourra paraître bien danse, à laquelle il préfère le maniement des explosifs. fade en regard de celles des films de Barry Sonnenfeld. Dans le même temps, le quartier situé au pied de la colline Le scénario insiste fortement sur les relations familiales, mais est rénové par Margaux Needler, architecte d’intérieur et animatrice d’une émission de télévision populaire. Elle c’est au détriment de la comédie, et le parcours initiatique y promeut des maisons préfabriquées qu’elle vend. Un jour, qu’accomplissent les deux enfants prend trop de place. Cette elle remarque l’horrible demeure des Addams. universalisation de l’esprit Addams est peut-être idéale pour SUITE... Mercredi, la fille des Addams, veut découvrir séduire les plus jeunes spectateurs, mais les amateurs de le monde extérieur et aller à l’école. Elle y fait la connaissance l’humour noir propre aux personnages se sentiront oubliés. de la fille de Margaux : elles deviennent amies. Leur relation, Par ailleurs, si la partie consacrée à Margaux aborde des et l’influence qu’elles exercent l’une sur l’autre, déplaisent thèmes actuels - notamment la société de surveillance, fortement à leurs familles respectives. Le jour de la fête la manipulation de l’opinion publique… -, la façon dont le récit de Pugsley, Mercredi quitte la maison, agacée par l’excentricité n’a de cesse de la présenter comme une “méchante” atténue de sa famille. Pugsley, de son côté, rate la danse de notre surprise lorsque sont enfin révélées ses manipulations. la Mamoushka. Aidée des voisins de la famille Addams, De plus, la conclusion, précipitée, n’est absolument pas Margaux attaque le manoir. Pour protéger sa famille, Pugsley utilise des explosifs. Mercredi, quant à elle, revient convaincante : étrange scène que celle où, brusquement, avec son arbre qui marche, sur lequel toute la famille se les adultes s’excusent d’avoir détruit la maison... De même, réfugie après que le manoir a brûlé. Remarquant alors la soudaine idylle entre Margaux et Fester, injustifiée du point qu’ils forment, comme eux, une famille, les habitants du de vue du scénario, conclut le récit par un happy-end sans voisinage deviennent amis avec les Addams, qui s’installent imagination et peu crédible. _K.M. dans le nouveau quartier au pied de la colline. Visa d’exploitation : en cours. Format : 1,85 - Couleur - Son : Dolby SRD. 13 © les Fiches du Cinéma 2019
It Must Be Heaven de Elia Suleiman Ici, le morceau de sparadrap dont, à l’image du CHRONIQUE POÉTIQUE Adultes / Adolescents capitaine Haddock, Elia Suleiman ne parvient pas à se défaire, c’est son propre pays, la Palestine. u GÉNÉRIQUE Il en résulte une absurde comédie de l’absurde, Avec : Elia Suleiman (lui-même), Tarik Copti (le voisin), Kareem d’une magnifique et tendre mélancolie. Indispensable. Ghneim (le fils du voisin), George Khleifi (le serveur du restaurant), Ali Suliman et Fares Muqabaa (les frères au restaurant), Yasmine Haj (la sœur au restaurant), Nael Kanj (l’évêque), Asmaa Azai (la bédouine), Grégoire Colin (l’homme dans le métro), Vincent Maraval (le producteur), Claire Dumas et Antoine Cholet (les ambulanciers), Édouardric Cornet (le sans-abri), Kengo Saito (l’homme du couple japonais), Yumi Narita (la femme du couple japonais), Stephen McHattie (le cartomancien), Raïa Haïdar (la FEMEN), Fadi Sakr (le maître de cérémonie), Kwasi Songu (le chauffeur de taxi), Guy Sprung (le professeur), Nancy Grant (la productrice), Gael García Bernal (lui-même). Scénario : Elia Suleiman Images : Sofian El Fani Montage : Véronique Lange Son : Johannes Doberenz et Lars Ginzel Décors : Caroline Adler Costumes : Alexia Crisp-Jones et Éric Poirier Production : Rectangle Productions, Nazira Films, Pallas Film, Possibles Media et Zeyno Film Production associée : Doha Film © Rectangle Prod. - Nazira Films - Pallas Film - Possibles Media - Zeyno Film Institute, Wild Bunch, Le Pacte, Schortcut Films, Maison 4:3, The Arab Film Fund for Arts and Culture et KNM Coproduction : ZDF / Arte, TRT et CN3 Productions Producteurs : Édouard Weil, Laurine HHH Youpiiii… Après 10 ans de silence, Elia Suleiman, Pelassy, Elia Suleiman, Thanassis Karathanos, Martin Hampel, son personnage d’observateur mutique, d’alter ego rêveur, Serge Noël et Zeynep Ozbatur Atakan Distributeur : Le Pacte. va bien. Il est même en grande forme, n’a rien perdu de son humour distancié, de sa piquante ironie, de sa mélancolie, 97 minutes. France - Qatar - Allemagne - Canada - sa silhouette n’a pas forci, ni cillé son regard, son acuité n’a Turquie - Palestine, 2019. Sortie France : 4 décembre 2019 rien cédé aux discours convenus non plus qu’aux images u RÉSUMÉ toutes faites, peut-être a-t-il même gagné en sérénité. Au Nazareth. Une procession de fidèles suit un pope dans point de tenter ici un pari dopé au toupet : ne pas convertir, une église, jusqu’à la porte d’une pièce où deux hommes comme on pourrait s’y attendre, la Palestine en métaphore se sont enfermés pour s’y saouler. Le pope les en déloge de l’incongruité du monde, mais faire de ce monde comme il sans ménagement. Chaque jour, depuis son balcon, Elia dérape et déraille, la métaphore de la Palestine en promenant regarde son voisin entretenir et cueillir les fruits de son sa dégaine de merle chanteur iossellianien à travers ces citronnier, sans qu’il lui en ait donné la permission. Quelque villes-mondes que sont Paris et New York. Un “less is more” temps plus tard, il quitte le pays et arrive à Paris, dont il à 180° en somme, cul par-dessus tête soudain. Il en résulte arpente les rues. Ici, des policiers vérifient la conformité d’une terrasse de café... Là, des Parisiens se disputent un film drôle, de ce Paris devenu sécuritaire (et désert) où les chaises dans un parc... Là encore, une maraude du les forces de l’ordre semblent ne plus se déplacer qu’en Samu offre un plateau-repas à un SDF... Le 14 juillet, Elia gyroroues et l’armée n’avoir d’autre fonction que défiler marche dans un Paris désert, tout juste traversé, çà et là, à ce New York où chacun vaque à son agitation, mué en par des policiers en gyropode. Devant lui, passent des chars milicien surarmé. Pour le reste, méthode et style ont peu d’assaut, et partout les avions de la Patrouille de France changé. Adossé à un cinéma de l’idée, de la trouvaille et le survolent. Un producteur français le reçoit et lui dit de la notation, It Must Be Heaven égrène, dans un même le plus grand bien de son tout dernier projet... qu’il ne produira toutefois pas, celui-ci n’étant “pas assez palestinien” à son décompte, un ensemble de vignettes, de fables miniatures goût. dont les épilogues dévissent en permanence de leur prévisible morale. Et si, à son sujet, la figure de Buster Keaton se SUITE... Elia part pour New York où, apprenant qu’il est voit souvent évoquée, pour juste que soit cet appairage, les palestinien, un chauffeur de taxis lui offre la course. Dans un magasin, il constate que tous les clients sont lourdement liens de Suleiman avec le cinéma des premiers temps vont armés. Dans un parc, il voit une femme portant deux ailes très au-delà des similitudes de leur allure respective. Ainsi blanches échapper soudain aux policiers qui l’encerclaient... chacune de ces vignettes, qui pourrait fuser seule, a la beauté Son ami Gael Garcia Bernal le présente à un producteur qui définitive, unique, d’une “vue”, d’un plan, d’un film Lumière. ne le reçoit pas. Elia rentre enfin en Palestine où, installé Comprenez combien c’est précieux. _R.H. au comptoir d’un bar, il regarde d’autres clients danser. Visa d’exploitation : 149934. Format : Scope - Couleur - Son : Dolby SRD. 14 © les Fiches du Cinéma 2019
Jumanji : Next Level (Jumanji : The Next Level) de Jake Kasdan Si cet ersatz de Jumanji n’a plus grand chose AVENTURES Adultes / Adolescents à voir avec le film de 1995, il a le mérite d’essayer des choses malheureusement jamais assez u GÉNÉRIQUE audacieuses pour convaincre vraiment. Une comédie Avec : Dwayne Johnson (le docteur Smolder Bravestone), Jack d’aventures qui distraira peut-être les pré-ados. Black (le professeur Sheldon “Shelly” Oberon), Kevin Hart (Franklin “Mouse” Finbar), Karen Gillan (Ruby Roundhouse), Nick Jonas (Jefferson “Seaplane” McDonough), Danny DeVito (Eddie Gilpin), Danny Glover (Milo Walker), Alex Wolff (Spencer Gilpin), Madison Iseman (Bethany Walker), Ser’Darius Blain (Anthony “Fridge” Johnson), Morgan Turner (Martha Kaply), Rhys Darby (Nigel Billingsley), Colin Hanks (Alex Vreeke). Scénario : Jake Kasdan, Jeff Pinkner et Scott Rosenberg D’après : le roman Jumanji de Chris Van Allsburg (1981) et le film Jumanji : Bienvenue dans la jungle de Jake Kasdan (2017) Images : Gyula Pados Montage : Steve Edwards et Mark Helfrich Réal. 2e équipe : Wade Eastwood 1er assistant réal. : Matt Rebenkoff Musique : Henry Jackman Son : Julian Slater et Kevin O’Connell Décors : Bill Brzeski Costumes : Louise Mingenbach Effets spéciaux : J.D. Schwalm Effets visuels : Mark Breakspear et Glenn Melenhorst Dir. artistique : Andrew Max Cahn Maquillage : Robin Fredriksz © Sony Casting : Jeanne McCarthy et Nicole Abellera Production : Matt Tolmach Productions, Seven Bucks Productions et Hartbeat Productions Pour : Columbia Pictures Producteurs : Matt H Les concepteurs du film ne se sont pas trop Tolmach, Dwayne Johnson, Dany & Hiram Garcia et Jake Kasdan cassés la tête pour trouver le nom de ce sequel du reboot Distributeur : Sony Pictures. (comprenez, la suite de la réadaptation) de Jumanji . Le premier, le “vrai”, diront certains, avait terrifié toute 114 minutes. États-Unis, 2019 une génération de gamins avec ses créatures effrayantes. Sortie France : 4 décembre 2019 En 2017, Jake Kasdan relançait l’idée en transformant quatre u RÉSUMÉ ados en avatars de jeux vidéo incarnés par le bodybuildé De retour chez sa mère pour les fêtes, Spencer doit partager Dwayne “The Rock” Johnson et les trublions Jack Black sa chambre avec son grand-père Eddie. Le lendemain, et Kevin Hart aux côtés de Karen Gillan, toujours aussi Spencer retrouve à la cave les morceaux de sa vieille légèrement vêtue. La bonne idée de ce Next Level, avec console, tandis que son grand-père reçoit la visite de son aux manettes le même Jake Kasdan, c’est d’avoir échangé ancien ami et associé Milo. Inquiets de ne pas le voir à leur les avatars du reboot pour mettre, par exemple, le grand- brunch, Bethany, Martha et Fridge vont le chercher chez père Danny de Vito dans le corps de Dwayne Johnson. Cela lui. Il a disparu. Ils s’approchent de la console, et Fridge et marcherait tout à fait si les acteurs étaient capables de Martha sont transportés dans Jumanji, dans les avatars respectifs de Shelly et Ruby. Ils retrouvent Eddie et Milo, jouer ces différences, mais à part Jack Black, toujours devenus Bravestone et Moose. irrésistible, et Awkwafina qui seule parvient à vraiment laisser transparaître ses “hôtes”, force est de constater que la sauce SUITE... Ils apprennent par Nigel que pour sortir du jeu ils doivent récupérer le Joyau faucon que Jürgen le Brutal a ne prend jamais vraiment. Le scénario n’ose pas exploiter volé. Nigel les lâche en avion dans le désert, où ils échappent ces changements, préférant nous resservir l’idylle entre de justesse à l’attaque d’un troupeau d’autruches. Arrivés à le “beau gosse” (Johnson) et la fille canon (Gillan) au détour une oasis, ils retrouvent dans un bar Spencer, dans l’avatar d’une “retransformation” vraiment trop simple. L’histoire, de Ming, qui essaie de voler le joyau. Ils réussissent tous à elle, est un divertissement assez classique qui réserve le s’échapper et parviennent à récupérer le fruit de Jumanji. pire (l’inutilement longue séquence avec les autruches) et Ils parviennent à un canyon qu’ils traversent en échappant le mieux, comme cette traversée de canyon, digne d’un bon à des singes, et retrouvent Alex avec un cheval qui n’est jeu de plate-forme, sur des ponts de singes flottants et avec autre que Bethany. Ils sautent dans une eau étrange et retrouvent chacun leur avatar préféré. Eddie est désormais des mandrills bien vivants et particulièrement méchants à Ming et Milo le cheval. Tous pénètrent dans le donjon de leurs trousses. La deuxième partie est dans l’ensemble mieux Jürgen le brutal. Alex va sauver Milo, qui a été capturé, et réussie que la première, notamment parce qu’elle laisse Bravestone et Ruby libèrent Ming. Bravestone se bat avec justement davantage de place à Jack Black. Un troisième Jürgen et récupère le joyau. Milo, malade, décide de rester film est déjà annoncé. _M.Q. dans Jumanji. Les autres retournent dans le monde réel. Visa d’exploitation : 151932. Format : Scope (2D / 3D) - Couleur - Son : Dolby SRD. 15 © les Fiches du Cinéma 2019
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