La relation humain-machine au temps du numérique

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La relation humain-machine au temps du numérique
Activités
                          19-2 | 2022
                          Penser le travail dans une écologie humaine

La relation humain-machine au temps
du numérique
Fin du taylorisme ou prolétarisation généralisée ?
The human-machine relationship in the digital age. The death of Taylorism or
generalized proletarianization?

Olivier Landau

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/activites/7848
DOI : 10.4000/activites.7848
ISSN : 1765-2723

Éditeur
ARPACT - Association Recherches et Pratiques sur les ACTivités

Référence électronique
Olivier Landau, « La relation humain-machine au temps du numérique », Activités [En ligne], 19-2 | 2022,
mis en ligne le 15 octobre 2022, consulté le 13 octobre 2023. URL : http://journals.openedition.org/
activites/7848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/activites.7848

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La relation humain-machine au temps du numérique
La relation humain-machine au temps du numérique   1

    La relation humain-machine
    au temps du numérique
    Fin du taylorisme ou prolétarisation généralisée ?
    The human-machine relationship in the digital age. The death of Taylorism or
    generalized proletarianization?

    Olivier Landau

1   40 ans après l’entretien « la fin du taylorisme » que Pierre Cazamian a accordé au
    journal Le Monde en mars 1980, il nous a semblé intéressant de confronter les analyses
    et les espoirs qu’il développe dans cet article à la situation actuelle.
2   Au cœur de cette problématique se pose toujours les relations humain-machine et
    humain-travail conséquentes du développement des technologies et en particulier de
    l’omniprésence aujourd’hui du numérique.
3   Comme bien d’autres à cette époque, Cazamian (1980) espère que le passage de
    systèmes automatiques mécaniques à une automatisation numérique (NTIC1) ait un
    impact positif sur les conditions de travail et les rapports sociaux. Comme nous le
    verrons, il évoque la disparition du travail répétitif induit par le taylorisme et un
    impact sur la division du travail « Le travail idiot étant exécuté par l’intelligence
    mécanique, automatique, par l’ordinateur, il n’est plus besoin de robotiser les hommes.
    2
      » (Cazamian, « La fin du Taylorisme » entretien au journal Le Monde – 31 mars 1980).
    Seulement en remplaçant le poste de travail par une machine « intelligente »,
    l’écosystème de production va être modifié en profondeur. La création de nouveaux
    organes techniques interconnectés en réseaux avec une multitude d’ordinateurs
    redistribue et extériorise les responsabilités ; Ces organes numériques amplifient le
    système automatique qu’évoquait déjà en 1857 Karl Marx dans le segment des machines
    des Grundisse :
         « … le système automatique n’est que la forme la plus parfaite et la plus adéquate de
         la machinerie et c’est seulement lui qui la transforme en un système, actionné par
         un automate, par une force motrice qui se meut d’elle-même ; cet automate consiste
         en de multiples organes, les uns mécaniques et les autres doués d’intellect, de sorte
         que les ouvriers eux-mêmes ne sont plus définis que comme ses membres

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         conscients. » (Marx, manuscrits de 1857-1858, Grundrisse : Fragment sur les machines,
         Éditions sociales, pp. 649‑670)
4   Marx (1857-1858) décrit dans cet extrait, la constitution organique de la machine
    (automate), mais aussi une imbrication organologique entre humain et machine dans le
    système automatique. Cent cinquante ans plus tard, à la suite de Gilbert Simondon
    (1958), Bernard Stiegler (2015) reprendra dans la « La Société Automatique » cette
    analyse organologique, articulant organes vivants et               organes technologiques
    (exorganismes) ; rappelant la spécificité humaine à développer des organes techniques
    pour survivre, travailler, étudier… qu’il qualifie dans ce cadre de prothèses.
5   L’ouvrier devient un membre conscient de la machine, dit Marx, mais plus les organes
    doués d’intellect de la machine deviennent performants, plus le rôle conscient de l’ouvrier
    se réduit. Ainsi, plus l’ouvrier perd son savoir au profit de la machine, plus il se
    prolétarise3.
6   Dans ce papier, nous allons essayer d’examiner si l’automatisation digitale constitue
    une rupture ou amplifie la prolétarisation du travail. Nous nous intéresserons
    particulièrement aux points de rupture qui peuvent permettre d’envisager l’utilisation
    des technologies digitales pour installer une relation humain-machine créatrice de
    nouveaux savoirs métiers pour l’ouvrier, l’employé, le citoyen, l’habitant, ... et ainsi
    offrant des opportunités déprolétarisantes.
7   Nous examinerons donc successivement :
        • la notion de « savoir métier » au regard de la prolétarisation des ouvriers, mais aussi de
          nombreuses autres professions ;
        • l’impact des communautés de « logiciel libre » sur les processus de production ;
        • la nouvelle division du travail induite par le numérique et ses processus de production ;
        • la constitution progressive de « machines invisibles » polymorphes, conséquence de la
          digitalisation de la production, mais aussi des services et de la vie quotidienne ;
        • la pharmakologie des technologies numériques, ses aspects curatifs pouvant pallier aux
          aspects toxiques.

    1. Métiers versus prolétarisation
    Impact du taylorisme

8   Comme Pierre Cazamian l’explique dans son entretien au journal Le Monde, dès la fin
    du XIX° siècle, l’organisation du travail selon les méthodes tayloristes, prolétarise
    durablement le rôle de l’ouvrier. De fait, la production taylorisée n’ayant plus besoin de
    recourir aux savoirs métier de l’ouvrier conduit dans de nombreux domaines, à une
    disparition progressive de ces savoirs. L’ouvrier n’a plus besoin d’être recruté sur la
    base de ses savoirs et de ses compétences métier, mais de sa disposition à l’acquisition
    d’automatismes qui lui permettront de s’adapter aux rythmes de production conçus par
    les ingénieurs :
         « … l’antagonisme de deux cultures : celle, scientifique, des ingénieurs et
         l’intelligence opératoire des travailleurs. Ces savoirs opératoires sont apparus dans
         l’humanité en même temps que le travail. Au moment où l’on a commencé à tailler
         les silex. Savoirs qui ont été éclipsés à un stade ultérieur par le développement de
         l’intelligence symbolique qui se base sur le langage, l’écriture, les chiffres. Il suffit
         de relire l’œuvre d’André Leroi-Gourhan pour retrouver cette longue histoire… »
         (Cazamian, « La fin du Taylorisme » entretien au journal Le Monde – 31 mars 1980)4

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9   Depuis une quarantaine d’années, c’est-à-dire période où Pierre Cazamian donne cet
    entretien au Monde, la robotisation des postes de travail, sans remise en cause des
    chaînes de production aggrave la situation, tout en allégeant le travail physique de
    l’ouvrier. Le pilotage à distance des organes doués d’intellect de ces robots par les
    directions informatiques accentue l’inutilité des savoirs métier de l’ouvrier dans le
    processus. Situation permise par le recours aux réseaux numériques pour la
    transmission des ordres et a, en conséquence, favorisé la délocalisation de la
    production (matérielle) ; ainsi, les ateliers de fabrication ont été physiquement éloignés
    des services centraux (bureau des études, services informatiques, atelier de création).
    Dans ce contexte, l’échange entre l’ingénieur et l’ouvrier n’est plus possible : l’ouvrier
    devient un surveillant aveugle des échanges entre la machine et les algorithmes conçus
    par les développeurs informatiques sous les ordres des ingénieurs du bureau des
    méthodes.

    Illustration n 1 : chaîne de Montage années 1930.
    Illustration n° 1: 1930s car assembly line

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     Illustration n 2 : chaîne de Montage années 1990.
     Illustration n 2: 1990s car assembly line

10   Si dans ce sens, Pierre Cazamian souligne à juste titre l’antagonisme de deux cultures, par
     contre considérer globalement que les savoirs métiers puissent être éclipsés par
     l’intelligence symbolique, pose question. Même si le partage et la transmission des savoirs
     métier s’effectuent historiquement par le geste, la parole, ... la formulation de Pierre
     Cazamian pourrait sous-entendre que les savoirs métiers n’ont jamais eu recours à des
     langages symboliques.
11   Une autre hypothèse peut être avancée sur la base de The Gentleman and Cabinet Maker’s
     Director publiée par Thomas Chippendale en 1754. Cet ouvrage propose au moyen de
     langages symboliques, le partage de son savoir métier et le transfert de sa créativité,
     tout en initiant un modèle de rationalisation de la production. Ce processus productif et
     commercial maintient la richesse des savoirs métiers de l’ouvrier ébéniste grâce à
     l’exportation et au partage de savoirs, de techniques et de styles.

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     Illustration n 3 : Couverture The Gentleman and Cabinet Maker’s Director.
     Illustration n 3: Cover of The Gentleman and Cabinet Maker’s Director

12   Ce sont bien ces mêmes savoirs dont Pierre Cazamian souligne l’importance dans cet
     autre extrait. Savoirs liés aux métiers qui pour lui sont la source d’une harmonie de vie
     et donc prennent soin de la santé de l’ouvrier, du travailleur. Il y a là une définition
     tout à fait actuelle de ce que peut être une « écologie humaine » liée au travail.
          « Tant que la production était artisanale, le travailleur utilisait ses savoirs
          archaïques. Maître de son comportement, continuellement informé par des
          sensations de fatigue, il régulait son activité. Il avait en lui des instruments de
          mesure, non scientifiques, qui sont ceux qui permettent au travailleur de découvrir
          son travail optimum, ses limites et sa gratification. ... Il est un accumulateur chargé
          et a besoin de dissiper son potentiel dans des actions sur l’environnement et
          notamment au travail. Si l’on demande trop à l’organisme humain, c’est le
          surmenage, si on lui propose trop peu, c’est la fatigue par défaut. Les deux sont
          graves. Ils se traduisent par une perte de créativité et les maladies bien connues. »
          (Ibid.)5
13   Même si ce n’était pas son objectif principal, c’est bien cette harmonie que Thomas
     Chippendale (1754) conserve par l’organisation d’une production artisanale distribuée
     sur la base d’un partage de modèles créatifs. Deux cent cinquante ans plus tard, cette
     organisation de la production et du travail a inspiré les réflexions autour des nouveaux
     possibles offerts par l’émergence des fablab6 ou des techshop7. En effet, les technologies
     numériques créent de nouvelles continuités entre modèles numériques adaptables
     (CAO8) et fabrication au moyen de machines à commandes numériques. Ces possibles
     techniques remettent en cause l’économie de la chaîne de production et des grandes
     séries. À l’instar de ce que proposait Thomas Chippendale (1754), il devient possible de
     fabriquer à partir de mêmes modèles adaptables des produits uniques répondant à des
     besoins spécifiques.

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     Illustration n 4 : Techshop.
     Illustration n 4: Techshop

     Illustration n 5 : Fablab.
     Illustration n 5: Fablab

14   Néanmoins, en créant de nouveaux métiers et en conséquence de nouvelles divisions
     des tâches, les fondements de l’automatisation numérique du travail actuelle posent à
     nouveau la question de la relation entre le travail (savoir métier) et les langages
     symboliques. Les machines à commandes numériques sont pilotées par un ensemble de
     logiciels et des données réparties sur des serveurs délocalisés (cloud). Les logiciels
     développés dans différents langages, ainsi que les algorithmes de programmation font
     appel à des grammaires qui ne sont pas toujours divulguées (« l’obfuscation9 » qui vise à
     empêcher la compréhension du code par rétro-ingénierie par exemple). Ainsi, plusieurs
     « vocabulaires » sont utilisés : simples et intuitifs pour l’utilisateur final ou
     intermédiaire (interfaces hommes/machines dédiées aux différentes étapes de la
     production) souvent basés sur des icônes, puis de plus en plus complexes pour les
     différentes catégories de développeurs selon le niveau de profondeur des
     fonctionnalités dans la « machine informatique » (écriture du code et développement
     d’algorithme d’automatisation des procédures). La machine à commande numérique n’est
     qu’une interface de machines polymorphes qui étendent leurs pseudopodes à travers une
     multitude de serveurs gérés par différentes entreprises, à l’instar de nos smartphones.

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     2. Le « logiciel libre », l’impact sur les processus de
     production
     Déprolétarisation, rupture avec le taylorisme, retour sur les savoirs et
     les pratiques ?

15   La situation décrite ci-dessus s’est constituée progressivement au cours de différentes
     étapes et confrontation entre différents modèles de structuration informatique et
     surtout de mode de production des logiciels.
16   Ainsi, dès le début des années 1980, Cazamian constate les transformations
     fondamentales en cours dans le monde informatique et envisage des possibles positifs
     dans le domaine des conditions de travail :
          « Ils ont cru que des ordinateurs géants seraient susceptibles d’assurer seuls la
          production et que les hommes seraient seulement des surveillants, presque inutiles.
          Actuellement, le développement est totalement inversé. On renonce aux
          ordinateurs géants, on multiplie les microprocesseurs. Placés près du travailleur, ils
          lui offrent une mémoire vaste et sûre, lui permettant de se requalifier, de retrouver
          un rôle de responsable. La décision lui revient. L’homme seul est capable de décider
          dans l’incertitude. » (Ibid.)10
17   C’est sur ces bases que les communautés du logiciel libre, les libristes, … commencent à
     apparaître dès les années 1970 et se développent très rapidement. Elles sont fortement
     inspirées par l’éthique des Hackers qui peut se résumer en trois grands points :
     revendiquer l’autonomie dans le travail, développer une relation ludique et créative
     avec la technologie, défendre la libre circulation sur les réseaux. En conséquence, ils
     prennent en compte :
         • la spécificité d’un travail créatif contributif (enrichissement du code, imbrication des
           logiciels et solutions informatiques par couches, méthodologies de développement d’objets
           complexes, ...) ;
         • la réticularité généralisée dès les années 1970 du monde professionnel de l’informatique ;
         • un travail indépendant de l’emploi (souvent bénévole) ;
         • la gestion « d’objets » complexes qui demandent des compétences variées complémentaires
           et parfois inattendues ;
         • la dissémination rapide et mondiale de l’innovation.
18   Ils ont imposé / permis :
         • l’introduction de nouvelles méthodes de travail dans les entreprises informatiques, en
           particulier un style de codage et une architecture facilitant la lecture, la compréhension et
           la contribution (opposés par exemple à « l’obfuscation ») auquel s’ajoute une utilisation
           intensive de commentaires dans le code lui-même ;
         • un modèle ouvert (forum de développeurs, logiciels pour la contribution du code – svn, git,
           ... – basé sur des serveurs en libre accès au moins en lecture) ;
         • de nouveaux modèles économiques (Open source, Open Access, API…) ;
         • un modèle alternatif aux brevets, c’est-à-dire une utilisation originale du copyright
           permettant la définition d’un commun robuste juridiquement (vis-à-vis de l’appropriation
           privée, mais aussi en cas d’abandon d’un projet par un ou tous ses auteurs par exemple) ;
         • une organisation sociale diverse et non encore stabilisée.
19   Malheureusement, Richard Stallman (1980, 2002)11 qui a initié les bases théoriques de ce
     mouvement dès les années 1980, s’est préoccupé de l’innovation dans le processus de

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     travail (nouvelle division du travail offrant une place prépondérante au développement
     de savoirs métier informatique partageables et communautaires), mais il a occulté la
     dimension sociale (rémunération, couverture sociale). Il s’est focalisé sur les trois
     grands principes et axes de bataille des Hackers, la « passion », l’autonomie dans le
     travail – remise en cause des fondements managériaux hiérarchiques – et la volonté de
     faire disparaître la propriété intellectuelle pour faciliter la circulation et l’accès aux
     savoirs.
20   Il n’a donc pas posé la problématique de la rémunération du travail des libristes hors
     emploi, travail qui produit des richesses dans un cadre ouvert, devenu pour certains
     des « communs immatériels ». En conséquence, comme l’évoque Sébastien Broca (2018),
          « … certaines entreprises s’accommodent très bien de régimes juridiques ouverts et
          construisent des business models florissants à partir de biens ayant un statut de
          communs.12 » (Broca, 2018, p. 246).
21   C’est ainsi que, loin d’être marginalisé ou de constituer une alternative sociale, le
     mouvement des libristes a fait la démonstration de l’efficacité de son modèle pour des
     entreprises majeures telles que IBM, Google, ... en jonglant entre l’open source13 et un
     marché ouvert des API14.
22   Les développeurs libristes se sont vus recherchés par les entreprises informatiques et
     technologiques ; les libristes qui n’avaient pas de revenus dans le domaine de la
     recherche universitaire ont été contraints d’accepter des emplois salariés pour
     développer les logiciels libres nécessaires aux marchés de ces entreprises.
23   Ce n’est qu’avec les « théoriciens du général intellect15 » qu’émerge une réflexion sur
     l’impact économico-politique du mouvement des libristes. Ils y voient une
     transformation fondamentale du travail qu’ils qualifient d’immatériel : « La
     programmation de logiciels est une activité cognitive et créative, qui ne repose pas simplement
     sur l’application de savoirs codifiés. En tant que telle, elle ne peut être entièrement prescrite et
     contrôlée par une hiérarchie managériale16 ».
24   Mais, Sébastien Broca (2018) montre les limites et les contradictions de ce discours ainsi
     que celles du mouvement des libristes :
          « L’exemple du Libre rend en fait assez bien compte de cette équivoque. Il démontre
          certes avec force que les motivations des producteurs sont multiples, irréductibles
          aux incitations financières, et que des biens informationnels complexes peuvent
          être produits dans un contexte non marchand : Debian ou Wikipédia en sont des
          exemples éclatants. Mais il signale aussi qu’il est possible d’organiser la production
          immatérielle dans un cadre capitaliste, moyennant de légers aménagements de
          celui‑ci17 » (Broca, 2018, p. 243).
25   De plus, comme nous l’avons vu, même si la conception de logiciels peut être qualifiée
     d’immatérielle et est devenue indispensable à l’ensemble de l’industrie et des services,
     la totalité de la production actuelle et future ne peut ne pas se résumer à de
     l’immatériel. L’organologie du système – exorganisme supérieur, technosphère comme la
     qualifie Bernard Stiegler (2020) – constitue une machine polymorphe qui organise à
     travers des réseaux, des serveurs, des terminaux (machines-outils, PC, smartphones,
     objets connectés, ...) la circulation et le traitement de données, pour la plupart générées
     par l’activité humaine. Ainsi de nouveaux processus de production18 « globalisés » à
     l’ensemble de la planète, se sont généralisés et ont conduit à de nouvelles divisions des
     tâches et du travail à la fois géographiques et sociales.

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     3. Une nouvelle division du travail provoquée par
     le numérique
     Les nouveaux systèmes homme-machine : comment
     la généralisation de l’informatique connectée a automatisé
     les services et remplacé bon nombre d’emplois par le travail
     des clients / consommateurs

26   Si la contribution du consommateur à la production de marchandise dans des fabLab,
     des techshop ou à domicile est encore marginale, la contribution des usagers au
     fonctionnement des services est aujourd’hui banalisée, généralisée depuis plusieurs
     années. Cette contribution, fait sans doute disparaitre des emplois salariés, mais
     surtout ordonne une nouvelle ergonomie du travail qui s’organise entre
         • le consommateur/usager/internaute,
         • des protocoles de communication/contribution avec l’entreprise, l’administration, ... sous
           forme d’interfaces homme-machine (IHM),
         • un traitement des données par le système d’information (SI) – reformulé, si nécessaire pour
           être traité par un employé (livraison de l’objet, prise en compte d’une réclamation
           complexe, traitement d’un crédit bancaire, ...).
27   Le consommateur/usager/internaute (surnommé prosumer ou prosommateur) n’est plus
     le maillon final d’une chaîne de valeur, mais un acteur intervenant/contribuant au bon
     fonctionnement du processus de production. Il prend en charge certaines étapes du
     processus productif, et ainsi modifie l’organisation de la division du travail productif et
     le sens des chaînes de valeur19.
28   La plateformisation du commerce et des services amplifie ce phénomène. Les plates-
     formes digitales sont des interfaces entre agents, leur fonction est d’automatiser la
     mise en relation entre agents et le traitement de l’échange. En conséquence, celui qui
     aurait été précédemment employé devient lui-même « client » de la plate-forme. Ces
     clients d’un nouveau genre alimentent eux-mêmes et symétriquement le système en
     données, pour traiter automatiquement la gestion de leur relation commerciale. La plate-
     forme met à disposition le système de traitement pour : la mise en relation, la gestion/
     production de la demande, perception du payement, rétribution.
29   Ce phénomène qualifié d’uberisation transforme en profondeur les paradigmes de
     l’ergonomie du travail, du salariat de la relation fournisseur/client, ..., et l’ensemble des
     professions20.
30   Les modifications de la division du travail imputables aux technologies digitales ne se
     limitent pas à la plateformisation ; comme nous l’avons vu précédemment. Le modèle
     économique des entreprises technologiques (principalement les GAFAM) repose sur
     l’exploitation des contributions et des traces des internautes, auquel se rajoute à ce
     modèle de base, le travail invisible et le digital labour (Cardon & Casilli, 2015)21. La
     gouvernance hypercentralisée de ces industries techniques repose sur une segmentation
     précise des niveaux d’implication et de conscience des Internautes au moment de leurs
     contributions. Les entreprises comme Google et Facebook doivent leur richesse et leur
     existence à ces contributions (contenus, recherche, données, traces, ...) conscientes ou
     inconscientes ; la motivation de l’internaute repose sur l’échange entre une
     contribution et l’accès souvent gratuit à un service (recherche, guidage, informations,

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     ...). Il est à noter que la contribution des internautes est la source même du
     fonctionnement technique des outils (algorithmes auto-apprenants, machines learning,
     ...) nécessaires à ces services (chaînes de valeur multifaces).
31   Néanmoins, ces contributions n’étant pas toujours suffisantes au fonctionnement
     souhaité de ces services, ces entreprises, de façon directive, font aussi travailler
     gratuitement et inconsciemment les internautes : elles leur imposent des clics précis
     (générateurs de données) pour avancer dans leur navigation : Le système reCaptcha
     (propriété de Google) est l’un de ces mécanismes de travail gratuit qui oblige l’Internaute
     à identifier des images ; ces identifications alimentent les outils de reconnaissance
     d’image.

     Illustration n° 6 & 7 : interfaces reCaptcha Google.
     Illustration n° 6 & 7: reCaptcha Google interfaces

32   En complément, quand les contributions précédemment évoquées sont encore
     insuffisantes au bon fonctionnement de certains services ou fonctionnalités du système
     (masse critique), ces industries proposent aux internautes des tâches rémunérées au
     moyen de micro payements pour alimenter des bases de données à partir de clics : le
     digital labour ou le travail du clic (Cardon & Casilli, 2015)22.
33   Pour répondre à ces besoins de travail et par analogie avec le recrutement de personnel
     dans les entreprises traditionnelles, les entreprises technologiques catégorisent les
     utilisateurs et codifient leurs contributions en type de travail.

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     Illustration n° 8 : Google profils types utilisateurs/contributeurs.
     Illustration n° 8: Google user / contributor profiles

34   Ainsi, l’internaute « prolétaire digital », rémunéré ou non rémunéré, contribue au
     fonctionnement d’une machine invisible, planétaire et polymorphe.

     4. Les machines « invisibles » polymorphes de
     l’informatique
     Comment la réticularisation des réseaux anticipe le choix
     des humains à partir d’une analyse en temps réel des positions
     moyennes préalables ?

35   Comme nous l’avons noté à plusieurs reprises, les organes doués d’intellect de la machine
     ont pris une importance considérable. De plus, ces organes ne sont plus situés
     directement dans des machines du type machine-outil, mais sont répartis dans un
     système machinique polymorphe à travers la planète. Les organes mécaniques de la
     machine-outil (devenue robot, machine à commande numérique ou imprimante 3D)
     sont maintenant commandés par de multiples logiciels intégrés à des machines
     informatiques (serveurs, capteurs, ordinateurs personnels, smartphones…) distribuées
     qui interagissent avec d’autres machines douées d’intellect capables de traiter les masses
     de données collectées (maillage de data center) l’ensemble réticulé par des réseaux
     télécom (filaires, hertziens, satellites…). Les « machines » sont donc sorties de l’atelier
     d’usine et étendent leurs pseudopodes jusque dans nos outils du quotidien : « de sorte,
     nous-mêmes ne sommes plus définis que comme leurs membres (plus ou moins) conscients »
     pour paraphraser Marx.

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36   Ces outils du quotidien (smartphone, tablette, ordinateur, montre connectée, smart TV,
     ..., et voiture connectée dans un avenir proche) nous sont devenus des prothèses
     indispensables douées d’intellect ; elles sont dans la continuité de l’exosomatisation23
     définie par Alfred Lotka dès 1945. Un processus qui a débuté il y a trois millions
     d’années, comme l’évoque Pierre Cazamian, « au moment où l’on a commencé à tailler le
     silex », par la production d’outils indispensables à la survie des humains. Processus qui,
     pour Bernard Stiegler (2015), a conduit progressivement la société humaine à
     constituer des exorganismes (Lotka, 1945)24 scalables liant intimement le social, le vivant
     et la technologie. Ils prennent en compte différentes échelles et leurs
     complémentarités : cellule familiale, entreprise, village, ville, état, ... Il s’agit d’une
     organologie, liant intiment les humains, les systèmes techniques et les systèmes sociaux
     en articulant le biologique et le machinique. Ainsi selon Bernard Stiegler (2020), les
     exorganismes supérieurs constituent une technosphère à l’échelle de la Biosphère. Cette
     technosphère est constituée de satellites et de réseaux interconnectés avec les
     entreprises technologiques interagissant avec les humains à travers les structures
     sociales en cours de modification.
37   Ces machines développent progressivement une automatisation généralisée de la
     société, elles sont douées d’intellect, travaillent 24/24, 7/7 sur l’ensemble de la planète,
     collectent les données, les retraitent, en calculent des moyennes pour les proposer aux
     humains et orienter leurs choix, ou/et piloter les machines en ajustant leur production
     selon les évaluations qu’elles ont calculées.
38   Bien évidemment, ce n’est pas l’outil qui est en cause, mais la place et le rôle que les
     humains lui attribuent dans le cadre de la société qu’il conçoit, son mode de vie, son
     mode de production… Ainsi, les outils, qui comme l’évoque Pierre Cazamian en se
     référant à André Leroi-Gourhan (1943, 1945, 1964), ont toujours été nécessaires à la
     survie des humains, peuvent tout autant être bénéfiques que nuisibles qu’ils soient
     mécaniques, analogiques ou numériques.

     5. Un pharmakon
     L’urgence de replacer l’humain en pilote de la machine, en affrontant
     les tendances dominantes des technologies digitales

39   Un Pharmakon, il ne s’agit pas de combattre, ni de s’adapter à la technologie, mais de
     l’adopter pour prendre soin de l’humanité : pour ne plus avoir besoin de robotiser ou de
     sacrifier des hommes à des tâches dangereuses, répétitives, abêtissantes, dégradantes,
     ... comme le dit Pierre Cazamian :
          « L’autre solution n’est pas ergonomique. De toute façon, il n’existe pas de moyen
          de rendre ergonomique un travail sans contenu. Le travail à la chaîne est
          “intrinsèquement pervers”, aucun ergonome n’est susceptible de le rendre
          acceptable. La seule solution, c’est l’automatisation. On n’a pas suffisamment
          compris que sa logique est bénéfique pour le travailleur. Le travail idiot étant
          exécuté par l’intelligence mécanique, automatique, par l’ordinateur, il n’est plus
          besoin de robotiser les hommes. Libérer l’ego » (Cazamian, « La fin du Taylorisme »
          entretien au journal Le Monde – 31 mars 1980)25
40   Si nous considérons donc, les outils numériques comme des pharmakon, ils ont à la fois
     un potentiel curatif et toxique ; il y a donc nécessité à réinventer nos règles de vie en
     prenant en compte les éléments constitutifs de cette société automatisée. C’est bien dans

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     le respect d’une « écologie de l’esprit », comme Grégory Bateson (1972)26 l’a évoqué,
     qu’il est souhaitable de réélaborer nos règles de vie, l’esprit étant entendu en référence
     à Paul Valérie (1957) comme la puissance de transformation.
41   Cette écologie de l’esprit devrait s’édifier aujourd’hui en prenant en compte l’impact des
     machines numériques sur l’économie de la société et en conséquence reconsidérer les
     places respectives de l’humain et de la machine.
42   Il s’agit en particulier d’éviter les analogies de fonctionnement entre l’humain et la
     machine, entre la biologie et la machine ; le développement spectaculaire des organes
     doués d’intellect des machines peut inciter à ces comparaisons et conduire certains à
     considérer que la pensée est analogue à un processus de calcul ou de traitement de
     l’information (data).
43   Positions qui conduisent à amoindrir la singularité de la pensée humaine ; qui peuvent
     amener à des errements scientifiques par des effets miroir, en considérant que le vivant
     répond à des impératifs similaires à ceux de la fabrication des machines et à leurs
     règles de fonctionnement (comportementalisme) ; qui en fusionnant l’homme et la
     machine pensent le rendre immortel (transhumanisme) ; ...
44   L’historicité de nos sociétés, non sans errements, repose sur l’articulation entre le
     vivant et l’outil, sur une organologie entre organes vivants et organes techniques –
     exorganismes nécessaire à la survie des humains –. Comme nous l’avons évoqué, cette
     organologie au cœur de nos vies constitue des systèmes complexes doués d’intellect
     (humain et machinique) qui exigent une réflexion écologique, c’est-à-dire une écologie
     des esprits.
45   C’est dans ce sens que l’Institut de Recherche et d’innovation (IRI) dans le cadre du
     programme Territoire Apprenant Contributif (TAC) travaille au sein de PMI en Seine-
     Saint-Denis, dans ce que nous appelons une Clinique Contributive. Elle traite de l’impact
     des écrans sur la petite enfance. En particulier, d’enfants intoxiqués par les écrans qui
     développent des symptômes d’autisme. La démarche s’inspire de la psychothérapie
     institutionnelle théorisée entre autres par François Tosquelles (1952) et Jean Oury
     (1953). Démarche qui donne une place centrale au patient qui en prenant soin de
     l’institution prend soin de lui. Ainsi, dans la Clinique Contributive, les parents occupent
     une place centrale aux côtés du personnel de la PMI. Cette pratique que nous
     développons plus largement en Seine-Saint-Denis sous forme de Recherche Contributive
     place les habitants aux cotés des chercheurs, au cœur d’un objectif de capacitation27 : c’est-
     à-dire, redonner aux habitants la possibilité, à partir de leurs savoirs, de réacquérir leur
     pouvoir d’agir sur leurs vies et sur leur environnement.
46   C’est dans ce cadre que nous menons des actions au sein des collèges et des lycées de
     Seine-Saint-Denis. Il s’agit là avec les professeurs d’intégrer à leurs cours un travail sur
     l’aménagement du territoire. Ce travail se fait au moyen d’un jeu numérique
     « minetest » version libre de « minecraft » très populaire auprès des adolescents.
     L’enjeu est l’adoption des techniques numériques de construction et d’aménagement du
     territoire par les habitants : professeurs, élèves, parents, ... Il s’agit à l’occasion des
     énormes aménagements de la Seine-Saint-Denis, à l’occasion des Jeux Olympiques de
     2024, d’acquérir les savoirs et pratiques de ces outils qui sont pour le moment réservés
     aux industriels du bâtiment. De la sorte qu’il devienne envisageable de faire évoluer la
     pratique de ces outils numériques avec deux objectifs principaux (1) que les habitants
     puissent agir sur ces outils pour participer aux choix des aménagements de leur

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     environnement de vie, (2) pour que les jeunes générations qui vont être amenées à
     travailler avec ces outils en aient un savoir suffisant pour ne pas les subir et donc
     pouvoir lutter contre une nouvelle prolétarisation.

     6. En conclusion
47   Comme nous venons de le constater, les chaînes tayloristes traditionnelles dans les
     usines sont peut-être en passe de disparaître, ou tout du moins elles se sont
     majoritairement automatisées : elles ont remplacé les hommes par des robots. Ce qui
     est, sous bien des aspects, positifs. Mais l’utilisation des technologies numériques pour
     automatiser plus largement la société, son fonctionnement et sa productivité, sur la
     base d’une idée que l’ensemble des activités humaines soit calculable, conduirait à une
     prolétarisation généralisée, c’est-à-dire à une perte de savoir et à une dépendance
     considérable des humains à la machine.
48   Il s’agit donc bien, comme Pierre Cazamian n’a pas cessé de le répéter, d’éviter que
     l’humain soit intégré à un système où l’homme serait couplé à la machine, si ce n’est
     absorbé par la machine. C’est sur la base des savoirs développés par les habitants,
     savoirs non calculables, que devrait reposer la maitrise de la machine dans une société
     qui prend soin de ses habitants et de ses citoyens.
          « Le vrai mérite de l’ergonomie, c’est d’avoir fait comprendre à partir, d’une étude
          de l’homme au travail, de l’homme affronté à une machine, que la spécialisation qui
          permet de traiter la machine ne permet pas de coupler cette machine à un homme
          pour réaliser un système. Parce que l’homme a sa logique, une logique vivante et
          globalisante. » (Cazamian, « La fin du Taylorisme » entretien au journal Le Monde –
          31 mars 1980)28

     BIBLIOGRAPHIE
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     archives/article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html

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Rouvroy, A., & Berns, T. (2013). Gouvernementalité algorithmique et perspectives
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Simondon, G. (1958). Du Mode d’existence des objets techniques. Aubier.

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Stiegler, B. (2015). La société automatique. T1 : L’avenir du travail. Éditions Fayard.

Stiegler, B. (2020). Qu’appelle-t-on panser ? T2 : La leçon de Greta Thunberg. Éditions Les liens qui
libèrent.

Valérie, P. (1957). Œuvres, tome 1. Édition Pléiade, p. 1022, in “La politique de l’esprit”.

NOTES
1. Nouvelles Technologies de l’Information de de la Communication
2. Pierre Cazamian : la fin du taylorisme – Le Monde mars 1980 https://www.lemonde.fr/archives/
article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html.
3. Prolétarisation. La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet
(producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir
concevoir et théoriser).
… Le prolétaire est l’employé d’un milieu dissocié. Le prolétaire, dit Simondon, est désindividué par la
machine qui a grammatisé et automatisé son savoir. https://arsindustrialis.org/prolétarisation
4. Pierre Cazamian : la fin du taylorisme – Le Monde mars 1980 https://www.lemonde.fr/archives/
article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html
5. Pierre Cazamian : la fin du taylorisme – Le Monde mars 1980 https://www.lemonde.fr/archives/
article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html
6. Concept de tiers lieux répondant à une charte du MIT
7. Sorte de Fablab commerciaux
8. Conception Assistée par Ordinateur, langage partiellement partageable entre le concepteur et
le client au sens informatique du terme.
9. https://fr.wikipedia.org/wiki/Offuscation

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10. Pierre Cazamian : la fin du taylorisme – Le Monde mars 1980 https://www.lemonde.fr/
archives/article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html
11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman
12. Sébastien Broca « utopie du logiciel libre » p. 246
13. « Un logiciel open source est un logiciel informatique publié sous une licence dans laquelle le
titulaire du droit d’auteur accorde aux utilisateurs les droits d’utiliser, d’étudier, de modifier et
de distribuer le logiciel et son code source à quiconque et à n’importe quelle fin. » Wikipédia
14. Application Programing Interface
15. André Gorz (2003), Toni Negri (2003), Yann Moulier-Boutang (2007) s’inspirant et se référant
à des passages des Grundrisse de Marx.
16. Sébastien Broca (2018) « utopie du logiciel libre » p. 243
17. idem p. 250
18. Pour la production de marchandises, mais aussi pour les services.
19. Qui devient biface à l’instar des industries des médias, mais aussi de plus en plus
fréquemment multiface et de grande complexité à analyser.
20. L’impact de la plateformisation ne se limite pas aux métiers de la mobilité ou de… mais aussi
au monde médical (doctolib) au monde du droit (Rouvroy & Thomas Berns, 2013) https://
www.cairn.info/revue-reseaux-2013-1-page-163.htm
21. Dominique Cardon, & Antonio Casilli (2015). Qu’est-ce que le Digital Labor ? Bry-sur-Marne : INA,
coll. Antonio Casilli (2019). « Études et controverses ». En attendant les robots. Enquête sur le travail
du clic.
22. Cardon, & Casili, 2015.
23. Littéralement « qui est à l’extérieur du corps ». Cet adjectif a été proposé en 1945 pour la
première fois par Alfred Lotka pour qualifier, en biologie, un instrument dont un organisme
vivant individuel ne dispose pas à la naissance et qui ne lui appartient pas génétiquement (une
massue, une pelle, un moteur, ...). Wikitionaire – Vocabulaire ArsIndustrialis.
24. Qu’appelle-t-on panser ? T2 : La leçon de Greta Thunberg de Bernard Stiegler, 2020, p. 34
25. Pierre Cazamian : la fin du taylorisme – Le Monde mars 1980 https://www.lemonde.fr/
archives/article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html
26. Vers une écologie de l’esprit Gregory Bateson 1972.
27. En référence au concept de capability développé par Amartya Sen (1985).
28. Pierre Cazamian : la fin du taylorisme – Le Monde mars 1980 https://www.lemonde.fr/
archives/article/1980/03/31/pierre-cazamian-la-fin-du-taylorisme_2814817_1819218.html

RÉSUMÉS
Ce texte propose des éléments de réflexion sur la question du travail dans le contexte numérique
contemporain en réalisant un détour par la position de Cazamian sur une éventuelle fin
du Taylorisme à partir d’un entretien accordé au quotidien Le Monde dans les années 1980.
Dans ces années, au moment de l’émergence des ordinateurs personnels, des réseaux
numériques, ... des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC), on
pouvait se questionner positivement comme Pierre Cazamian, sur l’impact qu’elles auraient sur
le travail, sur l’organisation de la production, sur les métiers. Quarante ans plus tard, il est
intéressant de faire un point au regard de ces espoirs des années 1980 : comment la

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généralisation de l’informatique connectée a automatisé les services et remplacé bon nombre
d’emplois par le travail des clients / consommateurs ; comment la réticularisation des réseaux
anticipe le choix des humains à partir d’analyses en temps réel des positions moyennes
préalables ; et donc toujours l’urgence de replacer l’humain en pilote de la machine, aujourd’hui
en affrontant les tendances dominantes des technologies digitales.
Il est proposé ici d’examiner successivement :
 - la notion de « savoir métier » au regard de la prolétarisation des ouvriers, mais aussi de
nombreuses autres professions ;
 - l’impact des communautés de « logiciel libre » sur les processus de production ;
 - la nouvelle division du travail induite par le numérique et ses processus de production ;
 - la constitution progressive de « machines invisibles » polymorphes, conséquence de la
digitalisation de la production, mais aussi des services et de la vie quotidienne ;
 - la pharmakologie des technologies numériques, ses aspects curatifs pouvant pallier aux aspects
toxiques.
En conclusion, nous présentons différentes actions curatives permettant aux utilisateurs de ces
technologies de les adopter et non de s’y adapter. C’est-à-dire d’en prendre un contrôle pour en
acquérir une maîtrise dans l’objectif de les utiliser pour leurs besoins propres définis
collectivement. Certaines de ces actions sont menées par l’Institut de Recherche et d’Innovation
(IRI) dans le cadre de Recherches Contributives avec les habitants de Seine-Saint-Denis.
Permettre à l’humain de maitriser la machine, comme l’évoquait Pierre Cazamian dans l’entretien
qu’il a accordé en 1980 au journal Le Monde.

This text proposes elements of reflection on the question of work in the contemporary digital
context by discussing Cazamian’s position on a possible end of Taylorism, based on an interview
he gave to the Le Monde newspaper in the 1980s.
During that period, with the emergence of personal computers, digital networks, … and New
Information and Communication Technologies (NICT), it was opportune, as Pierre Cazamian did,
to positively question the impact that the latter would have on work, on production organization
and on skills. Forty years later, it is interesting to consider the current situation with regard to
these hopes of the 1980s: how generalization of connected computing has automated services and
replaced a good number of jobs with work done by customers/consumers; how network
reticularization anticipates human choice based on real-time analyses of prior average positions;
and therefore, always the urgency to put humans back in control of the machine, nowadays by
fighting the dominant trends of digital technologies.
We therefore successively examine:
 - the notion of “professional knowledge” undermined by the proletarianization of workers, but
also of many other professions;
 - the impact of “free software” communities’ on production processes;
 - the new division of labor induced by digital technology and its production processes;
 - the progressive constitution of polymorphic “invisible machines”, resulting not only from the
digitization of production, but also of services and daily life;
 - digital technology pharmakology, the latter’s curative aspects compensating for the toxic
aspects.
To conclude, we present various curative actions that allow users of these technologies to adopt
them rather than adapt to them. In other words, to take control of them in order to master them
with the aim of using them for their own collectively defined needs. Some of these actions are
carried out by the Institute for Research and Innovation (IRI) within the framework of
Contributive Research with inhabitants of Seine-Saint-Denis, in the north of Paris.
Allowing humans to master the machine, as Pierre Cazamian mentioned in the interview he gave
in 1980 to the newspaper Le Monde.

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INDEX
Mots-clés : métier, taylorisme, prolétarisation, logiciel libre, digital
Keywords : skill, profession, taylorism, proletarianization, free software, digital

AUTEUR
OLIVIER LANDAU

Institut de Recherche et d’Innovation (IRI)
olivier.landau@yahoo.fr

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