La pierre mystérieuse - Chen Jiatong - Numilog

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La pierre mystérieuse - Chen Jiatong - Numilog
Chen Jiatong

la pierre mystérieuse
La Quête du Renard Blanc
Casterman
Cantersteen 47, boîte 4
1000 Bruxelles
Belgique

www.casterman.com

Texte original © Chen Jiatong 2014
Première édition publiée en Chine par People’s Literature Publishing
House, sous le titre : Dilah and the Moonstone
Actuellement publiée par Jieli Publishing House

Traduction anglaise publiée en Grande-Bretagne par Chicken House,
sous le titre : White Fox
Jennifer Feeley © Chicken House 2019

ISBN : 978‑2-203‑22835‑
N° d’édition : L.10EJDN002356.N001

© Casterman 2021 pour la présente édition

Composition et mise en pages
Nord Compo à Villeneuve-d’Ascq

Achevé d’imprimer en décembre 2020, en Espagne, par Liberdúplex,
(Carretera BV-2249 Km. 7,4, Polígono Industrial Torrentfondo,
08791 Sant Llorenç d’Hortons, Barcelone).
Dépôt légal : janvier 2021 ; D.2021/0053/43
Déposé au ministère de la Justice, Paris (loi n°49.956 du 16 juillet 1949
sur les publications destinées à la jeunesse).

Tous droits réservés pour tous pays.
Il est strictement interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de
reproduire (notamment par photocopie ou numérisation) partiellement
ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de
données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et
de quelque manière que ce soit.
Chen Jiatong

  L A QUêTE            du

RENARD BLANN
   la pierre mystérieuse
                       e

      Traduit de l’anglais
      par Nathalie Serval
1

        La légende d’Ulla

Tout au nord, près du pôle, la nuit est paisible et
silencieuse. Soudain, une lueur bleutée surgit à l’hori-
zon et se déploie tel un voile chatoyant sur le velours
noir du ciel piqué d’étoiles. Les collines et la plaine
glacées s’éveillent, la caresse d’une brise légère sou-
lève des gerbes de cristaux scintillants.
  Sous la neige épaisse, une petite voix jaillit d’un
terrier profond dans l’obscurité :
  – Maman !

                                                       5
– Oui, mon chéri ?
    – Je n’ai plus sommeil.
    Maman sourit d’un air attendri.
    – C’est parce que tu as dormi trop longtemps cet
après-midi. Je t’avais prévenu.
    – Dis, tu veux bien me raconter l’histoire de Merla ?
    – Encore ?
    – S’il te plaît…
    – D’accord, soupire Maman. Il y a plus de mille
ans, Merla régnait par sa sagesse sur notre peuple. On
prétend qu’elle avait une fourrure d’un roux ardent,
ce qui est très rare pour une renarde polaire…
    Le héros de ce roman s’appelle Dilah. Blotti contre
sa mère, qui l’entoure de sa queue, il enfouit son
museau dans son cou pour l’écouter. À cet instant,
il n’existe pas de renardeau plus heureux au monde.

Dilah et sa famille vivent près du cercle polaire, dans
un terrier douillet tapissé d’herbes sèches. Il n’était
pas encore né quand son frère Alzace, à l’âge de un
an, est parti rejoindre une bande de jeunes. À cinq

6
mois, Dilah mène une existence insouciante grâce à
l’amour exclusif de ses parents. Durant la journée,
il supplie son père de le promener sur son dos ; le
soir, il ne s’endort pas tant que sa mère ne lui a pas
raconté une histoire.
  La famille a déménagé plusieurs fois. Bien qu’elle
évite tout contact avec d’autres animaux, des renards
blancs finissent toujours par apparaître où qu’elle
aille. Papa éloigne alors Dilah afin de leur parler en
privé. C’est ainsi que le renardeau grandit sans le
moindre ami.
  À l’extrémité de la plaine s’étend une petite ville
coupée du reste du monde, Lapula. Dans le quartier
nord, on trouve une maison au toit recouvert d’une
épaisse couche de neige, dont la cheminée crache de
la fumée. Une camionnette noire est garée dans l’allée
récemment déblayée.
  Dilah vient souvent rôder autour de cette maison, il
s’approche de plus en plus. Ce matin, comme chaque
jour, il regarde l’homme démarrer la camionnette
et l’arrêter devant le portail en laissant le moteur

                                                     7
tourner. Il avance vers la barrière et aperçoit par la
fenêtre deux enfants qui dévalent un escalier. Son
ouïe affûtée perçoit les craquements des marches à
travers le mur.
    – Bella, tu as mis ton bonnet à l’envers ! crie une
jeune femme blonde aux cheveux bouclés en ouvrant
la porte. Et toi, Peter, tu as encore entortillé ton
écharpe. Ne compte pas sur moi pour t’en tricoter
une neuve l’hiver prochain ! Allez, dépêchez-vous !
    Le petit garçon, vêtu d’un anorak aux couleurs
vives, a remonté son écharpe jaune devant sa bouche.
Sa sœur, enveloppée dans un manteau rose et coif-
fée d’un bonnet blanc avec un énorme pompon, res-
semble à un bonhomme de neige avec un cartable
sur le dos.
    Le père de Dilah l’a mis en garde contre les humains,
mais sa curiosité est plus forte que tout. Il ne peut
détacher les yeux de la maison qui crache un nuage
de fumée, de la camionnette dont le moteur gronde,
des vêtements colorés des enfants. Quel spectacle
fascinant !

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L’homme baisse sa vitre et lance :
  – En voiture !
  – Essaie d’être plus attentif en classe, Peter, recom-
mande la mère. Ton instituteur s’est plaint que tu
étais dissipé.
  – Oui, maman, marmonne le petit garçon.
  – Viens vite, Peter ! le presse sa sœur. Oh ! Là-bas !
  Son frère regarde dans la direction qu’elle indique,
par-delà la barrière.
  – Ouah ! s’exclame-t‑il.
  Dilah reste immobile, le cœur battant à cent
à l’heure. Des yeux noirs perçants, des oreilles rondes,
une longue queue touffue, une fourrure d’un blanc
si pur qu’elle se confond presque avec la neige : on
dirait une créature surnaturelle tout droit sortie du
paysage.
  – Comme il est beau ! s’extasie la femme.
  L’homme tend le cou par la portière pour aperce-
voir Dilah, le froid rougit son visage.
  – Un renard polaire, commente-t‑il. C’est rare d’en
voir un d’aussi près.

                                                       9
Bella agite la main pour saluer Dilah tandis que
Peter siffle. Le renardeau, intrigué, penche la tête
de côté.
     – Montez vite ! ordonne la mère des enfants en
jetant un coup d’œil à sa montre. Si ça continue, vous
allez être en retard à l’école.
     – Mais, maman…, gémit Bella.
     – Notre petit ami reviendra peut-être.
     La femme soulève la fillette dans ses bras et
­l’embrasse, puis elle plaque un baiser sur le front de
son frère, qui tente de se dérober.
     Bella saute à bord et agite de nouveau la main en
direction de Dilah. Peter se hisse sur la banquette
près d’elle.
     – À ce soir, mes chéris ! lance leur mère en resser-
rant son manteau.
     – À ce soir, maman !
     La camionnette démarre, et le bruit de son moteur
décroît peu à peu tandis qu’elle s’éloigne. La femme la
suit un moment du regard, puis, se rappelant la pré-
sence du renardeau, elle fait volte-face. Il a disparu,

10
ne laissant dans la neige qu’une traînée d’empreintes
en forme de trèfles.
  À partir de ce jour, les visites de Dilah deviennent
plus régulières. La maison l’attire comme une fleur
attire les abeilles. Sans en parler à ses parents, il s’en
approche discrètement afin d’observer la famille.
Parfois, les enfants l’aperçoivent. Bella, très excitée,
appelle alors leur mère pour qu’elle le voie aussi.
Peter, lui, s’avance jusqu’à la barrière sur la pointe
des pieds et tend une main amicale vers le renar-
deau. Quand il fait très froid, ils tentent de l’habiller
avec leurs bonnets et leurs écharpes, mais Dilah, qui
a retenu les leçons de son père, garde ses distances.
  Dilah pense sans arrêt à la famille. Il aimerait tant
que ses parents et lui soient humains ! Ils habite-
raient une maison qui cracherait de la fumée, ils pos-
séderaient une camionnette dont le moteur rugirait et
porteraient des vêtements aux couleurs vives. Quelle
vie passionnante ils auraient ! Surtout, ils ne seraient
pas obligés de déménager aussi souvent : les hommes
sont les maîtres de l’univers. Ils n’ont peur de rien.

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Ce jour-là, au crépuscule, l’horizon s’embrase et
répand une clarté pourpre sur la plaine enneigée.
Assis contre la barrière du jardin, Dilah observe,
fasciné, les mouvements à l’intérieur de la maison.
C’est seulement quand les rideaux se ferment qu’il
comprend à quel point il est tard.
     Il se dépêche de regagner le terrier, mais celui-ci
est vide. Ses parents doivent être partis chasser. Dilah
se blottit dans l’entrée afin de les attendre, l’estomac
grondant de faim.
     Peu à peu, la nuit étend ses ailes noires sur le
monde, le ciel se remplit d’étoiles scintillantes. Papa
et Maman ne sont toujours pas rentrés. Sans doute
ont-ils eu du mal à capturer des proies aujourd’hui.
Dilah commence à s’inquiéter quand il entend une
respiration sifflante et distingue une silhouette dans
la pénombre. Quelqu’un vient ! Il bondit hors du
terrier afin d’accueillir ses parents, mais ce qu’il va
découvrir le hantera longtemps.
     Sa mère se traîne vers lui, le flanc zébré de sang.

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– Maman, tu vas bien ? demande Dilah. Papa n’est
pas avec toi ?
  – Ton père…
  – Qu’est-ce qui lui est arrivé ?
  La mère du renardeau rampe à l’intérieur du ter-
rier et se laisse tomber sur le lit d’herbes sèches. Son
corps est pris de violents tremblements.
  Les yeux de Dilah s’emplissent de larmes. Même
s’il craint le pire, il se raccroche à l’espoir de se
tromper.
  – Nous avons rencontré un homme, souffle enfin
Maman.
  Dilah relève brusquement la tête.
  – Un homme ?
  – Oui. Un chasseur.
  Un souffle d’air glacé pénètre dans le terrier. Dilah
frissonne. Un chasseur… Ce mot laisse une cicatrice
sur son cœur.
  – Nous cherchions de la nourriture au bord de
l’eau, explique Maman. Qui aurait pu imaginer qu’un
chasseur rôderait à cet endroit ? Il…

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Elle s’interrompt, la gorge nouée, et reprend d’une
voix hachée :
     – Il a pointé son fusil vers nous. Nous nous sommes
enfuis, mais ton père… La première balle l’a atteint.
La deuxième était pour moi.
     – Quand est-ce que Papa va revenir ? l’interroge
Dilah, apeuré.
     Maman ne répond pas. Le désespoir envahit Dilah.
Son père est mort ! Il n’est plus là pour le protéger,
lui apprendre à chasser ou le promener sur son dos.
     Le vent pousse des plaintes lugubres et des flocons
tourbillonnent dans l’air. Le blizzard approche.
     – Dilah, mon chéri, je n’ai plus beaucoup de temps…
     – Non, Maman ! Tu vas guérir.
     – Je suis comme la neige dehors : quand le soleil
se lèvera, je n’existerai plus.
     – Ne dis pas ça !
     Retenant ses larmes, le petit renard pousse sa mère
du museau.
     – Dilah, connais-tu la différence entre les hommes
et les animaux ?

14
– Maman, je…
  – Les premiers sont les maîtres du monde. Ils
agissent à leur guise et jouissent d’immenses privilèges.
Les seconds, en revanche, endurent toutes sortes de
maux. Dans la nature, les plus faibles se font dévorer
par plus fort, plus cruel et plus dangereux qu’eux. Nous
vivons dans la peur, et notre sort dépend des hommes.
  Dilah pense à la famille qu’il observe depuis plu-
sieurs semaines. Ils ont l’air si gentils, si amicaux…
Pourtant, un de leurs semblables a tué son père et
blessé sa mère.
  Celle-ci ajoute, pesant chaque mot pour qu’il se
grave dans la mémoire de son enfant :
  – Tu dois savoir une chose : il y a un moyen de
changer ton destin. La légende prétend qu’Ulla, le
saint patron des renards polaires, aurait créé un tré-
sor unique, imprégné d’une magie si puissante qu’elle
peut transformer les animaux en hommes.
  Elle prend une profonde inspiration et regarde
attentivement Dilah.
  – Aimerais-tu devenir un homme, mon chéri ?

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Dilah chasse de son esprit l’image de la maison et
de ses occupants. Comme il regrette d’avoir négligé
sa propre famille pour eux !
     – Ce que je souhaite, c’est que tu ailles mieux,
affirme-t‑il.
     – Je t’ai vu surveiller cette maison, en bordure
de la ville. Oui, ajoute-t‑elle devant l’air surpris du
renardeau. Ton père et moi savions. Tu n’as pas
à avoir honte : tous les animaux rêvent d’être des
hommes. Tu ne dois pas les détester à cause de ce
chasseur. Certains sont bons, d’autres mauvais. Tu
apprendras à les distinguer.
     Dilah acquiesce, la gorge serrée, tandis que sa mère
poursuit avec difficulté :
     – Au fond de notre terrier, tu trouveras une chose
qui te conduira au trésor d’Ulla. Mais sois très pru-
dent : personne ne doit la voir, et surtout pas d’autres
renards ! Veille sur elle comme si ta vie en dépendait.
Et n’oublie pas : dans les situations désespérées, tu
peux prier Ulla de t’accorder son aide.
     – Je m’en souviendrai.

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– Promets-moi de prendre soin de toi. Je t’aimerai
toujours, mon chéri. Maintenant, je suis fatiguée. Je
voudrais me reposer.
  – S’il te plaît, ne t’endors pas, la supplie Dilah.
Raconte-moi une histoire.
  – Une dernière, alors. Une que tu n’as encore
jamais entendue. Elle parle de deux de nos plus
grands héros : Tempête et Blizzard.
  Maman sourit et enchaîne d’une voix faible :
  – Il y a quelques années de cela, une querelle
de territoire éclata entre notre chef, le patriarche
Nicholas, et les renards bleus. Ces derniers étaient
sur le point de remporter la victoire quand deux des
nôtres, des frères, proposèrent de créer une diver-
sion. À eux seuls, ils vainquirent une douzaine de
guerriers pendant que Nicholas dirigeait l’offensive
contre le camp adverse et gagnait la bataille finale
sans perdre un combattant. Le récit de l’exploit des
deux frères se répandit à travers le continent. Les
renards bleus, frappés d’épouvante et d’admiration,
les surnommèrent Tempête et Blizzard…

                                                   17
Maman respire de plus en plus mal, pourtant son
expression est sereine.
     – Ces deux noms remplissaient leurs ennemis
­d’effroi, surtout celui de Blizzard. Il était si fort,
brave, calme… Jamais je n’oublierai… son sourire.
     Ses paupières s’abaissent sur ses yeux scintillants
de larmes.
     – Ne t’endors pas ! la supplie Dilah. Reste avec moi !
     Il la pousse encore du museau, mais elle ne réagit pas.
     À peine quelques heures plus tôt, Dilah était le
renardeau le plus heureux du monde, et le voici
orphelin. Sa mère est partie. Plus jamais elle ne
jouera avec lui, ne lui racontera des histoires ni ne
l’entourera de sa queue avant de l’embrasser. Rien
ne pourra remplir le vide qu’elle laisse dans sa vie.
Que va-t‑il devenir sans elle ? Blotti contre son flanc,
il sanglote jusqu’à tomber de fatigue.

     – Maman, réveille-toi !
     Dilah touche sa mère de sa petite patte. Elle
ne bouge pas, et son corps est glacé. Sa vision

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se brouille. Il ne voulait pas le croire, mais elle
est vraiment morte. Il passe la matinée à creuser
sa tombe, en regrettant de ne pouvoir ensevelir son
père à côté d’elle.
  Puis il se traîne à l’abri, épuisé, et repense au secret
qu’elle lui a confié : « Au fond de notre terrier, tu
trouveras une chose qui te conduira au trésor d’Ulla. »
En cherchant bien, il finit par tomber sur un objet dur
enveloppé dans du cuir jauni. C’est le seul souvenir
que sa mère lui a laissé. Quoique intrigué, il n’a pas
envie de le déballer tout de suite.
  Il promène son regard autour de la minuscule
tanière qu’il a partagée avec ses parents. La veille
encore, il s’y sentait en sécurité, mais à présent il n’a
plus rien à y faire.
  Il saisit alors le mystérieux paquet dans ses mâchoires,
bondit hors du terrier et fuit sans se retourner.

La tempête fait rage. Sous un ciel d’un noir d’encre,
le vent fouette la plaine sans relâche. Une frêle sil-
houette blanche file comme une flèche à travers les

                                                        19
bourrasques. Dilah, le souffle court, serre le paquet
dans sa gueule et s’efforce d’oublier son chagrin.
     Il ralentit enfin et se secoue pour faire tomber la
neige de sa fourrure. Maman lui a promis que ­l’objet
le guiderait vers le trésor d’Ulla. Pourtant, il n’a pas
l’impression qu’il l’entraîne dans une direction pré-
cise. En levant les yeux, il lui semble apercevoir le
sourire tendre de sa mère dans la brume. Rassuré, il
se remet à courir jusqu’à perdre la notion du temps.
     Au bout d’un moment, le renardeau atteint un canyon
qui barre le paysage comme une cicatrice. Il connaît cet
endroit. Il y est venu une fois avec son père, qui l’avait
averti de ne jamais y retourner seul. Quelle importance,
maintenant ? Papa est mort, et plus personne ne se
soucie de son sort. Au fond du ravin, la mer se fracasse
contre les rochers. Il s’avance au bord et regarde au
loin. Pas le moindre signe de vie. Le vent a sculpté des
formes fantastiques dans la glace. Le cœur lourd, il se
résigne à longer le vide en luttant contre le blizzard.
     Les nuages sont de plus en plus sombres et épais.
Soudain, Dilah distingue un mouvement à travers la

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neige. Il s’immobilise, les sens en alerte. Une douzaine
de renards surgissent de la tempête et le repoussent
vers le précipice, lui coupant toute retraite. Un mâle
à la fourrure bleu pâle, avec une balafre à l’œil droit,
se détache du groupe. Il paraît presque translucide,
comme une statue de glace.
  – Tu dois être Dilah, gronde-t‑il sur un ton plein
d’arrogance.
  – Qui… qui êtes-vous ? bredouille le renardeau,
effrayé.
  Le paquet qu’il serre toujours dans sa gueule étouffe
sa voix.
  – Je suis Jens, le patriarche des renards polaires,
répond l’autre. La chose que tu transportes… je sup-
pose qu’il s’agit de la pierre de lune ? Carl, mon vieil
ami, on dirait que tu avais raison !
  La pierre de lune ? C’est donc ça que contient le
paquet ? songe Dilah. Comment une pierre pourrait-
elle le guider vers le trésor d’Ulla ?
  – Bien sûr que j’avais raison ! J’étais là quand le
Gris l’a donnée à Blizzard.

                                                      21
Le mâle blanc qui vient de parler – Carl – s’avance
au niveau de Jens. Il est grand et élancé, avec des yeux
jaunes au regard sournois, et il boite d’une patte arrière.
     Un frisson parcourt Dilah.
     – Qu’est-ce que vous me voulez ? demande-t‑il.
     Jens s’approche lentement de lui.
     – Pauvre petit, soupire-t‑il. Seul, tu n’as aucune
chance de survivre dans cette nature sauvage. Cette
pierre ne te servira à rien. Donne-la-moi. En échange,
je t’offre nourriture, chaleur et sécurité.
     Dilah resserre ses dents sur le paquet et observe les
visages hostiles qui lui font face à travers le rideau
de neige. En dépit des paroles rassurantes de Jens, il
doute de trouver la sécurité auprès de lui. En plus, sa
mère lui a confié la pierre de lune avant de mourir.
Cette pensée ranime son courage.
     – Pas question ! grogne-t‑il, résolu à combattre.
Laissez-moi tranquille !
     – Tu as peur, je le sens, reprend Jens. Pourtant,
tu n’as rien à craindre. Personne ne te fera de mal.
Tu as ma parole.

22
Les renards font un pas vers Dilah, qui recule vers
le précipice.
  Si je meurs, pense-t‑il, au moins, je retrouverai mes
parents.
  – Assez discuté, aboie Carl. Prends-lui la pierre, Jens.
  – Non ! proteste Dilah. Ce paquet est tout ce que
m’a laissé ma mère. Jamais je ne vous le donnerai !
  Jens rugit alors si fort que Dilah en a le souffle
coupé. Le cercle se resserre un peu plus autour de lui.
  – Si tu tombes de cette hauteur, tu mourras, le pré-
vient le patriarche. Mais je ne te crois pas capable de
sauter. Aussi, je te laisse une dernière chance. Donne-
moi cette pierre, ou Carl et le reste de ma troupe te
tailleront en pièces !
  Les autres montrent les crocs et continuent
d’approcher.
  Dilah recule encore, manquant perdre l’équilibre.
Il regarde derrière lui et le vertige le saisit.
  Soudain, une tornade blanche fond sur lui. Sans
réfléchir, il ferme les yeux et saute dans le vide, ser-
rant toujours la pierre dans sa gueule. Les mâchoires

                                                        23
de Carl claquent à quelques centimètres de sa gorge,
lui arrachant une touffe de poils, mais il lui échappe
et tombe dans l’abîme au milieu d’un tourbillon
de flocons. Les cris de surprise des renards bleus
­s’estompent peu à peu tandis qu’un vent cinglant
transperce sa fourrure.
2

         La pierre de lune

Dilah reprend connaissance sur un sol dur et froid. Il
ouvre les yeux et les referme aussitôt, ébloui par le
jour aveuglant. Le fracas de la mer emplit ses oreilles.
  Je suis vivant ! pense-t-il.
  Les renards bleus, la tornade blanche, les crocs qui
visent sa gorge, sa chute interminable… Il a l’impres-
sion de sortir d’un long cauchemar.
  La tempête s’est calmée et le ciel est dégagé. Des
icebergs scintillants flottent au large du rivage fouetté

                                                       25
par les vagues. Une brise salée souffle des embruns
dans la direction de Dilah. Depuis quand est-il là,
étendu sur ce rocher plat ?
     – Enfin, tu te réveilles !
     Une tête ronde vient de surgir de l’eau. Dilah, sur-
pris, sursaute et se cogne à celle-ci. Un cri de douleur
retentit. Tout se met à tourner autour du renardeau.
Quand son vertige est passé, il distingue une étrange
créature trapue, au pelage velouté, aux grands yeux
humides : un phoque !
     – Ouille ! marmonne le nouveau venu en se frottant
le crâne. Tu m’as fait mal ! Quand je pense que j’ai
failli mourir pour te sortir de la mer…
     – C’est toi qui m’as sauvé ?
     – Bien sûr ! À ton avis, comment es-tu arrivé sur ce
rocher ? Et pour me remercier tu tentes de m’assommer !
     – Pardon ! s’écrie le renardeau, confus. Je suis
vraiment désolé !
     Le phoque plisse les paupières et se met à souffler
à grand bruit. Dilah s’interroge : le coup qu’il a pris
sur le crâne lui aurait-il fait perdre la raison ?

26
– Euh… Est-ce que ça va ? demande-t‑il.
  Le phoque souffle de plus belle, et des larmes
coulent de ses yeux. Dilah, stupéfait, comprend alors
qu’il rit.
  – Ah ! ah ! Je t’ai eu !
  – Tu trouves ça drôle ? grogne Dilah, à la fois agacé
et soulagé. Je me suis inquiété ! Mais je suis content
de savoir que tu n’as rien. Comment m’as-tu sorti
de l’eau ?
  – Je cherchais des poissons quand j’ai vu
quelque chose tomber du ciel. Puis j’ai entendu un
grand plouf, et une vague a failli me submerger.
Ensuite, je t’ai attrapé par le cou et t’ai tiré sur le
rivage.
  Dilah s’ébroue et examine les environs. La falaise
d’où il a sauté se dresse au-dessus de lui, recouverte
de neige et de glace. Il a eu de la chance que le vent
l’éloigne de la paroi et le pousse vers le large pendant
sa chute.
  – Au fait, ajoute le phoque, mon nom est Colbert,
mais tu peux m’appeler Coco. Comme j’aime faire des

                                                      27
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