La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d'action pour redéfinir la francophonie avec et pour les jeunes - acelf

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VOLUME XLVIII : 1 – PRINTEMPS 2020

La participation en ligne
en Ontario français :
pistes de réflexion et d’action
pour redéfinir la francophonie
avec et pour les jeunes

Megan COTNAM-KAPPEL
Université d’Ottawa, Ontario, Canada

Heather WOODS
Université d’Ottawa, Ontario, Canada
VOLUME XLVIII : 1 – PRINTEMPS 2020
Revue scientifique virtuelle publiée par
l’Association canadienne d’éducation de
langue française dont la mission est la
suivante : « Par la réflexion et l’action de
son réseau pancanadien, l’ACELF exerce
                                                     La francophonie :
                                                     un objet à redéfinir
son leadership en éducation pour
renfor­cer la vitalité des communautés
francophones ».

Éditrice
Natalie Tremblay, ACELF
                                                     Coordination du numéro :
Président du comité de rédaction                     Nathalie Bélanger, Université d'Ottawa, Ontario, Canada
Jean Labelle,                                        Éliane Dulude, Université du Québec en Outaouais, Québec, Canada
  Université de Moncton

Comité de rédaction
Jean Labelle,                                   		 Liminaire
  Université de Moncton                          1 La francophonie : un objet à redéfinir
Nadia Rousseau,                                 		 Nathalie BÉLANGER. Université d'Ottawa, Ontario, Canada
  Université du Québec à Trois-Rivières            Éliane DULUDE, Université du Québec en Outaouais, Québec, Canada
Jules Rocque,
  Université de Saint-Boniface
Phyllis Dalley,                                  17 Ethnographie dans une école primaire au pays de Galles. Une posture épistémologique
  Université d’Ottawa                               d’insider/outsider
Anderson Araújo-Oliveira,                       		 Karine TURNER, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
  Université du Québec à Montréal                   Nathalie BÉLANGER, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
Révision linguistique                            33 Le slam : du projet didactique à l’expérience humaine
Philippe-Aubert Côté, rév. a.
Révisart                                        		 Dominique Bomans, Université d’Ottawa, Ontario, Canada

Directeur général de l’ACELF                     53 Perspectives et définitions scolaires de l’identité linguistique en milieu minoritaire.
Richard Lacombe                                     Comment les établissements scolaires de langue française répondent-ils aux besoins
                                                    des élèves du 21e siècle face aux nombreuses transformations sociales, culturelles et
Conception graphique et montage                     démographiques en cours?
Claude Baillargeon                              		 Gail CORMIER, Université de Saint-Boniface, Manitoba, Canada
Diffusion Érudit                                 73 Construction identitaire des jeunes des écoles francophones en Colombie-Britannique
www.erudit.org
                                                		 Trâm LAI-TRAN, Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, Colombie-Britannique,
Les textes signés n’engagent que                    Canada
la responsabilité de leurs auteures et
auteurs, lesquels en assument également          93 Être plurilingues et francophones : représentations et positionnements identitaires
la révision linguistique. De plus, afin             d’élèves de francisation à Vancouver
d’attester leur receva­bi­lité, au regard des   		 Catherine LEVASSEUR, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
exigences du milieu universitaire, tous
les textes sont arbitrés, c’est-à-dire soumis   122 Choisir un cégep anglophone au Québec : l’expérience de jeunes francophones
à des pairs, selon une procédure déjà           		 Karine VIEUX-FORT, Université Laval, Québec, Canada
convenue.                                           Annie PILOTE, Université Laval, Québec, Canada
                                                    Marie-Odile MAGNAN, Université de Montréal, Québec, Canada
La revue Éducation et francophonie est
publiée deux fois l’an grâce à l’appui
financier du ministère du Patrimoine
                                                144 La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir
canadien et du Conseil de recherches                la francophonie avec et pour les jeunes
en sciences humaines du Canada.                 		 Megan COTNAM-KAPPEL, Université d’Ottawa, Ontario, Canada
                                                    Heather WOODS, Université d’Ottawa, Ontario, Canada

                                                164 Les politiques scolaires et l’inclusion des élèves issus de l’immigration dans les écoles de
                                                    langue française en Ontario
                                                		 Diane GÉRIN-LAJOIE, Université de Toronto, Ontario, Canada

                                                184 Renouveler sa posture réflexive sur l’équité et l’éducation inclusive : retour sur une
                                                    initiative de formation auprès du personnel enseignant d’une école élémentaire de langue
                                                    française en Ontario
265, rue de la Couronne, bureau 303             		 Christine D. CONNELLY, Université de Toronto, Ontario, Canada
Québec (Québec) G1K 6E1                             Diane FARMER, Université de Toronto, Ontario, Canada
Téléphone : 418 681-4661
Télécopieur : 418 681-3389
Courriel : info@acelf.ca

Dépôt légal
Bibliothèque et Archives nationales
du Québec
Bibliothèque et Archives du Canada
ISSN 1916-8659 (En ligne)
La participation en ligne
                                      en Ontario français :
                                      pistes de réflexion et d’action
                                      pour redéfinir la francophonie
                                      avec et pour les jeunes

                                      Megan COTNAM-KAPPEL
                                      Université d’Ottawa, Ontario, Canada

                                      Heather WOODS
                                      Université d’Ottawa, Ontario, Canada

                                      RÉSUMÉ

Note des auteures                     Cet article dresse le portrait des expériences de participation en ligne d’élèves
Nous voulons remercier le ministère   d’écoles secondaires de langue française dans le but de redéfinir la francophonie
de l’Éducation de l’Ontario pour le
financement de cette recherche.       avec les jeunes. À partir de données recueillies au moyen de questionnaires (n=215)
                                      et de groupes de discussion (n=71), nous constatons que les jeunes développent et
                                      mettent à profit une variété de compétences en littératies numériques lorsqu’ils par-
                                      ticipent en ligne. Qui plus est, nous mettons en évidence les nombreux facteurs que
                                      soupèsent les jeunes avant de publier en ligne, notamment le contenu, l’approbation,
                                      le public et les conséquences possibles. On remarque l’absence de la langue parmi
                                      ces considérations. En effet, les jeunes disent participer en français lors de commu-
                                      nications privées ou de tâches liées à l’école, mais privilégient surtout l’anglais pour
                                      participer en ligne. Les élèves remarquent le manque d’occasions de développer
                                      leurs compétences de participation en ligne à l’école, alors que nous soulignons le

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
                                     pour les jeunes

                                     potentiel de cette participation pour amener les jeunes à 1) trouver des occasions
                                     de s’exprimer et de créer en français, ainsi que de trouver des communautés franco-
                                     phones, et 2) s’engager dans une francophonie qu’ils redéfinissent. Nous insistons
                                     également sur l’urgence du développement de politiques et de curriculums qui
                                     touchent les littératies numériques, et la participation en ligne en particulier, pour
                                     les écoles de langue française.

                                     ABSTRACT

                                     Online participation in French Ontario: avenues for reflection and action
                                     to redefine Francophonie with and for young people

Note from the authors                Megan COTNAM-KAPPEL, University of Ottawa, Ontario, Canada
We would like to thank the Ontario   Heather WOODS, University of Ottawa, Ontario, Canada
Ministry of Education for funding
this research.
                                     This article presents the online participation experiences of French-language
                                     secondary school students with the objective of redefining Francophonie for stu-
                                     dents. Using data collected through questionnaires (n=215) and focus groups (n=71),
                                     we find that young people develop and use a variety of digital literacy skills when
                                     they participate online. Moreover, we highlight the many factors that students weigh
                                     up before publishing online, including content, approval, audience and possible
                                     consequences. One notices the absence of language among these considerations. In
                                     fact, young people say they participate in French during private communications or
                                     school-related tasks, but much prefer English for online participation. Students note
                                     the lack of opportunities to develop their online participation skills in school, while
                                     we highlight the potential of this participation to help students 1) find opportunities
                                     to express themselves and create in French, as well as to find Francophone communi-
                                     ties, and 2) engage in a Francophonie that they are redefining. We also emphasize the
                                     urgency of developing policies and curricula that include digital literacy for French-
                                     language schools, and online participation in particular.

                                     RESUMEN

                                     La participación en línea en Ontario francés: pistas de reflexión y acción
                                     para redefinir la francofonía con y por los jóvenes

Nota de las autoras                  Megan COTNAM-KAPPEL, Universidad de Ottawa, Ontario, Canadá
Agradecemos al ministerio            Heather WOODS, Universitdad de Ottawa, Ontario, Canadá
de la Educación de Ontario
por el financiamiento de esta
investigación.                       Este artículo ofrece una descripción de las experiencias de participación en línea de
                                     alumnos de escuelas secundarias de lengua francesa con el fin de redefinir la franco-
                                     fonía con los jóvenes. A partir de datos recogidos mediante cuestionarios (n=215) y de

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

grupos de discusión (n=71), constatamos que los jóvenes desarrollan y aprovechan
una variedad de competencias en alfabetismo digital cuando participan en línea.
Más aun, evidenciamos los numerosos factores que ponderan los jóvenes antes de
publicar en línea, principalmente el contenido, la aprobación, el público y las conse-
cuencias posibles. Notamos la ausencia de la lengua entre dichas consideraciones.
En efecto, los jóvenes dicen participar en francés cuando se trata de comunicaciones
privadas ligadas a la escuela, pero privilegian sobre todo el inglés para participar en
línea. Los alumnos notan la falta de oportunidades para desarrollar sus competen-
cias de participación en línea en la escuela, mientras que nosotros subrayamos el
potencial de dicha participación para promover entre los jóvenes 1) buscar ocasiones
para expresarse y crear en francés, así como localizar comunidades francófonas, y 2)
comprometerse con una francofonía que ellos redefinirán. Hemos insistido asimismo
en lo urgente que es desarrollar políticas y currículum que toquen los analfabetis-
mos digitales, y la participación en línea en particular, para las escuelas de lengua
francesa.

INTRODUCTION

Notre étude s’intéresse aux perspectives d’élèves d’écoles secondaires de langue fran-
çaise en Ontario, un groupe linguistiquement et culturellement très hétérogène qui
se construit souvent des identités bilingue ou plurilingue (Cotnam-Kappel, 2014a)
pouvant être ambiguës et provisoires (Dalley et Demers, 2012). Dans ce contexte, le
sentiment d’appartenance à la francophonie n’est pas automatique et chaque élève
doit en faire le choix (Gérin-Lajoie, 2012), raison pour laquelle les écoles doivent
œuvrer continuellement pour créer les conditions favorables pour amener les jeunes
à vouloir s’engager dans la communauté francophone (Cavanagh, Cammarata et
Blain, 2016, p. 23). En même temps, un internaute sur trois dans le monde entier
est âgé de moins de 18 ans (UNICEF, 2017, p. 3) et, au Canada, 95 % des élèves en
11e année possèdent un compte Facebook, plus de la moitié des jeunes de cet âge
dormant avec leur téléphone cellulaire (Steeves, 2015). Les écoles doivent ainsi
s’adapter au rythme accéléré de l’ère numérique et de la culture numérique propre
de leurs élèves. Dans ces conditions, la mission des écoles de langue française est
double : intégrer et exploiter les nouvelles technologies afin de permettre à tous les
jeunes de développer leurs compétences numériques en tenant compte des besoins
particuliers de leurs élèves sur les plans identitaires, linguistiques et culturels, et ce,
malgré la pénurie de recherche à cet égard. Le présent article dresse ainsi un portrait
détaillé des expériences de participation en ligne des jeunes en milieu minoritaire,
soit des pratiques de littératies numériques liées à la création, la publication et le
partage dans divers espaces et communautés en ligne (Chung, Bond Gill et O’Byrne,
2017), pour envisager des pistes de réflexion et d’action visant à créer des conditions

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

qui peuvent encourager les élèves à s’engager dans la communauté francophone lors
de leurs fréquentes utilisations d’Internet et à redéfinir celle-ci.

Bien que nous savons que l’Internet offre aux jeunes un éventail de possibilités de
participation, les compétences individuelles de ceux-ci déterminent dans quelle
mesure ils peuvent réaliser pleinement leur potentiel dans cette société numérique
(Pangrazio, 2019). En contexte linguistique minoritaire s’ajoute la question de si et
pourquoi les jeunes y participent en français ou non. On estime que plus de la moitié
du contenu en ligne est en anglais (UNICEF, 2017) et la majorité du contenu offert en
français est conçu par et pour des locuteurs en milieu majoritairement francophone.
Ces ressources en langue française provenant de milieux majoritaires ne répondent
pas aux besoins des apprenants en contexte minoritaire, car elles ne reflètent pas
leurs langues, leurs cultures et leurs expériences (Chaput et Champagne, 2012;
Gilbert et al., 2004). Ce manque d’espaces et d’occasions de participation dans une
langue minoritaire représente un problème social important puisqu’il crée des inéga-
lités numériques liées au développement de compétences en littératies numériques
(Hadziristic, 2017; Howard et al., 2010; UNICEF, 2017). En outre, le peu d’utilisation
du français par les élèves en milieu minoritaire en ligne est une source de préoc-
cupation (FCE, 2011). La création et le partage de ressources de développement de
compétences en littératies numériques qui tiennent compte des implications d’être
un enfant en contexte linguistique minoritaire constituent donc un besoin urgent
sur le terrain (Cavanagh, Cammarata et Blain, 2016; Cotnam-Kappel, 2018; Réseau
Éducation-Médias, 2010). La présente étude accorde ainsi une attention soutenue
à l’influence du contexte socioculturel sur le rapport des jeunes aux technologies et
aux utilisations qu’ils en font (Collin et Brotcorne, 2019; Collin et Karsenti, 2013) dans
le but d’offrir des recommandations qui tiennent compte de la réalité particulière
des jeunes tout en imaginant en quoi les nouvelles occasions de participation en
ligne pourraient leur amener à redéfinir la francophonie selon leurs intérêts et leurs
besoins.

Notre étude vise par conséquent à répondre aux questions suivantes : comment les
élèves d’écoles secondaires de langue française en Ontario décrivent-ils leurs compé-
tences et leurs expériences de participation en ligne? Comment ces élèves utilisent-ils
leur(s) langue(s) lorsqu’ils participent en ligne?

CADRE THÉORIQUE

Les littératies numériques et la participation en ligne

Le concept des littératies numériques est en constante évolution, notamment à
cause des changements rapides et continus des processus et des pratiques technolo-
giques qui s’y rattachent. Nous nous inspirons de la théorie des nouvelles littératies
à deux niveaux (Leu et al., 2019), une théorie qui 1) positionne l’Internet comme

VOLUME XLVIII : 1 – Printemps 2020                      147                                             www.acelf.ca
La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

la technologie la plus importante pour les littératies dans notre monde global et
interconnecté; 2) situe les littératies numériques dans des pratiques et des systèmes
sociaux, culturels et linguistiques; et 3) souligne le rôle essentiel du personnel
enseignant pour accompagner le développement de compétences en littératies
numériques des élèves. Nous conceptualisons les littératies numériques comme un
ensemble de compétences, de stratégies et de dispositions nécessaires pour 1) lire,
comprendre et évaluer des textes numériques; 2) pour modifier, remixer et créer des
textes numériques; et 3) pour communiquer ses idées au moyen de diverses plate-
formes en fonction d’objectifs et de publics variés (Duplàa, 2011; Hagerman, 2017;
Lankshear et Knobel, 2008; Leu et al., 2019; Spires, Bartlett, Gary et Quick, 2012). Cette
étude manifeste un intérêt particulier aux compétences propres à la participation en
ligne des jeunes, notamment la création, la publication et le partage au sein d’une
communauté en ligne (Chung, Bond Gill et O’Byrne, 2017), des compétences de
partage et de communication en lien avec les règles et conventions d’espaces numé-
riques (MÉES, 2019) qui permettent aux jeunes d’explorer les facettes de leur identité
et de leur citoyenneté numériques (Commission européenne, 2017). Notre étude
positionne ainsi la participation en ligne comme une pratique des littératies numé-
riques sociale, complexe et mouvante, inextricablement liée à l’identité, la langue et
la culture (New London Group, 1996; Leu et al., 2019).

Centrer les voix des jeunes

Pour explorer les expériences en ligne des jeunes, notre recherche priorise la com-
plexité des voix des jeunes, reconnaissant ceux-ci comme des acteurs sociaux
(Bélanger et Kayitesi, 2010; Spyrou, 2011). Nous considérons ainsi la localisation
sociale de ces voix, ainsi que la façon dont les contextes sociaux, linguistiques et
culturels influencent les messages transmis (Alcoff, 2009; Mayall, 2008; Spyrou, 2011),
et dont les jeunes découvrent, construisent et reconstruisent leurs voix de façon
continue (Cotnam-Kappel 2014a; Lincoln, 1995). Afin de mieux être à l’écoute à titre
d’adultes-chercheures, nous avons tenté de plonger dans la « culture de communica-
tion » propre aux élèves (Christensen et James, 2017) et de respecter celle-ci, à partir
de questionnaires, groupes de discussion et d’activités de coanalyse des données.
Nous nous intéressons ainsi au sens donné par les jeunes à leur participation en ligne
(Caron, 2018) à partir d’une analyse de leurs voix et de leurs perspectives sur leurs
compétences et leurs expériences.

CADRE MÉTHODOLOGIQUE

Nous classons cette recherche dans la catégorie d’une recherche exploratoire. Les
données et citations intégrées servent à poser les fondements de notre compréhen-
sion émergente des expériences en ligne des jeunes.

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

Participants

À l’hiver 2017, 215 élèves du Sud (n=50), de l’Est (n=70) et du Nord de l’Ontario (n=95)
de la 9e, 10e et 11e année (âgés de 13 à 17 ans; n=111 s’identifient comme garçon) ont
accepté de participer à la phase 1 de l’étude. Puis, à l’automne 2017, des élèves de 14
à 17 ans de deux écoles ont accepté de participer aux 7 groupes de discussion (n=71;
Est=49 et Sud=22; n=35 s’identifient comme garçon) de la phase 2. Puisque la taille de
la population francophone locale varie de façon importante d’un endroit à l’autre, les
perspectives d’élèves de trois régions sont offertes : le site scolaire du Nord ontarien
est situé dans une région où 35 % de la population a déclaré le français comme langue
maternelle, alors que ce nombre est de 20 % pour notre site dans l’Est et seulement
3 % pour l’école ciblée du Sud (Statistique Canada, 2017). Des analyses quantitatives
préliminaires ont été effectuées pour déterminer si l’utilisation du français en ligne
différait selon la provenance géographique, mais les différences sont négligeables
(aucune différence significative selon la région). Par conséquent, nous n’avons pas
analysé les groupes séparément dans les analyses qui suivent.

Méthodes de collecte de données

La recherche à l’origine du présent article inclut un questionnaire en ligne, composé
de 63 questions et inspiré par la conceptualisation des littératies Web de Mozilla
(Chung, Bond Gill et O’Byrne, 2017). C’est à partir du cadre Mozilla que nous avons
défini les sous-compétences en littératies numériques des jeunes selon trois types
de compétences, soit la lecture, l’écriture et la participation en ligne (voir Cotnam-
Kappel, 2018). Le questionnaire a été développé par notre équipe de recherche et
validé par deux experts du domaine (Dillman, Smyth et Christian, 2014). Il a été
divisé en cinq sections, dont la première inclut un survol du temps passé en ligne
et des activités en ligne des jeunes. Par la suite, les jeunes étaient invités à com-
pléter des autoévaluations de leur aisance à accomplir une variété de tâches liées
à la lecture (section 2), l’écriture (section 3) et la participation (section 4) en ligne.
Dans ces sections, les jeunes ont complété leurs autoévaluations au moyen de cinq
options possibles sur une échelle Likert, indiquant s’ils sont « pas à l’aise » (1), « peu à
l’aise » (2), « moyennement à l’aise » (3), « très à l’aise » (4) ou « extrêmement à l’aise »
(5) à accomplir des tâches en ligne, par exemple « partager de l’information avec un
large public » ou « m’intégrer à des communautés en ligne ». Les jeunes ont aussi été
invités à identifier les personnes dans leur vie qu’ils appuient et qu’ils aident dans le
développement de ce type de compétences en littératies numériques (lire, écrire et
participer). Dans la section 4, « participer en ligne », les jeunes ont aussi répondu aux
questions ouvertes suivantes : « Comment décides-tu si tu veux partager du contenu
(un message, une photo ou une vidéo) en ligne? Quel est ton processus de réflexion
avant de partager le contenu? » La section culminante du questionnaire (section 5)
comprend les questions démographiques, une pratique conseillée dans l’élaboration
de questionnaires (Dillman, Smyth et Christian, 2014). Dans le cadre de cet article,

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pour les jeunes

nous nous penchons sur des données quantitatives tirées des autoévaluations de
compétences de participation en ligne et de questions fermées liées à l’utilisation des
langues en ligne et du soutien offert et reçu, et sur des données qualitatives tirées des
questions ouvertes sur le « comment » de la participation en ligne des répondants et
de leur choix de langue en ligne.

Après avoir amené les jeunes à entreprendre la démarche réflexive d’autoévaluation
dans le cadre du questionnaire et effectué des analyses préliminaires de ces don-
nées, la chercheuse principale est retournée sur le terrain pour mener sept groupes
de discussion et permettre aux jeunes de fournir des détails sur leurs expériences
(Plummer, 2017) dans leurs propres mots. Les groupes de discussion offrent une
occasion unique de parler à un certain nombre de personnes qui ont vécu le même
phénomène (Davila et Domínguez, 2010; Plummer, 2017). Mener un groupe de dis-
cussion à la suite d’un questionnaire fait ressortir une compréhension plus nuancée
et riche de l’expérience puisque l’analyse est effectuée à partir de deux instruments
(Baribeau et Geramin, 2010). Les groupes de discussion ont été menés à l’aide d’un
guide semi-structuré comprenant des questions ouvertes sur le partage de contenu,
le dialogue en ligne, l’utilisation des langues et le soutien offert. D’une durée moyenne
de 51 minutes, les discussions ont été enregistrées et transcrites intégralement.

Analyses

Des analyses descriptives des données quantitatives du questionnaire (fréquence et
pourcentages) des autoévaluations de compétences de participation en ligne, des
langues utilisées en ligne et du soutien offert et reçu ont été effectuées (tableaux 1,
2 et 4). Nous avons privilégié une analyse de contenu (Weber, 1990) pour regrouper
les langues utilisées par type d’activité en ligne. Cette analyse s’est concentrée sur la
tâche de déterminer la fréquence à laquelle les jeunes mentionnent une activité en
ligne et la langue associée à celle-ci (tableau 3). Nous avons aussi mené une analyse
thématique (Braun et Clarke, 2006; Paillé et Mucchielli, 2016) pour coder les réponses
ouvertes du questionnaire et les transcriptions des groupes de discussion. Afin de
traiter notre corpus à partir d’une thématisation, nous avons réduit les données à
partir de multiples rondes de codages (Paillé et Mucchielli, 2016). Les jeunes ont éga-
lement participé à notre processus d’analyse. Lors des discussions de groupes, ils ont
été invités à commenter et à contester nos analyses préliminaires lors d’une activité
de coanalyse, une stratégie de vérification et de validation des analyses qualitatives
(Huberman et Miles, 1991; Mukamurera, Lacourse et Couturier, 2006) centrée sur la
voix de l’enfant (Cotnam-Kappel, 2014b). Offrir l’occasion aux jeunes de partager
leurs interprétations, notamment lors de la création du modèle présenté dans la sec-
tion qui suit (Figure 1), permet une approche collaborative et éthique de la recherche
et renforce la validité des résultats (Harvey, 2015). Pour assurer la validité des résul-
tats, nous avons instauré un processus continu de discussion et de vérification entre

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                                  membres de l’équipe de recherche tout au long de l’analyse des données (Braun et
                                  Clarke, 2006; Nowell, Norris, White et Moules, 2017).

                                  Dans la suite de ce texte, nous présentons un ensemble de données portant sur les
                                  autoévaluations des compétences de participation en ligne des jeunes (données
                                  quantitatives), leurs descriptions de processus de réflexion avant de partager en ligne
                                  (données qualitatives), la ou les langue(s) qu’ils utilisent en ligne et le rôle de l’école
                                  dans le développement des compétences en littératies numériques liées à la partici-
                                  pation en ligne (données quantitatives et qualitatives). Afin d’offrir une description
                                  détaillée des expériences, nous précisons dans le texte si les données proviennent du
                                  questionnaire ou des groupes de discussion, ainsi que la provenance régionale du
                                  jeune (Est, Nord ou Sud). Qui plus est, pour respecter et représenter les voix, les lan-
                                  gues et les « cultures de communication » propres aux jeunes (Christensen et James,
                                  2017), nous présentons leurs réponses aux questionnaires sous forme de verbatim
                                  non corrigés.

                                  PRÉSENTATION DES DONNÉES

                                  Difficultés à s’intégrer et à participer au sein d’une communauté en ligne :
                                  une autoévaluation des compétences de participation en ligne des jeunes

                                  Les jeunes ont été invités à évaluer leurs compétences de participation en ligne dans
                                  le questionnaire. Comme l’indique le tableau 1, entre 40,3 % et 67,0 % des élèves
                                  sont très ou extrêmement à l’aise à accomplir une variété de tâches en ligne. Mais
                                  il demeure entre un tiers et parfois plus de la moitié des élèves qui ne sont que
                                  confiants ou moyennement confiants en leur capacité de mener à bien ces tâches.

                                  Tableau 1. Autoévaluation des compétences en participation en ligne des élèves

                                                                                                                                     Très ou
                                                                                Peu ou pas              Moyennement               extrêmement
                                                                                  à l’aise                 à l’aise                  à l’aise
Partager de l’information avec un public large                                     24,6 %                    32,2 %                    42,3 %
Partager de l’information avec un public restreint et spécifique                   17,5 %                    25,1 %                    56,3 %
Prévoir les conséquences potentielles de mes actions en ligne                       9,1 %                    23,9 %                    67,0 %
Réagir face aux conséquences d’une action en ligne                                 11,0 %                    31,9 %                    57,1 %
M’intégrer à des communautés en ligne                                              24,6 %                    35,1 %                    40,3 %
Changer ma façon de parler selon le public                                         17,7 %                    28,2 %                    54,1 %

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

Les jeunes indiquent avoir plus de confiance à prévenir les conséquences de leurs
actions en ligne (67 % sont très ou extrêmement à l’aise) et à réagir aux conséquences
d’une action en ligne (57,1 % sont très ou extrêmement à l’aise). Toutefois, la parti-
cipation au sein d’une communauté plus large semble leur échapper, puisque seu-
lement 40,3 % des élèves indiquent être très ou extrêmement à l’aise de s’intégrer à
des communautés en ligne, et 42,3 % à partager de l’information avec un large public.

« Je décide. Est-ce que c’est inapproprié? Impoli? Est-ce que ma grand-mère
aimerais voir ça? » : le processus de réflexion des jeunes avant de partager en
ligne.

Étant donné que les façons dont les jeunes génèrent, communiquent et négocient
les contenus représentent des compétences en littératies numériques significatives
(Lankshear et Knobel, 2008), nous avons invité les 215 jeunes à nous expliquer leur
processus de réflexion avant de partager du contenu en ligne lors du questionnaire.
La majorité des jeunes nous ont fait part de réflexions poussées, souvent avec une
liste de questions qu’ils se posent avant de publier en ligne, par exemple : « À qui?
Pourquoi? Est-ce important? Est-ce utile? » (questionnaire, Est) Notre analyse théma-
tique de leurs réponses aux questionnaire permet d’identifier quatre types de consi-
dérations qui motivent les jeunes à partager ou non du contenu en ligne. En ordre de
priorité, ces considérations sont l’approbation (n=88 mentions), le public (n=48), les
conséquences (n=36) et le contenu (n=29).

Pour l’approbation, les jeunes se demandent si le contenu est approprié et si un ami,
parent ou le jeune lui-même approuverait, comme « Je décide. Est-ce que c’est inap-
proprié? Impoli? Est-ce que ma grand-mère aimerais voir ça? » (questionnaire, Nord).
D’autres sollicitent l’approbation de la personne directement : « Vérifier encore,
montrer a un ami si c’est bon » (questionnaire, Nord). Quand les élèves considèrent le
public d’un partage en ligne, plusieurs réfléchissent à la plateforme appropriée selon
s’ils veulent partager avec un large groupe (Instagram, Facebook) ou public plus res-
treint (Snapchat). Certains jeunes soupèsent aussi la question de sécurité en ligne en
réfléchissant au public : « Je me poses des questions si c appropriée ou securitaire de
partager ca » (questionnaire, Est).

Les jeunes se préoccupent également de la façon dont les autres pourraient réa-
gir et aux conséquences, négatives ou positives, liées au partage en ligne. Plusieurs
s’inquiètent de la réaction de leur public, notamment du nombre de « j’aime » qu’ils
recevront. Ils considèrent aussi l’impact qu’une publication en ligne pourrait avoir
sur eux et les autres : « Je pense au conséquences que sa peut avoir sur mon future
et comment mes partages vont affecter le monde au tours de moi » (questionnaire,
Nord). Le contenu des messages est une considération récurrente dans les dires des
élèves, qui considèrent, entre autres, si le partage est important, de bonne qualité,
intéressant ou trop personnel. La représentation visuelle de ce processus de réflexion

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pour les jeunes

à la figure 1 résulte de nos analyses et des commentaires des élèves lors d’une activité
de coanalyse.

Figure 1.     Processus de réflexion des jeunes avant de partager du contenu en ligne

Les jeunes ont également insisté sur le fait que ce processus, qu’ils qualifient de
« naturel », peut changer d’un partage et d’un jeune à un autre.

« Tout ce que je peux faire en anglais je le fais en anglais » : langue(s) et
participation en ligne

Les jeunes ont aussi été invités à préciser quelle(s) langue(s) ils utilisent en ligne.
Selon les répondants, la langue la plus répandue en ligne était l’anglais (n=199), suivi
du français (n=88) et « d’autres langues » (n=18) (voir tableau 2).

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Tableau 2. Langue d’utilisation en ligne des élèves selon la région géographique

                                                Français                  Anglais                   Autre(s)
  Est (n=70)                                  32 (45,7%)                65 (92,9%)                 7 (10,0%)
  Sud (n=50)                                  19 (38,0%)                45 (90,0%)                 7 (14,0%)
  Nord (n=95)                                 37 (38,9%)                89 (93,7%)                 4 (4,2%)
  Total (n=215)                               88 (40,9%)               199 (92,6%)                 18 (8,4%)

Quant aux types d’activités que font les élèves en ligne dans chacune des langues, le
tableau 3 permet d’identifier les trois principales activités par langue.

Tableau 3. Types d’activités en ligne selon la langue d’utilisation

  Français                               Anglais                                Autres langues
  1. Communication (n=28)                1. Communication (n=37)                1. Communication (n=10)
  2. Réseaux sociaux (n=27)              2. École (n=27)                        2. École (n=10)
  3. Tout (n=22)                         3. Réseaux sociaux (n=12)              3. Réseaux sociaux (n=3)

Nous constatons que les activités de communication privée en ligne, telles que
l’échange de courriels et de messages instantanés, se font de façon importante en
français, souvent en anglais et parfois dans d’autres langues. Les élèves précisent
utiliser le français avec leurs parents ou d’autres membres de la famille : « en fran-
çais cest puls pour contacter la famille » (questionnaire, Sud). L’anglais est la langue
privilégiée pour les réseaux sociaux, mais certains indiquent utiliser le français ainsi
que d’autres langues. Certains privilégient l’anglais pour presque tout ce qu’ils font
en ligne (n=22), par exemple en répondant « English for most things » (questionnaire,
Est) ou « Anglais : Tout ce qui n’est pas relié à l’école » (questionnaire, Sud), contraire-
ment aux réponses reçues pour le français ou d’autres langues. Un élève fait écho à
ces propos en expliquant : « tout ce que je peux faire en anglais je le fais en anglais »
(groupe de discussion, Est).

Quant au français, il n’est pas surprenant de le retrouver en mention avec les activités
en ligne liées à l’école. Les élèves privilégient aussi le français et d’autres langues pour
publier en ligne avec des membres de la famille, par exemple : « Je vais dire ‘oh. merci
beaucoup’, ‘bonne fête’ en français » (groupe de discussion, Sud). Un élève choisit le
français s’il voit cette langue affichée ou utilisée par d’autres : « Si le contenu est en
français quand je le vois, si je le partage il va rester en français. Si la personne avec qui
je parle me parle en français, je vais lui répondre en français, mais si la personne parle

VOLUME XLVIII : 1 – Printemps 2020                      154                                             www.acelf.ca
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pour les jeunes

anglais je vais répondre en anglais » (groupe de discussion, Est). La communauté
locale joue également un rôle sur le choix de langue majoritaire ou minoritaire en
ligne, car « tous les genres de messageries avec la famille ça peut être en français, mais
avec les amis, surtout dans la communauté, c’est en anglais quelque chose comme
ça » (groupe de discussion, Est). En outre, de nombreux jeunes précisent que leur fré-
quente utilisation de l’anglais sur les réseaux sociaux est par défaut, puisque la langue
d’affichage fortement répandue sur leurs réseaux est l’anglais. Ainsi, ils publient en
anglais pour être pertinents et pour susciter des « j’aime ». D’autres ajoutent qu’ils
publient en anglais pour ne pas exclure les autres.

« Je ne l’ai pas appris par les enseignants, je l’ai appris plus par les autres » :
la participation en ligne et l’école?

Les jeunes ont été invités à préciser qui, le cas échéant, les appuie dans le développe-
ment de leurs compétences en littératies numériques liées à la participation en ligne
et à indiquer les personnes qu’ils aident à développer ces compétences. Le tableau 4
donne un aperçu du soutien reçu et offert.

Tableau 4. Soutien reçu et offert pour développer ses compétences de participation
           en ligne

                                                                  Soutien reçu                 Soutien offert
  Ami(e)s                                                              62 %                         78 %
  Parent ou tuteur légal                                               30 %                         57 %
  Autre membre de ta famille                                           22 %                         48 %
  Enseignant(e)s                                                       21 %                         32 %
  S.O., « j’apprends tout(e) seul(e) »                                 38 %                           -
  Membre de ta famille plus jeune que toi                                -                          34 %

Nous voulons souligner ici que les jeunes semblent surtout recevoir et offrir du
soutien dans leur cercle d’amis. Quant au rôle du personnel enseignant, seulement
21 % des jeunes déclarent recevoir de l’accompagnement du personnel enseignant à
l’école, alors que 32 % des jeunes trouvent des occasions pour aider leurs enseignants.
Un élève précise : « Je ne l’ai pas appris par les enseignants, je l’ai appris plus par
les autres qui parlent de les médias sociaux » (groupe de discussion, Sud). Selon les
jeunes, à l’école on aborde notamment comment se protéger en ligne et ce qu’il ne
faut pas faire, par exemple : « Oui. Chaque année les policiers viennent, ils nous disent
que Facebook existe, poste pas toute ta vie, envoie pas des photos nues » (groupe de
discussion, Est). Les jeunes révèlent tout de même que leur participation en ligne
est parfois liée à leurs devoirs, par exemple dans le cadre d’un projet scolaire « où on

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

fait un compte de Instagram ou Twitter pour des personnages d’histoire » (groupe de
discussion, Est). Pourtant, dans ce cas, les jeunes ont ajouté que l’enseignant a tenu
pour acquis qu’ils savaient utiliser les réseaux sociaux et n’a pas abordé comment se
protéger, publier ou comment (bien) dialoguer en ligne. Lorsqu’on leur a demandé si
les élèves devraient en apprendre davantage sur la participation en ligne à l’école, la
majorité a convenu des bénéfices. Par exemple, un élève dévoile qu’il s’inquiète pour
ses frères et sœurs qui se branchent sur les réseaux sociaux « comme déjà à l’âge de
huit ans », en ajoutant « ce serait bien qu’on puisse en parler dans les écoles pour que
nous on soit plus informés, qu’on puisse les informer » (groupe de discussion, Est).
Pourtant, un élève hésite à « mêler » le personnel et l’école :
      à mon avis ça devrait être seulement les choses qui concernent l’école. Les
      médias sociaux et les dangers. Le reste, c’est vraiment personnel et l’école
      ne devrait pas se mêler à ta vie personnelle et à l’identité sociale d’une per-
      sonne. (groupe de discussion, Est)

Cet élève nous rappelle l’importance de tenir compte des perspectives des jeunes et
de mieux comprendre pourquoi certains hésitent à ce que l’école se « mêle » de leur
« identité sociale », qu’ils associent intimement à leur participation en ligne.

DISCUSSION

Les réponses de 215 élèves au questionnaire et les discussions avec 71 élèves nous
éclairent sur leur participation en ligne et offrent des pistes de réflexion et d’action
pour encourager les élèves d’écoles de langue française en milieu minoritaire à
développer et à mettre à profit leurs compétences en littératies numériques afin de
redéfinir la francophonie à leur façon. Les jeunes disent développer des compétences
liées à la participation en ligne, variées et complexes (Chung, Bond Gill et O’Byrne,
2017; Lankshear et Knobel, 2008; Leu et al., 2019) et avoir un haut niveau de confiance
pour prévoir les conséquences de leurs actions en ligne et y réagir, ainsi qu’à partager
avec un public restreint (tableau 1). Leur sentiment de confiance semble lié à leur uti-
lisation fréquente des réseaux sociaux avec un public restreint et les messages qu’ils
reçoivent à l’école, entre amis et en ligne, quant à la sécurité en ligne. En revanche, ils
ont le sentiment d’éprouver une grande difficulté à s’intégrer dans une communauté
en ligne (seulement 40,3 % se disant très ou extrêmement à l’aise) et à participer avec
un public plus large sur Internet (42,3% très ou extrêmement à l’aise).

En analysant la participation en ligne des jeunes selon une perspective sociocultu-
relle (Collin et Brotcorne, 2019; Lankshear et Knobel, 2008; Pangrazio, 2019), cette
situation nous paraît problématique en contexte minoritaire puisque les jeunes
trouvent difficilement des espaces et des communautés en ligne où ils peuvent – et
conséquemment veulent – participer en français. Selon eux, leur utilisation fréquente
des réseaux sociaux se fait presque entièrement en anglais alors que le français est
souvent limité aux conversations et aux espaces privés (tableau 3). Cela limite les

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

possibilités d’apprendre des communautés francophones en ligne à partir d’expé-
riences authentiques qui faciliteraient à la fois le développement de leurs compé-
tences et leur intégration à ces groupes. Un jeune de l’Est explique lors du groupe
de discussion que, pour lui, « avec les amis, surtout dans la communauté, c’est en
anglais quelque chose comme ça ». Les propos des jeunes dévoilent que leur commu-
nauté actuelle en ligne représente un contexte où le français est minoré, en matière
de statut social, et minorisé, car les interactions possibles dans la vie quotidienne
diminuent (Blanchet, 2002, p. 96). Ils disent privilégier l’anglais par souci d’inclusion
de leurs amis anglophones, pour recevoir l’approbation, les « j’aime » et pour main-
tenir le statu quo de réseaux anglodominants. Par ailleurs, 62 % des jeunes disent
apprendre comment participer en ligne de leurs pairs (tableau 4). Il semble ainsi que,
lorsque les « j’aime » et l’approbation sont plus élevés pour le contenu en anglais dans
leurs cercles d’amis en ligne, cela renforce l’importance de participer dans la langue
majoritaire en ligne. Rappelons qu’un élève de l’Est a tout de même insisté que « si le
contenu est en français quand je le vois, si je le partage il va rester en français. Si la
personne avec qui je parle me parle en français, je vais lui répondre en français. » Qui
plus est, l’étude de la FCE conclut que 76,6 % des jeunes communiquent « souvent »
ou « toujours » en ligne avec des élèves de leurs écoles de langue française (2011,
p. 18). Les conditions semblent donc favorables pour 1) des activités pédagogiques
centrées sur les compétences en littératies numériques pour encourager les jeunes à
créer, à partager et à s’intégrer dans diverses communautés en ligne de façon sécu-
ritaire et 2) des discussions critiques pour aborder plus précisément comment et
pourquoi participer en ligne en français.

Néanmoins, les jeunes des trois écoles soutiennent qu’ils apprennent peu à l’école
sur comment participer en ligne, avec seulement 21 % des élèves indiquant qu’ils
reçoivent du soutien de la part du personnel enseignant pour développer ces com-
pétences numériques (tableau 4). Ils apprennent tout seuls ou entre eux, ce que
confirment d’autres (boyd, 2007; Lardellier, 2016). En fait, ces jeunes affirment possé-
der un bagage de connaissances riche en littératies numériques lié à la participation
en ligne (Chung, Bond Gill et O’Byrne, 2017; Lankshear et Knobel, 2008; Leu et al.,
2019), non seulement en matière de quantité (tableau 1), mais aussi de qualité. Nous
le remarquons dans la complexité du processus de réflexion, qui inclut considérer
l’approbation, le public, les conséquences et le contenu de leurs partages, que ces
jeunes disent mettre en place de façon « naturelle » avant de partager du contenu
en ligne (figure 1). C’est au moyen de ces considérations multiples que les jeunes
choisissent les contenus et facettes de leur identité qu’ils veulent partager, mettre
en valeur ou masquer lorsqu’ils participent en ligne (Weinstein, 2014). Pourtant, la
langue est visiblement absente de cette liste. À cela s’ajoute que seulement 40,9 %
des jeunes indiquent utiliser le français en ligne. La question devient alors à savoir
comment accompagner les jeunes à trouver des occasions de participation associées
à leurs identités bilingue ou plurilingue (Cotnam-Kappel, 2014a; Gérin-Lajoie, 2012),
lesquelles leur permettraient de s’engager dans une communauté francophone qu’ils
(re)définissent en temps réel à partir de leurs voix, cultures et intérêts.

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La participation en ligne en Ontario français : pistes de réflexion et d’action pour redéfinir la francophonie avec et
pour les jeunes

À vrai dire, nous considérons que la participation en français dans divers espaces
en ligne pourrait représenter une forme d’engagement civique différenciée (Gaudet,
2018) propre à la communauté linguistique minoritaire. Similairement aux cadres de
compétences numériques québécois et européens qui placent la citoyenneté au cœur
de leur conception de participation en ligne (Commission européenne, 2017; MÉES,
2019), nous reconnaissons l’importance de considérer les implications des pratiques
de littératies numériques sur le développement des jeunes à titre de citoyens numé-
riques. L’école de langue française aurait ainsi un rôle à jouer pour amener les élèves
à reconnaître en quoi leurs activités en ligne telles « j’aimer », partager, commenter,
et créer des contenus peuvent représenter une forme d’engagement signifiante pour
ses jeunes envers une cause ou une communauté (Weinstein, 2014; James, Gruner,
Lee et Mullen, 2016). Nous reconnaissons que le choix des jeunes de notre étude en
contexte linguistique minoritaire de créer, aimer ou partager du contenu en français
n’est pas automatique. La pénurie d’espaces et de contenus conçus par et pour les
francophones en contexte minoritaire (Chaput et Champagne, 2012; Gilbert et al.,
2004), créant non seulement un défi pour le personnel enseignant et les jeunes, mais
des inégalités numériques entre groupes majoritaires et minoritaires (Howard et al.,
2010; Hadziristic, 2017, UNICEF, 2017), peut rendre ce choix encore plus difficile. Pour
toutes ces raisons, nous insistons sur la nécessité de partir des voix des jeunes afin de
leur permettre de découvrir des façons de s’engager envers la francophonie et la com-
munauté francophone qui se redéfinit perpétuellement tant en ligne que hors ligne.

CONCLUSION

Les jeunes de la présente étude sont conscients de la complexité de leur utilisation
des réseaux sociaux, sans pour autant réfléchir aux implications de certains choix
qu’ils font quotidiennement, notamment la langue employée en ligne. Ils éprouvent
de la difficulté à s’intégrer à des communautés en ligne et à trouver des occasions
pour partager en français sur les réseaux sociaux. Nous proposons ainsi que les
membres du personnel enseignant et les jeunes échangent sur cette thématique et
collaborent pour créer des contenus locaux pour développer leurs communautés et
compétences en littératies numériques en ligne. Nous considérons également que les
choix quotidiens de participer en ligne, au moyen d’un partage, d’un commentaire
ou de la création de contenu en français, peut représenter une forme d’engagement
envers la francophonie à encourager plutôt qu’à ignorer en contexte scolaire. Nous
insistons également sur l’urgence du développement de politiques et de curriculums
qui touchent les littératies numériques et la participation en ligne, en particulier pour
les écoles de langue française.

Nous encourageons les futures recherches à explorer la participation et l’utilisation
des langues en ligne des jeunes au moyen de multiples sources de données addi-
tionnelles, telles l’analyse des pages et des messages des réseaux sociaux, l’entretien
individuel, le journal de bord et l’enregistrement ou la capture d’écran lors d’activités

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