L'Allemagne et sa Résistance - Fndirp
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mémoire L’Allemagne et sa Résistance Comment l’image de la résistance allemande a-t-elle évolué en Allemagne même, de la défaite nazie à l’instauration des deux Allemagnes, jusqu’à nos jours ? Sujet complexe et pourtant riche d’enseignements. L a mémoire d’une Résistance antinazie menée par des Allemands n’est pas portée par une majorité de la population, mais seulement par des groupes minori- 1946, n’ont d ’ailleurs pas eu lieu en Allemagne, mais en Suisse, parmi lesquelles le Journal de l’ancien diplo- mate Ulrich von Hassel, résistant exécuté en 1944 (2). taires. Telle est la première constatation du professeur Les premières publications concernant la résistance Johannes Tuchel, directeur du Mémorial de la Résistance ont été des biographies ou autobiographies, provenant allemande de Berlin, avec l’étude consacrée à la ques- le plus souvent des milieux bourgeois. La lutte des mi- tion, parue dans le numéro de la r evue Informations du lieux ouvriers n’apparaissait pratiquement pas, sauf « Cercle d’études Résistance allemande 1933-1945 » (1), exception. La guerre froide et la vigilance des auto- publié à l’occasion du Cinquantième anniversaire de rités américaines excluaient dans les faits toute allu- l’association. Nous avons souligné à plusieurs reprises sion à des militants de gauche résistants. Peu d’études l’importance de ce groupement, justement couronné universitaires leur ont été consacrées, mises à part des récemment par plusieurs hommages importants. publications de l’université de Marburg, rarement ci- « Les voies vers la reconnaissance de la Résistance an- tées à l’époque. tinazie dans l’Allemagne d’après-guerre ont été diffi- Un début d’ouverture semble se faire dans les années ciles, toutes les formes et les actions de la résistance 1960, où un début de réhabilitation des milieux de n’étaient pas admises, nombre d’entre elles ont été l’émigration se dessine timidement. Le facteur déclen- longtemps controversées ou sont même restées igno- chant se trouve dans des campagnes de dénigrement, rées », observe le professeur Tuchel. En Allemagne de voire de diffamation, visant le c hancelier de RFA de l’ouest, un jugement négatif dominait sur le thème l’époque, le social-démocrate Willy Brandt (3), résistant d’une soi-disant « trahison » envers le r égime. Les seuls émigré en Suède durant le nazisme. L’ouverture à la à célébrer la résistance étaient les s urvivants et leurs résistance se limitait pourtant encore à cette époque proches. Les premières publications sur le sujet, dès au complot militaire qui aboutit à la tentative lll (1) Informationen, Wissenschaftliche Zeitschrift des Studienkreises Deutscher Widerstand 1933-1945, pages 3 à 8, n° 85, juin 2017, 42e année (en allemand). (2) Ulrich von Hassel – Journal d’un conjuré 1938-1944, traduction française parue chez Belin collection Poche, 11,50 euros. (3) Herbert Frahm, membre du Parti socialiste des travailleurs (Socialistische Arbeiter Partei), prend le pseudonyme de Willy Brandt, se rendant à Dresde en février 1933 pour une réunion clandestine de son parti désormais interdit. Il suivra comme journaliste la guerre d’Espagne. Révoqué de sa nationalité allemande, il obtient la nationalité norvégienne en 1940. Arrêté sous l’uniforme norvégien, il réussit à se réfugier en Suède, où il réside jusqu’à la fin de la guerre. Situé dans l’ancien état-major de l’armée où eut lieu l’attentat visant à renverser le pouvoir hitlérien le 20 juillet 1944, le Mémorial de la Résistance allemande fut ouvert en 1968, fondé sous la pression d’anciens résistants. Agrandi en 1979, il est doté d’une exposition permanente depuis 1989, restructurée en 2014.
mémoire nationale, mais plutôt considérés avec suspicion. En Allemagne de l’est, la république démocra- tique allemande, les choses étaient plus simples au début. Le SED (4) au pouvoir se réclamait de la Résistance antinazie, celle des milieux ouvriers et du parti communiste en tête et la RDA était héri- tière l égitime de la Résistance. La réalité était plus complexe. Encore en 1945-1946, on trouvait des jugements positifs sur les acteurs du 20 juillet 1944, mais peu à peu, on passa au « putsch impérialiste des généraux ». Après 1947 c’est la seule résistance communiste qui avait droit de séjour. Là où dès 1945, des groupements antifascistes de constituaient pour éviter un retour du nazisme, une prise en mains d’origine soviétique (l’occu- pant) eut lieu, les « Comités antifascistes » locaux furent interdits au bout de quelques mois, et même Hans et Sophie Scholl l’Association des victimes du régime nazi (VVN) avec Christophe fut dissoute en 1953. Probst à Münich lll d ’assassinat d’Hitler le 20 juillet 1944. C’est seule La recherche dépendait en RDA de l’Institut pour le 24 juillet 1942. ment peu à peu, qu’une autre facette de l’opposition, le marxisme-léninisme du comité central du SED Tous trois seront dans certains milieux bourgeois, comme le « Cercle et de l’institut pour l’Histoire allemande de l’aca- condamnés à mort de Kreisau » commença à être admise comme facteur démie des sciences. Bien entendu, la seule résis- par le Tribunal du de la résistance. On parla même, prudemment, d’élé- tance possible avait été dirigée par le Parti commu- peuple le 22 février ments ouvriers dans la Résistance… niste. Les groupements conservateurs ou celui de 1943 et exécutés le jour même. Au Le printemps 1968 joua son rôle. On osa enfin men- Stauffenberg étaient tout simplement tabous, mais printemps 1942, tionner la possibilité de la résistance du Parti commu ils ont fondé la niste allemand (KPD), comme de groupes marginaux Rose blanche, rattachés au socialisme, d’ailleurs sans que le par- mouvement de jeunes ti social-démocrate (SPD) apparaisse. En fait, c’est et universitaires seulement autour de 1997 que la résistance ouvrière antinazis qui diffusa trouve enfin une place appropriée dans les recherches six tracts avant sa concernant la lutte intérieure antinazie. En particu- terrible répression. lier un maxi-projet de l’historien Martin Broszat, une Bavière sous le nazisme dont 6 volumes parurent à partir de 1977, mit en lumière la place considérable de la lutte ouvrière. De très nombreux entretiens avec des résistants survivants permirent notamment de se faire une idée plus précise des actions et des moti- vations de résistants jusque-là anonymes, apportant enfin un éclairage plus juste, par rapport aux sources longtemps plus ou moins uniques des rapports de la Timbre poste en hommage au pasteur Gestapo et des tribunaux nazis. Niemöller. Image de Katefannay. Fondateur du Pfarrernotbund pour le respect Entre guerre froide de l’église réformée dénonçant les persécutions nazies avec plus de 6 000 et occupation soviétique pasteurs en 1933, il sera déchu de ses Au moment de la réunification entre la République fonctions. Arrêté en 1937, il fut déporté fédérale allemande et la République démocratique à Sachsenhausen. allemande en 1989, la situation de la recherche sur la résistance antinazie à l’ouest était simple : on avait des études ont pourtant eu lieu dans les a nnées 1970- trop attendu, scientifiquement et p olitiquement. 1980 autour d’activ ités résistantes de milieux chré- La raison est sans doute que les Allemands ont été tiens. Par ailleurs, si la résistance communiste était globalement du côté du crime, et que les résistants bien étudiée, seuls avaient droit à l’histoire ceux qui ont été peu nombreux et en général, très isolés. Bien avaient toujours suivi et suivaient encore la ligne des domaines de la résistance antinazie n’ont pas officielle. Les dissidents, les sociaux-démocrates, été vus comme éléments de l’histoire de la l iberté les résistants individuels n’existaient pas. (4) Sozialistische Einheitspartei Deutschlands, parti socialiste unifié d’Allemagne. 12 LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 926 - janvier 2018
Statue d’Ernst Thaelmann, à Berlin dans le parc qui porte son nom, réalisée par le sculpteur soviétique Lev Kurbel entre 1981 et 1986. Ce parc fut inauguré en avril 1986 pour le centième anniversaire du responsable du Parti communiste allemand, exécuté à Buchenwald en 1944. Après la chute du Mur et les bouleversements de du Pr. Johannes Tuchel est catégorique : « L’étude de 1989, l’Allemagne réunifiée commença à voir la la Résistance et l’Histoire contemporaine ne peuvent Résistance allemande d’un autre œil. avoir de succès qu’en prenant en compte la multiplicité de ses formes, si les chercheurs conservent un regard Diversité des résistances attentif et un jugement libre de parti pris, et s’ils ont Mais c ertains thèmes restaient objet de contro- également la volonté de prendre en compte la totalité de verses : le rôle des communistes, le groupe d’espion- l’éventail des comportements possibles. La Résistance nage et de propagande connu comme « Chapelle se voit alors comme le seul choix opposé à l’adaptation Rouge » (Rote Kapelle), la position des déserteurs, et au suivisme de la plupart des Allemands ». trop facilement classés comme des lâches fuyant le danger, et bien entendu le Comité national Lieux de mémoire Allemagne libre, créé en Union soviétique parmi Dans le même numéro de la revue, on trouve une les prisonniers de guerre allemands, actif par la série de courts articles sur les lieux de mémoire radio comme sur les fronts, par l’intermédiaire de la Résistance en Europe. L’expression de cette entre autres, de stations mobiles de haut-parleurs mémoire est souvent fort différente d’un pays à qui se déplaçaient le long des fronts pour haran- l’autre, apparue dans l’immédiat après-guerre dans guer les troupes n azies. L’idée d’une Résistance, certains pays, mais ailleurs parfois seulement des lutte pour le rejet d’une dictature criminelle, n’était décennies plus tard. L’apparition d’institutions pas encore admise, bloquée en général par le res- ou de musées consacrés à la Résistance a été en pect d’un pouvoir en place. général tardive. Il faut aussi avoir conscience du fait que ceux qui ont En Autriche, en Norvège ou aux Pays-Bas, c’est dans résisté appartenaient à des tendances très d iverses, la capitale, que l’on trouve cette trace. En France, voire opposées. Il faut reconnaître leur action, même chaque département a son musée de la Résistance, si leurs motivations nous sont étrangères, ou même comme en Italie. Des informations se trouvent dans incompréhensibles. Aucun grand groupe social n’a ce numéro sur l’Italie, la Slovaquie, le Luxembourg, résisté en bloc, il s’est toujours agi d’isolés, et jamais les Pays-Bas, le Danemark, la France, la Norvège, des résistants d’origines diverses ne se sont rassemblés l’Autriche et la Pologne. sous une étiquette commune. La conclusion de l’étude Jean-Luc Bellanger LE PATRIOTE RÉSISTANT N° 926 - janvier 2018 13
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