LA MALTRAITANCE DES FEMMES DANS LE MONDE

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LA MALTRAITANCE DES FEMMES DANS LE MONDE
                                               Israël NISAND

Dans le nord du Penjab1, les couples qui avortent leurs fœtus féminins sont appelés
« kudi-maar, tueur de fille ». Gurjit, 22 ans, a payé 11$ pour une écho il y a 1 an, puis
a avorté quand elle a su qu’elle portait une fille. A nouveau enceinte son visage
s’empourpre de bonheur en annonçant que cette fois il s’agit bien d’un garçon : « Nos
parents souhaitaient un garçon » explique-t-elle. Bien que l’Inde ait rendu les
échographies de détermination du sexe illégales en 1994, leur utilisation est devenue
habituelle, non seulement dans les villes, mais aussi dans les campagnes grâce à des
petites machines portables que possèdent les médecins. Les recensements sur 2001
montrent clairement que les fœtus féminins sont avortés de plus en plus. Le nombre
de filles pour 1000 garçons était de 962 en 1981, de 945 en 1991 et de 927 en 2001.
La chute de ce ratio a été plus importante dans les contrées riches du nord que dans
les régions pauvres du fait de la possibilité d’avoir recours aux échographes et aux
avortements. Par exemple, au Penjab qui est prospère, en 10 ans le ratio est passé de
875 à 793 filles pour 1000 garçons alors que dans le Gujarat, le taux est passé dans le
même temps de 928 à 878.
« L’Inde est en train de rattraper d’autres sociétés sexistes modernes comme la Corée
du Sud ou la Chine dans la sélection abortive par le sexe » déclare Amartya Sen prix
Nobel d’économie et native d’Inde rendue célèbre par un article il y a 10 ans intitulé
« 100 millions de femmes manquantes ». La préférence culturelle pour les garçons
tient à la rémanence du nom, à l’héritage de la propriété familiale et aux soins
apportés par les garçons aux vieux parents. C’est eux qui allument les feux des
funérailles.
Dans le district de Patiala, en 10 ans le taux de filles pour 1000 garçons a chuté de
101 et se trouve maintenant à 770 et aucun médecin n’a de doute sur les causes. « Les
machines sont partout maintenant » déclare un gynécologue de Dera Bassi. La
publicité sur la disponibilité de l’écho est bien visible. Le prix de l’avortement est de
l’ordre de 44$.
Les médecins qui pratiquent cette médecine savent qu’elle est illégale et montent les
tarifs de leurs échos qui sont faites officiellement pour la recherche d’une pathologie.
C’était ma rubrique « vive la technique » où l’échographie sauve ici quelques enfants
en même temps qu’elle tue 60 millions de petites filles2 dans le monde en raison de
leur sexe: peut être que les enfants n’ont pas tous la même valeur selon qu’ils sont
conçus ici ou là ? ? ?

     1
       Abortion in India is tipping scales sharply against girls. (N-Y Times, April 22, 2001). Celia W. DUGGER
2
 Source : Site Droits des femmes, Fraternet.com : « Au moins 60 millions de filles meurent chaque année du fait
d’avortements, d’infanticides ou d’absence de soins en raison de leur sexe ».
-2-

Yasmine avait 16 ans. C’était sa petite sœur préférée3. « C’est moi qu’ils ont choisi
pour laver l’honneur de la famille. Parce que j’ai un peu voyagé et que je suis
courageux » explique Sahran. « J’ai tiré 4 balles, la première dans son oreille, la
deuxième dans son œil et les 2 autres dans la poitrine ». Envoyée en 1998 chez sa
sœur dans un village au nord d’Amman pour l’aider à la veille de son accouchement,
elle est violée par son beau-frère. Elle se réfugie au commissariat et supplie qu’on
l’enferme. Son père vient la chercher et s’engage à payer les 5000 dinars s’il arrive
malheur à la fille. Une formalité. A peine arrivée à la maison, elle est abattue par le
frère devant toute la famille. La mère n’a pas laissé échappé un soupir : « Ce serait
mal vu ». Sentence pour le frère : 6 mois de prison où il s’est retrouvé avec une
trentaine d’autres hommes qui avaient « lavé leur honneur » traités comme des héros
par les autres prisonniers. A sa sortie, la famille a loué un cheval blanc pour lui faire
parcourir triomphalement les 4 km qui séparent la prison du domicile familial.
Pourquoi n’a-t-il pas choisi de tuer le beau-frère coupable plutôt que sa victime ?
« Chez nous l’honneur de la famille repose entre les cuisses des femmes. Il vaut
mieux qu’une seule personne meurt plutôt que de voir toute la famille mourir de
honte ».
Hani Jahshan est patron de la médecine légale à l’hôpital Al-Basheer d’Amman.
Parmi les nombreuses femmes dont il examine la virginité, beaucoup lui sont
retournées à l’état de cadavre quelques heures ou quelques semaines plus tard. « Une
heure avant que j’examine son cadavre, elle me disait encore : ils vont me tuer. Et
moi je ne pouvais rien y faire. En pratiquant l’examen de virginité, nous protégeons
les femmes qui n’ont pas eu de rapports sexuels, c’est à dire la majorité ». Mais il sait
bien que c’est faux. « Dès qu’un soupçon entache une réputation, il faut que le sang
soit versé. C’est le prix à payer à la communauté, aux voisins ».
Des crimes d’honneur, on en trouve aussi en Europe, en Asie, en Amérique Latine ou
en Afrique. Dans le monde arabe, ils sont pratiqués aussi bien chez les chrétiens que
chez les musulmans. Ses origines remontent non pas à la Charia, qui paradoxalement
protège un peu la femme en exigeant 4 témoins pour prouver l’adultère, mais au code
d’Hammourabi et aux lois Assyriennes édictées en 1200 avant JC et qui font de la
virginité d’une femme la propriété de sa famille entière.
L’année dernière une résolution de l’ONU condamnant de manière très édulcorée les
crimes d’honneur a fini par être adoptée. Une vingtaine de pays menés par la Jordanie
ont refusé de la signer. Au Pakistan, l’année dernière, 1000 femmes ont été tuées au
nom de l’honneur. Au Yémen, environ 500. A Gaza et dans les territoires occupés ils
représentent deux tiers des homicides. Le parlement jordanien a refusé à 79 voix sur
80 l’abolition de l’article 340, la loi qui recommande la clémence pour les crimes
commis « en état de furie ». La question des crimes d’honneur est devenu un sujet
tabou en Jordanie. La tradition des crimes d’honneur a encore de beaux jours devant
elle.

Partout dans le monde, la guerre a muselé les femmes. Violées par les soldats puis
tuées par leurs familles. Le viol a toujours été une arme de guerre, une tactique
3
 Sara Daniel, Le cauchemar des crimes d’honneur, Le Nouvel Observateur, 8-14 novembre 2001.
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                                          Texte édité le 30/04/2005.
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militaire utilisée par toutes les armées, que ce soit en Yougoslavie ou ailleurs. Que
l’on songe au Japon en 1937 avec le sac de Nankin et « aux épouses de réconfort » de
Taiwan, de Corée et de Chine déportées pour satisfaire l’armée impériale nippone
pendant la seconde guerre mondiale. N’oublions pas les Allemandes violées par les
Russes en 1945, les prisonnières vietnamiennes violées par les soldats américains, les
Algériennes par les Français, les Somaliennes dans les camps de réfugiés au Kenya,
les Tibétaines, les Kurdes, les Haïtiennes, les salvadoriennes, les Iraniennes, etc.
Il est maintenant établi que dans le programme de nettoyage ethnique institué par le
pouvoir de Belgrade, les viols étaient systématiques et pratiqués par des groupes
paramilitaires dont le rôle toujours identique était bien précisé : terroriser les
populations civiles en massacrant plutôt les hommes et en violant leurs femmes et
leurs filles, le plus souvent publiquement, dans une action concertée avec l’armée, qui
permettait d’ailleurs l’enfermement des femmes pendant la durée des grossesses
forcées. Dans certains camps de détention pour femmes4, où les femmes étaient
violées jour après jour, les violeurs n’ont pas hésité à dire que leur but étaient de
féconder ces femmes afin qu’elles accouchent d’un petit serbe. Les femmes étaient
retenues dans ces camps jusqu’à ce que leur grossesse soit trop avancée pour
permettre un avortement5. Parfois le jeune violeur n’avait jamais eu d’expérience
sexuelle avant ce viol obligé, ce qui faisait de lui aussi une victime. La propagande de
guerre à Belgrade s’est largement servie de la menace que faisait peser sur la
démographie purement serbe la reproduction excessive des Albanais du Kosovo ou
des musulmans bosniaques.
Tadeusz Mazowiecki, rapporteur pour l’ONU a fait 17 rapports pour la commission
des droits de l’homme jusqu’en juillet 1995, date de sa démission après les
événements de Srebrenica. Le viol systématique commandé non par les pulsions
bestiales du soldat mais par la volonté de détenir une arme adéquate contre l’ennemi
féminin semblait incroyable, donc faux6.
Il y a des liens entre la culture de guerre et celle de l’honneur viril. Entre la définition
de la femme enfermée dans la sexualité et l’appartenance des femmes aux hommes de
la famille. La vengeance est un implacable marché viril où l’on rend œil pour œil et
éventuellement viol pour viol. Dans cette culture de la virilité agressive, le viol blesse
l’honneur et saccage le bien des hommes auxquels la victime appartient, blessure
masculine qu’une vengeance pourra réparer, alors que la femme violée est déshonorée
irrémédiablement.
L’idée qu’un peuple puisse être éliminé par la guerre suppose implicitement une
dissymétrie entre masculin et féminin dans la responsabilité de la transmission de
l’identité collective. La filiation par le sang est l’œuvre des hommes surtout, dont
l’identité envahit même les épouses par imprégnation. Le prince hérite de l’identité
paternelle, davantage que la princesse qui, une fois adulte, sera imprégnée par
l’homme qui la possédera, mari ou violeur. L’efficacité du viol est ainsi redoublée : il

4
  Roy Gutman. Newsday, 2 août 1992.
5
  Rapport UNESCO, Le viol comme arme de guerre, décision 141 EX/9.3 du conseil exécutif et de la résolution 11.1-
11.6 de la 27e conférence générale, 1995, p.11.
6
  Véronique Nahoum-Grappe. Guerre et différence des sexes : les viols systématiques (ex-Yougoslavie, 1991-1995)
In : De la violence et des femmes, Agora, Collection Pocket, Paris, novembre 1999.
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s’agit non seulement d’une agression morale et physique, une prédation d’un bien qui
appartient aux hommes de sa famille, mais aussi d’un meurtre identitaire spécifique
qui change définitivement la femme et vise la reproduction de toute sa communauté.
Egorgement des hommes et viol des femmes sont des crimes homologues qui
s’adressent au même objet, le lien généalogique de transmission de la filiation.
Ce qui suppose une transmission surtout masculine.
La honte morale et sociale unilatéralement portée par la victime même innocente ne
touchera jamais la soldatesque toujours puante et avinée. En temps de guerre, le viol
est le moins coupable des crimes masculins, et il constitue en même temps le plus
efficace des assassinats identitaires du féminin.
La cible du nettoyage ethnique est non seulement la présence physique de l’autre,
mais aussi son identité culturelle collective, ses valeurs.
Il s’adresse au passé en rasant les cimetières et à l’avenir qu’il veut envahir avec le
viol et la grossesse forcée : le violeur se bat sur le terrain du futur, il est donc soldat et
non criminel. En prenant la place des hommes de la famille ennemie qu’il a souvent
égorgés, le violeur commet une sorte de génocide qui ne prend pas comme moyen
l’extermination totale de l’ennemi collectif mais l’effacement de sa naissance dans la
matrice des femmes : le viol veut refaire l’autre, le recommencer à son origine, dans
le ventre de sa mère.
La condamnation en appel du croate de Bosnie Anto Furunzija le 21 juillet 2000
devant le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie entérine une première
juridique internationale : l’assimilation du viol en temps de conflit armé à un crime de
guerre. Ce tribunal reconnaît pour la première fois les viols et la réduction à
l’esclavage sexuel comme « crime contre l’humanité » et a condamné trois Serbes qui
avaient instauré des viols systématiques à des peines de 28, 20 et 12 années de prison.

130 millions de femmes7 sont mutilées sexuellement dont 100 millions en Afrique.
Deux millions de petites filles sont mutilées chaque année. Les mutilations sexuelles
des femmes se pratique chez les Coptes, les animistes, les catholiques, les protestants
et donc pas uniquement chez les musulmans. C’est donc un fait culturel qui
symbolise la structure sociale patriarcale et pas une prescription religieuse.

La transmission hétérosexuelle du SIDA :
Le pouvoir est sous-jacent à toute relation sexuelle. Il détermine à qui le plaisir se
donne en priorité et quand, comment et avec qui la relation sexuelle aura lieu. Le
plaisir masculin dans ce rapport de force l’emporte sur celui de la femme et l’homme
exerce un contrôle plus important que les femmes sur le moment, le lieu et la façon
dont l’acte sexuel aura lieu. Ces éléments concourent à accroître la vulnérabilité des
femmes face au VIH.
   - La culture du silence autour de la sexualité empêche les femmes de négocier
      leur protection sexuelle.
7
 Leye E., Temmerman M., Verh K Acad Geneeskd Belg, 2001, 63, 161-76.
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   - La virginité expose paradoxalement plus les femmes car demander des
      informations serait se faire suspecter d’être sexuellement active. Le risque de
      viol, quand on est vierge est de plus accru, car la croyance d’une guérison de
      l’infection après un rapport avec une vierge est solide et très répandue. Ce
      fantasme est alimenté par l’innocence et la passivité associées à la virginité.
   - La survalorisation de la virginité pousse en outre certaines femmes à des
      comportements sexuels alternatifs tels que les rapports anaux qui préservent
      l’hymen mais exposent encore plus au VIH.
   - Là où la maternité comme la virginité sont considérées comme un idéal pour la
      femme, l’utilisation de méthode de protection représentent un réel dilemme
      pour les femmes.
   - La dépendance financière des femmes accroît leur vulnérabilité au VIH
   - 16 à 50% des femmes selon les pays font état de violences de la part de leur
      partenaire dont beaucoup sont des abus sexuels. Les hommes séropositifs sont
      2.4 fois plus enclins à abuser de leurs épouses8. Les femmes séropositives ont
      rencontré 2.6 fois plus souvent la violence dans leur couple que les autres.
On peut dire pour reprendre l’expression d ‘Amartya Sen9 que la femme est un
« agent de la modernité ». La publication de ses travaux10 a constitué une grande
avancée dans la pensée internationale concernant la condition de la femme dans le
monde. Ils constituent la première synthèse sur le manque à vivre de millions de
femmes : « La femme est trop passive pour être actrice contaminante et en même
temps elle donne la vie donc la mort, et peut être source d’une menace qui s’adresse
aux hommes. D’où de nombreuses croyances qui supposent une plus grande
résistance au virus des femmes qui s’en débarrassent avec leurs règles, c’est à dire
avec ce qu’elles ont de féminin en elles. Une maladie venue de la sexualité est donc
nécessairement une maladie venue des femmes qui finissent par tuer les hommes avec
lesquels elles couchent, vieux mythe transculturel s’il en est11. »

Des femmes en servitude de dette sont esclaves partout dans le monde. On compte
environ 60 000 domestiques du Sri Lanka au Liban qui travaillent pour la majorité
d’entre elles dans des conditions analogues à l’esclavage. Leur situation s’apparente à
celle de millions de femmes d’Asie du sud, d’Asie du sud-est et d’Afrique du nord
qui migrent pour fuir la pauvreté et travailler comme domestique un peu partout dans
le Moyen-Orient. Prêtes à tout pour trouver de l’argent afin d’améliorer le sort de leur
famille, ces femmes empruntent la somme nécessaire pour les frais de voyage et les
billets d’avion. Déjà endettées au départ, elles découvrent à leur arrivée que leur dette
s’est accrue et qu’elles recevront un salaire inférieur à ce qui leur avait été promis.
Leur passeport est remis à leur employeur et, habituellement, l’argent qu’elles
gagnent est versé dans un compte au nom de l’employeur. Fréquemment maltraitées
8
  L. Heise et coll. Cité par Geeta Rao Gupta : Genre, sexualité et VIH, in Rompre le silence. Durban, XIIIe conférence
internationale sur le SIDA, 9-14 juillet 2000, ANRS information, N° spécial, automne 2000, 11-16.
9
  Le Monde ; septembre 2000. 558, 22.
10
   Amartya Sen. (Prix Nobel en 1999). More than 100 million women are missing. New York Review of Book,
décembre 90, 37, 61-67. Article traduit en France par la revue Esprit en 1991.
11
   Véronique Nahoum-Grappe. Condition de la femme et SIDA. in Rompre le silence. Durban, XIIIe conférence
internationale sur le SIDA, 9-14 juillet 2000, ANRS information, N° spécial, automne 2000, 16-19.
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et punies à la moindre erreur, nombreuses sont celles qui s’en iraient si elles le
pouvaient. Cependant, elles ne peuvent pas partir sans l’accord écrit de leur
employeur. Celles qui s’échappent parce qu’elles ne peuvent plus endurer les sévices
dont elles sont victimes se retrouvent en prison parce qu’elles n’ont pas de passeport.
Sans passeport, sans preuve qu’elles sont autorisées à travailler ou même avec de faux
papiers, les travailleuses migrantes sont partout vulnérables à l’extorsion, à la
violence, à la prostitution et à l’asservissement. Elles ne sortent pas de peur d’être
arrêtées par la police ou parce qu’on les en empêche par la force et n’ont d’autres
choix que de se soumettre à toutes les volontés des trafiquants.
Dans la plupart des pays d’Europe12, la traite des femmes n’est plus synonyme de
prostitution. Les femmes sont vendues pour d’autres formes de sexe commercial ou
pour des mariages forcés ou du travail domestique forcé.

Grace Pundyk raconte une entrevue avec Shokina à l’ambassade du Bangladesh au
Koweït13, où Shokina a trouvé refuge : « J’ai l’impression d’être une voyeuse lorsque
cette femme entre dans la pièce, couvrant son visage de son foulard, cachant ses
larmes, s’accrochant au peu de dignité qui lui reste. Elle me montre tous les endroits
de son corps où elle a mal. Elle a reçu des coups de pieds dans le dos, a été frappée à
la tête, griffée au visage, pincée, a reçu des crachats. Le soir, elle ne pouvait pas
dormir, on la forçait à se tenir debout face au mur du balcon extérieur, qui était
également sa « chambre ». La famille l’a bien traitée durant la première année, mais
ne l’a jamais payée. Ses problèmes ont commencé quand elle a demandé ses gages.
Les gages impayés sont la cause la plus fréquente des plaintes... Mais même si
Shokina récupère ses gages, tout l’argent qu’on lui doit servira à rembourser
l’emprunt à l’agence de recrutement et il ne lui restera rien à son retour au
Bangladesh.

En France, entre 3000 et 8000 mineures vendent leur corps14. Indifférence ou
impuissance ? De nouveaux textes incriminent les clients, mais les réseaux de plus en
plus complexes et élaborés prospèrent. Si, sur les boulevards extérieurs de nos villes,
la réalité crève les yeux, la police et la justice passent leur chemin. Les pervers n’ont
plus besoin d’aller à Bangkok pour satisfaire leurs fantasmes. Les mineurs mis sur le
trottoir avouent rarement leur âge et se déplacent de ville en ville pour éviter d’être
repérés. Leur nombre augmente d’après toutes les associations qui s’occupent de ce
problème. Mais pour le ministère de la Justice tout va bien : seul 5 clients d’enfants
de moins de 15 ans ont été condamnés en 2000.
Le Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés a déposé une plainte en mars
2001 pour que la lumière soit faite sur les rabatteurs qui récupèrent les jeunes femmes
ou filles mineures étrangères pour alimenter un réseau de prostitution et ce à
l’intérieur même du tribunal. Tout est prévu : elles n’ont qu’à traverser la rue à la
12
   Nel van Dijk, présidente de la Commission des Droits de la Femme au parlement européen. Traffic in women in
Postcommunist Countries of central and eastern Europe, La Strada, République Tchèque, 1998.
13
   Grace Pundyk, The New Internationalist, mai 1998.
14
   Chiffres fournis par l’UNICEF qui estime que 2 à 3 millions d’enfants sont exploités sexuellement dans le monde et
sont principalement des filles. Un quart des 40 000 thaïlandaises prostituées sont contaminés par le SIDA. 40% de la
prostitution en Italie du Nord est effectuée par des mineures.
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                                             Texte édité le 30/04/2005.
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sortie du tribunal et on les attend pour leur nouvelle vie… A côté de la prostitution
occasionnelle des mineurs qui existe depuis des siècles, s’est développée une forme
d’exploitation massive très organisée. Les premières victimes sont les jeunes filles
qui veulent fuir la guerre ou la misère de leur pays. Elles sont vendues par leur
famille, échangées contre une dette, trompées par des petites annonces de serveuse ou
d’hôtesse. Des centaines de gamines de Roumanie, Moldavie, Croatie, Albanie,
Bulgarie, Ukraine, Lettonie, Russie… arrivent via l’Italie, la Belgique ou
l’Allemagne. D’autres viennent des pays anglophones d’Afrique. Mineures ces jeunes
filles qui entrent de ce fait plus facilement en France devraient bénéficier
théoriquement de la protection de l’ASE. Et pourtant, faute de moyens, et surtout de
vigilance, elles tombent rapidement dans les mains des réseaux, non pas pour de la
prostitution, mais pour de l’esclavage. Droguées, battues, violées et privées de leurs
papiers, redoutant une vengeance sur leur famille restée au pays, ces filles sont
murées dans leur peur. Pour qu’aucun lien ne puisse se nouer, elles sont déménagées
dans une autre ville à cadence rapprochée.
Les clients ne manquent pas pour ces toutes jeunes femmes a qui on peut tout
demander, tant elles sont sans défense et avec lesquelles ils pensent courir moins de
risque de se contaminer. La bonne conscience du « il vaut mieux faire le trottoir ici
que de crever de faim là-bas » est au rendez-vous. Une loi annoncée le 20 novembre
2001 pour punir les clients des enfants des moins de 18 ans ne dit pas quels seront les
moyens mis en œuvre contre les réseaux mais surtout le flagrant délit et la preuve que
le client ne savait pas l’âge de la jeune femme ne seront jamais réunis. Effet
d’annonce… Les moyens alloués pour lutter contre cette industrie sont ridicules.
Les idées et les solutions ne manquent pas. Et si nous forcions nos politique à faire
respecter la dignité humaine des femmes même lorsqu’elles sont nées ailleurs ?

Violences contre les femmes âgées en occident :
Le thème de la violence familiale à l’encontre des personnes âgées est largement
tabou. Très rare sont les personnes âgées qui se plaignent, exceptionnelles celles qui
portent plainte. Leur dépendance affective à l’égard de leurs enfants est le plus
souvent telle, qu’elles préfèrent les sévices à l’exclusion et au rejet. Elles n’imaginent
pas d’autre issue que de se taire et de subir. Ida Hydle, gériatre à Oslo, a étudié le
problème de la violence à l’égard des personnes âgées au sein de la famille, au niveau
européen. Elle recense des abus d’ordre physique (coups et blessures, refus d’aide en
cas d’urgence, négligence graves en ce qui concerne l’alimentation, l’hygiène et les
soins corporels), d’ordre psychosocial (insultes, humiliations, isolement,
séquestration) et d’ordre financier (escroquerie, usurpation de biens). 60 à 80% des
victimes sont des femmes. 70% des auteurs de ces violences sont des hommes. Ce
sont surtout les rapports mère/fils qui représentent un risque pour la santé et la
situation financière des femmes âgées. Ces études montrent que, bien que les soins
aux personnes âgées dans la famille pèsent plus lourdement sur les femmes, les
hommes sont plus fréquemment auteurs de violences et d’abus. De plus, la violence
conjugale n’est nullement atténuée par le vieillissement. Le contraire peut même se
produire...
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Pr Israël Nisand
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Quand la peur des femmes mène le monde.
« Le fanatisme est une religion du père qui obéit à la déraison du plus fort » pour
reprendre l’excellente expression de Catherine David15. Et la montée aux extrêmes est
une névrose masculine. Une tragédie phallique. Une maladie de la virilité. Une
histoire d’hommes entre eux, d’hommes qui se comparent, qui se mesurent … leur
puissance. Désespérément. A mort. Ce qui ne veut pas dire que les femmes, et
notamment les mères, n’auraient rien à voir dans ce tragique engrenage. Ce sont les
mères de violeurs qui traitent de « pute » la fille violée par leur fils. Elles ont leur
part de responsabilité, bien sûr, elles les ont élevés, ces grands garçons ! ».
Cachez ce sein que je ne saurais voir disait Tartufe. Mais s’il avait été sincère, il
aurait dit: cachez ce sein que je voudrais voir et que j’ai peur de désirer. Nous qui
avons inventé la ceinture de chasteté et les guerres de religion serions mal venus de
critiquer ailleurs ce qui s’y passe aujourd’hui : un monde sans visage, un régime où
voir est obscène, où même les bouddhas, ces étrangers, sont défigurés pour obéir à la
loi. Cachez, cachez, les visages masqués par la barbe ou par le grillage témoignent
d’une société qui a quelque chose à cacher. Si la femme transgresse la loi du plus fort
on lui explose la nuque en public, dans le stade comme on brûlait autrefois les
sorcières en France, en Allemagne, en Espagne. Tout se passe comme si la différence
sexuelle était une honte inavouable, comme si la féminité recelait un danger
mystérieux, auquel la mort serait mille fois préférable.
Pas peur de la mort, peut-être, mais peur de la femme, ou plutôt de la différence
des sexes si ce n’est de la différence tout court.
« Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie » dit Ben Laden. Cette passion
pour la mort serait-elle l’envers d’une haine pour la féminité en tant qu’elle porte la
vie ? Pourquoi se donner tant de mal pour exhiber une virilité éclatante? Y aurait-il un
doute sur ce point ? Mais les troubles de l’identité masculine ne sont pas l’exclusive
du monde musulman. Quel homme n’a pas été traversé par le doute sur sa virilité. Ah
si seulement les hommes étaient capables de maîtriser leur érection ! « Je hais cette
façon qu’on les femmes de m’envahir. Je hais ce qu’elles infligent à mon corps sans
mon consentement. Je suis irrité par les érections importunes qu’elles suscitent. Cette
partie de mon corps, source de sensations ô combien exquises, leur appartient,
semble-t-il, plus qu’elle n’est mienne16 » dit Sudhir Kakar. Pouvoir occulte des
femmes dont elles ne peuvent rien. Le voilement du corps des femmes correspond à
un évitement de la différence des sexes, mais aussi à un déni de la sexualité
masculine.
Le puritanisme fleurit dans les extrémismes, avec son cortège d’hypocrisies, de
scandales et de perversités. Kenneth Star incarne à lui tout seul le mélange de
fascination répulsion de la société américaine à l’égard du sexe.
S’il n’est pas encouragé par son environnement culturel à franchir ce pas décisif de la
rencontre avec l’Autre incarné par une femme, le petit garçon peut se fixer dans une
phobie du féminin aux conséquences dévastatrices. De ses doutes torturants (de quoi

15
  Catherine David, Nouvel Observateur, 20-26 décembre 2001.
16
  Sudhir Kakar. L’ascète du désir. Seuil, 2001.
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Pr Israël Nisand
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suis-je capable ?), de ces questions sans réponse va naître un désir lancinant de
réassurance virile. Il devient alors urgent d’imaginer qu’il existe au moins un homme,
un chef à qui l’épreuve du doute aurait été épargnée, un gourou sans peur et sans
reproche, un « père imaginaire tout-puissant et incastrable ». D’où l’irrésistible
ascension des chefs tout-puissants. Le fanatique n’a pas besoin de Dieu mais il lui
faut un héros, un chef de secte, un grand homme ascétique avec une voix de tonnerre
et des yeux hypnotiques. Le chef de bande semble seul capable d’échapper au pouvoir
maléfique de la féminité. Il est crédité d’un contrôle total sur ses pulsions, donc sur
ses désirs, donc sur son sexe. Tout concourt à transformer en martyrs de malheureux
jeunes gens fascinés-fanatisés au point de se croire consentants. Masquée par la
soumission au chef salvateur, la peur du féminin agit en sourdine. La femme n’est
donc pas secondaire dans la grande histoire masculine. Elle en est l’enjeu
fantasmatique. Liée à une intense frustration sexuelle, la phobie des femmes n’est pas
seulement le symptôme de la maladie appelée fanatisme, mais son moteur secret, son
ressort caché. La condition des femmes, notamment en Islam, serait alors le cœur du
problème, le point central mais aveugle, des enjeux géostratégiques du nouveau
siècle.
La condition faite aux femmes ici ou là, n’est donc pas un problème secondaire mais
une réalité fondatrice, un indice assez fiable du degré général de liberté ou de tyrannie
d’une société donnée.
Et une société d’hommes angoissés par leurs frustrations peut vouloir prouver sa
puissance et mettre la planète à feu et à sang pour répandre sa foi d’autant qu’elle
dispose de l’arme absolue : la certitude d’avoir raison.
La ligne de fracture ne passe pas entre des civilisations différentes mais entre
fanatiques et modérés, entre ceux qui croient tout savoir et ceux qui s’interrogent,
entre ceux qui masquent leur faiblesse et ceux qui les assument, entre ceux qui
répandent leur foi et ceux qui prennent le risque du dialogue (dont le modèle premier
est donné par la relation entre les sexes), entre une logique totalitaire et une logique
démocratique, fondée sur la reconnaissance de l’altérité, et donc de la part féminine
de l’humanité.
Le fantasme de la pureté est le pivot de toutes les idéologies totalitaires. Purifier le
monde est le mot d’ordre qui appelle aux massacres et à la barbarie. Les femmes
possèdent le pouvoir de porter les enfants. Il faut donc les surveiller pour garantir la
pureté du groupe. Mais, paradoxalement, les femmes sont toujours suspectées d’être
des créatures impures, du fait même qu’elles saignent.
C’est Saint Augustin qui disait: Domptez votre chair ; échauffez-vous contre elle avec
toute la sévérité imaginable.
Et qui s’interdit de jouir ne supporte pas bien sûr que l’autre jouisse. Là où Eros est
malvenu, c’est Thanatos qui prend le dessus. La maltraitance des femmes est donc un
patrimoine et un enjeu commun à toute l’humanité.

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                                    Texte édité le 30/04/2005.
Pr Israël Nisand
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