Le nationalisme catalan dans une Espagne en crise : du fédéralisme asymétrique à l'indépendantisme ?

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Le nationalisme catalan dans une Espagne en crise : du fédéralisme asymétrique à l'indépendantisme ?
Le nationalisme catalan
dans une Espagne en crise :
du fédéralisme asymétrique
à l’indépendantisme ?

Mathieu Petithomme et Alicia Fernández Garcia1

Mars 2013

1. Mathieu Petithomme est maître de conférences en science politique à l’IUT de Besançon. Alicia Fernández Garcia est professeure certifiée
   d’espagnol, chercheuse au Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA) de l’université Paris X-Nanterre.
Table des matières

Introduction                                  3

Le nationalisme catalan
depuis la transition démocratique             4

Pluralisme et convergences idéologiques
des partis nationalistes catalans             9

Institutionnaliser la « nation » catalane :
le nouveau statut d´autonomie
de la Catalogne et sa politisation            11

Les élections anticipées de novembre 2012
et la restructuration des équilibres politiques 13

Conclusion                                    17
Introduction

Dans une Espagne meurtrie par les effets durables de la crise économique depuis 2008, le nationalisme catalan
semble trouver un nouveau souffle. Cette fièvre nationaliste retrouvée a été rendue manifeste lors de la grande
mobilisation populaire de la Diada Nacional (la « fête nationale » catalane) du 11 septembre 2012, qui a réuni plus
d’un million de personnes dans les rues de Barcelone autour de slogans indépendantistes. Depuis la transition
démocratique suite à la mort de Franco le 20 novembre 1975, le nationalisme catalan a utilisé à son profit
l’autonomie institutionnelle et les marges de manœuvre politiques conférées par la Constitution de 1978 et le
nouvel État des autonomies (Estado de las autonomias). Celui-ci a en effet permis à l’Espagne d’évoluer d’une
structure territoriale d’un État unitaire gouverné au nom de l’idéologie « nationale-catholique » marquée par la
défense de la religion catholique et du nationalisme espagnol, vers une structure quasi-fédérale ou le Sénat
représente la diversité des territoires espagnols et ou chaque région est devenue une « communauté autonome »
pouvant accéder à un degré plus ou moins important d’autonomie en matière d’éducation, de santé et de police
par exemple.

Reconnue comme une « nationalité » à part entière au même titre que la Galice et le Pays Basque, l’identité
catalane a pu de nouveau émerger avec force sur le devant de la scène politique. L’autonomie en matière de
police, de santé ou d’éducation a permis aux nationalistes, au premier rang desquels figura Jordi Pujol
(Convergencia i Unio, CiU), d’utiliser les instruments de la politique démocratique afin de soutenir depuis le pouvoir
régional la formation d’une nation catalane propre. La politique de « normalisation linguistique » menée depuis les
années 1980 a ainsi permis de forger un bilinguisme de fait, socle central de la promotion du sentiment
d’appartenance à la Catalogne. Dans une Espagne en crise, quelle est aujourd’hui la situation politique du
nationalisme catalan ? Quel est l’état des rapports de force sur la scène politique catalane et espagnole ?

En réponse à ces questions de recherche, notre contribution entend brosser un état des lieux, jeter un éclairage
contemporain sur la trajectoire présente du nationalisme catalan, tout en la replaçant dans un contexte socio-
historique plus vaste. La thèse de cet article est que le nationalisme catalan a récemment évolué de sa demande
historique en faveur d’une « fédéralisation asymétrique » de l’État espagnol vers un nationalisme plus affirmé mais
déséquilibré, en raison de l’état des rapports de force internes à la scène politique catalane. En effet, le
nationalisme catalan dominant depuis la transition est à la fois non dogmatique et pragmatique, en ce qu’il
revendique la constitution d’une nation catalane propre, tout en privilégiant le « processus » progressif de
construction nationale plutôt que l’indépendantisme en soi, ce qui l’a amené à être possibiliste en faisant des
concessions et en acceptant des marges accrues d’autonomie. Au contraire du nationalisme qui met d’abord
l’accent sur le projet politique de constitution d’une nation catalane, l’indépendantisme catalan privilégie un projet
institutionnel d’émancipation et de création d’un « nouvel État européen ». L’émergence d’un nationalisme catalan
déséquilibré dans l’Espagne contemporaine s’explique conjointement par le caractère relativement consensuel
d’une politique identitaire au sein de la société catalane d’aujourd’hui, de même que par l’affaiblissement du
nationalisme intégrateur au profit de l’indépendantisme.

                                                          3
1                     Le nationalisme catalan
                      depuis la transition démocratique

1.1. Les nationalismes catalans : de la renaissance au pluralisme
Les nationalistes catalans ont payé au prix fort la victoire de l´insurrection franquiste : elle impliqua la disparition
de la Generalitat instaurée depuis la Seconde République, la dissolution du statut d´autonomie de 1932, ainsi que
la prohibition de la langue, de la culture et de l’ensemble des symboles catalans (Benet, 1973, p. 12).
Le franquisme imposa le centralisme, le conservatisme de l´idéologie « nationale-catholique », et la négation de
l´hétérogénéité culturelle et nationale de l´Espagne. La répression des opposants engendra la quasi-disparition des
partis et leur éparpillement en exil. Il fallut attendre la fin des années 1960 pour que s´amplifient les mouvements
sociaux. L´émergence d´une classe moyenne, la forte augmentation du niveau d´éducation depuis 1930 et la
sécularisation progressive de la société civile, furent autant de mutations sociales qui préludèrent un changement
profond de structures politiques devenues anachroniques (Solé Tura, 1985, p. 80). La création de la Comissió
Coordinadora de Forces Polítiques de Catalunya de 1969, puis de l’Assemblée clandestine de Catalogne le
7 novembre 1971, allia les démocrates catalans autour de la demande d’autonomie et de politiques de centre-
gauche (Balcells, 2003, p. 181). Après la mort de Franco en 1975, la scène politique catalane se restructura autour
du rétablissement de la Generalitat le 29 septembre 1977 suite au retour d´exil de son Président Josep Tarradellas.
L’unanimisme des nationalistes émergea avec force lors de la manifestation massive du 11 septembre 1977, qui
rassembla un million de personnes en faveur d´un statut d´autonomie (Guibernau, 2004, p. 66). L´inclusion des
partis catalans dans le processus de définition de la Constitution de 1978 permis l’approbation d´un nouveau statut
pour la Catalogne dès 1979.

Le consensus entre les formations catalanistes portait plus sur le rejet de la tutelle de l´État central, que sur le
degré d´autonomie à atteindre pour la Catalogne. Aujourd’hui encore, l´unité entre les partis catalanistes s´exprime
surtout dans leurs rapports au gouvernement de Madrid, les divergences se faisant sentir s´agissant des débats
internes à la Catalogne, par exemple dans le degré de protection à accorder au castillan. La première dissonance
lors de la transition fut formulée par Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) qui milita pour le « Non » lors du
référendum du 6 décembre 1978 sur la Constitution. ERC opta pour la République plutôt que pour la Monarchie
parlementaire et revendiqua le droit à l´autodétermination. Le parti illustra toutefois son pragmatisme en votant en
faveur du statut d´autonomie de 1979. D´autres dispositions du statut contenaient les germes de futures
dissensions : les pouvoirs de la Generalitat furent présentés comme « émanant de la Constitution, du statut et du
peuple » (art. 1.3), ce qui supposait qu’ils découlaient d´une décision de l´ensemble des Espagnols, plutôt que du
peuple catalan. L´identité et la marge d´autogouvernement de la Catalogne furent reconnues, mais des demandes
indépendantistes supplémentaires ne pouvaient donc pas être concédées sans une réforme constitutionnelle.

Un clivage s´est peu à peu installé sur la question de l’autonomie entre le représentant du « nationalisme
espagnol » (Partido Popular, PP) et les formations qui partagent une volonté de défense du catalanisme
(ERC ; Partit Socialista Unificat de Catalunya, PSUC ; Partit dels Socialistes de Catalunya, PSC et CiU). Suite au
ralliement de divers groupes indépendantistes, ERC s’est radicalisé autour d’un républicanisme de gauche et d’un
indépendantisme démocratique, devenant un « parti pivot » du soutien au gouvernement « tripartite » de centre-

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gauche de 2003 à 2010. ERC forme désormais une coalition nationaliste avec CiU depuis les élections de 2012.
Le PSUC puis Iniciativa per Catalunya Verds-Esquerra Unida e Alternativa (ICV-EUiA) depuis 2006, se situe sur une
ligne de gauche alternative proche de celle d’ERC, mais diverge tant de son indépendantisme que du catalanisme
intégrateur du PSC, en proposant une évolution vers un État fédéral plurinational. ICV-EUiA converge néanmoins
avec le PSC dans la défense des droits des locuteurs du castillan, au contraire de la vision privilégiée par ERC et
CiU, d´une prédominance coercitive du catalan. Initialement social-démocrate, CiU est devenu le garant du
catalanisme « institutionnel » de centre-droit impulsé par la Generalitat depuis 1980.

1.2. La représentation politique du nationalisme au Parlement catalan (1980-2010)
Les premières élections catalanes du 20 mars 1980 consacrèrent la victoire de CiU (27,7 %) devant le PSC (22,3 %)
et le PSUC (18,7 %). ERC dut se contenter de la cinquième place (8,9 %), loin de sa position hégémonique lors de
la Seconde République. Ces élections marquèrent la défaite des socialistes, initialement persuadés de l´emporter,
qui refusèrent de former une coalition avec CiU, renvoyant le PSC dans l´opposition pendant plus de deux
décennies. La dynamique du « vote duel » émergea, puisque les nationalistes de CiU consolidèrent leur position
dominante en Catalogne, alors que ce furent les socialistes qui remportèrent les élections législatives de la même
année (Pallarés et Keating, 2012, p. 238-58). Les élections catalanes de 1984 consacrèrent le triomphe de CiU
(46,6 % des voix), ce qui lui donna sa première majorité absolue au Parlament. La gauche communiste incarnée
par le PSUC s´effondra fortement (5,6 %), comme la coalition de centre-droit de l´Alianza Popular (AP) (7,7 %) et
ERC (4,4 %) qui paya le prix de sa collaboration subordonnée au gouvernement de CiU (1980-84).

                             Résultats des élections au Parlement catalan (1980-2010) - (%)
                50
                45
                40
                35
                30
                25
                20
                15
                10
                 5
                 0
                      1980        1984       1988       1992           1995          1999      2003       2006    2010
                                            CiU                                 PSC-PSOE
                                            PSUC, ICV puis ICV-EUiA             CC-UCD, AP-PDP-UL puis PPC
                                            ERC                                 CDS
                                            EUiA                                Ciutadans
                                            SI                                  PxC

Notes : * Le PSUC devint PSUC-ICV en 1988, ICV-Els Verds en 1995, ICV-EA en 2003, puis ICV-EUiA depuis 2006. Suite à la scission entre
		 IC et Izquierda Unida (IU) en mai 1998, EUiA (Esquerra Unida i Alternativa) fut formée afin de créer une version catalane d´IU.
		 L´ensemble de ces groupes forment une coalition stable (ICV-EUiA) depuis 2006.
       ** En 1999 et en 2003, le PSC-PSOE se présente à travers la coalition PSC-Ciutadans per Canvi (PSC-CpC).

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Les rapports de force demeurèrent inchangés jusqu´en 1995 lorsque CiU perdit sa majorité obtenue (en 1984,
1988 et 1992). Ces élections illustrèrent un point d´inflexion : elles furent marquées par les progressions d’ERC
(+1,6 %), d’ICV-Els Verds (+2,5 %) et du Partit Popular de Catalunya (PPC) (+7,2 %). Cela donna lieu au soutien du
PPC à CiU en Catalogne en échange du soutien de ce dernier au gouvernement de José María Aznar. Les élections
de 1999 furent rageantes pour les socialistes catalans : la liste de Pasqual Maragall, fort de sa popularité en tant
que maire de Barcelone, obtint un meilleur pourcentage (38,2 %) que celle de CiU (38,0 %) mais moins de sièges
(52 contre 56) car le PSC obtint moins de voix, et fut donc pénalisé en raison du mode de scrutin basé sur la règle
d´Hondt, qui est un mode de scrutin proportionnel plurinominal qui a la particularité d’avantager les listes ayant
bénéficié du plus grand nombre de voix. Ceci se traduisit par la reconduction du gouvernement minoritaire de CiU
soutenu par le PPC. Ce ne fut donc qu´en 2003 que la Catalogne connut l´alternance suite à 23 années de règne de
Jordi Pujol qui laissa la place au « gouvernement tripartite » qui allia le PSC, ICV-EUiA et ERC jusqu’en 2010.
La victoire d’Artur Mas (CiU) en 2010 doit beaucoup à un contexte marqué par la forte impopularité du PSOE au
niveau national en raison de la crise, mais aussi par la défiance des nationalistes à l’égard du PP. Enfin, il est à
noter que de nouveaux partis ont émergé, engendrant une plus forte fragmentation : Ciutadans qui cherche à
représenter les non-nationalistes ; Solidaritat catalana per la independència (SI) dirigé par le Président
charismatique du FC Barcelone qui milite pour l´indépendance ; et la Plataforma per Catalunya (PxC), un parti
populiste anti-immigré fondé en avril 20022.

1.3. Le catalanisme politique : une influence puissante sur la scène nationale
Appréhender le rôle du nationalisme catalan n’est pas possible sans spécifier plus amplement son influence sur la
scène nationale. Depuis la transition, le catalanisme politique a utilisé trois leviers principaux dans la défense de
ses intérêts : 1) la reconnaissance implicite puis la promotion d´un « fédéralisme asymétrique » dans l´État des
autonomies ; 2) la mise en place d´un mode de scrutin favorable au niveau national ; 3) la définition d´un système
de financement autonomique qui tend à faire primer le principe de coresponsabilité fiscale sur celui de la solidarité
interrégionale. L´influence du catalanisme sur la trajectoire de l´État espagnol n´a rien de nouveau : elle reflète une
constante sur la « longue durée », à savoir la tension structurelle entre la faiblesse des prétentions intégratrices de
l’État central, et le poids de régions périphériques puissantes telles que le Pays Basque et la Catalogne
(Braudel, 1958, p. 725-53)3.

2. Ciutadans de Catalunya est une plateforme civique et culturelle formée par un groupe d´une quinzaine d´intellectuels opposés au nationalisme catalan.
   Au contraire, la Plataforma per Catalunya (PxC) est un parti populiste, xénophobe et anti-immigrés fondé à Vic (qui compte environ 25 % d´immigrés)
   le 5 avril 2002 par Josep Anglada (ex-candidat du Frente Nacional d´extrême-droite lors des européennes de 1989). Le parti a connu une progression
   importante au niveau local, de 4 900 voix en Catalogne lors des élections autonomiques de 2003, à 66 000 voix lors des municipales de 2011, obtenant
   ainsi 67 conseillers municipaux.
3. L’Espagne moderne naquit ainsi de l’union dynastique des couronnes de Castille et d’Aragon en 1479, mais la fusion des deux couronnes en un royaume
   unifié n´eut lieu qu´à l´issue de la Guerre de Succession (1701-1714) sous le règne de Philippe V. Jusqu´aux Décrets de Nueva Planta (1707-1716),
   l´« Espagne » ne constituait qu´une expression géographique, puisque deux États très différents cohabitaient en son sein. De même, face à la
   déliquescence de l´État central, qui culmina lors du « désastre de 1898 » par la perte de nombreuses colonies (Cuba, Guam, Porto-Rico et les Philippines),
   la bourgeoisie catalane joua au contraire le rôle de fer de lance de la modernisation industrielle du pays et de l´essor du libéralisme politique.

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L´influence des nationalistes catalans s´est d´abord illustrée par la défense d´un type de « fédéralisme asymétrique » :
la reconnaissance par la Constitution d´un statut différencié pour les trois « nationalités historiques » (Catalogne,
Galice et Pays Basque), a ainsi consacré leurs spécificités (article 2)4. Sans parvenir à obtenir le statut d´une
« nation » propre, en raison de l´opposition des partis étatiques et surtout de la droite espagnole, l´octroi du statut
de « nationalité » a initialement permis de contenter les nationalistes. En distinguant une « voie rapide » (art. 151)
et une « voie longue » (art. 143) d’accès à l’autonomie, les constituants donnèrent des gages à la volonté des
nationalistes périphériques de maintenir une asymétrie dans l´organisation territoriale de l´État. La volonté de
l´Andalousie d´accéder à la voie rapide créa un précédent dans lequel les autres communautés cherchèrent à
s´engouffrer : la loi organique du financement des communautés autonomes (LOFCA) de 1980 puis la LOAPA de
1982, scellèrent l´unification du modèle autonomique (le « café pour tous ») et la remise en cause de son caractère
asymétrique (Moreno, 2001, p. 12). Depuis lors, le catalanisme politique a donc toujours cherché à négocier
directement avec l´État central afin d´obtenir des évolutions asymétriques pour la Catalogne, plutôt que de soutenir
une fédéralisation de l´État sur un pied d´égalité avec les autres communautés.

En second lieu, l´influence des nationalistes catalans a bénéficié du mode de scrutin mis en place lors de la
transition. Au niveau régional, les six gouvernements successifs de CiU (1980-2003), lui permirent d´utiliser les
institutions de la Generalitat afin d´accroître l´influence nationale et la projection internationale de la Catalogne par
le biais d´une « para-diplomatie » active, notamment auprès des institutions européennes (Paquin, 2003). Au niveau
national, même si le mode de scrutin des élections législatives a surtout bénéficié aux partis dominants (PP et
Partido Socialista Obrero Español), il favorise les partis dont l´assise électorale est concentrée territorialement, tels
que les nationalistes catalans, et ce, au détriment des partis mineurs dont les soutiens électoraux sont dispersés
sur l’ensemble du territoire (tel que Izquierda Unida). Deux sièges sont alloués à chacune des 50 provinces
espagnoles (un seul pour Ceuta et un autre pour Melilla), et le reste des 248 sièges (sur 350) sont alloués en
proportion de la population. Avec 7,5 millions d´habitants en 2010, la Catalogne dispose de 47 représentants au
Congrès des députés depuis 2004 (soit 13,4 % de l´ensemble). Le mode de scrutin est donc favorable aux
nationalistes : par exemple, lors des législatives de 2008, avec 969 871 voix (3,8 %), Izquierda Unida n´a accédé
qu´à 2 sièges, alors qu´avec seulement 298 139 voix (1,2 %), ERC a obtenu 3 sièges. Avec 779 725 voix (3,2 %)
dans les mêmes quatre provinces catalanes, CiU a obtenu 10 sièges. À plusieurs reprises, CiU a donc joué un rôle
prépondérant de « parti pivot » sur la scène nationale, notamment en 1993 dans le soutien au PSOE et en 1996
dans l´appui au gouvernement du PP, négociant des concessions politiques pour la Catalogne en échange de son
soutien aux gouvernements de Madrid.

Enfin, l´influence des nationalistes a conduit à des réformes successives du système du financement autonomique,
de telle sorte que celui-ci tend désormais à privilégier le principe de coresponsabilité fiscale sur celui de la
solidarité interrégionale (Petithomme, 2009, p. 75-101). À l´origine, la LOFCA prévoyait le principe de « la parité de
structure, de compétences et de financements », c´est-à-dire une obligation d´équité et de solidarité entre les
communautés autonomes, tout en rétablissant le système fiscal des « fors » au Pays Basque et en Navarre

4. Constitution espagnole de 1978, 27 décembre 1978, [http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm], consultée le 4 novembre 2011.

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(puisque le Partido Nacionalista Vasco, PNV, et les élites navarraises firent de la préservation de ces privilèges une
condition sine qua non de leurs soutiens à la Constitution), ainsi que des dispositions spéciales en raison de la
situation géographique des Îles Canaries5. Le grand écart entre l´équité formellement proclamée et l´asymétrie de
fait en faveur du Pays Basque et de la Navarre, favorisa les incompréhensions mutuelles, si bien que les
nationalistes catalans ont depuis lors toujours cherché à favoriser des évolutions vers un système plus
asymétrique qui les rapprocherait de l´autonomie fiscale du Pays Basque et de la Navarre.

Le caractère « ouvert » de l´État des autonomies favorise deux interprétations opposées qui mettent soit l´accent
sur « la solidarité interterritoriale » à travers l´égalité des droits et de l´accès aux services de l´État, ou sur
« l´autonomie régionale » par le biais des principes de la décentralisation et de l´autosuffisance financière. Dans la
veine de ce second versant, le nationalisme catalan a développé une stratégie depuis les années 1980 qui se
décline en cinq arguments principaux : 1) le soutien à un processus ouvert de fédéralisme fiscal pouvant amener à
des renégociations successives ; 2) la volonté d´obtenir la mise en place d´un système similaire au modèle foral en
vigueur pour le Pays Basque et la Navarre ; 3) la dénonciation d´une situation présentée comme « injuste et
discriminatoire » qui serait imposée par l´État central ; 4) la volonté d´obtenir le degré maximum d´autonomie
financière ; et enfin, 5) l´objectif de substituer une négociation multilatérale par des accords bilatéraux entre la
Generalitat et l´État central6.

5. Les fors introduisirent au Moyen-âge un ensemble de privilèges et de droits octroyés par le Roi ou le seigneur de la terre considérée en concertation avec
   la population. Ils ne furent plus octroyés à partir du XIIIème siècle puis abolis par Philippe V.
6. Cette défense d´un statut « spécial » pour la Catalogne explique l’indifférence des nationalistes à l´égard des organes multilatéraux : lors des huit
   rencontres successives depuis l´instauration de la Conférence des gouvernements des communautés autonomes en 2008, les dirigeants catalans se sont
   surtout fait remarquer par leurs absences répétées, comme lors de la réunion de Santander du 21 mars 2011.

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2                            Pluralisme et convergences idéologiques
                             des partis nationalistes catalans

Au-delà de la structuration générale de la scène politique catalane et de l´influence nationale du catalanisme,
il s´agit de plus de considérer les convergences et les dissimilitudes entres les principaux partis nationalistes
(ERC et CiU) au regard de leurs programmes respectifs. Seule une telle étude peut en effet permettre de mesurer
plus précisément les effets politiques de ces clivages idéologiques internes à la Catalogne. Les nationalistes
divergent d´abord sur la définition des contours de l´identité nationale catalane, sur le statut du catalan, de même
que sur les objectifs et les moyens d’action du nationalisme ainsi que sur les relations à entretenir avec l’Espagne.

Tout d’abord, sur les contours de la « nation » catalane, ERC appréhende l´identité catalane dans une perspective
oppositionnelle : dans les Pays Catalans, les citoyens devraient délibérément opter pour l´identité catalane plutôt
que pour l´identité espagnole. Le parti a ainsi joué un rôle central de soutien aux mouvements sociaux défendant
des revendications symboliques contre l’identité « espagnole », telle que l´interdiction de la corrida en Catalogne
depuis 20127. Les deux partis (Convergencia Democratica de Catalunya, CDC et Unio Democratica de Catalunya,
UDC) qui forment la coalition CiU depuis 1978 considèrent que les Catalans constituent une « nation » dotée d’une
aire linguistique propre, mais ils définissent la citoyenneté catalane sur une base plus civique que culturelle :
suivant la citation classique de Jordi Pujol, être « Catalan » correspondrait à « tous ceux qui vivent et travaillent en
Catalogne et qui veulent être Catalan » (CDC, 1992, p. 1). CiU cherche à développer une « conscience nationale »
à travers les politiques publiques menées depuis la Generalitat, qui favoriseraient l´intégration des migrants
espagnols ou étrangers au sein d´une identité catalane forte, jouant le rôle d´un aimant et facilitant l’émergence
d’un sentiment d’appartenance en raison de l´exemplarité de la trajectoire politique, économique et culturelle
de la Catalogne.

Deuxièmement, sur le statut du catalan, pour ERC, la Constitution de 1978 oblige les Catalans à connaître le
castillan alors même que leur langue n´est officielle qu´en Catalogne, ce qui revient à les traiter comme une
« minorité linguistique » au sein de l´État espagnol, et non comme une « nation » à part entière. ERC milite donc en
faveur d´un « multilinguisme égalitaire » qui impliquerait la reconnaissance par l´État espagnol de l´égalité de statut
des quatre langues principales (castillan, catalan, basque et galicien), tout en préservant la prééminence du
catalan en Catalogne (ERC, 2001, p. 12). Alors qu´ERC considère le castillan comme une langue exogène à la
Catalogne, CiU reconnaît l´existence des locuteurs du castillan, mais cherche par une politique linguistique
volontariste, à rendre naturelle la préférence sentimentale pour le catalan. Principal marqueur de leur spécificité,
il s´agirait de « normaliser » le catalan par des politiques de « bas en haut » autour du « triptyque famille-travail-
culture » afin de développer le sentiment national et l’usage du catalan au sein de la société (Rigol, 1996, p. 128).

7. « La Catalogne vote l´interdiction des corridas », Le Monde, 28 juillet 2010.

                                                                               9
Troisièmement, sur les objectifs et les moyens d’action du nationalisme, ERC opte clairement pour « l´indépendance et
l´autodétermination par des moyens pacifiques » (ERC, 1993, p. 13). ERC revendique un « nationalisme de libération »
émancipateur, plaidant pour la formation d´une majorité pro-indépendance en Catalogne, condition sine qua non de
la construction de l´État catalan par le bas (Carod-Rovira, 1997, p. 60). CiU revendique plutôt l´étiquette de
« nationaliste catalan », en cherchant à obtenir plus de liberté et d´autonomie pour la Catalogne. Longtemps
associé à l´action de Jordi Pujol à la Generalitat (1980-2003), CiU cherche à refaçonner la Catalogne à travers un
nationalisme pragmatique disposé à nouer des pactes politiques avec l´État central. CiU met ainsi l´accent sur la
« reconstruction nationale » de la nation catalane et de l´Espagne en tant qu´État plurinational et multilingue (CDC,
1997, p. 33). Son objectif est de développer la conscience nationale à travers une modernisation économique et
sociale exemplaire, une large participation citoyenne et une promotion internationale de la culture et de la pensée
politique catalane.

Enfin, s’agissant des relations de la Catalogne avec l’Espagne, ERC considère que les dilemmes de la Catalogne
s’expliquent par sa soumission institutionnelle à l´Espagne : elle contribuerait plus au budget de l´État espagnol que
les autres communautés autonomes, tout en recevant moins de rétributions (Carod-Rovira, 1998, p. 84). L’objectif
d’ERC n’est donc pas tant de réformer l’État des autonomies que de « sortir » de celui-ci (Barrera, 1997, p. 117).
ERC se distingue aussi des autres partis par son républicanisme qui l´a amené à s´opposer à la Constitution de
1978, mais aussi au Roi et à la monarchie parlementaire. Distinctement, la position de CiU est cohérente avec le
courant historiquement majoritaire du nationalisme catalan, dont la stratégie est de présenter son action non pas
comme étant limitée à la Catalogne, mais comme contribuant à approfondir la modernisation de l´État espagnol
(Roca y Junient, 1982, p. 35). Même si CiU sait stratégiquement jouer la carte indépendantiste de temps à autre, le
parti est surtout favorable à une évolution confédérale de l´État espagnol qui conférerait une souveraineté à la
Catalogne en matière culturelle et linguistique tout en consacrant son autonomie financière et fiscale et sa
possibilité de mener une diplomatie extérieure autonome.

                                                         10
3                            Institutionnaliser la « nation » catalane :
                             le nouveau statut d´autonomie de la Catalogne
                             et sa politisation
La controverse autour du nouveau statut d´autonomie de la Catalogne a cristallisé de 2005 à 2011 les revendications
des nationalistes catalans8. La volonté d’obtenir un nouveau statut illustra le désir d’évoluer vers un « Acte II » de l´État
des autonomies en dépassant les limites de la Constitution de 1978 et du système de financement autonomique,
tout en octroyant une reconnaissance plus forte à la « réalité nationale » catalane (Cultiaux, 2007, p. 23-35). Le fait
que José Luís Rodríguez Zapatero se compromette à soutenir un tel projet puis soit élu le 11 mars 2004, ouvrit une
structure d´opportunité favorable. Un consensus émergea entre les formations du gouvernement tripartite catalan
(PSC, ICV-EUiA et ERC) ce qui permis au statut reconnaissant la Catalogne comme « nation » d’être approuvé par le
Parlament le 30 septembre 2005 (120 voix pour et 15 contre). Le PP déposa cependant un recours devant le
Tribunal Constitutionnel le 2 novembre 2005. Suite à un accord bilatéral le 21 janvier 2006 entre José Luís
Rodríguez Zapatero et Artur Mas, le dirigeant de l´opposition catalane, un statut d’autonomie amendé fut approuvé
par le Congrès des députés puis par le Sénat. Celui-ci fut rejeté par ERC dont la base militante considérait qu’il
avait perdu l´essence du texte initial : cela entraîna l’expulsion du parti du gouvernement catalan le 11 mai 2006 et
précipita l´organisation d´élections anticipées qui débouchèrent sur un nouveau gouvernement tripartite.
Entre-temps, le référendum sur le statut d´autonomie fut approuvé en Catalogne le 18 juin 2006 par 73,9 % des
suffrages et entra en vigueur (26,7 % de « Non » et 5,3 % de votes blancs), même si la participation atteignit
seulement 49 %.

Loin de normaliser la controverse, le référendum déboucha sur une judiciarisation de celle-ci : le 31 juillet 2006,
99 députés du PP déposèrent une requête contre 187 articles ; le Défenseur du Peuple s´opposa ensuite à
112 articles ; et cinq communautés autonomes (Murcie, La Rioja, Aragon, Communauté valencienne et les Îles
Baléares) dominées par le PP (sauf en Aragon) considérèrent que certaines dispositions portaient atteinte à leurs
intérêts respectifs9. Étant donné la politisation sans précédent qui émergea autour du statut catalan, le Tribunal
Constitutionnel mit quatre ans avant de prendre une décision dans un arrêt du 28 juin 201010. Les juges se
prononcèrent en faveur de la constitutionnalité du texte bien que 14 articles sur 223 furent déclarés
anticonstitutionnels. Trois éléments emblématiques furent rejetés : 1) la référence à l’existence de la « nation »
catalane fut déclarée dépourvue de fondements juridiques, tout en lui reconnaissant une valeur historique et
culturelle ; 2) le caractère préférentiel du catalan sur le castillan fut refusé, même si le Tribunal accepta son
caractère obligatoire dans l´enseignement ; 3) et enfin, l´institution d´une autorité de tutelle catalane sur les
juridictions administratives de l’État en Catalogne fut invalidée11.

8. Pour le texte intégral, Cf. « Loi organique n° 6/2006 de réforme du Statut d´autonomie de la Catalogne »,
   Parlament de Catalunya, [http://www.parlament.cat/porteso/estatut/estatut_frances_100506.pdf], consulté le 13 novembre 2011.
9. Le Défenseur du Peuple est une institution administrative visant à permettre des recours dans la défense des intérêts collectifs des citoyens par rapport
   au vote de différents textes de lois.
10. « Estatuto de Cataluña: siete recursos y cuatro recusaciones », El País, 28 juin 2010.
11. Tribunal Constitutionnel, Sentencia 31/2010, 881 p.

                                                                              11
Le Tribunal Constitutionnel basa sa décision de rejet de l´article 8 du statut sur la reconnaissance juridique d´une
« nation » catalane (sans nier son existence historique et culturelle), en le considérant contraire à l´article 1 de la
Constitution de 1978 déclarant que « la souveraineté nationale appartient au peuple espagnol », et à l´article 2
proclamant « l´unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols »12.
Là où les nationalistes catalans considèrent que l´Espagne est une « nation de nations », le Tribunal Constitutionnel
statua au contraire que, d´un point de vue juridique (mais pas forcément politique), seule l´Espagne peut être
qualifiée de « nation ». De plus, l´invalidation du caractère préférentiel du catalan (tout en acceptant son caractère
obligatoire), fut fondée sur l´article 3.1 de la Constitution stipulant que : « Le castillan est la langue espagnole
officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l’utiliser »13. Même si le catalan est
reconnu comme la langue officielle de la Catalogne (article 3.2 de la Constitution), l´officialité du castillan dans
l´ensemble de l’Espagne engendre donc une co-officialité juridique des deux langues en Catalogne, qui entendait
être remise en cause par l´article 6.1 du statut14. Le Tribunal Constitutionnel ne s´opposa pas au fait que le catalan
soit « la langue d´usage normal » en Catalogne, mais au qualificatif « préférentiel » qui remettait en cause la
co-officialité au profit d´une primauté juridique du catalan. Enfin, l´institution d´une autorité de tutelle sur les
juridictions administratives fut rejetée, au motif de l’impossibilité constitutionnelle d’instituer un pouvoir judiciaire
catalan indépendant, revendication phare des nationalistes.

Pour les nationalistes espagnols, cet arrêt illustre la légitimité et la pertinence de la Constitution, puisqu’elle
permettrait d´associer des revendications régionalistes (puisque la majeure partie du statut a été accepté) avec le
respect de l´intégrité de l´État espagnol. A contrario, pour les nationalistes catalans, il symbolise l’obsolescence de
la Constitution et entraîna de vives protestations citoyennes qui culminèrent par la marche du 10 juillet 2010 à
Barcelone autour du slogan « Som una nació. Nosaltres decidim » (« Nous sommes une nation. Nous décidons »)15.
Cette manifestation soutenue par l´ensemble des partis catalans, à l´exception du PPC et de Ciutadans, a réuni plus
d´un million de personnes, une foule plus nombreuse que lors de la grande manifestation historique du
11 septembre 1977. Cette marche fut d´autant plus historique qu´elle réunit sous une même bannière les six
Présidents et ex-Présidents de la Generalitat et du Parlement catalan : Herribert Barrera, Joan Rigol, Jordi Pujol,
Pasqual Maragall, Ernest Benach et José Montilla (Fernandez Garcia et Petithomme, 2012, p. 90)

12. Constitution espagnole de 1978, 27 décembre 1978, [http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm], consultée le 4 novembre 2011.
13. Ibid.
14. Estatut d´autonomia de Catalunya, 2006.
15. Cf. « Decenas de miles de catalanes se echan a la calle contra el recorte del Estatuto », El País, 10 juillet 2010.

                                                                                12
4                            Les élections anticipées de novembre 2012
                             et la restructuration des équilibres politiques

4.1. Le contexte national : crise, austérité et « re-nationalisation »
Les élections anticipées au Parlement catalan de novembre 2012 doivent être considérées dans le prolongement
des frustrations nées du rejet des éléments les plus emblématiques du statut catalan par le Tribunal Constitutionnel.
Toutefois, elles se déroulèrent dans un contexte espagnol marqué par trois éléments principaux. En premier lieu,
le contexte politique est caractérisé par la crise économique sévère que traverse l’Espagne depuis 2008 suite à
l’éclatement de la bulle immobilière, l’effondrement du secteur du bâtiment (qui employait plus d’un actif sur
quatre), la crise du secteur bancaire espagnol et celle des dettes souveraines européennes. Miné par une trop forte
dépendance historique à l’égard des deux secteurs du bâtiment et du tourisme, le marché du travail espagnol est
encore plus sclérosé que celui de ses voisins européens. Cela se traduit désormais par un chômage de masse
atteignant environ 25 % de la population active en février 2013. Cette crise économique sévère s’explique à la fois
par des facteurs de long et de court terme.

Sur le long terme, aucun des gouvernements du Parti socialiste (PSOE) ou du Parti Populaire (PP) n’ont montré de
réelles volontés politiques depuis la transition de combattre les déséquilibres du marché du travail en développant
de nouveaux secteurs d’activité, en réformant l’éducation afin de réduire la proportion trop forte d’Espagnols sans
diplôme et de développer la formation continue pour les adultes plus âgés, et enfin, en développant une politique
sociale et d’égalité hommes-femmes afin de favoriser l’accès de ces dernières au marché de l’emploi16. Sur le
moyen terme, la forte immigration de travailleurs étrangers peu qualifiés de la fin des années 1990 (de 637 000 en
1998 à 4 145 000 en 2006), qui fut initialement soutenue par le patronat afin de compenser le manque de main-
d’œuvre et afin de peser sur les salaires à la baisse, a fortement amplifié les chiffres du chômage depuis 2008
suite à l’effondrement du secteur du bâtiment. Cette immigration met aussi aujourd’hui en concurrence avec les
étrangers les travailleurs espagnols les moins qualifiés, ce qui suscite xénophobie et populisme parmi les classes
populaires. Enfin, à court terme, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero n’a pas vu venir et
n’a pas su anticiper l’effondrement de la bulle immobilière durant son premier mandat (2004-2008), pas plus qu’il
n’a convaincu par sa gestion de la crise durant son second (2008-2011).

En second lieu, la victoire très nette du PP lors des élections législatives espagnoles du 20 novembre 2011 (44,6 %
contre 28,6 % pour le PSOE) a engendré un virage à droite de la politique menée par le gouvernement central à
Madrid. La voie privilégiée par le PP depuis un an a été celle de l’austérité, à travers la réduction drastique des
dépenses de l’État et des fonds alloués par celui-ci aux communautés autonomes. Suivant les exigences du
patronat, le gouvernement a par exemple voté une loi facilitant les licenciements. En matière de santé, une loi a
été votée supprimant l’équivalent de la couverture maladie universelle, ce qui implique que les citoyens étrangers

16. En Espagne, les horaires des écoles publiques de la maternelle jusqu’au lycée (en général de 8h à 14h ou 15h), le manque de crèches et l’absence
    de politique de la petite enfance, rendent aujourd’hui encore plus difficile l’accès des femmes au marché du travail. Non seulement cela se traduit par
    l’un des taux de fécondité par femme les plus bas d’Europe (1,48 enfants par femme), mais cette situation engendre aussi un chômage intermittent
    relativement « structurel » ou une absence d’activité professionnelle des femmes peu diplômées. Par exemple, aujourd’hui encore, seule une femme sur
    deux travaille en Andalousie.

                                                                            13
(même issus d’autres pays de l’Union Européenne), devront désormais payer pour pouvoir accéder aux soins au
sein des hôpitaux publics espagnols. À Madrid, un vaste plan de privatisations de huit hôpitaux a été lancé, créant
une grève sans précédent des personnels du secteur hospitalier et des démissions en chaîne. La TVA et les prix du
gaz et de l’électricité ont augmenté, le salaire des fonctionnaires a diminué de 10 %, les embauches ont été gelées
dans le secteur public et une vaste réforme visant à contenir les moyens des universités est en discussion.
Pour autant, cette cure d’austérité n’a pas encore engendré les effets escomptés puisque le chômage continu
encore d’augmenter : de 11,3 % en 2008, il est passé à 21,5 % en 2011 puis à 26,6 % de la population active soit
6,15 millions de chômeurs en janvier 2013. Certains analystes considèrent même que la politique d’austérité
menée par le PP depuis 2011 n’a fait qu’aggraver la récession.

Enfin, les élections catalanes du 25 novembre 2012 se déroulèrent seulement deux ans après la victoire de CiU
(38,4 %, 62 sièges) le 28 novembre 2010 et la lourde défaite de la coalition tripartite (PSC, ERC, ICV-EUiA) au
pouvoir depuis 2003. Même si la déroute du PSC en 2010 fut sévère (18,3 %, 28 sièges), Artus Mas (CiU) ne
parvint pas à obtenir une majorité absolue, de telle sorte que suite à un accord avec le PSC prévoyant l’abstention
de ce dernier, il fut investi à la majorité relative. Malgré l’alternance, les élections de 2010 soulignèrent donc un
affaiblissement de CiU par rapport à sa position dominante des années 1980 et 1990, de même qu’une
fragmentation plus forte du paysage politique catalan (7 partis obtinrent plus de 3 % des voix). Confronté aux effets
de la crise économique, Artur Mas décida de soutenir des plans de rigueur budgétaire de 2010 à 2012 ce qui
contribua à augmenter l’impopularité de son gouvernement : il réduisit de 10 % les dépenses de fonctionnement
des urgences et des hôpitaux, diminua le salaire des employés de la Generalitat, le nombre d’heures de travail (et
donc le salaire) des professeurs ainsi que les moyens alloués aux écoles. Cela donna lieu à l’épisode « Iberdrola »
lorsque la lumière fut coupée pendant plusieurs jours dans des établissements publics de la province de Gérone
suite à des impayés en juin 2011. La dette publique catalane augmenta toutefois de 35 à 50 millions d’euros en
l’espace de deux ans, de telle sorte qu’il dut finalement faire appel au fonds de liquidités mis en place par le
gouvernement central afin d’éviter à la région de se financer sur les marchés. Malgré les dires des nationalistes
catalans, l’obtention de 2 392 millions d’euros d’aide souligne paradoxalement le dilemme de la dette
autonomique et la dépendance de la Catalogne à l’égard de l’État central.

4.2. Les nouveaux rapports de force et la question du référendum
C’est donc dans ce contexte marqué par le retour de la droite au pouvoir à Madrid et le soutien à des coupes
budgétaires par CiU en Catalogne, qu’à peine deux ans après son arrivée à la Generalitat, la popularité du
gouvernement d’Artur Mas était déjà largement entamée. Ainsi, lorsque plusieurs centaines de milliers de
personnes défilèrent dans les rues de Barcelone le 11 septembre 2012 en l’honneur de la fête nationale catalane,
Artur Mas décida d’enclencher un virage politique en cherchant à profiter du souverainisme ambiant. Moins de
deux semaines plus tard, prenant acte de la manifestation massive et cherchant à faire oublier sa mauvaise
gestion économique, il décida de convoquer des élections anticipées malgré le fait qu’il n’avait alors effectué que
la moitié de son mandat, et ce, dans l’espoir d’obtenir une majorité plus ample en mettant clairement la question
indépendantiste au cœur de la campagne. Pour autant, CiU perdit environ 25 % de son électorat lors de l’élection
de 2012 (de 1 198 000 à 772 000 voix) qui se solda donc par un échec pour le parti au pouvoir, qui loin d’obtenir
une majorité absolue, perdit 12 sièges au Parlament. Il est vrai que la poursuite de la déroute du PSC (qui obtint
seulement 14,4 % et perdit encore 7 députés) lui facilita grandement les choses. Au-delà de la progression

                                                         14
d’ICV-EUiA, du PPC et de Ciutadans ainsi que de l’émergence d’une extrême-gauche mouvementiste (Candidatura
d’Unitat Popular, CUP) dans le sillage du mouvement social des indignés et du 15-N, le grand gagnant de l’élection
fut la formation indépendantiste d’Oriol Junqueras (ERC) qui doubla sa représentation parlementaire pour devenir
le troisième parti le plus voté (de 7 % à 13,7 % et de 10 à 21 sièges).

                           Résultats des élections au Parlement catalan (2010 et 2012)
                                                               2010                         2012
 Convergence et Union (CiU)                             38,5 %       62 *              30,8 %    50
 Parti des socialistes de Catalogne (PSC)               18,3 %       28                14,4 %    20
 Parti populaire de Catalogne (PPC)                     12,3 %       18                  13 %    19
 Gauche républicaine de Catalogne (ERC)                    7%        10                13,7 %    21
 Initiative pour la Catalogne - Les Verts
   - Gauche unie et alternative (ICV-EUiA)              7,40 %       10                 9,9 %    13
 Citoyens -Parti de la citoyenneté (C’s)                 3,4 %        3                 7,6 %     9
 Candidature d’unité populaire (CUP)			                                                 3,5 %     3
 Solidarité catalane pour l’indépendance (SI)            3,2 %        4                 1,3 %     0
 * Nombre de sièges

Autrement dit, même si les rapports de force entre les partis nationalistes (CiU, ERC et CUP) et non-nationalistes
(PPC, PSC, ICV-EUiA et Ciutadans) demeurèrent inchangés puisque chaque bloc obtint 46 % des voix, il s’opéra une
redistribution de l’équilibre des forces au sein de chaque bloc. Au sein du camp non-nationaliste, la proposition
fédéraliste du PSC s’effondra littéralement au bénéfice partiel d’ICV-EUiA, mais aussi et surtout de la progression
du message re-centralisateur du PPC et de Ciutadans. Au contraire, dans le camp des nationalistes catalans,
CiU n’a pas réussi à renverser sa mauvaise image associée aux coupes budgétaires et à la crise économique des
dernières années. Malgré son virage souverainiste, c’est ERC qui a bénéficié de la dynamique indépendantiste
récente (compensant ses échecs en 2010 et lors des élections locales de 2011 où le parti perdit sa représentation
dans les grandes villes catalanes). Le nouveau gouvernement de coalition CiU-ERC traduit donc surtout
l’affaiblissement du nationalisme autonomiste de CiU et le développement du pouvoir de chantage de la frange
indépendantiste représentée par ERC, donnant corps à ce que l’on pourrait considérer comme un type
d’« indépendantisme déséquilibré ».

Dépendant d’un partenariat avec ERC pour gouverner, CiU (idéologiquement de centre-droit) se voit donc obligé de
tempérer son programme de restrictions budgétaires (puisqu’il est associé à un parti de gauche) et de mettre en
place un agenda plus souverainiste sur la question nationale. Comme en 2006 lors de la définition du nouveau
statut d’autonomie catalan, ERC joue donc aujourd’hui le rôle de « parti charnière » portant la demande d’organisation
d’un référendum d’autodétermination en 2014. CiU se voit donc contraint de reprendre cet agenda, même si les
développements récents soulignent que l’organisation d’un futur référendum n’est qu’un prétexte non pas pour
obtenir l’indépendance, mais pour légitimer socialement de nouveaux transferts de compétences et une autonomie
plus forte, par exemple sur les questions fiscales. Conscient qu’un référendum ne peut être juridiquement valable
selon la Constitution que s’il concerne l’ensemble du peuple espagnol, ou s’il est organisé en Catalogne avec l’aval

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