La Fondation Suisse de Cardiologie soutient la recherche scientifique - Fondation Suisse de Cardiologie
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Fondation Suisse de Cardiologie Active contre les maladies cardiaques et l’attaque cérébrale La Fondation Suisse de Cardiologie soutient la recherche scientifique Regard sur la recherche cardio-vasculaire en Suisse swissheart.ch
02 Sommaire Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 04 08 16 20 24 30 03 Éditorial 04 Faire avancer la recherche cardio-vasculaire 06 Interview: l’insuffisance cardiaque 08 Portrait de patient: transplantation cardiaque 12 Interview: la fibrillation auriculaire 15 En point de mire: la démence vasculaire 16 Portrait de patiente: attaque cérébrale 20 Interview: les cardiopathies congénitales 24 Portrait de patient: cardiopathie congénitale 28 Interview: les femmes et l’infarctus du myocarde 30 La recherche cardio-vasculaire de demain 32 Permettre la recherche
Promotion de la recherche 2018 | Fondation Suisse de Cardiologie Éditorial 03 La recherche cardio- vasculaire en Suisse: une histoire à succès La recherche fait continuellement avancer Au cours des cinquante années passées, la l’humanité: depuis la Renaissance, de Fondation Suisse de Cardiologie a énormé- grands esprits ont énormément étendu ment contribué au succès de la recherche nos connaissances. Grâce à leurs travaux, cardio-vasculaire dans notre pays. Des nous comprenons aujourd’hui non seule- médecins et chercheurs suisses ont ment le système solaire et bien d’autres fait considérablement avancer le trai- phénomènes naturels, mais aussi les tement de ces maladies. En font partie causes et les mécanismes de nombreuses des travaux pionniers comme ceux de maladies. Max Holzmann pour l’ECG et Åke Senning pour la chirurgie cardiaque, mais aussi des À cet égard, les maladies cardiaques revêtent découvertes plus récentes comme le dévelop- une importance particulière. Il est vrai qu’en dépit pement par Andreas Grüntzig de l’angioplastie des progrès accomplis, les Suissesses et les Suisses meurent coronarienne percutanée et l’introduction du stent par encore majoritairement de maladies cardio-vasculaires. De Ulrich Sigwart. Aujourd’hui encore, des chercheurs de toutes même, les hospitalisations dues à ces maladies sont encore les régions de notre pays contribuent à poursuivre cette fréquentes et onéreuses. Cependant, au cours des 50 der- histoire à succès. nières années, la médecine cardiaque a accompli des progrès incomparables. Lorsque le président Dwight D. Eisenhower Chaque année, la Fondation Suisse de Cardiologie soutient fut victime d’un infarctus du myocarde en 1955, un patient des chercheurs jeunes et établis par une somme de plus de sur deux en mourait. Avec l’emploi de la défibrillation en cas 2 millions de francs, permettant un encouragement durable de fibrillation ventriculaire et la mise en place d’unités coro- de la recherche dans ce domaine en Suisse. La Commission naires pour surveiller et soigner les patients, la découverte Recherche, composée d’experts éminents, assure l’encourage- des propriétés anticoagulantes de l’aspirine, l’introduction ment des requêtes les plus prometteuses et donc l’utilisation de la thrombolyse pour dissoudre les caillots et, au cours des optimale des fonds. 20 dernières années, l’utilisation d’interventions corona- riennes percutanées en phase aiguë avec cathéter à ballon- La présente brochure offre un aperçu de ce qui a été atteint net et stents, la mortalité à l’hôpital des patients victimes et présente en détail quatre projets de recherche: un sur le d’un infarctus est passée de 50 % à moins de 10 %. Ce succès vieillissement cardiaque chez la femme, un sur l’insuffisance impressionnant a été rendu possible par une coopération cardiaque, un sur les troubles du rythme cardiaque et un productive entre les médecins et les scientifiques des univer- sur la chirurgie cardiaque. Je vous souhaite bonne lecture et sités et des hautes écoles et montre comment la recherche j’espère que notre brochure sur la promotion de la recherche bénéficie directement aux patients victimes de maladies vous convaincra que votre don à la Fondation Suisse de cardio-vasculaires ou d’une attaque cérébrale (accident vas- Cardiologie est en bonnes mains. culaire cérébral, AVC). Cordiales salutations En dépit de ces succès, il faut continuer à investir dans la recherche en cardiologie. En raison de l’espérance de vie crois- sante, la Suisse compte de plus en plus de personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires. Prof. Thomas F. Lüscher Président de la Commission Recherche
04 Recherche cardio-vasculaire en Suisse Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 Continuer à renforcer la recherche cardio-vasculaire en Suisse Besoin de nouvelles solutions La Suisse joue un rôle de pionnier En dépit d’une très bonne prise en charge médicale, les La Suisse a apporté des contributions décisives à la recherche maladies cardio-vasculaires sont encore aujourd’hui la pre- cardio-vasculaire à l’échelon international. Mentionnons par mière cause de décès, de consultations médicales et d’hospi- exemple Åke Senning, qui implanta le premier stimulateur talisations. Certes, les possibilités de traitement ont fait de cardiaque, Paul Lichtlen, qui réalisa en Suisse la première grands progrès, mais il est rare de pouvoir guérir les patients coronarographie, Andreas Grüntzig, qui réussit la première complètement. Leur qualité de vie reste diminuée pour le dilatation par ballonnet d’une artère coronaire, ou encore restant de leur vie. Ils ont souvent besoin d’une longue Ulrich Sigwart qui accomplit un travail de pionnier dans phase de réadaptation qui, dans bien des cas, ne sera jamais la mise en place de stents dans les artères coronaires. Ces achevée. Pour pouvoir à l’avenir mieux aider les personnes progrès ont été rendus possibles par des investissements touchées, nous avons donc besoin que la recherche fournisse publics et privés. La recherche suisse continue à occuper de nouvelles solutions. Il s’agit d’une part de mieux soigner une place importante en comparaison internationale, les maladies, d’autre part de trouver moyen de réduire ou contribuant ainsi à trouver des solutions aux défis de notre soigner les séquelles et d’offrir aux patients une meilleure époque. qualité de vie pour le temps qui leur reste. Fondation Suisse de Cardiologie: indépendance de l’encouragement Une tâche essentielle de la Fondation Suisse La Fondation Suisse de Cardiologie a une place importante de Cardiologie dans l’encouragement de la recherche cardio-vasculaire. L’encouragement de la recherche fait partie des En 2017, elle a soutenu 33 projets par une somme totale tâches essentielles de la Fondation Suisse de Cardio- de 2,4 millions de francs. Pour comparaison, dans le même logie. Elle soutient financièrement des projets de temps, le Fonds national suisse a soutenu dans ce domaine recherche menés en Suisse. Ils peuvent porter aussi neuf projets par un montant de 3,6 millions de francs en bien sur les maladies cardiaques que vasculaires tout. La Fondation Suisse de Cardiologie concentre ses ou sur les troubles de la circulation sanguine du activités de promotion de la recherche sur des projets inédits cerveau (attaque cérébrale). et prometteurs, permettant d’aboutir à des progrès notables dans le traitement, le diagnostic et la prévention des mala- Toutes les requêtes déposées correctement sont dies cardio-vasculaires. soumises à un processus d’évaluation rigoureux. Seuls des projets de haute qualité scientifique, renfermant un bénéfice potentiel pour les patient-e-s, sont soutenus. 33 projets PROJETS DE RECHERCHE SOUTENUS 2,4 mio CHF 804 projets DEPUIS LA CRÉATION EN 1967 PROJETS DE RECHERCHE SOUTENUS EN 2017 50 mio CHF Maladies cardio-vasculaires en Suisse Promotion de la recherche par la Fonda- tion Suisse de Cardiologie en 2017
10 mia CHF CAUSE DE DÉCÈS LA PLUS 27% FRÉQUENTE Avant le cancer (26,3%) et les COÛTS DE SANTÉ DUS AUX maladies psychiques (8,1%) MALADIES CARDIO-VASCULAIRES 31,9% Ce sont les maladies cardio- L’HYPERTENSION ARTÉRIELLE vasculaires qui ont la plus grande part aux coûts de santé SE RÉPAND Entre-temps, l’hypertension artérielle touche plus d’un quart de la population 10% 4,5 ans HOSPITALISATIONS Environ 10% des hospitalisa ANNÉES DE VIE SUPPLÉMENTAIRES tions sont dues à des maladies cardio-vasculaires Si personne ne mourait de maladies cardio- vasculaires AUTRES MALADIES CARDIO-VASCULAIRES 5 projets soutenus CHF 295 000 CHF 296 000 INSUFFISANCE CARDIAQUE 5 projets soutenus TROUBLES DU RYTHME CARDIAQUE 5 projets soutenus 446 350 760 120 CHF CHF ATHÉROSCLÉROSE 10 projets soutenus ATTAQUE CÉRÉBRALE 8 projets soutenus CHF 591 643
06 Insuffisance cardiaque Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 Comprendre comment améliorer le traitement des insuffisants cardiaques De plus en plus de personnes souffrent En dépit de sa fréquence, cette maladie n’est pas très connue du grand public. Cette impression est-elle exacte? d’insuffisance cardiaque. Les possibilités Grâce à de bonnes campagnes ces dernières années, la de traitement sont connues, mais toutes plupart des gens ont entendu parler de l’infarctus du les personnes touchées ne reçoivent pas un myocarde et en connaissent les symptômes. Dans le cas de l’insuffisance cardiaque, c’est hélas différent. Ni les patients, traitement optimal, loin de là, ce qui a des ni les médecins ne la connaissent encore suffisamment bien. conséquences graves sur leur qualité et leur Les symptômes sont souvent imputés à l’âge alors qu’il espérance de vie. Un projet de recherche s’agit d’une insuffisance cardiaque que l’on pourrait soigner et soulager. veut révéler les lacunes. Quelles sont les conséquences si elle n’est pas ou Quand on dit «cœur affaibli», cela peut ne pas insuffisamment soignée? sembler dramatique. Mais c’est une maladie grave. Au final, la personne meurt plus vite et le processus de décès Quand parle-t-on d’insuffisance cardiaque? est difficile. En général, c’est d’abord le périmètre d’activité Pr Roger Hullin: L’insuffisance cardiaque est une maladie physique qui diminue, les jambes enflent, plus tard, la dé- systémique qui se manifeste lorsque la fonction ou la capa- tresse respiratoire se fait sentir même au repos. Des hospi- cité de pompage du cœur est limitée. On rencontre diffé- talisations fréquentes sont nécessaires, ce qui représente un rentes formes: il se peut que la fonction de pompe du cœur poids pour les personnes touchées et leurs proches. diminue, par exemple suite à un infarctus du myocarde. Mais il y a aussi des patients dont le cœur fonctionne normale- Un bon traitement permet de conserver la qualité de vie. ment et qui ont tout de même des symptômes d’insuffisance Comment procède-t-on? cardiaque. La fonction de pompe est là, mais le cœur ne se Forts de 40 ans de recherche, nous savons quels médica- remplit pas suffisamment. Nous savons aujourd’hui qu’il y a ments sont efficaces et causent relativement peu d’effets se- aussi des patients qui sont entre ces deux groupes. condaires. Nous administrons souvent deux, trois ou quatre médicaments pour obtenir une stabilisation, voire une amé- Quels sont les symptômes? lioration. Le traitement doit en général être pris à vie, les Au moindre effort physique, les insuffisants cardiaques res- patientes et patients doivent donc consulter régulièrement sentent une fatigue musculaire et sont à bout de souffle. leur médecin pour contrôle. Si l’insuffisance cardiaque est plus prononcée, l’organisme fait de la rétention d’eau, de sorte que les pieds ou les che- En tant que médecin, quelles difficultés villes enflent, la personne a du mal à enfiler ses chaussures. rencontrez-vous dans le traitement? Certains patients ont de la rétention d’eau dans l’abdomen, Les médicaments ont parfois des effets secondaires désa- mais c’est plus rare. gréables pour les patients. Ces effets sont parfois voulus: si le patient a une hypertension artérielle depuis des an- Combien y a-t-il de personnes touchées? nées, on veut la faire baisser pour soulager le cœur, mais Malheureusement, l’insuffisance cardiaque est répandue. cela peut être difficile à supporter. Il ressent une fatigue, Au moins 2 % de la population sont concernés, des données des vertiges, une baisse de la libido. Dans un cas de ce type, récentes indiquent même plutôt 4 %. Ceci est dû au fait que, le patient doit avoir une certaine ténacité, il faut qu’il at- particulièrement dans les pays occidentaux, le nombre de tende de s’être habitué au traitement pour voir ses capa- personnes âgées augmente. Avant 65 ans, la maladie est cités physiques revenir. Mais c’est vrai, de nombreux effets plutôt rare, mais avec l’âge, en particulier l’insuffisance secondaires sont de vrais effets secondaires et doivent être cardiaque avec fonction de pompe normale se multiplie: supportés pour obtenir une amélioration. Ce n’est pas facile, au-delà de 80 ans, une personne sur cinq est concernée. ni pour le patient concerné, ni pour son médecin.
Promotion de la recherche 2018 | Fondation Suisse de Cardiologie Insuffisance cardiaque 07 L’amélioration de la santé peut aussi entraver le traitement. Lorsque le patient se sent mieux, il veut en général réduire les médicaments puisqu’il va mieux. Mais nous savons qu’il faut continuer à les prendre pour que les capacités du cœur continuent à s’améliorer ou tout au moins se maintiennent. Votre projet de recherche actuel vise à améliorer le traitement des insuffisants cardiaques. Vous créez Initiative SWISS-Heart Failure (SWISS-HFI) un registre. De quoi s’agit-il? Le projet de recherche «Swiss Heart Failure Initiative» a été Le registre est une liste qui regroupe soutenu par la Fondation Suisse de Cardiologie par un mon- tous les patients atteints d’insuffisance tant de 75 000 francs. Environ 80 médecins de premier recours cardiaque qui acceptent d’y être ins- sont recrutés. Ils saisissent pour le registre les données de leurs crits. Si nous saisissons des milliers de patients atteints d’insuffisance cardiaque. Le relevé doit être patientes et patients, nous pourrons répété régulièrement de manière à documenter les progrès établir des profils complets à partir des ainsi que les modifications du profil clinique des patient-e-s. données recueillies. Cela nous permet- tra d’observer leur évolution au cours du traitement. Un registre de ce type requiert beaucoup de temps et d’argent. Nous avons donc À quelles mesures pensez-vous? besoins de financements externes venant d’organisations Nous sommes à la recherche de possibilités d’améliorer comme la Fondation Suisse de Cardiologie. le traitement. Par exemple en proposant des formations continues aux médecins traitants au sujet du traitement Quelles informations attendez-vous concrètement médicamenteux. Ensuite, nous voulons améliorer les du registre? connaissances dans la population pour que les personnes Nous savons beaucoup de choses sur les patients que nous touchées reçoivent un traitement en temps utile. Il s’agit soignons dans les grands hôpitaux, mais peu sur ceux qui d’un objectif à long terme qui aura certainement besoin sont suivis par leur médecin de famille ou un cardiologue en d’autres campagnes. Mais nous pourrons ainsi un jour mieux cabinet. Quels sont les symptômes dont ils souffrent? Quels maîtriser cette maladie grave et très répandue. sont les symptômes qui ont incité le médecin à entamer un traitement? De quelle forme d’insuffisance cardiaque ces patients sont-ils atteints? Ont-ils des troubles dépressifs et ont-ils besoin d’une aide pour mieux respecter le traitement? Les médicaments qu’ils prennent suffisent-ils? Autant de questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre Roger Hullin, Pr Dr méd., est avec les données dont nous disposons a ctuellement. professeur associé et chef des secteurs Insuffisance cardiaque Et tant que nous n’avons pas ces données, nous ne sévère, Assistance ventriculaire, pouvons pas non plus prendre de mesures adé- Greffe cardiaque à l’Hôpital quates. universitaire de Lausanne CHUV
Promotion de la recherche 2018 | Fondation Suisse de Cardiologie Transplantation cardiaque 09 «Maintenant, c’est mon cœur!» Fritz Sager est en parfaite santé lorsque, du jour au len- demain, il tombe gravement malade. Tout à coup, son cœur ne pompe pratiquement plus. Les perspectives sont sombres. Mais deux ans plus tard, pour son départ à la retraite, il reçoit le plus beau des cadeaux: la greffe d’un cœur en bonne santé qui bat maintenant dans sa poitrine. L’appel de l’Hôpital de l’Île arrive un mardi matin très tôt. Au téléphone, le médecin annonce: «Monsieur Sager, nous avons un cœur pour vous, quand pouvez-vous être ici?» Pas le temps de prendre le petit-déjeuner: Sonja Sager prend le volant et conduit immé- diatement son mari à Berne. À l’hôpital, de nouvelles prises de sang sont effectuées, on prélève aussi à Fritz Sager des échantillons tissulaires. Il est presque midi, Sonja et Fritz sont surexcités. Mais la grande promesse est à nouveau remise en question: les médecins expliquent qu’ils doivent déterminer «Pas question de baisser si un patient en situation d’urgence à Lausanne pourrait recevoir les bras. Je ne vais pas cette transplantation. La situation est insupportable. Depuis près de deux ans, ils ont attendu ce jour, l’ont espéré de toutes leurs abandonner ma famille.» forces. Et là, ils doivent à nouveau attendre et espérer que ce cœur ne soit pas finalement pour quelqu’un d’autre. Fritz Sager est assis en pyjama au bord du lit lorsque, à trois heures et demie de l’après-midi, le médecin entre précipitamment dans la chambre et lui annonce: «Monsieur Sager, ce cœur est à vous. On y va.» À nouveau, la tension est grande et les sentiments contradictoires: d’un côté, une immense joie, mais de l’autre, l’appréhension de la longue opération. Fritz Sager reste calme: «Je me suis dit, c’est le deuxième essai, tout ira bien.» Près de huit heures plus tard, peu avant minuit, Sonja Sager reçoit le coup de téléphone réconfortant: l’opération s’est très bien passée, son mari va bien, lui dit-on. Quelques jours après, lorsque ses enfants lui rendent visite, il leur dit: «Vous l’entendez? Il bat. Maintenant, c’est mon cœur.» Le cauchemar s’achevait enfin. Pas un simple refroidissement Tout avait commencé apparemment sans gravité. Fritz Sager, laborantin en chimie, avait mal à la gorge et toussait beaucoup. Il se sentait très affaibli. Le médecin de famille supposa une bronchite ou une pneumonie. Mais les médicaments ne firent aucun effet, il allait de plus en plus mal. La nuit, il ne pouvait pas dormir car il avait la sensation d’étouffer. Finalement, comme il n’en pouvait plus, sa femme le conduisit un matin à trois heures aux urgences de l’hôpital de Thoune. On s’y aperçut vite qu’il ne s’agissait pas d’un refroidissement. Après l’échocardiographie, la médecin-cheffe vint le voir et son visage en disait long sur ce qu’elle avait constaté. Sonja Sager pâlit. La puissance cardiaque de Fritz Sager n’était plus que de 10 %. «Pas question de baisser les bras. Je ne vais pas abandonner Sonja et mes deux enfants», se dit-il. Jusque-là, il était en parfaite santé et se réjouissait de prendre bientôt sa retraite. Aujourd’hui âgé de 67 ans, il vit dans une commune rurale des environs de Thoune, adore son grand jardin et est forgeron passionné. Depuis des années, il fabrique des couteaux, des poignards, et même des épées. Il fait des expériences avec les métaux. Sa spécialité est un procédé ancien qui consiste à mettre en couches et souder diffé-
10 Transplantation cardiaque Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 rentes sortes d’acier. Ces couches sont forgées, pliées, à nouveau forgées, un peu comme une pâte feuilletée. À la fin, l’acier obtenu, appelé acier de Damas, se compose de plus de cent couches qui lui confèrent ses dessins caractéristiques. L’histoire, la technique, l’expérimentation et la fabrication lui plaisaient tant, tout ceci n’allait-il plus être pos- sible? Tous les bons moments à l’atelier, avec son épouse, avec ses enfants, tout ceci était-il terminé? Un cœur entièrement détruit De Thoune, Fritz Sager fut transféré au service de cardiologie de l’Hôpital de l’Île à Berne. Pendant trois semaines, on passa tout son corps au crible. Une myocardite, c’est-à-dire une inflammation du muscle cardiaque, avait attaqué son cœur presque entièrement. Les médecins lui donnèrent des médicaments et le renvoyèrent chez lui. Ils voyaient une chance que son cœur se rétablisse. Mais chez lui, il ne pouvait presque plus rien faire, il restait tout le temps allongé. Impossible de monter les escaliers, il dormait au rez-de-chaussée. Rien ne s’arrangeait. Au bout d’un mois, il retourna à l’Hôpital de l’Île pour trois semaines. Peu avant Noël, les médecins se réunirent au pied de son lit pour lui annoncer une nouvelle épouvantable: son cœur était entièrement détruit, il lui en fallait un nouveau. En attendant la transplantation, ils pouvaient lui implanter un dispositif d’assistance circulatoire. Ils lui montrèrent l’appareil de la taille d’un œuf de poule et il dit oui tout de suite. Le 26 décembre, on lui posa deux pompes cardiaques, une pour chaque ventricule. L’opération dura plus de huit heures. Les pompes implantées dans le cœur bourdon- naient en permanence, il fallut que le couple s’y habitue. Au cours des 22 mois suivants, il porte un contrôleur et des batteries dans deux sacs à la ceinture. Deux câbles traversent son ventre, Sonja Sager désinfecte tous les jours les points d’entrée pour éviter toute infection. Pendant cette période, Fritz Sager perd 14 kilos, on voit qu’il est malade. Les personnes qui le connaissent prennent peur lorsqu’elles le croisent dans un magasin, certaines se détournent même car elles ne supportent pas de le voir ainsi. Un an plus tard, Noël approche à nouveau, il reçoit le premier appel de l’Hôpital de l’Île. Une lueur d’espoir qui s’évanouit très vite car l’organe ne convient pas. Il devra attendre encore neuf mois avant que le deuxième appel arrive et que la transplantation ait lieu. Presque comme avant Cela fait déjà trois ans que le cœur greffé, son nouveau cœur, bat dans sa poitrine. Fritz Sager a de la chance, il n’a pratiquement pas eu de réactions de rejet. Il ne sait pas de qui vient le don et n’a pas le droit de le savoir. Vu l’état de ce cœur, il pense qu’il appartenait à un homme de son âge. Cette personne lui a offert la possibilité de poursuivre sa vie avec Sonja et elle en ressent une profonde gratitude. «Je me sens presque comme avant», dit Fritz Sager avec soulagement. Il a aussi repris du poids. «Tu n’es pas tout à fait comme avant», proteste Sonja, son épouse, «ton pouls est beaucoup plus rapide». Il est en pleine forme, mais aussi un peu plus sensible, et elle ne s’y est pas encore tout à fait habituée, dit-elle. Mari et femme échangent un regard satisfait. Après le déjeuner, Fritz Sager descend dans son atelier. On est tenté de lui venir en aide quand on le voit pousser sa lourde enclume. Mais il a assez de force pour le faire. Il se fabrique actuellement un nouveau four, explique-t-il, car l’ancien est trop petit. Il sort ensuite fièrement ses couteaux de leur vitrine. Lorsqu’il explique, on sent sa passion. Il sait qu’il aime raconter. Et si les choses restent comme elles sont, si sa santé se maintient telle qu’elle est actuellement, il pourra continuer à le faire pendant les 15 prochaines années, voire plus longtemps.
12 Fibrillation auriculaire Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 Comprendre comment les troubles du rythme cardiaque portent atteinte à notre cerveau On sait depuis assez longtemps que la fibril- que l’atrium ne peut plus se contracter, il est pris de fré- lation auriculaire peut déclencher une missement, c’est ce que l’on appelle la fibrillation. En plus, des stimuli électriques incontrôlés activent le nœud atrio- attaque cérébrale. Mais il reste de nombreuses ventriculaire, dont le rôle est de contrôler la transmission questions sans réponses: quand et comment des stimuli aux ventricules. De ce fait, les ventricules battent eux aussi irrégulièrement et en général trop vite. Ces aryth- des caillots dangereux se forment-ils? mies peuvent se produire par épisodes ou, si la maladie est Peuvent-ils aussi porter atteinte au cerveau présente depuis longtemps, durablement. à l’insu de la personne touchée? Les troubles Comment peut-on remarquer la fibrillation auriculaire, à du rythme cardiaque sont-ils la cause d’une part par des battements trop rapides ou des palpitations? baisse des performances du cerveau, voire Les patients concernés ressentent un pouls irrégulier ou qui s’accélère trop vite lors d’un effort physique. Il se peut d’une démence? Un vaste projet de recherche aussi qu’ils ressentent désagréablement les battements de dirigé par le professeur leur cœur. D’autres patients se sentent moins performants Michael Kühne se penche lors d’un épisode de fibrillation auriculaire ou ont du mal à respirer lorsqu’ils gravissent les escaliers. Mais une sur ces questions. partie non négligeable des personnes touchées, envi- ron 30 %, n’ont pas de symptômes et la fibrillation auriculaire est découverte par hasard. Quelles sont les conséquences de ces activités Michael Kühne, Pr Dr méd., c ardiaques chaotiques? dirige la Clinique de fibrillation auriculaire de l’Hôpital Un danger immédiat est l’attaque cérébrale. En universitaire de Bâle raison de l’irrégularité des activités de l’atrium, un caillot de sang peut se former, être véhiculé dans la cir- culation sanguine du cerveau et y causer une o bstruction aigüe. 20 % des attaques cérébrales sont dues à la fibrilla- tion auriculaire et ce sont souvent des cas particulièrement La fibrillation auriculaire est de plus en plus souvent graves car les caillots sont relativement gros. en point de mire de la recherche en cardiologie. Quelle est Si la fibrilla tion auriculaire n’est pas soignée pendant la fréquence de la maladie? longtemps, elle endommage aussi le cœur proprement Pr Michael Kühne: Elle est tout en haut de la liste des dit. Du fait de l’irrégularité de la fonction cardiaque, les causes envisageables lorsqu’un patient nous consulte pour ventricules pompent de moins en moins bien et cela dé- des symptômes tels que battements de cœur accélérés ou bouche avec le temps sur l’insuffisance cardiaque. Inver- palpitations. La fibrillation auriculaire est le trouble du sement, une insuffisance cardiaque existante peut causer rythme cardiaque durable que nous rencontrons le plus une fibrillation auriculaire. fréquemment en clinique. Sait-on comment ces caillots de sang se forment? Que se passe-t-il dans le cœur en cas de fibrillation Après des dizaines d’années de recherche intensive, il reste auriculaire? pas mal de zones d’ombres. L’hypothèse partiellement Le nœud sinusal est notre métronome qui stimule réguliè- étayée par des données est qu’une partie de l’atrium appe- rement le rythme cardiaque normal. Mais il peut tomber lée auricule, dont la paroi n’est pas lisse mais couverte de en panne. Si le rythme cardiaque devient alors complè renflements, est de ce fait propice à la formation de caillots tement désordonné, c’est ce que l’on appelle fibrillation lorsque l’auricule, en raison des contractions rapides et irré- auriculaire. L’atrium proprement dit (l’oreillette) ne bat gulières, ne peut plus se vider correctement. Des autopsies plus régulièrement avec 50 à 80 battements par minute, de patients décédés d’une attaque cérébrale ont permis de mais très irrégulièrement et beaucoup trop vite: 300 à 500 voir que la plupart des caillots se trouvaient dans l’auricule battements par minute. Une allure aussi désordonnée fait de l’atrium. Lors d’échographies réalisées avant une inter-
Promotion de la recherche 2018 | Fondation Suisse de Cardiologie Fibrillation auriculaire 13 vention chirurgicale sur le cœur, c’est aussi là qu’on ren- prédire l’attaque cérébrale. Pour le moment, les scores ne contre le plus de caillots. Mais cela n’explique pas encore tiennent pas du tout compte de l’aspect durée de la fibril- quand et à cause de quels facteurs ces caillots se forment. lation auriculaire chez un patient. Visiblement, les caillots ne se détachent pas seulement La fibrillation auriculaire ne cause pas seulement des directement pendant un épisode de fibrillation auriculaire. attaques cérébrales, il semble que des troubles des Exactement. C’est un aspect important pour nous, sur lequel performances cérébrales, voire la démence y soient liées. porte un point fort de notre recherche. Chez les patients Que sait-on à ce sujet? atteints de fibrillation auriculaire chez lesquels on surveille La recherche à ce sujet est encore jeune. Des données re- durablement les arythmies à l’aide d’un appareil d’enregis- levées dans des études montrent que les personnes chez trement implanté, on constate que l’attaque cérébrale ne lesquelles une fibrillation auriculaire a été diagnostiquée coïncide pas toujours avec un épisode de fibrillation auricu- ont des performances cognitives inférieures à celles des laire. Certains patients n’ont plus de fibrillation auriculaire personnes sans fibrillation auriculaire. Attention, cela ne depuis des mois et subissent tout de même une attaque prouve pas un lien de cause à effet, mais un lien existe et cérébrale. Une hypothèse est que les caillots se forment nous voulons essayer de mieux le comprendre. C’est pour- pendant la fibrillation auriculaire, mais peuvent en principe quoi, dans notre étude, nous réalisons aussi divers tests chez se détacher à tout moment. Une autre question est celle nos patients pour évaluer leurs performances cérébrales et de savoir si certaines attaques cérébrales chez des patients nous utilisons l’imagerie par résonance magnétique (IRM) atteints de fibrillation auriculaire ont au moins en partie pour visualiser le cerveau. d’autres causes que la fibrillation auriculaire. Qu’avez-vous découvert jusqu’à présent? Le trouble du rythme cardiaque ne suffit donc pas à lui seul Nos patients atteints de fibrillation auricu- à expliquer la survenue d’une attaque cérébrale? laire présentent à l’IRM des modifi- Non. Les patients atteints de fibrillation auriculaire per- cations considérables du cerveau, sistante (durable) sont plus souvent victimes d’attaques dont certaines sont dues à une cérébrales que les patients atteints de fibrillation auricu- attaque cérébrale. Mais la plu- laire paroxystique (survenant par crises). On pourrait en part des patients n’ont jamais déduire que les premiers ont tout simplement leur fibrilla- eu d’accident dont ils aient eu tion auriculaire pendant plus longtemps et font de ce fait conscience et n’ont donc jamais plus souvent une attaque cérébrale. Mais ce n’est pas si été sous traitement médical au- simple. Les patients atteints de fibrillation auriculaire per- paravant. L’hypothèse est qu’au sistante sont aussi plus malades, ils ont plus souvent une moins chez certains d’entre eux, insuffisance cardiaque, un diabète ou une hypertension ar- de petites attaques cérébrales se sont térielle. Il se pourrait donc que ces facteurs supplémentaires produites sans qu’ils les ressentent et ont soient d écisifs pour qu’une personne subisse ou non une laissé des traces. Ces modifications se repèrent aussi à l’aide attaque cérébrale. C’est ce que nous étudions dans le projet de tests cognitifs simples. C’est ainsi que dans notre étude, de recherche Swiss AF-Burden. les performances du cerveau sont nettement limitées chez un quart des personnes atteintes de fibrillation auriculaire. Mais Comment peut-on évaluer le risque de formation de caillots? à nouveau, ceci ne prouve qu’un lien et non une causalité. Aujourd’hui, nous travaillons avec ce que l’on appelle des scores. Nous évaluons le risque à l’aide de ce score, par Un anticoagulant pourrait-il empêcher la baisse des exemple si un patient a en plus de l’hypertension artérielle performances cérébrales, de même qu’il prévient l’attaque ou un diabète, et cela nous sert à décider du traitement cérébrale? préventif. La plupart des patients âgés reçoivent un anticoa- Cela correspondrait à notre hypothèse et nous l’espérons gulant pour empêcher la formation de caillots. Les patients naturellement. Si nous réduisons le risque d’attaque céré- plus jeunes au score peu élevé, dont le risque est donc bas, brale à l’aide d’un traitement anticoagulant, nous devrions peuvent éventuellement s’en passer. Mais nous n’avons pas aussi pouvoir empêcher par là les petites attaques cérébrales encore de conclusions définitives et on peut encore espé- passant inaperçues, et donc aussi la dégradation des per- rer améliorer les scores pour ce qui est de leur capacité à formances cognitives. De premiers chiffres qui viennent de
14 Fibrillation auriculaire Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 Scandinavie le confirment. Mais ils proviennent d’un registre duel d’hémorragie en raison des anticoagulants. En fonction étudiant le passé, il faut donc les interpréter avec prudence. des résultats de nos travaux de recherche ainsi que d’autres, nous allons devoir remanier nos traitements. À part l’anticoagulation préventive, il y a aussi des possibilités de soigner directement la fibrillation À condition que le diagnostic soit posé à temps. auriculaire. Ce traitement réduit-il aussi le risque Absolument, c’est pourquoi un autre objectif important est d’attaque cérébrale et de démence? de poser le diagnostic le plus tôt possible. À cet effet, nous On peut soigner le trouble du rythme cardiaque proprement avons besoin d’un réseau. Comme mentionné précédem- dit à l’aide de médicaments. Ils sont souvent suffisants au ment, nombre de patients ne ressentent pas leurs arythmies. début, mais n’agissent pas bien à long terme. Au bout d’un On pourrait par exemple imaginer d’intégrer le contrôle du certain temps, de nombreux patients et patientes doivent rythme cardiaque au CardioTest de la Fondation Suisse de se soumettre à une intervention mini-invasive au niveau du Cardiologie. cœur. On introduit une petite sonde à l’aine et on la pousse jusqu’au cœur afin d’y cautériser les zones d’où part la fi- Votre projet de recherche est complexe. Est-il important brillation auriculaire. La décision de ce traitement repose sur pour vous de coopérer avec des chercheuses et chercheurs le degré de gravité des symptômes que ressent le patient d’autres disciplines? et l’ampleur des limitations de ses performances physiques. C’est extrêmement important. En tant que cardiologues, Nous ne savons pas encore si ce traitement prévient aussi nous observons le cœur. Mais nous ne sommes pas spéciali- l’attaque cérébrale ou la dégradation des performances cé- sés dans les maladies neurologiques ou dans l’imagerie du rébrales. cerveau. C’est pourquoi nous travaillons en étroite collabo- ration avec des radiologues et des neurologues, mais aussi Comment la prévention de l’attaque cérébrale chez avec des spécialistes des analyses de biomarqueurs et des les patients atteints de fibrillation auriculaire va-t-elle analyses génétiques en laboratoire. s’améliorer à l’avenir? Le score dont nous parlions est relativement grossier. Par Pour finir, une question personnelle: en tant que nos travaux de recherche, nous voulons contribuer à l’amé- scientifique et médecin traitant, que souhaitez-vous liorer et à le rendre plus précis. À l’avenir, nous devrions pour vos patients? pouvoir savoir plus précisément si quelqu’un va retirer un L’éventail de nos patientes et patients atteints de fibrillation bénéfice d’un traitement préventif et quelle sera l’ampleur auriculaire est large. En consultation, je vois des malades de de ce bénéfice. Mais aussi bien sûr quel est le risque indivi- 25 à 95 ans. Ce que je souhaite, c’est que nous puissions un jour proposer à chaque patiente et à chaque patient un traitement sur L’étude Swiss-AF-Burden mesure. D’une part pour juguler la Dans le cadre de son 50e anniversaire, la Fondation Suisse fibrillation auriculaire, d’autre part de Cardiologie soutient le projet Swiss-AF-Burden du pro- pour réduire le risque d’attaque fesseur Michael Kühne par une somme de 500 000 francs. cérébrale, un accident très grave L’étude Swiss-AF-Burden, soutenue par le Fonds national pour la personne touchée ainsi que suisse, recherche chez des patients atteints de fibrillation pour ses proches. auriculaire si des lésions cérébrales apparaissant suite à des infarctus ou des hémorragies, y compris silencieux, pourraient être une cause de l’accélération de la dégrada- tion des fonctions cognitives. Swiss-AF-Burden étudie en outre si une fibrillation auriculaire de longue durée en- traîne plus de lésions dans le cerveau et porte atteinte aux fonctions cérébrales et cardiaques. Dans ce cadre, 2400 patients atteints de fibrillation auriculaire sont examinés chaque année pendant quatre ans dans 13 cliniques suisses.
Promotion de la recherche 2018 | Fondation Suisse de Cardiologie Démence 15 En point de mire: la démence vasculaire La démence est un terme général qui décrit un état du cerveau dans lequel ses performances diminuent progressivement. Diverses maladies peuvent en être à l’origine. La plus fréquente et la mieux connue le rapport n’est pas encore tout à fait clair, la zone du est la maladie d’Alzheimer. Mais depuis quelques cerveau où se trouvent les petites lésions joue pro- années, la démence vasculaire, en deuxième position bablement un rôle. En effet, les capacités cérébrales en termes de fréquence, est plus souvent en point de sont limitées chez certains patients présentant des mire. Contrairement à ce qu’on pensait autrefois, on lésions à l’imagerie, tandis qu’elles sont normales estime aujourd’hui que les démences sont souvent chez d’autres. «En outre, nous ne savons pas dans le mixtes, avec une plus ou moins grande part vascu- cas concret si les petites modifications des vaisseaux laire. En effet, les progrès de l’imagerie médicale ont été causées par la fibrillation auriculaire ou par font apparaître, également dans le cas de la mala- des lésions des petits vaisseaux», dit Marcel Arnold. die d’Alzheimer, de petits troubles circulatoires dont En effet, aussi bien les patients atteints de fibrilla- on ne soupçonnait pas autrefois l’existence. «Si des tion auriculaire que ceux atteints d’artériolosclérose lésions vasculaires sont déjà présentes, les patients ont souvent les mêmes facteurs de risque, en parti- atteints de la maladie d’Alzheimer ont moins de culier l’hypertension artérielle ou le diabète. réserves, la maladie risque de se déclarer plus tôt», explique le professeur Marcel Arnold, médecin-chef Pour la prévention et le traitement de la démence, suppléant et directeur du Stroke Center à l’Hôpital il est important de connaître ces rapports: «Même de l’Île à Berne. On a longtemps sous-estimé l’im- si, au moment de la pose du diagnostic de démence, portance de la circulation et des vaisseaux sanguins on ne suppose qu’une petite ou pas de responsabi- pour l’évolution d’une démence. lité des vaisseaux sanguins, on luttera à l’avenir de manière plus stricte contre les facteurs de risque À la source de la démence vasculaire, on trouve vasculaires», explique le professeur Arnold. Cela per- souvent l’athérosclérose et l’artériolosclérose (al- mettra d’éviter que des modifications des vaisseaux tération des artères les plus fines), parfois appelée sanguins ne favorisent la progression de la mala- «calcification des artères» dans le langage courant. die. Mais même pour les personnes qui ne sont pas Mais des maladies de cœur non soignées peuvent atteintes de démence, le spécialiste voit un potentiel aussi avoir pour effet que le cerveau est insuffisam- considérable d’empêcher ou de retarder la maladie. ment irrigué. Un point fort de recherche soutenu D’une part en prenant des anticoagulants en cas de par la Fondation Suisse de Cardiologie porte sur la fibrillation auriculaire, d’autre part en soignant au fibrillation auriculaire (voir l’interview). En cas de mieux les facteurs de risque comme l’hypertension fibrillation auriculaire, une grosse attaque céré- artérielle, l’hyperlipidémie et le diabète. Et bien sûr, brale peut causer une démence. «Mais c’est plutôt il conseille à chacun-e d’y mettre du sien en ayant rare», souligne le professeur Arnold, «le plus sou- une bonne hygiène de vie. Au bout du compte, tout vent, ce sont plusieurs petites attaques qui causent ce qui est bon pour le cœur est bon également pour des lésions diverses et entraînent finalement une le cerveau: arrêter de fumer, avoir une alimentation démence.» De même, plusieurs petites attaques équilibrée, suffisamment d’activité physique et de «silencieuses», passant inaperçues, peuvent contri- sommeil et une bonne gestion du stress. «Ne nous buer à l’apparition d’une démence vasculaire. Mais faisons pas d’illusions, nous n’allons pas éradiquer la démence», dit le professeur Arnold. «Mais si nous parvenons à ce qu’elle ne se déclare plus à 75 ans mais seulement à 90 ou 95 ans, ce sera déjà un grand progrès.»
Promotion de la recherche 2018 | Fondation Suisse de Cardiologie Attaque cérébrale 17 «Un sourire triomphant contre l’attaque cérébrale» Nadia Krekchi avait fini sa journée de travail. Mais au lieu de rentrer chez elle, elle dut être transportée en ambulance au centre cérébro-vasculaire de l’hôpital. On put lui venir en aide par un traitement d’urgence hautement spécialisé. Même si elle a pu reprendre sa vie quotidienne rapidement, elle ne peut pas encore tout faire comme avant. Nadia Krekchi n’avait jamais eu de maux de tête. Mais le vendredi 9 mars 2018, elle ressent une douleur au niveau du front. Elle est tellement surprise qu’elle en parle à ses collègues lors du déjeuner. Mais qui va s’inquiéter de maux de tête? Surtout s’ils finissent par disparaître. L’après-midi, elle règle encore quelques tâches importantes avant le week-end. À 19 heures, elle veut se mettre en route, juste passer aux toilettes avant. Dans la pièce voisine, où se trouve la machine à café, elle enfile sa veste chaude et remarque que quelque chose n’est pas normal: elle a du mal à insérer le curseur de la fermeture éclair et à la fermer. Elle s’assoit au bord de la table. Lorsqu’elle veut se relever, ses jambes se dérobent. «Elles étaient comme du coton», raconte-t-elle. Elle ne se rappelle plus ce qui s’est passé ensuite. Piquer dans la mauvaise assiette Trois mois plus tard, sa vie a bien changé: ce sont des centaines «Je voulais me lever, mais de petites choses qui sont aujourd’hui différentes au quotidien, mes jambes se dérobaient. lui semblent étrangères. «Nous sommes tout le temps en train de chercher quelque chose. Nadia a toujours été très ordonnée, mais Elles étaient comme du maintenant, elle perd souvent ses affaires», explique sa compagne coton.» Doris Junker la situation à la maison. Toutes deux ont encore be- soin de temps pour s’y habituer. Mais aussi à d’autres choses. Récemment, elles ont eu de la visite. Mais Nadia ne faisait pas attention à une partie des amis, comme s’ils n’avaient pas été là. Jusqu’à ce que Doris lui fasse changer de place pour qu’elle soit assise de l’autre côté des invités. En termes médicaux, cette limitation est appelée négligence: Nadia Krekchi ne perçoit pas la partie gauche de l’espace. Cela peut mener à des situa- tions étranges, par exemple aux repas: «Elle se met à piquer dans ma salade et ne touche pas à la sienne», raconte Doris Junker. Elles ont appris à rire de ces situations. Toutes deux sont bien décidées à garder leur humour. L’attaque cérébrale est arrivée comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Nadia Krekchi, 55 ans, informaticienne de gestion, était en parfaite santé. Un collègue voulait terminer sa longue journée de travail par une dernière tasse de café et la décou- vrit gisant au sol. Elle parlait, mais ce qu’elle disait était incompréhensible. Il appela l’ambulance. Trois heures après les premiers symptômes, elle arriva à l’Hôpital de l’Île. Pendant ce temps, Doris Junker essayait en vain de joindre sa compagne sur son télé-
18 Attaque cérébrale Fondation Suisse de Cardiologie | Promotion de la recherche 2018 phone portable. Finalement, le collègue de Nadia la rappela pour lui raconter ce qui était arrivé. C’est très émotionnée qu’à cinq heures du matin, elle se rendit au Stroke Center, le centre cérébro-vasculaire de l’hôpital. Une grille métallique sauve la substance cérébrale Avant de l’autoriser à passer quelques minutes avec la patiente en phase aiguë, le per- sonnel soignant y prépara Doris Junker. On lui expliqua que la situation n’était pas aussi dramatique qu’il lui semblerait: beaucoup de choses allaient s’arranger au cours des prochaines 24 heures. Malgré tout, elle ressentit tout d’abord un choc: Nadia était entièrement paralysée dans son lit, elle ne pouvait pas parler. C’est fini, pensa Doris, elle ne pourra plus jamais marcher, il va falloir t’y faire. L’après-midi, elle revint voir Nadia, celle-ci était beaucoup mieux réveillée et réagit avec joie. Le médecin expliqua ce qui s’était passé: une attaque cérébrale ischémique. Un caillot de sang transporté dans un vaisseau du cerveau avait bloqué la circulation. La carence en oxygène avait immédia- tement stoppé certaines fonctions du cerveau. Ne pouvant pas dissoudre le caillot par thrombolyse, l’équipe spécialisée avait em- ployé un cathéter. En passant par l’artère de l’aine, on avait poussé une petite grille métallique appelée stent retriever jusqu’au vaisseau cérébral avant de la déployer pour saisir le caillot de sang et le retirer ensuite à l’aide de cette grille en sens inverse. Ceci avait permis de supprimer le blocage de la circulation, de sorte que le sang alimentait à nouveau correctement le cerveau en oxygène et nutriments. Le traitement par stent retriever est employé en Suisse depuis 2008 chez de nombreux patients victimes d’une attaque cérébrale. En particulier en cas d’occlusions de gros vaisseaux représentant un danger considérable, cette méthode améliore nettement le succès des traitements. Nadia Krekchi a bénéficié de cette méthode relativement récente. Il se peut même que la petite grille métallique lui ait sauvé la vie. Au bout de 10 jours, elle quitta l’hôpital pour la réadaptation aiguë, suivie de la neuro-réadaptation à Riggisberg. Nouer ses lacets avec YouTube En dépit d’un traitement optimal, le retour à la vie quotidienne est difficile pour Nadia Krekchi. Il faut réapprendre des gestes quotidiens comme s’ils étaient entièrement nouveaux. Sa main gauche est encore en partie paralysée, elle manque d’adresse pour certains mouvements. Enfiler un pullover? C’est long. Fermer le bouton d’un jeans? Dif- ficile. Mettre du dentifrice bien au milieu de la brosse à dents? Délicat. Au début, elle était incapable de nouer ses lacets. «Nous avons fait des exercices à l’aide de vidéos pour les enfants sur YouTube », raconte Doris Junker. Ne plus savoir faire un geste quotidien, maîtrisé depuis plus de 50 ans, voilà qui est inimaginable et effrayant. C’est pourquoi Nadia Krekchi se rend en thérapie plusieurs fois par semaine. Elle s’y exerce à maîtriser son corps comme autrefois, mais aussi à planifier les tâches de manière à savoir où il faut commencer et comment arriver efficacement au but. Elle fait de grands progrès, cela la motive, elle prend confiance. Bientôt, elle aime- rait reprendre sa passion, le tennis. Pour le moment, elle doit se contenter de marche sportive. «C’est super, j’ai découvert un nouveau sport qui me plaît», dit-elle à sa manière toujours positive. Son grand rêve est de reprendre son travail d’ingénieure en logiciels. «J’adore mon travail», dit-elle, «mon prochain grand objectif est la réinsertion profes- sionnelle.» Et elle affiche un sourire triomphant.
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