L'impact du suicide d'un patient chez des professionnels en santé mentale Différences entre les femmes et les hommes - Érudit
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Document généré le 16 mars 2020 08:23 Frontières L’impact du suicide d’un patient chez des professionnels en santé mentale Différences entre les femmes et les hommes Melissa Henry, Monique Séguin et Marc-Simon Drouin Prévenir le suicide Résumé de l'article Volume 21, numéro 1, automne 2008 Cet article rapporte les résultats d’une recherche réalisée auprès de 141 professionnels en santé mentale pratiquant au Québec et ayant vécu le suicide URI : https://id.erudit.org/iderudit/037874ar d’un patient. Les professionnels ont réagi à cet événement différemment en DOI : https://doi.org/10.7202/037874ar fonction de leur sexe. Les femmes y ont répondu par un niveau de stress élevé au cours du premier mois, alors que les hommes ont dévoilé un niveau de stress faible. Le niveau élevé de stress relevé chez les femmes était Aller au sommaire du numéro accompagné de répercussions initialement plus intenses sur leur pratique professionnelle : tendance accrue à hospitaliser des patients suicidaires ou précautions accrues dans leur traitement, évaluation d’un plus grand nombre Éditeur(s) de patients comme présentant un risque de suicide, sentiment accru d’impuissance lors de l’évaluation ou du traitement de patients suicidaires, Université du Québec à Montréal consultation plus fréquente de collègues et de superviseurs, attention accrue aux aspects légaux dans la pratique. L’article tente de mieux comprendre les ISSN différences entre les réactions des professionnels observées selon leur sexe, à 1180-3479 (imprimé) la lumière des théories de la socialisation et du développement professionnel. 1916-0976 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Henry, M., Séguin, M. & Drouin, M.-S. (2008). L’impact du suicide d’un patient chez des professionnels en santé mentale : différences entre les femmes et les hommes. Frontières, 21 (1), 53–63. https://doi.org/10.7202/037874ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
R E C H E R C H E L’impact du suicide Résumé Cet article rapporte les résultats d’une recherche réalisée auprès de 141 pro- fessionnels en santé mentale pratiquant au Québec et ayant vécu le suicide d’un patient. Les professionnels ont réagi à cet événement différemment en fonction de leur sexe. Les femmes y ont répondu par un niveau de stress élevé au cours d’un patient chez du premier mois, alors que les hommes ont dévoilé un niveau de stress faible. Le niveau élevé de stress relevé chez les femmes était accompagné de réper- des professionnels en santé mentale cussions initialement plus intenses sur leur pratique professionnelle : tendance accrue à hospitaliser des patients suici- daires ou précautions accrues dans leur traitement, évaluation d’un plus grand nombre de patients comme présentant un risque de suicide, sentiment accru d’impuissance lors de l’évaluation ou du Différences entre les femmes traitement de patients suicidaires, consul- tation plus fréquente de collègues et de superviseurs, attention accrue aux aspects et les hommes légaux dans la pratique. L’article tente de mieux comprendre les différences entre les réactions des professionnels observées selon leur sexe, à la lumière des théories de la socialisation et du développement professionnel. Mots clés : suicide d’un patient – impact – sexe – professionnels en santé mentale. Melissa Henry, Ph. D.1, le nombre d’infirmiers(ères) en psychiatrie Abstract chercheure, CRISE, professeure associée, Département affectés (Collins, 2003). de psychologie, Université du Québec à Montréal. Les données de la littérature laissent This article presents the results of a study of 141 mental health professionals who entendre que le suicide d’un patient tou- Monique Séguin, Ph. D., che les thérapeutes tant au plan personnel have experienced a patient’s suicide. professeure titulaire, Département de psychologie, Results indicate that mental health pro- Université du Québec en Outaouais, que professionnel, et que leurs réactions fessionals reacted to such suicides in dif- Groupe McGill d’études sur le suicide, Montréal. sont semblables à celles retrouvées chez ferent ways according to gender. Women les endeuillés par suicide (Foster et M. A. generally responded with elevated stress Marc-Simon Drouin, Ph. D., ams, 1999 ; Farberow, 2005 ; Grad et al., levels in the first month, while men expe- professeur agrégé, Département de psychologie, 1997 ; Kleespies et al., 1990 ; 1993 ; Meade, rienced stress levels that were subclini- Université du Québec à Montréal, 1999 ; Pieters et al., 2003 ; Ruben, 1990 ; cal on average. The high stress response Groupe McGill d’études sur le suicide, Montréal. found in women was also initially accom- Sudak, 2007 ; Tillman, 2006 ; Weiner, panied by more profound impacts on On estime qu’un suicide affecte pro- 2005). Les réactions fluctuent en fonction their professional practice : increased fondément au moins six personnes dans de plusieurs facteurs, dont l’expérience cli- hospitalizations of suicidal patients or l’entourage immédiat de la personne décé- nique du thérapeute, sa personnalité et ses greater precautions in their treatment, dée (Shneidman, 1969). Parmi les proches zones de conflits internes, la nature du lien increased evaluation of patients as being affectés se trouvent les professionnels de thérapeutique établi avec le patient et le at risk for suicide, increased helpless- la santé qui la traitaient avant qu’elle ne degré d’ambivalence dans cette relation, ness while assessing or treating suicidal meure. La recherche indique que le suicide les éléments contextuels au décès incluant patients, more frequent consultation of les réactions négatives de l’institution, les d’un patient est un événement fréquent colleagues and supervisors and more dans la pratique clinique des profession- poursuites légales, les réactions hostiles attention to legal issues. Gender differ- ences found in this study are discussed in nels en santé mentale : 22 % à 39 % des psy- de la famille du patient décédé, les événe- the light of socialization and professional chologues (Chemtob et al., 1989 ; Trimble ments de vie stressants vécus par le pro- development theories. et al., 2000) et 51 % à 82 % des psychiatres fessionnel au moment du suicide, ainsi (Chemtob et al., 1989 ; Cryan et al., 1995) que le soutien social obtenu (Alexander Keywords : patient suicide – impact – et al., 2000 ; Chemtob et al., 1988a ; Cotton ont rapporté avoir vécu cet événement dans gender – mental health professionals. l’exercice de leur profession. Aucune don- et al., 1983 ; Cryan et al., 1995 ; Dewar née empirique n’existe en ce qui concerne et al., 2000 ; Goodman, 1995 ; Hendin 53 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008
et al., 2004 ; Henry et al., 2003 ; 2004 ; eux. Cette tendance pourrait résulter en un INSTRUMENTS DE MESURE Horn, 1995 ; Howard, 2000 ; Kleespies plafonnement des réponses, ce qui risque- Impact of Event Scale (IES) et al., 1990 ; 1993 ; Lapp, 1986 ; M. A.ams rait de minimiser les différences retrouvées Le IES (Horowitz, Wilner et Alvarez, et Foster, 2000 ; Tillman, 2006 ; Trimble dans la réaction des professionnels selon 1979) est un questionnaire auto-admi- et al., 2000). leur sexe. Au contraire, nous postulons que nistré de 15 items mesurant la détresse Outre les variables mentionnées, la les différences retrouvées en fonction du vécue à la suite d’un événement stressant littérature indique que l’adaptation à un sexe des professionnels dans les études des- en fonction de deux sous-échelles : l’intru- événement traumatique, tel que la perte criptives (Grad et Michel, 2005 ; Hendin sion et l’évitement rattaché à l’événement par suicide, peut être influencée par le sexe et al., 2004 ; Lapp, 1986) pourraient aussi traumatique. Les participants répondent de la personne y faisant face. Les femmes se retrouver en utilisant des instruments à chaque item selon une échelle de Likert réagissent habituellement à la perte par des de mesure standardisés, si la consigne était allant de 1 (jamais) à 4 (souvent). Parmi réactions émotives intenses et la recherche de répondre au questionnaire en fonction les items mesurant l’intrusion, nous retrou- de soutien social. Les hommes auraient du dernier suicide vécu. vons : « J’ai pensé à cet événement même plutôt tendance à intellectualiser et à uti- Cette recherche de nature exploratoire lorsque je ne le souhaitais pas », « J’ai eu liser des stratégies d’adaptation orientées vise à identifier comment les professionnels de la difficulté à m’endormir ou à rester vers les solutions (Doka, 2003 ; Martin et peuvent réagir différemment en fonction endormi parce que des images ou des pen- Doka, 2000 ; Stroebe, 2001 ; Stroebe et de leur sexe au suicide d’un patient. Nous sées de l’événement me venaient à l’esprit », Schut, 2001). Au-delà des différences entre souhaitons également cerner les répercus- « J’ai eu des sentiments intenses liés à cet les sexes, une oscillation entre la confron- sions de cet événement sur les pratiques événement qui me venaient par vague ». tation émotive, la solution de problèmes professionnelles en fonction du sexe, étant Parmi les items mesurant l’évitement, nous et l’évitement de la perte semblent facili- donné le manque d’information à cet égard retrouvons : « J’ai essayé d’effacer cet évé- ter l’adaptation au décès en permettant à dans la littérature. Cet article est basé sur nement de ma mémoire », « J’ai évité d’être l’individu de s’ajuster en fonction de ce qui des analyses secondaires reliées à une en contact avec ce qui pouvait me rappeler est requis dans l’immédiat (Bonanno et al., étude antérieure (Henry et al., 2004). l’événement », « J’ai essayé de ne pas par- 2004 ; Bonanno et Kaltman, 1999). ler de l’événement ». Les professionnels Des études descriptives soulignent MÉTHODOLOGIE ont situé leurs réactions dans l’échelle en aussi que les professionnelles réagissent rapportant leur niveau de détresse durant plus fortement au suicide d’un patient que RECRUTEMENT le premier mois suivant le décès de leur leurs collègues de sexe masculin (Grad et Trois types de professionnels ont été patient. Un score global au-dessus de 19 à Michel, 2005 ; Hendin et al., 2004 ; Lapp, recrutés pour participer à cette recherche, l’IES indique la présence d’un état de stress 1986), les femmes manifestant davantage soit : les psychiatres, les psychologues et aigu ou cliniquement significatif, tandis de culpabilité et de honte que les hommes les infirmiers(ères) en psychiatrie. Les qu’un score de moins de 8,5 indiquerait (87 % et 31 % contre 50 % et 0 % respecti- participants ont été recrutés entre janvier plutôt une intensité de réaction faible vement). De plus, les femmes remettent en et juin 2003 par l’entremise d’un question- ou non significative (M. A.ams et Foster, doute plus facilement leurs compétences naire accompagné d’une lettre signée par 2000). La version française présente une et ont besoin davantage de consolation les présidents de chaque ordre ou associa- validité interne (alpha de Cronbach) de et de réconfort, alors que plus d’hommes tion professionnel ciblé. Tous les profes- 0,87 pour l’échelle totale, de 0,87 pour réagissent en vaquant à leurs activités pro- sionnels ont été sollicités pour répondre l’échelle d’intrusion et de 0,79 pour celle fessionnelles habituelles (50 % des femmes à la première partie du questionnaire d’évitement (Cyr et al., 1996 ; 2001). comparativement à 75 % des hommes) concernant leurs caractéristiques démo- (Grad et al., 1997). graphiques (âge, sexe, années de pratique, Grief Experience Questionnaire (GEQ) Les recherches descriptives mention- orientation thérapeutique, niveau de sco- Le GEQ (Barrett et Scott, 1989) est un nées ci-dessus utilisent des questionnaires larité, cadre de travail) et l’occurrence du questionnaire auto-administré de 55 items construits par les auteurs afin de mesu- suicide d’un patient dans leur carrière. mesurant les réactions de deuil. Les par- rer l’intensité des réactions de profes- Les professionnels ayant vécu le suicide ticipants répondent à chaque item selon sionnels en santé mentale à la suite du d’un patient étaient encouragés à remplir une échelle de Likert allant de 1 (jamais) suicide d’un patient, alors que M. A.ams tout le questionnaire en y répondant en à 5 (presque toujours). Parmi les items du et Foster (2000), en utilisant une mesure fonction du dernier patient suicidé, sans questionnaire, nous retrouvons : « à quelle standardisée, le Impact of Event Scale critère d’exclusion quant au temps écoulé fréquence avez-vous… senti que les autres (IES), ne retrouvent aucune différence depuis le décès. ont pu vous blâmer pour le décès ? », « senti quant à l’intensité des réactions à la suite Les professionnels ont été relancés deux de la colère ou du ressentiment envers de l’événement en fonction du sexe des fois pour participer à l’étude. Les membres votre patient suite au décès ? », « senti que professionnels. Ces derniers auteurs n’in- de l’Ordre des psychologues du Québec vous avez manqué un signe précoce qui cluent cependant aucune consigne spéci- ou OPQ (4018 membres possédant une aurait pu vous indiquer que votre patient fique quant au suicide ciblé dans la réponse adresse électronique) et de l’Association des ne demeurerait pas en vie encore long- au questionnaire. Or, les professionnels médecins psychiatres du Québec ou AMPQ temps ? ». Ce questionnaire a été soumis à sont souvent confrontés à plus d’un suicide (350 membres possédant une adresse élec- une retraduction basée sur les recomman- au cours de leur carrière (Courtenay et tronique) ont été joints par courriel ; ceux dations de Vallerand (1989) et légèrement Stephens, 2001 ; Cryan et al., 1995 ; Henry de l’Association québécoise des infirmiers adapté pour correspondre au contexte des et al., 2004 ; Horn, 1995 ; Pieters et al., et infirmières en psychiatrie et en santé professionnels en santé mentale. Une étude 2003). Il se peut donc que l’absence de mentale ou AQIISM (248 membres), par psychométrique de la validité interne du différence rapportée reflète davantage une la poste. Selon leur préférence, les parti- GEQ-version française fut réalisée après prédisposition des professionnels, à défaut cipants avaient le choix de répondre au la collecte des données et n’a démontrée de consigne claire, à répondre en fonction questionnaire par courriel ou sur papier au aucune sous-échelle au questionnaire du suicide ayant eu le plus d’impact sur moment de la demande de participation. (alpha de Cronbach : 0,96). FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008 54
TABLEAU 1 tence d’évaluer et/ou de traiter des patients suicidaires, une tendance accrue à hos- VARIABLES ASSOCIÉES AUX PROFESSIONNELS, AU TRAITEMENT, AUX ÉVÉNEMENTS pitaliser des patients suicidaires ou des SURVENUS À LA SUITE DU SUICIDE DU PATIENT ET À LA FORMATION SUR LE SUICIDE précautions accrues dans leur traitement. n (%) / × (ÉT) Une étude psychométrique de la vali- H = 52 F = 89 dl F / D2 p dité interne de cet instrument s’est avé- Temps écoulé depuis 6,8 (6,3) 5,3 (5,9) 1;127 1,80 0,18 rée satisfaisante et n’a démontré aucune le suicide du patient (années) sous-échelle au questionnaire (alpha de Variables des professionnels : Cronbach :0,96 [impact après le premier âge 40,1 (1,4) 40,6 (1,0) 1;128 0,11 0,74 mois],0,93 [impact actuel]). années de pratique 13,0 (1,3) 12,3 (1,0) 1;130 0,18 0,67 Questionnaire sur % de contact clinique direct 75,3 (3,7) 72,6 (2,9) 1;132 0,34 0,56 auprès des patients les variables associées Un questionnaire a été construit afin secteur de pratique 1;139 0,14 0,71 de mesurer les caractéristiques démogra- public 43 (82,7) 74 (85,1) phiques du patient suicidé (date du décès, privé 9 (17,3) 13 (14,9) âge, sexe, diagnostic principal), les moda- Variables reliées au traitement : lités du traitement de ce patient (durée de durée de la relation 3;127 3,0 0,39 la relation, degré de proximité affective 1-5 contacts (évaluation) 12 (25) 23 (29,1) au patient), le type de traitement (indivi- duel, couple, famille, groupe), le rôle du 5-12 contacts (court terme) 14 (29,2) 17 (21,5) professionnel dans le traitement, la date 12-52 contacts (moyen terme) 16 (33,3) 21 (26,6) du dernier contact avec le patient, la for- 52 + contacts (long terme) 6 (12,5) 18 (22,8) mation théorique et l’expérience clinique contacts sur une base individuelle 39 (79,6) 66 (82,5) 1;129 0,17 0,68 avec la problématique du suicide, ainsi que contrat de non-suicide 20 (40,8) 26 (33,8) 1;126 0,64 0,42 le stress occupationnel associé au décès au courant des idéations suicidaires 34 (69,4) 58 (69,9) 1;132 0,00 0,95 (poursuites légales, médiatisation de l’évé- du patient nement, découverte du corps du patient proximité affective au patient1 3,4 (1,5) 3,3 (1,6) 1;130 0,05 0,83 décédé, réactions négatives de l’entourage personnel et professionnel). Événements survenus suite au suicide du patient : Soutien reçu par certaines interactions médiatisation du suicide 7 (14,6) 17 (21,3) 1;128 0,88 0,35 et activités découverte du corps 1 (2,1) 5 (6,3) 1;128 1,2 0,28 Un questionnaire auto-construit de poursuites légales 0 (0) 2 (2,5) 1;128 1,2 0,27 23 items a mesuré le degré de soutien reçu réactions négatives de l’entourage par certaines interactions et activités. Les famille du patient 9 (18,8) 11 (13,8) 1;128 0,57 0,45 participants ont répondu à chaque item collègues 1 (2,1) 6 (7,6) 1;127 1,8 0,19 selon une échelle de Likert allant de 1 (non réseau personnel 0 (0) 3 (3,8) 1;128 1,8 0,18 aidant) à 7 (très aidant). Parmi les sources de soutien incluses dans le questionnaire, note de suicide 3 (6,3) 4 (5,1) 1;127 0,08 0,78 nous retrouvons : la discussion avec un ou avec contenu agressif 1 (2,1) 1 (1,3) 1;128 0,14 0,71 des collègues ayant vécu le suicide d’un envers le professionnel patient, la participation à une revue for- Formation sur le suicide : melle des circonstances entourant le sui- formation théorique 41 (85,4) 66 (83,5) 1;127 0,08 0,78 cide du patient, la présence aux funérailles formation clinique 33 (68,8) 43 (56,6) 1;124 1,8 0,18 du patient. Une étude psychométrique de la information sur la possibilité 42 (87,5) 64 (81) 1;127 0,91 0,34 validité interne de cet instrument s’est avé- de perdre un patient par suicide rée satisfaisante et n’a démontré aucune information sur l’impact 10 (20,8) 13 (16,7) 1;126 0,35 0,56 sous-échelle au questionnaire (alpha de du suicide d’un patient Cronbach :0,85). 1. Les professionnels ont noté leur degré d’accord avec l’énoncé suivant : « J’étais très proche du patient » ; sur une échelle de Likert allant de 1 = fortement en désaccord à 6 = fortement en accord. ANALYSES STATISTIQUES Des ANOVAs et khi 2 ont d’abord été effectuées pour décrire l’échantillon et Questionnaire sur Goodman, 1995 ; Horn, 1995 ; Howard, déterminer l’influence du type de profes- les réactions professionnelles 2000 ; Kleespies et al., 1990 ; 1993 ; Lapp, sion et du temps écoulé depuis le décès du 1986 ; Schnur et Levin, 1985). Les par- patient sur l’intensité des réactions chez Un questionnaire auto-administré ticipants répondent à chaque item selon les professionnels. Ensuite, des ANOVAs a mesuré l’impact du décès sur les pra- une échelle de Likert allant de 1 (aucun ont été menées afin de déterminer les dif- tiques professionnelles, un mois après le impact) à 7 (impact élevé). Parmi les réac- férences de réactions entre les hommes décès et actuellement. Ce questionnaire tions professionnelles mentionnées dans et les femmes à la suite du suicide d’un comprend 23 items inspirés des réac- le questionnaire, nous retrouvons : une patient. Enfin, une régression logistique tions professionnelles répertoriées dans anxiété accrue lors de l’évaluation et/ou avec méthode ascendante pas à pas a été l’ensemble des recherches empiriques sur du traitement de patients suicidaires, une effectuée afin de déterminer les variables le sujet (Chemtob et al., 1988a ; 1988b ; inquiétude accrue concernant la compé- prédisant l’intensité des réactions sur 55 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008
TABLEAU 2 à la possibilité de perdre un patient par suicide, mais peu avaient été informés de ANALYSE DE VARIANCE DES RÉACTIONS DES PROFESSIONNELS EN SANTÉ MENTALE l’impact que pouvait avoir sur eux un tel À LA SUITE DU SUICIDE D’UN PATIENT événement (19 %). n (%) / × (ÉT) H F dl F / D2 p RÉSULTATS PRÉLIMINAIRES : INFLUENCE DU TYPE DE PROFESSION Impact of Event Scale (IES) 13,4 (11,2) 21,2 (14,7) 1 ;125 8,9** 0,004 ET DU TEMPS ÉCOULÉ DEPUIS LE DÉCÈS intrusion 8,6 (7,2) 13,0 (9,4) 1 ;125 6,7* 0,011 Le type de profession et le temps évitement 4,8 (4,6) 8,2 (6,7) 1 ;125 8,8** 0,004 écoulé depuis le suicide du patient n’ont stress aigu (score > 19) 15 (32,6) 42 (50,6) 1 ;129 3,87* 0,049 eu aucune influence significative sur l’in- Grief Experience Questionnaire 87,1 (24,6) 97,3 (31,9) 1 ;123 2,9 0,09 tensité des réactions chez les hommes et (GEQ) les femmes, et ce, sur aucune des échelles Répercussions professionnelles de cette étude. à 1 mois 67,2 (30,5) 80,6 (35,2) 1 ;121 4,0* 0,048 LE TYPE DE RÉACTIONS : actuelles 42,4 (17,9) 55,2 (23,0) 1 ;122 10,1** 0,002 RÉSULTATS AUX ÉCHELLES EN FONCTION * p < 0,05 ** p < 0,01 DU SEXE DES PROFESSIONNELS Les professionnels en santé men- tale réagissent différemment au suicide d’un patient en fonction de leur sexe TABLEAU 3 (voir tableau 2). Les femmes obtiennent VARIABLES ASSOCIÉES À L’INTENSITÉ DES RÉACTIONS DE STRESS CHEZ LES FEMMES un score plus élevé à l’Impact of Event SUITE AU SUICIDE D’UN PATIENT Scale (IES), c’est-à-dire ressentent une détresse significativement plus élevée B SE B ß que les hommes, F(1, 125) = 8,9, p < 0,01, Ne savaient pas que leur patient était suicidaire 1,21 0,53 3,36* autant sur la sous-échelle d’intrusion, Degré de proximité au patient1 0,35 0,15 1,42* F(1, 125) = 6,7, p < 0,05, que sur celle * p < 0,05 d’évitement F(1, 125) = 8,8, p < 0,01. Nous Les variables avec un p < 0,10 ont été maintenues dans le modèle. observons également des répercussions 1. Les participants ont noté leur degré d’accord avec l’énoncé « J’étais très proche du patient », plus importantes sur leur pratique profes- sur une échelle de Likert en 6 points allant de 1 = Fortement en désaccord à 6 = Fortement en accord. sionnelle pendant le premier mois suivant le décès, F(1, 121) = 4,0, p < 0,05, ainsi que sur leur pratique professionnelle actuelle, l’Impact of Event Scale (IES) chez les participants ne différaient généralement F(1, 122) = 10,1, p < 0,01. Les hommes femmes. Les variables étudiées compre- pas de façon significative entre les hommes et les femmes présentent des scores sem- naient : la relation au décédé (durée et et les femmes (voir tableau 1). Les profes- blables au Grief Experience Questionnaire fréquence des rencontres, proximité au sionnels ont perdu leur patient en moyenne (GEQ), F(1, 123) = 2,9, p = 0,09, indiquant patient, connaissance des idéations sui- cinq ans avant de participer à l’étude : 22 % des scores de deuil faibles tant pour les cidaires du patient), la formation (théo- (n = 29) ont perdu leur patient au cours de femmes que pour les hommes. rique et clinique) et l’expérience quant à la dernière année et 78 % (n = 100) entre Les scores sur l’IES indiquent que les la problématique du suicide (expérience un et 23 ans. La moyenne d’âge des pro- femmes réagissent en moyenne au suicide auprès de personnes suicidaires, informa- fessionnels au moment du décès était de d’un patient par des réactions de stress tions reçues sur la possibilité de perdre un 40 ans (ÉT = 9,4). Ils avaient pratiqué leur élevées (x = 21,2, ÉT = 14,7), alors que patient par suicide), le stress occupationnel profession en moyenne pendant 13 ans leurs homologues masculins présentent (poursuites légales, médiatisation de l’évé- (ÉT = 9,1) et accordaient 74 % (ÉT = 26,5) une réaction de stress faible (x = 13,4, nement, découverte du corps du patient de leur temps au service clinique direct ÉT = 11,2), d’intensité cliniquement non et réactions négatives de l’entourage du auprès des patients. Cent dix-neuf profes- significative. Pour 50,6 % (n = 42) des professionnel) et le soutien social. sionnels (84 %) travaillaient dans le sec- femmes, comparativement à 32,6 % (n = 15) teur public et 22 (16 %), dans le secteur des hommes, le niveau de stress atteint RÉSULTATS privé. La majeure partie des professionnels une intensité cliniquement significative, (81 %) avaient rencontré leur patient sur F(1, 129) = 3,87, p < 0,05. Chez les deux PARTICIPANTS une base individuelle. Soixante-dix pour sexes, le stress se manifeste davantage par Quatre cents des 4616 professionnels cent (n = 92) étaient au courant des idéa- l’intrusion d’idées, d’images, de souvenirs sollicités pour participer à la recherche tions suicidaires du patient et 37 % (n = 46) ou de sentiments liés au suicide (femmes, ont répondu à la première partie du avaient établi un contrat de non-suicide x = 13,0, ÉT = 9,4 ; hommes, x = 8,6, questionnaire portant sur les variables avec leur patient avant le décès. Quant aux ÉT = 7,2) que par leur évitement (x = 8,2, démographiques du professionnel, ce qui événements survenus après le décès, moins ÉT = 6,7 ; x = 4,8, ÉT = 4,6), t(80) = 5,82, représente un taux de réponse de 9 %. Sur de 20 % des professionnels ont décrit avoir p < 0,001 et t(45) = 5,58, p < 0,001. Les ces 400 professionnels, 141 (35 %) ont vécu vécu des événements négatifs. Quatre- résultats d’une régression logistique avec le suicide d’un patient. L’échantillon était vingt-quatre pour cent des professionnels méthode ascendante pas à pas indiquent composé de 71 psychologues (50 %), de (n = 107) ont mentionné avoir reçu une que les femmes ayant vécu une réaction 56 infirmiers(ères) en psychiatrie (40 %) formation théorique sur le suicide, contre de stress cliniquement significative à l’Im- et de 14 psychiatres (10 %). Il y avait 62 % (n = 76) une formation clinique sur pact of Event Scale (IES) (score > 19) sont 89 femmes (63 %) et 52 hommes (37 %). ce thème. La majeure partie des profes- celles qui : ne savaient pas que leur patient Les caractéristiques démographiques des sionnels (84 %) avaient été informés quant était suicidaire, O.R. = 3,4, p < 0,05, et rap- FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008 56
TABLEAU 4 RÉPERCUSSIONS PROFESSIONNELLES EN FONCTION DU SEXE DES PROFESSIONNELS Fréquence des réactions1 Intensité des réactions n = 45 n = 80 % D2 x ÉT F M F M F M F M F Inquiétudes accrues concernant la compétence 39 72 86,7 90 0,3 4,6 5,1 1,7 1,8 1,9 d’évaluer / de traiter des patients suicidaires Anxiété accrue lors de l’évaluation / 37 73 82,2 91,3 2,2 4,6 5,0 1,8 1,7 1,4 du traitement de patients suicidaires Évaluation d’un plus grand nombre de patients 29 51 64,4 63,8 0,01 4,1 4,8 1,4 1,6 4,6* comme présentant un risque de suicide Sentiment accru d’impuissance lors de l’évaluation / 31 59 68,9 73,8 0,3 3,9 4,7 1,6 1,8 4,9* du traitement de patients suicidaires Sentiment de culpabilité par rapport 32 65 71,1 81,2 0,2 4,4 4,5 1,8 1,9 0,1 au suicide du patient Acceptation accrue de l’occurrence du suicide 28 58 62,2 72,5 1,4 4,0 4,3 1,3 1,5 1,3 Pensées répétées en regard du suicide du patient 34 69 75,6 86,3 2,3 4,3 4,8 1,9 1,8 2,2 Sentiment d’efficacité personnelle diminuée 33 60 73,3 75 0,04 3,9 4,5 1,6 1,8 2,7 en tant que thérapeute Sensibilité accrue aux indices du risque suicidaire 41 78 91,1 97,5 2,6 4,7 5,2 1,7 1,7 2,0 Sentiment diminué de l’efficacité de la thérapie 29 60 64,4 75 0,1 4,2 4,8 1,6 1,7 2,2 Tendance accrue à hospitaliser 28 66 62,2 82,5 6,4* 3,9 5,2 1,6 1,8 10,4** des patients suicidaires ou précautions accrues dans leur traitement Sélection plus conservatrice de patients 20 40 44,4 50 0,4 4,9 5,2 1,8 1,9 0,4 Restriction quant au nombre 14 30 31,1 37,5 0,5 4,9 4,8 1,8 1,9 0,0 de patients suicidaires traités Refus temporaire de traiter des patients suicidaires 12 24 26,7 30 0,2 4,3 5,2 2,0 1,9 1,5 Refus permanent de traiter des patients suicidaires 6 19 13,3 23,8 2,0 3,5 4,8 2,1 1,8 2,3 Envisager de quitter la profession 8 19 17,8 23,8 0,6 4,6 4,1 1,9 1,7 0,6 suite au suicide du patient Sentiment de responsabilité face au suicide du patient 30 62 66,7 77,5 1,7 4,4 4,5 1,7 1,8 0,0 Inquiétude accrue concernant 18 38 40 47,5 0,7 4,1 4,4 1,6 1,8 0,6 l’assurance professionnelle Attention accrue aux aspects légaux 30 53 75 66,3 0,0 3,8 5,0 1,3 1,8 10,5** dans la pratique Consultation plus fréquente de collègues 30 56 75 70 0,2 3,7 4,8 1,6 1,8 7,5** Consultation plus fréquente de superviseurs 18 45 40 56,3 3,0 3,3 4,6 1,5 1,8 6,4* Intérêt accru par rapport 31 60 68,9 75 0,5 4,3 4,6 1,7 1,7 0,8 à la problématique du suicide Pratiques de tenue de dossier plus conservatrices 30 55 66,7 68,8 0,1 4,3 4,9 1,7 1,6 2,4 Les analyses statistiquement significatives et les tendances sont en caractère gras (*** p < 0,001 ; ** p < 0,01 ; * p < 0,05 ; tendance = p < 0,10). 1. L’instrument de mesure comporte une échelle de Likert en 7 points allant de 1 = aucun impact à 7 = impact élevé. La première colonne du tableau indique la fréquence des réactions, comptabilisée comme étant la présence ou non de chaque répercussion. La deuxième colonne du tableau indique l’intensité des réactions, qui est la moyenne des scores sur l’échelle de Likert excluant le score 1, qui signifie une absence d’impact et n’est donc pas comptabilisé. portaient se sentir affectivement proche du vant le décès, F(1, 121) = 4,0, p < 0,05, ainsi suicide, un sentiment accru d’impuissance patient, O.R. = 1,4, p < 0,01. Ces variables qu’actuellement, F(1, 122) = 10,1, p < 0,01. lors de l’évaluation ou du traitement de ensemble prédisent à 66 % la réaction de Les femmes rapportent un impact signifi- patients suicidaires, la consultation plus stress clinique (voir tableau 3). cativement plus fort que les hommes sur les fréquente de collègues et de supervi- pratiques professionnelles suivantes dans seurs et une attention accrue aux aspects LES RÉPERCUSSIONS SUR le premier mois : une tendance accrue à légaux dans la pratique (voir tableau 4). LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES hospitaliser des patients suicidaires ou des Mentionnons aussi qu’autant d’hommes Les femmes dévoilent des répercussions précautions accrues dans leur traitement, (27 %) que de femmes (30 %) indiquent plus importantes sur leurs pratiques pro- l’évaluation d’un plus grand nombre de avoir refusé temporairement de traiter fessionnelles pendant le premier mois sui- patients comme présentant un risque de des patients suicidaires, D2 (1, 125) = 0,16, 57 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008
TABLEAU 5 SOUTIEN REÇU PAR CERTAINES INTERACTIONS ET ACTIVITÉS EN FONCTION DU SEXE DES PROFESSIONNELS Fréquence du soutien1 Degré d’aide apportée n = 40 n = 72 % D2 x ÉT F M F M F M F M F Discussion avec un ou des collègues 39 70 97,5 97,2 0,0 5,8 6,1 1,2 1,3 1,3 ayant vécu le suicide d’un patient Discussion avec le réseau personnel 35 60 87,5 83,3 0,4 4,9 5,4 1,7 1,7 1,9 (famille, conjoint ou amis) Lecture d’un article 32 56 80 77,8 0,1 4,4 5,4 1,9 1,5 7,3** sur le thème général du suicide Lecture d’un article sur 25 49 62,5 68,1 0,4 4,7 5,5 1,8 1,6 3,5 le thème général du deuil par suicide Lecture d’un article théorique 18 42 45 58,3 1,8 4,6 5,9 1,8 1,3 10,5** ou scientifique sur le thème du suicide d’un patient Lecture d’un article sur l’expérience 18 35 45 48,6 0,1 5,0 5,6 2,1 1,5 1,6 d’un professionnel à la suite du suicide d’un patient Discussion avec un superviseur 15 37 37,5 51,4 0,7 5,6 5,8 1,4 1,7 0,1 Participation à une discussion du suicide 15 36 37,5 50 0,5 5,5 6,2 1,8 1,4 1,7 du patient par un groupe de collègues Aide apportée à un autre professionnel 19 29 47,5 40,3 0,6 5,1 5,2 2,0 1,9 0,03 ayant à vivre le suicide d’un patient Présentation sur le thème du suicide 16 25 40 34,7 0,3 4,6 5,6 2,0 1,2 3,9 lors d’un atelier ou d’une conférence Participation à une revue formelle 12 28 30 38,9 0,9 5,0 6,1 2,2 1,3 3,6 des circonstances entourant le suicide du patient Discussion avec un collègue spécialisé 7 22 17,5 30,6 2,3 6,3 6,2 1,5 1,6 0,01 en suicidologie Discussion avec un thérapeute personnel 8 21 20 29,2 1,1 5,0 6,0 2,1 1,6 2,0 (c.-à.d. thérapie personnelle) Présentation de l’histoire de cas 7 15 17,5 20,8 0,2 4,7 5,3 2,7 1,5 0,4 lors d’une conférence Écriture d’un article 11 11 27,5 15,3 2,4 4,7 5,5 2,1 2,1 0,7 sur le thème du suicide Présence aux funérailles du patient 5 10 12,5 13,9 0,1 6,4 5,1 0,9 1,7 2,4 Participation à un groupe de soutien 5 7 10 9,8 1,0 5,4 4,7 2,5 2,6 0,2 pour professionnels ayant vécu le suicide d’un patient Discussion avec un ou des collègues 29 68 72,5 94,4 24,1*** 5,1 4,8 1,8 1,8 0,4 n’ayant pas vécu le suicide d’un patient Discussion avec la famille (ou amis) 22 31 55 43,1 1,5 5,3 4,8 2,2 1,9 0,8 du patient décédé Discussion avec un guide spirituel 5 10 1,5 13,9 0,1 5,4 4,7 2,5 2,8 0,2 (c.-à.d. prêtre ou autre) Consultation d’un représentant légal 3 13 7,5 18,1 2,3 4,3 4,0 3,1 2,7 0,03 (c.-à.d. avocat, assurance professionnelle) Écriture d’un article sur le patient 2 8 5 11 1,2 3,0 4,1 2,8 2,5 0,3 Les analyses statistiquement significatives et les tendances sont en caractère gras (*** p < 0,001 ; ** p < 0,01 ; tendance = p < 0,10). 1. L’instrument de mesure comporte une échelle de Likert en 7 points allant de 1 = non aidant à 7 = très aidant. La première colonne du tableau indique la fréquence du soutien, comptabilisée comme étant l’utilisation ou non de chaque source de soutien. La deuxième colonne du tableau indique le degré d’aide apportée, qui est la moyenne des scores sur l’échelle de Likert. p = 0,69, et qu’un pourcentage relative- Les répercussions professionnelles femmes restent modérément sensibles ment équivalent (18 % contre 24 %) disent diminuent significativement en fonc- aux indices du risque suicidaire (98 %), avoir envisagé de quitter leur profes- tion du temps chez les hommes et les alors que toutes les autres répercussions sion à la suite du suicide de leur patient, femmes, t (44) = –7,56, p < 0,001 et t sur les pratiques diminuent en fréquence D2 (1, 125) = 0,61, p = 0,44. (78) = –9,84, p < 0,001. La majorité des et en intensité. FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008 58
LES SOURCES DE SOUTIEN UTILISÉES apprend à vivre sans la présence de l’autre Ces résultats confirment ce qui ressort ET LEUR VALEUR et qui se traduit par une internalisation des de la littérature : les femmes sont plus vulné- Les sources de soutien ne diffèrent pas liens avec la personne décédée en vue de rables que les hommes au stress (American en fonction du sexe chez les professionnels créer un futur avec les vivants (Bowlby, Psychological Association, 2007 ; Brody, sur l’échelle globale du Questionnaire sur 1980 ; Parkes, 1986 ; Séguin et Castelli- 1997 ; Bradley et al., 2001 ; Fugita et al., le soutien reçu par certaines interactions Dransart, 2006). À l’inverse, les réactions 1991 ; Lucas et Gohm, 2000 ; Matuszek et activités, ni dans la quantité de sou- observées chez les professionnels de la et al., 1995 ; Seidlitz et Diener, 1998) et aux tien, F(1, 128) = 0,8, p = 0,37, ni dans la santé de notre étude semblent circonscrites pertes (Doka, 2003 ; Hanus, 2003 ; Lester, valeur aidante accordée, F(1, 128) = 2,4, au plan du travail, les touchant dans leur 1993 ; Martin et Doka, 2000 ; Parkes, p = 0,13. Les professionnels optent pour rôle de soignant. Aborder les conséquences 1986 ; Rando, 1984), y compris les profes- des sources de soutien variées (x = 8), et du suicide d’un patient sous l’angle général sionnelles en santé mentale ayant vécu le ce, d’autant plus que leurs réactions de du deuil risque de dénaturer cette perte de suicide d’un patient (Grad et Michel, 2005 ; stress à l’Impact of Event Scale (IES) sont son caractère fondamentalement unique, Grad et al., 1997 ; Lapp, 1986). Outre les élevées (r = 0,21, p < 0,05). Ces sources de telle qu’elle est vécue par le professionnel. caractéristiques biologiques et innées liées soutien sont généralement perçues comme Toutefois, même si les professionnels ne au sexe des participants de notre étude étant très aidantes. Le tableau 5 présente semblent pas endeuillés au même titre que (Bradley et al., 2001 ; Kring et Gordon, ces interactions et activités, en fonction de s’ils vivaient le décès d’un proche dans leur 1998 ; Labouvie-Vief et al., 2003 ; Taylor leur fréquence et du degré de soutien perçu entourage personnel, il est possible que et al., 2000), la théorie de la socialisation par les professionnels selon leur sexe. la perte soit vécue sous une autre forme, et celle du développement professionnel Malgré les similitudes sur l’échelle globale, par exemple par un deuil d’idéal ou de la peuvent être évoquées pour mieux com- les femmes se sentent plus soutenues que toute-puissance thérapeutique. prendre les différences retrouvées selon les hommes par la lecture (d’un article sur Malgré le constat général d’une absence le sexe des professionnels. le thème général du suicide, sur le deuil de deuil, les professionnels de notre étude Selon Martin et Doka (2000), il existe par suicide et sur le suicide d’un patient), ont tout de même réagi au suicide de trois principaux types de réactions à la la présentation sur le thème du suicide leur patient, mais de manière différente perte : intuitives, instrumentales et dis- lors d’un atelier ou d’une conférence et la en fonction de leur sexe. Les femmes sonantes. La personne ayant des réac- participation à un audit clinique. Toutes paraissent y avoir répondu par un niveau tions intuitives réagit à la perte sur un les autres interactions et activités sont de stress que l’on peut qualifier de clini- mode essentiellement affectif, par des appréciées de façon équivalente. quement significatif dans le premier mois, émotions exprimées intensément et la Soixante et un pour cent des femmes et alors que leurs homologues masculins ont recherche de soutien lui permettant de 45 % des hommes ont exprimé leur intérêt dévoilé un niveau de stress d’intensité ventiler ses affects. La personne ayant pour un groupe de soutien composé de non significative. Deux facteurs semblent des réactions de type instrumental vit professionnels en santé mentale ayant vécu avoir contribué au stress élevé retrouvé surtout le décès sur un mode cognitif et le suicide d’un patient, D2 (1, 119) = 2,7, chez les femmes : s’être senti affective- favorise la recherche active de solutions. p = 0,10. Leur intérêt reposait sur divers ment proche du patient et ne pas avoir su Quant à la dissonance, elle implique que besoins : de soutien (n = 40 ; 50 %) ; de que le patient était suicidaire. Certaines l’on s’empêche de vivre certaines com- trouver un sens à l’événement et d’établir explications peuvent être évoquées pour posantes de la perte selon notre mode les limites de leur responsabilité (n = 14 ; comprendre ces liens. Parmi ces explica- privilégié de réaction, qu’il soit intuitif 18 %) ; de s’adapter (n = 13 ; 16 %) ; d’ap- tions, il est possible de penser que cer- ou instrumental. Malgré l’importance de partenance (n = 8 ; 10 %) ; de briser l’iso- taines professionnelles se seraient senties situer ces pôles sur un continuum plutôt lement et le tabou entourant l’événement ébranlées dans leur croyance en l’aspect qu’en dichotomie (Bonanno et al., 2004 ; (n = 5 ; 6 %). protecteur de la relation thérapeutique Bonanno et Kaltman, 1999 ; Folkman, ou aient investi davantage la relation au 2001 ; Folkman et Lazarus, 1984, 1988 ; DISCUSSION patient. D’autre part, il se peut qu’elles Green et al., 2005 ; Nolen-Hoeksema, Le suicide d’un patient est un événe- se soient blâmées davantage pour avoir 2001 ; Weiten et Lloyd, 2006), la socialisa- ment significatif dans la carrière des pro- méconnu les idéations suicidaires de leur tion inciterait habituellement les femmes fessionnels en santé mentale, tant au plan patient ou que cette méconnaissance ait à développer une réaction intuitive à la personnel que professionnel. Les écrits pu accentuer le choc relié à l’imprévisi- perte (accompagnée de stratégies adapta- mentionnent de vives réactions chez les bilité du geste. tives orientées vers les émotions), tandis professionnels à la suite du suicide d’un Le niveau élevé de stress retrouvé chez que les hommes seraient plutôt encou- patient et les comparent à celles retrouvées les femmes, manifeste surtout par des pen- ragés à adopter un type instrumental chez les endeuillés (Foster et M. A.ams, sées intrusives liées au suicide plutôt que de réaction (accompagné de stratégies 1999 ; Farberow, 2005 ; Grad et al., 1997 ; par de l’évitement, semble accompagné de orientées vers les solutions) (Doka, 2003 ; Kleespies et al., 1990 ; 1993 ; Meade, 1999 ; répercussions initialement plus intenses Folkman et Lazarus, 1980 ; Jenkins, 1991 ; Pieters et al., 2003 ; Ruben, 1990 ; Sudak, sur leurs pratiques professionnelles : ten- Martin et Doka, 2000 ; Nolen-Hoeksema 2007 ; Tillman, 2006 ; Weiner, 2005). Sans dance accrue à hospitaliser des patients et Jackson, 2001 ; Nolen-Hoeksema vouloir minimiser l’aspect tragique du sui- suicidaires ou précautions accrues dans et al., 1993 ; 1999 ; Ptacek et al., 1994 ; cide d’un patient, les résultats de la pré- leur traitement, évaluation d’un plus grand Stroebe, 2001 ; Stroebe et Schut, 2001 ; sente recherche semblent indiquer que les nombre de patients comme présentant un Thayer et al., 1994 ; Vingerhoets et Van professionnels ne sont pas endeuillés au risque de suicide, sentiment accru d’im- Heck, 1990). Ces mêmes constatations se sens strict du terme. Ils vivent plutôt des puissance lors de l’évaluation ou du traite- retrouvent dans la littérature sur le stress réactions de stress d’intensité variable. Le ment de patients suicidaires, consultation dans le milieu de travail (Trocki et Orioli, travail de deuil est une période de détache- plus fréquente de collègues et de super- 1994 ; Nelson et Burke, 2000 ; Nelson ment d’une relation affective, une période viseurs et attention accrue aux aspects et al., 1997 ; Vermeulen et Mustard, 2000 ; pendant laquelle l’individu endeuillé légaux dans la pratique. Vingerhoets et Van Heck, 1990). 59 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008
Ces styles de réponses à l’adversité afin de composer avec le suicide de leur Cette recherche présente des limites pourraient partiellement expliquer l’im- patient, surtout si leurs réactions étaient méthodologiques et devrait idéalement être pact différentiel du suicide d’un patient fortes. Ils ont favorisé l’aspect relationnel reproduite dans un cadre prospectif et lon- retrouvé chez les professionnels de notre (discussions avec des collègues, super- gitudinal à l’aide d’entrevues individuelles, étude. Il se peut que les femmes aient vision ou thérapie) et les activités entre- afin de mieux cerner la réalité expérien- eu une tendance à l’expression active de prises étaient considérées aidantes (audit tielle des professionnels et d’élucider les leurs émotions quant au suicide de leur clinique, présence aux funérailles, ren- différences dans les réponses au suicide patient, alors que les hommes auraient eu contre de la famille du patient décédé, lec- d’un patient selon le sexe. La méthodologie tendance à réfléchir à un plan d’action ture d’articles). Cette similitude entre les rétrospective employée soulève des biais pour prévenir le suicide d’un autre patient, hommes et les femmes de notre étude irait à quant à la validité du rappel des réactions, créant ainsi une image d’imperturbabilité l’encontre de la littérature sur l’adaptation ainsi que des biais dus à l’histoire et à la alors qu’ils auraient vécu l’impact du sui- au stress, qui présente les femmes comme maturation des participants. De plus, les cide de façon rationnelle. Les réactions sollicitant davantage leur réseau social et réactions ont été mesurées seulement à émotives de faible intensité des hommes les hommes comme utilisant davantage un l’intérieur du premier mois après le suicide. à la perte ont souvent été apparentées au soutien instrumental axé sur les solutions Il n’y avait pas d’indication de difficultés déni ou à l’évitement (Burke, 2002 ; Kim (Doka, 2003 ; Folkman et Lazarus, 1980 ; cliniques au-delà d’un mois chez les pro- et Jacobs, 1991 ; Staudacher, 1991 ; Zisook Jenkins, 1991 ; Martin et Doka, 2000 ; fessionnels des deux sexes, mais il se peut et Shuchter, 1991), mais il semble qu’il Nolen-Hoeksema et Jackson, 2001 ; Nolen- que la remise en question professionnelle s’agirait plutôt d’une différence dans l’ex- Hoeksema et al., 1993 ; 1999 ; Ptacek et al., ait pu persister au-delà de cette période de pression de la perte, qui ne serait pas reliée 1994 ; Stroebe, 2001 ; Stroebe et Schut, temps. Aussi, alors que le Grief Experience à une issue négative (Bonanno et al., 2002 ; 2001 ; Tamres et al., 2002 ; Thayer et al., Questionnaire semble approprié pour une Bonanno et Kaltman, 1999 ; Lund, 2000 ; 1994 ; Vingerhoets et Van Heck, 1990). population générale d’endeuillés, il semble Doka, 2000 ; Stroebe, 2001). Les femmes Cependant, il semble que les hommes inadéquat pour cerner l’expérience de ont donc pu mettre un accent particulier bénéficient davantage du soutien social professionnels en santé mentale à la suite sur leurs sentiments face au suicide et leur lorsque celui-ci est déployé dans le milieu du suicide d’un patient. Une mesure des relation au patient, ce qui peut expliquer de travail, comparativement aux femmes réactions de deuil circonscrites au niveau leurs réactions de stress cliniquement (Baruch et al., 1987). professionnel pourrait être plus appro- significatives. Les hommes ont pu davan- Au-delà du processus de socialisa- priée. Des variables systémiques reliées au tage réfléchir au sens à attribuer au geste tion, des éléments du développement milieu occupationnel pourraient aussi être et à la manière d’y réagir, ce qui peut expli- professionnel peuvent être évoqués pour investiguées en lien avec l’intensité des quer leurs réactions de stress faibles face expliquer cette similitude dans l’utilisa- réactions, telles que la charge de travail, au suicide de leur patient. tion de sources de soutien (Orlinsky et la structure et le climat organisationnels, La relation thérapeutique a fréquem- Rønnestad, 2005 ; Rønnestad et Skovholt, les dynamiques interpersonnelles au tra- ment été comparée à la relation paren- 2001 ; Skovholt et Rønnestad, 1992). Il vail et l’interface travail-famille (Cooper, tale (Litman, 1994 ; Maltsberger, 1992 ; se peut que les professionnels en santé 1996 ; Fielden et Cooper, 2002). Encore, Maltsberger et Buie, 1974). Elle demande mentale se distinguent de la population malgré l’attention particulière accordée au thérapeute d’être particulièrement générale dans leurs attributs et que cette à la confidentialité, les résultats ont pu empathique et attentif à l’autre, se cen- occupation attire davantage des personnes être altérés par la désirabilité sociale des trant sur le patient en laissant de côté ses de type intuitives. Peut-être aussi que les participants ou par un biais de sélection, propres réactions et besoins. Cette posture hommes subissent un processus de socia- qui auraient pu se manifester de façon thérapeutique peut tirer ses origines de la lisation professionnel, comme les femmes, différente en fonction du sexe des profes- socialisation chez les femmes, qui renforce qui les encouragerait à développer davan- sionnels. Nous ne savons pas combien des des attributs relationnels liés aux soins, à tage leurs attributs relationnels. Encore, le 4616 professionnels sollicités pour partici- la coopération, à l’attention et à la sensibi- milieu de travail peut se regrouper autour per à la recherche ont vécu le suicide d’un lité à autrui. Les femmes peuvent donc être du professionnel à la suite du suicide d’un patient, étant donné le faible taux de par- prédisposées à réagir avec une intensité patient et lui offrir une variété d’alterna- ticipation. Notre taux de réponse s’avère particulièrement élevée au suicide d’un tives de soutien. Tous ces facteurs peuvent inférieur à celui obtenu dans d’autres patient, étant donné leur investissement estomper la différence naturelle de genre études (29 %-78 %) (Alexander et al., 2000 ; accru dans le domaine interpersonnel et qui serait autrement retrouvée. Trimble et al., 2000), ce qui peut être dû à leur attachement distinct aux patients En résumé, il paraît naturel de consi- l’envoi par courrier électronique, à la lon- (Fletcher, 1998, 1999 ; Gabbard et Lester, dérer que le suicide d’un patient affecte gueur du questionnaire et/ou à la méthode 1995 ; Hartmann, 1991 ; Lester, 1990, tout professionnel en santé mentale, peu d’échantillonnage utilisée. En effet, chaque 1993). La tendance des femmes à taire leur importe son sexe. Ces réactions peuvent professionnel des associations ciblées a été agressivité pourrait aussi les prédisposer à cependant se traduire par niveaux de sollicité pour participer à la recherche. Un vivre une réaction traumatique face à un stress différents : les femmes atteignent un choix plus spécifique des professionnels les événement violent tel que le suicide (Kring, seuil d’intensité plus élevé que celui des plus à risque d’être confrontés au suicide 2000 ; Labouvie-Vief et al., 2003 ; Shaffer, hommes, qui présentent des réactions de d’un patient aurait pu augmenter le taux 1996 ; Taylor et al., 2000 ; Triosi, 2001). faible intensité. À la lumière de ces diffé- de participation (par exemple, solliciter Malgré les différences de réactions rences, des initiatives concrètes pourraient seulement la participation des profession- retrouvées selon le sexe, les femmes et les aider les femmes à mieux vivre le suicide nels qui travaillaient en clinique). Ainsi, il hommes de cette étude ont rapporté uti- d’un patient. Par exemple, des interventions est possible que les professionnels ayant liser le même nombre de sources de sou- de soutien (Bultema, 1994 ; Cooper, 1995 ; vécu les impacts les plus importants à la tien et les considérer aidantes au même Little, 1992) et un plan intégré de forma- suite du suicide aient refusé de participer niveau. Les thérapeutes des deux sexes tion et de supervision (Foster et McAdams, à la recherche ou, au contraire, y aient ont utilisé des sources variées de soutien 1999) pourraient être mis sur pied. répondu en plus grand nombre. Il se peut FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2008 60
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