Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles - Concurrences
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Concurrences REVUE DES DROITS DE LA CONCURRENCE | COMPETITION LAW REVIEW Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020) Pratiques l Concurrences N° 3-2020 l pp. 212-225 Rafael Amaro rafael.p.amaro@gmail.com Professeur Université de Caen Normandie, Institut Demolombe (EA967) Membre du réseau Trans-Europe-Expert Bastien Thomas bthomas@racine.eu Avocat Racine, Paris
Pratiques Rafael Amaro Le contentieux de constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. rafael.p.amaro@gmail.com Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document Professeur la réparation des Université de Caen Normandie, Institut Demolombe (EA967) Membre du réseau Trans-Europe-Expert Bastien Thomas* bthomas@racine.eu pratiques anti- concurrentielles Avocat Racine, Paris ABSTRACT La période sous commentaire confirme trois tendances prégnantes, déjà mises en lumière dans nos précédentes chroniques. Premièrement, le contentieux de la réparation (déc. 2019-mai 2020) se diversifie. Deuxièmement, il s’internationalise au gré de litiges qui posent avec acuité des questions de compétence internationale. Troisièmement, il est marqué par une forme d’activisme de la Cour de justice, qui continue à développer sa jurisprudence résolument “pro-demandeur”. 1. Les six derniers mois confirment trois tendances prégnantes, déjà mises en lumière The period reviewed in this chronicle confirms three key trends, already highlighted in our previous chronicles. dans nos précédentes chroniques. Premièrement, le contentieux de la réparation se Firstly, private enforcement litigation is diversifying. diversifie – ce qu’atteste l’essor du contentieux devant le juge administratif, ponctué Secondly, private enforcement claims are more and more notamment par deux récents arrêts du Conseil d’État1. Deuxièmement, il s’interna- internationalizing in the course of claims raising questions of international jurisdiction. Thirdly, private tionalise au gré de litiges qui posent avec acuité des questions de compétence inter- enforcement is marked by a form of activism from nationale2. Troisièmement, il est marqué par une forme d’activisme de la Cour de the European Court of Justice, which keeps developing justice qui continue à développer sa jurisprudence résolument “pro-demandeur”3. a resolutely “pro-claimant” case law. 2. Par ailleurs, au rang des constats qui ne seront que mentionnés dans ce propos introductif, on observera que la jurisprudence récente de la Cour de cassation Sélection de décisions rendues dans la période sous commentaire. Les décisions commentées sont marquées sur la spécialisation4 commence à être bien intégrée par les juridictions du fond. d’un astérisque, les autres sont simplement citées pour Plusieurs décisions de juges non spécialisés jugent ainsi irrecevables les préten- information et il est fait brièvement état de leur intérêt. tions fondées sur le droit des pratiques anticoncurrentielles, qu’elles soient pré- 1. C JUE, 12 déc. 2019, Otis, Schindler sentées au juge du fond – en demande5 ou en défense6 – ou au juge des référés7. Liegenschaftsverwaltung GmbH, Schindler Aufzüge und Fahrtreppen GmbH, Kone AG, ThyssenKrupp À la lisière du champ de cette chronique, on relève toujours l’existence d’un Aufzüge GmbH c/ Land Oberösterreich e.a. (“Otis II”), aff. C-435/18, ECLI:EU:C:2019:1069* contentieux de la nullité des contrats anticoncurrentiels. Il peut s’agir d’af- 2. Cass. com., 29 janv. 2020, Switch, no 17-15.156, faires relativement habituelles où les clauses de certains contrats de distribution inédit* sont suspectées d’être constitutives de restrictions verticales8 ou d’affaires plus 3. CE, ch. 7-2, 27 mars 2020, req. 421833, 421758 et 420491* 4. CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 30 janv. 2020, Société Distriparfum LLC c/ SAS Coty France, RG 19/07904 5. CA Paris, ch. 5-4, 29 janv. 2020, SARL Alpha Taxis c/ SARL Viacab, RG 18/10059 6. CA Paris, ch. 5-4, 24 juin 2020, SARL Safirauto et al. c/ SAS Hyundai Motor France, RG 18/23867 7. CA Paris, ch. 5-5, 4 juin 2020, SAS Oxypark c/ SAS Espace Expansion, RG 17/22108 1 V. infra no 6 et s. ; 16 et s. 8. CA Paris, ch. 5-8, 19 mai 2020, SAS Zehnder Group Participations c/ SARL Vasco Group, RG 16/06718 2 V. infra no 27 et s. ; 49 et s. 9. C A Paris, ch. 5-16, 7 janv. 2020, Sport One c/ Nike Europe Operations Netherlands (NEON), RG 19/12209* 3 V. infra no 62 et s. 10. CA Paris, ch. com. inter., 7 janv. 2020, Google 4 Not. Cass. com., 10 juill. 2018, no 17-16.365, Bull. civ. IV, no 696 ; ECLI:FR:CCASS:2018:CO00696 ; Concurrences no 4-2018, c/ LeGuide, RG 19/12553* p. 227, note R. Amaro. 11. CA Paris, ch. com. inter., 14 janv. 2020, Enigma, RG 19/18332* 5 P. ex. CA Nîmes, 1re civ., 28 mai 2020, SARL GMG c/ O., D., SAS VCR France et Société Vivai Cooperativi Rauscedo, RG 15/05027, qui 12. C A Montpellier, ch. com., 22 mai 2020, SARL Il Venti juge irrecevable la demande en réparation fondée sur les articles L. 420-1 du code de commerce et 1240 du code civil. Nove c/ SARL Balducci Di Piu, RG 17/05647 6 CA Montpellier, ch. com., 22 mai 2020, SARL Il Venti Nove c/ SARL Balducci Di Piu, RG 17/05647, qui précise :“(…) le moyen tiré de l’exis- 13. CA Nîmes, 1re civ., 28 mai 2020, SARL GMG c/ O., tence d’un abus de position dominante (…) à supposer même qu’il puisse être analysé comme un simple moyen de défense, (…) aurait échappé aux D., SAS VCR France et Société Vivai Cooperativi juridictions commerciales non spécialisées, empêchées de connaître de tout litige relatif à l’application des articles L. 420-1 à L. 420-5.” Rauscedo, RG 15/05027 14. T. com. Paris, .3e ch.,20 févr. 2020, SAS Provera 7 CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 30 janv. 2020, Société Distriparfum LLC c/ SAS Coty France, RG 19/07904 : le président du tribunal France et al. c/ SA Groupe Lactalis et al., de commerce de Marseille (juridiction spécialisée) avait été saisi en référé sur le fondement des anciens articles 872 et 873 du code de RG 2017021571 procédure civile et de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. En appel, était aussi visé l’article L. 420-1 du code de commerce. La cour d’Aix-en-Provence juge toutefois l’appel de l’ordonnance du premier juge irrecevable au motif que l’appelant aurait dû saisir la cour d’appel de Paris. 8 CA Paris, ch. 5-4, 24 juin 2020, SARL Safirauto et al. c/ SAS Hyundai Motor France, RG 18/23867. * Avec l’assistance de Sabrina Noël, Baudoin Pillet, François Aubin, Avocats, Racine. 212 Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020)
originales9. À titre anecdotique, on note également des 5. Bien qu’essentiellement centré sur l’évaluation du constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. affaires où le droit des pratiques anticoncurrentielles est préjudice, le jugement Provera comporte néanmoins un Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document invoqué avec une légèreté parfois étonnante10. développement intéressant en matière d’intérêt à agir. Le tribunal juge, in limine litis, irrecevable l’action de Enfin, hors du champ de la période sous commentaire, on la SAS Provera France (“Provera”), qui ne “démontre peut déjà faire état ici de la condamnation record pronon- par avoir subi un quelconque préjudice du fait des pra- cée par une juridiction française dans l’affaire Digicel. Un tiques alléguées ni même un préjudice indirect dans l’exé- arrêt du 17 juin 202011 de la cour d’appel de Paris condamne cution de son mandat”. Provera est en effet une société ainsi Orange à payer plusieurs centaines de millions de dom- de référencement qui négocie les conditions tarifaires de mages et intérêts en réparation des préjudices causés par un la SASU Cora (“Cora”) et de SAS Supermarchés Match abus de position dominante. Cet arrêt sera commenté dans (“Match”) et qui ne réalise donc aucun achat en propre. la prochaine livraison de cette chronique. Provera n’avait pas acheté les produits objet de l’entente et les avait seulement négociés en sa qualité de manda- taire de Cora et de Match. Le tribunal considère que I. Droit d’agir seules Match et Cora sont recevables à agir. (intérêt, qualité et B. T. n prescription) 2. Point de départ et causes interruptives du délai de 1. Absence d’intérêt à agir d’un prescription en cas de mandataire (jugement Provera) condamnation préalable (arrêts 4. Le jugement du tribunal de commerce de Paris du du Conseil d’État dans l’affaire 20 février 202012, dans l’affaire des produits laitiers, inter- vient à la suite de la décision de l’Autorité de la concur- de la signalisation routière) rence du 11 mars 2015 qui avait imposé un montant total 6. L’affaire de la signalisation routière illustre une nou- de sanction de 192,7 millions d’euros à 11 producteurs velle fois la nécessaire patience des victimes de pratiques pour une entente sur les produits laitiers vendus sous anticoncurrentielles. Le 22 décembre 201017, l’Autorité de marque de distributeur (“MDD”)13. Plusieurs de ces sanc- la concurrence avait en effet sanctionné huit entreprises tions avaient ensuite été réduites très significativement par actives dans le secteur de la signalisation routière verti- la cour d’appel de Paris14. La Cour de cassation vient cale pour avoir mis en œuvre une entente ayant couvert d’ailleurs de rejeter le pourvoi des sociétés Novandie et l’ensemble du territoire national et la quasi-totalité des Andros contre cet arrêt15. La décision du tribunal de com- marchés lancés par les collectivités publiques pendant merce de Paris est la première décision sur le fond rendue près de dix ans (de 1997 à 2006). Les entreprises membres en matière indemnitaire dans cette affaire16. de l’entente avaient été sanctionnées pour un montant total de plus de 52 millions d’euros18. La décision de l’Au- torité de la concurrence précisait que l’État, les collecti- vités territoriales ainsi que les sociétés d’autoroutes vic- 9 Ainsi d’un litige où une transaction conclue entre opérateurs dans le secteur du chauffage était attaquée par l’un de ses signataires, qui y voyait une entente. La prétention, mal étayée en fait, times du cartel disposaient du droit de demander répara- est logiquement rejetée, mais on observera que la cour prend soin de rappeler, en visant l’arrêt tion du préjudice subi. Courage, que l’adage Nemo auditur… ne fait pas obstacle à ce que la partie à un contrat le dénonce au motif qu’il est le support d’une pratique anticoncurrentielle : CA Paris, ch. 5-8, 19 mai 2020, SAS Zehnder Group Participations c/ SARL Vasco Group, RG 16/06718. 7. À la suite de cette décision, un certain nombre de col- lectivités locales, dont les départements de la Manche 10 P. ex. à propos d’une très hypothétique entente dans le secteur du transport : CA Paris, ch. 5-4, 29 janv. 2020, SARL Alpha Taxis c/ SARL Viacab, RG 18/10059 ; ou encore à propos de et de l’Orne, avaient introduit des actions en réparation prétendus abus de la société gérant le Forum des Halles : CA Paris, ch. 5-5, 4 juin 2020, SAS devant les tribunaux administratifs, donnant lieu à un Oxypark c/ SAS Espace Expansion, RG 17/22108. abondant contentieux19. 11 CA Paris, ch. 5-4, 17 juin 2020, SA Orange et SA Orange Caraïbe c/ SA Digicel Antilles Françaises Guyane, RG 17/23041. 12 T. com. Paris, 3e ch., 20 févr. 2020, SAS Provera France et al. c/ SA Groupe Lactalis et al., 17 Aut. conc., déc. no 10-D-39 du 22 déc. 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le RG 2017021571, Concurrences no 2-2020, note M. Chagny. secteur de la signalisation routière verticale. 13 Aut. conc., déc. no 15-D-03 du 11 mars 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans le 18 Le montant total des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence (incluant éga- secteur des produits laitiers frais. lement des sanctions prononcées à l’encontre des sociétés 3M France et Sodilor pour abus 14 CA Paris, ch. 5-7, 23 mai 2017, Laïta et al., RG 2015/08224. de position dominante) avait été ramené à environ 40 millions d’euros par la cour d’appel de Paris (CA Paris, ch. 5-7, 29 mars 2012, RG 2011/01228 et Cass. com., 28 mai 2013, req. 15 Cass. com., 24 juin 2020, Andros et Cie et Novandie, no 17-20.177. no 12-18.195, 12-18.410 et 12-18.577). 16 L’affaire des produits laitiers a également donné lieu à une décision relative à la commu- 19 D’autres départements ont également introduit des recours. C’est le cas notamment du dépar- nication de pièces en 2018 : T. com. Paris, 15e ch., 26 mars 2018, SAS Provera France et tement de l’Eure (cf. CE, ch. 7-2, 24 févr. 2016, req. 395194), du département de la Charente- al. c/ SA Groupe Lactalis et al., RG 2017021571, Concurrences no 4-2018, pp. 223-235, Maritime (cf. CAA Bordeaux, 12 déc. 2017, Signalisation France, no 17BX01530) ou encore note R. Amaro. Le tribunal y avait rejeté les demandes de pièce émises, non seulement par du département du Calvados (cf. CAA Nantes, 4e ch., 27 avril 2018, no 17NT02571, et CAA les demanderesses, mais également, ce qui est plus rare, par les défenderesses. L’affaire des Nantes, 4e ch., 2 févr. 2016, no 15NT01264). Ces affaires ne sont pas commentées dans la produits laitiers a également donné lieu à un désistement d’instance : T. com. Paris, 15e ch., présente chronique, qui se limite au commentaire des trois arrêts rendus le 27 mars 2020 par 14 déc. 2018, Casino Guichard-Perrachon et al. c/ SAS Yoplait et al., RG 2017069290. le Conseil d’État. Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020) 213
8. Le 27 mars 2020, le Conseil d’État s’est prononcé aurait nécessairement été informé de la fin de l’entente constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. dans trois arrêts20 sur des actions en responsabilité intro- par la chute des prix constatée lors de la passation du Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document duites par les départements de l’Orne et de la Manche21. marché en 2009. Elles soutenaient également que le En substance, le Conseil d’État confirme l’analyse du tri- département avait eu connaissance des pratiques avant la bunal administratif de Caen et de la cour administrative décision, car il avait été interrogé dans le cadre de l’ins- d’appel de Nantes, qui avaient condamné : truction par les services de l’Autorité de la concurrence. Dans ces conditions, le délai de prescription de cinq ans – la société Signalisation France à verser au dépar- aurait commencé à courir à compter du lendemain de la tement de la Manche la somme de 2 235 742 euros publication de la loi du 17 juin 2008 qui avait réduit le assortie des intérêts légaux à compter de la date délai de prescription à cinq ans, soit le 20 juin 2008, de d’introduction de la requête des frais d’expertise22 ; sorte que le délai d’action du département de la Manche avait expiré le 20 juin 2013. – la société Signaux Girod Nord-Ouest à verser au département de la Manche la somme de 12. Les juridictions administratives successivement saisies 1 070 388 euros assortie des intérêts légaux et des de ce recours avaient adopté une approche in concreto frais d’expertise23 ; de l’article 2224 du code civil26. Dans deux jugements – les sociétés Signalisation France, Lacroix du 6 avril 201727, le tribunal administratif de Caen avait Signalisation, Signaux Girod et Franche-Comté totalement rejeté ces arguments. Il avait considéré que Signaux à verser au département de l’Orne la les articles de presse présentaient un caractère général somme de 2 239 819 euros assortie des intérêts qui n’avait pas permis au département de la Manche de légaux et des frais d’expertise24. connaître les manœuvres dolosives mises en œuvre par ses cocontractants ni leur ampleur. De plus, il n’était pas 9. Les arrêts du Conseil d’État contiennent des déve- établi que le département de la Manche avait été spécifi- loppements intéressants à plusieurs égards. En particu- quement consulté dans le cadre de l’instruction, les ser- lier, l’arrêt Département de la Manche25 se prononce sur vices d’instruction ayant consulté certains départements le point de départ de la prescription dans le cas où les de manière aléatoire pour recueillir des données sur les demandeurs ont participé à l’instruction de l’Autorité de attributaires des marchés passés pendant la période du la concurrence. cartel. En toute hypothèse, le tribunal administratif avait estimé qu’une telle consultation n’était pas de nature à 10. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, permettre au département de la Manche d’identifier les les actions fondées sur la responsabilité quasi délictuelle manœuvres dolosives dont il avait été victime. Enfin, la des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescri- baisse des prix intervenue en 2006, que le département de vaient en effet par dix ans à compter de la manifesta- la Manche avait pu constater à l’occasion de la passation tion du dommage. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, du marché en 2009, n’était pas par elle-même susceptible la prescription de ces actions est de cinq ans à compter de révéler les faits permettant au département d’exercer du jour où la victime a connu ou aurait dû connaître des son action contre les membres du cartel. faits lui permettant d’exercer une action en responsabilité (article 2224 du code civil). 13. Ce raisonnement avait été confirmé par la cour administrative d’appel de Nantes dans deux arrêts du 11. La question débattue était la connaissance des faits 16 mars 201828. Il est également validé par le Conseil par le département de la Manche avant la décision d’État, qui considère que le département de la Manche de l’Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010. n’avait pas eu connaissance “de manière suffisamment cer- Devant le tribunal administratif de Caen, les sociétés taine” de l’étendue de l’entente dont il avait été victime Signalisation France et Société Signaux Girod Nord- avant le 22 décembre 201029. Ouest avaient soutenu que l’action du département de la Manche, introduite le 16 février 2015, était prescrite 14. Cet arrêt confirme encore une fois la tendance des dans la mesure où le département avait eu connaissance juridictions tant administratives30 que judiciaires31 à des pratiques en cause dès 2006 en raison d’articles parus retenir comme point de départ du délai de prescription dans la presse. De plus, la chute des prix après la fin des les décisions au fond32, nonobstant la participation de la pratiques aurait “révélé” l’entente et le département 26 Qui pour mémoire dispose que “les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq 20 CE, ch. 7-2, 27 mars 2020, req. 421833, 421758 et 420491. ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui per- mettant de l’exercer”. 21 Le département de l’Orne avait introduit une requête devant le tribunal administra- tif de Caen le 29 janvier 2015 à l’encontre de Signalisation France, Signaux Girod, 27 TA Caen, 6 avril 2017, no 1500353 et 1500352. Nadia Signalisation, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signaux. Le département de la Manche avait introduit deux requêtes devant le tribunal administratif de Caen le 28 CAA Nantes, 16 mars 2018, no 17NT01526 et 17NT01722. 16 février 2015, l’une à l’encontre de la société Signaux Girod Nord-Ouest et l’autre à l’en- contre de la société Signalisation France. 29 CE, ch. 2-7, ch. 7-2, 27 mars 2020, req. 420491. préc. note 26. 22 TA Caen, 6 avril 2017, no 1500353 et CAA Nantes, 16 mars 2018, no 17NT01526. 30 V. not. CE, ch. 2-7, 22 nov. 2019, SNCF Mobilités, req. 418645. 23 TA Caen, 6 avril 2017, no 1500352 et CAA Nantes, 16 mars 2018, no 17NT01722. 31 V. not. CA Paris, ch. 5-4, 6 mars 2019, SARL Arkeos et al. c/ SA EDF, RG 17/21261, Concurrences no 3-2019, p. 230, note R. Amaro et T. com. Paris, 1re ch., 1er oct. 2019, 24 TA Caen, 6 avril 2017, no 1500227 et CAA Nantes, 27 avril 2018, no 17NT01719. CNAMTS c/ Sanofi, RG 2017053369, Concurrences no 1-2020, p. 220, note B. Thomas. 25 CE, ch. 2-7, ch. 7-2, 27 mars 2020, req. 420491. 32 Concurrences no 1-2020, p. 222, note B. Thomas. 214 Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020)
victime à l’instruction de l’Autorité de la concurrence, obtenir paiement de sa créance. Le tribunal administratif constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. comme l’avait d’ailleurs souligné le rapporteur public de Caen comme la cour administrative d’appel de Nantes Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document dans ses conclusions prononcées sous l’arrêt commenté avaient rejeté ce moyen. le 11 mars 2020. 18. Le Conseil d’État juge, dans deux des trois arrêts pro- 15. On relèvera toutefois que, contrairement aux juri- noncés le 27 mars 202036, que “si une personne publique dictions judiciaires qui dans les derniers arrêts commen- est, en principe, irrecevable à demander au juge administra- tés avaient au moins dégagé une méthode d’analyse du tif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre, point de départ de la prescription fondée sur “la consis- la faculté d’émettre un titre exécutoire dont elle dispose tance de [l’infraction], son imputabilité et sa durée”33 ou ne fait pas obstacle, lorsque la créance trouve son origine encore sur la connaissance “des éléments de responsabi- dans un contrat, à ce qu’elle saisisse le juge d’administratif lité civile lui permettant d’agir[,] à savoir l’existence du d’une demande tendant à son recouvrement”. Et de pour- dommage, le fait générateur, le lien de causalité et l’iden- suivre : “L’action tendant à l’engagement de la responsabi- tité de l’auteur”34, le Conseil d’État ne semble pas dégager lité quasi délictuelle d’une société en raison d’agissements de principe d’analyse clair, exigeant uniquement que la dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique connaissance des pratiques soit “suffisamment certaine”. à contracter avec elle à des conditions de prix désavanta- Il n’en demeure pas moins que tant le juge judiciaire que geuses, qui tend à la réparation d’un préjudice né du contrat le juge administratif prennent soin de mener une analyse lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les précise, au cas par cas, des circonstances spécifiques dans termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il lesquelles une victime a pris connaissance des pratiques. aurait dû l’être dans des conditions normales de concur- rence, doit être regardée, pour l’application de ces prin- B. T. n cipes, comme trouvant son origine dans le contrat.” II. Compétence interne 19. Le Conseil d’État réaffirme donc ici la solu- tion dégagée dans l’arrêt Département de l’Eure du 24 février 201637 (déjà relatif à une action en réparation et internationale / introduite à la suite de la décision no 10-D-39 de l’Auto- rité de la concurrence), selon laquelle, lorsque la créance “pouvoir juridictionnel” trouve son origine dans un contrat, la faculté d’émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge admi- nistratif d’une demande tendant à son recouvrement. 1. Compétence du juge administratif (arrêts du 20. Cette solution est conforme à la solution dégagée par le tribunal des conflits dans sa décision Région Île-de- Conseil d’État dans l’affaire France du 16 novembre 2015, qui avait reconnu la com- de la signalisation routière) pétence du juge administratif pour connaître de tous les litiges, même non contractuels, nés à l’occasion de la pas- 16. L’affaire de la signalisation routière verticale est sation ou de l’exécution d’un marché public38. Cette solu- également l’occasion pour le Conseil d’État de confir- tion avait également été reprise par la cour administra- mer la compétence du juge administratif pour connaître tive d’appel de Paris dans son arrêt SNCF Mobilités du des actions en réparation introduites par les personnes 13 juin 201939. publiques, que la responsabilité recherchée soit celle de son cocontractant ou de tiers parties à l’entente. 21. Dans deux arrêts du 27 mars 202040, le Conseil d’État était également amené à se prononcer sur l’ac- 17. En l’espèce, les défendeurs avaient soutenu que l’ac- tion introduite par le département de l’Orne à l’en- tion des départements de l’Orne et de la Manche était contre de la société Signaux Girod, d’une part, et de la irrecevable au motif qu’une collectivité publique ne peut société Lacroix Signalisation, d’autre part. La particula- demander au juge administratif, depuis l’arrêt Préfet de rité de ces actions résidait dans le fait que ces deux socié- l’Eure du 30 mai 191335, de prononcer une mesure qu’elle tés n’étaient pas des cocontractants du département de a le pouvoir de prendre, comme un titre exécutoire à l’en- l’Orne. Ce dernier avait conclu avec Signalisation France contre de ses débiteurs tenant au recouvrement d’une trois marchés à bons de commande en vue de l’acquisi- créance. Il s’agit là d’un moyen récurrent tendant à faire tion de panneaux de signalisation routière et d’équipe- déclarer le département irrecevable faute d’avoir, préala- ments annexes. La société Signaux Girod et la société blement à la saisine du juge, émis un titre exécutoire pour 36 CE, , ch. 7-2, 27 mars 2020, req. 421758 et 420491. 37 Cf. not. CE, ch. 7-2, 24 févr. 2016, req. 395194. 33 CA Paris, ch. 5-4, 6 mars 2019, SARL Arkeos et al. c/ SA EDF, RG 17/21261, Concurrences no 3-2019, p. 230, note R. Amaro. préc. note 32. 38 T. conf., 16 nov. 2015, Région Île-de-France c/ M. N. et autres, no 4035 ; Concurrences no 1-2016, p. 251, note R. Amaro. 34 T. com. Paris, 1re ch., 1er oct. 2019, CNAMTS c/ Sanofi, RG 2017053369, Concurrences no 1-2020, p. 220, note B. Thomas. 39 CAA Paris, 4e ch., 13 juin 2019, SNCF Mobilités, req. 14PA02419. 35 CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, Rec. CE 1913, p. 583. 40 CE, ch. 7-2, 27 mars 2020, req. 421833 et 421758. Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020) 215
Lacroix Signalisation avaient chacune présenté une même qu’elles n’avaient présenté qu’une offre en 2002 et constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. offre (non retenue) pour le marché passé en 2002 mais aucune en 1999 et 2005. Le Conseil d’État confirme ainsi Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document n’avaient pas soumissionné aux marchés de 1999 et 2005. la recevabilité des recours formés à l’encontre des tiers aux contrats dès lors que l’implication de ces entreprises 22. Devant le tribunal administratif de Caen41, la société dans le cartel a affecté la procédure de passation. Signaux Girod avait soutenu qu’elle devait être mise hors de cause au motif que seul un cocontractant peut se voir B. T. n imputer des manœuvres dolosives. Le tribunal avait tou- tefois jugé que si le préjudice dont se prévalait le dépar- tement de l’Orne était bien né à l’occasion de la passa- tion de trois marchés, la cause de ce préjudice était l’or- 2. Compétence internationale ganisation d’une entente d’une ampleur nationale qui a du juge français (affaires faussé l’ensemble des marchés du même type en France. Le département de l’Orne était donc bien fondé à recher- Google Shopping et Enigma) cher non seulement la responsabilité des entreprises qui 27. Dans un arrêt du 7 janvier 202043, Google c/ LeGuide, avaient contracté avec lui mais aussi celle des entreprises la cour d’appel de Paris était saisie de la question de la qui avaient participé à cette entente et dont le compor- compétence du juge français dans l’une des premières tement avait concouru à la réalisation du préjudice subi. affaires concernant l’indemnisation du dommage allégué Le tribunal administratif de Caen avait donc condamné par un concurrent de Google à la suite de la décision de les sociétés Signalisation France, Lacroix Signalisation, la Commission européenne (la “Commission”) dans l’af- Signaux Girod et Franche-Comté Signaux à réparer le faire Google Shopping44. préjudice du département de l’Orne. 28. La société LeGuide soutenait que l’abus de position 23. La société Signaux Girod et la société Lacroix dominante de Google sur le marché des moteurs de com- Signalisation s’étaient chacune pourvues en cassation paraison de prix (“MCP”) avait causé un dommage à son contre l’arrêt du 27 avril 2018 par lequel la cour admi- service de comparaison de prix sur Internet. LeGuide nistrative d’appel de Nantes avait rejeté leur appel contre reprochait également à Google d’avoir abusé de sa posi- ce jugement. tion dominante sur le marché de la publicité liée aux recherches en ligne en l’empêchant d’accéder à des sites 24. Les deux arrêts rendus le 27 mars 2020 sont l’occa- d’éditeurs pour placer ses publicités. sion pour le Conseil d’État de préciser que “lorsqu’une personne publique est victime, à l’occasion de la passation 29. LeGuide a ainsi assigné les sociétés Alphabet Inc., d’un marché public, de pratiques anticoncurrentielles, il lui Google LLC, Google Ireland (société de droit irlandais est loisible de mettre en cause la responsabilité quasi-dé- qui permet aux annonceurs de placer leurs annonces en lictuelle non seulement de l’entreprise avec laquelle elle France via un programme AdWords) et la SARL Google a contracté, mais aussi des entreprises dont l’implication France (ensemble “Google”) devant le tribunal de com- dans de telles pratiques a affecté la procédure de passation merce de Paris, en vue d’obtenir réparation du préjudice de ce marché, et de demander au juge administratif leur allégué. condamnation solidaire”. 30. Par un jugement du 27 juin 2019, le tribunal de com- 25. Cette solution étend ainsi considérablement les excep- merce de Paris s’était déclaré compétent pour statuer sur tions à la jurisprudence Préfet de l’Eure en permettant aux les demandes de la société LeGuide relatives aux sites plaignants de saisir directement le juge administratif pour Internet que celle-ci exploite depuis le territoire français, obtenir la réparation des dommages subis du fait de pra- que ces sites soient destinés au public français ou à des tiques mises en œuvre par des tiers, sans devoir au préa- publics européens. Google avait interjeté appel de ce juge- lable émettre un titre de recouvrement. Elle semble logique ment et contestait la compétence du juge français. dès lors que le tribunal des conflits avait déjà reconnu la compétence du juge administratif pour connaître de tous 31. En premier lieu, Google soutenait que la mise en les litiges, même non contractuels, nés à l’occasion de la cause de la société Google France, qui n’avait pas été passation ou de l’exécution d’un marché public42. visée ni dans la décision de la Commission, ni même dans le cadre de son enquête, avait pour seule fin de créer artifi- 26. Le Conseil d’État rejette ainsi les deux pourvois en ciellement un chef de compétence au profit du tribunal de considérant ,d’une part, que le comportement fautif de la commerce de Paris pour connaître des demandes indem- société Signaux Girod et de la société Lacroix Signalisation nitaires relatives à de prétendus préjudices subis hors de était en lien direct avec le surcoût supporté par le dépar- France. tement de l’Orne lors de l’exécution des marchés à bons de commande passés en 1999, 2002 et 2005 et, d’autre part, que leur responsabilité solidaire était engagée, alors 41 TA Caen, 6 avril 2017, no 1500227. 43 CA Paris, ch. com. inter., 7 janv. 2020, Google c/ LeGuide, RG 19/12553. 42 T. conf. 16 nov. 2015, Région Île-de-France c/ M. N. et autres, no 4035 ; Concurrences no 1-2016, p. 251, note R. Amaro. préc. note 48. 44 Comm. eur., 27 juin 2017, Google Search (Shopping), aff. AT.39740. 216 Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020)
32. En deuxième lieu, Google soutenait que les préjudices sur ces MCP, et donc la perte de marge en résultant, à constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. résultant de la perte de trafic et de redirection de clients vers la suite de pratiques constitutives d’un abus de position Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document les sites Internet de LeGuide adressés à un public étranger dominante, peuvent constituer le dommage initial justi- ne se manifestaient pas en France, mais dans d’autres États fiant la compétence des juridictions de l’État membre où membres. Selon Google, lorsque le dommage est subi dans elles ont été subies. plusieurs États membres et que le demandeur choisit de saisir le tribunal du lieu où le dommage se manifeste plutôt 37. Selon la cour d’appel, au regard de ces éléments du que celui du lieu du fait dommageable, conformément à dommage soulevés par LeGuide, le dommage subi par l’option ouverte par l’article 46 du code de procédure cette dernière ne constitue pas une simple conséquence civile et par l’article 7(2) du règlement (UE) no 1215/2012 financière du dommage – étant précisé que les sites mar- du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, chands référencés sur les MCP que LeGuide exploite, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière quant à eux, auraient pu subir un tel préjudice financier – civile et commerciale (le “règlement Bruxelles I bis”), la mais “est bien la conséquence immédiate des pratiques anti- juridiction saisie n’est compétente que pour connaître des concurrentielles alléguées et constitue en conséquence un dommages subis dans cet État. dommage direct permettant de fonder la compétence de la juridiction dans le ressort de laquelle il s’est matérialisé”47. 33. Enfin, Google soutenait qu’en matière de dommages subis sur Internet, la compétence territoriale ne devait 38. Au regard de la citation que la cour d’appel fait des pas être déterminée en fonction du lieu du siège social de conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire la société détenant les droits sur ce site, mais en fonction flyLAL, selon lesquelles “la restriction de concurrence a du territoire auquel le site Internet est destiné, et que, dès par nature un effet d’exclusion (perte de ventes et margi- lors que le préjudice allégué consistait en une perte de nalisation sur le marché)”48, on comprend que la perte de trafic sur les marchés auxquels ce site est destiné, ce sont trafic sur les MCP qui se traduit par la perte de contrats les juridictions de ces marchés qui ont compétence pour avec les sites marchands partenaires puisse apparaître connaître des demandes s’y rapportant. comme l’effet direct des pratiques abusives de Google, sur le marché des services de comparaison de prix en favo- 34. La décision du 7 janvier 2020 est l’occasion pour la risant son propre service dans les pages de résultats de cour d’appel de Paris d’appliquer la jurisprudence de la recherche générale, et sur le marché de la publicité liée CJUE en ce qui concerne la localisation du lieu de maté- aux recherches en ligne en empêchant LeGuide d’accéder rialisation du dommage en cas de préjudice subi du fait à des sites d’éditeurs pour placer ses propres publicités. de pratiques anticoncurrentielles. 39. S’agissant du lieu de matérialisation du dommage, la 35. Au terme d’une analyse assez pédagogique, la cour cour d’appel se réfère là encore à la jurisprudence de la d’appel, citant en particulier les arrêts flyLAL45 et Tibor- CJUE. Après avoir rappelé que le lieu de matérialisation Trans46, identifie les préjudices de la société LeGuide du dommage est le lieu du ou des marchés affectés par les pouvant être qualifiés de “dommage” aux fins de l’appli- actes anticoncurrentiels, où la victime prétend avoir subi cation de l’article 7(2) du règlement Bruxelles I bis, per- un préjudice initial, la cour d’appel indique que selon la mettant de fonder, en principe, la compétence des juri- jurisprudence flyLAL, relative notamment à des pratiques dictions de l’État membre sur le territoire duquel le fait constitutives d’un abus de position dominante, lorsque dommageable s’est produit, avant de se prononcer sur le le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel lieu de matérialisation de ce dommage. se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel le dommage allégué est prétendument survenu, il y a lieu de 36. Le premier intérêt de cet arrêt consiste ainsi dans considérer que le lieu de la matérialisation du dommage se l’identification d’un type de dommage qu’un concurrent trouve dans cet État membre49. La cour d’appel souligne affecté par la restriction de concurrence constatée dans le encore, en citant de nouveau la CJUE, que cette solution cadre de l’affaire Google Shopping est susceptible d’invo- répond aux objectifs de proximité et de prévisibilité des quer aux fins de détermination de la compétence interna- règles de compétence et est conforme aux exigences de tionale. Après avoir rappelé la jurisprudence européenne cohérence prévues par les règles relatives à la détermina- établissant une distinction entre le préjudice financier tion de la loi applicable. La cour d’appel se réfère égale- consécutif à un dommage et le dommage initial à l’in- ment à l’arrêt Tibor-Trans rendu en matière d’entente, térêt protégé par le demandeur, seul pris en compte aux dans lequel la CJUE a jugé que le dommage allégué se fins de détermination du “lieu où le fait dommageable s’est matérialise au lieu du marché affecté par l’infraction visée, produit”, la cour d’appel, citant à ce titre l’arrêt flyLAL à savoir le lieu où les prix du marché ont été faussés, au précité et les conclusions de l’avocat général Bobek, sein duquel la victime prétend avoir subi ce préjudice50. constate que la perte de trafic sur des MCP en raison d’un défaut de visibilité dans les résultats de recherche google. fr concernant les utilisateurs français, qui se traduit par la perte de contrats avec les sites marchands référencés 47 Pt 51 de la décision. 48 Conclusions de l’avocat général Michal Bobek présentées le 28 février 2018 dans l’affaire flyLAL, préc., pt 76. 45 CJUE, 5 juill. 2018, flyLAL, aff. C-27/17. 49 CJUE, arrêt flyLAL, préc., pt 40. 46 CJUE, 29 juill. 2019, Tibor-Trans, aff. C-451/18. V. not. Concurrences no 1-2020, 50 CJUE, arrêt Tibor-Trans, préc., pt 37. V. not. Concurrences no 1-2020, pp. 218-232, note pp. 218-232, note R. Amaro. R. Amaro. Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020) 217
40. La cour d’appel déduit de la jurisprudence de la 46. Par un jugement du 19 septembre 201952, le tribunal de constitutes a violation of the publisher's rights and may be punished by up to 3 years imprisonment and up to a € 300 000 fine (Art. L. 335-2 Code de la Propriété Intellectuelle). Personal use of this document is authorised within the limits of Art. L 122-5 Code de la Propriété Intellectuelle and DRM protection. CJUE qu’en l’espèce, le marché affecté par l’abus de posi- commerce de Paris avait notamment rejeté les exceptions Ce document est protégé au titre du droit d'auteur par les conventions internationales en vigueur et le Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992. Toute utilisation non autorisée constitue une contrefaçon, délit pénalement sanctionné jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende (art. L. 335-2 CPI). L’utilisation personnelle est strictement autorisée dans les limites de l’article L. 122 5 CPI et des mesures techniques de protection pouvant accompagner ce document. This document is protected by copyright laws and international copyright treaties. Non-authorised use of this document tion dominante allégué engendrant une perte de trafic d’incompétence et de litispendance soulevées in limine litis sur les MCP exploités par LeGuide doit être considéré par les sociétés Z USA et Z Irlande au profit des juridic- comme celui de l’État membre dans lequel cette société tions américaines. Les sociétés Z USA et Z Irlande avaient développe et exploite ses sites Internet de comparaison de donc interjeté appel de cette décision et demandé à la cour prix et enregistre le trafic sur ces sites, et non les marchés d’appel de Paris de déclarer le tribunal de commerce de des États membres auxquels les sites sont destinés. Paris incompétent et, à titre subsidiaire, en cas de rejet de l’exception d’incompétence, et eu égard à la litispendance, 41. Dans chacune des affaires flyLAL et Tibor-Trans, il y de dessaisir le tribunal de commerce de Paris au profit du a avait, dans une certaine mesure, une identité entre l’État tribunal américain, et en tout état de cause de déclarer irre- membre dont la juridiction était saisie et le marché affecté cevable l’intervention volontaire d’EnigmaSoft. par les pratiques anticoncurrentielles alléguées. Une telle situation se retrouve dans la présente affaire, puisque la 47. S’agissant de la compétence internationale du tri- société LeGuide a saisi les juridictions françaises, c’est- bunal de commerce de Paris, la cour d’appel centre son à-dire les juridictions concernées par au moins un des analyse sur la détermination du lieu de matérialisation du marchés affectés par les pratiques anticoncurrentielles dommage aux fins d’application de l’article 46 du code de alléguées, sur lequel elle détient une part de marché des procédure civile à la société américaine Z USA et de l’ar- comparateurs de prix d’environ 20 %. Dans cette perspec- ticle 7(2) du règlement Bruxelles I bis à Z Irlande. La cour tive, la cour d’appel reprend les conclusions de la CJUE d’appel rappelle à ce titre les arrêts de la Cour de justice dans l’arrêt flyLAL, et considère que le marché affecté est Concurrence53, flyLAL54 et Tibor-Trans55. Elle précise celui sur lequel la société LeGuide développe, exploite les notamment que, selon la jurisprudence flyLAL, lorsque MCP et enregistre le trafic de ses sites. le marché affecté par le comportement anticoncurrentiel se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel le 42. Toutefois, la cour d’appel n’indique pas, comme l’avait dommage allégué est prétendument survenu, il y a lieu fait la CJUE dans l’affaire flyLAL, que sa décision se jus- de considérer que le lieu de matérialisation du dommage tifie par le fait que la France, pour les raisons précitées, se trouve dans cet État membre56. En l’espèce, la cour est le “marché essentiellement affecté”. Cette précision d’appel relève que les faits en cause concernaient l’inter- ne nous semble pas être un détail. En effet, Google ne férence du logiciel Z avec les logiciels des sociétés Enigma contestait pas que le marché français puisse faire partie pour les utilisateurs français, et qu’il n’est pas contesté des marchés affectés ; en revanche, elle soutenait qu’il que les demandes formulées par ces sociétés étaient limi- ne s’agissait pas du seul marché affecté par les pratiques tées à la réparation du préjudice subi en France et aux alléguées par LeGuide, et que la compétence des juges mesures adéquates de réparation et de prévention de des autres marchés affectés devrait être établie concer- tout nouveau dommage sur ce territoire uniquement. nant les préjudices que LeGuide invoque les concernant. Par conséquent, la cour d’appel conclut que s’il est exact que la révision du logiciel Z conçu à Santa Clara (États- 43. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 janvier 202051, Unis) constitue l’un des faits générateurs localisés aux dans l’affaire Enigma présente également des développe- États-Unis ayant contribué au dommage allégué par les ments intéressants sur la compétence, même si elle ne sociétés Enigma, le dommage que ces sociétés ont subi se porte pas sur des pratiques anticoncurrentielles. caractérise par la perte subie sur le marché français du fait de la commercialisation en France du logiciel Z, ce 44. La société Enigma Software Group USA LLC qui autorise les sociétés Enigma à choisir la juridiction (“Enigma”) avait assigné, sur le fondement de l’ar- française, en tant que juridiction du lieu de la matériali- ticle 1240 du code civil, la société Z USA et sa filiale irlan- sation du dommage, au regard de l’article 46 du code de daise Z Irlande devant le tribunal de commerce de Paris, procédure civile et de l’article 7(2) du règlement Bruxelles afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle aurait subi I bis. Par conséquent, la cour d’appel confirme le juge- du fait d’un logiciel de la société Z USA qui faisait appa- ment rendu par le tribunal de commerce de Paris dans raître deux de ses propres logiciels comme potentielle- toutes ses dispositions. ment indésirables et incitant l’utilisateur à les supprimer ou à ne pas les télécharger. 48. L’affaire Enigma est intéressante en ce que la cour d’appel semble aligner la question de la détermination du 45. La société de droit irlandais EnigmaSoft, filiale lieu de la matérialisation du dommage, aux fins de l’éta- d’Enigma, était intervenue volontairement à l’instance blissement de la compétence internationale du juge fran- pour obtenir la réparation du préjudice qu’elle estimait çais, sur la jurisprudence de la CJUE en matière d’actions subir du fait des mêmes agissements, concernant un nouveau logiciel lancé sur le marché en juin 2018. 52 T. com. Paris, 19 sept. 2019, RG 18/04526. 53 CJUE, 21 déc. 2016, Concurrence SARL, aff. C-618/15. 54 CJUE, 5 juill. 2018, flyLAL, aff. C-27/17. préc. 55 CJUE, 5 juill. 2018, Tibor-Trans, aff. C-451/18. V. not. Concurrences no 1-2020, pp. 218-232, note R. Amaro. préc. 51 CA Paris, ch. com. inter., 14 janv. 2020, Enigma, RG 19/18332. 56 CJUE, arrêt flyLAL, préc., pt 40. 218 Concurrences N° 3-2020 I Pratiques I Rafael Amaro, Bastien Thomas I Le contentieux de la réparation des pratiques anticoncurrentielles (déc. 2019-mai 2020)
Vous pouvez aussi lire