L'aménagement du littoral par la mission Racine - BelvedeЯ +
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La grande planification de l’État à l’épreuve du temps L’aménagement du littoral par la mission Racine Pascal FOURCADE Il y a près de 55 ans, la mission Racine 1 a redessiné le littoral du Languedoc-Roussillon, depuis la petite Camargue jusqu’à la côte catalane, en érigeant sept grandes stations balnéaires quasiment ex nihilo, sur une côte sableuse encore préservée du tourisme de masse. Extrait de Paris Match, août 1964 30 BelvedeЯ n° 5 / juillet 2019
L’aménagement du littoral par la mission Racine C e sont près de 200 km de Quel contexte local ? La mission d’État, du nom de Pierre plages de sable fin, ponc- Racine, alors directeur de cabinet du tuées par les embouchures Largement dominé par les espaces Premier ministre Michel Debré, se de quelques fleuves côtiers capri- naturels, le littoral régional n’est prépare dans une grande discrétion : cieux et rythmées par la présence de pas dépourvu d’occupation elle ambitionne de transformer le grandes lagunes, qui sont à l’échelle humaine. La présence des lagunes Languedoc en nouvelle Floride. de ce projet d’ampleur imaginé par et des marécages limite le dévelop- Après avoir constitué une réserve le général de Gaulle et mis en œuvre pement touristique, mais toute une foncière de près de 1 200 hectares par son premier ministre Georges économie liée à la mer et aux étangs à l’emplacement des futures sta- Pompidou. s’y est développée. Aux cabanes de tions, les travaux sont engagés en pêcheurs se sont ensuite ajoutées 1965 sur le site de la Grande-Motte, les villas du front de mer, souvent puis, dès 1968, à Port Leucate, édifiées par les habitants des plaines Port Camargue et Port Barcarès. roussillonnaise et languedocienne, Pierre Racine s’entoure de plusieurs comme au Grau d’Agde ou encore à équipes d’architectes pour consti- Canet-Plage qui bénéficie de l’arri- tuer cette nouvelle offre d’héberge- vée du tramway reliant les plages à ment de 500 000 lits touristiques, Perpignan dès 1900. À Gruissan, ce dotée d’équipements de services et sont les Narbonnais qui édifient les de loisirs. premiers chalets dès la fin du XIXe À la Grande-Motte, la « cité des siècle. Ils seront mis sur pilotis pyramides » est l’œuvre de Jean quelques années plus tard pour faire Balladur, tout comme les marinas face aux coups de mer. de Port Camargue qui s’inspirent Le littoral attire également les de celles de la Floride et qui s’orga- classes plus populaires qui ont nisent autour du premier port de fait vivre quelques villages de plaisance d’Europe. À Leucate et au cabanes dont certains, comme celui Barcarès, c’est l’architecte Georges du Bourdigou près de Torreilles, Candilis qui opère en s’inspirant ont regroupé près de 5 000 per- notamment de la Grèce, alors que sonnes au début des années 1970. Jean Le Couteur dessine le Cap Incompatibles avec le standing des d’Agde en s’imprégnant des villages nouvelles stations balnéaires, ces languedociens. constructions furent progressive- Cette planification à grande échelle ment rasées par les autorités, géné- est parfois accueillie localement rant des oppositions parfois fortes avec une certaine circonspection. localement. Elle génère des travaux pharao- niques opérés par des sociétés d’éco- Quelle vision, quelle genèse ? nomie mixte qui permettent rapide- ment au littoral régional de se hisser Les 7 nouvelles unités touristiques, parmi les premières destinations tou- Port Camargue, La Grande-Motte, ristiques. Souvent visionnaires, les Carnon, le Cap d’Agde, Gruissan, architectes en chef ont fait la part Port Leucate, Port Barcarès et Saint- belle aux mobilités actives avec des Cyprien, sont nées d’une volonté de déplacements qui, pour l’essentiel, l’État de développer le tourisme de peuvent s’effectuer à pied ou à vélo. masse, mais aussi de limiter l’éva- Cette planification « descendante » sion de la clientèle touristique fran- s’est aussi révélée précurseuse pour çaise vers la Costa Brava et, plus la place de la nature en ville. La 1. Mission au sud, jusqu’à la Costa Blanca, au Grande-Motte, qui est certainement interministérielle moment où la quatrième semaine de la station la plus emblématique de pour l’aménagement congés payés vient d’être votée par la mission, en est l’exemple par- touristique du littoral du Languedoc- l’Assemblée nationale. fait avec ses larges espaces voués Roussillon n° 5 / juillet 2019 BelvedeЯ 31
L’aménagement du littoral par la mission Racine aux essences méditerranéennes torales où se développent les amé- sité, mais aussi un espace fragile et qui enveloppent les pyramides de nités urbaines propices à une vie à menacé, notamment par la présence béton et créent de véritables îlots de l’année, plébiscitée par les résidents de risques naturels : inondations nature. permanents. et submersion marine, auxquelles Ces évolutions ne sont pas sans poser s’ajoute le problème de l’érosion du Une œuvre inachevée ? quelques problématiques nouvelles trait de côte plus ou moins specta- sur l’adaptation des logements et des culaire selon les secteurs. La péren- Le choc pétrolier de 1973 est nombreux studios cabines à de l’ha- nité de la ressource en eau constitue venu mettre un terme à cette épo- bitat principal ; confort thermique, également un enjeu dans certains pée, plombant la huitième station desserte par les transports collec- secteurs où l’abaissement régulier envisagée sur le littoral audois, tifs, statut de « parc d’atterrissage » du niveau des nappes menace celles- tandis que, quelques années plus pour les « nouveaux arrivants » en ci d’une intrusion du biseau salé, tard, les dispositions de la loi lit- lien avec la forte croissance démo- obligeant les collectivités à réflé- toral venaient contrarier l’hypothé- graphique de l’espace littoral, sont chir à des solutions alternatives et, tique finalisation de certains pro- quelques-uns des enjeux régulière- en premier lieu, à économiser cette jets comme celui de Port Leucate. ment évoqués. ressource. Aujourd’hui, nombre de ces projets Et pourtant, l’attractivité démogra- C’est en quelque sorte pour concilier ne pourraient plus voir le jour sous phique de ces villes ne se dément ces différents défis que la Région cette forme : les 7 unités touris- pas : certaines d’entre elles atteignent a mis en place le Parlement de la tiques ont en effet profondément près de 10 000 habitants perma- mer et relance une stratégie inté- modifié des espaces sensibles sans nents, même si le recensement paraît grée et durable matérialisée par la grand souci des enjeux environne- masquer un phénomène de multi- mise en œuvre du Plan Littoral 21. mentaux. Le réseau routier « inter- résidentialisation qui se manifeste L’ambition régionale est d’inscrire plages » empruntant les fragiles par une longue période d’occupation la façade méditerranéenne dans lidos qui séparent les étangs de la des résidences secondaires. « la croissance bleue », alliant la Méditerranée en est un exemple. préservation et la valorisation des Et demain ? espaces naturels, la requalification Aujourd’hui, des stations des stations et de leurs équipements balnéaires aux villes Comment concilier cette attractivité portuaires et touristiques, le dévelop- littorales ? à l’année avec le confortement de pement des énergies renouvelables l’économie touristique face aux nou- (en particulier l’éolien en mer), ou Si les stations de la mission Racine velles destinations, mais aussi avec encore le confortement de l’écono- se sont forgées leurs propres per- la dimension environnementale, et mie du littoral. Au-delà de l’échelon sonnalités et conservent aujourd’hui tout particulièrement l’adaptation au régional, il appartient, avec les outils leur vocation de destination touris- changement climatique ? SCoT et PLUi, d’être à la hauteur des tique, elles évoluent à différentes En effet, le littoral régional est un intentions du passé pour répondre vitesses vers de véritables villes lit- formidable réservoir de biodiver- aux défis d’avenir. Le Barcarès, Le Lydia 32 BelvedeЯ n° 5 / juillet 2019
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