LE FRANÇAIS DE SUISSE ROMANDE - UNE RÉELLE VARIANTE DE LA LANGUE FRANÇAISE ? MÉMOIRE DE LICENCE - DIVA

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Mémoire de licence

Le français de Suisse romande
Une réelle variante de la langue française ?

                               Författare: Calner, Josefin
                               Handledare: Hauksson Tresch, Nathalie
                               Examinator: Lutas, Liviu
                               Termin: HT19
                               Ämne: Franska
                               Nivå: G3
                               Kurskod: 2FR30E
Abstract
Switzerland is a European country officially named the Swiss Confederation, composed
of 26 cantons which have a high degree of independence. In addition to its many cantons,
Switzerland has four official languages: German, French, Italian and Romansh. It is often
said that the Swiss French is different from the French spoken in France, and the most
common examples are the words septante (seventy) and nonante (ninety), instead of
soixante-dix and quatre-vingt-dix, respectively. Sometimes, the French spoken in
Switzerland is even considered a proper language, but it is unclear whether the difference
between the French spoken in Switzerland and France is big enough to justify this name.
    The aim of this study is to find out whether the differences between the Swiss French
and the French of France are used frequently enough in everyday conversation for the
Swiss language to be considered a proper variant of the French language. To do this, a
database called Corpus Oral de Français de Suisse Romande, composed of recordings of
French-speaking Swiss and developed by the University of Neuchâtel, is used (Avanzi,
Béguelin et Diémoz 2016, a). We use two different “Swiss French – French” dictionaries
to find 50 expressions that can be searched in the database.
    The results show that several expressions claimed to be used in the French-speaking
part of Switzerland are, in fact, used instead of the corresponding French expressions.
However, the French versions are more common in most cases, which suggests that most
of the so called “Swiss French expressions” might not be used in the conversations of
everyday life. Unfortunately, there are also 19 cases where neither of the versions of the
given expression can be found in the database. An explanation for this might be that
several of the chosen expressions are ill-fitted to the contexts of the recordings available,
or that neither version is used in everyday conversation.

Keywords
French-speaking Switzerland, Romandy, Swiss French, OFROM
Table des matières
1.     Introduction _______________________________________________________ 4

     1.1 Objectif _______________________________________________________________________ 4

     1.2 Études antérieures, cadre théorique et méthodologique __________________________________ 5

     1.3 La disposition du travail __________________________________________________________ 7

2.     L’histoire du français helvétique _______________________________________ 8

     2.1 Origine du français ______________________________________________________________ 8

     2.2 Le français helvétique ____________________________________________________________ 9

3.     Matériaux et méthode ______________________________________________ 10

     3.1 Matériaux _____________________________________________________________________ 10
       3.1.1 Le corpus _________________________________________________________________ 11
       3.1.2 Les dictionnaires ___________________________________________________________ 11

     3.2 Méthode ______________________________________________________________________ 12
       3.2.1 La sélection d’expressions ____________________________________________________ 12
       3.2.2 Chercher dans le corpus ______________________________________________________ 16

4.     Analyse _________________________________________________________ 17

     4.1 Origine des expressions cherchées _________________________________________________ 17
       4.1.1 Les dialectismes ____________________________________________________________ 17
       4.1.2 Les archaïsmes _____________________________________________________________ 18
       4.1.3 Les germanismes ___________________________________________________________ 18
       4.1.4 Les statalismes _____________________________________________________________ 19

     4.2 Résultat de la recherche _________________________________________________________ 20

5.     Synthèse _________________________________________________________ 23

6.     Conclusion _______________________________________________________ 25

Bibliographie _________________________________________________________ 26

Annexe : Liste complète des recherches _____________________________________ I

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1. Introduction
La Confédération Suisse est un pays constitué de 26 cantons ayant leurs propres
constitutions (subordonnées à la Constitution fédérale) parlements, gouvernements et
tribunaux. De plus, il y a quatre langues officielles en Suisse : L’allemand, le français,
l’italien et le romanche, dont la présence varie dans les différents cantons.
    La Suisse romande, ou la Romandie (Romandy en anglais) est le nom de la partie
francophone de la Suisse, composée de six cantons et quelques districts d’un septième
canton (Manno 2007 : 5-6). Le français parlé en Suisse se distingue quelque peu du
français de France. Par exemple, il y a les mots septante et nonante (soixante-dix et
quatre-vingt-dix, respectivement), qui constituent des exemples de mots dits
spécifiquement suisses assez connus. Cependant, il semble aussi exister d’autres mots ou
expressions dits spécifiquement suisses, et sur l’internet on peut trouver plusieurs
« dictionnaires » montrant des différences entre le français de France et le français de
Suisse. Ces « dictionnaires », qui sont plutôt des listes d’expressions dites spécifiquement
suisses, suggèrent que la différence entre le français respectivement parlé dans les deux
pays, dépasse les deux mots de nombres connus. La question résultant de cette suggestion
est de savoir si les traductions présentées dans ces listes en ligne sont vraiment employées
par les Suisses francophones dans la vie quotidienne.
    L’Université de Neuchâtel a développé un corpus utile pour essayer de répondre à
cette question. Composé de 64 heures d’enregistrements de 341 Suisses francophones, le
corpus est une base de données extensive, où il est possible d’examiner l’occurrence des
mots et des expressions (Avanzi, Béguelin et Diémoz 2016, a). Ce travail de recherche
consiste à utiliser ce corpus pour examiner si cinquante expressions dites spécifiquement
suisses (selon quelques « dictionnaires » en ligne) sont utilisées dans une mesure qui
suggère que le français de Suisse, également appelé le suisse romand, pourrait être
considéré comme une véritable variante de la langue française.

1.1 Objectif
L’objectif de ce mémoire est d’explorer certaines différences entre le français de France
et le français de Suisse romande en examinant dans quelle mesure des expressions dites
spécifiquement suisses sont employées par les Suisses francophones dans la vie
quotidienne. Cet objectif donne lieu à la question de recherche suivante : Dans quelle

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mesure certaines expressions dites spécifiques du français de Suisse romande sont-elles
vraiment employées dans la langue quotidienne par rapport aux expressions
correspondantes françaises ?

1.2 Études antérieures, cadre théorique et méthodologique
Il existe un mémoire de master ayant pour sujet la langue française en Suisse, appelé Le
français de Suisse romande et écrit en 2016 par Ratthapat Charoenwutipong. Dans ce
mémoire, l’auteur décrit de manière extensive l’aspect historique du français parlé en
Suisse romande (Charoenwutipong 2016 : 8). De plus, les particularités et les variations
du français de Suisse sont présentées dans une partie du mémoire traitant des aspects
descriptifs (Charoenwutipong 2016 : 19). La troisième partie de ce mémoire traite des
aspects sociolinguistiques, à savoir : les « attitudes des Suisses Romands par rapport au
français régional » (Charoenwutipong 2016 : 34).
    Quant aux autres études, nous pouvons citer Giuseppe Manno qui a écrit à propos de
l’influence germanique sur le français de Suisse romande. Dans son article « L’influence
de l’adstrat germanique sur le français régional de Suisse romande » de 1997, il essaye,
comme suggéré par le titre, de « dresser un tableau des influences objectivement
démontrables » exercées par les langues germaniques sur le français parlé en Suisse
romande (Manno 1997 : 2). Il décrit les différents types de germanismes, c’est-à-dire : les
différents types d’emprunts existant en Suisse romande, ainsi que les traces
morphologiques et syntaxiques trouvées dans le français de cette région. De plus, il écrit
sur le sujet du lexique, où il constate que le vocabulaire est, en comparaison avec la
grammaire, « beaucoup plus ouvert à l’emprunt et aux influences extérieures » (Manno
1997 : 6). Quant aux aspects quantitatifs, il regarde « l’origine des régionalismes » du
français de Suisse romande ainsi que « les composants du français non conventionnel »
dans la même région (Manno 1997 : 10). Selon Manno, l’influence germanique sur le
français de Suisse romande est la plus évidente « dans le vocabulaire administratif,
militaire et culinaire ainsi que dans le registre familier », mais il déclare aussi que ses
matériaux sont « bien trop réduits et épars ». (Manno 1997 : 13).
    Manno a aussi écrit un article appelé « La situation du français en Suisse :
considérations démolinguistiques et de politique linguistique » où il traite « la complexité
de la situation linguistique helvétique » du point de vue démographique et politique. Dans
l’article, Manno écrit à propos de « la Suisse quadrilingue ». Il décrit la naissance de la

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Confédération Suisse, l’histoire des quatre langues dans le pays ainsi que les parties dans
la Constitution fédérale qui concernent ces langues (Manno 2007 : 2). Il présente aussi
des données statistiques sur les langues principales en Suisse en général ainsi qu’en Suisse
romande, mais aussi sur la présence du français en dehors de Suisse romande (Manno
2007 : 4-8).
    Marinette Matthey, de l’Université de Neuchâtel, a écrit l’article « Le français langue
de contact en Suisse romande », concernant « la description des contacts de langues »
(Matthey 2003 : 92). Elle précise que son article sert à « donner des informations sur le
contexte suisse romand », mais aussi à « illustrer une approche théorique et
méthodologique des phénomènes de contacts » (Matthey 2003 : 92). La première partie
de l’article donne un contexte historique au français parlé en Suisse romande, utile pour
pouvoir comprendre le statut du français dans cette région aujourd’hui (Matthey 2003 :
92). La deuxième partie du texte sert à décrire les caractéristiques du français de Suisse
romande, et Matthey présente et commente notamment « un classement des marques
régionales » (Matthey 2003 : 94). De plus, Matthey s’intéresse aux représentations
linguistiques dans cette partie de la Suisse, et elle traite entre autres choses la phobie des
germanismes, à savoir la peur de la contamination du français par l’allemand (Matthey
2003 : 97-98).
    Matthey édite aussi, en coopération avec Manuel Meune « Le francoprovençal en
Suisse : Genèse, déclin, revitalisation », au sujet du francoprovençal en Suisse. La
publication constitue le numéro 2 de la Revue transatlantique d’études suisses, paru en
2012 et publiée par l’Université de Montréal. Dans cette publication les articles abordent
le francoprovençal avec deux perspectives différentes : des perspectives dialectologiques
aussi bien que sociolinguistiques », dont la première traite notamment « la genèse de
l’espace linguistique francoprovençal » (Matthey & Meune 2012 : 3).
    Certaines des études présentées dans cette partie serviront de cadre théorique à ce
travail. Cependant, il faut compléter la présentation des appuis théoriques et
méthodologiques en citant le Corpus Oral de Français de Suisse Romande, la base de
données précitée, comprenant des enregistrements grâce auxquels nous vérifierons
l’usage quotidien de la langue, ainsi que différents dictionnaires et listes de mots.
    Quant aux listes de mots utilisées dans le travail, nous en avons sélectionné deux. La
première liste est trouvée sur Le blog du frontalier, et est appelée : « Petit guide
d’expressions idiomatiques pour la Suisse francophone » (Steinert 2017). La deuxième

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liste, « Lexique français – Suisse romand », existe sur les Pages persos de Robert Ferréol
(Ferréol n.d.).
    Il existe aussi des dictionnaires et glossaires traitant de l’origine des mots et des
expressions de la langue française. Nous utilisons quatre sources dans cette catégorie pour
analyser l’origine des mots. Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
offre un site constituant « un ensemble de ressources linguistiques informatisées et
d’outils de traitement de la langue ». Il est possible d’utiliser le portail lexical pour trouver
des informations sur la forme d’un mot (Centre National de Ressources Textuelles et
Lexicales, 2012). Dans le glossaire de Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie,
trouvé sur le Site d’Henry Suter il y a une liste de mots et des expressions régionaux,
utilisés notamment en Suisse romande (Termes régionaux de Suisse romande et de
Savoie, 2009). Pour la plupart des éléments inclus dans le glossaire, il est aussi possible
de trouver des informations relatives à leur origine. De plus, dans le dictionnaire Larousse
(Larousse, b), ainsi que dans le Wiktionnaire (Wiktionnaire, 2020) il est parfois possible
de trouver l’origine d’un mot ou d’une expression typiquement suisse.

1.3 La disposition du travail
Pour essayer de répondre à la question de recherche, le travail est divisé en plusieurs
parties. Premièrement, nous faisons une étude historique pour mettre en lumière
l’évolution du français en Suisse. Cette partie sert à donner un contexte historique au sujet
du mémoire, nécessaire pour pouvoir mieux comprendre l’origine des expressions dites
suisses comprises dans cette étude.
    Deuxièmement, dans une présentation des matériaux et de la méthode, cinquante
expressions dites spécifiquement suisses selon quelques dictionnaires français de Suisse
– français de France, ont été choisies. La sélection des expressions est faite selon
quelques critères présentés dans la partie 3.2.1.
    Troisièmement, dans un chapitre consacré à l’analyse, les expressions choisies et
leurs « traductions » en français de France ont été cherchées et comptées dans le Corpus
Oral de Français de Suisse Romande, la base de données comprenant des
enregistrements. Cette partie est divisée en deux sous-parties. Dans la première, les
expressions cherchées sont analysées en fonction de leur origine et leur catégorie de
variation (dialectisme, archaïsme, germanisme, statalisme) en utilisant quelques
dictionnaires. Dans la deuxième partie de l’analyse, les résultats sont présentés dans un

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tableau montrant la présence des différentes versions d’expressions cherchées dans le
corpus.
    La quatrième partie est consacrée à la synthèse, où les résultats de l’analyse sont
présentés sous forme d’un texte. Le résultat de l’étude de l’origine des expressions est
résumé et les résultats du tableau sont divisés en différentes groupes et résumés.

2. L’histoire du français helvétique
Cette partie a pour objet la présentation brève de l’histoire de la langue française et, plus
spécifiquement, le français en Suisse – le français helvétique.
    L’Université de Neuchâtel présente sur son site internet la Suisse romande, et déclare
que l’espace géographique qui constitue la Suisse romande d’aujourd’hui « a été romanisé
à la suite de la conquête romaine, entre le IIe s. av. J.-C. et le début de l'ère chrétienne ».
Ainsi, la Suisse est un pays latin, depuis 2000 ans (Université de Neuchâtel, 2000). Dans
les parties suivantes, le rôle joué par cette latinisation dans l’histoire de la langue française
est exploré.

2.1 Origine du français
Selon Charoenwutipong (2016 : 10), dans Le français de Suisse romande la zone
géographie qui constitue aujourd’hui la Suisse est occupée par les Celtes vers le Ve siècle
avant J.-C., jusqu’à la conquête de la Gaule par les Romains. Les peuplades celtes parlent
les langues celtiques – des langues indo-européennes – mais dans l’écriture, le grec est
utilisé. Pour l’ensemble des peuples habitant la Gaule à cette époque-ci, on utilise le
terme : les Gaulois.
    Les Romains arrivent en Gaule en 58 avant J.-C.. Pour les Helvètes, vivant sur le
plateau Suisse, leur arrivée mène à une soumission définitive en 69-71 après J.-C.
(Larousse, a). Avec les Romains arrivent aussi les langues latines, et Charoenwutipong
déclare que : « on distingue généralement deux variétés de latin : le « latin classique » et
le « latin vulgaire » » dont le premier est surtout utilisé à l’écrit et le deuxième à l’oral
(Charoenwutipong 2016 : 11). Le territoire est maintenant appelé la Gaule romaine et à
cet endroit, les Celtes parlent toujours leur langue celtique, mais ils apprennent aussi le
latin pour pouvoir communiquer avec les Romains. Cependant, les Celtes parlent le latin
avec un accent étranger, et le latin parlé par la population celtique est modifié par les

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langues celtiques (Charoenwutipong 2016 : 12). La latinisation de la Gaule n’est pas un
processus homogène. La partie du sud de la Gaule (au bord de la mer Méditerranée) est
la partie la plus accessible aux Romains, et par conséquent, la latinisation commence à
cet endroit. En revanche, le terrain montagneux de la partie du nord de la Gaule la rend
plus inaccessible que celle du sud, et il y a ainsi un retard dans la latinisation dans cette
région (Charoenwutipong 2016 : 12).
    Les Francs arrivent en Gaule, avec leurs langues germaniques vers les années 250-
275 (Leclerc 2019) et cet évènement cause une situation de plurilinguisme à l’est de la
Gaule, à cause des interactions entre les Francs, les Gaulois et les Romains. Comme l’écrit
Charoenwutipong, les Francs utilisent le latin pour l’administration et leur propre langue
germanique – le francique – pour communiquer entre eux (Charoenwutipong 2016 : 13).
Cependant, le francique disparaît ultimement alors que le latin reste, et au IXe siècle le
résultat de ce processus est une variété de latin modifié d’abord par la langue celtique et
puis par le francique. Cette variété-là est le français.

2.2 Le français helvétique
Le territoire qui devient ultimement la Suisse est au Ve siècle envahi par les Burgondes
et les Alamans (Larousse, a). Les Burgondes sont déjà chrétiens, et ils s’installent dans la
région où habitent la population latinisée, incluant la Suisse romande d’aujourd’hui. Par
contre, les Alamans païens germanisent une partie de l’Helvétie, un territoire qui va plus
tard constituer une autre partie de la Suisse (Larousse, a). Selon Charoenwutipong, les
Burgondes parlent un dialecte germanique, mais ils l’abandonnent peu à peu au profit du
latin et il ne reste plus de traces linguistiques de leur dialecte en Suisse romande
aujourd’hui (2016 : 14).
    La Confédération Suisse naît en 1291 – et elle est composée de trois
cantons germanophones : Uri, Schwyz et Unterwald (Manno 2007 : 2). Aujourd’hui, la
Suisse est composée de 26 cantons, dont sept sont entièrement ou partiellement
francophones (Manno 2007 : 5). Les cantons de Genève, du Jura, de Neuchâtel et de Vaud
sont francophones unilingues, alors que les cantons bilingues – où le français et
l’allemand sont les langues officielles – incluent les cantons de Fribourg et du Valais,
ainsi que les districts francophones du canton de Berne (Manno 2007 : 6). Le domaine
linguistique du francoprovençal est le domaine auquel appartient la plupart des cantons
composant la Suisse romande (Université de Neuchâtel, 2000). Le francoprovençal est

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« une langue gallo-romaine indépendante », développée au sud-est de la France dont les
« particularités linguistiques […] sont documentées depuis la fin du VIe siècle »
(Université de Neuchâtel, 2000).
    Aujourd’hui, la partie francoprovençale constitue la partie principale de l’espace de
la Suisse romande. Cependant, le canton du Jura appartient au domaine linguistique d’oïl
(Université de Neuchâtel, 2000). Dans ce domaine, on trouve des dialectes francs-
comtois, parlés par les jurassiens. Par contre, le Jura bernois constitue « une zone de
transition » où on trouve trois types de dialectes : franc-comtois, francoprovençal et
intermédiaire. Ces trois types sont trouvés dans le nord-est, le sud-est et le centre du Jura
bernois, respectivement (Université de Neuchâtel, 2000). Le francoprovençal et le franc-
comtois sont des dialectes romands appelés aussi patois (Charoenwutipong 2016 : 21).
    Charoenwutipong déclare aussi qu’il y a quatre types de variations distinguant le
français de Suisse romande du français standard : les dialectismes, les archaïsmes, les
germanismes et les innovations/les statalismes (Charoenwutipong 2016 : 21). Les
dialectismes constituent des formes linguistiques empruntées aux dialectes romands
(patois), alors que les archaïsmes « représentent d’anciennes normes du français »
utilisées dans certaines « régions francophones périphériques » (Charoenwutipong 2016 :
21). Les mots septante et nonante sont des exemples d’archaïsmes. Les germanismes dans
le français de Suisse romande constituent des traces du contact entre le français et
l’allemand, tandis que les innovations et les statalismes sont, selon Charoenwutipong, des
formes linguistiques régionalement limitées, crées ou résultant d’une évolution interne
dans la langue française en Suisse romande (Charoenwutipong 2016 : 21).

3. Matériaux et méthode
Cette partie sert à présenter les sources principales et la méthode utilisée.

3.1 Matériaux
Les matériaux présentés dans cette partie incluent le Corpus Oral de Français de Suisse
Romande ainsi que les dictionnaires français de Suisse – français de France.

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3.1.1 Le corpus
Le Corpus Oral de Français de Suisse Romande – OFROM, est un corpus développé à
l’Université de Neuchâtel, sous la direction d’Avanzi, Béguelin et Diémoz (2016, a). Il
est composé de 64 heures d’enregistrements de 341 locuteurs francophones de Suisse
romande. Dans ce corpus, il est possible de faire des recherches de mots ou d’expressions,
pour vérifier leur présence dans les enregistrements. Les résultats sont présentés sous
forme de fragments de textes, représentant des fragments d’enregistrements et contenant
le mot cherché ou l’expression cherchée. Ces fragments sont plus ou moins longs et
offrent plus ou moins de contexte.
    En faisant des recherches, il est possible de faire une seule recherche principale, mais
aussi d’ajouter des critères pour filtrer le contexte. Ainsi, il est possible de combiner
différents critères dans la recherche. Les fonctions disponibles incluent des fonctions pour
chercher un mot entier, une chaîne de caractères et une partie du discours (nommé Part
of speech) etc. (Avanzi, et al. 2016, b : 13). La fonction part of speech permet par exemple
une recherche de toutes les conjugaisons d’un verbe, tout comme un seul mot ou un mot
dans une expression.
    Si un critère est ajouté à la recherche principale, il faut spécifier si ce critère constitue
un contexte antérieur ou postérieur par rapport à la recherche principale, mais aussi
l’intervalle. L’intervalle détermine « l’empan temporel du contexte de recherche (en
termes de nombre de mots ou de secondes) » (Avanzi, et al. 2016, b : 14).
    De plus, l’utilisateur a la possibilité de filtrer les résultats par rapport au locuteur,
selon différents critères incluant : le canton de résidence actuel, le lieu de résidence actuel,
les enregistrements d’un locuteur spécifique (à l’aide d’un code anonyme), la langue, le
niveau socio-éducatif, le sexe, l’âge au moment de l’enregistrement (Avanzi, et al. 2016,
b : 15).
           La possibilité de filtrer les enregistrements quant au genre de parole (incluant la
conférence, la discussion et la narration) et à la qualité sonore existe aussi (Avanzi, et al.
2016, b : 16).

3.1.2 Les dictionnaires
Pour trouver des expressions à étudier, deux dictionnaires (ou plutôt listes), déclarant des
différences entre le français de France et le français de Suisse, sont utilisés. La première
liste, appelée « Petit guide d’expressions idiomatiques pour la Suisse francophone », se

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trouve sur Le blog du frontalier. Ce blog est lié à l’entreprise MonCoachFinance,
notamment spécialisée dans la fiscalité franco-suisse, et contenant des informations pour
les frontaliers – à savoir les personnes qui selon le dictionnaire Larousse habitent près
d’une frontière, et, en particulier, qui travaillent au-delà de cette frontière (Larousse, b).
La liste a été publiée en 2017, et est écrite par Emilie Steinert, étudiante en sciences
politiques et histoire militaire (Steinert 2017).
    La deuxième liste, avec le titre « Lexique français – Suisse romand », est publiée sur
les Pages persos de Robert FERRÉOL, mathématicien et ex-professeur au lycée de
Fénelon à Paris (Ferréol n.d.).

3.2 Méthode
Dans cette partie, les méthodes concernant la sélection des expressions et la recherche
dans le corpus sont présentées.

3.2.1 La sélection d’expressions
Pour trouver des expressions dites spécifiquement suisses, les dictionnaires présentés
dans la partie 2.1.2 sont utilisés. Dans un premier temps, nous avons consulté le « Petit
guide d’expressions idiomatiques pour la Suisse francophone ». Comme cette liste est liée
à une entreprise focalisée sur différents aspects des relations entre la Suisse et la France
on peut ainsi s’attendre à ce que les expressions qu’elle contient soient jugées comme
utiles pour les frontaliers français. Quant à la sélection des expressions, elle a commencé
au début de la liste. Comme les expressions appropriées de la première liste ne sont pas
assez nombreuses, quelques expressions de la deuxième liste, « Lexique français – Suisse
romand », ont été rajoutées. Dans ce cas aussi, la sélection a commencé au début de la
liste. Cependant, beaucoup d’expressions ont été considérées comme inappropriées pour
cette étude, et dans le processus de la sélection, elles ont ainsi été exclues selon les critères
suivants :

    1) Les expressions ayant plusieurs variations signifiant la même chose ou ayant des
        sens différents en Suisse et en France – par exemple, Ferréol suggère que le mot
        déjeuner veut dire « le dîner » en Suisse romande (Ferréol n.d.). Ce type
        d’expression est exclu à cause de la difficulté à interpréter le résultat en

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recherchant dans le corpus. Il n’est pas aisément déterminé si le résultat appartient
       à la version française ou à la version suisse.
   2) Les expressions utilisées spécifiquement à l’écrit sont aussi exclues, comme il
       n’est pas probable qu’elles se trouvent dans des enregistrements d’une
       conversation.
   3) Les expressions spécifiques pour un ou certains cantons francophones. Ce type
       d’expression est exclu comme l’objectif de cette étude est de comparer le français
       de Suisse romande en général avec le français de France. Nous ne souhaitions pas
       comparer l’utilisation d’expressions entre les différents cantons de Suisse
       romande.
   4) Les mots septante et nonante, car il est déjà établi que ces mots sont couramment
       employés.

Les cinquante expressions choisies sont présentées dans Tableau 1 ci-dessous, et la
plupart de ces expressions (numéros 1-47) sont trouvées sur Le blog du frontalier. Parmi
ces expressions, il y a trois cas particuliers, à savoir les numéros deux (la natel), quatre
(la linge) et 23 (une panosse), marqués dans le tableau d’un astérisque. Dans le premier
cas, le mot « portable » est aussi cherché, comme ce mot est couramment utilisé en
français de France, au lieu du mot « téléphone portable ». Dans le cas du mot « linge »
avec le numéro quatre, la traduction française suggérée est « serviette de maison ». Cette
expression est difficile à interpréter, comme la sorte de serviette n’est pas spécifiée, et
également cette expression n’est pas très courante. Cependant, le dictionnaire Larousse
suggère que le mot « linge » en Suisse veut dire « serviette de toilette » en France, et la
traduction suggérée par le blog est ainsi remplacée par cette traduction plus spécifique
(Larousse, b). Dans le troisième cas, il s’agit d’une modification d’une expression
présentée par Steinert sur le blog : il s’agit de l’expression dite suisse « donner un coup
de panosse », avec la traduction française « passer la serpillère » (Steinert 2017). En
recherchant dans le corpus, cette expression n’a pas été trouvée. Cependant, le mot
« panosse » est présent dans les résultats. Selon le dictionnaire Larousse, ce mot est un
mot suisse pour le mot français « serpillière » (Larousse, b). Comme le but de ce mémoire
est d’examiner l’utilisation des expressions dites spécifiquement suisses par rapport aux
expressions correspondantes françaises, l’expression numéro 23 est ainsi transformée de

                                            13
« donner un coup de panosse » à « une panosse ». Les expressions 48-50 sont trouvées
dans le Lexique français – Suisse romand de Robert Ferréol.

Tableau 1. Expressions choisies, montrant la version dite suisse et la version française
         Expression dite                Expression                          Nature du
         spécifiquement suisse          correspondante française            mot/expression
 1.      Monter dans les tours          S’énerver                           Locution verbale
 2.      La natel*                      Le téléphone portable               Substantif
                                        (portable)*
 3.      Jaquette                       Gilet                               Substantif
 4.      Linge*                         Serviette de toilette*              Substantif
 5.      Tout de bon                    Pour souhaiter le meilleur          Locution interjective
                                        quand on quitte qqn
 6.      Ça joue                        Ça marche                           Locution verbale
 7.      Une fourre                     Une poche pour ranger des           Substantif
                                        documents
 8.      Séance                         Réunion                             Substantif
 9.      Faire la poutze                Faire le ménage                     Locution verbale
 10.     Foutre loin                    Jeter à la poubelle                 Locution verbale
 11.     Se rincer le gosier            Boire un petit coup                 Locution verbale
 12.     Mettre le cheni                Mettre le désordre                  Locution verbale
 13.     Pédzer                         Coller                              Verbe
 14.     Être sur Soleure               Être pompette                       Locution verbale
 15.     Gagner une channe              Remporter une coupe/une             Locution verbale
                                        compétition
 16.     Rester croché                  Être accroché/être coincé           Verbe (crocher)
 17.     Faire un clopet                Faire une sieste                    Locution verbale
 18.     Être tablard                   Être dérangé, être fou/folle        Locution verbale
 19.     De la gogne                    Du travail mal fait                 Substantif
 20.     La foure à natel               La housse de portable               Substantif
 21.     Avoir son fond                 Avoir pied/toucher le fond          Locution verbale
 22.     Faites seulement               Je vous en prie                     Locution adverbiale

                                                 14
23.   Une panosse*            Une serpillère*              Substantif
24.   Faire la potte          Faire la tête, être de       Locution verbale
                              mauvaise humeur
25.   Épouairé                Effrayé                      Adjectif
26.   Faire la pièce droite   Faire le poirier             Locution verbale
27.   Avoir la gratte         Avoir des démangeaisons      Locution verbale
28.   Un gonfle au pied       Une ampoule, une cloque      Substantif
29.   Je me suis chié         Je me suis trompé            Verbe
30.   Bobet                   Idiot                        Adjectif/Substantif
31.   Aller de bizingue       Zigzaguer                    Locution verbale
32.   Être sur le balan       Hésiter                      Locution verbale
33.   Un feune                Un sèche-cheveux             Substantif
34.   Le cœur de France       Le palmier (pâtisserie)      Substantif
35.   Un roille-gosses        Un instituteur               Substantif
36.   Une maman de jour       Une nounou                   Substantif
37.   Une course d’école      Une sortie d’école           Substantif
38.   Une rincée              Forte pluie                  Substantif
39.   Il roille               Il pleut à torrent           Verbe
40.   Un bancomate            Un distributeur de billets   Substantif
41.   Un signofile            Un clignotant                Substantif
42.   S’encoubler             Trébucher                    Verbe
43.   La molle                La flemme                    Substantif
44.   Un péclot               Un vieux vélo                Substantif
45.   Pécloter                Fonctionner de manière       Verbe
                              poussive/pas correctement
46.   Grand-maman             Mamie                        Substantif
47.   Grand-papa              Papi                         Substantif
48.   Une trottinette         Une patinette                Substantif
49.   Une sous-tasse          Une soucoupe                 Substantif
50.   Des carottes rouges     Des betteraves               Substantif

                                        15
3.2.2 Chercher dans le corpus
Pour examiner la présence des expressions choisies dans le corpus, plusieurs fonctions de
recherche sont utilisées et elles sont présentées ci-dessous en italique. Une liste complète
des mots cherchés et les combinaisons utilisées dans les recherches peut être trouvée en
annexe.
    Pour chercher un seul mot dans le corpus, la fonction chaîne de caractères est
souvent utilisée, comme cette fonction permet à l’utilisateur de déterminer si la chaîne
cherchée existe comme un seul mot ou si elle fait partie d’un autre mot. Cette fonction est
ainsi convenable pour trouver différentes formes d’un mot (masculin, féminin et pluriel).
Cependant, cette méthode de recherche peut poser problème si le mot cherché est très
bref, et dans ce cas la fonction mot entier est plus convenable. En utilisant cette fonction,
il faut faire des recherches complémentaires pour pouvoir trouver les différentes formes
du mot cherché.
    En recherchant des verbes ou des expressions contenant un verbe, la fonction part of
speech (token-min), où il est possible chercher les différentes formes d’un verbe, est
utilisée. Pour pouvoir trouver des expressions entières contenant un verbe, un critère
supplémentaire, par exemple une chaîne de mots, peut être ajouté.
    Le contexte où se trouve le mot cherché ou l’expression cherchée détermine si un
résultat trouvé est inclus dans la statistique. Si une expression spécifique est cherchée, les
résultats qui ne respectent pas les critères pour ces expressions sont exclus. Si, par
exemple, l’expression « être fou » est cherchée, les résultats « je m’en fous » et « des
fous », par exemple, ne sont pas inclus dans la statistique. Cependant, l’évaluation du
contexte peut poser problème, comme les résultats d’une recherche dans le corpus sont
présentés sous forme de fragments d’enregistrements. Les fragments sont plus ou moins
longs et plus ou moins clairs, et ce fait pose des difficultés lorsqu’on essaye de déterminer
le contexte. Ainsi, il n’est pas vraiment possible de dire avec certitude que tous les
résultats cherchés ont été trouvés et inclus dans la statistique, mais la probabilité est quand
même forte.

                                              16
4. Analyse
Cette partie est divisée en deux sections, dont la première traite de l’origine des
expressions choisies et la deuxième présente le résultat de la recherche.

4.1 Origine des expressions cherchées
Dans cette partie, l’origine et les catégories des expressions cherchées sont analysées.
Nous classons les expressions selon les catégories suggérées par Charoenwutipong et
présentées dans la partie 2.2. Les quatre catégories de variations incluent : les
dialectismes, les archaïsmes, les germanismes et les statalismes, où les dialectismes
représentent les emprunts aux dialectes romands, auxquels nous choisissons de rajouter
les mots et expressions dont l’origine à l’intérieur d’un seul canton a pu être déterminée ;
les archaïsmes sont les dérivés de l’ancien français ; les germanismes sont des traces
alémaniques et les statalismes résultent d’une sorte d’évolution interne au français de
Suisse romande. Les expressions apparaissent ci-dessous accompagnées de leur numéro
dans le tableau, entre parenthèses.

4.1.1 Les dialectismes
Dans cette catégorie les mots et les expressions sont dérivés d’un dialecte romand
(patois). Le mot pédzer (13), dérivé du mot « pèdze », est dit utilisé en Suisse romande
et comme il provient du patois « peuge », il constitue un dialectisme (Termes régionaux
de Suisse romande et de Savoie, 2009).
    Les expressions de la gogne (19), un gonfle au pied (28) et il roille (39) peuvent être
trouvées dans le Glossaire vaudois, de P.M. Callet, et nous proposons de les classer parmi
les dialectismes dans la mesure où elles semblent provenir d’un canton pour étendre par
la suite leur utilisation à toute la Suisse romande (Callet 1861). Les mots épouairé (25)
et un roille-gosses (35) ainsi que l’expression être sur Soleure (14) sont aussi dits
provenir du canton de Vaud (Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie 2009).
Comme Soleure est le nom d’un canton ainsi qu’une ville suisse, on utilise la majuscule
dans cette expression.

                                             17
4.1.2 Les archaïsmes
Les expressions provenant de l’ancien français ou du francoprovençal appartiennent à
cette catégorie.
    Le mot Jaquette (3) est dérivé du mot « jaque » du vieux français et le mot bobet (30)
est un « diminutif de l´ancien français bobe, qui a désigné un bègue, puis un nigaud, et
qui avait aussi le sens de tromperie » (Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie,
2009). Les expressions gagner une channe (15) et faire un clopet (17) viennent aussi du
vieux français : le mot « channe » est employé en Suisse romande, mais vient de l’ancien
français, et « un clopet » est dit signifier une « petite sieste » (Termes régionaux de Suisse
romande et de Savoie, 2009). Selon Wiktionnaire, l’origine du mot « un clopet » se trouve
dans l’ancien français (Wiktionnaire, 2020).
    Le mot une fourre (7) est utilisé en Suisse romande, selon Termes régionaux de
Suisse romande et de Savoie (2009). Le mot est dit dérivé du francoprovençal, et peut
ainsi être un archaïsme (Wiktionnaire, 2020). L’expression aller de bizingue (31) contient
le mot « bizingue », qui peut être dérivé du mot « biais », de l’ancien provençal ou « du
latin populaire *biaxius » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale, 2012).
Dans ce cas, il peut ainsi encore s’agir d’un archaïsme.
    Pour le mot une panosse (23), l’origine est un peu difficile à déterminer, comme il
est décrit comme dérivé de « Italien regional pannuccia, « tablier », patois panossi,
« torchon, vieux linge », ancien français panosse, « torchon, vieux morceau de linge »,
vieux français panoseux, « en haillons, déguenillé », franco-provençal panoussa,
« torchon, personne sans énergie », latin pannosus, même sens, et aussi vieux
français panne, « drap », latin panniculus, diminutif de pannus, « morceau d´étoffe,
haillon, guenille » (Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie, 2009). Le même
mot est trouvé dans l’ancien français, et dans ce cas il peut donc être qualifié comme un
archaïsme.

4.1.3 Les germanismes
Cette catégorie d’expressions dérivées des emprunts allemands comprend deux entrées
analysées : l’expression faire la poutze (9) et le mot un feune (33). La première est décrite
comme utilisée en Suisse romande et dérivée du mot « Allemand putzen,
« nettoyer » » (Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie 2009). Dans le

                                             18
deuxième cas, le mot « Foehn, föhn » est en Suisse un synonyme de « sèche-cheveux »
(Larousse, b). Selon le dictionnaire Larousse, le mot dérive du suisse allemand « föhn ».

4.1.4 Les statalismes
La catégorie des statalismes comprend la plupart des expressions analysées. Les
expressions de cette catégorie résultent d’une évolution interne en Suisse romande, sans
qu’on puisse forcément en déterminer l’origine.
    L’origine de certaines expressions reste incertaine. Cependant, elles peuvent
appartenir à la catégorie des statalismes comme elles sont dites employées régionalement
en Suisse romande, et ainsi être le résultat d’une évolution interne. L’expression monter
dans les tours (1) a, selon Wiktionnaire, une origine incertaine (Wiktionnaire, 2020).
Concernant les expressions suivantes, aucune information sur l’étymologie n’a été
trouvée : séance (8), faites seulement (22), faire la pièce droite (26), avoir la gratte (27),
je me suis chié (29), le cœur de France (34), une maman de jour (36) et la molle (43).
Certaines expressions dont l’origine est incertaine sont présentes dans Termes régionaux
de Suisse romande et de Savoie, on peut supposer qu’elles constituent des statalismes.
Ces expressions incluent : tout de bon (5), ça joue (6), rester croché (16), la foure à
natel (20) – le verbe « fourrer » est employé en Suisse romande – avoir son fond
(21), faire la potte (24), être sur le balan (32), une course d’école (37), un signofile (41),
un péclot (44), pécloter (45), une sous-tasse (49).
    Certaines expressions sont dites employées en Suisse romande, selon différents
dictionnaires. Le mot la natel (2) constitue un « Marque déposée par Swisscom,
abréviation de Nationales Autotelefonnetz, « réseau national de téléphones pour
automobiles » » (Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie, 2009). Même si le
nom de l’entreprise est allemand, le mot est le résultat d’une évolution régionale, et
constitue ainsi un statalisme. Le mot linge (4) est dit utilisé en Suisse romande, en lieu et
place des mots français : « linge de bain, de toilette : serviette de bain, de toilette » région
(Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie 2009). Les mots grand-maman (46),
grand-papa (47) et une trottinette (48), synonymes des mots grand-mère, grand-père et
une patinette, respectivement (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale,
2012). Ce qu’il y a d’intéressant avec le dernier mot (une trottinette) c’est qu’il s’agit
d’un mot d’origine suisse qui a migré vers la France puisqu’aujourd’hui on utilise
couramment ce mot en France.

                                              19
Certaines expressions, dont on peut déterminer que l’origine remonte au latin,
peuvent aussi être considérées comme des statalismes. Elles incluent les expressions
suivantes : foutre loin (10), dérivé du latin « futuere » ; se rincer le gosier (11), du mot
« gosier » dont l’origine est latine ; une rincée (38) (Centre National de Ressources
Textuelles et Lexicale, 2012). Les expressions suivantes constituent aussi des statalismes
dérivés du latin : mettre le cheni (12), comme le mot « cheni », il est ultimement dérivé
du latin vulgaire « canile » ; être tablard (18), dérivé du mot latin « tabula » ;
s’’encoubler (42) ; des carottes rouges (50), une expression dérivée du latin « carota »
(Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie 2009).
      Le mot un bancomate (40) est dite une variante du mot « bancomat », qui est un
emprunt italien (Wiktionnaire, 2020). Comme ce mot est directement emprunté à une
langue étrangère, il ne semble entrer dans aucune catégorie.

4.2 Résultat de la recherche
Dans Tableau 2, les résultats des recherches dans le corpus sont présentés. L’utilisation
des expressions dites spécifiquement suisses est comparée avec l’utilisation des
expressions correspondantes françaises. Dans les cas où plusieurs variantes d’une
expression apparaissent dans les dictionnaires, elles sont présentées dans la colonne à
l’extrême droite.

Tableau 2. Expressions choisies, montrant la version dite suisse et la version française
 Version dite                      Version française                   Variantes
 spécifiquement suisse                                                 (F = France, S = Suisse)

 1.     Monter dans         0      S’énerver                    15
        les tours
 2.     La natel            31     Le téléphone portable        2      F : Le portable      12
 3.     Jaquette            9      Gilet                        4
 4.     Linge               21     Serviette de toilette        0
 5.     Tout de bon         0      Pour souhaiter le            -
                                   meilleur quand on
                                   quitte quelqu’un
 6.     Ça joue             26     Ça marche                    56

                                                 20
7.    Une fourre        0    Une poche pour          0
                             ranger des documents
8.    Séance            37   Réunion                 14
9.    Faire la poutze   0    Faire le ménage         13
10.   Foutre loin       8    Jeter à la poubelle     0    S : Foutre à la       1
                                                          poubelle              2
                                                          S : Mettre à la
                                                          poubelle
11.   Se rincer le      0    Boire un petit coup     0
      gosier
12.   Mettre le cheni   0    Mettre le désordre      0
13.   Pédzer            0    Coller                  30
14.   Être sur          0    Être pompette           0
      Soleure
15.   Gagner une        0    Remporter une           0
      channe                 coupe/une compétition
16.   Rester croché     0    Être accroché           8    F : Être coincé       7
17.   Faire un clopet   0    Faire une sieste        7
18.   Être tablard      0    Être dérangé            4    F : Fou               86
                                                          F : Folle             12
19.   De la gogne       0    Du travail mal fait     0    F : Qqch mal fait     6
20.   La foure à        0    La housse de portable   0
      natel
21.   Avoir son fond    0    Avoir pied              0    F : Toucher le fond   0
22.   Faites            0    Je vous en prie         0
      seulement
23.   Une panosse       24   Une serpillière         11   F : une serpillère    1
24.   Faire la potte    0    Faire la tête           0    F : Être de           2
                                                          mauvaise humeur
25.   Épouairé          0    Effrayé                 2
26.   Faire la pièce    0    Faire le poirier        0
      droite

                                             21
27.   Avoir la gratte   0    Avoir des                 0
                             démangeaisons
28.   Un gonfle au      0    Une ampoule               1    F : une cloque   1
      pied
29.   Je me suis chié   0    Je me suis trompé         0
30.   Bobet             6    Idiot                     5
31.   Aller de          0    Zigzaguer                 0
      bizingue
32.   Être sur le       0    Hésiter                   42
      balan
33.   Un feune          0    Un sèche-cheveux          1
34.   Le cœur de        0    Le palmier (pâtisserie)   0
      France
35.   Un roille-        0    Un instituteur            6
      gosses
36.   Une maman de      2    Une nounou                1
      jour
37.   Une course        2    Une sortie d’école        0
      d’école
38.   Une rincée        0    Une forte pluie           0
39.   Il roille*        4    Il pleut à torrent        0
40.   Un bancomate      0    Un distributeur de        0
                             billets
41.   Un signofile      1    Un clignotant             0
42.   S’encoubler       5    Trébucher                 1
43.   La molle          0    La flemme                 1
44.   Un péclôt         0    Un vieux vélo             0
45.   Pécloter          0    Fonctionner de            0
                             manière poussive/pas
                             correctement
46.   Grand-maman       57   Mamie                     6
47.   Grand-papa        26   Papi                      0

                                          22
48.   Une trottinette   0     Une patinette              0
 49.   Une sous-tasse    1     Une soucoupe               1
 50.   Des carottes      0     Des betteraves             11
       rouges

* Dans un des quatre cas, le locuteur explique que : « non moi je ne dis pas qu'il roille ».

5. Synthèse
Premièrement, l’analyse de l’origine des expressions choisies nous montre que la
catégorie la plus courante est formée par les statalismes, c’est-à-dire les expressions
résultant d’une évolution interne en Suisse romande. Les catégories des archaïsmes et des
dialectismes comprennent sept des expressions choisies, respectivement, alors qu’il y a
seulement deux cas de germanismes (faire la poutze, un feune).
   Deuxièmement, pour pouvoir interpréter les résultats obtenus, les cas dans le tableau
présenté dans la partie de l’analyse peuvent être divisés en plusieurs groupes :

   1) Ni la version française ni la version suisse ne sont trouvées dans le corpus (19
       cas).
   2) Seulement la version française existe dans le corpus (15 cas). Donc, les
       expressions suivantes ne sont pas utilisées par les locuteurs enregistrés : monter
       dans les tours, faire la poutze, pédzer, rester croché, faire un clopet, être tablard,
       de la gogne, faire la potte, épouairé, un gonfle au pied, être sur le balan, un feune,
       un roille-gosses, la molle, des carottes rouges.
   3) Les deux versions sont présentes dans le corpus, mais la version suisse est plus
       courante que la version française (9 cas). Dans ce cas, les expressions dites suisses
       plus courantes que leurs équivalents en français incluent : la natel, la jaquette, la
       séance, foutre loin, une panosse, bobet, une maman de jour, s’encoubler, grand-
       maman.
   4) Seulement la version dite suisse existe dans le corpus (5 cas). Les expressions
       dites suisses qui existent sans la présence de leurs traductions en français sont :
       linge, une course d’école, il roille, un signofile, grand-papa.

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