La substance cannabis et ses risques - Santé Mentale
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DOSSIER SCHIZOPHRÉNIE ET CANNABIS La substance cannabis La consommation de cannabis est très répandue dans le monde. Au-delà de postures idéologiques, quand parle-t-on de trouble de l’usage et de dépendance ? Quels sont les effets sur l’organisme et les complications psychiatriques et somatiques potentielles ? Le cannabis reste la drogue illi- années 2000. Le développement de l’offre PHARMACOLOGIE cite la plus couramment consommée dans s’est poursuivi, avec des produits plus Le cannabis est une plante dont l’es- le monde. En 2016, 192 millions de per- fortement dosés en tétrahydrocannabinol pèce la plus répandue est le Cannabis sonnes en ont fait usage au moins une fois (THC), renforçant l’attractivité du canna- sativa (chanvre indien), classé en France au cours de l’année écoulée. À l’échelle bis, tandis que son accessibilité demeure comme stupéfiant. Il se présente sous mondiale, le nombre de consommateurs très forte (2). trois formes : l’herbe (feuilles, tiges et de cannabis ne cesse de croître et aurait Ainsi, faussement perçu comme facile à sommités fleuries séchées), la résine (le augmenté d’environ 16 % entre 2007 obtenir et « présentant de faibles risques », « haschisch ») et l’huile (plus concentrée et 2016 (1). il figure parmi les substances les plus cou- en principe actif). Généralement, l’herbe En France et en Europe, le cannabis rantes, dont l’utilisation commence dès et le haschisch se fument sous forme de occupe une place prépondérante dans les l’adolescence. Le cannabis est souvent « joint » (avec du tabac, sous la forme usages chez les adultes comme chez les consommé en association avec d’autres d’une cigarette roulée). L’huile est plutôt adolescents. Les niveaux d’usage de can- substances. Alors que le cannabis apparaît consommée à l’aide d’une pipe. Plus mar- nabis opposent schématiquement l’Europe bien diffusé dans toutes les couches de ginalement, le cannabis peut aussi être du Nord, peu consommatrice, à l’Europe la société, ses usages occasionnels et ingéré, incorporé dans des préparations de l’Ouest et du Sud. La France devance réguliers coïncident souvent avec des alimentaires (gâteaux space-cakes) ou clairement les autres pays de l’Union situations sociales différentes : l’expéri- bu (infusions). européenne avec une prévalence d’usage mentation et l’usage occasionnel appa- Le cannabis contient plus de 60 subs- dans l’année nettement supérieure à raissent plus fréquemment associés à tances cannabinoïdes dont deux, le del- celles observées dans la plupart des pays. des contextes d’intégration, tandis que ta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le L’Italie, la République tchèque et l’Es- les usages fréquents seraient plutôt liés cannabidiol (CBD), ont des propriétés pagne complètent le quatuor des pays à des situations de relégation ou de dif- psychoactives. où les usagers sont les plus fréquents. ficultés sociales. Le THC est le principal principe actif Ce niveau élevé d’usage de cannabis en Depuis trois décennies, la diffusion du du cannabis et ses effets pharmaco- France est en partie lié à la proximité cannabis ne cesse de progresser en France, logiques se produisent en activant un avec des pays producteurs, notamment concernant aussi bien les hommes que les système cannabinoïde endogène com- le Maroc. Il s’inscrit également dans le femmes. Ainsi, on compte en 2016 autour posé de substances neurochimiques et contexte d’une réorganisation du marché de 17 millions d’expérimentateurs de can- de récepteurs spécifiques. Deux types du cannabis amorcée depuis la fin des nabis dans la population française âgée de de récepteurs ont été caractérisés : 11 à 64 ans. Parmi eux 5 millions sont des CB1 et CB2. Le cannabidiol (CBD) a usagers dans l’année, alors que 1,4 million des effets anxiolytiques et module les fument au moins dix fois par mois. Enfin, effets du THC. 700 000 individus se déclarent usagers Les récepteurs CB1 sont distribués de Oussama KEBIR*, Chloé LUCET**, quotidiens de cannabis (3). façon hétérogène dans l’organisme avec Xavier LAQUEILLE*** Les usages de cannabis restent le fait des une plus forte concentration dans les jeunes générations (plus de 40 % des structures cérébrales impliquées, notam- * MD-PhD-HDR, Praticien hospitalier, adolescents âgés de 17 ans en avaient ment, dans la mémoire, la coordination ** DES de psychiatrie, Praticien hospitalier, déjà consommé en 2017). Toutefois, on motrice, mais aussi dans le traitement *** Psychiatre des hôpitaux, Chef du service observe, avec le vieillissement de géné- des informations relatives à la douleur. d’addictologie, Responsable d’enseignement, rations d’expérimentateurs, une consom- Des récepteurs CB1 sont aussi présents Université Paris-Descartes, Service d’Addictologie, mation de plus en plus fréquente au-delà dans les structures qui participent au CH Sainte-Anne, Paris. de 25 ans (3). contrôle des émotions ou composent le 30 SANTÉ MENTALE | 237 | AVRIL 2019
SCHIZOPHRÉNIE ET CANNABIS DOSSIER et ses risques © Fabien Provost, dit Frob. SANTÉ MENTALE | 237 | AVRIL 2019 31
DOSSIER SCHIZOPHRÉNIE ET CANNABIS circuit de la récompense. Les récepteurs – Effets neurobiologiques. La consomma- associée du tabac et sont plus intenses CB2 sont présents dans l’ensemble du tion aiguë de cannabis provoque une lorsque la consommation est prolongée système immunitaire. augmentation de la sécrétion dopami- et importante. nergique au niveau du striatum alors que EFFETS SUR L’ORGANISME l’usage chronique est associé à une dimi- TROUBLES DE L’USAGE nution de la sécrétion dopaminergique et ET DÉPENDANCE • Intoxication aiguë une diminution des récepteurs CB1. La Sur le plan des critères diagnostiques, Elle débute typiquement par un sentiment densité de ces derniers récepteurs est « l’abus » (DSM-IV, Manuel diagnostique de « high » suivi de symptômes incluant restaurée après 4 semaines d’abstinence. et statistique des troubles mentaux) ou l’euphorie avec des rires inappropriés et – Effets cérébraux. Les études d’imagerie « l’usage nocif » (CIM-10, Classification le sentiment de grandeur, la sédation, la montrent que l’exposition chronique au internationale des maladies) de cannabis léthargie, une atteinte de la mémoire à cannabis est associée à des altérations étaient conceptualisés comme stades anté- court terme, des difficultés à effectuer cérébrales notamment une réduction du rieurs à l’apparition d’une dépendance. des opérations mentales complexes, des volume de substance grise de régions Cette approche nosographique permettait altérations du jugement, une modification riches en récepteurs CB1 comme l’hip- de faire admettre que ce comportement de des perceptions sensorielles, des troubles pocampe, le cortex préfrontal, l’amygdale consommation problématique, même sans moteurs et un sentiment de ralentis- et le cervelet. Ces altérations sont plus l’apparition d’une dépendance, nécessitait sement temporel. Parfois de l’anxiété marquées avec un âge de début précoce une réponse de soins. En 2015, l’approche (pouvant être sévère), une dysphorie ou de consommation de cannabis et d’un dimensionnelle apportée par le DSM-5 un retrait social peuvent survenir. Ces ratio THC/CBD élevé (6). Cependant, ces constitue un vrai changement conceptuel. effets psychoactifs, qui se développent données sont parfois inconstantes à cause Le concept d’addiction regroupe abus et dans les deux heures suivant la consom- de facteurs confondants comme l’âge et la dépendance, exclut les problèmes légaux mation de cannabis, s’accompagnent co-dépendance à l’alcool et au tabac. Le de la consommation de cannabis car liés à fréquemment de conjonctives injectées, suivi longitudinal d’une cohorte de jeunes un contexte très variable en fonction des d’augmentation de l’appétit, de bouche consommateurs ne retrouve pas d’anoma- pays et introduit la présence du « craving » sèche et de tachycardie. lies de l’hippocampe mais des réductions (ce terme définit une impulsion vécue sur Le mode de consommation module l’in- du volume de la substance grise limitées un instant donné, véhiculant une envie tensité et la chronologie de l’intoxication à la période de l’adolescence (7). L’inté- forte de consommer un produit psychoactif aiguë. Les symptômes apparaissent en grité de la substance blanche semble être et sa recherche compulsive). Le trouble quelques minutes lorsque le cannabis est affectée d’une manière diffuse chez les de l’usage de cannabis peut être léger, fumé et peut prendre quelques heures en jeunes consommateurs. Enfin, l’image- modéré ou sévère (voir encadré). cas d’ingestion per os. Les effets durent rie fonctionnelle retrouve une activation 3-4 heures et un peu plus longtemps en cérébrale perturbée pendant les tâches • Tableau clinique cas d’ingestion. L’intensité des symptômes cognitives sollicitant les fonctions exé- Le trouble de l’usage de cannabis se dépend de la dose, de la voie d’usage et cutives, la mémoire de travail, l’appren- manifeste à travers plusieurs dimensions : de caractéristiques individuelles liées à tissage verbal, le traitement affectif et – Les consommations interfèrent avec la vitesse d’absorption, la tolérance et la de la récompense. Cette activation se les obligations scolaires et profession- sensibilité. Enfin, les effets du cannabis fait d’une manière différente chez les nelles. Chez le jeune, on observe un peuvent survenir de nouveau durant 12 à consommateurs adultes comparés aux fléchissement des résultats scolaires, un 24 heures à cause du relargage lent des consommateurs adolescents. Un âge de absentéisme et un désinvestissement des cannabinoïdes à partir des tissus adipeux début plus précoce et une longue durée projets d’avenir. Chez l’adulte, on note ou de la circulation entérohépatique. de consommation sont associés une acti- une diminution du rendement au travail vation cérébrale plus perturbée dans les et une baisse du fonctionnement pouvant • Intoxication chronique tâches cognitives nécessitant une prise de provoquer des licenciements à répétition. – Effets neuropsychologiques. L’utilisation décision et une capacité d’inhibition (8). – On observe des conduites à risque et régulière du cannabis induit une baisse – Effets cardiovasculaires. La prise de des transgressions donnant lieu à des des performances dans tous les domaines cannabis accélère le rythme cardiaque et poursuites judiciaires : conduite de moto cognitifs. L’intensité des déficits cogni- augmente la pression artérielle. Ces effets sans casque, de voiture sous l’emprise de tifs est plus importante avec un âge de s’estompent quand l’usage se prolonge. cannabis, vols, fugue, surendettement. début de consommation précoce, une Plus rarement, le cannabis peut avoir – Sur le plan relationnel, peut apparaître utilisation intensive et un haut rapport des effets vasculaires très marqués à un changement majeur de l’entourage THC/cannabidiol (CBD). La vitesse de type de vasodilatation ou de vaso-spasme amical, avec un désinvestissement des traitement de l’information est aussi menaçant la perfusion cérébrale. amitiés de longue date et un retrait voire affectée. Concernant le QI, il pourrait – Effets pulmonaires. La consommation une opposition franche et violente par exister une baisse du score global chez aiguë provoque une bronchodilatation rapport à l’autorité parentale. Chez les les adolescents et les usagers précoces modérée de quelques heures. Cet effet adultes, une situation conflictuelle avec et en cas d’usage prolongé. Ces troubles s’estompe avec l’usage chronique mais le conjoint pousse souvent à la prise en cognitifs peuvent persister, parfois atté- augmente l’incidence de la toux et des charge du trouble. nués, même après une abstinence pro- expectorations. Ces réactions ne sont – La tolérance s’installe, entraînant une longée (4, 5). pas uniquement expliquées par la prise moindre sensibilité aux effets psychotropes 32 SANTÉ MENTALE | 237 | AVRIL 2019
SCHIZOPHRÉNIE ET CANNABIS DOSSIER © Fabien Provost, dit Frob. avec une utilisation « routinière » du pro- Critères diagnostiques du trouble d’utilisation du cannabis duit ou une augmentation des doses en Le mode problématique d’utilisation du cannabis conduisant à une altération du fonctionnement quête de nouveaux effets. Le sujet dépen- ou à une souffrance cliniquement significative se caractérise par la présence d’au moins deux dant peut chercher des produits à base de variétés plus fortement dosées. Il existe des manifestations suivantes durant une période de 12 mois : une utilisation compulsive, un craving et 1– Le cannabis est souvent pris en quantité plus importante ou pendant une période plus prolongée des efforts infructueux pour diminuer ou que prévu. contrôler sa consommation. 2– Il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour diminuer ou contrôler l’usage du cannabis. • Potentiel addictif du cannabis 3– Beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour obtenir du cannabis, à utiliser le Les données concordent sur le risque de cannabis ou à récupérer des effets du cannabis. développer une dépendance avec l’uti- 4– Envie impérieuse (craving), fort désir ou besoin pressant de consommer du cannabis. lisation continue de cannabis (5). On 5– Usage répété du cannabis conduisant à l’incapacité de remplir des obligations majeures au estime qu’un expérimentateur sur 11 travail, à l’école ou à la maison. développera un trouble addictif sur la 6– Poursuite de l’utilisation du cannabis malgré des problèmes sociaux ou interpersonnels, vie, ce risque étant doublé si l’initiation persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par les effets du cannabis. se fait pendant l’adolescence. De 25 % 7– Des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importantes sont abandonnées ou réduites à cause de l’usage du cannabis. à 50 % des consommateurs quotidiens deviendront dépendants. Dans une étude 8– Usage récurrent du cannabis dans des situations où c’est physiquement dangereux. américaine récente (9), trois fumeurs de 9– L’usage du cannabis est poursuivi bien que la personne soit consciente d’avoir un problème physique ou psychologique persistant ou récurrent qui est susceptible d’avoir été causé ou cannabis sur 10 remplissent les critères exacerbé par le cannabis. d’un trouble lié à l’usage de cannabis 10– Tolérance, telle que définie par l’un des éléments suivants : selon le DSM-IV. Enfin, la prévalence du •besoin de quantités notablement plus fortes du cannabis pour obtenir une intoxication ou trouble lié à l’usage de cannabis évalué l’effet désiré ; sur l’année dernière a doublé chez les •effet notablement diminué en cas d’usage continu d’une même quantité de cannabis. adultes américains depuis 2001 (10). 11– Sevrage, tel que manifesté par un des éléments suivants : •le syndrome de sevrage caractéristique du cannabis ; • Facteurs favorisant la dépendance •le cannabis (ou une substance proche) est pris pour soulager ou éviter les symptômes de Plusieurs facteurs favorisent la dépen- sevrage. dance au cannabis (11). La précocité Niveaux de sévérité de la consommation est prédictive de – Léger : présence de 2-3 symptômes. dépendance ultérieure. D’autres facteurs – Modéré : présence de 4-5 symptômes. ont été mis en évidence, en particulier – Sévère : présence de 6 symptômes ou plus. la pression des pairs, l’existence de dif- • Source : DSM-5 - Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, APA, version ficultés scolaires et de comportements française, Elsevier-Masson, 2015. SANTÉ MENTALE | 237 | AVRIL 2019 33
DOSSIER SCHIZOPHRÉNIE ET CANNABIS délinquants, les maltraitances ou abus fréquents chez les personnes dépen- de la latence d’endormissement, mais sexuels dans l’enfance, des facteurs dantes au cannabis. Dans une popula- également des perturbations du sommeil sociaux et économiques et les effets tion d’adolescents danois, la précocité plus tard dans la nuit (éveils nocturnes), subjectifs positifs ressentis lors des pre- de la consommation de cannabis était dues principalement aux symptômes de mières prises (« se sentir content », « se associée à celle d’alcool sous forme de sevrage. L’architecture du sommeil est sentir relaxé », « rire »…). binge drinking (c’est-à-dire le fait de aussi perturbée avec une diminution du Les études d’épidémiologie génétique, consommer beaucoup d’alcool en très sommeil paradoxal (sommeil à mouve- en particulier les études d’agrégation peu de temps) (15). Les risques liés à ments oculaires rapides). familiale et celles de jumeaux, ont estimé la consommation d’alcool s’ajoutent à l’héritabilité de la dépendance au canna- ceux du cannabis, notamment lors de la COMPLICATIONS SOMATIQUES bis entre 50 et 59 % (11). L’héritabilité conduite automobile et sont maximaux – Mortalité. Il n’existe pas de décès par est une donnée statistique évaluant la lors de la consommation quotidienne des surdose de cannabis. Cependant, la part des facteurs génétiques dans la deux produits (16). consommation régulière de cannabis variation de l’expression d’un caractère – Risque de consommation d’autres sub- augmente le risque d’être responsable phénotypique mesurable au sein d’une stances illicites. Plusieurs études épidé- d’un accident mortel de la voie publique population donnée et n’a pas de ce fait de miologiques rapportent une augmentation (risque relatif de 3,3) avec un effet sens au niveau de l’individu. Ces facteurs du risque d’abus ou de dépendance à dose significatif lorsque la concentra- de risque (génétiques et environnemen- d’autres substances illicites (11), en tion de THC sérique est supérieure à taux partagés) peuvent être spécifiques lien avec plusieurs co-facteurs, notam- 5 ng/ml (19). au cannabis ou communs à l’ensemble ment la précocité de la consommation – Troubles cardio-vasculaires. Le can- des addictions. de cannabis et l’environnement de cette nabis peut provoquer des extrasystoles consommation. auriculaires ou ventriculaires et d’autres • Syndrome de sevrage arythmies plus persistantes, comme la Il est caractérisé principalement par des COMPLICATIONS PSYCHIATRIQUES fibrillation auriculaire, ventriculaire, troubles du sommeil, une irritabilité, – Troubles psychotiques. De nombreuses voire la mort subite. Il augmente la fré- une humeur dysphorique et un craving études montrent que l’usage du cannabis quence des accidents vasculaires. Le intense. Ces symptômes apparaissent augmente le risque de transition vers risque d’infarctus du myocarde est aug- dans les 24 heures après l’arrêt de la un trouble psychotique (voir l’article de menté durant la première heure qui suit la consommation, atteignent un pic maximal M.-O. Krebs, p. 52). consommation. Plusieurs cas d’accidents entre trois et sept jours et disparaissent – Syndrome amotivationnel. Très fréquent, ischémiques transitoires et d’accidents en trois à quatre semaines. Ce syndrome il se caractérise par l’anhédonie, le désin- vasculaires cérébraux (AVC) sont rapportés de sevrage, inclus dans le DSM-5, sur- térêt, le détachement émotionnel, la dans la littérature. Enfin, il est décrit de vient surtout chez les patients les plus perte de l’initiative, l’apragmatisme, la formes très rares de pseudo-vascularite sévèrement dépendants. passivité, l’apathie, l’appauvrissement de Buerger induite par le cannabis : intellectuel et le retrait social. Il peut l’ischémie progressive touche alors les AUTRES ADDICTIONS ASSOCIÉES persister quelques semaines après le extrémités distales des quatre membres La dépendance au cannabis est fréquem- sevrage et régresse ensuite spontanément. et évolue selon la consommation de can- ment associée à d’autres addictions, en – Troubles anxieux. L’attaque de panique nabis (20). particulier à des conduites d’alcoolisation survient souvent, essentiellement chez les – Troubles respiratoires. Le cannabis pro- et presque toujours à la consommation primo-consommateurs. Certaines études voque des broncho-pneumopathies chro- de tabac. trouvent un risque accru de troubles niques obstructives (BPCO). Ce risque est – Dépendance tabagique. Le cannabis est anxieux chez les consommateurs avec lié proportionnellement à la quantité de consommé principalement (quatre fois un effet modeste (17). Cependant, ces cannabis fumée. On estime que la toxicité sur cinq) sous forme de joints, associant troubles anxieux semblent plutôt préexis- d’un paquet de cigarette est comparable tabac et cannabis (12). En France, 99 % ter. Certaines manifestations anxieuses à celle de 2,5 à 5 joints fumés par jour. des patients consultant pour dépendance sévères comme le syndrome de déperson- La muqueuse bronchique est altérée éga- au cannabis sont aussi des consomma- nalisation-déréalisation peuvent persister lement avec des lésions hyperplasiques, teurs de tabac (13). Les consommateurs plusieurs semaines après le sevrage. métaplasiques et modifications struc- se décrivant comme « non-fumeurs de – Troubles dépressifs et suicide. Le risque turelles équivalentes à celles observées cigarettes » utilisent en réalité du tabac de dépression par une utilisation du can- chez les grands tabagiques. Le risque de mélangé au cannabis. Ce tabagisme est nabis semble survenir chez les plus gros cancer du poumon est augmenté (21). sous-évalué par les soignants comme par consommateurs et/ou ceux qui ont débuté – Troubles hépatiques. Le cannabis est un les consommateurs. La précocité de la la consommation précocement. Le risque facteur reconnu de progression rapide de consommation de cannabis augmente le d’idées suicidaires ou de tentatives de la fibrose pulmonaire chez les personnes risque de dépendance tabagique. Enfin, suicide serait augmenté selon certaines porteuses d’une hépatite C. les risques liés à la consommation de études (18). – Cancer testiculaire. Il semble exister une tabac s’ajoutent à ceux associés au can- – Troubles du sommeil induits. Le cannabis augmentation du risque de ce cancer chez nabis (14). induit des effets sédatifs avec une aug- les consommateurs mais les données sont – Alcoolodépendance. La consommation, mentation de la somnolence diurne, des contradictoires. L’étude de cohorte la plus l’abus et la dépendance à l’alcool sont troubles de vigilance et une réduction récente publiée en 2017 retrouve une 34 SANTÉ MENTALE | 237 | AVRIL 2019
SCHIZOPHRÉNIE ET CANNABIS DOSSIER augmentation significative de ce risque 1– Organisation des Nations Unis. Rapport mondial sur 14– Agrawal A, Budney AJ, Lynskey MT. The co-occurring use (2,57) chez les « gros » consommateurs (n les drogues 2018. Disponible sur : https://www.unodc.org/ and misuse of cannabis and tobacco : a review. Addiction. = 45 250 sujets ; 119 cas de cancer) (22). wdr2018/index.html. 2012 Jul ; 107(7):1221-33. – Grossesse. Le cannabis perturbe le cycle 2– Beck F, Spilka S et al. Cannabis : usage actuel en popu- 15– Wium-Andersen IK, Wium-Andersen MK, Becker U, menstruel, l’implantation embryonnaire lation adulte. Tendances n° 119, OFDT, 4 p. Juin 2017. Thomsen SF. Predictors of age at onset of tobacco and cannabis et augmente les complications obsté- Disponible sur : https://www.ofdt.fr/publications/collections/ use in Danish adolescents. Clin Respir J. 2010 Jul ; 4(3):162-7. tricales. 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Résumé : Le cannabis est la drogue illicite la plus couramment consommée dans le monde. Perçu comme facile à obtenir et comme présentant de faibles risques, il figure parmi les substances les plus courantes dont l’utilisation commence pendant l’adolescence. Le THC est le principal principe actif du cannabis et ses effets pharmacologiques se produisent en activant un système cannabinoïde endogène composé de substances neurochimiques et de récepteurs spécifiques. La consommation chronique comporte des effets délétères essentiellement neuropsychologiques mais également pulmonaires. Les complications addictives, psychiatriques et somatiques sont discutées dans cet article. Mots-clés : Cannabis – Comorbidité – Dépendance – Complication – Pharmacologie – Toxicité – Usage avec dépendance – Usage nocif. SANTÉ MENTALE | 237 | AVRIL 2019 35
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