Le mouvement des femmes en Pologne postcommuniste et les acteurs internationaux Women's Movement in Post-Communist Poland and International Actors
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Document generated on 09/12/2021 9:49 a.m. Recherches féministes Le mouvement des femmes en Pologne postcommuniste et les acteurs internationaux Women's Movement in Post-Communist Poland and International Actors Mariola Misiorowska Féminisme, mondialisation et altermondialisation Article abstract Volume 17, Number 2, 2004 The Women's Movement, created in post-communist Poland, was the Polish activist's response to the problems that either arose as a result of recent URI: https://id.erudit.org/iderudit/012400ar systematic changes or had accumulated during the Socialist Period. Formed at DOI: https://doi.org/10.7202/012400ar a time of strong Polish internationalization, due to international cooperation programs, the progress of globalization in the region and the process of integration into the European Union, this movement maintains financial and See table of contents ideological links with occidental actors. The absence of national support for the women's mobilization, a strong opposition form conservative forces to any change of gender contract as well as weak activism in the heart of civil society Publisher(s) reinforced this tendency. Revue Recherches féministes ISSN 0838-4479 (print) 1705-9240 (digital) Explore this journal Cite this article Misiorowska, M. (2004). Le mouvement des femmes en Pologne postcommuniste et les acteurs internationaux. Recherches féministes, 17(2), 43–84. https://doi.org/10.7202/012400ar Tous droits réservés © Recherches féministes, Université Laval, 2004 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Article Le mouvement des femmes en Pologne postcommuniste et les acteurs internationaux MARIOLA MISIOROWSKA A près la chute du mur de Berlin, les changements politiques et économiques survenus en Pologne ont conduit à la détérioration de la condition sociale du peuple, plus particulièrement de la condition féminine (Lazreg 2000 ; Heinen 1995). L’arrivée au pouvoir de la droite catholique issue de Solidarnosc, en 1990, ainsi que la paupérisation de la population à la suite des réformes libérales ont eu de lourdes conséquences sur la situation des femmes. En outre, l’héritage laissé par le système socialiste et les traditions patriarcales précommunistes ont contribué à défavoriser les femmes dans le nouveau contexte politique, économique et social (Titkow 2002). Malgré les effets indésirables de la transition, l’internationalisation de la Pologne qui l’accompagne exerce une grande influence sur la redéfinition du rôle des femmes dans la société postcommuniste. Si le processus de démocratisation de la Pologne pose les bases des libertés politiques, les échanges internationaux brisent définitivement l’isolement de la société polonaise à l’égard de la communauté internationale. Par conséquent, les rapports hommes-femmes, figés par les traditions nationales catholiques, sont entrés dans une phase de renégociation. Le projet d’adhésion de la Pologne à l’Union européenne (UE) exige encore plus cette redéfinition des rapports de sexes, dans la mesure où sa politique d’égalité des chances des femmes et des hommes fait partie de l’acquis social européen, commun à tous les pays membres. Recherches féministes, vol. 17, no 2, 2004 : 43-84
MISIOROWSKA 44 Le mouvement des femmes qui naît en Pologne durant la transition constitue une réponse d’une partie de la société civile, libéralisée après la chute du communisme, à la discrimination des femmes héritée du passé, puis accentuée par les réformes libérales (Fuszara 2000). De nombreuses organisations de femmes, qui ont été créées en Pologne postcommuniste, illustrent cette mobilisation féminine, quasi inexistante durant la période socialiste. Le développement du militantisme politique des femmes est lié autant au recouvrement des libertés civiques qu’aux programmes d’aide internationaux adressés à la Pologne en transition par les pays développés. En effet, l’aide dont le mouvement des femmes polonais a bénéficié dans le contexte de la coopération entre les organisations non gouvernementales (ONG) et les fondations occidentales, et les organisations de femmes polonaises dès 1989 (et parfois de manière officieuse durant les années 80), a eu un grand impact sur la cristallisation du mouvement et sur les orientations prises par les militantes féministes polonaises (McMahon 1998). Si la naissance du mouvement des femmes en Pologne postcommuniste a été provoquée par la situation intérieure, l’aide occidentale a encouragé son développement à travers les diverses formes de la coopération, y compris le transfert des connaissances vers les ONG des pays en transition. Le nouveau mouvement des femmes se crée donc initialement en réaction aux difficultés, héritées du passé ou survenues au moment des transformations systémiques, pour évoluer vers un véritable lobby des femmes à la fin des années 90 (Graff 2003). Contrairement à la période socialiste durant laquelle une seule organisation officielle représentait les intérêts des femmes1, le 1. Il s’agit de Liga Kobiet Polskich (la Ligue des femmes polonaises), fondée en 1945 par des militantes de gauche, ensuite devenues membres de son premier comité et qui a été l’unique organisation de femmes active durant toute la période socialiste. Bien qu’elle ait regroupé plus de deux millions de membres durant les années 50 et quatre millions pendant les années 60, elle n’était qu’une imitation du Conseil soviétique des femmes, subordonné au parti-État (Walczewska 1993). Une deuxième organisation massive de femmes, Kolo Gospodyn Wiejskich (Cercle des fermières), active durant cette période, avait un statut incertain. Associée tantôt à la Liga Kobiet Polskich tantôt aux cercles agricoles, elle faisait aussi partie de la politique officielle
ARTICLE 45 mouvement des femmes en Pologne en transition se démarque par sa diversité. Son dynamisme s’exprime par le nombre et la variété des organisations qui passent d’une dizaine avant 19902 à une centaine à la fin de la première décennie des réformes. Le graphique ci-dessous illustre les années de création des organisations de femmes en Pologne. du parti-État. Sa fonction se limitait généralement à des conseils concernant la vie domestique, à quelques exceptions notables près (Walczewska 2000). La Liga Kobiet Polskich, quant à elle, a exercé un impact négatif important sur la conscience politique et civique des femmes polonaises. Étant donné que ces dernières ont été privées de la possibilité de véhiculer leurs intérêts au sein de cette organisation (l’existence d’une autre organisation de femmes était exclue), elles ont adopté une attitude passive envers les questions politiques et se sont retirées dans la sphère privée. En outre, les féministes, en raison de leur affiliation à la Liga Kobiet Polskich, se sont vues associées aux militantes des partis communistes, ce qui a discrédité le féminisme aux yeux de la population. Finalement, la Liga Kobiet Polskich a figé l’image des femmes dans celle d’une masse homogène, passive et incapable de s’organiser pour défendre ses intérêts (Walczewska 1993). 2. Le nombre exact d’organisations actives de femmes est difficile à déterminer. Selon la base de données de la Fundacja Centrum Promocji Kobiet (Centre pour l’avancement des femmes) dont l’annuaire est cité en référence, on compte 59 organismes et initiatives en 1993, 107 en 1997 et 116 en 2000. La base de données électronique du centre Osrodek Infermacji Srodowisk Kobiecych (OSKA) (Centre d’information des milieux des femmes) contient de l’information sur 313 organismes et initiatives (ici les filiales nationales comptent pour un organisme individuel, ce qui n’est pas le cas dans l’annuaire du Fundacja Centrum Promocji Kobiet. En outre, certaines organisations de femmes, bien qu’elles soient enregistrées, peuvent rester inactives. D’autre part, des ONG polonaises mènent des projets ou des programmes pour les femmes sans toutefois se définir comme « organisations de femmes ». Également, la catégorie « organisations de femmes » n’est pas clairement déterminée dans la terminologie polonaise. De manière générale, il s’agit d’organisations gérées par des femmes mais qui peuvent toutefois conduire des actions touchant à d’autres groupes ou catégories sociales et d’organisations qui se concentrent uniquement sur les questions de femmes mais qui peuvent aussi accepter des hommes dans leurs structures (Fundacja Im. Stefana Batorego 1999).
MISIOROWSKA 46 Graphique 1 Années de création des organisations de femmes en Pologne Avant 1989 1989-1995 1996-2000 Graphique construit sur la base d’informations contenues dans Fundacja Centrum Promocji Kobiet : Informator o Organizacjach i inicjatywach kobiecych w Polsce (Annuaire des organisations et des initiatives de femmes en Pologne), Fundacja Centrum Promocji Kobiet, Varsovie, 2000. Ces diverses organisations, initiatives et groupes formels ou informels illustrent le changement survenu durant la transition, à savoir que les femmes qui partagent des idées et des intérêts sont maintenant capables de se réunir pour faire avancer leur cause. En effet, selon la base de données de l’OSKA, des organisations de femmes agissent aujourd’hui dans 33 domaines différents (OSKA 1). Ces organisations peuvent également être catégorisées selon de nombreux critères autres que leur domaine d’action, soit selon leur affiliation et orientation politique, leur appartenance religieuse ou laïque, leur structure formelle ou informelle, leur caractère féministe ou non, ou encore leur portée géographique (régionale, nationale, locale, internationale). Elles expriment parfois des intérêts et des
ARTICLE 47 opinions contradictoires, ce qui peut affaiblir leur force de pression et même neutraliser certaines tentatives de construction de coalitions et d’actions collectives. Au sein du mouvement, les leaders occupent une place importante dans la mesure où la plupart des organisations sont petites et doivent s’adapter à un environnement incertain et changeant. Ces organisations se concentrent avant tout sur la réalisation de projets concrets plutôt que sur la construction de grandes structures organisationnelles. Du charisme des leaders dépend souvent la survie des organisations féministes, exposées aux critiques, au mépris ou à l’indifférence des institutions et des médias (Aulette Root 1999 ; Graff 2001). Les représentantes du nouveau mouvement des femmes fondent de plus en plus souvent leurs actions sur les droits des femmes inscrits dans les conventions internationales ou dans les documents de l’UE3. À noter que nous avons choisi de nous pencher dans le présent texte précisément sur les forces progressistes4 au sein du mouvement des femmes. Le choix de restreindre notre étude à ces groupes est motivé par le fait que ce sont principalement ces forces progressistes qui sont capables, selon nous, d’accélérer la modification du contrat du genre par leur travail de reformulation du rôle des femmes dans la société postcommuniste selon le modèle occidental. Nous évitons de qualifier ces forces de « féministes », car les groupes de femmes en Pologne ne se qualifient pas eux-mêmes comme tels. En effet, ce terme a été pratiquement prohibé en Pologne au début des années 90, car il était inévitablement associé avec le féminisme officiel de l’époque socialiste. Aujourd’hui encore, il est employé avec beaucoup de réticence, même par les personnes engagées dans des actions féministes et qui peuvent être identifiées comme telles. 3. Cette question a été discutée dans nos entrevues avec les leaders des organisations de femmes en juin 2003 et de février à avril 2004. 4. Par « forces progressistes », nous entendons les groupes formels ou informels et les individus qui constituent une sorte d’avant-garde féministe du mouvement des femmes actuel. Ces groupes sont proches de la pensée féministe occidentale, maintiennent souvent divers contacts avec les féministes occidentales et sont engagés dans la lutte pour l’avancement de la condition des femmes en Pologne à travers des actions sur le terrain, un travail intellectuel ou le lobbying politique. Ils légitiment fréquemment leur activité par les droits des femmes stipulés dans les conventions et les traités internationaux.
MISIOROWSKA 48 Notre article a pour objet d’examiner l’impact de l’internationalisation de la Pologne5, survenue après la chute du mur de Berlin, sur l’émergence et le développement des forces progressistes au sein du mouvement des femmes. Nous le ferons en précisant les orientations majeures de la coopération internationale pendant la période de la transition, surtout en ce qui concerne l’aide destinée au troisième secteur ou, autrement dit, au développement de la société civile. À travers notre argumentation, nous tenterons de répondre aux questions suivantes : De quelle manière l’assistance internationale à la transition influe-t-elle sur le développement du nouveau mouvement des femmes ? Comment ce dernier a-t-il bénéficié des échanges formels et informels avec l’Occident ? En quoi le processus d’adhésion de la Pologne à l’UE a-t-il modifié la perception de la place des femmes au sein de la société contemporaine ? Les données quantitatives présentées s’appuient sur l’information provenant de la quatrième édition de l’ Informator o organizacjach i inicjatywach kobiecych w Polsce (Annuaire des organisations et des initiatives des femmes en Pologne), édité par la Fundacja Centrum Promocji Kobiet et qui englobe la période de 1997 à 2000. Les données contenues dans cet annuaire ont été recueillies par l’entremise des déclarations remplies volontairement par les organisations elles- mêmes sans aucune intervention postérieure de l’éditeur. Elles demeurent aujourd’hui la source la plus complète et la plus à jour quant à l’information sur les organisations et les initiatives de femmes en Pologne. En ce qui concerne les données qualitatives, elles ont été recueillies auprès des organisations par l’intermédiaire d’Internet ou de la documentation publiée consultable ainsi qu’à travers les entrevues semi-dirigées que nous avons menées avec les leaders des 5. L’internationalisation de la Pologne prend une dimension de phénomène social après l’ouverture des frontières nationales qui suit la chute du mur de Berlin. Elle s’effectue à travers les mouvements migratoires (nous nous intéresserons surtout à ceux entre la Pologne et l’Ouest), la diffusion de la culture de masse, les investissements étrangers directs qui impliquent l’arrivée en Pologne de personnes venant d’Occident et, enfin, les diverses formes de la coopération internationale.
ARTICLE 49 organisations de femmes et les militantes rencontrées à Varsovie, à Katowice et à Gdansk en juin 2003 et de février à avril 20046. La division de notre article suivra l’ordre des questions posées précédemment. Après avoir établi le nouveau contexte de la transition polonaise, nous introduirons les différentes formes d’aide attribuée à la Pologne postcommuniste, y compris la coopération entre les acteurs internationaux7 et les organisations polonaises de femmes dans le contexte de l’internationalisation du pays. Nous étudierons ensuite la place du féminisme dans la société polonaise postcommuniste et au sein de mouvements des femmes. Finalement, nous nous intéresserons à l’impact du processus d’adhésion de la Pologne à l’UE sur la question des femmes ainsi qu’au rôle du mouvement des femmes dans ce processus. 6. Ce sont dans l’ordre chronologique : Kinga Lohman, directrice de la coalition Karat, rencontrée le 5 juin 2003 à Varsovie ; Anna Wilkowska, juriste, coordonnatrice de programmes au Network of East West Women (NEWW Polska), rencontrée le 9 juin 2003 à Gdansk ; Katarzyna Radecka, fondatrice du groupe Kobiety Tez (Femmes aussi), rencontrée le 3 février 2004 à Varsovie ; Ewa Lisowska, directrice et fondatrice de la Miedzynarodowe Forum Kobiet (MFK) (Fédération internationale des femmes), rencontrée le 4 février 2004 à Varsovie ; Ewa Dabrowska, directrice et fondatrice de Profemina, rencontrée le 4 février 2004 à Varsovie ; Jolanta Plakwicz, directrice et fondatrice du Centrum Kobiet (PSF) (Centre des femmes), rencontrée le 6 février 2002 à Varsovie ; Stana Buchowska, directrice du réseau Lastrada Polska, rencontrée le 19 février 2004 à Varsovie ; Ada Dabrowska, juriste, membre de la direction de la Liga Kobiet Polskich (LKP) (Ligue des femmes polonaises), rencontrée le 20 février 2004 à Varsovie ; Urszula Nowakowska, directrice et fondatrice du Centrum Praw Kobiet (CPK) (Centre pour les droits des femmes), rencontrée le 26 février 2004 à Varsovie ; Joanna Piotrowska, coordinatrice des programmes de l’OSKA, interviewée le 26 février 2004 à Varsovie ; Anna Nawrot, membre de la direction du Centrum Promocji Kobiet, rencontrée le 24 mars 2004 à Varsovie ; Dorota Stasikowska-Wozniak, plénipotentiaire pour le statut égal des femmes et des hommes de la Voïvodie de Silésie, rencontrée le 30 mars 2004 à Katowice. 7. « De façon générale, un acteur international peut être défini comme un individu, un groupe, une classe, une institution, un État ou une organisation, dont on peut affirmer qu’il exerce une action intentionnelle au sein du système international ou mondial » (Mc Leod, Dufault et Dufour 2002 : 13 ; le souligné est dans le texte). »
MISIOROWSKA 50 Le nouveau contexte de la transition polonaise L’effondrement du communisme a donné le coup d’envoi aux programmes de coopération internationale destinés initialement à la Pologne et à la Hongrie. Les programmes d’aide bilatéraux, les programmes multinationaux gérés par les institutions internationales ainsi que le programme Pologne et Hongrie : assistance pour la restructuration économique (PHARE) de la Communauté européenne forment la colonne vertébrale de cette aide. Notons que les programmes bilatéraux varient en fonction des moyens et des résultats recherchés par chaque État8. Bien que les États impliqués aient tenté de mettre en place les mécanismes de coordination de leur programmes respectifs pour accorder un maximum de bénéfices aux pays en transition9, le fait d’utiliser ces programmes dans le but de promouvoir les plans stratégiques et culturels des donateurs individuels annulait partiellement ces efforts (Wedel 2001). Il arrivait que certains programmes imposent des exigences contradictoires aux pays bénéficiaires ou qu’ils se chevauchent dans leurs actions. L’euphorie résultant de la chute du communisme dans les pays de l’Europe centrale et orientale et dans le milieu de la coopération internationale et des diverses agences ou institutions des pays donateurs s’estompe toutefois lors de la mise en place progressive des programmes d’assistance (Wedel 2001). Ces programmes de développement dans les pays d’Europe centrale ne diffèrent pas vraiment de ceux qui ont été implantés dans les pays sous- développés, ce qui mène inévitablement à des frustrations mutuelles : de la part des pays bénéficiaires d’aide, blessés dans leur fierté nationale, et de la part des donateurs, déçus par les difficultés à collaborer efficacement avec leurs « cousins » de l’Est. L’enthousiasme des premiers mois de coopération cède donc la place à la déception avant que s’amorce une phase d’adaptation entre les 8. Par exemple, en 1996, les sommes destinées à l’aide publique aux pays en transition varient de 0 à 1 694 millions de dollars par pays donateur. Banque mondiale : www.worldbank.org/depweb/french/beyond/global/chapter13.html. 9. À la fin de 1992, au total, 48,5 millions de dollars d’aide ont été accordés aux pays d’Europe centrale par le G-24, dont 18,1 millions sous forme de financement aux projets (Wedel 2001 : 18).
ARTICLE 51 donateurs et certains pays bénéficiaires d’aide, dont la Pologne10 (Wedel 2001 : 33-34): […] although donors perceived the Second World as unique, they had little real understanding of its historical, economic, political, and sociological experiences, and little organizational capacity to deliver new programs. Following 40 years of Cold War foreign aid, during which capitalist and communist countries aided the Third World in an attempt to buy loyalties, the aid programs most available were those that had been implemented in the Third World. Almost by default, donors set many of them into motion. Many were ill matched to recipient needs and stifled innovation. Pour la Pologne, le programme initial prévoit une « thérapie de choc11 » d’une durée de cinq ans qui aurait dû amener le pays à un niveau de croissance continue. Le langage employé par les experts américains, par exemple Jeffrey Sachs, porte à croire que les 40 années de socialisme sont une maladie dont il faut se débarrasser de manière définitive pour retourner sur la voie du développement capitaliste (Wedel 2001). De manière générale, les programmes d’aide s’intéressent d’abord aux transformations économiques parallèles à la mise en place des institutions démocratiques et ensuite au développement de la société civile (appelée couramment en Pologne : « le troisième secteur »), parfois incluse dans les projets de démocratisation, parfois visée explicitement, comme cela a été le cas du programme canadien. La question des femmes est sans exception absente des considérations des programmes de réforme bien que les effets négatifs du processus sur cette partie de la population soient rapidement manifestes : « Changes in the early 1990s exacerbated existing disparities between men and women […] women throughout the region suffered disproportionately from political uncertainty and 10. Selon Wedel, certains pays d’Europe centrale et orientale, notamment la Russie, n’ont jamais dépassé la phase de la déception, ce qui a conduit à l’abandon des programmes visés. 11. Tel est le nom donné au programme radical des réformes polonaises, entreprises dès le 1er janvier 1990 sous la direction du technocrate polonais et ministre des Finances, Leszek Balcerowicz, et de ses homologues occidentaux.
MISIOROWSKA 52 economic restructuring » (McMahon 1998 : 6). Pourtant, les recherches scientifiques sur les effets des réformes sur la condition des femmes sont absentes au cours des premières années de la transition. L’aide internationale qui leur est destinée précisément transitera surtout à travers les programmes internationaux à l’intention des ONG. En dehors des échanges accrus avec l’Occident conformément aux programmes d’aide internationale, l’internationalisation de l’Europe centrale s’intensifie dans la société civile après l’ouverture des frontières nationales. Des flux de biens, de services et d’argent s’accompagnent de flux de personnes et d’idées, ce qui produit un changement radical du panorama en Europe centrale. De nouveaux conflits et de nouvelles ouvertures se dessinent autour desquels s’établiront progressivement de nouveaux systèmes de valeurs dans la société civile postcommuniste. Les femmes polonaises sont touchées par des phénomènes tels que l’esclavage moderne12, les migrations sauvages et le déracinement qu’accompagnent de nouvelles possibilités liées à l’ouverture des frontières. La circulation transnationale des idées et des personnes importe de nouveaux modes de vie, de pensée et de perception de la place des femmes dans la société. Évidemment, ces idées (comme nous le verrons dans la partie traitant du féminisme en Pologne) peuvent se situer dans la mouvance progressiste ou, au contraire, faire référence aux idées conservatrices, pro-vie par exemple. Ainsi, l’émergence des idées conservatrices au sein du mouvement Solidarnosc en phase avec le recul (backlash) des années Reagan, parallèle à la diffusion de l’image traditionnelle des femmes au foyer dans les médias polonais au cours des années 80 (Graff 2003), annonce des obstacles sur le chemin de la redéfinition du contrat du genre, c’est-à-dire de rapports entre les femmes et les hommes déterminant leur place respective au sein de la société. 12. Le trafic des femmes est mis en place par les réseaux de prostitution qui sont formés dans le milieu du crime organisé. La Pologne, en raison de son emplacement à la jonction de l’Est et de l’Ouest, devient une plaque tournante du transit des prostituées (à l’origine, ce phénomène touche uniquement la prostitution féminine ; ensuite, il inclut les réseaux du trafic d’enfants) (Géry 1999 ; Buchowska, entrevue du 19 février 2004).
ARTICLE 53 Les contacts avec les pays étrangers offrent donc plus de liberté dans le choix des façons de vivre, mais ils s’accompagnent de conflits internes tels que l’enfermement dans la tradition ou son rejet, l’incertitude quant à l’avenir, l’isolement ou la précarité en cas d’émigration, souvent illégale. La femme devient un acteur économique et politique au même titre que l’homme, libérée qu’elle est des contraintes du système autoritaire, mais elle reste dépourvue de la majorité des droits sociaux garantis par l’ancien système. Néanmoins, l’internationalisation et son corollaire, la pénétration des valeurs occidentales, accélèrent la formation du mouvement des femmes en Pologne, tout d’abord au sein des groupes de discussion apparus dans des milieux universitaires, ensuite à l’intérieur des ONG progressistes. Puisque les normes universelles, mais aussi la position des femmes dans les démocraties occidentales, devancent la réalité polonaise, des organisations de femmes polonaises viseront à mettre en place des projets qui s’inspirent des progrès occidentaux accomplis en matière de droits des femmes. Le gouvernement polonais a certes ratifié la plupart des conventions internationales, mais leur reconnaissance concrète et l’adoption de mesures pour les mettre en application ne sont pas imminentes13. Le respect des droits internationaux, en l’absence des forces politiques transnationales capables d’exiger leur application, mobilise et légitime l’intervention des acteurs non étatiques, y compris les organisations de femmes. La coopération internationale et les organisations de femmes L’aide internationale à l’égard des forces progressistes du mouvement des femmes émergeant en Pologne commence à affluer dès les années 80, quand les premiers groupes informels de femmes font leur apparition, fondés, pour la plupart, par les militantes de 13. Soulignons que les instances permettant la revendication et la protection des droits de la personne sont créées en Pologne seulement dans les années 80, soit plus de 30 ans après l’inscription de ces droits dans la Constitution de la Pologne. Ce sont la Cour suprême (établie en 1980), le Tribunal d’État (établi en 1982), le Tribunal constitutionnel (établi en 1985) et l’institution de l’Ombudsman (établie deux ans avant la chute du communisme).
MISIOROWSKA 54 Solidarnosc. Le plus connu, le Forum Kobiet (Forum des femmes), est enregistré sous l’appellation « Polskie Stowarzyszenie Feministyczne » (Association féministe polonaise) en 1990. Il poursuit une activité éducatrice, culturelle et d’information sous le nom de « PSF Centrum Kobiet » (PSF Centre de femmes). L’aide occidentale à destination de ce groupe afflue abondamment durant les années 80 et permet la réalisation de premiers projets, tels l’organisation d’un festival du cinéma féminin et d’une exposition d’art féminin, la tenue de séminaires et de conférences ainsi que le financement du fonctionnement du bureau, des publications et de la constitution d’une bibliothèque féministe, une des plus riches en Pologne. À l’Université Jagielonski de Cracovie, un autre groupe d’intellectuelles féministes se forme au cours des années 80. Plus tard, il donnera naissance à une des organisations féministes les plus actives aujourd’hui en Pologne, la Fundacja Kobieca (eFKa) (Fondation des femmes)14. Le progrès du mouvement au fil des années 90 est visible, notamment dans l’augmentation du nombre d’initiatives et d’organisations de femmes. Le tableau 1 expose de manière synthétique la nature de l’ensemble du mouvement des femmes en Pologne pour ce qui est de ses formes organisationnelles à la fin des années 90. En résumé, la majorité des organisations sont situées dans la capitale et dans les grandes villes. Elles mènent souvent des activités variées à travers des projets touchant un ensemble de domaines, à l’exception de quelques organisations qui se spécialisent dans un domaine particulier. Elles ont un nombre d’adhérentes le plus souvent inférieur à 100. En ce qui concerne les organisations progressistes, qui représentent environ 15 % des 70 organisations et 14 fondations (voir les colonnes encadrées du tableau 1), elles sont également plutôt jeunes et petites (créées pour la plupart pendant les années 90, elles ne comptent pas un nombre élevé d’adhérentes). On les trouve surtout dans les grandes villes. Elles fonctionnent d’une manière polyvalente, fournissent services et conseils tout en menant des actions de lobbying, par exemple en faveur de l’adoption des 14. L’eFKa a fêté ses dix ans en février 2001. Cette organisation édite aujourd’hui le seul magazine féministe polonais, Zadra (Écharde), successeur de Pelnym Glosem (À haute voix), vendu dans des réseaux de distribution accessibles à un large public.
ARTICLE 55 droits des femmes, selon les règles définies dans l’UE ou pour la libéralisation de la loi polonaise de 1993 interdisant l’avortement. TABLEAU 1 LES ORGANISATIONS ET LES INITIATIVES DES FEMMES EN POLOGNE POSTCOMMUNISTE. Forme Voir 1 Fondations Organisations Groupes Centres TOTAUX organisationnelle religieuses syndicaux scientifiques et politiques Nombre total 70 14 5 5 8 102 À Varsovie 32 9 4 3 6 52 Villes + 100 000 23 5 1 2 2 33 Villes - 100 000 6 6 Chômage et emploi 15 2 1 2 20 Santé 8 3 11 Reproduction 6 3 9 Recherches et 11 4 1 1 8 25 publications Formation et 21 5 4 2 6 38 éducation Informations 8 2 2 12 Participation 6 1 1 8 politique Droits des femmes 10 2 3 15 Trafic de femmes, 1 1 2 prostitution Violence 6 2 8 Crédits, aide 2 2 4 financière Conseil 8 5 2 15 Art, culture (dont 12 1 1 14 féministe) Actions caritatives 13 3 3 19 +1000 8 2 10 Membres 1000- 14 3 2 19 100 1 Associations, fédérations, clubs, groupes informels Tableau construit sur la base d’informations contenues dans Fundacja Centrum Promocji Kobiet : Informator o Organizacjach i inicjatywach kobiecych w Polsce (Annuaire des organisations et des initiatives de femmes en Pologne), Fundacja Centrum Promocji Kobiet, Varsovie, 2000. L’aide internationale soutient initialement la mise en place de certaines structures et le fonctionnement des premiers groupes de femmes ainsi que la réalisation de projets spécifiques grâce au transfert de moyens financiers. Cette aide s’adresse d’abord aux organisations du centre, celles que l’on retrouve à Varsovie,
MISIOROWSKA 56 regroupant les militantes renommées, parfois en relation avec les forces politiques en place15, puis elle s’étend progressivement vers la périphérie, souvent par l’intermédiaire des fondations créées en Pologne. Les partenaires occidentaux cités par les organisations polonaises sont très divers. Il s’agit d’institutions internationales, d’agences nationales de développement, de ministères et de départements, de partis politiques, d’institutions universitaires et scientifiques, d’ambassades et de consulats, de délégations culturelles ainsi que d’un grand nombre de fondations privées, d’ONG, de groupes informels et d’individus. Ces différents acteurs internationaux aident à combler le vide apparu après le retrait de l’État socialiste en attendant l’émergence d’une société civile active et d’un système national de collaboration entre le gouvernement national et les ONG. En l’absence d’un tel système, le transfert des moyens financiers et matériels dans le but de mobiliser les milieux de femmes est décisif pour la défense de la cause des femmes dans la jeune démocratie. Les organisations de femmes remplissent des fonctions multiples dans les pays en transition où elles permettent à ces dernières de sortir de la sphère privée afin d’acquérir l’expérience de la pratique politique (Conseil de l’Europe 1998). Elles constituent donc un forum démocratique à travers lequel les demandes des femmes peuvent être définies et leurs intérêts représentés. Bien évidemment, elles doivent exercer une pression sur des gouvernements frileux qui hésitent à établir des conditions convenables pour la mise en place des mécanismes de l’égalité entre les sexes. Il est également nécessaire que les ONG diffusent de l’information sur la question de l’égalité des femmes et des hommes et qu’elles dénoncent les pratiques discriminatoires compte tenu de la faible conscience sociale de la discrimination des femmes. La formation d’alliances au niveau national ou international semble 15. Wedel explique le caractère plutôt clandestin des liens informels existant en Pologne avant la chute de communisme qui, dans leur phase finale, ont abouti à l’établissement de cercles sociaux ou « salons » constitués de groupes d’amis et d’amies, de connaissances et de membres de la famille. Certains de ces cercles s’investissaient également dans la politique : « Members of these publicly informal but internally rigorous elite circles worked together for years and developed intricate, efficient, and undeclared networks to get things done in the face of dangers and difficulties that intensify bonds » (Wedel 2001 : 105-106).
ARTICLE 57 indispensable à la réussite de leurs actions, bien que cette démarche ne soit pas sans risque. Par exemple, le gouvernement peut tenter d’agir sur la définition des priorités des organisations ou de les instrumentaliser au service de sa propre politique faussement féministe. L’efficacité et parfois la survie des organisations dépendent toutefois de la qualité des alliances locales qu’elles nouent avec les organes administratifs capables d’appuyer matériellement l’activité des ONG sur leur territoire. Le graphique 2 illustre les sources de financement accessibles aux organisations et aux initiatives des femmes. Il permet de se faire une idée générale de ces sources dans l’attente de documents exhaustifs qui recenseraient des données plus précises au sujet des organisations de femmes en Pologne16. Graphique 2 Sources de financement des ONG de femmes en Pologne (70 organisations et 14 fondations de 1997 à 2000) 60 50 40 30 20 10 0 Cotisations Revenus internationales) propres (nationales et Donations privées Graphique construit sur la base d’informations contenues dans Fundacja Centrum Promocji Kobiet : Informator o Organizacjach i inicjatywach kobiecych w Polsce (Annuaire des organisations et des initiatives de femmes en Pologne), Fundacja Centrum Promocji Kobiet, Varsovie, 2000. 16. Les organisations de femmes ne constituent pas de catégorie spécifique dans les recherches sur les ONG effectuées notamment par l’Association Klon-Jawor, référence polonaise en matière de formes organisationnelles de la société civile (Dabrowska et Gumkowska 2002).
MISIOROWSKA 58 En dehors de tels financements et d’autres types d’aide matérielle, la coopération internationale s’effectue le plus souvent à travers des formations, des stages, des visites d’études, des conférences ou des séminaires que l’on peut désigner par l’expression « transfert de connaissances » (Conseil de l’Europe 1998 : 126) : […] la mise en réseaux internationale devait viser à obtenir non seulement les fonds, mais également l’expertise. Le besoin des pays d’Europe centrale et orientale concernait, en particulier, l’expertise en matière d’amélioration de techniques de « lobbying », de « legal literacy », de mobilisation des femmes et d’utilisation des médias ainsi que l’établissement des contacts pour l’amélioration des liens de communication entre ONG. Environ 70 % des organisations de femmes en Pologne maintiennent des relations formelles ou informelles avec des organisations, des fondations, des agences gouvernementales et des institutions extérieures aux frontières nationales, en provenance essentiellement des États-Unis et de l’Europe occidentale. La majeure partie de ces relations se situe en dehors des rapports donateurs- bénéficiaires, mais elle a pour objet l’apprentissage à travers les échanges d’expériences et de savoir-faire. Après la chute du mur de Berlin, cette tendance illustre le sens de circulation des idées féministes dans le monde, attribuable à l’avancement de la pensée féministe en Occident comparativement à la situation dans les pays de l’ex-Bloc soviétique. Par exemple, la catégorie « réseaux internationaux », présentée dans le graphique 3, constitue un exemple formalisé du transfert de savoir-faire. Elle regroupe les filiales polonaises de réseaux internationaux de femmes, actifs dans le monde bien avant la chute du mur de Berlin, tels que le Soroptimist International, ou de réseaux créés précisément par ou pour les femmes de l’Europe de l’Est, comme le Network of East West Women (NEWW). Cette dernière organisation, fondée en 1991, répond à un besoin d’engager un dialogue entre des féministes américaines (Ann Snitow est une des fondatrices du réseau) et leurs consœurs dans les
ARTICLE 59 pays d’Europe centrale et orientale. À partir de son siège social à Washington, de son bureau à Gdansk (Pologne) ainsi que grâce à de nombreux liens avec des organisations de femmes dans des pays d’Europe centrale et orientale et d’ex-URSS, ce réseau poursuit son objectif de mettre en place un dialogue entre les femmes de l’Est et de l’Ouest. Il mène également des projets très concrets dans le but de renforcer la position des femmes dans les sociétés en transition, notamment par la formation de juristes féministes aux États-Unis ou le renforcement économique des femmes. La coalition Karat, quant à elle, est issue de la coopération établie par des participantes à la Conférence de Beijing en 1995 qui ont décidé d’unir leurs efforts pour vaincre l’invisibilité de la cause des femmes dans les pays postcommunistes. Depuis 1997, la coalition Karat est officiellement enregistrée à Varsovie en tant qu’organisation internationale. Comptant des membres dans vingt pays d’Europe centrale et orientale, elle constitue la première tentative de regroupement de femmes partageant un passé socialiste. Le réseau Lastrada Polska est l’exemple d’une collaboration instaurée par des acteurs occidentaux avec des femmes en Europe centrale dans le but précis de combattre le trafic humain (en particulier le trafic des femmes d’Europe centrale et orientale vers l’Europe occidentale contrôlé par des réseaux de prostitution organisés). Créée en 1995 à l’occasion d’un projet pilote de l’organisation hollandaise Dutch Foundation against Traffic in Women, le réseau s’est rapidement imposé comme une référence nationale en la matière. Sans porter de jugements moraux, ce réseau se démarque de la position moralisatrice et largement abolitionniste dominante en Pologne envers le phénomène du marché du sexe. Les moyens financiers et le savoir dont disposent les partenaires étrangers du réseau Lastrada Polska devancent significativement les capacités des organisations polonaises en la matière. Ce réseau est en activité aujourd’hui dans huit pays d’Europe centrale et orientale sous patronat hollandais avec l’intention de s’étendre vers d’autres pays de la région (graphique 3).
MISIOROWSKA 60 Graphique 3 Relations des organisations de femmes en Pologne avec l’étranger Ex-URSS États-Unis 0% 10% 20% 30% 40% Graphique construit sur la base d’informations contenues dans Fundacja Centrum Promocji Kobiet : Informator o Organizacjach i inicjatywach kobiecych w Polsce (Annuaire des organisations et des initiatives de femmes en Pologne), Fundacja Centrum Promocji Kobiet, Varsovie, 2000. L’OSKA constitue un autre exemple de collaboration réussie entre des militantes polonaises et des donateurs internationaux. La création de ce centre a été possible en 1995, grâce à un don de 250 000 dollars de la part de la Fondation Ford qui s’est associée aux efforts des militantes polonaises pour lancer ce type d’initiative en Pologne. Centre indépendant depuis 1997, l’OSKA s’est imposé rapidement comme un noyau national d’échanges d’information et de savoir dans le milieu féministe de Varsovie et en dehors de la capitale. Ses liens avec le NEWW et l’eFKa ainsi qu’avec des organisations occidentales et des intellectuelles féministes polonaises lui assurent une position d’avant-garde dans le milieu féministe polonais. C’est également un lieu de passage incontournable pour les chercheuses polonaises et étrangères en quête de données sur les organisations et les initiatives des femmes en Pologne, de documentation concernant la situation des femmes en Pologne et en Europe centrale, de revues et de littérature féministe mondiale et polonaise. Ce centre est aussi engagé
ARTICLE 61 dans l’organisation de nombreux événements culturels ou éducatifs ou encore de manifestations, dont la plus médiatisée à ce jour est la Manifestation du 8 mars17. À partir de 2003, c’est également l’OSKA qui dirige le programme Fundusz dla Kobiet (Fonds pour les femmes). Ce concours remplace son programme de financement pour des microprojets en activité de 2000 à 2003. Le Fundusz dla Kobiet fait suite, sous une forme réduite, au Program Kobiecy (Programme des femmes) de la Fondation Stefan Batory. Ce dernier programme fermé en 2002 après dix ans d’activité, a représenté une initiative unique en Pologne. Sous forme de concours, il distribuait des fonds pour des projets destinés à améliorer la situation des femmes, fonds accessibles aussi aux petites structures locales. Actif sans interruption pendant dix ans, de 1993 à 2002, ce programme finançait également les séminaires, les dépenses liées au fonctionnement de certaines organisations et les frais de participation des leaders féministes à des événements internationaux. Le Program Kobiecy était perçu comme un facteur de mobilisation du milieu des organisations de femmes sans lequel une partie d’entre elles n’aurait pu maintenir son activité. Puisque aucun bilan n’a été dressé au moment de la fermeture de ce programme, il est difficile de mesurer aujourd’hui son impact sur l’amélioration de la situation des femmes et sur la mobilisation des milieux de femmes. Néanmoins, il est possible d’affirmer qu’il a été le moyen de financement des projets le plus connu et le plus accessible aux organisations de femmes comme à celles qui réalisent des projets destinés à une clientèle féminine. Une des conséquences des échanges entre les éléments progressistes du mouvement des femmes polonais et les acteurs internationaux est la pénétration du féminisme en Pologne postcommuniste. Ce féminisme, détaché de l’idéologie féministe officielle de l’État socialiste, prendra diverses formes à l’instar du féminisme occidental. 17. Cet événement a lieu depuis le 8 mars 2000. La première année, environ 200 personnes ont participé à l’événement à Varsovie ; l’année suivante, il y en avait approximativement 400. La manifestation de 2004 a attiré 2000 personnes (600 selon la police) à Varsovie seulement. D’autres manifestations ont eu lieu dans de grandes villes de Pologne.
MISIOROWSKA 62 Le féminisme polonais Le féminisme en Pologne est un phénomène nouveau si l’on considère que le féminisme d’État de la période socialiste correspondait plus à une manipulation de la main-d’œuvre féminine selon les besoins de la politique officielle qu’à un réel avancement de la condition des femmes (Heinen 1995). Il apparaît donc que la deuxième vague du féminisme ne s’est pas produite en Pologne, contrairement à ce qui a été le cas dans les pays occidentaux au cours des années 60 et 70 (Limanowska 1996 : 13 traduction libre de l’auteure) : Nous en Pologne, nous avons en commun, avec l’Europe de l’Est, les droits des femmes hérités du système communiste ainsi qu’un nouveau mouvement de femmes dont la dynamique de développement et les problèmes sont similaires ; avec l’Asie et l’Amérique latine, la nécessité de chercher du financement à l’étranger et le petit nombre de personnes qui s’intéressent aux droits des femmes, le manque d’institutions et de mécanismes de contrôle et souvent le fondamentalisme religieux et le conservatisme social. Curieusement, en Pologne le recul18 précède le progrès féministe, ce qui facilite ensuite la stigmatisation du féminisme selon les arguments des néo-conservateurs (Graff 2003). Effectivement, le recul se produit déjà durant les années 90 parallèlement à l’internationalisation progressive du pays19, et le mouvement des femmes devra attendre presque une autre décennie avant de trouver l’espace voulu pour son développement. La question de l’existence du féminisme en Pologne occupe de nombreuses pages dans la revue 18. Ce phénomène est compris comme l’opposition aux revendications de modification des rapports sociaux de sexe. 19. À ce moment, le mouvement pro-vie polonais adopte des méthodes importées des États-Unis (sans leurs aspects les plus violents). De l’autre côté, les médias polonais diffusent des images issues de la mouvance néo-conservatrice américaine, et ils produisent aussi le film culte polonais Seksmisja (la mission sexe), ouvertement antiféministe (Graff 2001).
ARTICLE 63 féministe Pelnym glosem au cours des années 90 pour se transformer en un débat sur le caractère du féminisme polonais au début des années 2000 : « We exist – there is not doubt about it. And yet, ironically enough, for many Polish women feminist identity begins with an essay or taking part in a conversation of which the basic assumption is that polish feminism is an oxymoron » (Graff 2003 : 4). Au milieu des années 90, les premières études de genre ouvrent leurs portes dans les universités polonaises, avec l’apparition de nombreux groupes de discussion féministes (Graff 2003). En même temps, la littérature féministe polonaise, les forums de discussion sur les réseaux Internet, les revues féministes, les bulletins et d’autres formes d’échange démontrent l’accroissement de l’intérêt pour la pensée féministe. En outre, l’augmentation du nombre et du type de happenings, de manifestations, de rencontres et d’événements féministes serait la preuve de la naissance d’une solidarité féminine. Il n’en va pas de même pour la société polonaise dans son ensemble, où domine une hostilité envers le féminisme de par la méconnaissance de cette pensée, définie par les clichés en circulation et par l’opinion négative de l’Église catholique (Fuszara 2002). D’autre part, les traditions nationales et le féminisme officiel de l’époque communiste ajoutent à la perception négative du féminisme par la majorité des Polonais et des Polonaises20. Le féminisme polonais serait donc à l’origine un mouvement élitiste, marginal, dont se réclament de jeunes femmes éduquées et urbaines en quête d’un nouveau modèle de vie (Graff 2003). Aux antipodes, il y a des femmes qui remettent en question la subordination féminine dans le système patriarcal en insistant sur la primauté de la famille au sein de laquelle les femmes et les hommes se complètent naturellement. Elles rejettent le féminisme d’emblée, bien que le féminisme polonais soit loin d’un courant radical. Nos entrevues nous ont permis de constater qu’il est plutôt pro-choix, ni anti-famille, ni anti-mariage, mais engagé dans la lutte pour la défense de la dignité des femmes bafouées par le socialisme puis par le virage à droite de la jeune démocratie. Très peu de groupes adoptent une position radicale et ceux qui le font 20. Cette question a été discutée dans nos entrevues avec les leaders des organisations de femmes.
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