LA DEPRESSION D'ORIGINE ORALE - GUY TONELLA, 2006 Publié dans

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LA DEPRESSION D’ORIGINE ORALE

                            © GUY TONELLA, 2006

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                                   (2006) « Die Orale Depression »
Marlock G., Weiss H. (Eds), Handbuch der körperpsychotherapie, Stuttgart, New York, Schattauer, 768-775
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La dépression d'origine orale caractérise une structure de personnalité carencée en amour maternel et dont
les besoins oraux ont été insatisfaits : sucer, téter, être regardé, être tenu dans les bras, éprouver la chaleur
du corps maternel, ressentir l’amour maternel inconditionnel, constant et dépourvu d’anxiété, faire
l’expérience du plaisir partagé lors de jeux et d’interactions tactiles, visuelles, sonores, motrices …
Cette carence constitue pour le bébé une expérience de privation, de séparation ou de perte prématurée du
lien maternel. La dynamique du Soi en sera profondément affectée, au niveau métabolique de la production
énergétique, au niveau de la transmission de l’excitation, de l’activation fonctionnelle et de l’action elle
même. La dépression concernera tous les fonctions du continuum psychocorporel : énergétique, tonique,
sensorielle, émotionnelle et représentative, quelque soit la manière dont le sujet évoluera : dans la
mélancolie, la psychose maniaco-dépressive, les névroses dépressives ou les dépressions réactionnelles.

L’ETIOLOGIE DU PROCESSUS DEPRESSIF

La psychanalyse proposa la première une compréhension énergétique, affective et psychologique de la
dépression. K. Abraham (1912) étudiant les pathologies maniaco-dépressives fait l’hypothèse que le
nourrisson, face à la frustration maternelle qu'il ressent comme perte de l'amour maternel, éprouve une
forte hostilité à l'égard de sa mère. Mais il la réprime et, plus tard adulte, « privé de cette énergie »
agressive, développe des réactions dépressives.
Des observations ultérieures directes d’enfants déprimés confirmeront cette hypothèse. R. Spitz (1945)
observe des bébés de six mois qui, séparés de leur mère incarcérée, commencent à pleurer, puis à hurler
(expression agressive). Au bout de trois mois de séparation, sans réponses, ils se replient graduellement sur
eux-mêmes, avec une rigidité faciale, une plainte monotone, puis un état léthargique. Ils n'ont pas supporté
la perte du contact physique avec la mère et ont développé une "dépression anaclitique". J. Bowlby (1961)
observe des enfants de six à trente mois également séparés de leur mère. Lorsque celle-ci se prolonge,
l'enfant développe une réaction dépressive caractérisée par le détachement, l'absence de réponse, l'apathie.

T. B. Brazelton (1981) et D. Stern (1985) ont montré que l’interaction mère-bébé est source d’activation
indispensable pour le bébé : elle est source d’excitation vitale corporelle et motrice, stimulant sa
respiration, provoquant des variations sensori-émotionnelles, et constituant la base de son identité d’être.
En l’absence de ces contacts corporels suffisants et constants avec le corps maternel, d’échanges
pourvoyeurs de patterns d’attachement et d’interaction avec sa mère, l’enfant est privé de stimulation,
d’expérience de variations sensorielles, toniques et émotionnelles : il perd progressivement le contact avec
son propre corps et avec l’environnement. Il perd sa vitalité. Il entre dans un processus de dépression
infantile qui se marque à tous les niveaux d’intégration du Self : énergétique, sensoriel, tonique,
émotionnel, représentatif. Ceci vaut pour l’enfant comme pour l’adulte.

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LA QUETE DE L’ILLUSION

L’adulte dépressif est en perpétuelle attente inconsciente de satisfaction de ses besoins d'amour et de
confirmation non satisfaits durant l’enfance et vit une profonde insécurité intérieure. Il est exalté lorsqu'il
imagine qu’il est capable d’obtenir la satisfaction de ces besoins ; il est déçu et déprimé lorsqu'il se rend compte
qu'il ne les obtient pas inconditionnellement de l’autre, comme si cet autre était encore aujourd’hui cette « bonne
mère » attendue. A l’illusion déçue succède l’effondrement : le sujet tombe dans la dépression et perd tout
espoir. Il développe une sensation d'être "rien du tout" et de n'avoir aucune valeur.
La quête de l'illusion cache ce besoin de confirmation insatisfait. L'adulte dépressif peut le reconnaître, mais il
peut aussi ne pas le percevoir et projeter son propre état sur un autre, son conjoint par exemple. Dans ce cas,
c'est l'autre qui est fantasmé comme ayant besoin de sécurité : "c'est lui (elle) qui a besoin de moi". Ce qui est
escompté en retour, c'est : consciemment la manifestation de sentiments d’amour et de confirmation, et
inconsciemment, la satisfaction d'un besoin de sécurité absolue. Et si ce besoin n'est pas satisfait, des sentiments
d'hostilité, d'amertume et de mépris peuvent secrètement naître à l’encontre de l’autre.

LE CONFLIT ENTRE LE MOI ET LE CORPS

Le sujet dépressif n'a pas confiance en son corps puisque ses attentes tonico-sensori-émotionnelles de bébé n'ont
pas été satisfaites et qu'il a dû y renoncer. Il a très tôt appris à contrôler ses impulsions corporelles et motrices à
demander ce qui lui était nécessaire, et s'est appuyé le plus tôt possible sur ses fonctions mentales pour tenter de
donner un sens - illusoire, mais nécessaire - à sa vie, ce qui l’a retranché dans un fonctionnement mental.
Ceci implique que le dépressif organise ses relations avec l'entourage beaucoup plus sur le mode intellectuel,
que sur le mode affectif, bien que l'attente sous-jacente soit une gratification affective constante et que tous ses
comportements recherchent l'attention, la confirmation et la valorisation. Sa difficulté consiste à diriger ses
pulsions vers le monde extérieur, en particulier son agressivité qui lui permettrait de se situer sur le mode
affirmatif et spontané, et non sur le mode réactif et contrôlé.
"Chez le dépressif, dit Lowen, l'asservissement du corps à une volonté inexorable et la répression du sentir ont
sapé cette force (corporelle) au profit d'une image idéale imposée par le moi, modèle auquel le sujet veut se
conformer à tout prix". (1972, p.107)
Le dépressif pense, de ce fait, que sa dépression est due à l'effondrement de sa volonté plutôt qu'à l'épuisement
énergétique de son corps. Son principal souci est donc de retrouver à tout prix courage et fermeté, quitte à
sacrifier le repos physique qui lui permettrait de récupérer ses énergies. Ce à quoi il peut parvenir ... jusqu'au
prochain accès dépressif.

LA PERTE DU SENTIR ET DE L’EXPRESSION DE SOI

La condition du sujet déprimé est l'incapacité à vibrer : l'incapacité à réagir distingue la dépression de tous les
autre états émotionnels. Le dépressif se décrit comme tombé au fond du trou, avec une sensation de vide
intérieur.
En effet, dans l’état dépressif, la respiration est superficielle et le métabolisme en souffre. La charge énergétique
s’en trouve très réduite, activant peu les tissus conjonctifs et la musculature, et faisant naître peu de sensations. Il
en résulte une perte du sentir et une grande difficulté à agir. La dépression est, en son sens physique, un
effondrement interne : l’organisme ne peut répondre aux stimulations de l’environnement que par de faibles et
rares impulsions appropriées. Le sujet est abattu, "dégonflé", moralement et physiquement. Il est capable de peu
d’expression et de peu d’action.

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LE MANQUE D’ENERGIE

Mon utilisation initiale de la notion d’ « énergie » se réfère à la compréhension Reichienne (1940), mais son
appréhension fonctionnelle est celle de S. Keleman (1985). Je définis ici la notion « d’énergie » en tant que
« carburant » produit par le métabolisme. Il circule dans les appareils et tissus sous forme de flux liquides et
gazeux, au service des diverses fonctions organiques, grâce à un système de pompage, notamment
musculaire, dans les directions organiques centre-périphérie et tête-pieds.
Energétiquement, la dépression se caractérise par un fonctionnement métabolique très bas, avec des
conséquences pour chacune des fonctions organiques :
        - l’activité respiratoire est superficielle. Elle réduit l’apport en oxygène et affecte le métabolisme de
 base, causant la perte de l'appétit ;
        - la motilité (le mouvement des flux et échanges internes de l’organisme) est réduite, liée à la
 tendance à l’hypotonicité musculaire et aux fortes tensions abdominales réduisant les effets de pompe pour
 la circulation des flux énergétiques ;
        - la motricité est retenue, avec une inhibition des gestes spontanés, un manque d'expression du visage,
 des yeux ternes, une voix sans timbre, un faciès triste, affaissé, une peau sans tonicité. Dans les dépressions
 graves, le sujet peut rester assis sans bouger, sans réagir, effondré et prostré.
 La perte d'énergie caractéristique de la dépression peut être rapide. Ce mécanisme s'explique par l'effondrement du
 système défensif (des défenses maniaques) qui faisait "tenir bon" malgré les tendances dépressives sous-jacentes,
 ce qui caractérise la dynamique maniaco-dépressive de cette structure de personnalité.

LA DYNAMIQUE MANIACO-DEPRESSIVE

La réaction dépressive est constituée d’une période d'exaltation précédant la chute : l'effondrement de
l'exaltation plonge le sujet dans la dépression. C'est le processus maniaco-dépressif constitué de phases
d'exaltation maniaque et de phases d'effondrement dépressif plus ou moins marqués selon les sujets. Lowen
(1975) fut le premier à en décrire les mécanismes énergétiques sous-jacents.

      1 – Lors de la phase maniaque, l'excitation est de plus en plus grande, surstimulant la pensée et la
motricité et produisant une hyperactivité et une volubilité exagérées. L’excitation, dirigé vers le haut du
corps, cherche à restaurer le sentiment perdu de toute puissance infantile organisée dans la perception
imaginaire (« Tu es là pour moi ») et dans la possession (« Je te prends dans mes bras et tu es à moi »).
L’enfant, l’adolescent ou l’adulte surexcité, est comme en attente de quelque évènement extraordinaire ou
miraculeux, comme l’enfant séparé de sa mère attendant son retour avec une excitation intense. C'est cet
espoir inconscient d'une restitution de l'amour maternel qui fait naître ce sursaut d'énergie ascendante sous
cette forme exaltée. Il s'agit, dans cette phase, d'une attente inconsciente à l’égard des autres, substituts de
l'image maternelle, capables d'amour, de protection et de reconnaissance.
Cependant, cette exaltation hyperactive est fatigante, pour le sujet lui-même comme pour son
environnement qui commence à prendre distance, ce que le sujet perçoit comme rejet. L’impression de
confiance et d'estime de soi se délite et une réaction dépressive s'ensuit.

       2 - L'effondrement dépressif est également un phénomène énergétique. Littéralement, la
« dépression » est « un manque de pression intra-organique ». Les flux énergétiques excitant exagérément
la tête et la motricité se sont largement épuisés. L’énergie de survie se replie vers le centre de l’organisme
sans cependant atteindre l’abdomen car de fortes tensions abdominales doivent maintenir refoulés les
sentiments infantiles d'insécurité, de solitude, de tristesse et de désespoir.

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La sensation consciente est alors celle d’un ventre vide d’où ne part aucune impulsion. Cette sensation de « n’avoir
rien dans le ventre » génère la peur de ne pouvoir faire face : l’auto-estime, l’auto-confiance et l’auto-sécurité
s’effondrent.
La toute-puissance du moi se transforme en sentiment d'impuissance, et l’hyperactivité en passivité figée.
La "vague dépressive" (être "au creux de la vague", être "au fond du puit", "toucher le fond" etc. ...) est étroitement
liée à la partie inférieure du corps : l’hypertonicité du ventre, accompagnée d’une hypotonicité des jambes et des
pieds génère un défaut de sensation d'appui sur le sol, la peur de manquer d’une assise solide, d’un soutien, d’un
appui. Il faudra pourtant que le dépressif admette que le sol n'a jamais bien été solide sous ses pas ...
L’effondrement dépressif, l’obligation au repos, la récupération de forces, la sollicitude et les soins dispensés par
l’environnement peuvent redonner au sujet l’impression toute puissante qu’il a récupéré son moi, l’amour et
l’estime de cet environnement. Le voilà enfin rassuré et de nouveau en pleine illusion. La phase dépressive peut
alors de nouveau faire place à une phase d'exaltation maniaque.

LE REFUS DE SE SENTIR IMPUISSANT

Nourrisson ou enfant, il a été impuissant dans certaines situations vécues comme une menace à son
existence même. Mais grâce à de prodigieux efforts de volonté, il a pu surmonter sa détresse. Quand
aujourd'hui sa volonté s'effondre, il se sent tragiquement désemparé ... Il ne peut s'appuyer sur son
agressivité vitale car celle-ci est refoulée et prisonnière de la fixation orale ... L'échec à se sortir de son état
d'abattement ne fait qu'accroître l'occasion de se blâmer : les forces autodestructrices accomplissent leur
fonction ... Mais il ne peut accepter son impuissance car il serait alors contraint de reconnaître
consciemment sa dépendance à l'égard des autres et sa souffrance intérieure faite de détresse, de désespoir,
de peur mais aussi de sentiments hostiles, ce contre quoi il lutte depuis toujours, ayant appris à les refouler
pour survivre. Le refus de se sentir impuissant alimente et maintient les conditions dépressives.

SYMPTOMATOLOGIE

        - La toxicomanie : la prise de drogue prend le sens d'une recherche hallucinatoire des sensations
physiques et émotionnelles de contact avec l'objet d'amour perdu. Le "trip" arrache le sujet à sa pénible
sensation d'abattement.
        - L'alcoolisme : les "envolées" obtenues à l'aide de l'alcool ne diffèrent pas de celles provoquées par
les autres drogues. Elles cherchent tout autant à tirer le sujet hors de sa sensation d’abattement et restaurer
un état maniaque d’exaltation artificielle.
        - Les tentatives de suicide : elles interviennent dans le contexte de la dépression où le sujet n'a pas
 seulement perdu son élan vital, mais aussi, temporairement, le désir de vivre. Du point de vue dynamique,
 la tentative de suicide peut être comprise ainsi :
                   a) elle exprime le conflit entre le moi et le corps : Le moi se tourne contre le corps qui ne
 s'est pas montré à la hauteur de l'image que le sujet se faisait de lui-même. Un trop grand décalage entre la
 réalité et cette image idéale a fait naître un tel sentiment d'échec qu'il peut conduire au suicide.
                   b) elle représente un acte hostile à l'égard de l'environnement : déjà Freud faisait remarquer
 que pour comprendre la relation existant entre le dépressif et sa tendance suicidaire, on devait tenir compte
 de la relation existant entre dépression, suicide et répression de l’hostilité. Lowen (1975, p.86) commente :
 le dépressif "est comme un nageur qui aurait une ancre attachée à la cheville ; quels que soient ses efforts
 pour se maintenir à la surface, l'ancre le tire vers le fond. Les sentiments négatifs réprimés et le poids de la
 culpabilité qui les accompagne agissent comme cette ancre. Libérez-en le nageur et il va tout naturellement
 remonter à la surface. Délivrez le malade de ses sentiments négatifs réprimés, qu'il parvienne à les
 décharger, à les exprimer, et la dépression disparaîtra".

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LE PROCESSUS THERAPEUTIQUE

       - La première étape du traitement est d'aider le sujet à retrouver de l’énergie
Il est difficile de stimuler l'intérêt du dépressif pour le faire sortir de son apathie. Ses résistances découlent
essentiellement de ses sensations de faiblesse, d'épuisement, dues au manque d'énergie, bien que celles-ci
découlent d'une autre résistance : celle due aux attitudes négatives profondément refoulées depuis la prime
enfance, comme mécanisme défensif de survie. L'organisme, "à plat" comme une batterie, doit être
rechargé car excitation et dépression s'opposent.
Il s'agit donc, essentiellement par la respiration, d'augmenter la charge énergétique (métabolique) dans
l’ensemble de l’organisme, et notamment dans la moitié inférieure de l'organisme, du ventre vers le bassin
et les jambes / pieds afin que le sujet puisse reprendre pied dans la réalité et sentir peu à peu qu’il peut être
son propre support.
Il s’agit également de retrouve une circulation énergétique optimale : le mouvement, la voix, le jeu
interactif participeront à ce processus de revitalisation.

      - Le travail psychocorporel vise à amener le sujet à se percevoir tel qu'il est, c'est-à-dire à connaître
ses tendances dépressives, à en comprendre le sens et la cause par :

a) l’actualisation de la perte et du déficit en lien d’attachement
Durant la première année, le continuum énergético-tonico-sensori-émotionnel du bébé nécessite l'étayage
actif de la relation maternelle pour s'organiser et croître. Ne pas l’obtenir ou le perdre détermine les
conditions dépressives. Le thérapeute acceptera d’assumer transférentiellement la position de substitut
maternel ou paternel, et de répondre à une demande d’attachement, d'amour, de sécurité et de
reconnaissance de la part du patient.
Aucun substitut de maternage, aussi grand et vrai soit-il, ne peut donner à un être la sécurité dont il a
manqué dans son jeune âge. Mais il peut largement contribuer à construire, aujourd’hui, les noyaux d’auto-
sécurité, d’auto-confiance et d’auto-estime qui font défaut au Self adulte.
Il pourra ainsi faire face aux privations ou pertes de son enfance, accepter de ressentir, exprimer puis
intégrer les états sensori-émotionnels et représentations nés de ces carences. L'objectif est de surmonter
cette fixation infantile pour vivre dans la réalité présente et non plus dans l'illusion.
Il ne s'agit pas là de compenser la perte subie dans l'enfance, mais d'aider le sujet à cesser de la refouler,
exprimer l'angoisse qui s'y rattache ainsi que les sensations, émotions, images et mouvements qui en
émergent. Le travail thérapeutique consiste à amener le patient à s'aimer, à s'accepter et à développer une
confiance en lui capable de remplacer celle que ses parents ne lui ont pas donnée et dont il a à faire le deuil.

b) le travail du deuil
Le but du deuil est d'extérioriser les émotions infantiles réprimées entraînant la restriction du flux vital, la
perte de sensations corporelles et d’expressivité. Car le déprimé risque de devenir un mort vivant. Les deux
grandes émotions présentes lors de la perte d'un être aimé sont la peine profonde et la colère d'en être
privé. "Si on ne ressent aucune colère lors d'une perte, on ne peut éprouver aucune douleur authentique et
le processus du deuil ne se déroule pas normalement. Nous devons protester avec énergie contre la
souffrance" (Lowen, 1975, p.143).

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      - reconnaître et exprimer les émotions refoulées
Le dépressif n'a justement pas pu faire ce travail du deuil qui suppose l'expression émotionnelle. Si l'enfant
a pleuré, ce fut en solitaire. Il n'a pu se sentir compris dans sa douleur et sa peine et a dû la refouler. Il en
fut de même pour sa révolte et sa rage de perdre l'amour de sa mère. A la peine et la colère s'ajoutent la
peur ou la terreur face aux réactions de l'adulte (réprobation, annihilation, mépris etc. ...), l'isolement et le
sentiment de solitude, la détresse de n'avoir aucun recours, le sentiment de désespoir de n'avoir aucune
alternative.
Toutes ces émotions, tous ces sentiments devront être reconnus et éprouvés, exprimés dans la relation
thérapeutique, par le mouvement, la voix et la parole pour que le contact avec le corps, la vitalité
émotionnelle et expressive soient retrouvés. Sinon, son Self restera prisonnier d’une attitude infantile
chargée d'une profonde détresse, d'un immense désespoir et, peut-être, par moments, d'un refus de vivre.
Des exercices et mises en situation associés à l’analyse y contribuent, tels que téter/mordre un coin de
serviette ; allongé les bras tendus vers le haut, appeler « maman » ; taper alternativement avec les jambes
et/ou les bras en criant « pourquoi » ; tordre une serviette à bout de bras ; taper debout sur un coussin avec
une raquette ; allongé, taper le bassin sur le matelas, etc. …

      - centrer le sujet dans son corps et sa sexualité
Le dépressif est un enfant qui a refoulé ses sanglots et bloqué sa colère en contractant fortement son ventre.
Cette contraction abdominale oppose un frein permanent aux sensations sexuelles. Son relâchement ramène
la sensibilité dans la profondeur de l'abdomen, jusqu’au plancher pelvien, permettant l’éveil de la sexualité.
Combler les besoins oraux d'un adulte, c'est permettre aux sensations corporelles, à l'excitation, de diffuser
dans tout le corps. La sexualité est une fonction du corps tout entier et la génitalité n'est qu'une dimension
de l'unité fonctionnelle qu'est la sexualité. Les sensations sexuelles visent à l’excitation ; seul l’appareil
génital vise à la décharge.
Le travail thérapeutique a donc pour objectif d’ancrer la sexualité (et plus tard la génitalité) dans le corps,
et particulièrement dans le ventre et le pelvis. Il s’agit d’aider le dépressif à retrouver un corps excitable,
vivant et vibrant. Ce travail sur la partie inférieure du corps se fait à l'aide d'exercices spéciaux, conçus
pour restaurer la motilité naturelle du bassin.

      - centrer le sujet dans la réalité et dans ses jambes
Le rétablissement de l’excitabilité du corps (sexualité), le relâchement de l’abdomen et la possibilité de
charge énergétique pelvienne (génitalité) permettent aux sensations d’affluer dans le bassin et l’appareil
génital, et de gagner les jambes.
Le travail sur les jambes et les pieds est en ce sens très important : relâchement, énergétisation et
tonification des jambes. C'est ainsi que de membres passifs, simples tuteurs apathiques du bassin et du
tronc, les jambes deviennent actives, vivantes, et retrouvent leur rôle essentiel de soutien, d’appui
sécurisant sur le sol, et de locomotion. Le sujet se sent enraciné et équilibré du point de vue psychomoteur,
émotionnel et psychologique. Il prend conscience que son corps, sa sexualité, la terre et la réalité ont des
liens et forment un tout.

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LA RELATION THERAPEUTIQUE

La dépression est une réponse à la perte de contact : perte initiale de contact de l’enfant avec l’amour
maternel engendrant une perte de contact avec son propre corps. La réponse thérapeutique consiste en une
inversion de ce processus : rétablissement d’un contact tendre du thérapeute avec son patient éveillant la
vie émotionnelle chez son patient.
L’amour, la chaleur, l’humanité, la compréhension peuvent être transmis par le contact physique. C’est ce
dont a besoin le patient dépressif : recevoir ce qu’il attend depuis longtemps pour que son Self puisse être
réactivé et reprendre la voie de la maturation. Ceci implique directement le thérapeute dans son propre
corps, dans sa capacité à la distance intime allant jusqu’à prendre le patient dans ses bras pour le serrer
contre lui. Mais la réciproque est tout aussi vraie : le patient dépressif a besoin de posséder/reposséder
l’objet d’amour (le thérapeute transférentiellement), le prendre dans ses bras, le serrer fort, en faire sa
possession.
Je pense que ce pattern d’attachement mère-enfant est fondamental : posséder/être possédé. Il alimente
d’ailleurs les jeux spontanés entre les deux partenaires. L’expérience de posséder l’amour maternel
(quasiment le corps maternel aimant) infiltre les fibres du corps de l’enfant, imprègne les tissus de son Self.
Elle constitue les prérequis à la construction de l’auto-sécurité, de l’auto-confiance et de l’auto-estime à
l’intérieur du Self du bébé. Elle (re)constitue, dans le cadre thérapeutique, les prérequis pour les mêmes
(re)constructions à l’intérieur du Self de l’adulte.
Il ne s’agit donc pas « de jouer à la bonne mère réparatrice » (ce qui serait une réponse contre-
transférentielle) mais d’être, dans sa fonction thérapeutique, « une personne-ressource aimante »
authentiquement. C’est proposer au patient dépressif de construire dans l’ici et maintenant thérapeutique un
pattern d’attachement et d’interaction adulte dans lequel les sentiments partagés soient possibles, ainsi que
l’expression des désirs : pattern qui puisse être décontextualisé de la situation thérapeutique pour qu’il soit
à disposition du patient dans sa vie quotidienne. Ce pattern décontextualisable consiste en : aimer et être
aimé, antidote du processus dépressif.

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Bibliographie

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                         Analysis, vol.11, n°2, 25-59

                                                © Guy TONELLA
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