L'OEUVRE COOPÉRATIVE DE FRIEDRICH WILHELM RAIFFEISEN ET SES RACINES CHRÉTIENNES
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Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article L’OEUVRE COOPÉRATIVE DE FRIEDRICH WILHELM RAIFFEISEN ET SES RACINES CHRÉTIENNES Dr. Dr. Michael Klein Pasteur de la paroisse protestante de Hamm/Sieg Maître de conférences à l’ Université de Heidelberg République Fédérale d’Allemagne Le concept de l’autoassistance coopérative leurs ressources liquides dans un fonds pour est étroitement lié à la personne et à l’oeuvre acheter des céréales en vue de les distribuer à de Friedrich Wilhelm Raiffeisen (1818- crédit aux victimes de la famine. Il construisit 1888). Les associations de caisses de prêt plus tard un fournil communautaire; le pain qu’il a créées spécialement pour le secteur qui y était cuit était distribué aux nécessiteux rural, non seulement comme réaction à la en échange d’un titre de créance. demande en crédits des agriculteurs mais L’engagement de Raiffeisen porta ses fruits. aussi comme réponse pour l’organisation de La famine une fois terminée, les pauvres l’achat et de la vente en commun des produits payèrent la valeur en argent de l’aide reçue. agricoles, sont de loin la forme d’autoassistance coopérative qui a connu le L’ ”association pour le pain”, fondée en tant plus de succès, surtout à la campagne. que cadre organisationnel de l’aide apportée, Actuellement, un demi milliard de personnes devint le germe de l’idée coopérative de sont organisées dans environ 900.000 Raiffeisen sans être pour autant une coopératives dans plus de 100 pays. coopérative au sens propre parce que seules les personnes aisées devenaient sociétaires L’origine des coopératives Raiffeisen de l’association, et pas les emprunteurs. Il en va de même pour les associations qu’il créa C’est la dernière famine qui a sévi en Europe par la suite: une “société de secours” qui, Centrale en hiver 1846/47 qui poussa grâce à des crédits à faible taux d’intérêt, Raiffeisen a déployer ses efforts en matière devait rendre les agriculteurs indépendants de réforme sociale. Grâce à sa personnalité des prêts usuriers largement répandus, puis charismatique, Raiffeisen, à l’époque maire une association de bienfaisance qui non d’une communauté rurale dans le Westerwald seulement s’occupait de l’octroi de crédits (Weyerbusch), arriva à convaincre les mais aussi de la création d’une bibliothèque citoyens encore relativement aisés de populaire et de l’aide sociale aux personnes soutenir son projet qui consistait à déposer sorties de prison et aux enfants abandonnés. 4
Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1 Le concept de cette dernière association Dès le début, Raiffeisen chercha l’appui du démontre manifestement que l’intérêt clergé pour ses associations, la religion principal de Raiffeisen n’était pas de nature concernée ne jouant aucun rôle pour le purement monétaire. Au contraire, dès le protestant qu’il était. Grâce à ses nombreux début ses efforts se déployèrent dans le contacts personnels, il était aussi informé sur contexte d’un idéal national conservateur et les efforts de la “Innere Mission”1 (mission romantique de forte connotation chrétienne intérieure) alors en cours de formation ; en qui ne pouvait interpréter les événements tant que maire prussien il mit leur programme révolutionnaires de 1848 que de manière en pratique comme le démontre la gamme négative. Avec ses premières associations, d’activités de l’association de bienfaisance Raiffeisen s’attacha à l’image religieuse du mentionnée ci-dessus. Ce n’est qu’au début « bon père de famille » qui veille sur les des années 1860 que Raiffeisen décida à siens. Il eut ainsi recours à une image sociale contrecoeur de restructurer ses associations déjà dépassée à son époque, faisant partie du sur la base de l’autoassistance mutuelle et de passé depuis les réformes de Stein. les limiter aux pures opérations de crédit lorsque les personnes aisées commencèrent à Avec l’affranchissement des paysans, la se retirer de plus en plus des activités population rurale fut non seulement libérée charitables. de ses obligations féodales, elle fut aussi confrontée à un avenir sans aucune sécurité Les caractéristiques des coopératives sociale avec la disparition de la protection du Raiffeisen seigneur ou du propriétaire des terres. Avec la référence au devoir du chrétien – l’une des Ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on expressions la plus souvent employée par peut parler de coopérative au sens propre. Raiffeisen – il motiva les personnes aisées à Raiffeisen développa pour ses associations continuer à assumer leur responsabilité une série de critères qu’il respecta sociale, également dans les conditions durablement malgré sa souplesse sociales changées. Il résuma plus tard les organisationnelle par ailleurs. Ces critères débuts de son mouvement : « Aucune sont les suivants: puissance au monde, aucun privilège séculier n’aurait pu les pousser (les personnes aisées) Région de l’association à cette entreprise extrêmement osée à l’époque. Seule la conscience de leur devoir Après avoir soutenu une autre opinion au de chrétien y est arrivée ». début, Raiffeisen défendit avec grande -------------------------------------------------------------- 1 Mouvement de protestants allemands créé par Johann Hinrich Wichern en 1848 (N.d.T.) 5
Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article détermination la demande d’une identité de Le sociétariat frontières pour les associations et les paroisses. Bien que, comme expliqué précédemment, seules les personnes aisées pouvaient devenir Il ne limita ainsi plus le champ d’action de ses sociétaires dans ses premières associations, associations comme au début aux frontières Raiffeisen permit le sociétariat également politiques communales des mairies qui aux plus pauvres, avant tout aux couches regroupaient souvent plusieurs paroisses, solliciteuses de crédit, sans pour autant mais au centre spirituel, à la paroisse. Avec le renoncer aux sociétaires riches. Ceux-ci recours à l’unité organisationnelle existante devaient en effet avec leurs dépôts devenir la plus ancienne, la paroisse, Raiffeisen l’épine dorsale financière des associations. voulait faire usage de sa caractéristique Raiffeisen réalisa ainsi exactement les plans exceptionnelle, la connaissance mutuelle exposés par Wichern dans son fameux relativement exacte de ses membres. mémoire relatif aux associations. Wichern pensait lui aussi non seulement à une Grâce à cette connaissance mutuelle, il fallait organisation d’autoassistance pure des arriver à « réveiller et soigner le sens nécessiteux mais à la formation d’une civique » si important pour les associations « association chrétienne des différentes de caisses de prêt dans la mesure où les classes d’ouvriers et de propriétaires, une paroissiens formaient « une sorte de famille nouvelle union libre de ceux qui ont beaucoup agrandie » et s’aidaient ainsi les uns les autres ou bien encore plus et de ceux qui ont tout en contrôlant leur cote morale au moyen moins... d’une forme de contrôle social. L’importance du rôle joué par le curé de la localité était Avec ce genre d’union et d’aide mutuelle évident si l’on tient compte d’un plus vaste mourraient l’avarice et la crainte d’une part, contexte (voir ci-dessous). l’envie et la colère d’autre part ». Les parallèles entre la pensé de Wichern et celle Auparavant, en 1854, Raiffeisen avait élaboré de Raiffeisen sont là évidents. L’idéal social le plan de relier les dénommées de Raiffeisen marqué par le concept des « associations de caisses d’épargne et de classes apparaît aussi dans la crainte que les crédit » aux mairies respectives pour ensuite sociétaires les plus pauvres allaient bientôt les réunir en une « association principale » au dominer les associations et ensuite décider niveau d’un district. Ces plans qui trouvèrent sur les ressources financières des riches. ensuite leur application dans le modèle des Raiffeisen réfuta cela avec l’argument que « caisses d’épargne de district » échouèrent à jusqu’à présent « la classe indigente, par cause du manque d’intérêt du Gouvernement. sentiment de discrétion, avait toujours élu des 6
Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1 habitants aisés comme personnes de sociétaires. Malgré ou bien grâce à cette confiance pour l’administration ». Raiffeisen institution effrayante pour les sociétaires, souligna expressément à l’intention des aucune association ne fit faillite de toute la personnes aisées l’effet prophylactique de vie de Raiffeisen. Sur cette toile de fond, une leur travail qui permettait de supprimer les gérance risquée s’exclut d’elle-même. De envies de révolte des pauvres. Si les moins plus, d’après Raiffeisen, cette institution était munis réalisaient plus combien les riches nécessaire parce que dans les petits districts s’occupaient de leur bien-être à eux, les la responsabilité solidaire illimitée était la pauvres, la conséquence ne pourrait être que seule manière de constituer le capital « l’amour éveille l’amour réciproque ». nécessaire pour l’association. Il mit cependant en garde contre une Ce principe des caisses de prêt de Raiffeisen limitation générale des fonctions dans les s’exprima dans la sentence qui devint associations aux nantis car dans ce cas on synonyme du mouvement Raiffeisen : « Un « exclurait dans de nombreux cas les pour tous – tous pour un ». Cela ne signifie éléments les plus utiles de la population rien d’autre que la solidarité paléochrétienne rurale (clergé, fonctionnaires etc.) ». Il dans le sens du « tout en commun », comme considérait que la collaboration du clergé le dit le Livre des Actes des Apôtres 2,44. était importante car elle était « comme la Raiffeisen lui-même le cita en référence. porte ouvrant les coeurs de ses ouailles, s’ils voient que le curé se préoccupe aussi de leur Capital social, parts sociales et bien-être physique, leurs exhortations et dividendes enseignements religieux trouveront un sol beaucoup plus fertile ». Outre la responsabilité solidaire, la base des caisses de prêt de Raiffeisen était l’idée du Responsabilité solidaire fonds social indivisible, étroitement lié au refus des parts sociales et des dividendes. Durant toute sa vie et malgré toutes les Ceux-ci furent introduits de manière réduite critiques hostiles, Raiffeisen lutta pour et symbolique après l’interpellation du leader établir la responsabilité solidaire de tous les coopératif Schulze-Delitzsch au Reichstag. sociétaires pour les éventuelles dettes de C’est pourquoi les trois aspects seront traités l’association. Cela signifiait à l’origine qu’un en commun dans ce chapitre. sociétaire était responsable pour toutes les obligations de l’association si un créancier Le paragraphe 35 des statuts normaux publiés faisait une action en paiement. Avec la Loi sur en dernière instance par Raiffeisen prévoyait : les coopératives de 1868, les éventuelles « Le bénéfice à déterminer d’après § 26 après obligations furent réparties sur tous les déduction des éventuels dividendes (§ 29) 7
Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article doit être accumulé en tant que capital social. fonds institutionnel : Le capital social Ce dernier a pour fin de couvrir les pertes et indivisible était pratiquement le bien défaillances de l’association. Si le capital communal financier de l’association qui social a atteint un montant tel que devait aider tous les nécessiteux en temps de l’association peut fonctionner avec ses crise. D’après Raiffeisen, il était préférable à propres ressources, l’Assemblée Générale a un petit dividende à verser annuellement à le droit de disposer de ses intérêts ainsi que tous les sociétaires. Alors que les dividendes, des bénéfices pour des fins non lucratives au différents suivant les dépôts, « créeraient sein de la région de l’association ». seulement de l’envie » et introduiraient « la passion de la spéculation et l’égoïsme dans Raiffeisen élabora un vaste programme pour les associations », le fonds institutionnel l’utilisation des rendements du fonds : encouragerait « véritablement et « Le bénéfice à réaliser annuellement profondément le sens communautaire ». offrirait des ressources abondantes pour créer des institutions pour le bien-être Raiffeisen prit là probablement exemple sur commun de la population comme, par les fondations ecclésiastiques pour la exemple, des garderies d’enfants, des centres formation financière de ce fonds. Ils étaient de perfectionnement pour les jeunes exclus par le passé un facteur important pur de l’école, des hôpitaux et des cliniques, des l’assistance aux pauvres. En effet, le fonds asiles pour les personnes dans le besoin, pour institutionnel formait également une entité les vieillards etc. ». indivisible et les aumônes provenaient des intérêts ou autres revenus. Là aussi se montre Il y a de nombreuses spéculations sur la l’opinion profondément marquée par le question de savoir d’où Raiffeisen connaissait christianisme de Raiffeisen sur ses ce fonds institutionnel ou fonds de réserve. À institutions qui n’étaient aucunement des mon avis, Raiffeisen lui-même indique la organisations se consacrant uniquement à base du fonds, il se réfère aux dénommés l’obtention de crédits mais des associations, « biens communaux » qui étaient déjà en voie comme le dit § 2 de ses statuts normaux, qui de disparition à l’époque. Il s’agissait des voulaient « améliorer la situation de leurs forêts et des pâturages qui appartenaient à sociétaires tant moralement que l’ensemble des familles et qui permettaient matériellement ». aux membres de la communauté villageoise en difficulté de survivre. La réception des coopératives Raiffeisen dans le protestantisme Raiffeisen mentionna l’effet bénéfique des biens communaux en temps de crise ou bien Pendant les décades suivantes, l’idée dans des cas particuliers en relation avec le coopérative de Raiffeisen se répandit dans 8
Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1 toute l’Europe. Il existait par exemple dans la important car cela pouvait empêcher que Russie tsariste 11.000 coopératives surgissent des impulsions démocratiques ou Raiffeisen en 1916. communistes de leur part. Wichtern semble avoir aussi partagé la crainte exprimée dans Quoi qu’il en soit, la réception des idées de les mots de Bismarck qui appelait les Raiffeisen par le protestantisme fut tout coopératives « caisses de guerre de la d’abord plus ou moins limitée localement et démocratie ». dépendante des contacts personnels. Pourtant, Raiffeisen, comme nous l’avons mentionné En 1863, Wichern essaya de prendre contact ci-dessus, mit en pratique des idées de la avec Raiffeisen. Il est cependant surprenant « Innere Mission » : Wichern avait que celui-ci se soit opposé à une présentation recommandé la création d’ « associations de ses efforts dans les « Fliegende Blätter ». pour personnes dans le besoin » dans son Cela est en contradiction avec le mémoire programmatique de 1849. comportement normal de Raiffeisen toujours en faveur d’une collaboration avec le clergé. Mais les plans de Wichern sont tout d’abord Il n’y eut en effet pas de publication sur les restés dans la théorie. Victor Aimé Huber fut associations de caisses de prêt de Raiffeisen la personne qui diffusa l’idée de à cette époque. l’autoassistance coopérative dans le monde protestant. Cependant les efforts de Huber On ne peut que supposer quelles étaient les pour convaincre la Innere Mission et raisons de la réserve de Raiffeisen : il faut nommément Wichern de promouvoir l’idée tenir compte du fait qu’en 1863 son coopérative sont restés dépourvus de fruits « association de bienfaisance » était déjà en pendant toutes les années 1850. pleine crise. C’est pourquoi la réorganisation décrite ci-dessus eut lieu en 1864. En outre, Ce n’est qu’en 1862 que le changement en 1862, Raiffeisen avait pris connaissance survint, après que la coopération ait été le des travaux de Schulze-Delitzsch et pendant thème d’une conférence spéciale du Congrès un certain temps il travailla à la de l’Église Protestante au Brandenburg. restructuration du système des caisses de prêt sur le modèle de Schulze, concernant par Wichern aussi s’engagea plus fortement pour exemple l’introduction de parts sociales. la promotion des associations lorsqu’il dit : « Pour le dire en un mot, il s’agit là aussi de la Il est possible que Raiffeisen n’ait pu se solution de la mission diaconale de l’Église ». résoudre à une publication à cause du manque Le fait que l’Église doive avoir pour ainsi dire de maturité de ses efforts à ce moment-là. une relation de patronage avec les futures Selon toute vraisemblance il n’y eut pas non coopératives paraissait particulièrement plus de contact personnel entre Wichern et 9
Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article Raiffeisen ultérieurement. En 1863, Wicher l’oeuvre de Raiffeisen dans le monde du et Huber rompirent leurs relations. Et avec le protestantisme. À cette époque, le public, et départ de Huber, l’intérêt de la Innere Mission donc aussi le monde protestant, fut pour le système coopératif cessa aussi. sensibilisé à la misère de la population rurale par les recherches de l’Association de Plus tard, la dispute entre Wichern et Politique Sociale qui analysa dans plusieurs Schulze-Delitzsch sur la réforme prussienne enquêtes les problèmes ruraux et aussi des prisons contribua en raison d’animosités notamment la menace suspendue par les personnelles à ne porter que peu d’attention à usuriers sur l’existence des paysans. l’idée coopérative, si bien que Martin Gerhardt, biographe de Wichern et historien Jusqu’alors, certains curés avaient lutté de la Innere Mission, dut constater : « Le contre ces situations intenables dans leurs Comité Central n’a pas saisi l’occasion de paroisses respectives ; ce problème était collaborer à la réalisation de l’idée maintenant devenu une tâche globale de la coopérative chrétienne ». politique et de l’Église. Il est probable que Huber lui-même n’eut pas Cette crise, en relation avec une importante connaissance des efforts de Raiffeisen. modernisation et rationalisation de O’Shanah l’affirme, sans pour autant citer de l’agriculture allemande allant jusqu’au source. C’set pourquoi nous avons tendance à capitalisme agraire changea nettement la être d’accord avec Ingwer Paulsen qui estime structure sociale rurale dans laquelle l’exode que Huber n’avait pas connaissance des rural, c’est-à-dire l’exode des ouvriers efforts déployés par Raiffeisen. agricoles vers les villes, constituait le problème principal. Cependant, d’après Paulsen, Huber et Raiffeisen avaient des affinités Et enfin, il faut naturellement mentionner que intellectuelles : « Dans les coopératives de le protestantisme se dévoua fortement aux Raiffeisen, Huber aurait pu trouver ce qui lui questions sociales et économiques de la manquait chez Schulze : l’esprit chrétien société à partir de 1890. L’idée d’un Empire décidé, et l’effort de veiller plus au « bien- social défendue peu longtemps par Wilhelm être » des sociétaires qu’au caractère II, le décret correspondant du consistoire purement économique ». suprême protestant (EOK) de 1890 et la fondation du congrès protestant social firent Ce n’est que depuis la fin des années 1880 et que l’élément chrétien social dans la paroisse particulièrement dans les années 1890 que se ne fut plus seulement autorisé mais aussi développa un ample mouvement favorable à souhaité et estimé nécessaire. 10
Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1 Ceci permit aux défenseurs de l’idée de Discussion sur la conception de Raiffeisen Raiffeisen, jusqu’alors de tendances diverses, d’un système coopératif de caractère d’entrer en action en commun, grâce aussi au chrétien changement d’orientation du EOK en 1895. À partir de 1888, l’idée de Raiffeisen fut La claire motivation chrétienne de Raiffeisen largement propagée au sein du monde fut aussi discutée au sein du système protestant par le Comité Central de la Innere coopératif et fit l’objet de débats Mission en particulier. Pendant le Congrès de controverses. la Innere Mission tenu à Posen en 1895, la résolution suivante fut adoptée dans le cadre Ces discussions eurent lieu sur la toile de d’une conférence spéciale sur les fond du conflit fondamental entre le modèle associations de caisses de prêt de Raiffeisen : social conservateur de Raiffeisen et l’attitude libérale des autres coopérateurs tels que « Nous voyons dans les associations de Hermann Schulze-Delitzsch (1808-1883) : caisses de prêt Raiffeisen organisées par La discussion la plus âpre dans l’histoire Friedrich Wilhelm Raiffeisen une entreprise coopérative est désignée par le terme vraiment chrétienne dans laquelle la réforme « Systemstreit » (dispute de systèmes). Il sociale pratique de base chrétienne devient s’agit là du conflit qui a duré de longues action et vérité. Ces associations sont années entre les associations de caisses de d’origine chrétienne (la personnalité bénie, prêt de Raiffeisen et les associations chrétienne ‘Père Raiffeisen’ et les principes d’avances du système créé par Schulze- moraux et chrétiens des statuts normaux des Delitzsch. associations), elles contiennent un travail d’amour chrétien (responsabilité solidaire Bien que le caractère chrétien donné par chrétienne, structure paroissiale, gérants Raiffeisen à ses associations n’ait jamais été bénévoles, octroi prudent et adéquat de crédit explicitement thématisé dans cette dispute pour encourager l’emprunteur dans son qui eut tant de graves conséquences pour développement chrétien et moral) et ont des l’histoire du mouvement coopératif, il est à objectifs chrétiens (stimulation du sens mon avis justifié de le traiter dans ce communautaire chrétien, discipline chapitre : Hermann Schulze-Delitzsch est sanctifiante, prévention de la dépravation et après Raiffeisen la seconde figure importante de l’appauvrissement, appui au bien-être de l’histoire coopérative allemande. populaire). ...L’oeuvre de ‘Raiffeisen’ a trouvé sa patrie dans la structure diversifiée de la Après avoir fait de bonnes expériences avec Innere Mission. » l’assistance organisée aux pauvres pendant la 11
Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article famine de 1846/47, comme Raiffeisen avec qui mentionne ce fait dans ses « notes ses fournils pour les personnes dans le marginales ». En fait, Raiffeisen et Schulze- besoin, il créa dans les années 1849/50 les Delitzsch avaient des approches idéologiques premières caisses d’avances qui devaient très différentes. Alors que Raiffeisen, dès la satisfaire avant tout les besoins en crédits des première édition de son livre sur les artisans. La fondation de caisses d’avances se associations de caisses de prêt, déclarait que fit à un rythme accéléré et alors que la participation du clergé était souhaitable et Raiffeisen cherchait encore la forme attirait l’attention sur l’orientation chrétienne adéquate pour ses associations, les caisses de de son travail, on ne trouve rien de semblable Schulze-Delitzsch étaient déjà une chez Schulze-Delitzsch. organisation établie. Partant de la mentalité libérale de Raiffeisen, qui pendant un certain temps l’autoassistance inconditionnelle, le député réfléchit à une restructuration de ses Schulze-Delitzsch considérait l’influence associations sur le modèle de Schulze- chrétienne dans le travail coopératif comme Delitzsch, laissa tomber cette idée plus tard, un élément étranger et non fonctionnel car, surtout pour des raisons techniques (durée avec la participation du clergé, il fallait des crédits et questions similaires). Lorsque s’attendre à une forte influence de l’Église les associations de caisses prêt eurent aussi sur les associations. atteint une taille importante, Schulze- Delitzsch débuta une campagne acharnée. Le Il était pour lui inadmissible que « l’Église, résultat de cette dispute fut que le mouvement considérant son ancienne fonction d’amour coopératif resta divisé pendant presque cent du prochain et de refuge pour les pauvres et ans. Ce n’est qu’en 1972 que les Banques les nécessiteux, s’immisce ». Cette opinion Raiffeisen, issues des associations de caisses valait tout particulièrement pour les de prêt, et les Banques Populaires tendances conservatrices et restauratrices de (Volksbanken), initialement créées par Raiffeisen orientées sur un affermissement Schulze-Delitzsch, fusionnèrent en une de la foi chrétienne au moyen de ses confédération commune. associations. Bien que dans toute la dispute, comme nous L’élément chrétien dans le travail coopératif l’avons mentionné précédemment, l’élément fut ensuite explicitement thématisé dans la chrétien des associations de caisses de prêt dispute entre Raiffeisen et son suppléant n’ait pas été thématisé, il semble tout de Weidenhammer. Rudolf Weidenhammer, même avoir joué un rôle. C’est ce que désigné comme successeur de Raiffeisen suppose aussi Erich-Lothar Seelmann- dans le monde coopératif, se retira de Eggebert, historien du système coopératif, l’organisation Raiffeisen avec l’argument 12
Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1 suivant : « Je suis bien d’avis que l’esprit de l’importance de ses associations et aussi l’amour chrétien du prochain peut être éveillé l’élément chrétien de celles-ci. À partir des et soigné par l’intermédiaire des coopéra- années quatre-vingt, la fréquence des opinions tives ; mais je trouve qu’il est extrêmement exprimées par Raiffeisen augmenta grâce à la désavantageux pour notre cause de vouloir publication de la gazette coopérative agricole inversement appeler l’esprit de l’amour et aux nouvelles éditions du livre sur les chrétien du prochain pour animer les associations de caisses de prêt, de sorte que coopératives,... ». l’on put aussi se faire une idée claire de l’opinion de Raiffeisen quant à l’importance C’est pourquoi les autres coopératives rurales de ses associations. fondées ensuite avec la participation de Weidenhammer trouvèrent « important qu’il Si l’on fait la comparaison avec ses soit connu que nous n’avons plus aucune affirmations dans la première édition de son relation avec Monsieur Raiffeisen étant livre « Die Darlehenskassenvereine » en donné qu’il essaye de manière continue et 1866, l’attention est attirée par le fait que la accélérée de donner à ses coopératives un description de la fonction des associations caractère religieux et politique... ». est plus précise et placée dans un contexte social général plus clair. Dans la publication de sa nouvelle fédération, Weidenhammer poursuivit sa polémique On observe cependant certains changements contre Raiffeisen en regrettant que celui-ci dans son analyse de la situation sociale. Alors « exprime avec ostentation des tendances qu’en 1866 le manque de crédit et l’usure ecclésiastiques et religieuses » et fasse ainsi étaient encore des phénomènes qu’il fallait obstacle aux efforts d’unification du système combattre pour stopper la perte de foi coopératif en encourageant « la division entre croissante de la population qui en résultait, les coopératives à cause de ses inclinations Raiffeisen prétendait maintenant au contraire personnelles et de sa vanité ». que la misère sociale était due « principale- ment à la déchristianisation de notre Raiffeisen et l’aspect chrétien du travail époque ». coopératif Il était donc pour Raiffeisen « grand temps de Après tout ce que nous avons dit jusqu’à faire changer de cours l’attitude contem- présent, il est clair que la foi chrétienne était poraine mal embarquée et de poursuivre pour Raiffeisen le motif central de son d’autres objectifs ». Pour lui, la seule activité de réforme sociale. Cela se confirme manière d’y arriver passait par le retour de aussi dans ses écrits : Ils décrivent clairement toutes les classes sociales à la foi chrétienne et nettement la manière dont il estime car « la question sociale a été résolue par le 13
Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article Christ il y a longtemps déjà. Il s’agit l’action chrétienne par l’intermédiaire de simplement d’assistance organisée pour les l’organisation coopérative. À cette fin, il plus humbles, les nécessiteux, les membres envisagea de créer une société commerciale les plus faibles de la société, ... L’amour sur le modèle des entreprises de la Fraternité éveille l’amour réciproque, la gratitude et la morave sise à Neuwied. reconnaissance d’une part, l’abnégation et la joie d’autre part, il conduit à une relation Comme dans ces entreprises, le bénéfice ne aimable entre les pauvres et les riches, à la devait pas être distribué, mais, dans ce cas, réconciliation des contraires et à l’étroite profiter à la fédération. Raiffeisen voulait coopération de tous pour éliminer la misère ainsi couvrir les frais courants, payer les et les situations insoutenables existantes ». membres du personnel et en même temps créer une caisse des retraites à leur intention. L’amour dont il s’agit là est « expressément l’amour chrétien du prochain enraciné dans Cependant, outre ces aspects économiques, l’amour de Dieu et le devoir du chrétien ». Et Raiffeisen poursuivait une toute autre le devoir du chrétien est avant tout de prendre intention avec la création de son entreprise : soin des plus humbles : « ‘chaque fois que afin de trouver des collaborateurs appropriés vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de pour son oeuvre coopérative, non pas motivés mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ par le mérite ou l’honneur, mais par l’amour chrétien du prochain pour les défavorisés Ces paroles du Sauveur sont la base des sociaux, il projetait aussi « de créer une associations des caisses de prêt et de toute société – peut-être sous le nom de ‘societas leur organisation ». C’est pourquoi ce travail caritatis’ ou ‘société caritas’ – afin de requiert des personnes « conscientes du fait promouvoir des institutions appropriées qui qu’elles devront rendre des comptes et que contribueraient au soulagement de la misère leur avenir dans l’éternité dépend de leur des nécessiteux et à l’amélioration des action dans ce monde ». conditions sociales de la classe populaire la moins aisée ». Les autres plans de Raiffeisen Là aussi Raiffeisen avait un exemple concret Bien que malgré une opposition hostile les en vue, il s’agissait d’une société catholique associations de caisses de prêt se soient prenant soin des malades. Comme dans une transformées en une organisation fraternité religieuse, les membres devaient considérable et que Raiffeisen ait défendu faire voeu de célibat, renoncer à la propriété leur caractère chrétien, il continua à lutter privée et vouer obéissance inconditionnelle à pour l’orientation spirituelle de son oeuvre et leurs supérieurs. Ils étaient libres de quitter la chercha une forme plus engageante de société à tout moment. La condition pour leur 14
Avril 2009 - IRU-Courier - Numéro 1 admission était l’appartenance à une dit : « Les participants doivent vivre comme confession chrétienne ainsi qu’un les apôtres. Ils doivent travailler pour engagement social antérieur prouvé. l’humanité défavorisée et gagner leur vie eux- Raiffeisen espérait ainsi pouvoir « exercer mêmes si besoin est. ...Les activités une légère pression sur la Caisse Centrale et commerciales de l’entreprise sont la fédération au sommet pour que les postes secondaires. Il s’agit de créer une base administratifs » puissent être occupés « par le déterminée, une forte communauté dans personnel de bonne éthique ». laquelle le bon esprit est soigné et affermi parmi les employés et se maintient aussi à Les deux institutions envisageaient donc l’avenir grâce au recrutement graduel et clairement non seulement de remplir des continu de nouvelles personnes adhérant aux fonctions économiques mais aussi de mêmes principes ». sélectionner les membres du personnel afin de recruter des personnes pour la direction de L’évolution des coopératives Raiffeisen l’organisation coopérative garantissant la continuation du travail dans l’esprit chrétien Les associations de caisses de prêt, appelées de son fondateur. plus tard coopératives Raiffeisen, continuèrent à suivre la voie des opérations Raiffeisen ne put cependant pas vraiment économiques rationnelles et fonctionnelles réaliser ses plans et fonda à la place une déjà critiquée par leur fondateur, et mirent société commerciale qui devait mettre en ainsi de côté les aspects spirituels et pratique au moins quelques-uns des objectifs communautaires de la coopérative. fixés. Les critères développés par Raiffeisen (taille Raiffeisen conserva ses intentions charitables limitée des associations, bénévolat des dans la société commerciale dans la mesure administrateurs, responsabilité solidaire où les statuts prévoyaient que le bénéfice de illimitée) révélèrent qu’ils n’étaient plus l’entreprise devait être destiné à la création praticables si elles voulaient rester d’un capital de réserve ainsi qu’à la compétitives dans le secteur du crédit. « promotion d’institutions destinées à soulager la misère des nécessiteux et à Cependant, l’objectif du fond institutionnel améliorer les conditions sociales ». connaît aujourd’hui une certaine renaissance sous la forme du ‘social sponsoring’ et des Il pensait là notamment à la fondation et à fonds dits éthiques. Étant donné la l’appui des associations de caisses de prêt. Il mondialisation croissante et le triomphe du fit aussi expressément référence à la néolibéralisme, le « tiers secteur », c’est-à- dimension spirituelle de l’entreprise lorsqu’il dire l’initiative privée, les petites associations 15
Article de fond - Artículo de fondo Grundsatzartikel - Leading Article et les relations solidaires de taille limitée, va originaires de Raiffeisen vont ainsi recevoir regagner de l’importance. Les idées un nouvel accueil. __________________________________________________________________________ Autres publications de Michael Klein sur ce thème: Leben, Werk und Nachwirkung des Genossenschaftsgründers Friedrich Wilhelm Raiffeisen. Dargestellt im Zusammenhang mit dem deutschen sozialen Protestantismus, Köln 2. Aufl. 1999. Bankier der Barmherzigkeit – Friedrich Wilhelm Raiffeisen. Das Leben des Genossenschaftsgründers in Texten und Bildern, Neukirchen-Vluyn 1999, Sonderauflage 2008 ** * 16
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