La cyberdépendance État des connaissances, manifestations et pistes d'intervention
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La cyberdépendance État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention La cyberdépendance Agréé par Affilié à 950, RUE DE LOUVAIN EST / Montréal (Québec) / H2M 2E8 / 514 385-1232 / www.centredollardcormier.qc.ca
Rédaction Louise Nadeau, Ph. D., Directrice scientifique du Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances, professeure titulaire au Département de psychologie de l’Université de Montréal Didier Acier, Ph. D., Psychologue clinicien, Maître de conférences, Université de Nantes Laurence Kern, Ph. D., Maître de conférences, Université Paris Ouest Nanterre la Défense Carole-Line Nadeau, M.A., Conseillère aux communications, Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances Collaboration à la rédaction Pascale Audrey Moriconi, Candidate au doctorat en psychologie, Université de Montréal Collaboration à la recherche Carole-Line Nadeau, Conseillère aux communications, Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances Mathieu Goyette, Candidat au doctorat en psychologie, Université de Montréal Soutien à la rédaction Magali Dufour, Référence complète pour citation Professeure agrégée, Service de toxicomanie, Université de Sherbrooke Nadeau, N., Acier, D., Kern, L., & Nadeau, C.-L. (2011). La cyberdépendance : Sylvie R. Gagnon, état des connaissances, manifestations et pistes d’intervention. Montréal, Clinicienne – chercheur, Québec : Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances. Centre de réadaptation en dépendances Le Tremplin La rédaction de ce guide a été rendue possible grâce au soutien financier Michel Landry, de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Conseiller à la recherche, Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances Ce document est disponible au Centre québécois de documentation en toxicomanie (CQDT) du Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances. Il peut également être consulté et téléchargé sur notre site : Révision et édition www.centredollardcormier.qc.ca. Carole-Line Nadeau, Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances Le contenu de ce document peut être cité et reproduit, à condition d’en mentionner la source. Karine Bélanger, Centre québécois de documentation en toxicomanie (CQDT) du Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances ISBN : 978-2-9810903-1-7 (imprimé) ISBN : 978-2-9810903-2-4 (PDF) Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2012 Révision linguistique, Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2012 conception et montage graphique www.agencemediapresse.com 950, RUE DE LOUVAIN EST / Montréal (Québec) / H2M 2E8 / 514 385-1232 / www.centredollardcormier.qc.ca
La cyberdépendance État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention / Louise Nadeau / Didier Acier / Laurence Kern / Carole-Line Nadeau /
Avant-propos Cet état des connaissances se veut un texte de référence rela- tivement à l’intervention auprès des personnes présentant des problèmes liés à l’utilisation d’Internet. Pour les besoins de ce texte, nous nommerons ce phénomène « cyberdépendance ». L’émergence des dépendances sans vraie dépendance ou est-ce qu’on substance a amené de profondes emprunte le concept aux addictions transformations dans la recherche et parce que c’est plus facile de penser la pratique clinique. Si l’inclusion des à l’intérieur d’un cadre connu ? jeux de hasard et d’argent est venue remettre en question le rôle clé de la Internet fait maintenant partie inté- substance dans le processus addic- grante de nos vies sociale, éduca- tif, la grande utilisation d’Internet tive, culturelle – ce texte a été écrit pousse encore plus loin la réflexion à l’ordinateur à partir de sources relative à une conceptualisation qui étaient en version électronique, intégrée de la dépendance. Faut-il consultées sur la Toile tandis que penser autrement le rapport à la réa- les auteurs de cet état des connais- lité à cause de l’espace virtuel ? La sances suggèrent au lecteur des création d’avatars est-elle une simple textes qui sont sur le Web. C’est projection, qui consiste à situer dans un changement aussi radical dans le monde extérieur des pensées, des l’histoire de l’humanité que celui des affects, des désirs – ou faut-il sortir premiers dessins, puis de la peinture du cadre des modèles actuels de et de l’écriture, puis de l’imprimerie la personnalité pour conceptualiser et du cinéma et enfin, de la télévision. autrement ce type de relation ? En Toutes ces techniques ont modifié quoi est-ce pareil, ou différent, des les représentations que les individus contes de Perrault (eux-mêmes issus se faisaient du monde, et Internet de la tradition folklorique du Moyen fait cela aussi. Leur introduction a, Âge), de la lecture de romans qui en leur temps, été accueillie avec altèrent notre état de conscience des sentiments mitigés, et la peur a tellement ils nous habitent pendant souvent fait partie de l’ambivalence la lecture, ou encore de notre rela- face au changement. Il serait utile de tion passionnelle à certains animaux, retourner à l’histoire pour se rappeler certains objets ou même certaines la peur qu’ont engendrée l’imprime- idées ? Ce que l’on nomme cyber- rie, au XVe siècle, et le cinéma, au dépendance nous force à revoir début du siècle dernier. Toute tech- les idées reçues sur les addictions : nique apportant autant de renforça- l’habitude peut-elle dégénérer en teurs à la vie d’un individu peut aussi nécessité (Rush, 1790/1808) ? Peut-il être perçue comme comportant un y avoir perte de contrôle face à un risque d’usage immodéré, qui à son objet de dépendance ou incapacité tour entraîne des problèmes. de s’abstenir (Jellinek, 1960) ? Y a-t-il sentiment de perte de liberté intime En matière d’addiction, l’idée d’une face à Internet (Edwards & Gross, cyberdépendance pose avec encore 1976 ; Fouquet, 1951) ? S’agit-il d’une plus d’actualité la question qui hante La cyberdépendance État des connaissances, III manifestations et pistes d’intervention
la psychiatrie depuis la publication du classifications reconnues de troubles texte de référence de Canguilhem mentaux, soit celle de l’Association (1943/2011) : quelle est la frontière américaine de psychiatrie (American entre le normal et le pathologique ? Psychiatric Association [APA]), qui Canguilhem soutenait qu’il n’y a pas publie le Manuel diagnostique et d’opposition nette entre le normal et statistique des troubles mentaux , le pathologique, bien qu’il y ait une dit DSM, et celle de l’Organisation différenciation quantitative et qua- mondiale de la santé, qui publie une litative entre les deux états. Cette Classification internationale des conceptualisation a été respectée maladies, dite CIM. Concrètement, dans ce guide parce qu’elle suggère un médecin ne peut facturer pour le la prudence. Nous proposons des cri- traitement de la cyberdépendance tères et des mesures pour quantifier parce que le trouble n’a pas d’exis- la cyberdépendance afin d’aider très tence nosologique. Nous écrivons concrètement les intervenants dans donc au sujet d’un trouble mental leur travail. Par ailleurs, nous suggé- qui a un nom, qui suscite un énorme rerons aussi aux intervenants de prê- intérêt de la part des cliniciens, des ter une attention aux changements chercheurs et des médias, mais qui, qualitatifs qui peuvent être vécus par de fait, est encore mal documenté si les personnes aux prises avec une on compare les travaux existants aux cyberdépendance parce que nous recherches autrement plus documen- avons besoin d’entendre un autre tées sur l’alcool, la dépression ou les discours et présenter un tableau cli- grandes pathologies mentales. nique différent de celui des autres dépendances. En bref, ce texte pose Et pourtant, les problèmes reliés à plus de questions qu’il n’apporte Internet n’attendent ni la recherche de réponses ; mais en revanche, le ni un corpus éprouvé de meilleures champ des dépendances n’a jamais pratiques pour se manifester. Les été aussi passionnant ! clients ont déjà commencé à frap- per aux portes des centres de réa- Cet état des connaissances doit être daptation en dépendance (CRD), et lu comme un travail en évolution – un il faut répondre au mieux de notre work in progress. Les données de connaissance à la situation qui les recherche dans ce champ d’études fait souffrir et aux problèmes asso- n’ont pas la maturité de celles ciés à leur utilisation d’Internet. publiées dans le champ de l’alcool Conséquemment, malgré une docu- et des drogues, et sont aussi derrière mentation scientifique peu robuste celles portant sur les jeux de hasard et et une expérience clinique qui se d’argent. Nous n’avons aucune don- construit au moment d’écrire ces née sur les trajectoires d’évolution lignes, les responsables de l’orga- dans le temps des utilisateurs d’In- nisation des services sociaux ont ternet parce que nous n’avons pas jugé, à juste titre, qu’il faut ouvrir encore vu vieillir nos usagers. Notre le dialogue sur cette question dans expérience clinique est également notre réseau de services. Le lecteur limitée en raison des faibles volumes devra donc accepter les limites de de consultation. Il faut de plus se cet état des connaissances, qui sont rappeler que la cyberdépendance celles des données cliniques et de n’est incluse dans aucune des deux recherche existantes. La cyberdépendance IV État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
Cet état des connaissances a été D es cliniciens de plusieurs centres rédigé à partir des sources suivantes : de réadaptation en dépendance participent aussi au projet de U ne recension des écrits faite par recherche sur l’Évaluation des Didier Acier, qui était jusqu’en personnes présentant une cyber- 2010 chercheur au Centre dépendance, une étude de cas Dollard-Cormier – Institut uni- dont il sera question dans cet versitaire sur les dépendances ouvrage. Voici donc l’ensemble (CDC-IUD), et Laurence Kern, des cliniciens-chercheurs qui, alors chercheuse invitée au par leur soutien, leurs réflexions et même CDC-IUD. Tous deux ont leurs observations, ont contribué rédigé un état de la question plus depuis 2008 à documenter cet long et plus exhaustif que cet ouvrage : Dany Bellerose, Laurent état des connaissances, lequel Brisson, Geneviève Cantin, Carole a servi de base à la rédaction du Couturier, Pascale Desaulniers présent ouvrage. Cette recen- (supervisée par Estelle Toulouse), sion a été mise à jour en 2010 Nancy Dionne, Kathleen Dubois, par Mathieu Goyette, candidat Nancy Hickey, Éric Laflamme, au doctorat en psychologie à Ronald Lambert, Colette Leblanc, l’Université de Montréal. Chantal Michaud, Richard Pesant, Danielle Pinsonneault, Caroline D eux groupes de discussion ou Plouffe, Claude Ratelle, Catherine focus groups réalisés l’un en juin Richard, Guy-Pierre Tapp, Valérie 2008 et l’autre en juin 2009. Ces Van Mourik et Dale Walker. Leur groupes de discussion avaient engagement avec les usagers, pour but de discuter des cas de leur motivation et la qualité des cyberdépendance qui avaient échanges constituent l’essentiel été traités dans les centres de de la partie clinique de cet état réadaptation en dépendance des connaissances. du Québec. Ces rencontres ont réuni les mêmes intervenants L es lectures, autres travaux de à un an d’intervalle ; ceux-ci recherche et commentaires de nous ont renseignés sur leurs Magali Dufour, Sylvie R. Gagnon pratiques cliniques auprès de et Michel Landry qui ont consti- personnes venues chercher de tué, avec moi, l’équipe cyberdé- l’aide en raison de leur usage pendance au sein de la Direction problématique d’Internet. Le de la mission universitaire du premier groupe de discussion a CDC-IUD. été analysé par Pascale Audrey Moriconi, candidate au docto- Jusqu’en décembre 2009, Didier rat en psychologie à l’Université Acier a été la personne responsable, de Montréal, et le second, par au CDC-IUD, de la recherche préa Laurence Kern. lable à la rédaction de ce guide. Outre la rédaction de l’état des connaissances sur la cyberdé- pendance, il a organisé les deux groupes de discussion et préparé l’étude clinique en cours. La cyberdépendance État des connaissances, V manifestations et pistes d’intervention
Nous avons aussi une dette de recon- Ce travail a été rendu possible grâce naissance à l’endroit de Mathieu au soutien financier de l’Agence de Goyette, assistant de recherche, de la santé et des services sociaux de Valérie Van Mourik, clinicienne au Montréal sous la forme d’un contrat CDC-IUD et de Marie-Anne Sergerie, de recherche accordé au CDC-IUD. psychologue et auteure d’un site sur Le mandat principal du contrat avait la cyberdépendance. Nous avons pour objet la préparation d’un état préparé ensemble une formation sur des connaissances à l’intention la cyberdépendance ; offertes à trois des intervenants du réseau pour reprises au CDC-IUD, ces journées les soutenir dans le développement de formation nous ont permis de d’interventions pour les personnes préciser notre pensée et de saisir les aux prises avec des problèmes préoccupations des intervenants au psychosociaux liés à leur utilisation sujet de la cyberdépendance. d’Internet. Les auteurs espèrent que c’est mission accomplie. / Louise Nadeau, Ph. D. / Professeure titulaire / Département de psychologie, Université de Montréal / Directrice scientifique, Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances La cyberdépendance VI État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
Résumé L’omniprésence d’Internet dans toutes les sphères de nos vies peut entraîner, chez certaines personnes, un usage problématique d’Inter- net ou de certaines de ses applications. Les intervenants des centres de réadaptation en dépendance rencontrent en effet des personnes qui présentent des signes de dépendance au Web. Ce phénomène, que nous nommerons ici cyberdépendance, est encore méconnu et peu documenté. À l’heure actuelle, la cyberdépendance n’a d’ail- leurs pas d’existence nosologique ; aucune des deux classifications reconnues pour les troubles mentaux ne définit la cyberdépendance. Cette monographie recense l’essentiel des travaux de recherche menés à ce jour sur la cyberdépendance, ses manifestations et les applications jugées plus à risque de créer une dépendance. Bien qu’on ne puisse parler de critères diagnostiques, cet état des connaissances s’inspire des règles reconnues dans d’autres champs de dépendance pour aider les cliniciens à reconnaître les signes d’une dépendance à Internet. Les éléments clés des travaux menés au Québec par l’équipe de rédaction sont également rapportés tout en rappelant l’importance de considérer la cyberdépendance avec un regard neuf. Les pistes d’intervention suggérées réfèrent aux approches et pratiques reconnues dans le traitement des dépen- dances aux substances ou aux jeux de hasard et d’argent. Mots-clés / Cyberdépendance / Usage problématique d’Internet / Jeux vidéo en ligne La cyberdépendance État des connaissances, VII manifestations et pistes d’intervention
Table des matières 1. De l’usage d’Internet à la cyberdépendance /1 1.1 Les conditions pour l’établissement d’un diagnostic /3 2. L’utilisation d’internet /5 2.1 Les aspects spécifiques de l’utilisation d’Internet /5 2.2 Les applications associées /7 2.2.1 L’univers des jeux /8 2.2.1.1 Les jeux d’action /9 2.2.1.2 Les jeux de rôle massivement multi-joueurs – Massive Multiplayer Online Role-Playing Games / 10 2.2.2 Les relations virtuelles / 12 2.3 Conclusion / 13 3. Le tableau clinique / 15 3.1 Les signes cliniques communs à la cyberdépendance et aux autres dépendances / 17 3.1.1 Les préoccupations / 18 3.1.2 Le désir persistant ou les efforts répétés mais infructueux pour contrôler, réduire ou arrêter l’utilisation / 19 3.1.3 L’agitation ou l’irritabilité lors des tentatives de réduction ou d’arrêt / 19 3.1.4 L’utilisation se prolonge plus longtemps que prévu / 19 3.1.5 La mise en danger ou la perte d’une relation affective importante, des activités professionnelles, sociales, occupationnelles ou de loisirs en raison de l’utilisation d’Internet / 20 3.1.6 La poursuite de l’utilisation malgré la connaissance de l’existence d’un problème déterminé ou exacerbé par l’utilisation / 21 3.1.7 Les mensonges à la famille, au thérapeute ou à d’autres pour dissimuler l’ampleur réelle de ses habitudes d’utilisation / 21 3.1.8 L’utilisation vise à échapper aux difficultés ou à soulager une humeur dysphorique / 21 La cyberdépendance VIII État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
3.2 Les éléments spécifiques de la cyberdépendance / 22 3.2.1 La durée d’utilisation / 22 3.2.2 L’impact sur les relations interpersonnelles / 25 3.2.3 La valorisation grâce à un personnage virtuel / 26 3.2.4 Le rapport à la réalité / 28 3.3 Conclusion / 29 4. Les troubles concomitants / 30 4.1 Le phénomène de la comorbidité / 30 4.2 Les troubles associés / 31 4.3 Conclusion / 33 5. Les stratégies cliniques / 34 5.1 L’abstinence ou la réduction des méfaits / 36 5.2 Les pratiques reconnues dans le traitement des dépendances / 37 5.3 Les outils propres à la cyberdépendance / 40 6. Conclusion / 41 Annexes / 43 Annexe 1. Entrevue d’évaluation / 43 Annexe 2. Fiche d’auto-observation des usages d’Internet et des nouvelles technologies / 69 références Bibliographiques / 73 La cyberdépendance État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
1 De l’usage d’Internet à la cyberdépendance Le concept à l’origine d’Internet remonte aux années 1950, mais ce n’est qu’une décennie plus tard que ses premières applications se concrétiseront. D’abord développé aux États-Unis, le réseau ARPANET permet, en 1969, d’établir des communications entre des ordinateurs situés à distance et non reliés sur un même réseau. Dès lors, les connexions et les communications entre réseaux informatiques se développent et se multiplient dans le monde jusqu’à la création, au début des années 1980, du « réseau des réseaux » : Internet. Mais c’est avec l’arrivée du World Wide Web, au début des années 1990, qu’Internet connaît une véritable explosion. Cette application, de même que le courrier électronique, la messa- gerie instantanée et les récentes applications du Web 2.0 comptent aujourd’hui parmi les plus populaires. Avec Twitter, Facebook, Skype et les SMS, le quotidien d’une grande partie des habitants de la planète est transformé. En vingt ans à peine, Internet a non proportion d’internautes réguliers seulement révolutionné le monde atteint 92 % chez les 18-34 ans, des télécommunications, il a aussi 89 % chez les 35-44 ans et 80 % eu d’immenses répercussions éco- chez les 45-54 ans. Internet ne rallie nomiques, sociales et scientifiques. pas que les jeunes puisque les der- Et tout permet de croire que ce nières données indiquent que 68 % vaste réseau continuera à se déve- des personnes de 55 à 64 ans, et lopper dans les années à venir. En 40 % des plus de 65 ans sont aussi mars 2011, on compte en Amérique des utilisateurs réguliers. Que ce du Nord plus de 272 millions d’utili- soit à la maison, au travail ou sur sateurs d’Internet, ce qui représente Internet mobile, les internautes régu- un taux de desserte de 78 % par rap- liers passent environ 17 heures par port à l’ensemble de la population. À semaine sur le Web. la même période, le Canada compte près de 27 millions d’internautes, ce Le courriel reste l’application la plus qui représente un taux de pénétra- populaire puisque 81 % des inter- tion de 79,2 % (Miniwatts Marketing nautes possèdent une adresse élec- Group, 2011). Le Québec ne fait pas tronique, et que 68 % d’entre eux exception puisqu’en 2010, 75,4 % l’utilisent pour communiquer avec des adultes québécois étaient des leurs proches. La recherche d’infor- utilisateurs réguliers d’Internet, mation, les achats, les transactions c’est-à-dire sur une base hebdoma- bancaires et l’écoute d’émissions daire ; et à cela s’ajoutent quelque de radio ou de télévision figurent 7 % d’utilisateurs occasionnels. La également parmi les activités les La cyberdépendance État des connaissances, 1 manifestations et pistes d’intervention
plus populaires sur la Toile. Trente d’Ivan Goldberg, psychiatre amé- pour cent des internautes jouent à ricain. Ce dernier écrit un courriel des jeux en ligne, une proportion dans lequel il propose une défini- qui atteint 38 % chez les 18-34 ans tion de la dépendance à Internet (CEFRIO, 2010). et recommande de s’inscrire à un groupe d’entraide. Le canular tourne Une partie importante de la popu- mal lorsqu’il reçoit des demandes lation fait un usage quotidien, et réelles de personnes présentant souvent professionnel, d’Internet. une véritable souffrance. Le phé- L’immense majorité de ces personnes nomène est repris l’année suivante a une utilisation pratique, agréable et par Kimberley Young lors du congrès sans dommage d’Internet. Seule une annuel de l’American Psychological fraction restreinte d’utilisateurs en Association. Young (1996) propose ferait un usage problématique. Ainsi, alors une liste de symptômes ins- une enquête en population générale, pirée par les critères du jeu patho- menée en 2008 auprès des étudiants logique du DSM-IV (APA, 1994), universitaires de Montréal, montre eux-mêmes inspirés de ceux de la que, parmi les 2 139 répondants, dépendance aux substances. Ses ceux qui utilisent Internet pour jouer, analyses qualitatives suggèrent des incluant les jeux massivement multi- différences significatives entre un joueurs, sont pour la plupart des groupe de personnes utilisatrices joueurs de poker en ligne (Mihaylova, d’Internet et un groupe de personnes Kairouz, & Nadeau, sous presse). « dépendantes à Internet ». Ces dif- Cette étude a en outre permis de férences concernent la durée d’uti- constater que, contrairement aux lisation, les applications sur Internet jeux de hasard et d’argent comme le et les difficultés qui s’ensuivent sur poker, les jeux vidéo en ligne ne pré- les plans professionnel, relationnel, sentent pas de problème significatif financier et physique (Young, 1996). chez les étudiants universitaires. Depuis, et comme nous le verrons dans ce guide, plusieurs chercheurs Internet offre en fait de multiples pos- et cliniciens se sont intéressés à sibilités aussi bien dans les domaines l’utilisation potentiellement délé- du travail, de l’éducation, du loisir que tère d’Internet et ont mené des tra- de la communication. Cependant, vaux de recherche sur le sujet. Une chez certaines personnes, l’utili- synthèse des recherches quantita- sation d’Internet est telle que des tives sur la dépendance à Internet problèmes de santé et de fonction- menées entre 1996 et 2006 a pour nement psychosocial peuvent en sa part permis de faire un bilan des découler. Ce tableau clinique com- connaissances à ce jour (Byun et al., porte des similitudes avec les autres 2009), suggérant du même coup des conduites addictives, comme le jeu pistes de recherche à explorer. pathologique et la dépendance aux substances, bien que le phénomène Les termes pour décrire l’utilisation soit récent en comparaison des potentiellement délétère d’Internet dépendances aux substances et aux varient d’un chercheur à l’autre, jeux de hasard et d’argent. d’une étude à l’autre. Nous avons recensé au moins 11 vocables dif- Le terme « cyberdépendance » a vu férents : la cyberdépendance, la le jour en 1995 avec la plaisanterie dépendance à Internet (Gimenez, La cyberdépendance 2 État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
Baldo, Horassius, & Pedinielli, (addiction au net), Internet addic- 2003), Internet addiction disor- tion (addiction à Internet, Young, ders (troubles liés à l’addiction à 1998), et high Internet dependency Internet) ; pathological Internet use (grande dépendance à Internet, (utilisation pathologique d’Internet, Davis, Flett, & Besser, 2002). Morahan-Martin & Schumacher, 2000) ; problematic Internet use Nous avons retenu le vocable (utilisation problématique d’Inter- « cyberdépendance » qui semble net, Shapira, Goldsmith, Keck, être le choix d’autres collègues du Khosla, & McElory, 2000) ; excessive Québec (cyberdependance.ca). Internet use (utilisation excessive Mais quel que soit le terme choisi, d’Internet) et compulsive Internet il faut retenir qu’il y a maintenant use (utilisation compulsive d’Inter- de nombreux cas documentés de net, Widyanto & Griffiths, 2006) ; personnes dont la vie est affec- cyberspace addiction (addiction tée négativement par leur utilisa- au cyberespace), online addiction tion d’Internet, y compris dans les (addiction en ligne), net addiction centres de traitement du Québec. 1.1 Les conditions pour l’établissement d’un diagnostic La cyberdépendance ne constitue condition dont l’évolution est pro- pas un diagnostic reconnu dans la gressive et s’aggrave dans le temps. nosologie psychiatrique. Pour qu’un Ensuite, il faut que l’OMS et l’APA, syndrome clinique soit reconnu qui rédigent les deux manuels dia- comme un trouble mental dans la gnostiques de référence, prennent la Classification internationale des décision de réunir officiellement des maladies de l’Organisation mon- experts afin d’établir un consensus diale de la santé (OMS) ou dans le relativement aux critères diagnos- Manuel diagnostique et statistique tiques du syndrome à l’étude. des troubles mentaux de l’Associa- tion psychiatrique américaine (APA), Parce qu’Internet est si récent, l’état il y a deux grandes conditions. Tout actuel des connaissances en matière d’abord, il faut qu’un corpus de de cyberdépendance est tel que ces données probantes documente de conditions ne sont pas encore réu- manière valide et fidèle le caractère nies. Il n’y a pas consensus, à ce jour, pathologique du phénomène. Par ni dans la communauté scientifique données probantes, on entend : ni chez les cliniciens, sur le nom qui 1) des enquêtes avec des échan- servirait à désigner ce trouble, les tillons représentatifs de la popula- critères diagnostiques pour le défi- tion générale utilisant des mesures nir, le nombre de symptômes requis dont les qualités psychométriques pour atteindre le seuil clinique et la ont été démontrées ; 2) des études période de référence nécessaire cliniques qui répondent aux critères pour que la souffrance soit clini- scientifiques actuellement recon- quement significative. Bref, la cyber- nus ; 3) des études sur l’évolution dépendance n’a pas d’existence du trouble afin de pouvoir établir nosologique (Goyette et Nadeau, s’il s’agit d’une condition transi- 2008). Conséquemment, nous ne toire, limitée dans le temps, ou d’une pouvons pas utiliser dans ce texte La cyberdépendance État des connaissances, 3 manifestations et pistes d’intervention
des vocables comme trouble mental leur fonctionnement psychosocial et ou critère diagnostique. C’est tout ressentent une souffrance jugée cli- simplement prématuré. niquement significative. Devant de telles similitudes, on peut convenir Cela dit, il y avait des alcooliques que des termes comme syndrome cli- et des écrits sur l’alcool bien avant nique, conduite addictive, utilisation que les experts de l’OMS, au milieu pathologique d’Internet ou cyber- des années 1950, ne s’entendent sur dépendance correspondent à leur une définition commune de l’alcoo- état de santé mentale. C’est dans lisme. Le médecin néerlandais qui, cet esprit – où la relation à Internet en 1561, a écrit sur l’étiologie et le comprend d’importantes similitudes traitement du jeu pathologique n’a avec les autres dépendances – que le pas non plus attendu de consen- terme cyberdépendance sera utilisé sus pour proposer une stratégie de dans cet état des connaissances. soins (Joostens d’Eeklo, 1541/1618). Mutatis mutandis , il y a présen- tement des personnes aux prises avec des problèmes associés à leur utilisation d’Internet, et plusieurs présentent un ensemble de signes cliniques qui sont ceux-là mêmes qui décrivent la dépendance. Ainsi, les cliniciens nous disent que certains usagers qui consultent pour cyberdépendance éprouvent un sen- timent intime de perte de liberté et sont l’objet de préoccupations intru- sives relativement à leur utilisation d’Internet. En outre, ils se perçoivent comme incapables de s’abstenir d’utiliser Internet, notamment parce qu’ils ont fait des tentatives infruc- tueuses pour réduire ou cesser leur utilisation. De plus, ils constatent des effets délétères de l’utilisation d’Internet dans plusieurs sphères de leur vie – la santé physique et men- tale, le travail, l’école, ou les deux, les relations interpersonnelles. En bref, ces usagers des CRD du Québec présentent les signes caractéris- tiques d’une dépendance : ils ont le sentiment d’avoir perdu la liberté de ne pas utiliser Internet bien qu’ils aient souvent essayé, sans réussir, de modifier leur conduite (Edwards & Gross, 1976 ; Fouquet, 1951). Ils pré- sentent un handicap significatif dans La cyberdépendance 4 État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
2 L’utilisation d’Internet Cette deuxième partie présente la cyberdépendance, depuis l’apparition du terme en passant par les différentes approches du phénomène, les applications qui y sont associées jusqu’aux multiples définitions qui s’y rattachent. 2.1 Les aspects spécifiques de l’utilisation d’Internet L’utilisation d’Internet comporte des multitude de possibilités : com- aspects spécifiques qui distinguent muniquer avec ses proches et cette activité potentiellement addic- ses collègues de travail, faire son tive des autres dépendances. Ces épicerie, acheter des vêtements, caractéristiques uniques sont fort faire des rencontres virtuelles, probablement associées au risque jouer au casino, à des jeux d’ac- spécifique que comportent cer- tion et d’aventure ou consulter taines activités comme les jeux des contenus à caractère sexuel, vidéo d’action et d’aventure et les etc. Ces utilisations peuvent se relations virtuelles, que nous décri- faire à toute heure du jour et de rons ultérieurement. Ainsi, outre le la nuit, et sans sortir de chez soi. fait que l’internaute doit d’abord C’est une spécificité importante, utiliser des périphériques pour per- car des activités non virtuelles cevoir l’application et son contenu prennent habituellement place (écran et sons) et interagir avec dans un cadre défini de temps lui (clavier, souris, commandes et de lieu : il faut se rendre phy- vocales), on observe les trois carac- siquement au casino pour jouer, téristiques suivantes introduites par aller à la boutique érotique ou le chercheur Al Cooper dans le au bar de rencontre pendant les cadre de ses travaux sur les dépen- heures d’ouverture. Sur Internet, dances sexuelles ; il définit alors ces contraintes changent ou Internet comme le « Triple-A Engine » disparaissent. Internet est pour Anonymity, Accessibility and devenu un moyen de commu- Affordability (Cooper, Delmonico & nication significatif, notamment Burg, 2000). Les clients qui ont pour les personnes qui n’ont consulté dans les CRD pour cyber- pas d’attachement dans la vie dépendance ont validé, par leurs non virtuelle : comme nous l’ont propos, ce qui suit. rapporté les personnes qui ont consulté les CRD, il y a toujours L ’accessibilité. Internet est dis- quelqu’un qui est là, quelle que ponible 24 h sur 24 et peut être soit l’heure du jour ou de la nuit. utilisé de n’importe quel point Il n’y a pas de limite, pas de fer- de connexion au monde dispo- meture. C’est également devenu sant d’un ordinateur avec accès un moyen de faire des rencontres à Internet. Internet offre une amoureuses, quelles que soient La cyberdépendance État des connaissances, 5 manifestations et pistes d’intervention
l’orientation ou les préférences personnes y consentent, et des sexuelles des usagers d’Inter- rencontres virtuelles peuvent net. En corollaire, les personnes devenir réelles. Parmi les per- cyberdépendantes utilisent sonnes qui ont consulté, plu- souvent Internet une partie de sieurs étaient des introvertis la nuit, ce qui vient bouleverser qui avaient peu de contacts, ou tout l’horaire de leur vie, leurs des relations difficiles avec les rapports avec les proches et leur autres. Internet rend les contacts insertion sociale. Chez les usa- moins anxiogènes. Nous avons gers des CRD, cet usage intensif aussi vu quelques cas avec des a amené des problèmes de santé traits narcissiques, pour qui les aux yeux, aux mains, au dos, de relations en ligne étaient l’occa- l’inactivité physique et parfois, sion d’avoir un contrôle sur leurs des problèmes de poids. relations avec les autres, de se mettre en valeur, de penser L ’anonymat. Internet permet de qu’ils ont un grand pouvoir, une cacher son identité ou d’en utili- influence considérable, d’être ser une fausse, ce qui peut pro- enfin des Kings. curer un sentiment de confiance dans les interactions avec autrui F aible coût. L’utilisation d’Inter- ou dans le type d’applications net, une fois l’abonnement payé, utilisées. Cet aspect est parti- reste peu coûteuse, sinon gra- culièrement important chez les tuite. Cependant, plusieurs jeux personnes anxieuses, réser- en ligne exigent des déboursés, vées ou timides. Ces dernières surtout si le joueur veut se main- peuvent trouver dans l’anonymat tenir dans la compétition. Il en d’Internet la possibilité d’expé- est de même pour certains sites rimenter une « autre » vie. Cet de rencontre, où des frais men- aspect est aussi important pour suels offrent aux abonnés un les applications à caractère por- plus large éventail de possibili- nographique ou sur des thèmes tés. Parmi les personnes qui ont tabous, puisque les utilisateurs consulté, les dépenses n’étaient d’Internet peuvent vivre leurs pas considérables. De fait, ces fantaisies tout en demeurant personnes avaient peu de reve- incognito. Sur Internet, l’uti- nus, et une proportion assez lisateur a le sentiment d’être importante était peu instruite et « invisible », à moins d’accepter vivait, même à l’âge adulte, chez de se révéler. Cet anonymat leurs parents. peut toutefois être levé si les La cyberdépendance 6 État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
2.2 Les applications associées Dans un état des connaissances élaboré par le ministère de la comme celui-ci, il faut obligatoire- Santé et des Services sociaux ment faire des choix de contenus. en collaboration avec la Table Au terme des discussions que nous interministérielle sur le jeu patho- avons eues en équipe, nous avons logique, et le guide Les services fait consensus sur deux principales en jeu pathologique dans les utilisations et applications d’Internet centres de réadaptation en pouvant poser des problèmes signi- dépendance (Desrosiers & ficatifs : 1) les jeux vidéo d’action Jacques, 2009), publié par et d’aventure ; 2) les relations vir- l’A ssociation des centres de tuelles, via le clavardage/chat ou les réadaptation en dépendance du sites de rencontre (Chen & Chou, Québec (ACRDQ)2. En bref, la 1999 ; Young, 1998, 1999 ; Vachey, formation et les ressources pour Magalon & Lançon, 2005). Par ail- ces services sont déjà en place. leurs, plusieurs activités impliquant l’usage d’Internet ont été exclues de L a consultation de sites à ce guide : contenu érotique ou pornogra- phique parce qu’Internet est le L es jeux de hasard et d’argent moyen utilisé pour une activité en ligne parce qu’Internet est motivée par des facteurs qui un contexte pour jouer au même relèvent d’autres dimensions titre qu’aller au casino ou jouer que celles liées à la cyberdé- chez soi au poker avec des amis. pendance et jugées cliniquement C’est le fait de miser de l’argent prépondérantes. Cependant, dans une situation déterminée nous constatons qu’une frac- par le hasard qui constitue la tion significative des demandes caractéristique prédominante de services pour cyberdépen- des jeux de hasard et d’argent. dance, chez les adultes, provient Cet aspect de l’activité en ligne de personnes qui consultent des prend le pas sur Internet, de sites pornographiques en ligne l’avis des auteurs. En outre, le et qui demandent des services réseau de la santé et des ser- à cause de ce qu’ils estiment vices sociaux propose déjà sur être une dépendance à ces sites tout le territoire du Québec des virtuels. Ce sera aux cliniciens services pour les joueurs patho- d’évaluer s’il s’agit d’un pro- logiques et les intervenants ont blème et, si oui, s’il est lié à un été spécialement formés en cette trouble relevant de la sexologie matière. À cela s’ajoutent le Plan (paraphilies), de la vie du couple d’action gouvernemental sur le ou de la dépendance, ou d’une jeu pathologique 2002-2005 1, interaction des trois. 1 Ce plan d’action peut être consulté à la section Documentation, sous la rubrique Publications du site Web du ministère de la Santé et des Services sociaux à l’adresse www.msss.gouv.qc.ca 2 Ce guide peut être consulté sur le site Web de l’ACRDQ, à l’adresse www.acrdq.qc.ca/publication.php La cyberdépendance État des connaissances, 7 manifestations et pistes d’intervention
L es achats en ligne et la un délai très court, achetant et recherche de connaissances vendant le même titre boursier et d’informations parce que ces en profitant des variations finan- deux applications ne se retrou- cières de la journée. La question vaient ni dans les publications est de savoir s’il s’agit d’un jeu consultées ni dans les groupes de hasard et d’argent ou d’un de discussion ( focus groups ) investissement : plusieurs cli- menés auprès des cliniciens. niciens considèrent qu’il s’agit d’un jeu de hasard et d’argent e « boursicotage » (ou day- L tandis que les économistes trading), soit le comportement considèrent qu’il s’agit d’une de ceux qui font des transactions stratégie d’investissement. boursières chaque jour ou dans 2.2.1 L’univers des jeux Il existe de nombreux types de jeux, « WoW est un univers partagé. Le sujet comme les jeux de simulation, les y rencontre d’autres individus, eux- jeux de gestion, de réflexion ou mêmes drapés d’une identité virtuelle. d’action. Ces jeux sont basés sur Naissent de ces rencontres de nouvelles des interactions en temps réel ; les formes de socialisation fondées peut- plus utilisés sont les jeux d’action être moins sur la présence de l’autre ainsi que les jeux de rôles massi- que, précisément, sur son absence. Ces vement multi-joueurs, où le joueur socialisations paradoxales, équivoques incarne un personnage – un ava- et parfois même fantasmatiques, se font tar – intégré dans une histoire et un pourtant le terreau d’une nouvelle com- scénario. Le prototype est World munauté élective : la communauté des of Warcraft (WoW). Ces jeux com- joueurs. Communauté de passion, elle portent plusieurs aspects ludiques prolonge l’expérience du jeu en l’extir- et renforçateurs comme des gra- pant du simple soliloque entre le joueur phismes attrayants et de haute qua- et son ordinateur. Elle donne une réalité lité, la capacité de communiquer en à l’expérience du jeu » (p. 24). direct, ou les deux3. Ils offrent aussi toute une écologie dans laquelle le Les jeux présentent aussi des joueur peut s’investir. possibilités de développement et d’apprentissage. La documentation Les jeux en ligne proposent, comme scientifique suggère que les jeux le suggère Maxime Coulombe d’action peuvent améliorer diffé- (2010) dans Le monde sans fin des rents processus liés aux perceptions jeux vidéo, une nouvelle forme de visuelles. Ainsi, Green et Bavelier socialisation : (2007) ont démontré que les jeux 3 Le lecteur qui veut en connaître davantage sur les jeux vidéo peut consulter le site de la World Cyber Games (http://www.wcg.com/6th/main.asp). Ce site permet de découvrir les plus récents développements en matière de jeu, de saisir, à partir de l’examen des divers commanditaires des événements, qu’il s’agit d’abord d’une industrie et non d’une bonne œuvre, et enfin, de sentir combien on renforce le sentiment d’appartenance. Cela dit, ce n’est pas le seul site Internet qui répond à ces caractéristiques. La cyberdépendance 8 État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
d’action améliorent la résolution chez les jeunes de 12 à 16 ans. Lors spatiale, c’est-à-dire la capacité de de sa première phase en 2009-2010, discerner deux structures : petites Pocheville a rejoint 170 000 jeunes. et proches. Les jeux sont utilisés Une évaluation du programme dans un grand nombre de contextes comparant un groupe de jeunes thérapeutiques et médicaux : par ayant visité Pocheville et un groupe exemple, certains jeux améliorent la de contrôle a fait ressortir que le tolérance des enfants qui subissent groupe à l’étude avait des attitudes des traitements médicaux difficiles. plus prudentes que le groupe de Les jeux sont aussi utilisés dans un contrôle, que l’impact avait été plus contexte de réadaptation physique important chez les garçons que chez ou de psychothérapie (Griffith, 2004). les filles et que les conséquences On a en effet recours à des simula- sociales (violence, perte d’amis, soli- tions virtuelles dans le traitement des tude) étaient moins bien comprises joueurs pathologiques, notamment que les conséquences physiques de au Laboratoire de Cyberpsychologie l’abus d’alcool4. (w3.uqo.ca/cyberpsy) dirigé par Stéphane Bouchard du Département Au-delà de leurs fonctions ludiques de psychologie de l’Université du et récréatives, les forces et les Québec en Outaouais. attraits des jeux vidéo sont en fait mis à contribution dans divers jeux Les jeux vidéo peuvent également dits sérieux (serious games) déve- être utilisés à des fins éducatives. loppés à des fins pédagogiques ou Par exemple, Éduc’alcool a déve- thérapeutiques et utilisés dans des loppé le jeu « Pocheville » (www. domaines aussi variés que l’écono- pocheville.ca) pour prévenir la mie, la gestion, la médecine, l’éduca- consommation excessive d’alcool tion et la formation professionnelle. 2.2.1.1 Les jeux d’action Les jeux d’action sont basés sur des des tournois nationaux et interna- interactions en temps réel qui font tionaux, exigeant que les équipes appel aux réflexes et à l’habileté « s’entraînent » tous les jours avec des joueurs. Il existe ici encore un discipline et rigueur. Selon Valleur grand nombre de sous-catégories. (2008), la compétition est l’un des Par exemple, certains jeux mettent facteurs de l’addiction, associée au en œuvre des situations de confron- sentiment de pouvoir et de maîtrise tation, comme les shoot them up, procuré par le jeu. de combat ou de tir subjectif (First Person Shooter ). Des compéti- L’univers des jeux d’action et d’aven- tions existent pour les adeptes de ture ne cesse par ailleurs de s’étendre ces jeux : certaines personnes les puisque les toutes dernières généra- considèrent comme un sport, s’or- tions de consoles de jeu (Nintendo ganisent en équipe et participent à Wii, Xbox, PlayStation, etc.) peuvent 4 Communication de Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool, avec les auteurs, 6 mars 2011. La cyberdépendance État des connaissances, 9 manifestations et pistes d’intervention
désormais être branchées sur pouvoir d’attraction même, permet de Internet, offrant du même coup aux s’enfuir, d’oublier. Et peut-être d’abord adeptes de nouvelles occasions de s’oublier un peu. De cette distance de jouer en ligne et de se mesurer instituée avec le monde réel naît la possi- à d’autres joueurs. De même, les bilité d’être un autre en se choisissant un réseaux sociaux comme Facebook corps de fantasme, un «avatar». À le maî- et les téléphones intelligents offrent triser, le joueur en arrivera à ne faire qu’un à leurs membres ou abonnés un avec cet alter ego, cette prothèse de soi vaste choix de jeux en ligne. Plusieurs plus grande que nature. En ligne, il pourra voient dans ces téléphones une des voler, contrôler les éléments, renaître de interfaces de l’avenir, bien que les ses cendres, se téléporter sur un autre coûts soient beaucoup plus signifi- continent, commander des armées. En catifs que l’ordinateur fixe. ligne, il sera omnipotent. » (p. 13). Les jeux vidéo exercent une fasci- On comprendra, à partir d’une nation. Coulombe (2010) explique le telle description, que plusieurs cli- phénomène : niciens et chercheurs s’interrogent « Le joueur pénètre dans un environne- à savoir si ces jeux vidéo ne sont ment englobant, féérique, dans lequel se pas susceptibles d’être associés, perdre et mettre en sourdine les douleurs chez des sujets vulnérables, à des et les difficultés du monde réel. Il trouve comportements assimilables à à portée de souris un lieu qui, par son ceux d’une addiction. 2.2.1.2 Les jeux de rôle massivement multi-joueurs – Massive Multiplayer Online Role-Playing Games Les jeux de rôle massivement multi- Ces jeux permettent à chaque joueurs – Massive Multiplayer Online joueur de créer un ou plusieurs per- Role-Playing Games ou MMORPG – sonnages sous la forme d’avatars. se définissent par trois critères : 1) le L’identité de chacun des avatars jeu possède un univers virtuel qui peut varier selon le genre, l’âge, la n’est accessible que sur le réseau profession, la race ou la religion. Par Internet ; 2) il est persistant, c’est-à- exemple, un joueur peut incarner un dire qu’il existe en permanence sur personnage humain ou d’une race Internet, que des joueurs y soient fantastique, avec une profession qui branchés ou non ; 3) il est accessible le destine à jouer seul ou en groupe. à un très grand nombre de joueurs Il a en somme la liberté de créer simultanément. On considère géné- un personnage à l’image des attri- ralement qu’un jeu est massivement buts, des valeurs, des forces, des multi-joueurs lorsqu’il peut accueil- pouvoirs et des habiletés qu’il juge lir un minimum d’une centaine de importants ou attrayants. Ce jeu de joueurs en même temps. Ce type de projections est en soi fascinant. Les jeu a connu une forte croissance et, joueurs peuvent aussi se regrouper comme le genre se joue exclusive- en factions ou guildes, organisées ment sur Internet, il tend à se déve- en fonction de leurs expériences, de lopper de plus en plus, au rythme de leurs croyances ou de leurs objec- la disponibilité de l’accès au réseau. tifs. Le contenu même du jeu prévoit La cyberdépendance 10 État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
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