L'OEUVRE COOPÉRATIVE DE FRIEDRICH WILHELM RAIFFEISEN ET SES RACINES CHRÉTIENNES

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                                 Grundsatzartikel            -     Leading Article

                          L’OEUVRE COOPÉRATIVE DE
                        FRIEDRICH WILHELM RAIFFEISEN
                         ET SES RACINES CHRÉTIENNES

                                   Dr. Dr. Michael Klein
                    Pasteur de la paroisse protestante de Hamm/Sieg
                    Maître de conférences à l’ Université de Heidelberg
                            République Fédérale d’Allemagne

Le concept de l’autoassistance coopérative            leurs ressources liquides dans un fonds pour
est étroitement lié à la personne et à l’oeuvre       acheter des céréales en vue de les distribuer à
de Friedrich Wilhelm Raiffeisen (1818-                crédit aux victimes de la famine. Il construisit
1888). Les associations de caisses de prêt            plus tard un fournil communautaire; le pain
qu’il a créées spécialement pour le secteur           qui y était cuit était distribué aux nécessiteux
rural, non seulement comme réaction à la              en échange d’un titre de créance.
demande en crédits des agriculteurs mais              L’engagement de Raiffeisen porta ses fruits.
aussi comme réponse pour l’organisation de            La famine une fois terminée, les pauvres
l’achat et de la vente en commun des produits         payèrent la valeur en argent de l’aide reçue.
agricoles, sont de loin la forme
d’autoassistance coopérative qui a connu le           L’ ”association pour le pain”, fondée en tant
plus de succès, surtout à la campagne.                que cadre organisationnel de l’aide apportée,
Actuellement, un demi milliard de personnes           devint le germe de l’idée coopérative de
sont organisées dans environ 900.000                  Raiffeisen sans être pour autant une
coopératives dans plus de 100 pays.                   coopérative au sens propre parce que seules
                                                      les personnes aisées devenaient sociétaires
L’origine des coopératives Raiffeisen                 de l’association, et pas les emprunteurs. Il en
                                                      va de même pour les associations qu’il créa
C’est la dernière famine qui a sévi en Europe         par la suite: une “société de secours” qui,
Centrale en hiver 1846/47 qui poussa                  grâce à des crédits à faible taux d’intérêt,
Raiffeisen a déployer ses efforts en matière          devait rendre les agriculteurs indépendants
de réforme sociale. Grâce à sa personnalité           des prêts usuriers largement répandus, puis
charismatique, Raiffeisen, à l’époque maire           une association de bienfaisance qui non
d’une communauté rurale dans le Westerwald            seulement s’occupait de l’octroi de crédits
(Weyerbusch), arriva à convaincre les                 mais aussi de la création d’une bibliothèque
citoyens encore relativement aisés de                 populaire et de l’aide sociale aux personnes
soutenir son projet qui consistait à déposer          sorties de prison et aux enfants abandonnés.

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Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1

Le concept de cette dernière association              Dès le début, Raiffeisen chercha l’appui du
démontre manifestement que l’intérêt                  clergé pour ses associations, la religion
principal de Raiffeisen n’était pas de nature         concernée ne jouant aucun rôle pour le
purement monétaire. Au contraire, dès le              protestant qu’il était. Grâce à ses nombreux
début ses efforts se déployèrent dans le              contacts personnels, il était aussi informé sur
contexte d’un idéal national conservateur et          les efforts de la “Innere Mission”1 (mission
romantique de forte connotation chrétienne            intérieure) alors en cours de formation ; en
qui ne pouvait interpréter les événements             tant que maire prussien il mit leur programme
révolutionnaires de 1848 que de manière               en pratique comme le démontre la gamme
négative. Avec ses premières associations,            d’activités de l’association de bienfaisance
Raiffeisen s’attacha à l’image religieuse du          mentionnée ci-dessus. Ce n’est qu’au début
« bon père de famille » qui veille sur les            des années 1860 que Raiffeisen décida à
siens. Il eut ainsi recours à une image sociale       contrecoeur de restructurer ses associations
déjà dépassée à son époque, faisant partie du         sur la base de l’autoassistance mutuelle et de
passé depuis les réformes de Stein.                   les limiter aux pures opérations de crédit
                                                      lorsque les personnes aisées commencèrent à
Avec l’affranchissement des paysans, la               se retirer de plus en plus des activités
population rurale fut non seulement libérée           charitables.
de ses obligations féodales, elle fut aussi
confrontée à un avenir sans aucune sécurité           Les caractéristiques des coopératives
sociale avec la disparition de la protection du       Raiffeisen
seigneur ou du propriétaire des terres. Avec la
référence au devoir du chrétien – l’une des           Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on
expressions la plus souvent employée par              peut parler de coopérative au sens propre.
Raiffeisen – il motiva les personnes aisées à         Raiffeisen développa pour ses associations
continuer à assumer leur responsabilité               une série de critères qu’il respecta
sociale, également dans les conditions                durablement malgré sa souplesse
sociales changées. Il résuma plus tard les            organisationnelle par ailleurs. Ces critères
débuts de son mouvement : « Aucune                    sont les suivants:
puissance au monde, aucun privilège séculier
n’aurait pu les pousser (les personnes aisées)        Région de l’association
à cette entreprise extrêmement osée à
l’époque. Seule la conscience de leur devoir          Après avoir soutenu une autre opinion au
de chrétien y est arrivée ».                          début, Raiffeisen défendit avec grande
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1 Mouvement de protestants allemands créé par Johann Hinrich Wichern en 1848 (N.d.T.)

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détermination la demande d’une identité de              Le sociétariat
frontières pour les associations et les
paroisses.                                              Bien que, comme expliqué précédemment,
                                                        seules les personnes aisées pouvaient devenir
Il ne limita ainsi plus le champ d’action de ses        sociétaires dans ses premières associations,
associations comme au début aux frontières              Raiffeisen permit le sociétariat également
politiques communales des mairies qui                   aux plus pauvres, avant tout aux couches
regroupaient souvent plusieurs paroisses,               solliciteuses de crédit, sans pour autant
mais au centre spirituel, à la paroisse. Avec le        renoncer aux sociétaires riches. Ceux-ci
recours à l’unité organisationnelle existante           devaient en effet avec leurs dépôts devenir
la plus ancienne, la paroisse, Raiffeisen               l’épine dorsale financière des associations.
voulait faire usage de sa caractéristique               Raiffeisen réalisa ainsi exactement les plans
exceptionnelle, la connaissance mutuelle                exposés par Wichern dans son fameux
relativement exacte de ses membres.                     mémoire relatif aux associations. Wichern
                                                        pensait lui aussi non seulement à une
Grâce à cette connaissance mutuelle, il fallait         organisation d’autoassistance pure des
arriver à « réveiller et soigner le sens                nécessiteux mais à la formation d’une
civique » si important pour les associations            « association chrétienne des différentes
de caisses de prêt dans la mesure où les                classes d’ouvriers et de propriétaires, une
paroissiens formaient « une sorte de famille            nouvelle union libre de ceux qui ont beaucoup
agrandie » et s’aidaient ainsi les uns les autres       ou bien encore plus et de ceux qui ont
tout en contrôlant leur cote morale au moyen            moins...
d’une forme de contrôle social. L’importance
du rôle joué par le curé de la localité était           Avec ce genre d’union et d’aide mutuelle
évident si l’on tient compte d’un plus vaste            mourraient l’avarice et la crainte d’une part,
contexte (voir ci-dessous).                             l’envie et la colère d’autre part ». Les
                                                        parallèles entre la pensé de Wichern et celle
Auparavant, en 1854, Raiffeisen avait élaboré           de Raiffeisen sont là évidents. L’idéal social
le plan de relier les dénommées                         de Raiffeisen marqué par le concept des
« associations de caisses d’épargne et de               classes apparaît aussi dans la crainte que les
crédit » aux mairies respectives pour ensuite           sociétaires les plus pauvres allaient bientôt
les réunir en une « association principale » au         dominer les associations et ensuite décider
niveau d’un district. Ces plans qui trouvèrent          sur les ressources financières des riches.
ensuite leur application dans le modèle des             Raiffeisen réfuta cela avec l’argument que
« caisses d’épargne de district » échouèrent à          jusqu’à présent « la classe indigente, par
cause du manque d’intérêt du Gouvernement.              sentiment de discrétion, avait toujours élu des

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habitants aisés comme personnes de                     sociétaires. Malgré ou bien grâce à cette
confiance pour l’administration ». Raiffeisen          institution effrayante pour les sociétaires,
souligna expressément à l’intention des                aucune association ne fit faillite de toute la
personnes aisées l’effet prophylactique de             vie de Raiffeisen. Sur cette toile de fond, une
leur travail qui permettait de supprimer les           gérance risquée s’exclut d’elle-même. De
envies de révolte des pauvres. Si les moins            plus, d’après Raiffeisen, cette institution était
munis réalisaient plus combien les riches              nécessaire parce que dans les petits districts
s’occupaient de leur bien-être à eux, les              la responsabilité solidaire illimitée était la
pauvres, la conséquence ne pourrait être que           seule manière de constituer le capital
« l’amour éveille l’amour réciproque ».                nécessaire pour l’association.

Il mit cependant en garde contre une                   Ce principe des caisses de prêt de Raiffeisen
limitation générale des fonctions dans les             s’exprima dans la sentence qui devint
associations aux nantis car dans ce cas on             synonyme du mouvement Raiffeisen : « Un
« exclurait dans de nombreux cas les                   pour tous – tous pour un ». Cela ne signifie
éléments les plus utiles de la population              rien d’autre que la solidarité paléochrétienne
rurale (clergé, fonctionnaires etc.) ». Il             dans le sens du « tout en commun », comme
considérait que la collaboration du clergé             le dit le Livre des Actes des Apôtres 2,44.
était importante car elle était « comme la             Raiffeisen lui-même le cita en référence.
porte ouvrant les coeurs de ses ouailles, s’ils
voient que le curé se préoccupe aussi de leur          Capital social, parts sociales et
bien-être physique, leurs exhortations et              dividendes
enseignements religieux trouveront un sol
beaucoup plus fertile ».                               Outre la responsabilité solidaire, la base des
                                                       caisses de prêt de Raiffeisen était l’idée du
Responsabilité solidaire                               fonds social indivisible, étroitement lié au
                                                       refus des parts sociales et des dividendes.
Durant toute sa vie et malgré toutes les               Ceux-ci furent introduits de manière réduite
critiques hostiles, Raiffeisen lutta pour              et symbolique après l’interpellation du leader
établir la responsabilité solidaire de tous les        coopératif Schulze-Delitzsch au Reichstag.
sociétaires pour les éventuelles dettes de             C’est pourquoi les trois aspects seront traités
l’association. Cela signifiait à l’origine qu’un       en commun dans ce chapitre.
sociétaire était responsable pour toutes les
obligations de l’association si un créancier           Le paragraphe 35 des statuts normaux publiés
faisait une action en paiement. Avec la Loi sur        en dernière instance par Raiffeisen prévoyait :
les coopératives de 1868, les éventuelles              « Le bénéfice à déterminer d’après § 26 après
obligations furent réparties sur tous les              déduction des éventuels dividendes (§ 29)

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doit être accumulé en tant que capital social.       fonds institutionnel : Le capital social
Ce dernier a pour fin de couvrir les pertes et       indivisible était pratiquement le bien
défaillances de l’association. Si le capital         communal financier de l’association qui
social a atteint un montant tel que                  devait aider tous les nécessiteux en temps de
l’association peut fonctionner avec ses              crise. D’après Raiffeisen, il était préférable à
propres ressources, l’Assemblée Générale a           un petit dividende à verser annuellement à
le droit de disposer de ses intérêts ainsi que       tous les sociétaires. Alors que les dividendes,
des bénéfices pour des fins non lucratives au        différents suivant les dépôts, « créeraient
sein de la région de l’association ».                seulement de l’envie » et introduiraient « la
                                                     passion de la spéculation et l’égoïsme dans
Raiffeisen élabora un vaste programme pour           les associations », le fonds institutionnel
l’utilisation des rendements du fonds :              encouragerait « véritablement et
« Le bénéfice à réaliser annuellement                profondément le sens communautaire ».
offrirait des ressources abondantes pour
créer des institutions pour le bien-être             Raiffeisen prit là probablement exemple sur
commun de la population comme, par                   les fondations ecclésiastiques pour la
exemple, des garderies d’enfants, des centres        formation financière de ce fonds. Ils étaient
de perfectionnement pour les jeunes exclus           par le passé un facteur important pur
de l’école, des hôpitaux et des cliniques, des       l’assistance aux pauvres. En effet, le fonds
asiles pour les personnes dans le besoin, pour       institutionnel formait également une entité
les vieillards etc. ».                               indivisible et les aumônes provenaient des
                                                     intérêts ou autres revenus. Là aussi se montre
Il y a de nombreuses spéculations sur la             l’opinion profondément marquée par le
question de savoir d’où Raiffeisen connaissait       christianisme de Raiffeisen sur ses
ce fonds institutionnel ou fonds de réserve. À       institutions qui n’étaient aucunement des
mon avis, Raiffeisen lui-même indique la             organisations se consacrant uniquement à
base du fonds, il se réfère aux dénommés             l’obtention de crédits mais des associations,
« biens communaux » qui étaient déjà en voie         comme le dit § 2 de ses statuts normaux, qui
de disparition à l’époque. Il s’agissait des         voulaient « améliorer la situation de leurs
forêts et des pâturages qui appartenaient à          sociétaires tant moralement que
l’ensemble des familles et qui permettaient          matériellement ».
aux membres de la communauté villageoise
en difficulté de survivre.                           La réception des coopératives Raiffeisen
                                                     dans le protestantisme
Raiffeisen mentionna l’effet bénéfique des
biens communaux en temps de crise ou bien            Pendant les décades suivantes, l’idée
dans des cas particuliers en relation avec le        coopérative de Raiffeisen se répandit dans

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toute l’Europe. Il existait par exemple dans la          important car cela pouvait empêcher que
Russie tsariste 11.000 coopératives                      surgissent des impulsions démocratiques ou
Raiffeisen en 1916.                                      communistes de leur part. Wichtern semble
                                                         avoir aussi partagé la crainte exprimée dans
Quoi qu’il en soit, la réception des idées de            les mots de Bismarck qui appelait les
Raiffeisen par le protestantisme fut tout                coopératives « caisses de guerre de la
d’abord plus ou moins limitée localement et              démocratie ».
dépendante des contacts personnels. Pourtant,
Raiffeisen, comme nous l’avons mentionné                 En 1863, Wichern essaya de prendre contact
ci-dessus, mit en pratique des idées de la               avec Raiffeisen. Il est cependant surprenant
« Innere Mission » : Wichern avait                       que celui-ci se soit opposé à une présentation
recommandé la création d’ « associations                 de ses efforts dans les « Fliegende Blätter ».
pour personnes dans le besoin » dans son                 Cela est en contradiction avec le
mémoire programmatique de 1849.                          comportement normal de Raiffeisen toujours
                                                         en faveur d’une collaboration avec le clergé.
Mais les plans de Wichern sont tout d’abord              Il n’y eut en effet pas de publication sur les
restés dans la théorie. Victor Aimé Huber fut            associations de caisses de prêt de Raiffeisen
la personne qui diffusa l’idée de                        à cette époque.
l’autoassistance coopérative dans le monde
protestant. Cependant les efforts de Huber               On ne peut que supposer quelles étaient les
pour convaincre la Innere Mission et                     raisons de la réserve de Raiffeisen : il faut
nommément Wichern de promouvoir l’idée                   tenir compte du fait qu’en 1863 son
coopérative sont restés dépourvus de fruits              « association de bienfaisance » était déjà en
pendant toutes les années 1850.                          pleine crise. C’est pourquoi la réorganisation
                                                         décrite ci-dessus eut lieu en 1864. En outre,
Ce n’est qu’en 1862 que le changement                    en 1862, Raiffeisen avait pris connaissance
survint, après que la coopération ait été le             des travaux de Schulze-Delitzsch et pendant
thème d’une conférence spéciale du Congrès               un certain temps il travailla à la
de l’Église Protestante au Brandenburg.                  restructuration du système des caisses de prêt
                                                         sur le modèle de Schulze, concernant par
Wichern aussi s’engagea plus fortement pour              exemple l’introduction de parts sociales.
la promotion des associations lorsqu’il dit :
« Pour le dire en un mot, il s’agit là aussi de la       Il est possible que Raiffeisen n’ait pu se
solution de la mission diaconale de l’Église ».          résoudre à une publication à cause du manque
Le fait que l’Église doive avoir pour ainsi dire         de maturité de ses efforts à ce moment-là.
une relation de patronage avec les futures               Selon toute vraisemblance il n’y eut pas non
coopératives paraissait particulièrement                 plus de contact personnel entre Wichern et

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Raiffeisen ultérieurement. En 1863, Wicher             l’oeuvre de Raiffeisen dans le monde du
et Huber rompirent leurs relations. Et avec le         protestantisme. À cette époque, le public, et
départ de Huber, l’intérêt de la Innere Mission        donc aussi le monde protestant, fut
pour le système coopératif cessa aussi.                sensibilisé à la misère de la population rurale
                                                       par les recherches de l’Association de
Plus tard, la dispute entre Wichern et                 Politique Sociale qui analysa dans plusieurs
Schulze-Delitzsch sur la réforme prussienne            enquêtes les problèmes ruraux et aussi
des prisons contribua en raison d’animosités           notamment la menace suspendue par les
personnelles à ne porter que peu d’attention à         usuriers sur l’existence des paysans.
l’idée coopérative, si bien que Martin
Gerhardt, biographe de Wichern et historien            Jusqu’alors, certains curés avaient lutté
de la Innere Mission, dut constater : « Le             contre ces situations intenables dans leurs
Comité Central n’a pas saisi l’occasion de             paroisses respectives ; ce problème était
collaborer à la réalisation de l’idée                  maintenant devenu une tâche globale de la
coopérative chrétienne ».                              politique et de l’Église.

Il est probable que Huber lui-même n’eut pas           Cette crise, en relation avec une importante
connaissance des efforts de Raiffeisen.                modernisation et rationalisation de
O’Shanah l’affirme, sans pour autant citer de          l’agriculture allemande allant jusqu’au
source. C’set pourquoi nous avons tendance à           capitalisme agraire changea nettement la
être d’accord avec Ingwer Paulsen qui estime           structure sociale rurale dans laquelle l’exode
que Huber n’avait pas connaissance des                 rural, c’est-à-dire l’exode des ouvriers
efforts déployés par Raiffeisen.                       agricoles vers les villes, constituait le
                                                       problème principal.
Cependant, d’après Paulsen, Huber et
Raiffeisen avaient des affinités                       Et enfin, il faut naturellement mentionner que
intellectuelles : « Dans les coopératives de           le protestantisme se dévoua fortement aux
Raiffeisen, Huber aurait pu trouver ce qui lui         questions sociales et économiques de la
manquait chez Schulze : l’esprit chrétien              société à partir de 1890. L’idée d’un Empire
décidé, et l’effort de veiller plus au « bien-         social défendue peu longtemps par Wilhelm
être » des sociétaires qu’au caractère                 II, le décret correspondant du consistoire
purement économique ».                                 suprême protestant (EOK) de 1890 et la
                                                       fondation du congrès protestant social firent
Ce n’est que depuis la fin des années 1880 et          que l’élément chrétien social dans la paroisse
particulièrement dans les années 1890 que se           ne fut plus seulement autorisé mais aussi
développa un ample mouvement favorable à               souhaité et estimé nécessaire.

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Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1

Ceci permit aux défenseurs de l’idée de                 Discussion sur la conception de Raiffeisen
Raiffeisen, jusqu’alors de tendances diverses,          d’un système coopératif de caractère
d’entrer en action en commun, grâce aussi au            chrétien
changement d’orientation du EOK en 1895.
À partir de 1888, l’idée de Raiffeisen fut              La claire motivation chrétienne de Raiffeisen
largement propagée au sein du monde                     fut aussi discutée au sein du système
protestant par le Comité Central de la Innere           coopératif et fit l’objet de débats
Mission en particulier. Pendant le Congrès de           controverses.
la Innere Mission tenu à Posen en 1895, la
résolution suivante fut adoptée dans le cadre           Ces discussions eurent lieu sur la toile de
d’une conférence spéciale sur les                       fond du conflit fondamental entre le modèle
associations de caisses de prêt de Raiffeisen :         social conservateur de Raiffeisen et l’attitude
                                                        libérale des autres coopérateurs tels que
« Nous voyons dans les associations de                  Hermann Schulze-Delitzsch (1808-1883) :
caisses de prêt Raiffeisen organisées par               La discussion la plus âpre dans l’histoire
Friedrich Wilhelm Raiffeisen une entreprise             coopérative est désignée par le terme
vraiment chrétienne dans laquelle la réforme            « Systemstreit » (dispute de systèmes). Il
sociale pratique de base chrétienne devient             s’agit là du conflit qui a duré de longues
action et vérité. Ces associations sont                 années entre les associations de caisses de
d’origine chrétienne (la personnalité bénie,            prêt de Raiffeisen et les associations
chrétienne ‘Père Raiffeisen’ et les principes           d’avances du système créé par Schulze-
moraux et chrétiens des statuts normaux des             Delitzsch.
associations), elles contiennent un travail
d’amour chrétien (responsabilité solidaire              Bien que le caractère chrétien donné par
chrétienne, structure paroissiale, gérants              Raiffeisen à ses associations n’ait jamais été
bénévoles, octroi prudent et adéquat de crédit          explicitement thématisé dans cette dispute
pour encourager l’emprunteur dans son                   qui eut tant de graves conséquences pour
développement chrétien et moral) et ont des             l’histoire du mouvement coopératif, il est à
objectifs chrétiens (stimulation du sens                mon avis justifié de le traiter dans ce
communautaire chrétien, discipline                      chapitre : Hermann Schulze-Delitzsch est
sanctifiante, prévention de la dépravation et           après Raiffeisen la seconde figure importante
de l’appauvrissement, appui au bien-être                de l’histoire coopérative allemande.
populaire). ...L’oeuvre de ‘Raiffeisen’ a trouvé
sa patrie dans la structure diversifiée de la           Après avoir fait de bonnes expériences avec
Innere Mission. »                                       l’assistance organisée aux pauvres pendant la

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Article de fond               -      Artículo de fondo

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famine de 1846/47, comme Raiffeisen avec                qui mentionne ce fait dans ses « notes
ses fournils pour les personnes dans le                 marginales ». En fait, Raiffeisen et Schulze-
besoin, il créa dans les années 1849/50 les             Delitzsch avaient des approches idéologiques
premières caisses d’avances qui devaient                très différentes. Alors que Raiffeisen, dès la
satisfaire avant tout les besoins en crédits des        première édition de son livre sur les
artisans. La fondation de caisses d’avances se          associations de caisses de prêt, déclarait que
fit à un rythme accéléré et alors que                   la participation du clergé était souhaitable et
Raiffeisen cherchait encore la forme                    attirait l’attention sur l’orientation chrétienne
adéquate pour ses associations, les caisses de          de son travail, on ne trouve rien de semblable
Schulze-Delitzsch étaient déjà une                      chez Schulze-Delitzsch.
organisation établie.
                                                        Partant de la mentalité libérale de
Raiffeisen, qui pendant un certain temps                l’autoassistance inconditionnelle, le député
réfléchit à une restructuration de ses                  Schulze-Delitzsch considérait l’influence
associations sur le modèle de Schulze-                  chrétienne dans le travail coopératif comme
Delitzsch, laissa tomber cette idée plus tard,          un élément étranger et non fonctionnel car,
surtout pour des raisons techniques (durée              avec la participation du clergé, il fallait
des crédits et questions similaires). Lorsque           s’attendre à une forte influence de l’Église
les associations de caisses prêt eurent aussi           sur les associations.
atteint une taille importante, Schulze-
Delitzsch débuta une campagne acharnée. Le              Il était pour lui inadmissible que « l’Église,
résultat de cette dispute fut que le mouvement          considérant son ancienne fonction d’amour
coopératif resta divisé pendant presque cent            du prochain et de refuge pour les pauvres et
ans. Ce n’est qu’en 1972 que les Banques                les nécessiteux, s’immisce ». Cette opinion
Raiffeisen, issues des associations de caisses          valait tout particulièrement pour les
de prêt, et les Banques Populaires                      tendances conservatrices et restauratrices de
(Volksbanken), initialement créées par                  Raiffeisen orientées sur un affermissement
Schulze-Delitzsch, fusionnèrent en une                  de la foi chrétienne au moyen de ses
confédération commune.                                  associations.

Bien que dans toute la dispute, comme nous              L’élément chrétien dans le travail coopératif
l’avons mentionné précédemment, l’élément               fut ensuite explicitement thématisé dans la
chrétien des associations de caisses de prêt            dispute entre Raiffeisen et son suppléant
n’ait pas été thématisé, il semble tout de              Weidenhammer. Rudolf Weidenhammer,
même avoir joué un rôle. C’est ce que                   désigné comme successeur de Raiffeisen
suppose aussi Erich-Lothar Seelmann-                    dans le monde coopératif, se retira de
Eggebert, historien du système coopératif,              l’organisation Raiffeisen avec l’argument

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Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1

suivant : « Je suis bien d’avis que l’esprit de          l’importance de ses associations et aussi
l’amour chrétien du prochain peut être éveillé           l’élément chrétien de celles-ci. À partir des
et soigné par l’intermédiaire des coopéra-               années quatre-vingt, la fréquence des opinions
tives ; mais je trouve qu’il est extrêmement             exprimées par Raiffeisen augmenta grâce à la
désavantageux pour notre cause de vouloir                publication de la gazette coopérative agricole
inversement appeler l’esprit de l’amour                  et aux nouvelles éditions du livre sur les
chrétien du prochain pour animer les                     associations de caisses de prêt, de sorte que
coopératives,... ».                                      l’on put aussi se faire une idée claire de
                                                         l’opinion de Raiffeisen quant à l’importance
C’est pourquoi les autres coopératives rurales           de ses associations.
fondées ensuite avec la participation de
Weidenhammer trouvèrent « important qu’il                Si l’on fait la comparaison avec ses
soit connu que nous n’avons plus aucune                  affirmations dans la première édition de son
relation avec Monsieur Raiffeisen étant                  livre « Die Darlehenskassenvereine » en
donné qu’il essaye de manière continue et                1866, l’attention est attirée par le fait que la
accélérée de donner à ses coopératives un                description de la fonction des associations
caractère religieux et politique... ».                   est plus précise et placée dans un contexte
                                                         social général plus clair.
Dans la publication de sa nouvelle fédération,
Weidenhammer poursuivit sa polémique                     On observe cependant certains changements
contre Raiffeisen en regrettant que celui-ci             dans son analyse de la situation sociale. Alors
« exprime avec ostentation des tendances                 qu’en 1866 le manque de crédit et l’usure
ecclésiastiques et religieuses » et fasse ainsi          étaient encore des phénomènes qu’il fallait
obstacle aux efforts d’unification du système            combattre pour stopper la perte de foi
coopératif en encourageant « la division entre           croissante de la population qui en résultait,
les coopératives à cause de ses inclinations             Raiffeisen prétendait maintenant au contraire
personnelles et de sa vanité ».                          que la misère sociale était due « principale-
                                                         ment à la déchristianisation de notre
Raiffeisen et l’aspect chrétien du travail               époque ».
coopératif
                                                         Il était donc pour Raiffeisen « grand temps de
Après tout ce que nous avons dit jusqu’à                 faire changer de cours l’attitude contem-
présent, il est clair que la foi chrétienne était        poraine mal embarquée et de poursuivre
pour Raiffeisen le motif central de son                  d’autres objectifs ». Pour lui, la seule
activité de réforme sociale. Cela se confirme            manière d’y arriver passait par le retour de
aussi dans ses écrits : Ils décrivent clairement         toutes les classes sociales à la foi chrétienne
et nettement la manière dont il estime                   car « la question sociale a été résolue par le

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Article de fond              -      Artículo de fondo

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Christ il y a longtemps déjà. Il s’agit                l’action chrétienne par l’intermédiaire de
simplement d’assistance organisée pour les             l’organisation coopérative. À cette fin, il
plus humbles, les nécessiteux, les membres             envisagea de créer une société commerciale
les plus faibles de la société, ... L’amour            sur le modèle des entreprises de la Fraternité
éveille l’amour réciproque, la gratitude et la         morave sise à Neuwied.
reconnaissance d’une part, l’abnégation et la
joie d’autre part, il conduit à une relation           Comme dans ces entreprises, le bénéfice ne
aimable entre les pauvres et les riches, à la          devait pas être distribué, mais, dans ce cas,
réconciliation des contraires et à l’étroite           profiter à la fédération. Raiffeisen voulait
coopération de tous pour éliminer la misère            ainsi couvrir les frais courants, payer les
et les situations insoutenables existantes ».          membres du personnel et en même temps
                                                       créer une caisse des retraites à leur intention.
L’amour dont il s’agit là est « expressément
l’amour chrétien du prochain enraciné dans             Cependant, outre ces aspects économiques,
l’amour de Dieu et le devoir du chrétien ». Et         Raiffeisen poursuivait une toute autre
le devoir du chrétien est avant tout de prendre        intention avec la création de son entreprise :
soin des plus humbles : « ‘chaque fois que             afin de trouver des collaborateurs appropriés
vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de          pour son oeuvre coopérative, non pas motivés
mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’         par le mérite ou l’honneur, mais par l’amour
                                                       chrétien du prochain pour les défavorisés
Ces paroles du Sauveur sont la base des                sociaux, il projetait aussi « de créer une
associations des caisses de prêt et de toute           société – peut-être sous le nom de ‘societas
leur organisation ». C’est pourquoi ce travail         caritatis’ ou ‘société caritas’ – afin de
requiert des personnes « conscientes du fait           promouvoir des institutions appropriées qui
qu’elles devront rendre des comptes et que             contribueraient au soulagement de la misère
leur avenir dans l’éternité dépend de leur             des nécessiteux et à l’amélioration des
action dans ce monde ».                                conditions sociales de la classe populaire la
                                                       moins aisée ».
Les autres plans de Raiffeisen
                                                       Là aussi Raiffeisen avait un exemple concret
Bien que malgré une opposition hostile les             en vue, il s’agissait d’une société catholique
associations de caisses de prêt se soient              prenant soin des malades. Comme dans une
transformées en une organisation                       fraternité religieuse, les membres devaient
considérable et que Raiffeisen ait défendu             faire voeu de célibat, renoncer à la propriété
leur caractère chrétien, il continua à lutter          privée et vouer obéissance inconditionnelle à
pour l’orientation spirituelle de son oeuvre et        leurs supérieurs. Ils étaient libres de quitter la
chercha une forme plus engageante de                   société à tout moment. La condition pour leur

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Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1

admission était l’appartenance à une                   dit : « Les participants doivent vivre comme
confession chrétienne ainsi qu’un                      les apôtres. Ils doivent travailler pour
engagement social antérieur prouvé.                    l’humanité défavorisée et gagner leur vie eux-
Raiffeisen espérait ainsi pouvoir « exercer            mêmes si besoin est. ...Les activités
une légère pression sur la Caisse Centrale et          commerciales de l’entreprise sont
la fédération au sommet pour que les postes            secondaires. Il s’agit de créer une base
administratifs » puissent être occupés « par le        déterminée, une forte communauté dans
personnel de bonne éthique ».                          laquelle le bon esprit est soigné et affermi
                                                       parmi les employés et se maintient aussi à
Les deux institutions envisageaient donc               l’avenir grâce au recrutement graduel et
clairement non seulement de remplir des                continu de nouvelles personnes adhérant aux
fonctions économiques mais aussi de                    mêmes principes ».
sélectionner les membres du personnel afin
de recruter des personnes pour la direction de         L’évolution des coopératives Raiffeisen
l’organisation coopérative garantissant la
continuation du travail dans l’esprit chrétien         Les associations de caisses de prêt, appelées
de son fondateur.                                      plus tard coopératives Raiffeisen,
                                                       continuèrent à suivre la voie des opérations
Raiffeisen ne put cependant pas vraiment               économiques rationnelles et fonctionnelles
réaliser ses plans et fonda à la place une             déjà critiquée par leur fondateur, et mirent
société commerciale qui devait mettre en               ainsi de côté les aspects spirituels et
pratique au moins quelques-uns des objectifs           communautaires de la coopérative.
fixés.
                                                       Les critères développés par Raiffeisen (taille
Raiffeisen conserva ses intentions charitables         limitée des associations, bénévolat des
dans la société commerciale dans la mesure             administrateurs, responsabilité solidaire
où les statuts prévoyaient que le bénéfice de          illimitée) révélèrent qu’ils n’étaient plus
l’entreprise devait être destiné à la création         praticables si elles voulaient rester
d’un capital de réserve ainsi qu’à la                  compétitives dans le secteur du crédit.
« promotion d’institutions destinées à
soulager la misère des nécessiteux et à                Cependant, l’objectif du fond institutionnel
améliorer les conditions sociales ».                   connaît aujourd’hui une certaine renaissance
                                                       sous la forme du ‘social sponsoring’ et des
Il pensait là notamment à la fondation et à            fonds dits éthiques. Étant donné la
l’appui des associations de caisses de prêt. Il        mondialisation croissante et le triomphe du
fit aussi expressément référence à la                  néolibéralisme, le « tiers secteur », c’est-à-
dimension spirituelle de l’entreprise lorsqu’il        dire l’initiative privée, les petites associations

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Article de fond             -      Artículo de fondo

                                   Grundsatzartikel            -      Leading Article

et les relations solidaires de taille limitée, va        originaires de Raiffeisen vont ainsi recevoir
regagner de l’importance. Les idées                      un nouvel accueil.

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Autres publications de Michael Klein sur ce thème:
Leben, Werk und Nachwirkung des Genossenschaftsgründers Friedrich Wilhelm Raiffeisen.
Dargestellt im Zusammenhang mit dem deutschen sozialen Protestantismus, Köln 2. Aufl.
1999.
Bankier der Barmherzigkeit – Friedrich Wilhelm Raiffeisen. Das Leben des
Genossenschaftsgründers in Texten und Bildern, Neukirchen-Vluyn 1999, Sonderauflage 2008

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