La cyberdépendance État des connaissances, manifestations et pistes d'intervention

 
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La cyberdépendance État des connaissances, manifestations et pistes d'intervention
La cyberdépendance
                                                                                                                                                                          État des connaissances,
                                                                                                                                                                          manifestations et
                                                                                                                                                                          pistes d’intervention

                                                                                                        État des connaissances, manifestations et pistes d’intervention
                                                                                                        La cyberdépendance

                Agréé par                  Affilié à

950, RUE DE LOUVAIN EST / Montréal (Québec) / H2M 2E8 / 514 385-1232 / www.centredollardcormier.qc.ca
Rédaction
Louise Nadeau, Ph. D.,
Directrice scientifique du Centre Dollard-Cormier –  Institut universitaire
sur les dépendances, professeure titulaire au Département de psychologie
de l’Université de Montréal
Didier Acier, Ph. D.,
Psychologue clinicien, Maître de conférences, Université de Nantes
Laurence Kern, Ph. D.,
Maître de conférences, Université Paris Ouest Nanterre la Défense
Carole-Line Nadeau, M.A.,
Conseillère aux communications,
Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances

Collaboration à la rédaction
Pascale Audrey Moriconi,
Candidate au doctorat en psychologie, Université de Montréal

Collaboration à la recherche
Carole-Line Nadeau,
Conseillère aux communications,
Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances
Mathieu Goyette,
Candidat au doctorat en psychologie, Université de Montréal

Soutien à la rédaction
Magali Dufour,                                                                                                         Référence complète pour citation
Professeure agrégée, Service de toxicomanie, Université de Sherbrooke
                                                                                                                       Nadeau, N., Acier, D., Kern, L., & Nadeau, C.-L. (2011). La cyberdépendance :
Sylvie R. Gagnon,                                                                                                      état des connaissances, manifestations et pistes d’intervention. Montréal,
Clinicienne – chercheur,                                                                                               Québec : Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances.
Centre de réadaptation en dépendances Le Tremplin
                                                                                                                       La rédaction de ce guide a été rendue possible grâce au soutien financier
Michel Landry,
                                                                                                                       de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal.
Conseiller à la recherche,
Centre Dollard-Cormier –  Institut universitaire sur les dépendances                                                   Ce document est disponible au Centre québécois de documentation
                                                                                                                       en toxicomanie (CQDT) du Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur
                                                                                                                       les dépendances. Il peut également être consulté et téléchargé sur notre site :
Révision et édition                                                                                                    www.centredollardcormier.qc.ca.
Carole-Line Nadeau,
Centre Dollard-Cormier –  Institut universitaire sur les dépendances                                                   Le contenu de ce document peut être cité et reproduit, à condition
                                                                                                                       d’en mentionner la source.
Karine Bélanger,
Centre québécois de documentation en toxicomanie (CQDT)
du Centre Dollard-Cormier – Institut universitaire sur les dépendances                                                 ISBN : 978-2-9810903-1-7 (imprimé)
                                                                                                                       ISBN : 978-2-9810903-2-4 (PDF)
                                                                                                                       Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2012
Révision linguistique,                                                                                                 Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2012
conception et montage graphique
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La cyberdépendance
    État des connaissances,
    manifestations et
    pistes d’intervention
/ Louise Nadeau / Didier Acier / Laurence Kern / Carole-Line Nadeau /
Avant-propos
Cet état des connaissances se veut un texte de référence rela-
tivement à l’intervention auprès des personnes présentant des
problèmes liés à l’utilisation d’Internet. Pour les besoins de ce texte,
nous nommerons ce phénomène « cyberdépendance ».

L’émergence des dépendances sans            vraie dépendance ou est-ce qu’on
substance a amené de profondes              emprunte le concept aux addictions
transformations dans la recherche et        parce que c’est plus facile de penser
la pratique clinique. Si l’inclusion des    à l’intérieur d’un cadre connu ?
jeux de hasard et d’argent est venue
remettre en question le rôle clé de la      Internet fait maintenant partie inté-
substance dans le processus addic-          grante de nos vies sociale, éduca-
tif, la grande utilisation d’Internet       tive, culturelle – ce texte a été écrit
pousse encore plus loin la réflexion        à l’ordinateur à partir de sources
relative à une conceptualisation            qui étaient en version électronique,
intégrée de la dépendance. Faut-il          consultées sur la Toile tandis que
penser autrement le rapport à la réa-       les auteurs de cet état des connais-
lité à cause de l’espace virtuel ? La       sances suggèrent au lecteur des
création d’avatars est-elle une simple      textes qui sont sur le Web. C’est
projection, qui consiste à situer dans      un changement aussi radical dans
le monde extérieur des pensées, des         l’histoire de l’humanité que celui des
affects, des désirs – ou faut-il sortir     premiers dessins, puis de la peinture
du cadre des modèles actuels de             et de l’écriture, puis de l’imprimerie
la personnalité pour conceptualiser         et du cinéma et enfin, de la télévision.
autrement ce type de relation ? En          Toutes ces techniques ont modifié
quoi est-ce pareil, ou différent, des       les représentations que les individus
contes de Perrault (eux-mêmes issus         se faisaient du monde, et Internet
de la tradition folklorique du Moyen        fait cela aussi. Leur introduction a,
Âge), de la lecture de romans qui           en leur temps, été accueillie avec
altèrent notre état de conscience           des sentiments mitigés, et la peur a
tellement ils nous habitent pendant         souvent fait partie de l’ambivalence
la lecture, ou encore de notre rela-        face au changement. Il serait utile de
tion passionnelle à certains animaux,       retourner à l’histoire pour se rappeler
certains objets ou même certaines           la peur qu’ont engendrée l’imprime-
idées ? Ce que l’on nomme cyber-            rie, au XVe siècle, et le cinéma, au
dépendance nous force à revoir              début du siècle dernier. Toute tech-
les idées reçues sur les addictions :       nique apportant autant de renforça-
l’habitude peut-elle dégénérer en           teurs à la vie d’un individu peut aussi
nécessité (Rush, 1790/1808) ? Peut-il       être perçue comme comportant un
y avoir perte de contrôle face à un         risque d’usage immodéré, qui à son
objet de dépendance ou incapacité           tour entraîne des problèmes.
de s’abstenir (Jellinek, 1960) ? Y a-t-il
sentiment de perte de liberté intime        En matière d’addiction, l’idée d’une
face à Internet (Edwards & Gross,           cyberdépendance pose avec encore
1976 ; Fouquet, 1951) ? S’agit-il d’une     plus d’actualité la question qui hante

                                                  La cyberdépendance
                                                  État des connaissances,      III
                                                         manifestations et
                                                      pistes d’intervention
la psychiatrie depuis la publication du    classifications reconnues de troubles
texte de référence de Canguilhem           mentaux, soit celle de l’Association
(1943/2011) : quelle est la frontière      américaine de psychiatrie (American
entre le normal et le pathologique ?       Psychiatric Association [APA]), qui
Canguilhem soutenait qu’il n’y a pas       publie le Manuel diagnostique et
d’opposition nette entre le normal et      statistique des troubles mentaux ,
le pathologique, bien qu’il y ait une      dit DSM, et celle de l’Organisation
différenciation quantitative et qua-       mondiale de la santé, qui publie une
litative entre les deux états. Cette       Classification internationale des
conceptualisation a été respectée          maladies, dite CIM. Concrètement,
dans ce guide parce qu’elle suggère        un médecin ne peut facturer pour le
la prudence. Nous proposons des cri-       traitement de la cyberdépendance
tères et des mesures pour quantifier       parce que le trouble n’a pas d’exis-
la cyber­dépendance afin d’aider très      tence nosologique. Nous écrivons
concrètement les intervenants dans         donc au sujet d’un trouble mental
leur travail. Par ailleurs, nous suggé-    qui a un nom, qui suscite un énorme
rerons aussi aux intervenants de prê-      intérêt de la part des cliniciens, des
ter une attention aux changements          chercheurs et des médias, mais qui,
qualitatifs qui peuvent être vécus par     de fait, est encore mal documenté si
les personnes aux prises avec une          on compare les travaux existants aux
cyberdépendance parce que nous             recherches autrement plus documen-
avons besoin d’entendre un autre           tées sur l’alcool, la dépression ou les
discours et présenter un tableau cli-      grandes pathologies mentales.
nique différent de celui des autres
dépendances. En bref, ce texte pose        Et pourtant, les problèmes reliés à
plus de questions qu’il n’apporte          Internet n’attendent ni la recherche
de réponses ; mais en revanche, le         ni un corpus éprouvé de meilleures
champ des dépendances n’a jamais           pratiques pour se manifester. Les
été aussi passionnant !                    clients ont déjà commencé à frap-
                                           per aux portes des centres de réa-
Cet état des connaissances doit être       daptation en dépendance (CRD), et
lu comme un travail en évolution – un      il faut répondre au mieux de notre
work in progress. Les données de           connaissance à la situation qui les
recherche dans ce champ d’études           fait souffrir et aux problèmes asso-
n’ont pas la maturité de celles            ciés à leur utilisation d’Internet.
publiées dans le champ de l’alcool         Conséquemment, malgré une docu-
et des drogues, et sont aussi derrière     mentation scientifique peu robuste
celles portant sur les jeux de hasard et   et une expérience clinique qui se
d’argent. Nous n’avons aucune don-         construit au moment d’écrire ces
née sur les trajectoires d’évolution       lignes, les responsables de l’orga-
dans le temps des utilisateurs d’In-       nisation des services sociaux ont
ternet parce que nous n’avons pas          jugé, à juste titre, qu’il faut ouvrir
encore vu vieillir nos usagers. Notre      le dialogue sur cette question dans
expérience clinique est également          notre réseau de services. Le lecteur
limitée en raison des faibles volumes      devra donc accepter les limites de
de consultation. Il faut de plus se        cet état des connaissances, qui sont
rappeler que la cyberdépendance            celles des données cliniques et de
n’est incluse dans aucune des deux         recherche existantes.

          La cyberdépendance
  IV      État des connaissances,
          manifestations et
          pistes d’intervention
Cet état des connaissances a été           D
                                             es cliniciens de plusieurs centres
rédigé à partir des sources suivantes :     de réadaptation en dépendance
                                            participent aussi au projet de
 U
   ne recension des écrits faite par       recherche sur l’Évaluation des
  Didier Acier, qui était jusqu’en          personnes présentant une cyber-
  2010 chercheur au Centre                  dépendance, une étude de cas
  Dollard-Cormier – Institut uni-           dont il sera question dans cet
  versitaire sur les dépendances            ouvrage. Voici donc l’ensemble
  (CDC-IUD), et Laurence Kern,              des cliniciens-chercheurs qui,
  alors chercheuse invitée au               par leur soutien, leurs réflexions et
  même CDC-IUD. Tous deux ont               leurs observations, ont contribué
  rédigé un état de la question plus        depuis 2008 à documenter cet
  long et plus exhaustif que cet            ouvrage : Dany Bellerose, Laurent
  état des connaissances, lequel            Brisson, Geneviève Cantin, Carole
  a servi de base à la rédaction du         Couturier, Pascale Desaulniers
  présent ouvrage. Cette recen-             (supervisée par Estelle Toulouse),
  sion a été mise à jour en 2010            Nancy Dionne, Kathleen Dubois,
  par Mathieu Goyette, candidat             Nancy Hickey, Éric Laflamme,
  au doctorat en psychologie à              Ronald Lambert, Colette Leblanc,
  l’Université de Montréal.                 Chantal Michaud, Richard Pesant,
                                            Danielle Pinsonneault, Caroline
 D
   eux groupes de discussion ou            Plouffe, Claude Ratelle, Catherine
  focus groups réalisés l’un en juin        Richard, Guy-Pierre Tapp, Valérie
  2008 et l’autre en juin 2009. Ces         Van Mourik et Dale Walker. Leur
  groupes de discussion avaient             engagement avec les usagers,
  pour but de discuter des cas de           leur motivation et la qualité des
  cyberdépendance qui avaient               échanges constituent l’essentiel
  été traités dans les centres de           de la partie clinique de cet état
  réadaptation en dépendance                des connaissances.
  du Québec. Ces rencontres ont
  réuni les mêmes intervenants             L
                                             es lectures, autres travaux de
  à un an d’intervalle ; ceux-ci            recherche et commentaires de
  nous ont renseignés sur leurs             Magali Dufour, Sylvie R. Gagnon
  pratiques cliniques auprès de             et Michel Landry qui ont consti-
  personnes venues chercher de              tué, avec moi, l’équipe cyberdé-
  l’aide en raison de leur usage            pendance au sein de la Direction
  problématique d’Internet. Le              de la mission universitaire du
  premier groupe de discussion a            CDC-IUD.
  été analysé par Pascale Audrey
  Moriconi, candidate au docto-           Jusqu’en décembre 2009, Didier
  rat en psychologie à l’Université       Acier a été la personne responsable,
  de Montréal, et le second, par          au CDC-IUD, de la recherche préa­
  Laurence Kern.                          lable à la rédaction de ce guide.
                                          Outre la rédaction de l’état des
                                          connaissances sur la cyberdé-
                                          pendance, il a organisé les deux
                                          groupes de discussion et préparé
                                          l’étude clinique en cours.

                                                La cyberdépendance
                                                État des connaissances,      V
                                                       manifestations et
                                                    pistes d’intervention
Nous avons aussi une dette de recon-     Ce travail a été rendu possible grâce
naissance à l’endroit de Mathieu         au soutien financier de l’Agence de
Goyette, assistant de recherche, de      la santé et des services sociaux de
Valérie Van Mourik, clinicienne au       Montréal sous la forme d’un contrat
CDC-IUD et de Marie-Anne Sergerie,       de recherche accordé au CDC-IUD.
psychologue et auteure d’un site sur     Le mandat principal du contrat avait
la cyberdépendance. Nous avons           pour objet la préparation d’un état
préparé ensemble une formation sur       des connaissances à l’intention
la cyberdépendance ; offertes à trois    des intervenants du réseau pour
reprises au CDC-IUD, ces journées        les soutenir dans le développement
de formation nous ont permis de          d’interventions pour les personnes
préciser notre pensée et de saisir les   aux prises avec des problèmes
préoccupations des intervenants au       psychosociaux liés à leur utilisation
sujet de la cyberdépendance.             d’Internet. Les auteurs espèrent que
                                         c’est mission accomplie.

/ Louise Nadeau, Ph. D. / Professeure titulaire
/ Département de psychologie, Université de Montréal
/ Directrice scientifique, Centre Dollard-Cormier –
   Institut universitaire sur les dépendances

         La cyberdépendance
  VI     État des connaissances,
         manifestations et
         pistes d’intervention
Résumé
L’omniprésence d’Internet dans toutes les sphères de nos vies peut
entraîner, chez certaines personnes, un usage problématique d’Inter-
net ou de certaines de ses applications. Les intervenants des centres
de réadaptation en dépendance rencontrent en effet des personnes
qui présentent des signes de dépendance au Web. Ce phénomène,
que nous nommerons ici cyberdépendance, est encore méconnu et
peu documenté. À l’heure actuelle, la cyberdépendance n’a d’ail-
leurs pas d’existence nosologique ; aucune des deux classifications
reconnues pour les troubles mentaux ne définit la cyberdépendance.

Cette monographie recense l’essentiel des travaux de recherche
menés à ce jour sur la cyberdépendance, ses manifestations et
les applications jugées plus à risque de créer une dépendance.
Bien qu’on ne puisse parler de critères diagnostiques, cet état des
connaissances s’inspire des règles reconnues dans d’autres champs
de dépendance pour aider les cliniciens à reconnaître les signes
d’une dépendance à Internet. Les éléments clés des travaux menés
au Québec par l’équipe de rédaction sont également rapportés tout
en rappelant l’importance de considérer la cyberdépendance avec
un regard neuf. Les pistes d’intervention suggérées réfèrent aux
approches et pratiques reconnues dans le traitement des dépen-
dances aux substances ou aux jeux de hasard et d’argent.

Mots-clés / Cyberdépendance
           / Usage problématique d’Internet
           / Jeux vidéo en ligne

                                         La cyberdépendance
                                         État des connaissances,     VII
                                                manifestations et
                                             pistes d’intervention
Table des matières

1.	De l’usage d’Internet à la cyberdépendance		                             /1

 1.1 Les conditions pour l’établissement d’un diagnostic		                   /3

2. L’utilisation d’internet		                                               /5

 2.1 Les aspects spécifiques de l’utilisation d’Internet		                   /5

 2.2 Les applications associées		                                            /7
       2.2.1 L’univers des jeux		                                            /8
            2.2.1.1 Les jeux d’action		                                      /9
            2.2.1.2	Les jeux de rôle massivement multi-joueurs –
                     Massive Multiplayer Online Role-Playing Games 		 / 10
       2.2.2 Les relations virtuelles		 / 12

 2.3	Conclusion			 / 13

3. Le tableau clinique		 / 15

 3.1	Les signes cliniques communs à la cyberdépendance
      et aux autres dépendances		 / 17
       3.1.1 Les préoccupations		 / 18
       3.1.2	Le désir persistant ou les efforts répétés mais infructueux pour
              contrôler, réduire ou arrêter l’utilisation		 / 19
       3.1.3	L’agitation ou l’irritabilité lors des tentatives de réduction
              ou d’arrêt			 / 19
       3.1.4	L’utilisation se prolonge plus longtemps que prévu		 / 19
       3.1.5	La mise en danger ou la perte d’une relation affective importante,
              des activités professionnelles, sociales, occupationnelles
              ou de loisirs en raison de l’utilisation d’Internet		 / 20
       3.1.6	La poursuite de l’utilisation malgré la connaissance
              de l’existence d’un problème déterminé ou exacerbé
              par l’utilisation		 / 21
       3.1.7	Les mensonges à la famille, au thérapeute
              ou à d’autres pour dissimuler l’ampleur réelle
              de ses habitudes d’utilisation		 / 21
       3.1.8	L’utilisation vise à échapper aux difficultés
              ou à soulager une humeur dysphorique		 / 21

         La cyberdépendance
VIII     État des connaissances,
         manifestations et
         pistes d’intervention
3.2 Les éléments spécifiques de la cyberdépendance		 / 22
     3.2.1 La durée d’utilisation		 / 22
     3.2.2 L’impact sur les relations interpersonnelles		 / 25
     3.2.3 La valorisation grâce à un personnage virtuel		 / 26
     3.2.4 Le rapport à la réalité		 / 28

  3.3	Conclusion			 / 29

4. Les troubles concomitants		 / 30

  4.1 Le phénomène de la comorbidité		 / 30

  4.2 Les troubles associés		 / 31

  4.3	Conclusion			 / 33

5. Les stratégies cliniques		 / 34

  5.1 L’abstinence ou la réduction des méfaits		 / 36

  5.2	Les pratiques reconnues dans le traitement
       des dépendances		 / 37

  5.3 Les outils propres à la cyberdépendance		 / 40

6.	Conclusion				 / 41

Annexes						 / 43

	Annexe 1. Entrevue d’évaluation 		 / 43

	Annexe 2. Fiche d’auto-observation des usages
           d’Internet et des nouvelles technologies		 / 69

références Bibliographiques		 / 73

                                     La cyberdépendance
                                     État des connaissances,
                                            manifestations et
                                         pistes d’intervention
1
De l’usage
d’Internet à la
cyberdépendance
Le concept à l’origine d’Internet remonte aux années 1950, mais
ce n’est qu’une décennie plus tard que ses premières applications
se concrétiseront. D’abord développé aux États-Unis, le réseau
ARPANET permet, en 1969, d’établir des communications entre
des ordinateurs situés à distance et non reliés sur un même réseau.
Dès lors, les connexions et les communications entre réseaux
informatiques se développent et se multiplient dans le monde
jusqu’à la création, au début des années 1980, du « réseau des
réseaux » : ­Internet. Mais c’est avec l’arrivée du World Wide Web, au
début des années 1990, qu’Internet connaît une véritable explosion.
Cette application, de même que le courrier électronique, la messa-
gerie instantanée et les récentes applications du Web 2.0 comptent
aujourd’hui parmi les plus populaires. Avec Twitter, Facebook, Skype
et les SMS, le quotidien d’une grande partie des habitants de la
planète est transformé.

En vingt ans à peine, Internet a non    proportion d’internautes réguliers
seulement révolutionné le monde         atteint 92 % chez les 18-34 ans,
des télécommunications, il a aussi      89 % chez les 35-44 ans et 80 %
eu d’immenses répercussions éco-        chez les 45-54 ans. Internet ne rallie
nomiques, sociales et scientifiques.    pas que les jeunes puisque les der-
Et tout permet de croire que ce         nières données indiquent que 68 %
vaste réseau continuera à se déve-      des personnes de 55 à 64 ans, et
lopper dans les années à venir. En      40 % des plus de 65 ans sont aussi
mars 2011, on compte en Amérique        des utilisateurs réguliers. Que ce
du Nord plus de 272 millions d’utili-   soit à la maison, au travail ou sur
sateurs d’Internet, ce qui représente   Internet mobile, les internautes régu-
un taux de desserte de 78 % par rap-    liers passent environ 17 heures par
port à l’ensemble de la population. À   semaine sur le Web.
la même période, le Canada compte
près de 27 millions d’internautes, ce   Le courriel reste l’application la plus
qui représente un taux de pénétra-      populaire puisque 81 % des inter-
tion de 79,2 % (Miniwatts Marketing     nautes possèdent une adresse élec-
Group, 2011). Le Québec ne fait pas     tronique, et que 68 % d’entre eux
exception puisqu’en 2010, 75,4 %        l’utilisent pour communiquer avec
des adultes québécois étaient des       leurs proches. La recherche d’infor-
utilisateurs réguliers d’Internet,      mation, les achats, les transactions
c’est-à-dire sur une base hebdoma-      bancaires et l’écoute d’émissions
daire ; et à cela s’ajoutent quelque    de radio ou de télévision figurent
7 % d’utilisateurs occasionnels. La     également parmi les activités les

                                              La cyberdépendance
                                              État des connaissances,      1
                                                     manifestations et
                                                  pistes d’intervention
plus populaires sur la Toile. Trente        d’Ivan Goldberg, psychiatre amé-
pour cent des internautes jouent à          ricain. Ce dernier écrit un courriel
des jeux en ligne, une proportion           dans lequel il propose une défini-
qui atteint 38 % chez les 18-34 ans         tion de la dépendance à Internet
(CEFRIO, 2010).                             et recommande de s’inscrire à un
                                            groupe d’entraide. Le canular tourne
Une partie importante de la popu-           mal lorsqu’il reçoit des demandes
lation fait un usage quotidien, et          réelles de personnes présentant
souvent professionnel, d’Internet.          une véritable souffrance. Le phé-
L’immense majorité de ces personnes         nomène est repris l’année suivante
a une utilisation pratique, agréable et     par Kimberley Young lors du congrès
sans dommage d’Internet. Seule une          annuel de l’American Psychological
fraction restreinte d’utilisateurs en       Association. Young (1996) propose
ferait un usage problématique. Ainsi,       alors une liste de symptômes ins-
une enquête en population générale,         pirée par les critères du jeu patho-
menée en 2008 auprès des étudiants          logique du DSM-IV (APA, 1994),
universitaires de Montréal, montre          eux-mêmes inspirés de ceux de la
que, parmi les 2 139 répondants,            dépendance aux substances. Ses
ceux qui utilisent Internet pour jouer,     analyses qualitatives suggèrent des
incluant les jeux massivement multi-        différences significatives entre un
joueurs, sont pour la plupart des           groupe de personnes utilisatrices
joueurs de poker en ligne (Mihaylova,       d’Internet et un groupe de personnes
Kairouz, & Nadeau, sous presse).            « dépendantes à Internet ». Ces dif-
Cette étude a en outre permis de            férences concernent la durée d’uti-
constater que, contrairement aux            lisation, les applications sur Internet
jeux de hasard et d’argent comme le         et les difficultés qui s’ensuivent sur
poker, les jeux vidéo en ligne ne pré-      les plans professionnel, relationnel,
sentent pas de problème significatif        financier et physique (Young, 1996).
chez les étudiants universitaires.          Depuis, et comme nous le verrons
                                            dans ce guide, plusieurs chercheurs
Internet offre en fait de multiples pos-    et cliniciens se sont intéressés à
sibilités aussi bien dans les domaines      l’utilisation potentiellement délé-
du travail, de l’éducation, du loisir que   tère d’Internet et ont mené des tra-
de la communication. Cependant,             vaux de recherche sur le sujet. Une
chez certaines personnes, l’utili-          synthèse des recherches quantita-
sation d’Internet est telle que des         tives sur la dépendance à Internet
problèmes de santé et de fonction-          menées entre 1996 et 2006 a pour
nement psychosocial peuvent en              sa part permis de faire un bilan des
découler. Ce tableau clinique com-          connaissances à ce jour (Byun et al.,
porte des similitudes avec les autres       2009), suggérant du même coup des
conduites addictives, comme le jeu          pistes de recherche à explorer.
pathologique et la dépendance aux
substances, bien que le phénomène           Les termes pour décrire l’utilisation
soit récent en comparaison des              potentiellement délétère d’Internet
dépendances aux substances et aux           varient d’un chercheur à l’autre,
jeux de hasard et d’argent.                 d’une étude à l’autre. Nous avons
                                            recensé au moins 11 vocables dif-
Le terme « cyberdépendance » a vu           férents : la cyberdépendance, la
le jour en 1995 avec la plaisanterie        dépendance à Internet (Gimenez,

          La cyberdépendance
  2       État des connaissances,
          manifestations et
          pistes d’intervention
Baldo, Horassius, & Pedinielli,          (addiction au net), Internet addic-
2003), Internet addiction disor-         tion (addiction à Internet, Young,
ders (troubles liés à l’addiction à      1998), et high Internet dependency
Internet) ; pathological Internet use    (grande dépendance à Internet,
(utilisation pathologique d’Internet,    Davis, Flett, & Besser, 2002).
Morahan-Martin & Schumacher,
2000) ; problematic Internet use         Nous avons retenu le vocable
(utilisation problématique d’Inter-      « cyberdépendance » qui semble
net, Shapira, Goldsmith, Keck,           être le choix d’autres collègues du
Khosla, & McElory, 2000) ; excessive     Québec (cyberdependance.ca).
Internet use (utilisation excessive      Mais quel que soit le terme choisi,
d’Internet) et compulsive Internet       il faut retenir qu’il y a maintenant
use (utilisation compulsive d’Inter-     de nombreux cas documentés de
net, Widyanto & Griffiths, 2006) ;       personnes dont la vie est affec-
cyberspace addiction (addiction          tée négativement par leur utilisa-
au cyberespace), online addiction        tion d’Internet, y compris dans les
(addiction en ligne), net addiction      centres de traitement du Québec.

1.1 Les conditions pour l’établissement d’un diagnostic

La cyberdépendance ne constitue          condition dont l’évolution est pro-
pas un diagnostic reconnu dans la        gressive et s’aggrave dans le temps.
nosologie psychiatrique. Pour qu’un      Ensuite, il faut que l’OMS et l’APA,
syndrome clinique soit reconnu           qui rédigent les deux manuels dia-
comme un trouble mental dans la          gnostiques de référence, prennent la
Classification internationale des        décision de réunir officiellement des
maladies de l’Organisation mon-          experts afin d’établir un consensus
diale de la santé (OMS) ou dans le       relativement aux critères diagnos-
Manuel diagnostique et statistique       tiques du syndrome à l’étude.
des troubles mentaux de l’Associa-
tion psychiatrique américaine (APA),     Parce qu’Internet est si récent, l’état
il y a deux grandes conditions. Tout     actuel des connaissances en matière
d’abord, il faut qu’un corpus de         de cyberdépendance est tel que ces
données probantes documente de           conditions ne sont pas encore réu-
manière valide et fidèle le caractère    nies. Il n’y a pas consensus, à ce jour,
pathologique du phénomène. Par           ni dans la communauté scientifique
données probantes, on entend :           ni chez les cliniciens, sur le nom qui
1) des enquêtes avec des échan-          servirait à désigner ce trouble, les
tillons représentatifs de la popula-     critères diagnostiques pour le défi-
tion générale utilisant des mesures      nir, le nombre de symptômes requis
dont les qualités psychométriques        pour atteindre le seuil clinique et la
ont été démontrées ; 2) des études       période de référence nécessaire
cliniques qui répondent aux critères     pour que la souffrance soit clini-
scientifiques actuellement recon-        quement significative. Bref, la cyber-
nus ; 3) des études sur l’évolution      dépendance n’a pas d’existence
du trouble afin de pouvoir établir       nosologique (Goyette et Nadeau,
s’il s’agit d’une condition transi-      2008). Conséquemment, nous ne
toire, limitée dans le temps, ou d’une   pouvons pas utiliser dans ce texte

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                                               État des connaissances,       3
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                                                   pistes d’intervention
des vocables comme trouble mental             leur fonctionnement psychosocial et
ou critère diagnostique. C’est tout           ressentent une souffrance jugée cli-
simplement prématuré.                         niquement significative. Devant de
                                              telles similitudes, on peut convenir
Cela dit, il y avait des alcooliques          que des termes comme syndrome cli-
et des écrits sur l’alcool bien avant         nique, conduite addictive, utilisation
que les experts de l’OMS, au milieu           pathologique d’Internet ou cyber-
des années 1950, ne s’entendent sur           dépendance correspondent à leur
une définition commune de l’alcoo-            état de santé mentale. C’est dans
lisme. Le médecin néerlandais qui,            cet esprit – où la relation à Internet
en 1561, a écrit sur l’étiologie et le        comprend d’importantes similitudes
traitement du jeu pathologique n’a            avec les autres dépendances – que le
pas non plus attendu de consen-               terme cyberdépendance sera utilisé
sus pour proposer une stratégie de            dans cet état des connaissances.
soins (Joostens d’Eeklo, 1541/1618).
Mutatis mutandis , il y a présen-
tement des personnes aux prises
avec des problèmes associés à leur
utilisation d’Internet, et plusieurs
présentent un ensemble de signes
cliniques qui sont ceux-là mêmes qui
décrivent la dépendance.

Ainsi, les cliniciens nous disent que
certains usagers qui consultent pour
cyberdépendance éprouvent un sen-
timent intime de perte de liberté et
sont l’objet de préoccupations intru-
sives relativement à leur utilisation
d’Internet. En outre, ils se perçoivent
comme incapables de s’abstenir
d’utiliser Internet, notamment parce
qu’ils ont fait des tentatives infruc-
tueuses pour réduire ou cesser leur
utilisation. De plus, ils constatent
des effets délétères de l’utilisation
d’Internet dans plusieurs sphères de
leur vie – la santé physique et men-
tale, le travail, l’école, ou les deux, les
relations interpersonnelles. En bref,
ces usagers des CRD du Québec
présentent les signes caractéris-
tiques d’une dépendance : ils ont
le sentiment d’avoir perdu la liberté
de ne pas utiliser Internet bien qu’ils
aient souvent essayé, sans réussir,
de modifier leur conduite (Edwards &
Gross, 1976 ; Fouquet, 1951). Ils pré-
sentent un handicap significatif dans

           La cyberdépendance
  4        État des connaissances,
           manifestations et
           pistes d’intervention
2
L’utilisation
d’Internet
Cette deuxième partie présente la cyberdépendance, depuis
l’apparition du terme en passant par les différentes approches du
phénomène, les applications qui y sont associées jusqu’aux multiples
définitions qui s’y rattachent.

2.1 Les aspects spécifiques de l’utilisation d’Internet

L’utilisation d’Internet comporte des   multitude de possibilités : com-
aspects spécifiques qui distinguent     muniquer avec ses proches et
cette activité potentiellement addic-   ses collègues de travail, faire son
tive des autres dépendances. Ces        épicerie, acheter des vêtements,
caractéristiques uniques sont fort      faire des rencontres virtuelles,
probablement associées au risque        jouer au casino, à des jeux d’ac-
spécifique que comportent cer-          tion et d’aventure ou consulter
taines activités comme les jeux         des contenus à caractère sexuel,
vidéo d’action et d’aventure et les     etc. Ces utilisations peuvent se
relations virtuelles, que nous décri-   faire à toute heure du jour et de
rons ultérieurement. Ainsi, outre le    la nuit, et sans sortir de chez soi.
fait que l’internaute doit d’abord      C’est une spécificité importante,
utiliser des périphériques pour per-    car des activités non virtuelles
cevoir l’application et son contenu     prennent habituellement place
(écran et sons) et interagir avec       dans un cadre défini de temps
lui (clavier, souris, commandes         et de lieu : il faut se rendre phy-
vocales), on observe les trois carac-   siquement au casino pour jouer,
téristiques suivantes introduites par   aller à la boutique érotique ou
le chercheur Al Cooper dans le          au bar de rencontre pendant les
cadre de ses travaux sur les dépen-     heures d’ouverture. Sur Internet,
dances sexuelles ; il définit alors     ces contraintes changent ou
Internet comme le « Triple-A Engine »   disparaissent. Internet est
pour Anonymity, Accessibility and       devenu un moyen de commu-
Affordability (Cooper, Delmonico &      nication significatif, notamment
Burg, 2000). Les clients qui ont        pour les personnes qui n’ont
consulté dans les CRD pour cyber-       pas d’attachement dans la vie
dépendance ont validé, par leurs        non virtuelle : comme nous l’ont
propos, ce qui suit.                    rapporté les personnes qui ont
                                        consulté les CRD, il y a toujours
 L
   ’accessibilité. Internet est dis-   quelqu’un qui est là, quelle que
  ponible 24 h sur 24 et peut être      soit l’heure du jour ou de la nuit.
  utilisé de n’importe quel point       Il n’y a pas de limite, pas de fer-
  de connexion au monde dispo-          meture. C’est également devenu
  sant d’un ordinateur avec accès       un moyen de faire des rencontres
  à Internet. Internet offre une        amoureuses, quelles que soient

                                           La cyberdépendance
                                          État des connaissances,       5
                                                 manifestations et
                                              pistes d’intervention
l’orientation ou les préférences       personnes y consentent, et des
   sexuelles des usagers d’Inter-         rencontres virtuelles peuvent
   net. En corollaire, les personnes      devenir réelles. Parmi les per-
   cyberdépendantes utilisent             sonnes qui ont consulté, plu-
   souvent Internet une partie de         sieurs étaient des introvertis
   la nuit, ce qui vient bouleverser      qui avaient peu de contacts, ou
   tout l’horaire de leur vie, leurs      des relations difficiles avec les
   rapports avec les proches et leur      autres. Internet rend les contacts
   insertion sociale. Chez les usa-       moins anxiogènes. Nous avons
   gers des CRD, cet usage intensif       aussi vu quelques cas avec des
   a amené des problèmes de santé         traits narcissiques, pour qui les
   aux yeux, aux mains, au dos, de        relations en ligne étaient l’occa-
   l’inactivité physique et parfois,      sion d’avoir un contrôle sur leurs
   des problèmes de poids.                relations avec les autres, de
                                          se mettre en valeur, de penser
 L
   ’anonymat. Internet permet de         qu’ils ont un grand pouvoir, une
  cacher son identité ou d’en utili-      influence considérable, d’être
  ser une fausse, ce qui peut pro-        enfin des Kings.
  curer un sentiment de confiance
  dans les interactions avec autrui     F
                                          aible coût. L’utilisation d’Inter-
  ou dans le type d’applications         net, une fois l’abonnement payé,
  utilisées. Cet aspect est parti-       reste peu coûteuse, sinon gra-
  culièrement important chez les         tuite. Cependant, plusieurs jeux
  personnes anxieuses, réser-            en ligne exigent des déboursés,
  vées ou timides. Ces dernières         surtout si le joueur veut se main-
  peuvent trouver dans l’anonymat        tenir dans la compétition. Il en
  d’Internet la possibilité d’expé-      est de même pour certains sites
  rimenter une « autre » vie. Cet        de rencontre, où des frais men-
  aspect est aussi important pour        suels offrent aux abonnés un
  les applications à caractère por-      plus large éventail de possibili-
  nographique ou sur des thèmes          tés. Parmi les personnes qui ont
  tabous, puisque les utilisateurs       consulté, les dépenses n’étaient
  d’Internet peuvent vivre leurs         pas considérables. De fait, ces
  fantaisies tout en demeurant           personnes avaient peu de reve-
  incognito. Sur Internet, l’uti-        nus, et une proportion assez
  lisateur a le sentiment d’être         importante était peu instruite et
  « invisible », à moins d’accepter      vivait, même à l’âge adulte, chez
  de se révéler. Cet anonymat            leurs parents.
  peut toutefois être levé si les

         La cyberdépendance
  6      État des connaissances,
         manifestations et
         pistes d’intervention
2.2 Les applications associées

Dans un état des connaissances                                   élaboré par le ministère de la
comme celui-ci, il faut obligatoire-                             Santé et des Services sociaux
ment faire des choix de contenus.                                en collaboration avec la Table
Au terme des discussions que nous                                interministérielle sur le jeu patho-
avons eues en équipe, nous avons                                 logique, et le guide Les services
fait consensus sur deux principales                              en jeu pathologique dans les
utilisations et applications d’Internet                          centres de réadaptation en
pouvant poser des problèmes signi-                               dépendance (Desrosiers &
ficatifs : 1) les jeux vidéo d’action                            Jacques, 2009), publié par
et d’aventure ; 2) les relations vir-                            l’­A ssociation des centres de
tuelles, via le clavardage/chat ou les                           réadaptation en dépendance du
sites de rencontre (Chen & Chou,                                 Québec (ACRDQ)2. En bref, la
1999 ; Young, 1998, 1999 ; Vachey,                               formation et les ressources pour
Magalon & Lançon, 2005). Par ail-                                ces services sont déjà en place.
leurs, plusieurs activités impliquant
l’usage d’Internet ont été exclues de                        L
                                                               a consultation de sites à
ce guide :                                                    contenu érotique ou pornogra-
                                                              phique parce qu’Internet est le
 L
   es jeux de hasard et d’argent                             moyen utilisé pour une activité
  en ligne parce qu’Internet est                              motivée par des facteurs qui
  un contexte pour jouer au même                              relèvent d’autres dimensions
  titre qu’aller au casino ou jouer                           que celles liées à la cyberdé-
  chez soi au poker avec des amis.                            pendance et jugées cliniquement
  C’est le fait de miser de l’argent                          prépondérantes. Cependant,
  dans une situation déterminée                               nous constatons qu’une frac-
  par le hasard qui constitue la                              tion significative des demandes
  caractéristique prédominante                                de services pour cyberdépen-
  des jeux de hasard et d’argent.                             dance, chez les adultes, provient
  Cet aspect de l’activité en ligne                           de personnes qui consultent des
  prend le pas sur Internet, de                               sites pornographiques en ligne
  l’avis des auteurs. En outre, le                            et qui demandent des services
  réseau de la santé et des ser-                              à cause de ce qu’ils estiment
  vices sociaux propose déjà sur                              être une dépendance à ces sites
  tout le territoire du Québec des                            virtuels. Ce sera aux cliniciens
  services pour les joueurs patho-                            d’évaluer s’il s’agit d’un pro-
  logiques et les intervenants ont                            blème et, si oui, s’il est lié à un
  été spécialement formés en cette                            trouble relevant de la sexologie
  matière. À cela s’ajoutent le Plan                          (paraphilies), de la vie du couple
  d’action gouvernemental sur le                              ou de la dépendance, ou d’une
  jeu pathologique 2002-2005 1,                               interaction des trois.

1
     Ce plan d’action peut être consulté à la section Documentation, sous la rubrique Publications du site Web
      du ministère de la Santé et des Services sociaux à l’adresse www.msss.gouv.qc.ca
2
     Ce guide peut être consulté sur le site Web de l’ACRDQ, à l’adresse www.acrdq.qc.ca/publication.php

                                                                     La cyberdépendance
                                                                    État des connaissances,                7
                                                                           manifestations et
                                                                        pistes d’intervention
 L
   es achats en ligne et la                                      un délai très court, achetant et
  recherche de connaissances                                      vendant le même titre boursier
  et d’informations parce que ces                                 en profitant des variations finan-
  deux applications ne se retrou-                                 cières de la journée. La question
  vaient ni dans les publications                                 est de savoir s’il s’agit d’un jeu
  consultées ni dans les groupes                                  de hasard et d’argent ou d’un
  de discussion ( focus groups )                                  investissement : plusieurs cli-
  menés auprès des cliniciens.                                    niciens considèrent qu’il s’agit
                                                                  d’un jeu de hasard et d’argent
   e « boursicotage » (ou day-
 L                                                               tandis que les économistes
  trading), soit le comportement                                  considèrent qu’il s’agit d’une
  de ceux qui font des transactions                               stratégie d’investissement.
  boursières chaque jour ou dans

2.2.1 L’univers des jeux

Il existe de nombreux types de jeux,                         « WoW est un univers partagé. Le sujet
comme les jeux de simulation, les                            y rencontre d’autres individus, eux-
jeux de gestion, de réflexion ou                             mêmes drapés d’une identité virtuelle.
d’action. Ces jeux sont basés sur                            Naissent de ces rencontres de nouvelles
des interactions en temps réel ; les                         formes de socialisation fondées peut-
plus utilisés sont les jeux d’action                         être moins sur la présence de l’autre
ainsi que les jeux de rôles massi-                           que, précisément, sur son absence. Ces
vement multi-joueurs, où le joueur                           socialisations paradoxales, équivoques
incarne un personnage – un ava-                              et parfois même fantasmatiques, se font
tar – intégré dans une histoire et un                        pourtant le terreau d’une nouvelle com-
scénario. Le prototype est World                             munauté élective : la communauté des
of Warcraft (WoW). Ces jeux com-                             joueurs. Communauté de passion, elle
portent plusieurs aspects ludiques                           prolonge l’expérience du jeu en l’extir-
et renforçateurs comme des gra-                              pant du simple soliloque entre le joueur
phismes attrayants et de haute qua-                          et son ordinateur. Elle donne une réalité
lité, la capacité de communiquer en                          à l’expérience du jeu » (p. 24).
direct, ou les deux3. Ils offrent aussi
toute une écologie dans laquelle le                          Les jeux présentent aussi des
joueur peut s’investir.                                      possibilités de développement et
                                                             d’apprentissage. La documentation
Les jeux en ligne proposent, comme                           scientifique suggère que les jeux
le suggère Maxime Coulombe                                   d’action peuvent améliorer diffé-
(2010) dans Le monde sans fin des                            rents processus liés aux perceptions
jeux vidéo, une nouvelle forme de                            visuelles. Ainsi, Green et Bavelier
socialisation :                                              (2007) ont démontré que les jeux

3
     Le lecteur qui veut en connaître davantage sur les jeux vidéo peut consulter le site de la World Cyber Games
      (http://www.wcg.com/6th/main.asp). Ce site permet de découvrir les plus récents développements
      en matière de jeu, de saisir, à partir de l’examen des divers commanditaires des événements, qu’il s’agit
      d’abord d’une industrie et non d’une bonne œuvre, et enfin, de sentir combien on renforce le sentiment
      d’appartenance. Cela dit, ce n’est pas le seul site Internet qui répond à ces caractéristiques.

                 La cyberdépendance
      8          État des connaissances,
                 manifestations et
                 pistes d’intervention
d’action améliorent la résolution                           chez les jeunes de 12 à 16 ans. Lors
spatiale, c’est-à-dire la capacité de                       de sa première phase en 2009-2010,
discerner deux structures : petites                         Pocheville a rejoint 170 000 jeunes.
et proches. Les jeux sont utilisés                          Une évaluation du programme
dans un grand nombre de contextes                           comparant un groupe de jeunes
thérapeutiques et médicaux : par                            ayant visité Pocheville et un groupe
exemple, certains jeux améliorent la                        de contrôle a fait ressortir que le
tolérance des enfants qui subissent                         groupe à l’étude avait des attitudes
des traitements médicaux difficiles.                        plus prudentes que le groupe de
Les jeux sont aussi utilisés dans un                        contrôle, que l’impact avait été plus
contexte de réadaptation physique                           important chez les garçons que chez
ou de psychothérapie (Griffith, 2004).                      les filles et que les conséquences
On a en effet recours à des simula-                         sociales (violence, perte d’amis, soli-
tions virtuelles dans le traitement des                     tude) étaient moins bien comprises
joueurs pathologiques, notamment                            que les conséquences physiques de
au Laboratoire de Cyberpsychologie                          l’abus d’alcool4.
(w3.uqo.ca/cyberpsy) dirigé par
Stéphane Bouchard du Département                            Au-delà de leurs fonctions ludiques
de psychologie de l’Université du                           et récréatives, les forces et les
Québec en Outaouais.                                        attraits des jeux vidéo sont en fait
                                                            mis à contribution dans divers jeux
Les jeux vidéo peuvent également                            dits sérieux (serious games) déve-
être utilisés à des fins éducatives.                        loppés à des fins pédagogiques ou
Par exemple, Éduc’alcool a déve-                            thérapeutiques et utilisés dans des
loppé le jeu « Pocheville » (www.                           domaines aussi variés que l’écono-
pocheville.ca) pour prévenir la                             mie, la gestion, la médecine, l’éduca-
consommation excessive d’alcool                             tion et la formation professionnelle.

2.2.1.1 Les jeux d’action

Les jeux d’action sont basés sur des                        des tournois nationaux et interna-
interactions en temps réel qui font                         tionaux, exigeant que les équipes
appel aux réflexes et à l’habileté                          « s’entraînent » tous les jours avec
des joueurs. Il existe ici encore un                        discipline et rigueur. Selon Valleur
grand nombre de sous-catégories.                            (2008), la compétition est l’un des
Par exemple, certains jeux mettent                          facteurs de l’addiction, associée au
en œuvre des situations de confron-                         sentiment de pouvoir et de maîtrise
tation, comme les shoot them up,                            procuré par le jeu.
de combat ou de tir subjectif (First
Person Shooter ). Des compéti-                              L’univers des jeux d’action et d’aven-
tions existent pour les adeptes de                          ture ne cesse par ailleurs de s’étendre
ces jeux : certaines personnes les                          puisque les toutes dernières généra-
considèrent comme un sport, s’or-                           tions de consoles de jeu (Nintendo
ganisent en équipe et participent à                         Wii, Xbox, PlayStation, etc.) peuvent

4
     Communication de Hubert Sacy, directeur général d’Éduc’alcool, avec les auteurs, 6 mars 2011.

                                                                     La cyberdépendance
                                                                    État des connaissances,           9
                                                                           manifestations et
                                                                        pistes d’intervention
désormais être branchées sur                  pouvoir d’attraction même, permet de
Internet, offrant du même coup aux            s’enfuir, d’oublier. Et peut-être d’abord
adeptes de nouvelles occasions                de s’oublier un peu. De cette distance
de jouer en ligne et de se mesurer            instituée avec le monde réel naît la possi-
à d’autres joueurs. De même, les              bilité d’être un autre en se choisissant un
réseaux sociaux comme Facebook                corps de fantasme, un «avatar». À le maî-
et les téléphones intelligents offrent        triser, le joueur en arrivera à ne faire qu’un
à leurs membres ou abonnés un                 avec cet alter ego, cette prothèse de soi
vaste choix de jeux en ligne. Plusieurs       plus grande que nature. En ligne, il pourra
voient dans ces téléphones une des            voler, contrôler les éléments, renaître de
interfaces de l’avenir, bien que les          ses cendres, se téléporter sur un autre
coûts soient beaucoup plus signifi-           continent, commander des armées. En
catifs que l’ordinateur fixe.                 ligne, il sera omnipotent. » (p. 13).

Les jeux vidéo exercent une fasci-            On comprendra, à partir d’une
nation. Coulombe (2010) explique le           telle description, que plusieurs cli-
phénomène :                                   niciens et chercheurs s’interrogent
« Le joueur pénètre dans un environne-        à savoir si ces jeux vidéo ne sont
ment englobant, féérique, dans lequel se      pas susceptibles d’être associés,
perdre et mettre en sourdine les douleurs     chez des sujets vulnérables, à des
et les difficultés du monde réel. Il trouve   comportements assimilables à
à portée de souris un lieu qui, par son       ceux d’une addiction.

2.2.1.2 Les jeux de rôle massivement multi-joueurs –
         Massive Multiplayer Online Role-Playing Games

Les jeux de rôle massivement multi-           Ces jeux permettent à chaque
joueurs – Massive Multiplayer Online          joueur de créer un ou plusieurs per-
Role-Playing Games ou MMORPG –                sonnages sous la forme d’avatars.
se définissent par trois critères : 1) le     L’identité de chacun des avatars
jeu possède un univers virtuel qui            peut varier selon le genre, l’âge, la
n’est accessible que sur le réseau            profession, la race ou la religion. Par
Internet ; 2) il est persistant, c’est-à-     exemple, un joueur peut incarner un
dire qu’il existe en permanence sur           personnage humain ou d’une race
Internet, que des joueurs y soient            fantastique, avec une profession qui
branchés ou non ; 3) il est accessible        le destine à jouer seul ou en groupe.
à un très grand nombre de joueurs             Il a en somme la liberté de créer
simultanément. On considère géné-             un personnage à l’image des attri-
ralement qu’un jeu est massivement            buts, des valeurs, des forces, des
multi-joueurs lorsqu’il peut accueil-         pouvoirs et des habiletés qu’il juge
lir un minimum d’une centaine de              importants ou attrayants. Ce jeu de
joueurs en même temps. Ce type de             projections est en soi fascinant. Les
jeu a connu une forte croissance et,          joueurs peuvent aussi se regrouper
comme le genre se joue exclusive-             en factions ou guildes, organisées
ment sur Internet, il tend à se déve-         en fonction de leurs expériences, de
lopper de plus en plus, au rythme de          leurs croyances ou de leurs objec-
la disponibilité de l’accès au réseau.        tifs. Le contenu même du jeu prévoit

           La cyberdépendance
  10       État des connaissances,
           manifestations et
           pistes d’intervention
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