" L'amitié respectueuse " : production de sel et préservation des mangroves de Guinée
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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) DOSSIER 55 GUINÉE / MANGR OVES « L’amitié respectueuse » : production de sel et préservation des mangroves de Guinée Philippe Geslin INRA-SAD BP 27 31320 Castanet-Tolosan France La déforestation des mangroves guinéennes est imputée à la production de sel. Les données d’analyse des connaissances et des modes d’exploitation des producteurs susu combinées à celles des sciences biotechniques permettent de remettre en question les idées reçues et de proposer des actions en accord avec les demandes des populations locales. Les genres du sel. Le sel femelle en tas et la stalactite de sel mâle. Types of salt. Female salt in piles and male salt stalactite. Photo P. Geslin.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) 56 DOSSIER MANGR OVES / GUINEA Philippe Geslin RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN « L’AMITIÉ RESPECTUEUSE » : “A RESPECTFUL FRIENDSHIP”: SALT “LA AMISTAD RESPETUOSA”: PRODUCTION DE SEL ET PRODUCTION AND MANGROVE PRODUCCIÓN DE SAL Y PRÉSERVATION DES MANGROVES PRESERVATION IN GUINEA CONSERVACIÓN DE LOS DE GUINÉE MANGLARES DE GUINEA On the Guinean coast, development Le littoral de Guinée subit le recul agencies regarded salt production as El litoral de Guinea sufre el retroceso progressif de ses mangroves. Depuis a wood-consuming activity. Salt is tra- progresivo de sus manglares. Desde les années 1970, la majorité des pro- ditionally produced by the evapora- los años setenta, la mayoría de los grammes de développement met l’ac- tion of a brine poured into basins set programas de desarrollo hace hinca- cent sur la production de sel qui on fires which are fuelled by man- pié en la producción de sal, que se apparaît comme le principal facteur grove wood. In 1993, a French NGO presenta como el principal factor de de déforestation. Ces actions ne repo- decided to instal a solar alternative in deforestación. Estas acciones no se sent pas sur une analyse des pra- order to check the deforestation of basan en un análisis de las prácticas tiques des producteurs en situation. the mangrove ecosystem. According de los productores de la zona. No Elles ne mettent pas l’accent sur les to the personnel involved with this insisten en las diversidades sociales y diversités sociales et techniques des project, this was a major problem for técnicas de los habitantes que pue- populations qui peuplent les man- local people, too. At the same time, blan los manglares de Guinea. groves de Guinée. En partant de l’ana- they requested an anthropological Partiendo del análisis etnográfico de lyse ethnographique des pratiques approach to the problem. They were las prácticas de los productores susu, des producteurs susu, et en combi- keen to have information about how y combinando estos datos con los de nant ces données avec celles des to design a solar alternative based on las ciencias biotécnicas, pudimos sciences biotechniques, il nous a été the social and technical context. The cuestionar algunos prejuicios relati- possible de remettre en question cer- ethnographic study shows how, year vos a la influencia de la producción taines « idées reçues » concernant after year, local people have devel- local de sal sobre la desaparición del l’influence de la production locale de oped practices and know-how which manglar al sur de Conakry y, de esta sel sur la disparition de la mangrove help to reduce mangrove consump- manera, proponer modos de acción au sud de Conakry et ainsi de propo- tion. que tuvieran una mayor sintonía con ser des pistes d’action plus en conti- la realidad de las poblaciones locales. nuité avec la réalité des populations Keywords: anthropology, society- locales. nature relations, research activity. Palabras clave: antropología, rela- ción sociedades-naturaleza, interven- Mots-clés : anthropologie, relation ción de la investigación. sociétés-nature, intervention de la recherche. Déchargement du bois à proximité d’un campement de production de sel. Unloading timber near a salt-producing encampment. Photo P. Geslin.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) DOSSIER 57 GUINÉE / MANGR OVES Introduction La mangrove recule en Guinée. Une intervention sur les facteurs mène. La situation est alarmante à un Depuis presque trente années, la pré- sociotechniques identifiés, à tort ou à point tel que les producteurs locaux servation de ce fragile écosystème raison, comme participant au recul de de sel sont contraints d’acheter leur est au centre de nombreux projets de la mangrove n’est alors envisageable bois de feu ou d’utiliser des essences développement. Son processus de qu’en situation, c’est-à-dire en pre- forestières comme le manguier. La dégradation est attribué à l’homme et nant en compte les caractéristiques situation est identique pour certains à certaines de ses activités, notam- du contexte immédiat des pratiques secteurs de la zone sud, essentielle- ment la production de sel. Ce dis- observées tout en considérant la ment des îles (Kabac et Kakossa) qui cours est repris par les politiques et façon dont elles ont été amenées à offrent naturellement des territoires les organisations non gouvernemen- être ce qu’elles sont. de coupe très limités qui ne permet- tales de façon systématique sur l’en- Nous ferons l’hypothèse, dans tent plus de satisfaire la consomma- semble du littoral, quelles que soient cette contribution, que l’analyse des tion en bois. Là aussi, les producteurs les zones géographiques et les popu- pratiques des producteurs de sel per- sont contraints d’utiliser des essences lations concernées. Or ces facteurs, met, dans certains cas, de nuancer forestières. En revanche, dans la zone qui sont essentiellement issus d’en- significativement les représentations sud (Soumbouya) (figure 1), qui est quêtes relatives à la production de trop générales qu’ont certains orga- provisoirement épargnée par ces pré- sel, reposent sur une faible connais- nismes de développement quant à la lèvements de bois de feu à destination sance de la diversité des situations transformation de l’environnement de de la capitale, les producteurs de sel présentes sur le littoral et, encore mangrove en Guinée. Sur quelques développent des pratiques et des moins, des pratiques de production secteurs du littoral, ces pratiques, savoir-faire spécifiques en matière de de sel et des savoirs des producteurs qualifiées de destructrices, ne sont gestion du bois qui modèrent les locaux relatifs à leur propre environ- pas directement en cause. Leur ana- points de vue sur le recul de la man- nement. Il faut bien reconnaître que lyse témoigne, au contraire, de l’exis- grove et, au-delà d’une représentation cette tendance à gommer l’existence tence de savoirs spécifiques d’une plus riche de la situation, donnent des de particularismes sociotechniques grande complexité et d’une « amitié pistes d’action. Les méthodes qui ont en matière de production de sel, et à respectueuse » – pour reprendre les permis de faire émerger ces pratiques généraliser à partir d’un cas, se termes de A. G. Haudricourt – entre sont issues de méthodes d’interven- retrouve aussi dans la littérature l’homme et la mangrove (Haudri- tion anthropologiques appliquées aux scientifique (Bouju, 1994). S’il est court, 1962). Il ne s’agit pas de processus de transfert de technolo- vrai que les étapes fondamentales du remettre en question le recul de la gies dans le monde rural. Ces cadres processus de production de sel par mangrove guinéenne. Dans les zones sont formalisés (Geslin, 1999). Ils per- lixiviation1 sont identiques sur l’en- situées au nord de Conakry, elle est mettent de contribuer à la mise en semble du littoral guinéen, les moda- soumise aux coupes systématiques de œuvre de techniques qui prennent en lités techniques et sociales de sa bois de feu pour la consommation des compte les contextes socioculturels et mise en œuvre varient de façon sou- ménages de la capitale. La production les demandes des populations concer- vent importante, avec des effets éco- de sel contribue aussi à ce phéno- nées par ces innovations. logiques dont on peut penser qu’ils sont notablement différents d’un Installation des familles sur les campements de production de sel. groupe humain à un autre. À titre Families settled in salt-producing encampments. d’exemple, l’activité de production de Photo P. Geslin. sel chez les Baga vivant sur le littoral au nord de Conakry est principale- ment féminine et se poursuit la nuit, alors que, chez les Susu vivant à quelques centaines de kilomètres au sud, l’activité est mixte et suspendue pendant la nuit. On peut aussi identi- fier dans certains sites, au sein d’un même groupe, des pratiques très spécifiques. Elles sont fortement influencées par les itinéraires person- nels des producteurs, mais égale- ment par la répétition, sur une même zone, de projets de développement qui ont souvent laissé des traces dans les esprits des producteurs. 1 Évaporation d’une saumure portée à ébullition sur des foyers alimentés en bois de chauffe.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) 58 DOSSIER MANGR OVES / GUINEA Généralités sur la Rhizophora racemosa G. F. W. Meyer qui la peuplent appartiennent à l’an- mangrove littorale ou Rhizophora harrisonii Leechman) cienne province de Soumbouya. et « wofiri », terme utilisé par les Autrefois, celle-ci constituait une véri- Susu pour désigner le palétuvier table unité territoriale édifiée progres- La Guinée littorale s’étend sur blanc Avicennia germinans (L.) Stearn sivement sur de nouvelles terres par 300 km du nord au sud. Elle se trouve – qui sont recherchées quotidienne- plusieurs familles susu à partir de la fin dans une zone de climat subguinéen ment par les populations locales, du xviie siècle, selon la tradition orale. avec une saison sèche qui débute au dans le cadre de diverses activités, La rivière qui aujourd’hui porte ce nom mois de novembre et se termine vers illustrent parfaitement l’un des inté- se situe directement au sud de Cona- la fin du mois d’avril pour laisser la rêts économiques que représente la kry. Par extension, son nom a été place, jusqu’en octobre, à la saison mangrove en termes d’exploitation donné à la région qu’elle traverse. La des pluies. À l’exception de la pres- forestière. L’extraction du bois de feu tradition orale dit que l’origine du nom qu’île du Kaloum et du cap Verga, la représente chaque année 500 000 susu soumbouya, qui signifie mélange mangrove recouvre sur cette frange tonnes (Rue, non daté). (masumbu), est liée à la présence sur une superficie estimée approximati- L’écosystème de la Soumbouya, cette zone d’une population aux ori- vement à 385 000 ha (SDAM, 1990). sur lequel nous avons concentré nos gines variées, composée essentielle- Elle peut remonter jusqu’à 10 km à recherches, est situé au sud de la pres- ment de Mendéni qui étaient les pre- l’intérieur des terres, voire jusqu’à qu’île de Conakry. Il se situe globale- miers occupants, de Baga et de Susu plus de 30 km lorsqu’elle suit les ment dans les limites administratives venus s’installer par vagues succes- berges des rivières les plus impor- de la sous-préfecture de Wonkifon qui sives. On y rencontre aussi des Peuls et tantes. Les espèces végétales – est elle-même rattachée à la préfecture des Balante originaires de Guinée- « kinsi » (Rhizophora mangle L. ou de Coyah. Les implantations humaines Bissau. 15° 14° 13° 12° 11° 11° 10° 10° Plateaux étagés du versant côtier du Fouta-Djalon : de 150 à 500 m de 500 à 900 m Mangrove de 900 à 1 400 m 0 50 100 km 15° 14° 13° 12° 9° 9° Figure 1. Mangrove de Rias sur le littoral guinéen. Modifiée d’après Bertrand, 1993. Rias mangrove swamp on the Guinean coast. Altered based on Bertrand, 1993.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) DOSSIER 59 GUINÉE / MANGR OVES Produire en Une collecte de bois de respectant feu « raisonnée » l’environnement Le projet de « développement de l’économie côtière dans la préfec- Quels que soient les groupes qui, ture de Coyah » 2 , au sein duquel en Afrique de l’Ouest, produisent du sel nous intervenions, reprenait lui aussi Utilisation du bois de palétuvier pour la par lixiviation, les processus observés à son compte la question du recul de construction des huttes sur les campements répondent à une même dynamique. Le la mangrove. La production de sel de production de sel. producteur prélève de la terre salée était identifiée comme l’une des Using mangrove wood to build huts in salt- dont il remplit de larges filtres. Il verse causes principales. Notre action producing encampments. de l’eau de mer sur cette terre. La sau- devait permettre à la maîtrise Photo P. Geslin. mure qui s’en écoule est alors prélevée d’œuvre de concevoir une alternative puis portée à ébullition jusqu’à cristalli- solaire de type « marais salants » – sation du chlorure de sodium. Comme dans le but de réduire la consomma- réserve de bois sec importante. On ces processus s’inscrivent dans des tion de bois de feu – reposant sur une constate alors trois périodes de sociétés différentes, les conditions connaissance approfondie des coupe. La première intervient très tôt sociales de leur mise en œuvre sont dif- savoirs mis en œuvre au quotidien dans la saison, en général dès le mois férentes. L’ethnologue étudie ces diffé- par les producteurs de sel susu. de septembre, et cela jusqu’en rences (variantes) qui résultent d’un À l’origine du projet, il était sou- novembre. Les zones de prélèvement choix individuel ou social, ou d’un non- ligné que le problème du bois se sont situées le plus près possible des choix qui lui relèverait de l’articulation posait à deux titres : campements de production de sel. prévisible ou inévitable des étapes qui Lorsqu’il s’agit d’un nouveau campe- caractérisent un processus. ▪ La déforestation de la man- ment, le bois utilisé provient en partie À titre d’exemple, l’approche his- grove par coupes spécifiques de bois de la parcelle défrichée l’année pré- torique, utilisée au cours de notre de feu est une des premières causes cédant l’installation, l’autre partie étude, a montré que chez les Susu, au de disparition de ce milieu. Dans une étant prélevée sur les zones situées xviiie siècle, la production de sel était zone comme celle de Coyah, située en général à moins d’une heure de exclusivement féminine. Mais, depuis près d’un centre urbain, où la pres- pirogue du campement. Dans les un quart de siècle, les rapports de pro- sion de l’homme est forte, la régéné- zones de production où le bois est duction se sont transformés. Les ration ne se fait plus et la végétation présent en grande quantité, les péri- hommes se sont de plus en plus impli- herbacée se substitue définitivement mètres de prélèvement sont proches qués dans cette activité, en raison du au couvert arboré... des campements et le transport du caractère aléatoire de la riziculture sur ▪ Résultante de la déforestation bois se fait « à tête », plusieurs fois ce territoire. Cette intervention des et de la non-régénération, le manque dans la journée. La coupe a lieu très hommes dans le processus a contribué de bois se fait sentir dans de nom- tôt pour réduire la pénibilité inhé- au développement rapide de la salicul- breux sites d’extraction de sel, obli- rente à la collecte et au transport ture. Le sel est ainsi devenu une denrée geant les producteurs à s’approvi- pendant la saison de production, fondamentale pour l’économie locale. Il sionner de plus en plus loin, ce qui mais aussi pour pouvoir obtenir un permet à ces populations de rizicul- rend le travail toujours plus astrei- bois sec au moment de la combus- teurs d’acheter le riz nécessaire à leur gnant. Certains producteurs doivent, tion, le bois concerné, Avicennia, alimentation quotidienne lorsque les par manque de main-d’œuvre ou en Rhizophora, ne nécessitant pas ou récoltes de l’année sont mauvaises. Au raison des distances trop grandes peu de séchage avant utilisation. Les nord, chez les Baga, la production rizi- entre leurs sites d’extraction et les données scientifiques recoupent ici cole satisfait encore majoritairement zones d’approvisionnement en bois, les connaissances empiriques des les besoins des populations qui, de ce acheter le bois de feu ; le coût de producteurs. Le pouvoir calorifique fait, n’ont pas à développer leur activité revient du kilogramme de sel produit de Rhizophora est, en effet, très salicole périphérique avec l’ampleur de s’en trouve multiplié par quatre faible (inférieur à 4 600 kcal/kg), leurs voisins du sud. Toutefois, chez les (AFVP, 1993). mais il est recherché en raison d’une quelques familles de producteurs baga Le producteur de sel doit com- humidité contenue (40 %) inférieure qui rencontrent des difficultés en mencer à prélever le bois de feu, des- à celle d’Avicennia (70 à 95 %) (Doat, matière de riziculture, on commence, tiné au chauffage de la saumure, en 1977), pour ses qualités de chauffe – depuis peu de temps, à observer une général deux mois avant le début de sa combustion est lente et dégage modification du processus à travers la la saison sèche, au moment où les peu de fumée – et pour sa solidité mixité des tâches de production sali- activités rizicoles sont moins inten- lors de la construction de l’armature cole. sives, de manière à disposer d’une destinée à supporter les éléments de 2 Projet dirigé par l’Association française des volontaires du progrès (AFVP), en collaboration avec les paludiers de Guérande.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) 60 DOSSIER MANGR OVES / GUINEA Techniques de chauffe et types de foyers pour la cuisson de la saumure La consommation de bois de feu est modulée par la technique mise en œuvre – types de foyers – et les contraintes environnementales – qua- lité du bois et de la terre salée. Sur le site de Tougoussourou, les foyers utili- sés pour l’évaporation de la saumure sont systématiquement ouverts sur un Raclage des terres salées. seul côté. Dans la majorité des cas, la Scraping salt flats. bouche du foyer se situe sur le petit Photo P. Geslin. côté. Le bois est introduit dans le sens de la longueur du foyer, et poussé vers l’intérieur au fur et à mesure de sa filtration de la saumure. Le bois ainsi cas, il coupe de préférence du combustion. Dans d’autres cas, plus coupé n’est pas transporté directe- Rhizophora pour les raisons indi- rares, le foyer est disposé perpendicu- ment. Il le sera chaque jour, ou tous quées plus haut, mais ce bois est rare lairement aux perches qui vont l’ali- les deux jours, lorsque les produc- et ses conditions d’extraction diffi- menter. La bouche se situe dans ce cas teurs s’installeront dans leur campe- ciles. Il doit alors souvent se conten- au centre du côté le plus long, la lar- ment, pour alimenter les foyers. ter de bois d’Avicennia. geur de son ouverture étant la même Une deuxième période de coupe Les zones de coupe des palétu- que celle aménagée sur les foyers pré- commence dès les premiers jours de viers sont en général situées à moins cédents. Le producteur introduit les l’installation. La recherche se d’une heure de pirogue du campe- perches d’Avicennia perpendiculaire- concentre alors sur Avicennia, qui ment. La distance des lieux de coupe ment à l’axe longitudinal du foyer, mais entre dans la construction de la majo- tient compte, bien sûr, du volume de aussi en éventail, vers les côtés. Les rité des structures présentes sur le bois disponible sur l’aire de coupe, deux variantes peuvent être combi- campement. Quelques perches sont de la position du campement, mais nées chez un même producteur, en en Rhizophora pour la construction aussi de la position du hameau de fonction de la surface de son aire de de l’armature des éléments de filtra- culture, pour les hameaux situés en chauffe et de l’accès aux filtres situés à tion. Les contraintes exercées sur cer- mangrove. En effet, il ne faut pas proximité, à l’extérieur. Ces foyers sont taines perches nécessitent une fraî- perdre de vue que le travail de coupe installés dans les parties les plus cheur de coupe que ne présentent le plus important s’effectue à la fin de hautes des campements, pour éviter plus les éléments issus de la pre- l’hivernage, à une période où les pro- les remontées de la nappe phréatique mière période. Le nombre de perches ducteurs doivent regagner chaque en période de grande marée, notam- destinées à une structure est estimé jour leur lieu de résidence principale, ment par les trous de crabes, et, en sur la zone de coupe. Aussi, la quan- puisque les campements ne sont pas conséquence, la présence d’humidité tité prélevée correspond en général à encore aménagés. Les zones sont qui, d’après les producteurs, risquerait la quantité requise pour chaque donc localisées en fonction de ces d’accroître la consommation de bois structure en construction. Les rési- trois critères : volume utile, distance de feu. Selon la hauteur du campe- dus, notamment les extrémités des au campement, distance au hameau ment et son ancienneté, les combinai- perches destinées à la construction de culture. sons présentées plus haut se retrou- des huttes et autres unités architec- Ces zones de coupe ne sont sou- vent sur deux types de foyers, le foyer turales légères, sont utilisés pour la mises à aucune autorisation préalable posé et le foyer partiellement enterré. conception des petits éléments des de prélèvement, dans la mesure où Le foyer posé est construit à la surface filtres, des armatures de poulaillers, elles sont éloignées des territoires des du sol de l’aire de chauffe dans un des sanitaires et parfois des zones hameaux les plus proches. Dans ce cas, campement récent au sol fraîchement d’accès des pirogues. il n’y a pas de droit d’usage. Le bois remanié ou dans un campement ancien La troisième période de coupe récolté n’est pas revendu. Les produc- dont la couche supérieure du sol est survient en général vers la fin de la teurs ne font donc pas de commerce de hors de portée des remontées d’eau saison de production, lorsque le pro- bois pour la production salicole dans salée. Le second type de foyer possède ducteur constate que le volume cette zone, ils le prélèvent uniquement une partie arrière partiellement enter- coupé ne peut plus répondre aux pour leur production de sel. rée dans le sol. On le retrouve unique- besoins de la production. Dans ce ment dans les campements anciens.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) DOSSIER 61 GUINÉE / MANGR OVES La répartition des moyens de travail a une influence sur les types de foyers utilisés et, de fait, sur la consommation de bois. Quatorze types de foyers (figure 2), posés ou semi-enterrés, ont été recensés sur le site de production de Tougoussourou. Les configurations répondent à plu- sieurs critères : les bacs appartien- nent à un producteur (types 1, 2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 12, 13, 14) ou les bacs sont répartis entre deux producteurs (types 3, 4, 6, 7, 8, 10, 12). Cette der- nière configuration peut renvoyer au fait que deux producteurs, au sein d’une même unité de production, peuvent posséder chacun, individuel- lement, leur propre batterie de filtres. Dans ce cas, il y a une seule aire de chauffe. Cela implique aussi une ges- tion individuelle de la cuisson, donc des foyers, entre deux producteurs au sein d’une même unité de produc- tion. En cas d’absence de l’un des deux producteurs, la séparation par Dimensions moyennes un support intermédiaire plein entre deux séries de deux bacs (type 8, par Longueur intérieure : 1,46 m Largeur intérieure : 0,54 m exemple) permet au producteur, isolé Épaisseur parois : 0,31 m temporairement, de ne pas trans- Hauteur : 0,32 m mettre le pouvoir calorifuge de ses foyers à ceux de son voisin dont les foyers sont hors service. Il faut associer à cela des Bac de chauffe contraintes économiques, les produc- Foyer teurs ayant assez d’argent pour ache- Sol ter de grands bacs ou plusieurs grands bacs et un petit (types 3, 4, 13, 14), des contraintes de place sur le campement à l’intérieur de l’aire de Foyer posé Foyer partiellement enterré chauffe et des contraintes physiques, qui influent sur la consommation de bois car la chaleur est mieux répartie dans des foyers où le support inter- Nombre de bacs Petite pirogue Grande pirogue médiaire des bacs est ajouré (types 2, 2 0,7 m3 1 m3 3 1,05 m3 1,5 m3 3, 4, 6, 7, 8, 9). 4 1,4 m3 2 m3 À ces différents types, il faut 5 1,7 m3 2,5 m3 ajouter la présence ou l’absence 6 2,1 m3 3 m3 d’enceinte d’aire de chauffe. Dans un cas, les foyers étaient construits à Consommation approximative de bois d'Avicennia/jour l’abri d’un ancien tas de terre filtrée en fonction du nombre de bacs qui stoppait les vents dominants. Nous avons pu observer un autre cas où les foyers n’étaient protégés que Figure 2. par une paroi légère placée face aux Plans au sol et élévations des types de vents d’ouest dominants sur la zone. foyers rencontrés sur le site de Les moyens utilisés pour améliorer la production de sel de Tougoussourou. Ground plans and elevations of fire types found on the Tougoussourou salt- producing site.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) 62 DOSSIER MANGR OVES / GUINEA important de foyers ouverts sur le Des connaissances grand côté et quelques foyers du type empir iques sur les de ceux observés à Tougoussourou, qualités des terres salées mais ces derniers semblent minori- taires. Les foyers mériteraient une Selon les producteurs, la terre étude plus approfondie, notamment raclée n’a pas les mêmes qualités tout en ce qui concerne leur pouvoir calo- au long de la saison. Après le premier rifuge. Les données issues du rapport raclage de terre, sur une journée, un SDAM (1990) montrent, en effet, un bac de chauffe ne « remplit » pas un « temps de séchage du sel » – du ver- sac de sel (70 kg, sac pesé sur la sement de la saumure jusqu’à l’appa- balance des commerçants locaux, qui rition du sel – compris entre 4 h 35 et constitue la référence des produc- 6 h 15, pour deux récoltes dans la teurs). Il faut attendre le deuxième journée. À Tougoussourou, ce temps raclage pour que la production quoti- dépasse rarement 3 h 30 entre cha- dienne d’un bac remplisse le sac. La cune des trois récoltes, par jour. Il terre du troisième raclage ne remplit semble évident que ces différents pas non plus un sac. D’après les pro- types de foyers ont des répercussions ducteurs, en début de saison, la terre sur les temps de combustion du bois. ne contient pas beaucoup de sel. En D’après les producteurs, la qua- revanche, en fin de saison, la quantité lité du bois influence aussi largement de sel renfermée dans la terre est plus la vitesse de combustion et, implicite- importante. Malheureusement, avec ment, la quantité de bois nécessaire les premières pluies, celle-ci est moins Production de saumure. pour produire un kilogramme de sel. pulvérulente et l’eau de la saumure Brine production. Sur le site de Tougoussourou, entre le qu’elle produit s’évapore difficilement, Photo P. Geslin. début de la saison de production et d’où un prolongement des temps de le mois de mai, de nombreuses cuisson et une consommation accrue cuisson regroupent aussi des nattes contraintes apparaissent. Elles ont un de bois. Par ailleurs, dans le courant qui obstruent les différentes ouver- impact sur la production de sel et sur du mois d’avril, l’eau des collecteurs tures « au vent » de l’enceinte de la consommation de bois de feu. en prise directe avec la rivière, qui sert l’aire de chauffe. Un effort est égale- Ainsi, en fin de saison, les réserves de à alimenter les filtres et à produire la ment fait pour que les bacs adhèrent bois sec sont en général épuisées. Le saumure, peut ne pas être renouvelée le plus possible à la surface du foyer. producteur doit, dans ce cas, utiliser en raison des faibles hauteurs de Les foyers présents à Tougous- des perches de bois d’Avicennia pré- marée. La concentration en sel est sourou sont différents de ceux que levées quelques jours avant, voire le alors très élevée. La filtration est diffi- nous avons pu observer à Koba au jour même. Le bois frais se consume cile et longue et la saumure n’est plus nord et sur l’île de Kabac au sud, moins rapidement que le bois sec, produite en quantité suffisante. La même si, en moyenne, leurs dimen- avec des répercussions qui ne sont cuisson est, elle aussi, beaucoup plus sions sont identiques. La taille des sans doute pas négligeables sur le longue. À cette période, il est fréquent bacs de chauffe est, en effet, presque ratio poids de bois utilisé par kilo- de voir des producteurs abandonner standardisée dans la mesure où les gramme de sel produit. Les produc- un filtre et un bac pour s’adapter à ces touques utilisées pour leur fabrica- teurs ont, en général, conscience de contraintes et limiter leur consomma- tion ont toutes les mêmes dimen- cela. Pendant les derniers jours de tion de bois. sions. À Koba, les foyers observés production, après le troisième ou le Les essences végétales qui sont ouverts sur toute la longueur du quatrième raclage de terre salée, il recouvraient les aires de raclage ont grand côté. Les bûches ou les perches est rare qu’un producteur engage une un impact important sur la produc- sont alors déposées sur toute la sur- troisième cuisson de saumure qui le tion. Une parcelle anciennement face intérieure du foyer. À Kabac, ferait veiller après le coucher du soleil recouverte d’Avicennia est considé- nous avons relevé un nombre impor- et le contraindrait à utiliser de rée comme plus étanche qu’une par- tant de foyers alimentés à la fois par grandes quantités de bois. Dans la celle à Rhizophora dont les racines le grand et le petit côté. Dans ce cas, zone d’enquête, la production est profondes apportent l’humidité dans l’ouverture du grand côté est iden- rarement nocturne. Certains produc- la terre. D’après les producteurs, les tique à celle du petit côté et légère- teurs soulignent que cette situation sols à Avicennia donnent une terre ment excentrée vers l’arrière du bac est liée à la rareté du bois. D’autres plus salée. On constate, dans ce lorsqu’on fait face au petit côté. On avancent que la fraîcheur de la nuit sens, que le bois de feu utilisé dans la trouve aussi, sur cette île, un nombre ne facilite pas la combustion du bois. zone d’enquête est de l’Avicennia. Il
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) DOSSIER 63 GUINÉE / MANGR OVES se présente sous la forme de perches tantes. Les prix chuteront et il leur Les contraintes techniques ne dont la longueur moyenne varie entre faudra alors spéculer en conservant, sont pas celles avancées par les opé- 3,50 m et 4 m – limitée par la lon- dans la mesure du possible, une rateurs pour expliquer la limite des gueur sur pied, mais aussi par la réserve de sel qui sera écoulée le trois cuissons. Pourtant, en fin de capacité de remplissage de la pirogue plus tardivement possible dans l’an- journée, le faible taux résiduel de sali- dont la longueur varie entre 3,50 m née et au meilleur prix. La quantité de nité de la saumure pourrait motiver pour les plus petites et 5 m pour les sel produite au quotidien par bac est l’interruption des activités de chauffe plus grandes, avec un diamètre connue et, compte tenu de sa date après l’ultime cuisson. Tel n’est pas le moyen de 5 cm pour le gros bout et d’installation, le producteur sait quel cas puisque, dans leur grande majo- 3 cm pour le petit bout. est le nombre de jours qui lui restent rité, les producteurs réutilisent cette avant les premières pluies. Le seul saumure le lendemain matin en la ver- La limite des trois cuissons facteur véritablement aléatoire est la sant directement dans les bacs, ou défection de l’un des opérateurs, de sur la terre salée des filtres, chargée L’analyse de l’activité dans plu- l’épouse en particulier, si elle juge la veille. La recherche du rendement sieurs unités de production a montré avoir travaillé plus que son mari, ou « à tout prix » n’est pas au centre que, quel que soit le nombre d’opéra- pour des raisons de santé, ce qui est d’une telle activité. Compte tenu de la teurs présents au sein d’une unité, la extrêmement rare. En deuxième lieu, quantité souhaitée, les producteurs limite des trois cuissons est toujours des contraintes sociales font que, préfèrent organiser leurs tâches de respectée et jamais dépassée. Elle dans une zone comme Tougoussou- production et réguler leur propre acti- l’est pour plusieurs raisons. En pre- rou, où l’activité est diurne, les pre- vité. Ils réduisent le nombre des fac- mier lieu, avant chaque installation, mières heures de la nuit constituent teurs aléatoires en s’appuyant sur un ou quelque temps après, chaque pro- le seul moment où il est possible de contexte social spécifique. Comme ducteur connaît précisément la quan- rendre visite aux unités de production nous l’avons souligné dans la descrip- tité de sel qu’il peut produire. Les voisines pour se distraire et échanger tion des différentes activités, les pro- projets qui motivent son investisse- des informations. En dernier lieu, les ducteurs agissent sur leur environne- ment dans la production salicole sont producteurs considèrent que la cuis- ment de travail, en portant une définis. Leur coût approximatif est son de la saumure est plus longue et attention soutenue à la qualité de envisagé en regard des prix de vente entraîne une plus grande consomma- fabrication de certaines structures, à enregistrés au cours des années pas- tion de bois pendant la nuit, ce qui leur disposition sur les campements sées et du nombre de producteurs génère un prélèvement accru de com- et à la gestion des moyens de travail qui risquent de fabriquer du sel. bustible et s’oppose aux stratégies utilisés (terre salée, saumure et bois). Après une mauvaise saison rizicole, engagées par leurs pères pour gérer L’activité s’organise principalement ils savent en général que les quanti- au mieux les stocks de bois et dimi- autour d’un objectif de production, tés de sel produites seront impor- nuer la pénibilité des tâches. sans volonté de le dépasser. Bois de manguier utilisé comme bois de chauffe (île de Kabac). Using mango wood as fuelwood (Kabac island). Photo P. Geslin.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) 64 DOSSIER MANGR OVES / GUINEA Des procédures de ▪ Alimenter les foyers en bois de à condition que pendant l’hivernage, réutilisa tion du bois de feu par prélèvement sur d’an- le producteur les ait placées sous feu qui réduisent sa ciennes structures. l’eau, à l’abri de l’air, dans les fossés consomma tion En début de saison, le campe- longeant les digues qui ceinturent les ment est nettoyé de ses mauvaises aires de raclage de terre salée. ▪ Restaurer ou construire de nou- herbes. L’ensemble des structures velles structures par prélève- édifiées l’année précédente est véri- Estima tion des quantités ment sur d’anciennes structures. fié. Les pluies et les vents de l’hiver- consommées et Avant de quitter le campement, nage les ont en général fortement var ia tions enreg istrées les producteurs doivent préserver dégradées. Lorsque les perches leur production dans les magasins à constitutives sont jugées peu solides La mise en évidence de sel. Elle y passera les premiers mois pour passer une nouvelle saison, contraintes de production nous a inci- d’hivernage, voire tout l’hivernage, elles sont enlevées et mises de côté. tés à rester très prudent au regard du en attendant d’être vendue. Certains Elles viendront grossir le volume de ratio poids de bois (kg) par kilo- commerçants viennent aussi acheter bois de feu utilisé pour le fumage du gramme de sel produit. Les sources la production sur les sites. Dans poisson, pour le foyer de la cuisine ou disponibles (SDAM, 1990) montrent, quelques cas, ils la laissent sur pour la cuisson de la saumure. Ces en effet, qu’il faut en moyenne 3,1 kg un campement, dans un magasin perches sont ensuite remplacées et (2,4 kg au minimum et 3,8 kg au maxi- construit par eux, généralement plus les liens végétaux sont consolidés. La mum) de bois d’Avicennia pour pro- important en volume que ceux des paille qui remplit les parois est duire 1 kg de sel. Toutefois, ces don- producteurs. Dans un cas comme conservée ou renouvelée. Cette réuti- nées ne reposent que sur quatre dans l’autre, les magasins sont lisation concerne l’ensemble des journées d’observations dans la zone consolidés ou entièrement construits structures présentes. située au nord de Conakry et dans un en utilisant les perches d’Avicennia et contexte social différent de celui que de la « paille » prélevées sur les struc- ▪ Protection des structures en rai- nous connaissons. Et on ne peut tures environnantes, en général sur son de la fragilité et de la com- qu’être étonné de constater que les les parois de la zone de chauffe. plexité de leur assemblage pour termes de référence d’un grand les réutiliser l’année suivante. nombre de projets de développement À la fin de la saison, les filtres de la saliculture sur le littoral guinéen Construction de foyers sur le site de Tougoussourou. sont dégarnis de leur gangue d’argile reprennent à leur compte de façon Building homes on the Tougoussourou site. et remisés, encastrés les uns dans les systématique ce ratio. Photo P. Geslin. autres, à l’intérieur d’une structure Les pratiques décrites à travers (hutte ou grenier à sel), dans le cam- l’approche anthropologique ont alors pement. L’année suivante, le produc- été mises en perspective avec les teur récupère ces filtres et procède à données issues des sciences biotech- leur restauration. D’autres préfèrent niques dans cette zone de la les reconstruire chaque année pour Soumbouya, de manière à en estimer éviter leur démantèlement, en cours l’« efficacité » en matière d’impact de saison, sous le poids de l’argile, sur l’environnement de mangrove. de la terre salée et de l’eau versée. Compte tenu des savoirs et des pratiques précédemment décrits, en ▪ Conserver une essence rare par 1994, sur le site de Tougoussourou, le isolement pendant l’hivernage nombre moyen de chargements de pour la réintégrer dans le même pirogue utilisé par jour était de 1,7 par type de structure l’année sui- producteur (un homme et ses deux vante. épouses) possédant trois bacs de Foyer ouvert sur deux côtés (île de Kabac). Un autre type de réutilisation chauffe et quatre filtres pour l’obten- Home with two open sides (Kabac island). est lié à la rareté de certains élé- tion de la saumure. Le volume d’une Photo P. Geslin. ments. Les perches longitudinales de pirogue se situe, approximativement, soutien des filtres sont dans la majo- entre 0,70 m3 et 1 m3, soit 1 stère et rité des cas en bois de Rhizophora, 1,4 stère de bois d’Avicennia par jour. considéré comme plus résistant que Le ratio pirogue sur nombre de bacs Avicennia pour soutenir la lourde bat- de chauffe donne, environ, 0,5 piro- terie de filtres destinés à produire la gue pour alimenter un bac de chauffe saumure. Les perches de bonne taille (dimensions moyennes du bac : sont rares. Elles durent deux années, 158 x 76 x 10 cm, soit 0,12 m3) dans la
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) DOSSIER 65 GUINÉE / MANGR OVES Bilan En matière de prélèvement du bois de feu entrant dans la produc- tion de sel, les producteurs susu de Wondéwolia développent des straté- gies de coupe et de réutilisation du bois qui n’affectent pas, pour le moment, la pérennité de la mangrove dans la zone couverte par le projet. Diverses utilisations du bois de feu (fumage du poisson et cuisine sur un foyer Cette zone est épargnée par les prélè- « trois pierres ». vements de bois en hivernage, dans Various uses of firewood (smoking fish and cooking on a “three-stone” hearth). la mesure où elle est relativement Photo P. Geslin. éloignée des hameaux, mais proche des campements de production de sel. Elle est, de plus, presque exclusi- vement exploitée par les producteurs de sel de Tougoussourou. En dehors journée, ce qui, compte tenu de la Pour un site de production des lieux de production situés au taille de la pirogue, représente entre comme Tougoussourou, qui en 1994 nord de Conakry et sur certains sites 0,5 et 0,7 stère de bois pour un bac, renfermait 53 bacs de cuisson, lors- de production des îles de Kabac et de soit un volume situé entre 0,35 et qu’on se réfère à 45 journées de pro- Kakossa, au sud de la Soumbouya, 0,50 m3 de bois consommé par jour et duction, on obtient le chiffre de 2 385 les producteurs des nombreux cam- par bac de chauffe. Le nombre de bacs bacs. Un bac consommant en moyenne pements que nous avons ethnogra- varie, selon les besoins et les moyens 0,40 m3 de bois par jour, pour une sai- phiés le long de cette rivière n’achè- financiers des producteurs, entre son de production, on obtient un tent pas le bois de feu destiné à la deux et six bacs, avec une moyenne volume de bois utilisé de 954 m3 pour production du sel. En considérant que de trois bacs pour l’ensemble des pro- l’ensemble du site. Si on rapproche ce la zone de Coyah est connue comme ducteurs de Tougoussourou. chiffre du volume sur pied disponible étant la région de production la plus La zone d’approvisionnement en et de l’accroissement annuel, les prélè- importante du littoral depuis plu- bois de feu et de construction, qui vements dispersés dans différents sec- sieurs siècles, les stratégies pay- s’étend sur 360 ha, se situe (SDAM, teurs sont soit très légèrement supé- sannes en matière de collecte de bois 1990) entre le type « formation fer- rieurs, soit inférieurs à l’accroissement de feu semblent posséder une réelle mée basse » à dominante Avicennia, biologique de la forêt dans l’année. efficacité. En période de forte produc- dont la hauteur varie entre six et huit Dans la mesure où les producteurs de tion de sel, il existe un équilibre entre mètres, et un type « formation basse Tougoussourou sont les seuls à exploi- les volumes prélevés et l’accroisse- ouverte » regroupant des Avicennia ter cette zone en saison sèche (elle ne ment annuel de la mangrove. La et Rhizophora dont la hauteur varie l’est pas en hivernage), on peut consi- menace nous semble, dans ce cas, entre trois et cinq mètres. Pour cha- dérer que le prélèvement effectué n’est moins provenir des producteurs cune de ces formations, le volume de pas excessif. La forêt reste en équilibre locaux que de la pression démogra- bois disponible sur pied par hectare du point de vue du volume. De plus, phique qui s’exerce dans la ville de est de 40 m3 pour la formation fermée l’année 1994 avait connu une forte pro- Conakry, où les faubourgs s’étendent basse et de 15 m3 pour la formation duction, les résultats obtenus en rizi- petit à petit vers Coyah et le sud du basse ouverte. On peut donc estimer, culture étant désastreux. Lorsque les littoral. pour la zone qui nous intéresse, une quantités de riz sont suffisantes, tous Lorsque les savoir-faire présen- moyenne disponible située entre 20 les producteurs ne fabriquent pas sys- tés sont associés aux données issues et 25 m 3 sur pied et par hectare. tématiquement du sel et, parmi ceux des sciences biotechniques, ils intro- Compte tenu du fait qu’il faut huit qui s’engagent dans cette production, duisent un changement important années pour que les deux types de un grand nombre s’installe tardive- dans les « termes de référence » peuplements se reconstituent, l’ac- ment sur les sites, réduisant ainsi sa avancés par les projets de dévelop- croissement moyen en volume est de durée à une dizaine de jours. Par pement sur le littoral guinéen. La sali- 2,5 à 3,1 m3 par hectare et par an. conséquent, au cours des années à culture est effectivement consomma- faible production de sel, on peut sup- trice de bois, mais les manières de le poser que le prélèvement est nette- consommer varient selon les sites. La ment inférieur à l’accroissement. description et l’analyse des pratiques
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2002, N° 273 (3) 66 DOSSIER MANGR OVES / GUINEA permettent de faire émerger ces diffé- Références rences et de proposer, pour chacune bibliographiques des zones du littoral, des solutions adaptées qui tiennent compte de la variété des contextes socioculturels AFVP, 1993. Projet gestion de man- GESLIN P., 1999. L’apprentissage des et, de fait, des relations homme- grove dans la préfecture de Coyah. mondes. Une anthropologie appli- nature. Conakry, Guinée, Association fran- quée aux transferts de technologies. L’analyse anthropologique des çaise des volontaires du progrès. Paris, France, Maison des sciences de pratiques et sa mise en perspective l’homme, 254 p. BERTRAND F., 1993. Contribution à avec les données issues des sciences l’étude de l’environnement et de la HAUDRICOURT A. G., 1962. Domes- biotechniques entraînent un temps dynamique des mangroves de tication des animaux, culture des d’étude prolongé sur le terrain. Guinée. Paris, France, Orstom, 201 p. plantes et traitement d’autrui. Toutefois, les méthodes d’interven- L’Homme, 2 (1) : 40-50. tion utilisées ont un impact sur le BOUJU S., 1994. Contribution à choix des innovations. Dans le cadre l’étude de la production de sel sur les SDAM, 1990. Étude et élaboration du de ce projet guinéen, l’étude des côtes des Rivières du Sud. In Schéma directeur d’aménagement de modes de gestion du bois de feu par Dynamique et usages de la mangrove la mangrove guinéenne. Rapport pré- les producteurs a été associée à dans les pays des Rivières du Sud. paré pour le ministère de l’Agriculture d’autres types de données – système Cormier-Salem M. C. (éd). Paris, et des Ressources animales de la foncier, techniques rizicoles, cultures France, Orstom, p. 97-99. République de Guinée, Conakry, de soudure, pêche, colportage, etc. – 403 p. CORMIER-SALEM M. C. (éd.), 1994. ou, plus globalement, au fonctionne- Dynamique et usages de la mangrove RUE O., non daté. La mangrove de ment de la société susu dans ses dans les pays des Rivières du Sud (du Basse-Guinée : handicap ou support dimensions symbolique et matérielle. Sénégal à la Sierra Leone). Paris, du développement littoral. Conakry, Cette somme de données, issues de France, Orstom, 353 p. Guinée, 8 p. (multigr.). l’analyse des pratiques en situation, a permis de transformer les représen- DOAT J., 1977. Le pouvoir calorifique tations des « développeurs » en des bois tropicaux. Bois et Forêts des matière d’innovation destinée à Tropiques, 172 : 33-55. enrayer le recul de la mangrove. Des choix techniques (Geslin, 1999) ont été effectués. Ils ne rejettent pas totalement le processus « tradition- nel », mais nuancent la mise en Une activité féminine complémentaire : la pêche à la crevette. œuvre des « marais salants » et, plus An extra activity for women: shrimp fishing. généralement, des alternatives Photo P. Geslin. solaires. Cinq années après la fin du projet, les producteurs de sel susu s’emploient à les diffuser sur leur ter- ritoire malgré un contexte politique difficile. La frontière sierra-léonaise, située à plusieurs dizaines de kilo- mètres au sud de notre zone d’étude, est quotidiennement le lieu de conflits violents qui déstabilisent l’économie locale et aussi nationale. Dans ce cas, la pérennité de cette innovation, les ajustements en cours auxquels elle est soumise, dépendent étroitement de la capacité du gouver- nement guinéen à gérer les conflits frontaliers qui minent le pays.
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