LA CONTRIBUTION DE TÉLÉVIE ET DE LA FONDATION LÉON FREDERICQ À LA RECHERCHE FONDAMENTALE EN CANCÉROLOGIE À LIÈGE - FONDATION LÉON FREDERICQ
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La contribution de Télévie et de l a F o n d at i o n L é o n F r e d e r i c q à l a r e c h e r c h e f o n d a m e n ta l e e n cancérologie à Liège Boniver J (1) Résumé : Le Télévie et la Fondation Léon Fredericq sou- The contribution of «Télévie» and the «Léon Fredericq tiennent de nombreux projets de recherche cancérolo- Foundation» to the fundamental cancer research in Liège gique au CHU de Liège et à l’ULiège. Cet article résume quelques projets de recherche qui concernent une meil- Summary : Télévie and the Léon Fredericq Foundation leure connaissance des mécanismes fondamentaux qui support many research projects in the CHU of Liège and sous-tendent la formation des cancers, des moyens de the ULiège. This paper summarizes some projects aiming défense de l’organisme contre ces maladies, des carac- at a better knowledge of the basic mechanisms leading téristiques particulières de quelques types de cancers et, to cancer development, of the immune defenses against enfin, de stratégies visant à améliorer la qualité de vie des tumours, of specific characteristics of some cancer types patientes cancéreuses en leur rendant la fertilité menacée and, finally, of strategies for improving quality of life of par les traitements anti-cancéreux. patients whose fertility has been threatened by anti-cancer treatments. M ots - clés : Cancer - Oncologie - Recherche Keywords : Cancer - Oncology - Fundamental research fondamentale - Tumeur - Tumour Introduction des questions concrètes pour une amélioration de la prise en charge des patients cancéreux, que ce soit pour le dépistage, le diagnostic, le Le Télévie a été lancé en 1989 dans le cadre traitement et le suivi. d’une collaboration entre le FNRS et RTL (y com- Le financement par le Télévie consiste princi- pris RTL Luxembourg depuis 20 ans). L’opéra- palement en l’engagement de chercheurs, soit tion recueille des montants financiers importants des doctorants (et ceci constitue une école de qui sont entièrement consacrés au soutien de la formation à la recherche cancérologique), soit recherche cancérologique en Fédération Wal- des post-doctorants et ce, par période de deux lonie-Bruxelles et au Grand-Duché de Luxem- ans. Certains projets se voient aussi attribuer bourg. Les projets soumis par les chercheurs des crédits de fonctionnement qui peuvent être sont sélectionnés par une commission scienti- importants, en particulier lorsqu’il s’agit de pro- fique du FNRS, à composition internationale et jets interuniversitaires ambitieux. présidée par le Professeur Arsène BURNY, qui est un co-fondateur de Télévie et qui a donné La Fondation Léon Fredericq, dont la pré- son nom au nouvel Institut de cancérologie du sentation a été faite dans le numéro spécial CHU. consacré à la COVID-19 (2), à l’instar du Centre anticancéreux près l’Université de Liège qui est Les projets soutenus par le Télévie un de ses membres fondateurs, soutient aussi la concernent, le plus souvent, la recherche fon- recherche cancérologique et ce, sous forme de damentale visant, dès lors, à mieux comprendre bourses de voyage (pour encourager nos cher- (pourquoi ? comment ?) les cancers. Tous les cheurs à compléter leur formation à l’étranger), types de cancers, tous les organes concernés parfois de bourses de doctorat et, très souvent, peuvent faire l’objet de ces projets. Ceux-ci ont de crédits de fonctionnement. La sélection des souvent un aspect translationnel, c’est-à-dire bénéficiaires des subventions est faite, sur la qu’à travers l’amélioration des connaissances, Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 base de projets soumis selon un canevas struc- ils visent aussi à améliorer la prise en charge turé, par la Commission permanente facultaire des patients. L’article présenté par le Professeur à la Recherche (CPFR), actuellement présidée Arsène Burny dans ce numéro spécial illustre par le Professeur Bernard Rogister, Vice Doyen quelques exemples très démonstratifs de ce à la recherche de la Faculté de Médecine. De lien entre recherche fondamentale et recherche façon systématique, les chercheurs doctorants translationnelle (1). Ces recherches se font en attachés au FNRS (les aspirants, les doctorants amont de la recherche clinique qui, elle, pose FRIA, les doctorants Télévie) reçoivent un crédit forfaitaire de fonctionnement, ce qui indique la volonté de la Fondation de fonctionner en colla- boration avec le FNRS et avec Télévie. (1) Membre de la Commission scientifique Télévie du Dans cet article seront présentés quelques FNRS; Administrateur de la Fondation Léon Fredericq. projets soutenus actuellement par Télévie et qui 311
Boniver J reçoivent aussi une subvention de la Fondation cellules cancéreuses pour résister à leur envi- Léon Fredericq. On constatera que les projets ronnement hostile ou au stress thérapeutique. développés dans les Laboratoires de biologie L’étude de virus impliqués dans la formation des tumeurs et dans celui de biologie du tissu de certains cancers apporte également des conjonctif ne sont pas mentionnés ici; en effet, éclaircissements sur les mécanismes fins de la ils font l’objet d’un article rédigé par le Profes- cancérogenèse. seur Agnès Noël, directrice du GIGA-Cancer, et ses collaborateurs dans ce numéro de la Revue (3). Les projets résumés ici touchent des A.1. Les voies de signalisation moléculaire pour mieux comprendre les cancers domaines très variés de la cancérologie, allant de l’étude des mécanismes fondamentaux Une première approche est celle de l’étude jusqu’à la mise au point de méthodes visant à des voies de signalisation moléculaire. Par améliorer la fertilité de patientes qui survivent à signalisation, on entend des molécules biolo- un cancer traité. Certaines contributions utilisent giques qui agissent les unes sur les autres, sou- des termes ésotériques que l’on s’efforcera de vent selon un enchaînement spécifique, pour clarifier. Les contributions sont complétées par aboutir à une activité particulière dans les cel- des références bibliographiques. lules, par exemple l’activation de la prolifération cellulaire. Des anomalies de ces mécanismes sont impliquées dans de nombreux cancers, ces Brefs descriptifs de quelques anomalies devenant alors oncogéniques (induc- projets trices de cancers). La grande hétérogénéité génomique observée dans les cancers peut être pondérée par le fait que les milliers de mutations décrites ciblent, in fine, une douzaine de voies A. L’étude des mécanismes moléculaires de signalisation oncogéniques dont l’inhibition, génétiques et épigénétiques est à l’aide d’une approche thérapeutique combina- indispensable si on veut mieux comprendre toire, peut conduire à une régression tumorale les cancers et mieux les combattre prolongée. Une activation constitutive des voies de signa- Comme on le sait, les tumeurs humaines lisation oncogéniques est donc une caractéris- présentent une grande diversité génomique, ce tique commune de toutes les tumeurs humaines. qui représente un défi considérable pour appor- Ces voies de signalisation permettent aux cel- ter des solutions thérapeutiques pour tous les lules cancéreuses de proliférer davantage, de patients. Par ailleurs, ces solutions thérapeu- survivre plus longtemps et, dans certains cas, tiques devront changer en cours de traitement de devenir invasives. vu les risques de résistances intrinsèques ou acquises pour les lésions les plus agressives. Dans le groupe d’A. Chariot et coll., les cher- Les traitements actuels évoluent vers l’applica- cheurs dissèquent au niveau moléculaire les tion de la «médecine personnalisée» ou «méde- mécanismes via lesquels ces voies oncogé- cine de précision» car ils incluent souvent des niques sont constitutivement activées dans les «médicaments ciblés», c’est-à-dire qui visent tumeurs humaines. Ces mécanismes incluent, des dysfonctionnements spécifiques dans entre autres, une reprogrammation de la syn- les cellules du cancer dont souffre le patient thèse des protéines qui fait notamment interve- concerné. Ces médicaments visent souvent nir des modifications chimiques des ARNs, une (mais non exclusivement) des kinases, c’est-à- dérégulation de la dégradation des protéines dire des enzymes qui phosphorylent des pro- oncogéniques, de même qu’une augmentation Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 téines cellulaires aboutissant à une modification de la transcription des gènes codant pour ces de leurs fonctions, par exemple une activation protéines. de la prolifération cellulaire. Parmi les travaux originaux réalisés, on peut citer : Le séquençage à haut débit de tumeurs humaines a permis l’identification des gènes - les modifications chimiques des ARNs dont responsables de la carcinogenèse qui confèrent le contrôle est insuffisant dans certains cancers un avantage sélectif aux cellules cancéreuses. en raison de l’activité insuffisante d’une enzyme L’hétérogénéité dans les altérations génétiques (FTO pour «Fat and mass obesity associated des tumeurs est contrastée par une apparente protein») sous-exprimée et cible potentielle pour convergence dans l’évolution des cancers. En un traitement ciblé; effet, il apparaît qu’un nombre limité de straté- - le rôle des E3 ligases - enzymes qui dégradent gies moléculaires sont mises en place par les des substrats dont certains facteurs transcrip- 312
La contribution de Télévie et de la Fondation Léon Fredericq à la recherche fondamentale en cancérologie à Liège tionnels- dans les cancers; en particulier dans Pour en savoir plus : les cancers mammaires, la protéine COP1 1. Close P, Bose D, Chariot A, Leidel AD. In : Cancer and nonco- («Constitutive photomorphogenesis protein 1» ding RNAs (Translational epigenetics book 1). 1st Edition. Elsevier;2018:163-86. étudiée dans de nombreux systèmes biolo- giques, dont les plantes) subit une perte de 2. Ladang A, Rapino F, Heukamp LC, et al. Elp3 drives Wnt- dependent tumor initiation and regeneration in the intestine. J fonction qui modifie péjorativement la réponse Exp Med 2015;212:2057-75. aux oestrogènes; 3. Delaunay S, Rapino F, Tharun L, et al. Elp3 links tRNA modi- fication to IRES-dependent translation of LEF1 to sustain - le rôle de la protéine Cemip («Cell migration- metastasis in breast cancer. J Exp Med 2016;213:2503-23. inducing and hyaluronan-binding protein») dans 4. Rapino F, Delaunay S, Zhou Z, et al. tRNA Modification : is la résistance aux thérapies ciblées et, en parti- cancer having a wobble? Trends Cancer 2017;3:249-52. culier, celles qui agissent sur les kinases, sou- 5. Rapino F, Close P. Wobble uridine tRNA modification : a vent impliquées dans les cancers. new vulnerability of refractory melanoma. Mol Cell Oncol 2018;5:e1513725. Les résultats de ces travaux ouvrent de nou- 6. Rapino F, Zhou Z, Roncero Sanchez AM, et al. Wobble tRNA modification and hydrophilic amino acid patterns dictate pro- velles perspectives thérapeutiques. tein fate. Nat Commun 2021;in press. Pour en savoir plus : A.3. Comment mieux comprendre le rôle de 1. Jeschke J, Collignon E, Al Wardi C, et al. Downregulation of rétrovirus dans certaines formes de the m6A RNA demethylase FTO promotes EMT-mediated leucémies tumor progression and confers sensitivity to Wnt inhibitors. Nature Cancer 2021;sous presse. Les recherches effectuées sur des animaux ont mis en évidence des virus qui entraînent une 2. Tang SC, Lion Q, Chariot A, et al. The E3 ligase COP1 pro- cancérisation très rapidement; il s’agit de rétro- motes ER signalling and suppresses EMT in breast cancer. 2021;soumis pour publication. virus (c’est-à-dire des virus à ARN qui, lorsqu’ils pénètrent dans les cellules, sont «rétrotrans- 3. Duong HQ, Nemazanyy I, Ranbow F, et al. The endosomal crits» en ADN et s’intègrent comme «provirus» protein CEMIP links Wnt signaling to MEK1-ERK1/2 activa- dans le génome cellulaire); cette propriété de tion in Selumetinib-resistant intestinal organoids. Cancer Res 2018;78:4533-48. cancérisation rapide est due à la présence, dans le génome viral, de gènes responsables de la cancérisation des cellules infectées; ces gènes A.2. La modification des ARN de transfert : ont été dénommés «oncogènes viraux (v-onc)» un moteur de la reprogrammation tumorale et leurs équivalents ont été démontrés dans les cellules humaines (c-onc). Cette découverte a Une autre approche est l’étude de la régu- été couronnée par le Prix Nobel en 1989. lation de la traduction des ARN messagers Aucun rétrovirus pouvant infecter les humains (mARNs) qui apparaît comme un mécanisme ne contient de tels v-oncogènes. Pourtant, un central dans l’adaptation des cellules cancé- type de leucémie humaine est lié à une infection reuses au cours du développement tumoral et par un rétrovirus dénommé HTLV-1. Ce rétro- en réponse aux traitements, ainsi que l’étudie le virus a des caractéristiques proches de celles groupe de Pierre Close. Un point critique de cette d’un virus étudié chez les bovins. En effet, cer- régulation est l’expression des ARN de trans- tains bovins étaient (étaient, car cette patho- fert (ARNt) qui est dérégulée dans les cancers. logie a été éradiquée des cheptels) porteurs Les travaux de ces chercheurs ont identifié les d’un rétrovirus, dénommé virus de la leucémie mécanismes moléculaires de cette dérégulation. bovine (BLV) et développaient parfois une leu- cémie à lymphocytes B. Il se passait une très Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 À titre d’exemple, dans des modèles de méla- nome humain, ils ont observé que les enzymes longue période entre la détection du virus et responsables de la modification des ARNts au l’apparition de la leucémie. niveau d’une de leurs bases - la base flottante Chez les humains, une forme particulière de U34- étaient particulièrement exprimées chez leucémie ressemble à cette leucémie à BLV les patients présentant un profil de résistance par un grand nombre de caractéristiques biolo- aux thérapies ciblées (les thérapies anti-MAP giques particulières. Ce type de leucémie (ATL kinases; BRAF & MEK1). Les enzymes ainsi pour Adult T cell leukemia/lymphoma) excep- caractérisées (dont les noms sont Elongator, tionnel en Europe, a été observé principalement ALKBH8 et CTU1/2) pourraient servir de cibles au Japon, dans les Caraïbes et dans certaines thérapeutiques dans le développement de stra- régions d’Afrique centrale et d’Amérique du Sud. tégies visant à limiter ou empêcher l’apparition Elle touche les lymphocytes T CD4+ et est très de résistance aux thérapies ciblées. agressive. Elle est due à un rétrovirus (HTLV-1 313
Boniver J pour «Human T-cell leukemia virus-1») qui 2. Safari R, Jacques JR, Brostaux Y, Willems L. Ablation of non-coding RNAs affects bovine leukemia virus B lympho- infecte les lymphocytes T très longtemps avant cyte proliferation and abrogates oncogenesis. PLoS Pathog la survenue de la maladie. Il y a beaucoup plus 2020;16:e1008502. de porteurs du virus asymptomatiques que de 3. Joris T, Safari R, Jacques JR, Willems L. Bovine leukemia malades. Ainsi, au Japon, il y a environ 1,2 mil- virus. In : The encyclopedia of virology. 4th edition. Academic Press;2021. lions de porteurs et, chaque année, la leucémie est décelée chez environ 800 personnes. Pour- Les chercheurs des groupes de Michel quoi certains sujets restent porteurs asympto- Georges & Anne Van den Broeke et coll. (en col- matiques toute leur vie et pourquoi une minorité laboration avec l’ULB Institut Jules Bordet) se d’entre eux développent la maladie reste encore sont consacrés à des études génomiques et à mal connu, de même que les mécanismes de l’application de nouvelles méthodes de séquen- cancérisation dus à ce virus. çage de nouvelle génération (NGS) qui, on le sait, ont révolutionné les approches expérimen- Bien qu’étudiées depuis des décennies, les tales en cancérologie. Dans ce cas, elles ont leucémies induites par BLV dans le modèle ani- permis la mise en évidence de voies jusque-là mal et HTLV-1 chez les humains restent large- insoupçonnées par lesquelles ces virus causent ment incomprises. Dans les deux maladies, très des tumeurs. agressives et incurables au stade aigu, le virus D’abord, l’équipe a découvert que BLV, tout s’intègre dans le matériel génétique de la cel- comme HTLV-1, produit des transcrits invisibles lule hôte; cependant, les endroits précis où il se pour le système de défense de son hôte. Ces niche ne sont pas conservés parmi les tumeurs. transcrits sont responsables d’interactions avec Pendant longtemps, le potentiel transformant l’environnement génomique direct de la cellule de ces deux virus était attribué exclusivement hôte, menant à la perturbation de gènes appe- aux protéines qu’ils produisent. Cependant, de lés «cancer drivers». manière paradoxale, le virus présent dans les cellules tumorales est silencieux et incapable Ensuite, les méthodes développées pour de les exprimer, le mettant en même temps à répondre à ces questions fondamentales ont l’abri du système immunitaire. Les recherches été appliquées à des échantillons de patients sur ces deux types de virus ont été initiées par atteints d’ATL et sous chimiothérapie dans le but Arsène BURNY (voir son article dans ce numéro de prédire la réponse au traitement et le risque de la Revue) et ses collaborateurs. de rechute précoce. Cette méthode est actuel- lement évaluée dans une cohorte de patients Actuellement, le groupe de Luc Willems et japonais plus importante et bien caractérisée, coll. étudie en particulier la transcription du virus dans le but d’identifier les porteurs asymptoma- BLV qui se caractérise par un réseau complexe tiques qui sont à risque de développer la mala- d’ARNs sens (ceux qui aboutissent à la produc- die agressive. tion de protéines) et antisens (codés par les Enfin, l’équipe s’attèle aujourd’hui à identifier mêmes gènes mais ayant une fonction inhibi- les altérations somatiques impliquées dans la trice sur l’expression desdits gènes et donc sur progression maligne des cellules infectées par la synthèse des ARNs sens), avec une atten- ces virus, à en établir le moment et l’ordre d’ac- tion particulière pour des ARNs non codants (et quisition au cours de la phase d’infection asymp- donc qui n’aboutissent pas à la production de tomatique, et surtout à identifier les événements protéines). clefs responsables du déclenchement explosif de la phase agressive. Dans ce but, les cher- Cette approche pourrait être utile pour la cheurs tentent de tracer, de façon rétrospective, compréhension des mécanismes d’oncogenèse le clone qui a donné naissance à la tumeur. Ils Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 rétrovirale impliqués dans la leucémie à cellules sont en mesure de cibler ce clone à des temps T humain de type 1 (HTLV-1). Dans ce cadre, les précoces de la maladie, bien avant l’appari- chercheurs se focalisent sur une protéine codée tion de la leucémie, grâce à sa «carte d’iden- par un gène viral dénommé HBZ qui, contrai- tité virale» reflétant la position du virus dans le rement à d’autres, est constamment exprimé génome de la cellule hôte à l’état tumoral. Ce dans les cellules de patients leucémiques et qui criblage est réalisé par des méthodes permet- semble interférer avec d’autres gènes viraux tant le tri ultra-rapide de cellules individuelles impliqués dans la cancérisation des lympho- faisant appel à la microfluidique et spécifique- cytes. ment développées par les ingénieurs dans ce but. Une fois la cellule cible identifiée et isolée, Pour en savoir plus : les chercheurs pourront appliquer des techno- 1. Abdala A, Alvarez I, Brossel H, et al. BLV : lessons on vaccine logies NGS à l’échelle de la cellule individuelle, development. Retrovirology 2019;16:26. de façon à identifier la nature des événements 314
La contribution de Télévie et de la Fondation Léon Fredericq à la recherche fondamentale en cancérologie à Liège qui ont conduit à sa croissance anarchique. Pour en savoir plus : Définir les profils génomiques individuels dans 1. Hubert P, Roncarati P, Demoulin S, et al. Extracellular ces modèles devrait permettre de décrypter HMGB1 blockade inhibits tumor growth through profoundly les événements clefs responsables du déclen- remodeling immune microenvironment and enhances check- point inhibitor-based immunotherapy. J Immunother Cancer chement foudroyant de la maladie agressive et 2021;9:e001966. fatale. Ce travail devrait être en mesure de révé- ler des mécanismes d’oncogenèse plus univer- Une autre approche est d’étudier le rôle de sels ayant une relevance au-delà des cancers l’immunité innée qui est assurée par de nom- induits par des virus. breux types cellulaires, comme les macro- phages, les lymphocytes NK, les lymphocytes Pour en savoir plus : γδT, les polynucléaires. 1. Rosewick N, Durkin K, Artesi M, et al. Cis-perturbation of can- cer drivers by the HTLV-1/BLV proviruses is an early determi- nant of leukemogenesis. Nat Commun 2017;8:15264. Les lymphocytes γδT sont des lymphocytes T pouvant exercer une activité cytotoxique, 2. Artesi M, Marçais A, Durkin K, et al. Monitoring molecular res- ponse in adult T-cell leukemia by high-throughput sequencing notamment vis-à-vis des cellules cancéreuses. analysis of HTLV-1 clonality. Leukemia 2017;31:2532-5. Par le passé, N. Jacobs et son groupe ont éva- 3. Marçais A, Lhermitte L, Artesi M, et al. Targeted deep sequen- lué le rôle de ces cellules dans un modèle murin cing reveals clonal and subclonal mutational signatures in de cancer associé aux papillomavirus humains Adult T-cell leukemia/lymphoma and defines an unfavorable indolent subtype. Leukemia 2021;35:764-76. (HPV). Contrairement à l’hypothèse de départ, il a été observé que les cellules γδ infiltrant les lésions HPV jouaient un rôle pro-tumoral. Ces B. Comment mieux comprendre comment cellules sécrètent de l’interleukine-17 (IL-17) et le système immunitaire réagit contre les sont caractérisées par l’expression de la chaîne tumeurs Vγ6. Il est intéressant de noter que, chez les Le système immunitaire réagit contre les femmes infectées par ce virus, ces cellules tumeurs en formation ou lors de leur évolution. γδT17 ont été détectées uniquement dans les Malheureusement, on se doit de constater que biopsies de cancer du col de l’utérus associé ces défenses se révèlent inefficaces chez tous aux HPV, mais pas dans l’épithélium de cols les patients chez qui la maladie cancéreuse utérins normaux. progresse. Aujourd’hui, a été introduite, dans le Pour en savoir plus : schéma thérapeutique de nombreux cancers, une approche innovante -l’immunothérapie- 1. Van Hede D, Polese B, Humblet C, et al. Human papillomavi- rus oncoproteins induce a reorganization of epithelial-associa- particulièrement à l’aide d’anticorps dénommés ted γδ T cells promoting tumor formation. Proc Natl Acad Sci les ICI (pour «immune check point inhibitors»), USA 2017;114:E9056-E65. ce qui a été couronné par un Prix Nobel en 2018. En fait, ces anticorps inhibent des fonc- Plus récemment, N. Jacobs et coll. se sont tions inhibitrices des activités immunitaires anti- intéressés aux cellules de l’immunité innée dans tumorales (le principe de moins x moins donne les cancers broncho-pulmonaires. L’immuno- plus !). Toutefois, la réponse à l’immunothérapie thérapie prend une part de plus en plus impor- par les ICI est insuffisante, voire nulle, chez cer- tante dans le traitement de ce type de tumeurs, tains patients, ce qui justifie de poursuivre les mais certaines résistances observées chez recherches dans ce domaine. des patients suggèrent qu’il faut encore déve- lopper cet outil thérapeutique. Afin d’améliorer Ainsi, le groupe de P. Delvenne et M. Herfs l’immunothérapie, une meilleure connaissance cherche à caractériser et bloquer des protéines des cellules immunitaires présentes dans les immunosuppressives surexprimées au cours de tumeurs ainsi que de leur rôle dans la progres- la cancérisation. Se focalisant sur le cancer du sion tumorale est indispensable. Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 sein triple négatif (autrement dit, n’exprimant ni HER2 ni les récepteurs hormonaux), ils ont Outre les lymphocytes γδT, les chercheurs mis en évidence que l’inhibition de molécules ont étudié les macrophages. En effet, une étude sécrétées telles que RANKL («Receptor activa- dans un modèle murin de cancer du poumon a tor of nuclear factor-kappa B ligand» : une pro- suggéré que l’activation des γδT pro-tumoraux téine impliquée, entre autres, dans le modelage pourrait être liée aux macrophages. Plus parti- osseux) et HMGB1 («High-mobility group box culièrement, ils se sont focalisés sur les macro- 1», une protéine nucléaire qui, exportée hors phages interstitiels régulateurs découverts dans des cellules, est impliquée dans l’inflammation) leur laboratoire. Ceux-ci jouent un rôle essentiel réduisait non seulement significativement la dans l’homéostasie du poumon via la sécrétion croissance tumorale, mais améliorait également d’interleukine-10 (IL-10). Le rôle de ces macro- l’efficacité de l’immunothérapie anti-PD-1/L1. phages est actuellement méconnu dans la Certains résultats viennent d’être publiés. tumorigenèse du poumon. 315
Boniver J Pour en savoir plus : permettait de prévenir la GVHD en augmentant 1. Jin C, Lagoudas GK, Zhao C, et al. Commensal micro- le nombre de lymphocytes T régulateurs (c’est- biota promote lung cancer development via γδ T-cells. Cell à-dire les cellules qui limitent l’activité des lym- 2019;176:998-1013. phocytes effecteurs, comme les lymphocytes T 2. Bedoret D, Wallemacq H, Marichal T, et al. Lung interstitial cytotoxiques ou les cellules B pour la produc- macrophages alter dendritic cell functions to prevent airway allergy in mice. J Clin Invest 2009;119:3723-38. tion d’anticorps) tout en préservant les effets de la greffe contre la tumeur. Des observations 3. Sabatel C, Radermecker C, Fievez L, et al. Exposure to bac- terial CpG DNA protects from airway allergic inflammation by similaires ont été faites avec la rapamycine (un expanding regulatory lung interstitial macrophages. Immunity immunosuppresseur inhibiteur de mTor qui est 2017;46:457-73. une enzyme de la famille des sérine/thréonine 4. Schyns J, Bai Q, Ruscitti C, et al. Non-classical tissue mono- kinases qui régule la prolifération, la croissance, cytes and two functionally distinct populations of intersti- tial macrophages populate the mouse lung. Nat Commun la mobilité et la survie cellulaires). 2019;10:3964. Des études en cours ont également permis On lira plus loin, en D.3, l’intérêt de l’étude d’expliquer les mécanismes par lesquels deux des macrophages intratumoraux dans les méso- médicaments immunosuppresseurs (le cyclo- théliomes pleuraux. phosphamide et l’inhibiteur de JAK1 itacitinib, JAK1 étant une kinase) permettaient de préve- C. Vers un contrôle de la réaction du nir la GVHD. greffon contre l’hôte à la suite d’une Pour en savoir plus : allogreffe de cellules souches 1. Ehx G, Somja J, Warnatz HJ, et al. Xenogeneic graft-versus- hématopoïétiques host disease in humanized NSG and NSG-HLA-A2/HHD mice. Front Immunol 2018;9:1943. L’allogreffe de cellules souches hématopoïé- 2. Delens L, Ehx G, Somja J, et al. In vitro Th17-polarized human tiques est le traitement de choix de nombreux CD4(+) T Cells exacerbate xenogeneic graft-versus-host disease. Biol Blood Marrow Transplant 2019;25:204‑15. patients souffrant d’un cancer hématologique. Son efficacité dépend, d’une part, de la chimio- 3. Ehx G, Fransolet G, de Leval L, et al. Azacytidine prevents experimental xenogeneic graft-versus-host disease without thérapie (ou chimio-radiothérapie) donnée dans abrogating graft-versus-leukemia effects. Oncoimmunology la préparation à la greffe (conditionnement) 2017;6:e1314425. et, d’autre part, de l’effet de la greffe contre la 4. Ehx G, Ritacco C, Hannon M, et al. Comprehensive analysis of the immunomodulatory effects of rapamycin on human T tumeur. Cet effet est dû aux cellules immuni- Cells in graft-versus-host disease prophylaxis. Am J Trans- taires du greffon (et principalement les lympho- plant 2021;doi: 10.1111/ajt.16505. cytes T) qui sont capables d’éliminer les cellules 5. Ritacco C, Courtois J, Canti L, et al. Mechanisms of GVHD tumorales du patient en raison de différences prevention by PTCy in humanized mice. Cell Ther Transplant 2021;27:S253‑4. d’antigènes mineurs ou majeurs d’histocompa- tibilité entre le donneur et le receveur. Malheu- reusement, ces mêmes cellules immunitaires D. Pour mieux connaître certains du donneur, importantes pour l’effet de la greffe cancers contre la tumeur, peuvent aussi s’attaquer aux organes sains du receveur causant la maladie D.1 Vers une meilleure connaissance du greffon contre l’hôte (GVHD), une compli- des glioblastomes cation redoutable des allogreffes de cellules souches hématopoïétiques. Le glioblastome (GBM) est la tumeur primaire la plus fréquente du système nerveux central Sachant que les antigènes reconnus par les avec une survie médiane de 16 mois, malgré la cellules immunitaires appartiennent au complexe combinaison de radio- et chimiothérapie après majeur d’histocompatibilité HLA, les recherches résection chirurgicale. Ce mauvais pronostic de F. Baron, Y. Beguin et coll. ont été menées en Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 est principalement la conséquence de rechutes partie dans des modèles de souris humanisés systématiques survenant malgré des modali- (c’est-à-dire des souris dont le système immu- tés thérapeutiques de pointe. On appréhende nitaire est proche de celui des humains) qui ont désormais de mieux en mieux que les GBM été optimisés, caractérisés ou développés. sont des tumeurs très hétérogènes au niveau Dans ces modèles, il a été démontré qu’un moléculaire, mais aussi en ce sens que seule médicament hypométhylant (l’hypométhylation une population restreinte de cellules tumorales, de l’ADN est un phénomène réversible qui s’ac- appelées GBM-Initiating Cells (GIC), est capable compagne d’une augmentation de l’expression de donner naissance à une tumeur. Ces cellules des gènes dont l’ADN est ainsi modifié; il s’agit souches tumorales sont capables d’auto-renou- d’un mécanisme «épigénétique» de modifica- vellement, de division cellulaire asymétrique, de tion de l’activité génique) utilisé en clinique dans multipotence, expriment des marqueurs de cel- les leucémies myéloïdes aiguës (l’azacytidine) lules immatures et sont donc les seules cellules 316
La contribution de Télévie et de la Fondation Léon Fredericq à la recherche fondamentale en cancérologie à Liège tumorales capables de déclencher l’initiation spécificité- pourraient favoriser la prolifération de la tumeur après une xénotransplantation. et la réparation de l’ADN (ce qui contribue à la Elles ont donc les caractéristiques des «cellules radiorésistance) dans les cellules cancéreuses. souches cancéreuses», concept et réalité biolo- En utilisant ces différentes approches, les giques très développés en oncologie au cours chercheurs veulent identifier de nouvelles cibles des dernières années (4). moléculaires qui seraient susceptibles d’un trai- À l’aide d’un modèle in vivo, B. Rogister et tement spécifique. Ainsi, ils ont entrepris de coll. ont démontré que les cellules de GBM gref- produire des «nanobodies» contre CXCR4 et fées dans le striatum migrent spécifiquement d’autres cibles moléculaires identifiées dans le vers la zone sous-ventriculaire (ZSV - parois laboratoire. Ces «nanobodies» seront utilisés, latérales des ventricules latéraux), l’une des d’une part, pour des études diagnostiques en deux régions neurogéniques (c’est-à-dire là où les couplant à des radiotraceurs permettant une sont localisées les cellules souches neurales) étude PET-Scan détaillée de la dispersion des du cerveau adulte des mammifères, y compris GICs dans le parenchyme nerveux et, d’autre chez l’humain. De plus, ces cellules de GBM part, pour des approches thérapeutiques. Ils nichées dans la ZSV présentent des caracté- peuvent soit être couplés à des radioligands ristiques de GICs (et donc de cellules souches pour des approches théranostiques, mais éga- cancéreuses). En effet, elles sont capables de lement être «armés» des virus oncolytiques former une nouvelle tumeur lors de la greffe, ou d’autres agents anticancéreux. Ils seraient même si le nombre de cellules greffées est très employés après résection chirurgicale afin d’at- réduit. teindre spécifiquement les GICs disséminées Ensuite, les chercheurs ont tenté de com- dans le parenchyme nerveux laissé en place par prendre les mécanismes qui attirent les GICs le chirurgien, afin de réduire le risque de réci- vers la ZSV. Ils ont démontré qu’interviennent dive tumorale. à ce niveau des interactions entre des molé- Pour en savoir plus : cules produites localement au niveau des cel- 1. Goffart N, Kroonen J, Rogister B. Glioblastoma-initiating cells: lules endothéliales, en particulier la chimiokine relationship with neural stem cells and the micro-environment. CXCL12, et leurs récepteurs exprimés par les Cancers 2013;5:1049-71. GICs, les CXCR4 (de telles interactions entre 2. Kroonen J, Nassen J, Boulanger YG, et al. Human glioblas- chimiokines et leurs récepteurs interviennent toma-initiating cells invade specifically the subventricular zones and olfactory bulbs of mice after striatal injection. Int J dans de nombreux phénomènes de migration Cancer 2011;129:574-85. cellulaire normale et pathologique). À partir de 3. Goffart N, Kroonen J, Di Valentin E, et al. Adult mouse sub- ces observations, a été émise l’hypothèse que ventricular zones stimulate glioblastoma stem cells specific invasion through CXCL12/CXCR4 signaling. Neuro Oncol la récidive du GBM pourrait provenir, au moins 2015;17:81-94. partiellement, du maintien des GICs dans l’envi- ronnement de la ZSV. En effet, étant éloignées 4. Goffart N, Lombard A, Lallemand F, et al. CXCL12 mediates glioblastoma resistance to radiotherapy in the subventricular de la masse tumorale initiale, les GICs situées zone. Neuro Oncol 2017;19:66-77. dans la ZSV échapperaient à la résection chirur- 5. Willems E, Dedobbeleer M, Digregorio M, et al. The functio- gicale. Par ailleurs, les chercheurs ont observé nal diversity of Aurora kinases : a comprehensive review. Cell Division 2018;13:7. que l’irradiation des souris greffées provoque une perte importante de cellules de GBM dans 6. Willems E, Dedobbeleer M, Digregorio M, et al. Aurora A plays a dual role in migration and survival of human glioblastoma la masse tumorale et dans la ZSV. Cependant, cells according to the CXCL12 concentration. Oncogene des cellules cancéreuses restent dans cette 2019;38:7-87. dernière région. La possible radio-résistance 7. Dedobbeleer M, Willems E, Freeman S, et al. Phosphatases extrinsèque médiée par l’exposition à la ZSV a and solid tumors : focus on Glioblastoma initiation, progres- sion and recurrences. Biochem J 2017;474:2903-24. ensuite été étudiée. Par diverses approches, il a Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 été démontré que le CXCL12, produit et sécrété 8. Dedobbeleer M, Willems E, Lambert J, et al. MKP1 phos- phatase is recruited by CXCL12 in Glioblastoma cells and par la ZSV murine, mais aussi humaine, stimule plays a role in DNA strand breaks repair. Carcinogenesis la réparation des cassures double brin de l’ADN 2020;41:417-29. dans les cellules GBM et que cet effet est lié à 9. Reynders N, Abboud D, Baragli A, et al. The distinct roles of une transition épithéliale-mésenchymateuse de CXCR3 variants and their ligands in the tumor microenviron- ment. Cells 2019;8:613. cellules cancéreuses. Des recherches récentes ont analysé les phé- 10. D’Arrigo P, Digregorio M, Romano S, et al. The splicing FK506 binding protein-51 isoform plays a role in human glioblastoma nomènes moléculaires qui sont induits par la resistance through Programmed Cell Death Ligand-1 expres- sion regulation. Cell Death Discov 2019;5:137. fixation de ce CXCL12 sur les cellules de GBM. Ainsi, certaines protéines deviennent phospho- 11. Digregorio M, Coppieters N, Lombard A, et al. The expres- sion of B7-H3 isoforms in newly diagnosed glioblastoma and rylées dont deux d’entre elles - l’Aurora A kinase recurrence and their functional role. Acta Neuropathol Comm (AurA) et MKP1, une phosphatase à double 2021;submitted and under consideration. 317
Boniver J D.2. Pour mettre au point de nouveaux sensibles au traitement. L’inhibition pharmaco- traitements pour le myélome multiple logique de l’EGFR («Epidermal Growth Factor Receptor»), récepteur de TGF-α par les inhibi- Parmi les nouvelles stratégies d’immunothé- teurs de tyrosine kinase gefitinib et erlotinib a, de rapie actuellement employées dans le myélome plus, permis d’améliorer l’efficacité du traitement multiple (MM) on retrouve la conception de nou- VPA + doxorubicine in vitro. En outre, CUDC- veaux anticorps par ingénierie génétique et les 101, double inhibiteur ciblant HDAC et EGFR, méthodes de thérapie cellulaire adoptive dont démontre une synergie avec la doxorubicine, les lymphocytes CAR-T. En 2017, Jo Caers et induisant l’apoptose des cellules de MPM in coll. ont lancé un projet prometteur, basé sur vitro et ralentissant la croissance tumorale dans l’emploi de «nanobodies» (Nbs). Ce sont de deux modèles murins. Ces observations mettent petits fragments d’anticorps (15 kDA) dérivés en avant son potentiel thérapeutique et ouvrent de chaînes lourdes d’anticorps de camélidés, de nouvelles perspectives quant aux thérapies capables de lier des antigènes spécifiques. Ils combinées associant les inhibitions de HDAC et trouvent déjà une large gamme d’applications, EGFR contre le MPM. notamment comme «traceurs», aidant à la reconnaissance de structures cellulaires in vivo. Une autre voie de recherche vise le rôle des Avec M. Dumoulin (CIP, Uliège) les chercheurs macrophages dans l’orchestration de l’immunité ont mis au point des nanobodies anti-CD38 qui innée (phagocytose) ainsi que dans la modula- peuvent être marqués par des radio-isotopes à tion de l’activation des lymphocytes T dans les des fins diagnostiques et thérapeutiques d’ap- MPM. L’activité des macrophages intratumoraux plication dans le MM. Une demande de brevet est, en effet, nécessaire au développement de a été déposée pour ces travaux (application la réponse des lymphocytes T cytotoxiques à #20175032.0: Anti-CD38 single-domain antibo- l’encontre des antigènes associés aux tumeurs. dies in disease monitoring and treatment). En revanche, le rôle inattendu des macro- phages dans la régression directe des tumeurs reste peu compris. Des données récentes du D.3. Comment développer de nouveaux laboratoire ont démontré que, indépendamment traitements contre les mésothéliomes de leur activité phagocytaire, les macrophages Le mésothéliome pleural malin (MPM) est un sont directement cytotoxiques pour les cel- cancer agressif de la plèvre provoqué principa- lules tumorales du MPM. L’objectif du projet lement par une exposition aux fibres d’amiante. est d’étudier les mécanismes associés à la Le MPM a un pronostic particulièrement défavo- cytotoxicité des macrophages dans le MPM. rable. Les traitements actuels, loin d’être satis- Sur base de données préliminaires, il est pro- faisants, sont utilisés essentiellement pour des posé de lancer une étude préclinique basée sur objectifs palliatifs. la reprogrammation des macrophages associés Dans une première étude, les chercheurs du à la tumeur (TAM). Les chercheurs espèrent groupe de Luc Willems et coll. se sont intéres- qu’une compréhension plus approfondie de la sés à la résistance du MPM envers une thérapie régulation épigénétique de l’activité des macro- épigénétique associant l’acide valproïque phages permette le développement de nouvelles (VPA : c’est la molécule de la Depakine®, un approches thérapeutiques pour augmenter la anti-épileptique classique), inhibiteur d’histone défense de l’hôte contre le MPM. désacétylases (HDAC : ces enzymes, en déa- Pour en savoir plus : cétylant les histones, réduisent l’expression de 1. Staumont B, Jamakhani M, Costa C, et al. TGFα promotes certains gènes) et la doxorubicine (un antican- chemoresistance of malignant pleural mesothelioma. Cancers 2020;12:1484. céreux «classique»). Suite à une comparaison Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 in vitro entre des lignées cellulaires de MPM 2. Hamaidia M, Gazon H, Hoyos C, et al. Inhibition of EZH2 présentant des sensibilités différentes au trai- methyltransferase decreases immunoediting of mesothelioma cells by autologous macrophages through a PD-1-dependent tement, ce travail révèle une corrélation entre mechanism. JCI Insight 2019;4:e128474. l’expression du facteur de croissance TGF-α (le TGF-α est un facteur de croissance transfor- D.4. Mieux comprendre le tropisme des mant qui est un ligand du récepteur du facteur papillomavirus humains pour certaines de croissance épidermique, ce qui active une localisations anatomiques voie de signalisation pour la prolifération, la diffé- renciation et le développement cellulaires) et la Le groupe de P. Delvenne, M. Herfs et coll. résistance à cette thérapie combinée. Le rôle de a acquis, au fil des années, une grande expé- TGF-α dans cette chimiorésistance a été validé rience dans l’étude des lésions (pré)cancé- en modulant son expression dans des lignées reuses induites par les papillomavirus humains cellulaires de MPM hautement ou faiblement (ces HPV sont des virus à ADN). Plus particuliè- 318
La contribution de Télévie et de la Fondation Léon Fredericq à la recherche fondamentale en cancérologie à Liège rement, les chercheurs essaient de comprendre mettant une restauration de la fertilité. Dans le pourquoi ces virus infectent et éventuellement cadre de la préservation de fragments ovariens, cancérisent certaines localisations anatomiques il existe un réel besoin clinique de développer particulières dans les organes touchés comme des stratégies pharmacologiques et techniques le col utérin ou l’anus. Ainsi, à titre d’exemple, afin de minimiser les dommages encourus par les HPV «ciblent» de façon spécifique la zone les fragments de cortex ovarien au cours de de transition entre l’épithélium épidermoïde et leur cryoconservation et de leur transplantation l’épithélium glandulaire au niveau du col utérin ultérieure. En effet, même si environ 200 enfants (ce qu’on appelle la «zone de transformation»). sont nés grâce à une transplantation de frag- La recherche est centrée sur l’analyse des jonc- ments de cortex ovarien, ce succès est entravé tions entre ces deux tissus épithéliaux de nature par une perte folliculaire importante après la différente (épidermoïde-glandulaire) et sur leur réalisation de la transplantation. Plusieurs phé- forte susceptibilité pour le développement de nomènes liés au processus de transplantation cancers. Ainsi, ces chercheurs ont activement avasculaire des fragments doivent être pris en participé à la découverte de populations cel- compte tels que l’ischémie transitoire, l’apop- lulaires spécifiquement rencontrées dans les tose induite par la congélation et le recrutement jonctions anales et cervicales et démontré que folliculaire massif, également connu sous le l’infection de ces dernières par un HPV à haut nom de «burn out» folliculaire. risque oncogène (ex : HPV16 et 18) était à l’ori- gine de la grande majorité (~90%) des cancers Depuis 2012, C. Munaut, M. Nisolle et coll. du col utérin et du canal anal. Les raisons de ont, grâce au soutien du Télévie, souvent dans ce tropisme viral important ainsi que du plus le cadre de projets interuniversitaires avec l’UCL faible taux d’élimination d’HPV au sein de ces et l’ULB, poursuivi les études d’amélioration des jonctions muqueuses restent méconnues et font processus de cryopréservation ovarienne et de l’objet de recherches intensives. transplantation ultérieure. Plusieurs modèles de xénogreffe avec différentes lignées de souris Pour en savoir plus : immunodéficientes ont été utilisés afin d’étudier 1. Bruyere D, Monnien F, Colpart P, et al. Treatment algorithm la survie du tissu ovarien et la viabilité follicu- and prognostic factors for patients with stage I-III carcinoma of the anal canal: a 20-year multicenter study. Mod Pathol laire après transplantation. Les souris SCID, 2021;34:116-30. déficientes en lymphocytes B et T fonctionnels, 2. Herfs M, Roncarati P, Koopmansch B, et al. A dualistic model sont les plus couramment utilisées dans ces of primary anal canal adenocarcinoma with distinct cellular modèles. Cependant, en raison d’une immuno- origins, etiologies, inflammatory microenvironments and muta- tional signatures : implications for personalised medicine. Br J suppression incomplète constatée chez ces sou- Cancer 2018;118:1302-12. ris SCID, les souris NOD-SCID qui présentent un faible taux de cellules NK fonctionnelles et une E. Pour améliorer la fertilité des absence d’éléments circulants du complément patientes traitées pour cancer pourraient être plus appropriées. Pour cette rai- son, les souris SCID et les souris NOD-SCID ont Les progrès récents en oncologie ont per- été comparées pour ce modèle de xénogreffe. Il mis d’augmenter, de manière significative, a été constaté que l’architecture tissulaire ainsi l’espérance de vie des patientes atteintes d’un que la morphologie folliculaire étaient mieux cancer. Cependant, ces résultats encourageants préservées dans le tissu ovarien greffé chez les sont associés à des séquelles dont, notamment, souris SCID. Grâce à ce modèle de xénogreffe une insuffisance ovarienne prématurée en rela- de tissu ovarien sur souris SCID, un effet pro- tion avec la gonadotoxicité des traitements admi- tecteur de l’isoforme 111 de VEGF (pour «Vas- nistrés. Dans la prise en charge thérapeutique cular Endothelial Growth Factor») sur le nombre Rev Med Liege 2021; 76 : 5-6 : 311-320 oncologique des patientes devant subir un trai- de follicules primaires conservé au sein du tissu tement gonadotoxique (irradiation pelvienne, ovarien transplanté ainsi qu’une revascularisa- chimiothérapie à base d’agents alkylants,...) la tion accélérée des greffons ont été observés. cryoconservation de tissu ovarien représente Sur base des résultats encourageants obtenus l’option de premier choix, voire l’unique avec l’isoforme 111 du VEGF, une seconde possibilité de préservation de leur fertilité pour étude a été réalisée avec le VEGF165 puisqu’il les patientes qui ne peuvent bénéficier d’une présente des propriétés complémentaires à stimulation ovarienne, comme les patientes pré- celles du VEGF111. Les résultats obtenus ont pubères ou les jeunes femmes qui ne peuvent confirmé l’amélioration de la néoangiogenèse pas retarder le début de leur chimiothérapie. du tissu ovarien grâce au traitement par le Une fois en rémission, si les patientes souffrent VEGF. L’effet d’agents anti-apoptotiques sur la d’insuffisance ovarienne prématurée, ce tissu préservation de la réserve folliculaire a aussi été congelé peut être décongelé et réimplanté, per- évalué. Ces agents ont été ajoutés aux milieux 319
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