L'endettement étudiant au Québec Des réflexions à l'égard de la littérature existante - Émile Fiset Maude Pugliese
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L’endettement étudiant au Québec Des réflexions à l’égard de la littérature existante Émile Fiset Maude Pugliese
Auteurs Émile Fiset Étudiant à la maitrise en mobilisation et transfert des connaissances Centre Urbanisation Culture Société Institut national de la recherche scientifique Maude Pugliese Professeure Centre Urbanisation Culture Société Institut national de la recherche scientifique Conception visuelle Sylvain Paquette Soutenu par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec, ce travail s’inscrit dans les réflexions menées en vue du projet « Le surendettement parmi les ménages québécois », qui est maintenant en cours dans le cadre de l’Action concertée de recherche sur la pauvreté et l’exclusion sociale, Phase V, du Fonds de recherche – Société et culture (FRQSC). Pour citer ce document : Fiset, É. et Pugliese, M. (2021). L’endettement étudiant au Québec. Des réflexions à l’égard de la littérature existante. Institut national de la recherche scientifique. ISBN 978-2-89575-421-3 Dépôt légal : Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2021 INRS
L’endettement étudiant au Québec Des réflexions à l’égard de la littérature existante Émile Fiset Maude Pugliese 2021
Résumé Depuis le début des années 1990, l’endettement est en hausse de manière globale dans tous les pays développés, incluant le Canada et le Québec (Rona-Tas et Guseva, 2018; Organisation de coopération et de développement économiques, 2021), et les étudiants ne semblent pas échapper à la tendance. L’objectif du présent rapport est de faire le point sur la recherche et les connaissances existantes à propos de l’endettement des étudiants postsecondaires au Québec. Nous présentons ensuite la littérature portant sur les causes de l’endettement parmi les étudiants du Québec ainsi que sur ses conséquences. Enfin, nous identifions certaines questions spécifiques qui gagneraient à être abordées plus en profondeur dans les recherches futures.
Table des matières Liste des figures ................................................................................................................................ 2 Liste des abréviations, sigles et acronymes ................................................................................. 3 Introduction ........................................................................................................................................ 4 L’endettement étudiant : quelques définitions ............................................................................ 5 Un phénomène qui évolue dans le temps..................................................................................... 6 Les causes de l’endettement étudiant ....................................................................................... 11 1. L’emphase sur les responsabilités individuelles .......................................................... 11 2. Les inégalités et la consommation identitaire ............................................................. 11 3. De nouvelles options pour les étudiants : l’apport des institutions bancaires ........ 12 4. Les étudiants : un public informé? ................................................................................ 13 Les conséquences de l’endettement .......................................................................................... 15 Conclusion ....................................................................................................................................... 18 Bibliographie ................................................................................................................................... 20 1
Liste des figures Figure 1. Proportion des diplômés récents du Québec ayant contracté une dette durant les études .................................................................................................... 7 Figure 2. Montant moyen des dettes d’études contractées par les diplômés récents du Québec durant leurs études ............................................................... 7 Figure 3. Proportion des diplômés récents du Québec ayant contracté une dette auprès de sources gouvernementales durant les études ................................... 8 Figure 4. Montant moyen des dettes d’études de sources gouvernementales contractées par les diplômés récents du Québec durant leurs études ............. 8 Figure 5. Proportion des diplômés récents ayant contracté une dette auprès de sources non gouvernementales durant les études ........................................ 9 Figure 6. Montant moyen des dettes d’études de sources non gouvernementales contractées par les diplômés récents du Québec durant leurs études ........... 10 2
Liste des abréviations, sigles et acronymes ACEF Associations coopératives d’économie familiale AFE Aide financière aux études ELDEQ Étude longitudinale du développement des enfants du Québec END Enquête nationale auprès des diplômés FEUQ Fédération étudiante universitaire du Québec MESRS Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Science MPC Mesure du panier de consommation 3
Introduction Depuis le début des années 1990, thématique de l’endettement étudiant, l’endettement est en hausse de manière surtout aux États-Unis, là où ce phénomène globale. L’accès au crédit ayant été facilité prend une ampleur inégalée (Houle, 2014; par le développement massif du domaine Quadlin, 2017). L’objectif du présent de la finance, de plus en plus de ménages rapport est de faire le point sur la s’endettent pour des montants toujours recherche et les connaissances existantes plus élevés, et ce, dans tous les pays à propos de l’endettement des étudiants développés, incluant le Canada de même postsecondaires au Québec. Dans ce qui qu’au Québec (Rona-Tas et Guseva, 2018; suit, nous proposons d’abord quelques Organisation de coopération et de définitions terminologiques et nous développement économiques [OCDE], poursuivons en présentant les tendances 2021). Sur cet aspect, les étudiants ne historiques en matière d’endettement semblent pas échapper à la tendance, étudiant au sein de la province, en quelques études indiquant que leurs comparaison avec le Canada plus dettes sont de plus en plus importantes généralement. Nous présentons ensuite la (Houle, 2014; Quadlin, 2017). L’endet- littérature portant sur les sources de tement des étudiants peut engendrer l’endettement parmi les étudiants du nombre de conséquences pour les Québec ainsi que sur ses conséquences. inégalités sociales et le bien-être écono- En conclusion, nous soulignons que, mique à long terme en ce qu’il constitue somme toute, la recherche sur l’endet- à la fois une ressource-clé pour la poursuite tement étudiant demeure encore assez des études, mais aussi une cause peu développée au Québec et nous potentielle de surendettement et de dété- identifions certaines questions spécifiques rioration de la situation économique en qui gagneraient à être abordées plus en jeune âge (Dwyer, 2018). Dans ce contexte, profondeur dans les recherches futures. une littérature grandissante aborde la 4
L’endettement étudiant : quelques définitions Il existe plusieurs produits de crédit disponibles pour les étudiants. C’est pourquoi il importe de définir d’emblée certains termes, comme celui de dette d’études et celui de dette étudiante. La dette d’études fait référence spécifi- Pour ce qui est de la notion de dette quement à la dette contractée dans le étudiante, il s’agit d’un terme plus général cadre d’un prêt étudiant (c’est-à-dire qui renvoyant à tous les types de dettes que vise à financer les études). En général, on peuvent contracter les étudiants au cours fait la distinction entre deux sources de leur parcours académique. La dette de dettes d’études : celles qui sont étudiante inclut donc les dettes d’études, contractées auprès d’organismes gouver- mais également d’autres types de dettes, nementaux et celles contractées auprès de comme les dettes automobiles ou par carte sources de crédit privées, telles que les de crédit, qui peuvent être accumulées institutions bancaires ou la famille. La durant les études. Pour ce qui est de principale source de dettes gouverne- l’expression endettement étudiant, les mentales au Québec est le programme de auteurs l’utilisent parfois pour parler de l’Aide financière aux études (AFE). Les l’endettement des étudiants en général ou dettes d’études de sources privées pour parler de la dette d’études. Pour ce prennent quant à elles souvent la forme qui est de notre usage, l’endettement d’une marge de crédit disponible pour la étudiant renverra à l’endettement des durée des études (Guay-Boutet, 2018). étudiants globalement. La distinction des sources de dettes est critique puisque les conditions d’emprunt et de remboursement ne sont pas les mêmes. Par exemple, pour ce qui est des dettes contractées dans le cadre du programme de l’AFE, le gouvernement assure le paiement des intérêts pendant les études et les étudiants peuvent bénéficier d’un délai allant jusqu’à six mois après la fin des études avant de commencer à rembourser la dette. Dans le cas d’une marge de crédit étudiante, les intérêts s’accumulent sur celle-ci à partir du moment où la dette est contractée. 5
Un phénomène qui évolue dans le temps Plusieurs rapports font état d’une augmen- des niveaux d’endettement des étudiants tation des dettes d’études au Canada entre à différentes périodes dans le temps les années 1980 et 2000 (McElroy, 2005; (Dionne, 1994; Beauchemin, 2003; Allen et Vaillancourt, 2004). Par exemple, Béliveau et Camara, 2009; Ministère de une étude montre qu’entre 1982 et 1995, l’Enseignement supérieur, de la Recherche le montant moyen des prêts étudiants des et de la Science [MESRS], 2015). Ces titulaires de baccalauréat s’est accru de figures sont toutefois difficilement 121 % chez les hommes et de 145 % chez comparables d’un rapport à l’autre, les femmes (Finnie, 2002). Depuis 2000, comme l’indique d’ailleurs le rapport le par contre, les niveaux de dettes d’études plus récent (MESRS, 2015). Les données semblent s’être stabilisés au Canada, la provenant de l’Enquête nationale auprès proportion des étudiants postsecondaires des diplômés (END) – une enquête quin- endettés étant restée relativement stable quennale menée par Statistique Canada au pays (entre 40 % et 50 %, selon le depuis l’an 2000 – permettent cependant niveau de diplomation) de 2000 à de suivre de manière détaillée l’évolution 2015 et la dette médiane ayant peu des dettes d’études chez les étudiants fluctué (Galarneau et Gibson, 2020). postsecondaires ayant récemment reçu Une exception à cette règle concerne leur diplôme (Statistique Canada, 2019). cependant les étudiants de programmes dits « professionnels » (droit, médecine, Basées sur ces données, la proportion de administration des affaires, etc.), qui ont la cohorte des nouveaux diplômés 1 ayant vu leur niveau d’endettement augmenter contracté une dette d’études dans le cadre substantiellement entre 2000 et 2015. de leur parcours académique entre 2000 et 2015 (figure 1) et l’évolution de la dette Pour ce qui est du Québec plus spécifi- d’études moyenne durant la même quement, les tendances historiques sont période (figure 2) permettent de constater moins bien documentées avant les années une légère tendance haussière dans la 2000. En effet, si certaines études font dette d’études des récents diplômés du état d’une augmentation de l’endettement Québec. Concrètement, la proportion de chez les jeunes du Québec durant les ceux et celles qui se sont endettés années 1980 et 1990, celles-ci ne différen- demeure plutôt stable entre 2000 et cient pas les répondants selon le statut 2015, mais la dette moyenne augmente d’étudiant ou non (Lachance et al., 2005). légèrement au cours de la période, à tous À partir de la moitié des années 1990, les niveaux de diplomation. plusieurs rapports de l’AFE présentent 1 Les données mobilisées dans ce document concernent les diplômés de programmes collégiaux, de premier cycle (baccalauréat) et de deuxième cycle (maitrise). Les données sur les diplômés de troisième cycle (doctorat) ne sont pas incluses puisque leur estimation est de faible qualité, en raison de la petite taille de l’échantillon. 6
Figure 1. Proportion des diplômés récents du Québec ayant contracté une dette durant les études Source : Données compilées par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ) à partir des données de l'Enquête nationale auprès des diplômés (END) 2000 à 2015 de Statistique Canada. Figure 2. Montant moyen des dettes d’études contractées par les diplômés récents du Québec durant leurs études Source : Données compilées par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ) à partir des données de l'Enquête nationale auprès des diplômés (END) 2000 à 2015 de Statistique Canada. Les tendances dans le temps diffèrent l’AFE) durant leur parcours entre 2000 toutefois grandement selon la source de la et 2015 (figure 3) et l’évolution de la dette dette d’études. La proportion des récents moyenne provenant de cette source diplômés ayant contracté des dettes de (figure 4) montent que les dettes de sources gouvernementales (c’est-à-dire de sources gouvernementales n’augmentent 7
pas dans le temps au Québec. En effet, le certains niveaux de diplomation, comme montant moyen de ce type de dette chez les diplômés du collégial, dont la demeure plutôt stable au cours de la proportion ayant contracté ce type de période. La proportion de diplômés ayant dette est passée de 50 % en 2000 à eu recours aux dettes gouvernementales seulement 39 % en 2015. est même en diminution, du moins à Figure 3. Proportion des diplômés récents du Québec ayant contracté une dette auprès de sources gouvernementales durant les études Source : Données compilées par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ) à partir des données de l'Enquête nationale auprès des diplômés (END) 2000 à 2015 de Statistique Canada. Figure 4. Montant moyen des dettes d’études de sources gouvernementales contractées par les diplômés récents du Québec durant leurs études Source : Données compilées par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ) à partir des données de l'Enquête nationale auprès des diplômés (END) 2000 à 2015 de Statistique Canada. 8
Ces données suggèrent donc que la mais la proportion des étudiants y ayant tendance à l’augmentation de la dette recours grimpe aussi. Le pourcentage de d’études totale perçue plus tôt provient diplômés endettés à travers des sources principalement des dettes de sources non privées de crédit est plus spécifiquement gouvernementales et les figures 5 et 6 passé de 8 à 18 % au collégial entre 2000 confirment cette idée. Ces figures et 2010, de 9 à 22 % au baccalauréat et montrent que les dettes de sources privées de 9 à 17 % à la maitrise. Les proportions ont connu une croissance marquée depuis se sont par la suite stabilisées, entre 2010 2000. Non seulement le montant moyen de et 2015. ce type de dettes augmente avec le temps, Figure 5. Proportion des diplômés récents ayant contracté une dette auprès de sources non gouvernementales durant les études Source : Données compilées par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ) à partir des données de l'Enquête nationale auprès des diplômés (END) 2000 à 2015 de Statistique Canada. 9
Figure 6. Montant moyen des dettes d’études de sources non gouvernementales contractées par les diplômés récents du Québec durant leurs études Source : Données compilées par la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ) à partir des données de l'Enquête nationale auprès des diplômés (END) 2000 à 2015 de Statistique Canada. En somme, donc, les dettes d’études ont que 79,6 % des ménages dont le soutien augmenté légèrement au Québec depuis économique principal est âgé de les années 2000 (du moins chez les 17 à 34 ans avaient des dettes en 2016, étudiants ayant obtenu leur diplôme, les parmi lesquelles les dettes à la consom- tendances étant inconnues chez ceux qui mation (carte de crédit, prêts à tempé- ne terminent pas leurs études) et cette rament) sont les plus communes, alors que hausse est due surtout à une augmentation 50,6 % d’entre eux détiennent ce type des dettes privées. Rappelons cependant de dettes (Longo et al., 2021). Le récent que la dette d’études n’est pas le seul type portrait statistique de l’emploi des jeunes de dettes que peuvent contracter les au Québec (Longo et al., 2021) montre étudiants. Des données sur les tendances également un niveau d’endettement plus dans le temps ne sont pas disponibles pour élevé lorsqu’ils sont employés à temps les autres types de dettes. Toutefois, un plein (dette totale moyenne de 108 600 $) rapport de l’AFE paru en 2015 indiquait que lorsqu’ils le sont à temps partiel que, parmi les étudiants ayant déclaré des (27 300 $), mais que ces premiers ont dettes d’études, 6,4 % possédaient une davantage d’actifs (258 300 $) que ces hypothèque, 16 % un prêt automobile et derniers (63 900 $). Enfin, on voit aussi 41,3 % d’autres dettes (MESRS, 2015). Un que le niveau d’endettement est relati- rapport commandé par la Fédération vement similaire, que les jeunes aient ou étudiante universitaire du Québec (FEUQ) non un diplôme universitaire, mais que montrait, quant à lui, qu'en 2009, 26,7 % ceux qui en détiennent un ont davantage des étudiants avaient une dette par carte d’actifs, ce qui fait en sorte que leur valeur de crédit, le montant moyen de la dette nette moyenne est supérieure à ceux qui étant de 2 300 $ (Houle, 2009). On sait n’en possèdent pas (Longo et al., 2021). par ailleurs, pour les jeunes en général, 10
Les causes de l’endettement étudiant Plusieurs études sur l’endettement assumés publiquement incombe doré- étudiant au Québec cherchent à en navant aux étudiants individuels et à leurs comprendre les sources, en particulier parents (Guay-Boutet, 2020; Martin et les mécanismes qui ont sous-tendu la Tremblay-Pepin, 2011). Pour illustrer croissance de cet endettement dans le cette tendance, Guay-Boutet (2018) note temps. Les recherches existantes iden- qu’en 1982 le gouvernement assurait plus tifient quatre types principaux de facteurs : de 80 % du financement des universités, 1) la montée de l’individualisme écono- mais qu’en 2012 la part du public était mique, 2) les inégalités et la consom- tombée à 60 %, augmentant les frais de mation identitaire, 3) la financiarisation et scolarités aux étudiants. Bissonnette (2017) 4) l’asymétrie entre les prêteurs et les souligne que, face à cette augmentation connaissances financières des étudiants. des coûts privés de l’éducation, il est suggéré aux étudiants d’adopter la posture de l’investisseur et d’évaluer la possibilité 1. L’emphase sur les de contracter une dette pour financer des responsabilités études si les bénéfices économiques à individuelles long terme en justifient les coûts. Selon cette perspective, la croissance des dettes Plusieurs auteurs soulignent que dans les d’études au Québec est donc ancrée années 1960 et 1970, le Québec fut principalement dans l’établissement d’un le théâtre d’une gestion plus collective régime politico-économique plus indivi- des risques économiques, à travers la prise dualiste, menant à une privatisation des en charge par l’État de plusieurs services frais de l’éducation postsecondaire et et assurances, comme la santé, l’éducation à une vision plus strictement utilitariste ou certains régimes de retraite (Martin de celle-ci. et Tremblay-Pepin, 2011). Depuis quelques décennies, cependant, une rationalité politico-économique indivi- 2. Les inégalités et la dualiste s’implante, ici comme ailleurs dans consommation le monde, transférant vers les familles et identitaire leurs membres de plus en plus de responsabilités économiques et invitant D’autres auteurs lient l’endettement ceux-ci à prendre en charge leur propre étudiant croissant aux vulnérabilités avenir en finançant eux-mêmes leurs économiques et aux inégalités grandis- actions, en considération des coûts et des santes dans un régime néolibéral. En bénéfices des différentes possibilités s’appuyant sur les travaux d’Axel Honneth, (Bissonnette, 2017). Dans le domaine de de Pierre Bourdieu et d’autres, Pérez-Roa l’éducation, cette transformation se traduit (2014a; 2014b) soutient que le contexte par un passage vers un modèle néolibéral depuis les années 1990 se « d’utilisateur-payeur », au sein duquel une caractérise par des attentes normatives part des frais de scolarité précédemment qui enjoignent aux individus de se 11
démarquer et d’affirmer leur subjectivité; substantiels pour améliorer leurs condi- « à devenir quelqu’un » dont la contri- tions économiques. Dans le cas des jeunes bution et l’identité sont reconnues. Dans ce adultes dont les parents n’ont pas les contexte néolibéral, la consommation se ressources pour financer les études, ces présente comme forme d’expression risques prennent souvent la forme d’une identitaire clé et comme moyen d’atteindre accumulation de dettes importantes pour une reconnaissance sociale. Les ressources financer une éducation postsecondaire économiques permettant la consom- dans l’espoir qu’elle mène à des gains mation sont toutefois inégalement économiques à long terme. En lien avec distribuées et cette inégalité économique cette perspective, un rapport de la FEUQ est en croissance. Au Québec, par montre que les conditions économiques exemple, les disparités de richesse se sont des parents des étudiants sont effecti- accrues durant les dernières décennies, vement très associées à leur niveau alors que le 1 % des ménages les plus d’endettement, les étudiants dont les riches a fait l’expérience d’une croissance parents ont des revenus élevés étant assez du revenu prononcée et que les classes peu endettés (Campeau et Savoie, 2011). moyennes et défavorisées ont au contraire En revanche, les étudiants dont les parents vu leurs salaires stagner (Posca et sont dans le dernier quartile des revenus Tremblay-Pépin, 2013; Torres et al., 2021). sont typiquement très endettés auprès de Cette dynamique implique que tous l’AFE. Quant à ceux dont les parents se « n’ont pas les supports nécessaires pour situent plus près du milieu de la distri- être individus » (Castel, 2003 cité dans bution des revenus, ils tendent à être Pérez-Roa, 2014b, p. 45) et pour s’affirmer particulièrement endettés auprès de à travers la consommation. Les étudiants sources privées, car les revenus parentaux sont touchés par cette réalité, sachant à ce niveau, même s’ils demeurent relati- par exemple qu’un rapport de la FEUQ vement modestes, sont considérés comme rapportait en 2011 que la moitié des trop haut par l’AFE pour justifier une aide étudiants gagnent moins de 12 000 $ de l’État (Campeau et Savoie, 2011). annuellement au Québec (Campeau et Savoie, 2011), et cette réalité peut s’accentuer en fonction de la région 3. De nouvelles options administrative où demeure l’étudiant, par pour les étudiants : exemple à Montréal où la mesure du l’apport des panier de consommation (MPC) est la plus institutions bancaires élevée 2. Cette situation en incite plusieurs à se tourner vers le crédit pour compenser Une autre perspective sur l’endettement les bas revenus et pouvoir interagir dans le étudiant et sa croissance dans le temps marché de la consommation (Pérez-Roa, situe ce phénomène dans le contexte 2014a; 2014b). de la financiarisation de l’économie (Guay-Boutet, 2018; 2020). Bien que Selon Pérez-Roa (2015), la consommation plusieurs définitions de cette notion identitaire propre au néolibéralisme incite existent, celle proposée par aussi les moins fortunés – de plus en plus Krippner (2005) est sans doute la plus nombreux – à prendre des risques parfois influente. Elle stipule que la financiarisation 2 La MPC « est fondée sur le coût d'un panier de biens et de services précis [nourriture, habillement, transport, logement] correspondant à un niveau de vie de base modeste » (Statistique Canada, 2021, s. p.). 12
est une transformation de l’économie dans constante est décelée dans les approches laquelle les profits viennent à dépendre publicitaires. Les différents produits sont moins de la production et davantage des présentés comme des outils utiles face aux investissements (du capital financier). L’une manques de ressources financières tempo- des manifestations les plus iconiques de raires, comme suppléments à l’AFE et cette dynamique fut la découverte par le comme une façon de se bâtir un bon dossier secteur bancaire et celui des biens à la de crédit pour le futur (Guay-Boutet, 2018). consommation du potentiel de profit que Cette offre grandissante de prêts étudiants représentent les prêts à la consommation, contribue à la croissance de l’endettement en lien avec les intérêts et les autres types étudiant, celui-ci étant davantage répandu de frais autorisés sur ceux-ci, dans un auprès de sources privées. univers financier déréglementé (Davis, 2009). Dans ce contexte, des entreprises 4. Les étudiants : un financières et non financières développent public informé? des offres de crédit stratifiées et de plus en plus variées qui sont mises en marché Si les étudiants font face à une offre stratégiquement auprès des consom- de crédit de plus en plus complexe et mateurs qui affichent, quant à eux, des abondante et qu’il est attendu d’eux qu’ils besoins croissants de financement, dans prennent des risques calculés pour faire un contexte d’inégalités et de consom- progresser leurs conditions économiques mation identitaire (Rona-Tas et Guseva, dans un contexte de retrait de l’État, 2018; Pérez-Roa, 2014b). quelques études suggèrent que les étudiants ne sont peut-être pas toujours Guay-Boutet (2018) soutient que, en suffisamment outillés pour comprendre lien avec cette mouvance, les institutions pleinement les produits leur étant offerts et financières québécoises ont reconnu prendre les décisions les plus appropriées depuis quelques années le potentiel de à leur situation (Bissonnette, 2017). Par profit des prêts aux étudiants et qu’elles exemple, l’Enquête sur les conditions de ont développé un ensemble de produits vie des étudiantes et des étudiants de la de crédit visant spécifiquement ce groupe formation professionnelle au secondaire, d’individus et le financement des études. du collégial et de l’université (2015) menée Les produits destinés aux étudiants sont par le MESRS indiquait que 46 % des nombreux et diversifiés. Par exemple, étudiants endettés auprès de l’AFE, tous Campeau et Savoie (2011) identifient les niveaux de scolarité confondus, se que six institutions bancaires sur huit considèrent comme peu ou pas assez consultées proposent des marges de informés quant aux modalités de crédit, certaines étant plus générales remboursement de leurs prêts, ce chiffre d’autres ciblant des domaines d’études diminuant toutefois à 23 % lorsqu’il est spécifiques (le plus ciblé étant celui de la question d’autres types de prêts que ceux médecine, suivi de l’administration et du octroyés par l’AFE (MESRS, 2015). droit, en lien avec le potentiel de revenu de Également, Lachance et al. (2005) ont ces professions). La valeur des prêts varie réalisé une enquête auprès d’un échan- de 10 000 $ (pour les étudiants dans des tillon de jeunes adultes québécois (qui programmes non ciblés) à 200 000 $ pour n’étaient toutefois pas tous étudiants) certains programmes ciblés (Campeau et contenant neuf questions à répondre Savoie, 2011). Si l’offre est multiple, une par « vrai » ou « faux » portant sur les 13
connaissances financières de base, en lien suggère d’ailleurs une étude américaine par exemple avec l’usage des cartes de qui lie le manque de connaissances crédits ou les taux d’intérêt des différents financières à des risques accrus de produits de crédit. Une seule question 3 a surendettement dans la population obtenu un taux de réussite de plus de américaine en général (Lusardi et Tufano, 70 %, les autres variant entre 58,3 % et 2015). Cependant, nous n’avons pas 30,6 %. Une maitrise imparfaite des notions repéré d’études québécoises examinant financières pourrait contribuer à l’endet- directement l’existence de liens ou non tement des étudiants, notamment en entre le niveau de connaissances financières provoquant une sous-estimation des coûts des étudiants et leur endettement. d’emprunts à long terme, comme le 3 L’intitulé de la question est « En général, les taux d’intérêt des cartes de crédit sont plus élevés que ceux des prêts personnels ou des marges de crédit ». 14
Les conséquences de l’endettement Au-delà des sources de l’endettement études ont dû être abandonnées), les étudiant, plusieurs études québécoises dettes accumulées pendant les études interrogent aussi ses conséquences à court peuvent alors se transformer en surendet- et à moyen terme. Cette littérature tement, être vécues comme un endet- suggère, d’une part, que la possibilité tement problématique qui constitue un d’avoir recours aux prêts étudiants pour frein supplémentaire à l’amélioration des financer ses études peut favoriser l’acces- conditions de vie, plutôt qu’un vecteur sibilité des études postsecondaires. Par d’avancement. Pérez-Roa (2014b) note exemple, l’Enquête sur les conditions de que les lois qui encadrent la faillite vie des étudiantes et des étudiants de la personnelle – qui vise à échanger des biens formation professionnelle au secondaire, saisissables pour se délester des dettes – du collégial et de l’université (2015) déclarent les dettes d’études non admis- mentionnait que 13,3 % des étudiants sibles à la faillite pendant sept ans suivant de tous niveaux confondus abandonnent la fin des études. Durant cette période, leurs études pour des raisons financières, la seule façon de gérer une dette suggérant que l’accès à un prêt peut d’études devenue insoutenable est faciliter la diplomation (MESRS, 2015) 4. Le donc de s’imposer une rigueur budgétaire recours à l’endettement peut cependant pouvant avoir des conséquences s’avérer un couteau à double tranchant matérielles majeures dans l’immédiat pour la poursuite des études, comme en ou de demander occasionnellement témoigne le sondage conduit par le des mesures d’allégement des intérêts. Consortium canadien de recherche sur les En 2003, une étude canadienne notait que étudiants universitaires en 2015 (Morin, près de 23 % des personnes en période de 2018). Cette étude auprès de diplômés remboursement d’un prêt dans le cadre du d’universités canadiennes – incluant (mais Canada Student Loans Program avait eu pas seulement) des étudiants du Québec – recours à une telle mesure (Connolly et al., rapporte que 23 % des diplômés affirment 2003). À plus long terme (une fois le délai être rebutés à l’idée de poursuivre leurs de sept ans écoulé), les dettes d’études études à un niveau supérieur en raison de devenues problématiques peuvent ulti- leur niveau de dettes (Morin, 2018). mement mener à la faillite. En lien avec cette idée, Lachance et al. (2005) ont Pérez-Roa (2014b) souligne aussi que les rapporté une augmentation du taux de gains économiques que l’on attend faillite chez les jeunes de 15 à 24 ans typiquement de l’éducation postsecon- au Canada entre 1987 et 2001, ce taux daire ne se matérialisent pas toujours, ayant doublé durant la période, qui fut, pour toutes sortes de raisons. Quand les on l’a vu, marquée par une croissance revenus demeurent minces, même une fois de l’endettement étudiant. Également, le diplôme obtenu (ou parce que les les Associations coopératives d’économie 4 Notons cependant que le manque de ressources n’est pas la principale cause de l’abandon des études, 24,5 % disant abandonner leur programme par manque d’intérêts. 15
familiale (ACEF) déclaraient en 2010 avoir constate aussi que les diplômés post- remarqué un rajeunissement des popu- secondaires canadiens sont nombreux à lations qui font faillite au Québec, sans affirmer que leur dette étudiante a toutefois être capables de quantifier engendré le report de projets. Par exemple, avec précision le phénomène (Conseil 55 % des diplômés de ce sondage qui permanent de la jeunesse, 2010). Si ces avaient une dette étudiante non payée données fragmentaires peuvent suggérer après la graduation affirment que celle-ci que des liens sont possibles entre l’endet- les a empêchés d’économiser autant qu’ils tement étudiant, le surendettement et l’auraient souhaité pour des moments les faillites personnelles des jeunes, nous difficiles ou des situations d’urgence, 46 % n’avons cependant pas repéré d’études d’entre eux ont retardé l’achat d’une québécoises qui examinent directement maison, 45 % considèrent n’avoir pas mis comment l’endettement des étudiants assez de fonds de côté pour leur retraite, influence leur risque de faillite ou de suren- 33 % n’ont pas payé leur dette aussi dettement dans le temps. rapidement qu’ils l’auraient voulu, 21 % ont reporté le moment d’avoir des Bissonnette (2017) propose que l’accumu- enfants et 24 % de se marier (Ipsos, 2017). lation d’une dette pour le financement des Finalement, 16 % des diplômés endettés études puisse aussi avoir un effet sur le interrogés ont aussi prorogé la poursuite domaine d’études choisi, en poussant d’un travail dans leur domaine d’études. les étudiants vers les programmes moins Le remboursement d’une dette étudiante longs et plus rentables (c’est-à-dire étant une dépense récurrente, certains procurant un meilleur potentiel de répondants ont affirmé ne pas pouvoir revenus) au détriment de ceux, comme quitter leur emploi actuel (dans un dans le domaine des arts, qui sont typi- domaine différent de celui de leurs études) quement associés à de plus petits gains pour chercher un emploi dans leur domaine économiques. Nous n’avons pas repéré d’études, car cela nécessiterait d’accepter de données probantes confirmant cette une baisse de revenu qu’ils ne peuvent pas idée au Québec. Cependant, une étude se permettre (en raison du fait que les américaine montre que l’endettement emplois dans leur domaine sont à forfait, influence le choix du domaine d’études comme c’est le cas dans le domaine des dans ce contexte national, en particulier arts, du théâtre ou du cinéma, et qu’ils ne pour les jeunes dont les parents ont de représentent donc pas un revenu constant, faibles revenus (Quadlin, 2017). par exemple). Des recherches indiquent également En terminant, Pérez-Roa (2014b; 2015; que l’endettement peut affecter la situ- 2018) soutient également que, lorsqu’il ation des étudiants après la diplomation, prend trop d’ampleur et qu’il devient en retardant les plans de vie de ceux-ci. insoutenable, l’endettement des étudiants En effet, selon une étude de la FEUQ, 63 % conduit souvent à une augmentation du des étudiants s’attendent à devoir retarder stress pouvant aller jusqu’à la dépression. l’achat d’une maison et 41 % s’attendent Dans une série d’entrevues menées à à retarder la fondation d’une famille, la Montréal auprès de jeunes adultes très création d’une entreprise ou la poursuite endettés par leurs études, l’auteure est des études aux cycles supérieurs. Un d’avis que plusieurs se sentent coupables sondage mené par la firme Ipsos en 2017 de ne pas parvenir à rembourser leurs 16
dettes, percevant cette incapacité comme décevoir ou par crainte de réprimandes. un échec personnel. Ce sentiment est, Ces observations mènent Pérez‐Roa (2018) selon l’auteure, la cause d’anxiété, de à conclure que c’est non seulement le crises de panique et de dépression fardeau financier de la dette lui-même (Pérez-Roa, 2014b). Pérez-Roa (2018) note qui engendre anxiété et stress, mais éga- aussi que le sentiment de culpabilité lié à lement la présentation culturelle de l’endettement peut être la cause d’une l’endettement et de sa gestion – internalisée certaine isolation sociale, les étudiants par les étudiants – comme une respon- endettés évitant parfois de parler de leur sabilité strictement individuelle. situation à leurs proches par peur de 17
Conclusion Cette recension des données et des écrits connaissances financières sur le niveau sur l’endettement des étudiants postse- d’endettement des étudiants ou en ce qui condaires au Québec nous a permis de concerne l’existence de liens véritables constater que celui-ci s’est accru depuis entre l’accumulation de dettes d’études et l’an 2000, surtout pour ce qui est des dettes les risques de surendettement ou de faillite. de sources privées. Quelques études et Ce type de relation gagnerait à être rapports – plusieurs commandés par les mieux validé empiriquement. Par ailleurs, associations étudiantes universitaires et les études existantes mettent l’emphase l’AFE – ont abordé les sources de sur la dette accumulée, sur les causes de l’endettement des étudiants, identifiant l’endettement et sur ses conséquences, le nombre de facteurs potentiels, incluant une plus souvent négatives, mais les questions tendance à la privatisation des coûts de de l’accessibilité du crédit pour études et de l’éducation au Québec, la précarité écono- l’exclusion financière de certains étudiants mique de plusieurs familles combinée à la demeurent, tout compte fait, inexplorées. pression de la consommation identitaire, le Les études sont toutefois de plus en plus développement rapide de l’offre de crédit nombreuses à montrer que l’accès au crédit destinée aux étudiants et les connaissances est difficile pour plusieurs groupes sociaux, financières parfois limitées de ces derniers. même à l’ère de la financiarisation, Un autre pan de recherche aborde plutôt notamment pour les personnes racisées et les conséquences de l’endettement des les nouveaux arrivants (Wherry et al., 2019). étudiants, suggérant que celui-ci peut L’exclusion de ces groupes a des effets faciliter l’accès aux études, mais aussi délétères sur leur vie, notamment en les nuire à sa poursuite s’il devient trop lourd. privant de possibilités d’avancement et de L’endettement étudiant semble aussi sentiments de dignité (Wherry et al., 2019). conduire à des retards dans certains projets Dans le cas des prêts aux étudiants, bien de vie, comme la venue d’enfants ou l’achat qu’ils puissent entrainer des conséquences d’une maison, de même qu’à l’augmen- négatives, comme on l’a vu, ils constituent tation du stress et de l’isolement social en tout de même une façon d’accéder aux plus de constituer un potentiel risque de études postsecondaires pour plusieurs faillite quand il devient trop important. étudiants prospectifs qui n’ont pas d’autres sources d’appui. Ces constats appellent à Si la littérature existante fournit nombre réaliser davantage d’études visant à mieux d’informations critiques sur l’endettement comprendre si certains groupes ont un des étudiants, nous constatons toutefois accès plus limité aux prêts étudiants (privés qu’elle présente aussi certaines limites et gouvernementaux) au Québec et à et zones d’ombre, – autant sur le plan déterminer si le fait de ne pas pouvoir substantif que méthodologique – qui participer au marché du crédit peut mériteraient d’être abordées dans les entrainer des conséquences. recherches futures. Premièrement, certaines propositions théoriques demeurent peu Plusieurs auteurs suggèrent que les examinées au plan empirique, par exemple conditions économiques des étudiants et pour ce qui est de l’influence des celles de leurs parents constituent un 18
facteur clé de l’endettement étudiant alors tement étudiant à des facteurs comme que d’autres évoquent l’idée que les l’encadrement politique de l’éducation et capabilités financières des étudiants les pratiques bancaires. Certaines études puissent aussi jouer sur les niveaux d’endet- mobilisent aussi des analyses statistiques tement. Plusieurs travaux réalisés au descriptives simples et basées sur des Québec et ailleurs indiquent que les données transversales qui permettent de conditions économiques et les connais- démontrer certaines associations entre sances financières varient grandement l’endettement étudiant et différents facteurs, entre les différents groupes sociaux, comme le revenu des parents. Des analyses notamment selon le genre, le statut quantitatives multivariées mobilisant des d’immigration et entre les groupes données longitudinales pourraient cepen- ethniques et raciaux (Lusardi et Mitchell, dant bonifier de manière importante la 2014; Killewald et al., 2017; Fortin et al., recherche concernant les sources et, surtout, 2017), suggérant des différences possibles les conséquences de l’endettement dans le risque d’endettement étudiant entre étudiant, en permettant de suivre (et de ces groupes. Aux États-Unis, quelques comparer) dans le temps la situation des études abordent cette question, notam- étudiants qui s’endettent et celle de ceux ment celle de Houle et Addo (2019) qui qui ne le font pas. À cet effet, l’Étude montrent que les personnes noires ont longitudinale du développement des davantage de dettes étudiantes que la enfants du Québec (ELDEQ), qui suit un moyenne. Au Québec, toutefois, très peu échantillon de personnes nées entre 1998 d’études se sont penchées sur la variation et 2002, pourra s’avérer une ressource de l’endettement étudiant selon les importante, ayant récemment ajouté différentes caractéristiques sociodémogra- des questions à propos de dettes et phiques, les quelques études à cet égard se des finances des répondants. limitant généralement à un ou deux indicateurs tels que l’âge ou les revenus de Des études qualitatives (par entrevues ou travail. Il existe plusieurs sources de données ethnographiques, par exemple) pourraient qui pourraient être utilisées pour mieux également permettre de mieux saisir l’expé- documenter les variations sociodémo- rience des étudiants et leur processus au graphiques de l’endettement étudiant. moment de contracter une dette étudiante, Nommons entre autres l’Enquête nationale de même que leur réalité vécue dans auprès des diplômés (END), conduite par l’après, alors qu’ils découvrent les effets statistique Canada sur une base récurrente, de leurs dettes. Pour l’instant, nous n’avons ainsi que l’Enquête sur les conditions de vie recensé cette approche que dans les des étudiants de la formation professionnelle travaux de Pérez-Roa (2014b; 2015) à au secondaire, du collégial et de l’université, propos de l’expérience des jeunes adultes conduite à quelques reprises par l’Aide très endettés pour les études. Nous financière aux études. espérons que d’autres chercheurs adop- teront des approches qualitatives dans le Finalement, nous constatons aussi que la futur, non seulement pour documenter le littérature existante souffre d’un manque de vécu des étudiants endettés, mais aussi diversité méthodologique. Plusieurs études celui de ceux qui en sont à décider s’ils mobilisent des analyses de politiques et de contracteront ou non une dette ou de ceux contenus qui permettent de lier l’endet- qui s’en sont vu refuser l’accès. 19
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