LE CHÔMAGE N'EST PAS UN CHOIX - LE LIVRE NOIR D'UNE RÉFORME INJUSTE

 
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LE CHÔMAGE
   N’EST PAS
   UN CHOIX
         LE LIVRE NOIR
D’UNE RÉFORME INJUSTE
CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL
                                4, BOULEVARD DE LA VILLETTE
                                        75955 PARIS CEDEX 19
                                          TÉL. : 01 42 03 80 00
                                                       CFDT.FR

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Coordination édition et fabrication Service information Communication CFDT
           Conception graphique Service information Communication CFDT
                                      Juillet 2021 - Illustration couverture : DR
LE BON
        ET LE MAUVAIS

                                                                                            © CFDT - A. BRUEL
             CHÔMEUR

Où s’arrêtera le processus de stigmatisation des chômeurs ? La question mérite
d’être posée. Car si l’idée reçue selon laquelle les demandeurs d’emploi abuseraient
de l’assurance chômage a toujours existé, fonder une réforme sur cette vision des
choses est une faute politique. Les deux années que nous venons de vivre sont une
illustration concrète de ce que donne la gestion de l’assurance chômage par l’État,
où la vision purement budgétaire occulte tout le reste.

Bâtir une réforme ancrée dans le réel suppose de partir des réalités. Réalités
d’une économie ébranlée par la crise sanitaire et qui commence tout juste à se relever.
Réalités d’un marché du travail qui n’a plus rien à voir avec celui qui se dessinait
en 2018 lorsque le gouvernement visait le plein emploi comme un objectif atteignable.
Réalités, enfin, de ce que vivent chaque mois les demandeurs d’emploi.
Il n’y a pas de bons et de mauvais chômeurs. Et cette réforme qui consiste
à vouloir lutter contre la précarité en incitant au retour à l’emploi par la baisse
de l’indemnisation des demandeurs d’emploi ignore ces réalités.

Quiconque a vécu des périodes de chômage au cours de sa vie professionnelle
et vu arriver avec angoisse la fin de ses droits peut en témoigner. C’est ce que nous
disent Aurore, Charles, Ben et Laura dans les témoignages que nous avons recueillis
ces dernières semaines. C’est aussi le parcours de ceux, comme Kevin, que la crise
a laissés sur le bord de la route et qui donneraient tout pour un contrat de quelques
mois, de quelques jours, sans qu’une partie de l’opinion ne les soupçonne
de profiter du système. Nous avons choisi de leur donner la parole.

                                                                          Marylise Léon,
                                                      secrétaire génerale adjointe CFDT

LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                     ASSURANCE CHÔMAGE   l1
3	TÉMOIGNAGES
     SOMMAIRE            “L
                           e chômage et la précarité :
                          ce n’est pas un choix de ma part ”

                      7	CHIFFRES
                         Qui sont les chômeurs indemnisés ?

                      8	
                        INTERVIEW
                        “ Les chômeurs sont des personnes
                           comme vous et moi ”

                      10	
                         HISTORIQUE DE LA RÉFORME
                         Voyage au bout de l’absurde

                      13	DE L’AUTRE CÔTÉ
                          De l’autre côté du guichet,
                          les agents ont les nerfs à vif

                      17 Liens utiles

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2 ASSURANCE CHÔMAGE                                            LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE
“ LE CHÔMAGE
               ET LA PRÉCARITÉ :
          CE N’EST PAS UN CHOIX
                    DE MA PART ”

L’INQUIÉTUDE EST GRANDE FACE AUX EFFETS
DE LA RÉFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE,
NOTAMMENT CHEZ CEUX QUI ALTERNENT
DES PÉRIODES TRAVAILLÉES ET CHÔMÉES.
LA BAISSE DE LEUR ALLOCATION RISQUERAIT
DE LES FAIRE PLONGER DANS LA PRÉCARITÉ.
C’EST CE QUE NOUS EXPLIQUENT HÉLÈNE,
AURORE, CHARLES, BEN ET LAURA.

L
        es salariés choisissent rarement de devenir ou de rester chômeurs. Selon
        un baromètre commandé par l’Unédic, 78 % des Français reconnaissent
        que se retrouver sans emploi est une situation subie. Cet élément aurait-il
échappé au gouvernement lors de l’écriture de la réforme de l’assurance chômage ?
Même si le Conseil d’État a suspendu l’application (prévue à l’origine au 1er juillet 2021)
de ces nouvelles règles désavantageuses d’indemnisation, la réforme reste toujours
dans les tuyaux, tant que la haute juridiction administrative ne s’est pas prononcée
sur le fond. Ce futur chamboulement potentiel reste un motif d’inquiétude pour
de nombreux salariés et demandeurs d’emploi, qui craignent de voir leur allocation
se réduire.

C’est ce qu’explique Hélène. Elle a dû s’inscrire à Pôle emploi en août 2020 à la suite
de la pression exercée par son ancien employeur qui a réussi à lui faire signer une
rupture conventionnelle. « Ce n’était pas un choix de ma part. » Pour le moment,
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elle a pu retrouver un CDD de trois mois. Mais l’avenir est incertain. « S’il n’est pas
     renouvelé, je devrai vivre avec 850 euros par mois, comme avant ce CDD. […]
     Avec la réforme, je toucherai environ 600 euros. Je ne remercie pas le gouvernement
     pour la perception qu’il a des demandeurs d’emploi. »

         “ VAIS-JE DEVOIR
         ME RETROUVER À LA RUE ? ”
     Aurore, 34 ans, s’est retrouvée sans emploi en raison de la pandémie. Elle avait
     déniché un emploi en CDD, qui devait se transformer en CDI. Avec les difficultés
     économiques, son employeur l’a placée en activité partielle avant de la faire revenir
     pour finalement la licencier une semaine avant la fin du contrat. C’était en octobre
     2020. Elle craint elle aussi un recalcul à la baisse de ses droits avec la réforme.
     « Comment oser changer les règles alors que nous, chômeurs, avons cotisé tout autant
     que les salariés et que, pour ma part, je n’avais pas prévu de retourner dans cette
     situation de quasi-précarité ? […] J’avais trouvé un travail mais cette pandémie m’a
     coupé l’herbe sous le pied. Pourquoi s’obstinent-ils à sortir cette réforme pendant
     une telle période sachant que les offres d’emploi ne courent pas les rues ? »

     Ces dernières semaines, la campagne « CFDT Solidarité Chômage » a donné lieu à des dizaines de
     témoignages de demandeurs d’emploi inquiets de l’impact que pourrait avoir l’application des
     nouvelles règles sur leur situation personnelle.

                                                                                                          © MARTA NASCIMENTO/RÉA

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4 ASSURANCE CHÔMAGE                                                 LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE
Alors que le but affiché par le gouvernement à travers cette réforme est de « lutter
contre la précarité liée à la hausse des contrats courts », la baisse des allocations
chômage risque d’entraîner certains dans une spirale de précarité dont ils ne voient
pas comment ils pourront s’extraire. « Comment vais-je faire si ce coronavirus perdure
et met encore les entreprises en difficulté ? Vais-je devoir me retrouver avec
mes enfants à la rue ? Quémander aux Restos du cœur ? », se questionne Aurore.

Idem pour Charles, 27 ans, originaire du Rhône : « Je crains qu’à l’issue de mon arrêt
maladie, j’en sois réduit à vivre dans la précarité. Payant un loyer de 600 euros,
je ne pourrai pas vivre avec des indemnités chômage réduites. Je devrai donc très
probablement ne plus payer mon loyer et risquer de vivre dans la rue, en attendant
le jour où je retrouverai un emploi. »

     “ ON NOUS JETTE
     DÈS QU’IL N’Y A PLUS DE TRAVAIL ”
« J’alterne CDD et périodes de chômage, mais ces périodes non travaillées ne relèvent
pas de ma volonté propre ! », affirme Ben, 31 ans, originaire de la Charente. Saisonnier
dans les domaines viticoles, il considère que « les patrons ont un rôle extrêmement
important dans l’abus de contrats courts. […] On nous prend quand il y a du travail
et on nous jette dès qu’il n’y en a plus. Cette réforme va nous pénaliser énormément
financièrement – alors que pour les patrons, le système de bonus-malus […] n’est
que minime. Cela ne les empêchera pas d’abuser encore et encore des contrats courts ».

Laura, 45 ans, réside en Gironde. Cette cadre commerciale va être bientôt licenciée
pour inaptitude, en raison d’une maladie professionnelle. Elle s’est posé beaucoup
de questions à propos de sa future indemnité chômage. « Sur les vingt-quatre mois de
ma période de référence précédant mon licenciement, je n’aurai que huit mois d’activité
réelle, et le reste sera remplacé par un “salaire fictif”, qui par essence ne répond pas
au code du travail, stipulant que l’allocation de retour à l’emploi (ARE) soit fondée
sur des revenus existants. » Le risque de tomber dans la précarité se fait, là aussi, sentir.
« Je déplore l’amateurisme avec lequel la réforme de notre système d’assurance
chômage a été élaborée. »

LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                         ASSURANCE CHÔMAGE   l5
LA DERNIÈRE MOUTURE
          DE LA RÉFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE

      La réforme du gouvernement – pour le moment suspendue par la récente
      décision du Conseil d’État – porte sur plusieurs points…

         a règle de calcul du salaire journal de référence (qui permet de définir
        L
        le montant de l’allocation) est revue. Avec la réforme, le SJR serait calculé
        en prenant en compte les jours travaillés et non travaillés, pénalisant fortement
        les salariés qui alternent périodes de travail et de chômage (840 000 chômeurs
        seraient impactés par une baisse moyenne de 20 % de leur allocation).
        Un niveau plancher a été introduit pour limiter la baisse du SJR dans
        le décret du 30 mars 1.

         a durée minimale de travail afin d’ouvrir ou de recharger ses droits
        L
        est allongée, passant de quatre mois sur les vingt-huit derniers mois à six mois
        sur les vingt-quatre derniers mois. Toutefois, cette durée reste égale à quatre
        mois tant qu’il n’y aura pas d’amélioration des conditions du marché de l’emploi.

         es salariés de moins de 57 ans percevant un revenu antérieur supérieur
        L
        à 4 500 euros bruts par mois pourraient voir leur allocation chômage
        diminuer après six mois d’indemnisation. Ce délai est temporairement porté
        à huit mois, toujours dans l’idée d’un « retour à meilleure fortune » économique.

         a réforme comprend également un système de bonus-malus sur les cotisations
        L
        patronales, de façon que les entreprises limitent leur recours aux contrats
        courts. Une période d’observation d’un an du comportement des entreprises
        devait s’ouvrir au 1er juillet pour une application du bonus-malus à partir
        du 1er septembre 2022.

     1	Décret n° 2021-346 du 30 mars 2021 portant diverses mesures relatives
        au régime d’assurance chômage.

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6 ASSURANCE CHÔMAGE                                                     LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE
QUI SONT LES CHÔMEURS
  INDEMNISÉS ?
  6,4
                                                                         Source : Unédic, septembre 2020

                                            de demandeurs d’emploi
                                            en France en 2019.
                                                     Parmi eux,

                                                     2,6
                                                     millions
                                                     perçoivent une allocation chômage
                                                     (soit 40 %)

  Quelle est                          Mais le montant touché mensuellement
  l’indemnisation                     dépend de l’activité de l’allocataire :
  moyenne                             > pour un chômeur            > pour un chômeur
  des allocataires ?                  qui n’a pas travaillé        qui cumule

   910
                                      dans le mois                 allocation et salaire

                                      1 040                           610     net
   net par mois                       net mensuel
                                                                  +   Salaire
                                                                      en complément
  À savoir…
  50 des allocataires bénéficient                                 = 1 350 net
  d’un droit à l’indemnisation
  de deux ans ou plus.

                       ?
                                              30
                                                          26                     24
                                                                    20

     52                48                   – de 30 ans   30-39 ans 40-49 ans 50 ans et +

  La proportion des femmes
  ne cesse de croître depuis 2014
  (elles étaient alors 48 .

LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                                ASSURANCE CHÔMAGE       l7
“ LES CHÔMEURS
               SONT DES PERSONNES
               COMME VOUS ET MOI ”

         DEPUIS PLUS DE TRENTE-CINQ ANS, SOLIDARITÉS NOUVELLES
            FACE AU CHÔMAGE (SNC) ACCOMPAGNE LES DEMANDEURS
            D’EMPLOI, LES ÉCOUTE ET FAIT ENTENDRE LEUR VOIX DANS
         LE DÉBAT PUBLIC. VINCENT GODEBOUT, LE DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL
             DE L’ASSOCIATION, INSISTE SUR LA NÉCESSITÉ DE CASSER
      LES STÉRÉOTYPES ENCORE PRÉSENTS À PROPOS DES CHÔMEURS.

     Q      uelle est votre première réaction à la suite de la suspension de la réforme
            de l’assurance chômage par le Conseil d’État ?
     Nous sommes évidemment très satisfaits ! Jamais, de toute son existence, SNC n’avait
     saisi le Conseil d’État. Mais face à la gravité de la situation, nous avons décidé d’une
     intervention volontaire en soutien des recours portés par les organisations syndicales,
     dont la CFDT. Le fait que cette intervention ait été considérée comme légitime
     par le juge est essentiel pour nous.
     Cependant, si la décision du Conseil d’État constitue une étape positive, nous devons
     rester vigilants quant à la protection des personnes les plus fragiles de notre société,
     en particulier des chercheurs d’emploi : un certain nombre d’entre eux semblent
     avoir renoncé à leur recherche d’emploi à cause du climat généré par l’apparition
     de la Covid-19. Aussi, SNC reste mobilisée en attendant la future décision sur le fond.

     Justement, SNC s’est mobilisée contre cette réforme depuis son annonce.
     Par quels biais ?
     En effet, cette réforme injuste nous avait déjà obligés à descendre dans la rue avec les
     syndicats, à manifester devant le ministère du Travail à l’été 2019 et à demander que
     soit prise en compte la parole des demandeurs d’emploi. Là aussi, c’était une première
     pour SNC ! Au même moment, nous mettions en place la plateforme « Expressions »
     [en partenariat, notamment, avec la CFDT] afin de permettre aux demandeurs

 l
8 ASSURANCE CHÔMAGE                                              LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE
© SNC-DR

           Vincent Godebout est délégué général de SNC depuis 2013.

           d’emploi – souvent inaudibles sur un sujet qui les concerne pourtant directement –
           de s’exprimer sur la réforme.
           Depuis, nous avons lancé avec treize organisations et associations le collectif
           « Pour la parole de chômeurs » afin de comprendre leurs attentes, leurs besoins et
           leurs aspirations. Et, sans surprise, les témoignages qui nous remontent sont éloquents
           sur cette réforme exclusivement économique qui risque d’entraîner des personnes déjà
           en situation de précarité dans la pauvreté. Ces témoignages alimenteront un livre blanc
           qui rassemblera les propositions émergeant de cette consultation. Nous voulons
           mettre cette parole des demandeurs d’emploi, trop souvent oubliée de nos décideurs,
           au cœur du débat de la présidentielle et des législatives de 2022.

           Au-delà de cette réforme de l’assurance chômage, en quoi est-ce important
           de donner la parole aux demandeurs d’emploi ?
           Parce que ceux qui vivent le chômage et ses conséquences sont ceux qui en parlent
           le mieux et parce qu’ils ont souvent des propositions pragmatiques, de bon sens,
           pour lutter contre ce fléau. Or, on leur donne trop peu souvent l’occasion de s’exprimer,
           tant sur leur vécu qu’en ce qui concerne leurs propositions.
           Enfin, leur donner la parole permet de changer le regard de la société sur les chômeurs
           en cassant certaines représentations assez nauséabondes : non, tous les chômeurs
           ne sont pas feignants ! Ce sont des personnes comme vous et moi qui se retrouvent
           confrontées involontairement au chômage… Cela arrive ou arrivera, au cours de leur vie
           professionnelle, à plus de six Français sur dix !

           LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                     ASSURANCE CHÔMAGE   l9
© UNÉDIC
                              VOYAGE AU BOUT
                                DE L’ABSURDE
           DEPUIS DEUX ANS, LA RÉFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE
                TEND LES RELATIONS SOCIALES. MALGRÉ LES REVERS
              QU’IL A SUBIS, LE GOUVERNEMENT NE SEMBLE PAS PRÊT
                                       À RENONCER À SON PROJET.

  F
         olle semaine que celle que viennent de vivre les protagonistes de l’assurance
         chômage. La suspension par le Conseil d’État des règles de calcul des
         indemnités chômage – alors que leur entrée en vigueur était prévue le 1er juillet
  – sonne comme un énième désaveu d’une réforme mal calibrée. Rarement une réforme
  de l’assurance chômage, consistant principalement à durcir les conditions
  d’indemnisation des demandeurs d’emploi, n’aura été autant décriée et remaniée :
  mis en sommeil une première fois par la crise sanitaire, le projet du gouvernement

  l
10 ASSURANCE CHÔMAGE                                         LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE
a été retoqué à deux reprises par la haute juridiction administrative 1, tant en matière
de calcul de l’indemnité que de calendrier, la juge des référés estimant « la situation
économique trop incertaine pour une application immédiate des nouvelles règles
de calcul de l’allocation ».

Mais la bataille juridique et sociétale ne date pas d’hier. Depuis deux ans, organisations
syndicales et associations font front commun, pointant les failles juridiques et alertant
l’opinion sur les conséquences réelles de la réforme pour les demandeurs d’emploi.
« Si le gouvernement ne renonce pas à mettre en œuvre sa réforme de l’assurance
chômage, l’une des dernières réformes du quinquennat s’attaquera donc
aux travailleurs précaires, en réduisant leurs droits et en fragilisant leur situation
sociale », écrivaient encore en mai dernier ces mêmes leaders syndicaux et
associatifs dans une tribune commune.

UN OBJECTIF D’UNIVERSALITÉ RAPIDEMENT ÉDULCORÉ

L’objectif d’universalité affiché par l’exécutif au départ avec l’ouverture de l’assurance
chômage aux indépendants et aux démissionnaires a rapidement été édulcoré 2,
laissant place à un autre objectif, financier celui-là, consistant à mettre à contribution
l’ensemble des demandeurs d’emploi. « Sous couvert d’un discours d’émancipation,
l’État a considéré que chaque individu était en somme responsable de son avenir
et qu’il pouvait trouver du boulot s’il le souhaitait », analyse Marylise Léon.

     “CETTE RÉFORME S’EST CONSTRUITE SUR L’IDÉE
     QUE LA MODIFICATION DES RÈGLES FAVORISE
     L’INCITATION À L’EMPLOI.
     CE QUI REVIENT À DIRE QUE LES INDIVIDUS
     FONT LE CHOIX D’ÊTRE AU CHÔMAGE ET D’Y RESTER.
     DE CETTE VISION [LE GOUVERNEMENT N’A]
     JAMAIS DÉVIÉ…”

« Cette réforme s’est construite sur l’idée que la modification des règles favorise
l’incitation à l’emploi. Ce qui revient à dire que les individus font le choix d’être
au chômage et d’y rester. De cette vision de principe, ils n’ont jamais dévié », assure
la secrétaire générale adjointe de la CFDT, jusqu’à se demander si « les demandeurs
d’emploi ont jamais été pour eux un sujet de préoccupation ».

1 En novembre 2020 puis de nouveau le 25 juin dernier.
2	La mesure, aux salariés en reconversion professionnelle, bénéficie à seulement
   6 300 personnes par an, soit 2 % des démissionnaires (chiffres de l’Unédic).

LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                                 ASSURANCE CHÔMAGE   l 11
Selon l’Unédic, 1,15 million de personnes verraient leur allocation chômage baisser
     avec la mise en œuvre de cette réforme. Une baisse de l’ordre de 17 % en moyenne,
     mais qui pourrait atteindre près de 40 % pour 400 000 chômeurs parmi les plus
     précaires. Le tout devant générer plus d’un milliard d’euros par an d’économie
     pour les caisses du régime. Malgré la dureté de la crise sanitaire et les incertitudes
     qui planent sur la situation (et la qualité) de l’emploi, faisant douter jusqu’aux
     instigateurs de la réforme de 2019, le gouvernement, lui, persiste et signe. Au début
     du mois de juin, la ministre du Travail, Élisabeth Borne, disait encore « chercher
     le meilleur chemin pour une mise en œuvre rapide de la réforme ».

     DES RÈGLES D’INDEMNISATION PROLONGÉES
     JUSQU’AU 30 SEPTEMBRE

     Minimisant la décision du Conseil d’État au motif que celle-ci ne remet pas en cause
     le principe de la réforme mais uniquement le calendrier de sa mise en œuvre,
     le gouvernement annonçait deux jours plus tard sa décision de prolonger jusqu’au
     30 septembre les règles d’indemnisation dans leur version actuelle. C’est peu ou prou
     à cette date qu’est attendue la décision « au fond » de la haute juridiction administrative
     – le Conseil d’État ne s’étant pour l’heure prononcé que sur l’urgence de suspendre
     les règles avant leur entrée en vigueur. « C’est un coup de pression autant qu’un coup
     de com adressé par le gouvernement, qui s’accroche à cette réforme comme à un
     totem. C’est aussi un suspense interminablement malsain pour les demandeurs d’emploi
     qui vivent avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête depuis bientôt deux ans »,
     s’agace Marylise Léon.

     Anne-Sophie Balle

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12 ASSURANCE CHÔMAGE                                              LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE
DE L’AUTRE CÔTÉ
  DU GUICHET, LES AGENTS
      ONT LES NERFS À VIF

DANS LES AGENCES PÔLE EMPLOI, LA CRISE ÉCONOMIQUE
ET LES INCERTITUDES LIÉES À L’APPLICATION
DE LA RÉFORME DE L’ASSURANCE CHÔMAGE
SONT VENUES EXACERBER LES TENSIONS.

L
       ’émotion est toujours palpable. Dans le regard des conseillers de Pôle emploi
       Valence (Drôme), on peut lire la peine, la peur et la colère. Les larmes, elles,
       coulent en silence. Il y a cinq mois, le 28 janvier, un homme faisait irruption
dans leur agence et ouvrait le feu, tuant leur collègue Patricia. « Le drame de Valence
est un fait isolé, sans lien apparent avec le service rendu par Pôle emploi. Il n’en
demeure pas moins révélateur de la montée des tensions qui touchent l’institution,
et que la crise économique est venue exacerber », pointe Martine Gaudichet, déléguée
syndicale Pôle emploi Drôme-Ardèche et secrétaire de la CSST (commission santé,
sécurité et conditions de travail) au CSE. Ce sont d’ailleurs ces aspects qui ont conduit
la Fédération PSTE CFDT (Protection sociale, Travail, Emploi) (et trois autres
fédérations CFDT) à lancer à la mi-avril une enquête flash sur les métiers de l’accueil.

ADAPTATION PERMANENTE

Le constat va bien au-delà de la douleur. À Valence comme dans les 900 agences
que compte Pôle emploi, tous témoignent d’une certaine « fatigue face à la charge
de travail mais aussi l’adaptabilité permanente qui [leur] est demandée », résume
Didier Pranal, secrétaire général du Syndicat emploi Auvergne-Rhône-Alpes.
Pendant le gros de la crise sanitaire, tous les services ont été déployés en distanciel,
de l’inscription au suivi de la recherche d’emploi en passant par l’indemnisation.
Les mesures d’urgence, qui ont permis à beaucoup de personnes de subsister,

LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                       ASSURANCE CHÔMAGE   l 13
ont dû elles aussi être déployées, expliquées, en même temps que le « stop and go »
  permanent de l’entrée en vigueur puis de la suspension des règles de l’assurance
  chômage, du report des droits des demandeurs d’emploi arrivant au bout de leur
  indemnisation.

  « Le 17 mai dernier, un énième courrier d’information est parti de la direction générale
  afin d’informer les demandeurs d’emploi d’une baisse prochaine de leur allocation
  [ce que le conseil d’État vient de suspendre]. Tout ça n’est pas sans conséquences
  pour les demandeurs d’emploi comme pour les agents », alerte Aline, une salariée.

  Représentant syndical au CSE, Fabrice Ortuno relève « cette capacité d’adaptation
  permanente, d’assimilation des nouvelles règles en un temps record ou encore
  d’animation de formation, que beaucoup d’entreprises doivent nous envier ». Il évoque
  aussi « la frustration des conseillers et ce tiraillement permanent entre faire de la qualité
  et assurer le “traitement de masse” », ce que confirme Jean-Luc, salarié. « Pôle emploi
  affiche une ambition de service de plus en plus difficile à tenir, et le ciblage
  de la satisfaction avec les usagers n’arrange rien. »

  “ÊTES-VOUS SATISFAIT DE VOTRE CONSEILLER ?”

  Depuis plusieurs années, Pôle emploi réalise régulièrement des enquêtes de
  satisfaction pour recueillir l’avis des usagers à propos des services qui leur sont
  délivrés. L’objectif, assure l’opérateur public, est « d’évaluer la qualité de ces services
  et de s’assurer qu’ils correspondent aux besoins et à la situation ». Les conseillers,
  eux, ne le voient pas du même œil. « Aujourd’hui, la question posée n’est pas
  “êtes-vous satisfait de Pôle emploi ?” mais “êtes-vous satisfait du travail de votre
  conseiller ?”, ce qui apparaît en totale opposition avec la définition même de notre poste
  et notre capacité à contribuer à l’effort collectif, s’agace Françoise, conseillère.
  Chaque jour, des mails signés de notre nom sont envoyés aux demandeurs d’emploi
  que nous suivons… sans que nous ayons donné notre accord ni que nous connaissions
  le contenu de ces mails. »

  UN RENFORCEMENT DU DIALOGUE SOCIAL SOUHAITÉ

  Dans le contexte économique tendu généré par la crise sanitaire (et la hausse
  du chômage), cette personnification alimente la crainte de certains conseillers face
  à une montée des incivilités. Selon Abdellah Senhaji, secrétaire général adjoint (SGA)
  du Syndicat emploi Auvergne-Rhône-Alpes, « l’établissement a toujours nié les alertes
  du CHSCT sur l’escalade des violences, jusqu’au drame de janvier dernier ».
  Les chiffres sont pourtant là. Ils ont été dévoilés lors du dernier CSEE (comité social
  et économique extraordinaire) du 9 juin. Au premier trimestre 2021, la région

  l
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Auvergne-Rhône-Alpes enregistrait à elle seule 482 signalements 1, contre
1 106 pendant toute l’année 2020 (et 9 000 à l’échelle nationale). « On ne parle là plus
de simples insultes, pour lesquelles les conseillers ne font même plus de signalement,
mais bien d’agressions physiques. »

Aujourd’hui, les conseillers et leurs représentants syndicaux réclament une réponse
à la hauteur à travers des réponses ciblées et un renforcement du dialogue social.
Par exemple, en transmettant les fiches de signalement aux élus CSE et aux
représentants de proximité, ou en accordant aux représentants du personnel une réelle
prise en compte de la parole. À Pôle emploi, la « bataille syndicale » se joue aussi sur
la capacité à mettre représentants de proximité et CSSCT au cœur du dialogue social
en ce qui concerne les questions de conditions de travail et de sécurité. Pour desserrer
l’étau dans lequel se trouvent aujourd’hui les conseillers, et réhumaniser la mission
de service public qu’ils assurent avec tant de dévouement.

Anne-Sophie Balle

                                                                                                             © MARTA NASCIMENTO/RÉA

1 Via LISA, le fichier répertoriant les incivilités et agressions commises sur agent
   par les demandeurs d’emploi.

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LIENS UTILES
     Solidarités
               nouvelles face au chômage (SNC) (page 8) : https://snc.asso.fr

     Le
      collectif « Pour la parole de chômeurs » (page 9):
     https://sncexpressions.fr/enquetes/

     La
      tribune commune des responsables associatifs et syndicaux,
     dont Laurent Berger (CFDT) dans Le Monde. (page 11) :
     https://tinyurl.com/tribunecommune

     L’article
             «Une reprise pleine d’incertitudes » sur Syndicalisme hebdo
     (Les incertitudes qui planent sur la situation - page 12) :
     https://www.syndicalismehebdo.fr/article/une-reprise-pleine-dincertitudes

     Fédération PSTE CFDT (page 13) : https://pste.cfdt.fr/

     Enquête Flash CFDT sur les métiers de l’accueil               (page 13)   :
     https://tinyurl.com/enqueteflashPSTE

                                                         POUR ALLER PLUS LOIN

     L
      a rubrique « Assurance chômage » sur le site CFDT.FR
     http://www.cfdt.fr/assurance-chomage

      dossier « Le chômage n’est pas un choix » sur Syndicalisme hebdo
     Le
     https://www.syndicalismehebdo.fr/article/le-chomage-nest-pas-un-choix

LE LIVRE NOIR D’UNE RÉFORME INJUSTE                                                ASSURANCE CHÔMAGE   l 17
CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DÉMOCRATIQUE DU TRAVAIL
                      4, BOULEVARD DE LA VILLETTE
                              75955 PARIS CEDEX 19
                                TÉL. : 01 42 03 80 00
                                             CFDT.FR
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