Le nationalisme catalan dans une Espagne en crise : du fédéralisme asymétrique à l'indépendantisme ?
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Le nationalisme catalan dans une Espagne en crise : du fédéralisme asymétrique à l’indépendantisme ? Mathieu Petithomme et Alicia Fernández Garcia1 Mars 2013 1. Mathieu Petithomme est maître de conférences en science politique à l’IUT de Besançon. Alicia Fernández Garcia est professeure certifiée d’espagnol, chercheuse au Centre de recherches ibériques et ibéro-américaines (CRIIA) de l’université Paris X-Nanterre.
Table des matières Introduction 3 Le nationalisme catalan depuis la transition démocratique 4 Pluralisme et convergences idéologiques des partis nationalistes catalans 9 Institutionnaliser la « nation » catalane : le nouveau statut d´autonomie de la Catalogne et sa politisation 11 Les élections anticipées de novembre 2012 et la restructuration des équilibres politiques 13 Conclusion 17
Introduction Dans une Espagne meurtrie par les effets durables de la crise économique depuis 2008, le nationalisme catalan semble trouver un nouveau souffle. Cette fièvre nationaliste retrouvée a été rendue manifeste lors de la grande mobilisation populaire de la Diada Nacional (la « fête nationale » catalane) du 11 septembre 2012, qui a réuni plus d’un million de personnes dans les rues de Barcelone autour de slogans indépendantistes. Depuis la transition démocratique suite à la mort de Franco le 20 novembre 1975, le nationalisme catalan a utilisé à son profit l’autonomie institutionnelle et les marges de manœuvre politiques conférées par la Constitution de 1978 et le nouvel État des autonomies (Estado de las autonomias). Celui-ci a en effet permis à l’Espagne d’évoluer d’une structure territoriale d’un État unitaire gouverné au nom de l’idéologie « nationale-catholique » marquée par la défense de la religion catholique et du nationalisme espagnol, vers une structure quasi-fédérale ou le Sénat représente la diversité des territoires espagnols et ou chaque région est devenue une « communauté autonome » pouvant accéder à un degré plus ou moins important d’autonomie en matière d’éducation, de santé et de police par exemple. Reconnue comme une « nationalité » à part entière au même titre que la Galice et le Pays Basque, l’identité catalane a pu de nouveau émerger avec force sur le devant de la scène politique. L’autonomie en matière de police, de santé ou d’éducation a permis aux nationalistes, au premier rang desquels figura Jordi Pujol (Convergencia i Unio, CiU), d’utiliser les instruments de la politique démocratique afin de soutenir depuis le pouvoir régional la formation d’une nation catalane propre. La politique de « normalisation linguistique » menée depuis les années 1980 a ainsi permis de forger un bilinguisme de fait, socle central de la promotion du sentiment d’appartenance à la Catalogne. Dans une Espagne en crise, quelle est aujourd’hui la situation politique du nationalisme catalan ? Quel est l’état des rapports de force sur la scène politique catalane et espagnole ? En réponse à ces questions de recherche, notre contribution entend brosser un état des lieux, jeter un éclairage contemporain sur la trajectoire présente du nationalisme catalan, tout en la replaçant dans un contexte socio- historique plus vaste. La thèse de cet article est que le nationalisme catalan a récemment évolué de sa demande historique en faveur d’une « fédéralisation asymétrique » de l’État espagnol vers un nationalisme plus affirmé mais déséquilibré, en raison de l’état des rapports de force internes à la scène politique catalane. En effet, le nationalisme catalan dominant depuis la transition est à la fois non dogmatique et pragmatique, en ce qu’il revendique la constitution d’une nation catalane propre, tout en privilégiant le « processus » progressif de construction nationale plutôt que l’indépendantisme en soi, ce qui l’a amené à être possibiliste en faisant des concessions et en acceptant des marges accrues d’autonomie. Au contraire du nationalisme qui met d’abord l’accent sur le projet politique de constitution d’une nation catalane, l’indépendantisme catalan privilégie un projet institutionnel d’émancipation et de création d’un « nouvel État européen ». L’émergence d’un nationalisme catalan déséquilibré dans l’Espagne contemporaine s’explique conjointement par le caractère relativement consensuel d’une politique identitaire au sein de la société catalane d’aujourd’hui, de même que par l’affaiblissement du nationalisme intégrateur au profit de l’indépendantisme. 3
1 Le nationalisme catalan depuis la transition démocratique 1.1. Les nationalismes catalans : de la renaissance au pluralisme Les nationalistes catalans ont payé au prix fort la victoire de l´insurrection franquiste : elle impliqua la disparition de la Generalitat instaurée depuis la Seconde République, la dissolution du statut d´autonomie de 1932, ainsi que la prohibition de la langue, de la culture et de l’ensemble des symboles catalans (Benet, 1973, p. 12). Le franquisme imposa le centralisme, le conservatisme de l´idéologie « nationale-catholique », et la négation de l´hétérogénéité culturelle et nationale de l´Espagne. La répression des opposants engendra la quasi-disparition des partis et leur éparpillement en exil. Il fallut attendre la fin des années 1960 pour que s´amplifient les mouvements sociaux. L´émergence d´une classe moyenne, la forte augmentation du niveau d´éducation depuis 1930 et la sécularisation progressive de la société civile, furent autant de mutations sociales qui préludèrent un changement profond de structures politiques devenues anachroniques (Solé Tura, 1985, p. 80). La création de la Comissió Coordinadora de Forces Polítiques de Catalunya de 1969, puis de l’Assemblée clandestine de Catalogne le 7 novembre 1971, allia les démocrates catalans autour de la demande d’autonomie et de politiques de centre- gauche (Balcells, 2003, p. 181). Après la mort de Franco en 1975, la scène politique catalane se restructura autour du rétablissement de la Generalitat le 29 septembre 1977 suite au retour d´exil de son Président Josep Tarradellas. L’unanimisme des nationalistes émergea avec force lors de la manifestation massive du 11 septembre 1977, qui rassembla un million de personnes en faveur d´un statut d´autonomie (Guibernau, 2004, p. 66). L´inclusion des partis catalans dans le processus de définition de la Constitution de 1978 permis l’approbation d´un nouveau statut pour la Catalogne dès 1979. Le consensus entre les formations catalanistes portait plus sur le rejet de la tutelle de l´État central, que sur le degré d´autonomie à atteindre pour la Catalogne. Aujourd’hui encore, l´unité entre les partis catalanistes s´exprime surtout dans leurs rapports au gouvernement de Madrid, les divergences se faisant sentir s´agissant des débats internes à la Catalogne, par exemple dans le degré de protection à accorder au castillan. La première dissonance lors de la transition fut formulée par Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) qui milita pour le « Non » lors du référendum du 6 décembre 1978 sur la Constitution. ERC opta pour la République plutôt que pour la Monarchie parlementaire et revendiqua le droit à l´autodétermination. Le parti illustra toutefois son pragmatisme en votant en faveur du statut d´autonomie de 1979. D´autres dispositions du statut contenaient les germes de futures dissensions : les pouvoirs de la Generalitat furent présentés comme « émanant de la Constitution, du statut et du peuple » (art. 1.3), ce qui supposait qu’ils découlaient d´une décision de l´ensemble des Espagnols, plutôt que du peuple catalan. L´identité et la marge d´autogouvernement de la Catalogne furent reconnues, mais des demandes indépendantistes supplémentaires ne pouvaient donc pas être concédées sans une réforme constitutionnelle. Un clivage s´est peu à peu installé sur la question de l’autonomie entre le représentant du « nationalisme espagnol » (Partido Popular, PP) et les formations qui partagent une volonté de défense du catalanisme (ERC ; Partit Socialista Unificat de Catalunya, PSUC ; Partit dels Socialistes de Catalunya, PSC et CiU). Suite au ralliement de divers groupes indépendantistes, ERC s’est radicalisé autour d’un républicanisme de gauche et d’un indépendantisme démocratique, devenant un « parti pivot » du soutien au gouvernement « tripartite » de centre- 4
gauche de 2003 à 2010. ERC forme désormais une coalition nationaliste avec CiU depuis les élections de 2012. Le PSUC puis Iniciativa per Catalunya Verds-Esquerra Unida e Alternativa (ICV-EUiA) depuis 2006, se situe sur une ligne de gauche alternative proche de celle d’ERC, mais diverge tant de son indépendantisme que du catalanisme intégrateur du PSC, en proposant une évolution vers un État fédéral plurinational. ICV-EUiA converge néanmoins avec le PSC dans la défense des droits des locuteurs du castillan, au contraire de la vision privilégiée par ERC et CiU, d´une prédominance coercitive du catalan. Initialement social-démocrate, CiU est devenu le garant du catalanisme « institutionnel » de centre-droit impulsé par la Generalitat depuis 1980. 1.2. La représentation politique du nationalisme au Parlement catalan (1980-2010) Les premières élections catalanes du 20 mars 1980 consacrèrent la victoire de CiU (27,7 %) devant le PSC (22,3 %) et le PSUC (18,7 %). ERC dut se contenter de la cinquième place (8,9 %), loin de sa position hégémonique lors de la Seconde République. Ces élections marquèrent la défaite des socialistes, initialement persuadés de l´emporter, qui refusèrent de former une coalition avec CiU, renvoyant le PSC dans l´opposition pendant plus de deux décennies. La dynamique du « vote duel » émergea, puisque les nationalistes de CiU consolidèrent leur position dominante en Catalogne, alors que ce furent les socialistes qui remportèrent les élections législatives de la même année (Pallarés et Keating, 2012, p. 238-58). Les élections catalanes de 1984 consacrèrent le triomphe de CiU (46,6 % des voix), ce qui lui donna sa première majorité absolue au Parlament. La gauche communiste incarnée par le PSUC s´effondra fortement (5,6 %), comme la coalition de centre-droit de l´Alianza Popular (AP) (7,7 %) et ERC (4,4 %) qui paya le prix de sa collaboration subordonnée au gouvernement de CiU (1980-84). Résultats des élections au Parlement catalan (1980-2010) - (%) 50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 1980 1984 1988 1992 1995 1999 2003 2006 2010 CiU PSC-PSOE PSUC, ICV puis ICV-EUiA CC-UCD, AP-PDP-UL puis PPC ERC CDS EUiA Ciutadans SI PxC Notes : * Le PSUC devint PSUC-ICV en 1988, ICV-Els Verds en 1995, ICV-EA en 2003, puis ICV-EUiA depuis 2006. Suite à la scission entre IC et Izquierda Unida (IU) en mai 1998, EUiA (Esquerra Unida i Alternativa) fut formée afin de créer une version catalane d´IU. L´ensemble de ces groupes forment une coalition stable (ICV-EUiA) depuis 2006. ** En 1999 et en 2003, le PSC-PSOE se présente à travers la coalition PSC-Ciutadans per Canvi (PSC-CpC). 5
Les rapports de force demeurèrent inchangés jusqu´en 1995 lorsque CiU perdit sa majorité obtenue (en 1984, 1988 et 1992). Ces élections illustrèrent un point d´inflexion : elles furent marquées par les progressions d’ERC (+1,6 %), d’ICV-Els Verds (+2,5 %) et du Partit Popular de Catalunya (PPC) (+7,2 %). Cela donna lieu au soutien du PPC à CiU en Catalogne en échange du soutien de ce dernier au gouvernement de José María Aznar. Les élections de 1999 furent rageantes pour les socialistes catalans : la liste de Pasqual Maragall, fort de sa popularité en tant que maire de Barcelone, obtint un meilleur pourcentage (38,2 %) que celle de CiU (38,0 %) mais moins de sièges (52 contre 56) car le PSC obtint moins de voix, et fut donc pénalisé en raison du mode de scrutin basé sur la règle d´Hondt, qui est un mode de scrutin proportionnel plurinominal qui a la particularité d’avantager les listes ayant bénéficié du plus grand nombre de voix. Ceci se traduisit par la reconduction du gouvernement minoritaire de CiU soutenu par le PPC. Ce ne fut donc qu´en 2003 que la Catalogne connut l´alternance suite à 23 années de règne de Jordi Pujol qui laissa la place au « gouvernement tripartite » qui allia le PSC, ICV-EUiA et ERC jusqu’en 2010. La victoire d’Artur Mas (CiU) en 2010 doit beaucoup à un contexte marqué par la forte impopularité du PSOE au niveau national en raison de la crise, mais aussi par la défiance des nationalistes à l’égard du PP. Enfin, il est à noter que de nouveaux partis ont émergé, engendrant une plus forte fragmentation : Ciutadans qui cherche à représenter les non-nationalistes ; Solidaritat catalana per la independència (SI) dirigé par le Président charismatique du FC Barcelone qui milite pour l´indépendance ; et la Plataforma per Catalunya (PxC), un parti populiste anti-immigré fondé en avril 20022. 1.3. Le catalanisme politique : une influence puissante sur la scène nationale Appréhender le rôle du nationalisme catalan n’est pas possible sans spécifier plus amplement son influence sur la scène nationale. Depuis la transition, le catalanisme politique a utilisé trois leviers principaux dans la défense de ses intérêts : 1) la reconnaissance implicite puis la promotion d´un « fédéralisme asymétrique » dans l´État des autonomies ; 2) la mise en place d´un mode de scrutin favorable au niveau national ; 3) la définition d´un système de financement autonomique qui tend à faire primer le principe de coresponsabilité fiscale sur celui de la solidarité interrégionale. L´influence du catalanisme sur la trajectoire de l´État espagnol n´a rien de nouveau : elle reflète une constante sur la « longue durée », à savoir la tension structurelle entre la faiblesse des prétentions intégratrices de l’État central, et le poids de régions périphériques puissantes telles que le Pays Basque et la Catalogne (Braudel, 1958, p. 725-53)3. 2. Ciutadans de Catalunya est une plateforme civique et culturelle formée par un groupe d´une quinzaine d´intellectuels opposés au nationalisme catalan. Au contraire, la Plataforma per Catalunya (PxC) est un parti populiste, xénophobe et anti-immigrés fondé à Vic (qui compte environ 25 % d´immigrés) le 5 avril 2002 par Josep Anglada (ex-candidat du Frente Nacional d´extrême-droite lors des européennes de 1989). Le parti a connu une progression importante au niveau local, de 4 900 voix en Catalogne lors des élections autonomiques de 2003, à 66 000 voix lors des municipales de 2011, obtenant ainsi 67 conseillers municipaux. 3. L’Espagne moderne naquit ainsi de l’union dynastique des couronnes de Castille et d’Aragon en 1479, mais la fusion des deux couronnes en un royaume unifié n´eut lieu qu´à l´issue de la Guerre de Succession (1701-1714) sous le règne de Philippe V. Jusqu´aux Décrets de Nueva Planta (1707-1716), l´« Espagne » ne constituait qu´une expression géographique, puisque deux États très différents cohabitaient en son sein. De même, face à la déliquescence de l´État central, qui culmina lors du « désastre de 1898 » par la perte de nombreuses colonies (Cuba, Guam, Porto-Rico et les Philippines), la bourgeoisie catalane joua au contraire le rôle de fer de lance de la modernisation industrielle du pays et de l´essor du libéralisme politique. 6
L´influence des nationalistes catalans s´est d´abord illustrée par la défense d´un type de « fédéralisme asymétrique » : la reconnaissance par la Constitution d´un statut différencié pour les trois « nationalités historiques » (Catalogne, Galice et Pays Basque), a ainsi consacré leurs spécificités (article 2)4. Sans parvenir à obtenir le statut d´une « nation » propre, en raison de l´opposition des partis étatiques et surtout de la droite espagnole, l´octroi du statut de « nationalité » a initialement permis de contenter les nationalistes. En distinguant une « voie rapide » (art. 151) et une « voie longue » (art. 143) d’accès à l’autonomie, les constituants donnèrent des gages à la volonté des nationalistes périphériques de maintenir une asymétrie dans l´organisation territoriale de l´État. La volonté de l´Andalousie d´accéder à la voie rapide créa un précédent dans lequel les autres communautés cherchèrent à s´engouffrer : la loi organique du financement des communautés autonomes (LOFCA) de 1980 puis la LOAPA de 1982, scellèrent l´unification du modèle autonomique (le « café pour tous ») et la remise en cause de son caractère asymétrique (Moreno, 2001, p. 12). Depuis lors, le catalanisme politique a donc toujours cherché à négocier directement avec l´État central afin d´obtenir des évolutions asymétriques pour la Catalogne, plutôt que de soutenir une fédéralisation de l´État sur un pied d´égalité avec les autres communautés. En second lieu, l´influence des nationalistes catalans a bénéficié du mode de scrutin mis en place lors de la transition. Au niveau régional, les six gouvernements successifs de CiU (1980-2003), lui permirent d´utiliser les institutions de la Generalitat afin d´accroître l´influence nationale et la projection internationale de la Catalogne par le biais d´une « para-diplomatie » active, notamment auprès des institutions européennes (Paquin, 2003). Au niveau national, même si le mode de scrutin des élections législatives a surtout bénéficié aux partis dominants (PP et Partido Socialista Obrero Español), il favorise les partis dont l´assise électorale est concentrée territorialement, tels que les nationalistes catalans, et ce, au détriment des partis mineurs dont les soutiens électoraux sont dispersés sur l’ensemble du territoire (tel que Izquierda Unida). Deux sièges sont alloués à chacune des 50 provinces espagnoles (un seul pour Ceuta et un autre pour Melilla), et le reste des 248 sièges (sur 350) sont alloués en proportion de la population. Avec 7,5 millions d´habitants en 2010, la Catalogne dispose de 47 représentants au Congrès des députés depuis 2004 (soit 13,4 % de l´ensemble). Le mode de scrutin est donc favorable aux nationalistes : par exemple, lors des législatives de 2008, avec 969 871 voix (3,8 %), Izquierda Unida n´a accédé qu´à 2 sièges, alors qu´avec seulement 298 139 voix (1,2 %), ERC a obtenu 3 sièges. Avec 779 725 voix (3,2 %) dans les mêmes quatre provinces catalanes, CiU a obtenu 10 sièges. À plusieurs reprises, CiU a donc joué un rôle prépondérant de « parti pivot » sur la scène nationale, notamment en 1993 dans le soutien au PSOE et en 1996 dans l´appui au gouvernement du PP, négociant des concessions politiques pour la Catalogne en échange de son soutien aux gouvernements de Madrid. Enfin, l´influence des nationalistes a conduit à des réformes successives du système du financement autonomique, de telle sorte que celui-ci tend désormais à privilégier le principe de coresponsabilité fiscale sur celui de la solidarité interrégionale (Petithomme, 2009, p. 75-101). À l´origine, la LOFCA prévoyait le principe de « la parité de structure, de compétences et de financements », c´est-à-dire une obligation d´équité et de solidarité entre les communautés autonomes, tout en rétablissant le système fiscal des « fors » au Pays Basque et en Navarre 4. Constitution espagnole de 1978, 27 décembre 1978, [http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm], consultée le 4 novembre 2011. 7
(puisque le Partido Nacionalista Vasco, PNV, et les élites navarraises firent de la préservation de ces privilèges une condition sine qua non de leurs soutiens à la Constitution), ainsi que des dispositions spéciales en raison de la situation géographique des Îles Canaries5. Le grand écart entre l´équité formellement proclamée et l´asymétrie de fait en faveur du Pays Basque et de la Navarre, favorisa les incompréhensions mutuelles, si bien que les nationalistes catalans ont depuis lors toujours cherché à favoriser des évolutions vers un système plus asymétrique qui les rapprocherait de l´autonomie fiscale du Pays Basque et de la Navarre. Le caractère « ouvert » de l´État des autonomies favorise deux interprétations opposées qui mettent soit l´accent sur « la solidarité interterritoriale » à travers l´égalité des droits et de l´accès aux services de l´État, ou sur « l´autonomie régionale » par le biais des principes de la décentralisation et de l´autosuffisance financière. Dans la veine de ce second versant, le nationalisme catalan a développé une stratégie depuis les années 1980 qui se décline en cinq arguments principaux : 1) le soutien à un processus ouvert de fédéralisme fiscal pouvant amener à des renégociations successives ; 2) la volonté d´obtenir la mise en place d´un système similaire au modèle foral en vigueur pour le Pays Basque et la Navarre ; 3) la dénonciation d´une situation présentée comme « injuste et discriminatoire » qui serait imposée par l´État central ; 4) la volonté d´obtenir le degré maximum d´autonomie financière ; et enfin, 5) l´objectif de substituer une négociation multilatérale par des accords bilatéraux entre la Generalitat et l´État central6. 5. Les fors introduisirent au Moyen-âge un ensemble de privilèges et de droits octroyés par le Roi ou le seigneur de la terre considérée en concertation avec la population. Ils ne furent plus octroyés à partir du XIIIème siècle puis abolis par Philippe V. 6. Cette défense d´un statut « spécial » pour la Catalogne explique l’indifférence des nationalistes à l´égard des organes multilatéraux : lors des huit rencontres successives depuis l´instauration de la Conférence des gouvernements des communautés autonomes en 2008, les dirigeants catalans se sont surtout fait remarquer par leurs absences répétées, comme lors de la réunion de Santander du 21 mars 2011. 8
2 Pluralisme et convergences idéologiques des partis nationalistes catalans Au-delà de la structuration générale de la scène politique catalane et de l´influence nationale du catalanisme, il s´agit de plus de considérer les convergences et les dissimilitudes entres les principaux partis nationalistes (ERC et CiU) au regard de leurs programmes respectifs. Seule une telle étude peut en effet permettre de mesurer plus précisément les effets politiques de ces clivages idéologiques internes à la Catalogne. Les nationalistes divergent d´abord sur la définition des contours de l´identité nationale catalane, sur le statut du catalan, de même que sur les objectifs et les moyens d’action du nationalisme ainsi que sur les relations à entretenir avec l’Espagne. Tout d’abord, sur les contours de la « nation » catalane, ERC appréhende l´identité catalane dans une perspective oppositionnelle : dans les Pays Catalans, les citoyens devraient délibérément opter pour l´identité catalane plutôt que pour l´identité espagnole. Le parti a ainsi joué un rôle central de soutien aux mouvements sociaux défendant des revendications symboliques contre l’identité « espagnole », telle que l´interdiction de la corrida en Catalogne depuis 20127. Les deux partis (Convergencia Democratica de Catalunya, CDC et Unio Democratica de Catalunya, UDC) qui forment la coalition CiU depuis 1978 considèrent que les Catalans constituent une « nation » dotée d’une aire linguistique propre, mais ils définissent la citoyenneté catalane sur une base plus civique que culturelle : suivant la citation classique de Jordi Pujol, être « Catalan » correspondrait à « tous ceux qui vivent et travaillent en Catalogne et qui veulent être Catalan » (CDC, 1992, p. 1). CiU cherche à développer une « conscience nationale » à travers les politiques publiques menées depuis la Generalitat, qui favoriseraient l´intégration des migrants espagnols ou étrangers au sein d´une identité catalane forte, jouant le rôle d´un aimant et facilitant l’émergence d’un sentiment d’appartenance en raison de l´exemplarité de la trajectoire politique, économique et culturelle de la Catalogne. Deuxièmement, sur le statut du catalan, pour ERC, la Constitution de 1978 oblige les Catalans à connaître le castillan alors même que leur langue n´est officielle qu´en Catalogne, ce qui revient à les traiter comme une « minorité linguistique » au sein de l´État espagnol, et non comme une « nation » à part entière. ERC milite donc en faveur d´un « multilinguisme égalitaire » qui impliquerait la reconnaissance par l´État espagnol de l´égalité de statut des quatre langues principales (castillan, catalan, basque et galicien), tout en préservant la prééminence du catalan en Catalogne (ERC, 2001, p. 12). Alors qu´ERC considère le castillan comme une langue exogène à la Catalogne, CiU reconnaît l´existence des locuteurs du castillan, mais cherche par une politique linguistique volontariste, à rendre naturelle la préférence sentimentale pour le catalan. Principal marqueur de leur spécificité, il s´agirait de « normaliser » le catalan par des politiques de « bas en haut » autour du « triptyque famille-travail- culture » afin de développer le sentiment national et l’usage du catalan au sein de la société (Rigol, 1996, p. 128). 7. « La Catalogne vote l´interdiction des corridas », Le Monde, 28 juillet 2010. 9
Troisièmement, sur les objectifs et les moyens d’action du nationalisme, ERC opte clairement pour « l´indépendance et l´autodétermination par des moyens pacifiques » (ERC, 1993, p. 13). ERC revendique un « nationalisme de libération » émancipateur, plaidant pour la formation d´une majorité pro-indépendance en Catalogne, condition sine qua non de la construction de l´État catalan par le bas (Carod-Rovira, 1997, p. 60). CiU revendique plutôt l´étiquette de « nationaliste catalan », en cherchant à obtenir plus de liberté et d´autonomie pour la Catalogne. Longtemps associé à l´action de Jordi Pujol à la Generalitat (1980-2003), CiU cherche à refaçonner la Catalogne à travers un nationalisme pragmatique disposé à nouer des pactes politiques avec l´État central. CiU met ainsi l´accent sur la « reconstruction nationale » de la nation catalane et de l´Espagne en tant qu´État plurinational et multilingue (CDC, 1997, p. 33). Son objectif est de développer la conscience nationale à travers une modernisation économique et sociale exemplaire, une large participation citoyenne et une promotion internationale de la culture et de la pensée politique catalane. Enfin, s’agissant des relations de la Catalogne avec l’Espagne, ERC considère que les dilemmes de la Catalogne s’expliquent par sa soumission institutionnelle à l´Espagne : elle contribuerait plus au budget de l´État espagnol que les autres communautés autonomes, tout en recevant moins de rétributions (Carod-Rovira, 1998, p. 84). L’objectif d’ERC n’est donc pas tant de réformer l’État des autonomies que de « sortir » de celui-ci (Barrera, 1997, p. 117). ERC se distingue aussi des autres partis par son républicanisme qui l´a amené à s´opposer à la Constitution de 1978, mais aussi au Roi et à la monarchie parlementaire. Distinctement, la position de CiU est cohérente avec le courant historiquement majoritaire du nationalisme catalan, dont la stratégie est de présenter son action non pas comme étant limitée à la Catalogne, mais comme contribuant à approfondir la modernisation de l´État espagnol (Roca y Junient, 1982, p. 35). Même si CiU sait stratégiquement jouer la carte indépendantiste de temps à autre, le parti est surtout favorable à une évolution confédérale de l´État espagnol qui conférerait une souveraineté à la Catalogne en matière culturelle et linguistique tout en consacrant son autonomie financière et fiscale et sa possibilité de mener une diplomatie extérieure autonome. 10
3 Institutionnaliser la « nation » catalane : le nouveau statut d´autonomie de la Catalogne et sa politisation La controverse autour du nouveau statut d´autonomie de la Catalogne a cristallisé de 2005 à 2011 les revendications des nationalistes catalans8. La volonté d’obtenir un nouveau statut illustra le désir d’évoluer vers un « Acte II » de l´État des autonomies en dépassant les limites de la Constitution de 1978 et du système de financement autonomique, tout en octroyant une reconnaissance plus forte à la « réalité nationale » catalane (Cultiaux, 2007, p. 23-35). Le fait que José Luís Rodríguez Zapatero se compromette à soutenir un tel projet puis soit élu le 11 mars 2004, ouvrit une structure d´opportunité favorable. Un consensus émergea entre les formations du gouvernement tripartite catalan (PSC, ICV-EUiA et ERC) ce qui permis au statut reconnaissant la Catalogne comme « nation » d’être approuvé par le Parlament le 30 septembre 2005 (120 voix pour et 15 contre). Le PP déposa cependant un recours devant le Tribunal Constitutionnel le 2 novembre 2005. Suite à un accord bilatéral le 21 janvier 2006 entre José Luís Rodríguez Zapatero et Artur Mas, le dirigeant de l´opposition catalane, un statut d’autonomie amendé fut approuvé par le Congrès des députés puis par le Sénat. Celui-ci fut rejeté par ERC dont la base militante considérait qu’il avait perdu l´essence du texte initial : cela entraîna l’expulsion du parti du gouvernement catalan le 11 mai 2006 et précipita l´organisation d´élections anticipées qui débouchèrent sur un nouveau gouvernement tripartite. Entre-temps, le référendum sur le statut d´autonomie fut approuvé en Catalogne le 18 juin 2006 par 73,9 % des suffrages et entra en vigueur (26,7 % de « Non » et 5,3 % de votes blancs), même si la participation atteignit seulement 49 %. Loin de normaliser la controverse, le référendum déboucha sur une judiciarisation de celle-ci : le 31 juillet 2006, 99 députés du PP déposèrent une requête contre 187 articles ; le Défenseur du Peuple s´opposa ensuite à 112 articles ; et cinq communautés autonomes (Murcie, La Rioja, Aragon, Communauté valencienne et les Îles Baléares) dominées par le PP (sauf en Aragon) considérèrent que certaines dispositions portaient atteinte à leurs intérêts respectifs9. Étant donné la politisation sans précédent qui émergea autour du statut catalan, le Tribunal Constitutionnel mit quatre ans avant de prendre une décision dans un arrêt du 28 juin 201010. Les juges se prononcèrent en faveur de la constitutionnalité du texte bien que 14 articles sur 223 furent déclarés anticonstitutionnels. Trois éléments emblématiques furent rejetés : 1) la référence à l’existence de la « nation » catalane fut déclarée dépourvue de fondements juridiques, tout en lui reconnaissant une valeur historique et culturelle ; 2) le caractère préférentiel du catalan sur le castillan fut refusé, même si le Tribunal accepta son caractère obligatoire dans l´enseignement ; 3) et enfin, l´institution d´une autorité de tutelle catalane sur les juridictions administratives de l’État en Catalogne fut invalidée11. 8. Pour le texte intégral, Cf. « Loi organique n° 6/2006 de réforme du Statut d´autonomie de la Catalogne », Parlament de Catalunya, [http://www.parlament.cat/porteso/estatut/estatut_frances_100506.pdf], consulté le 13 novembre 2011. 9. Le Défenseur du Peuple est une institution administrative visant à permettre des recours dans la défense des intérêts collectifs des citoyens par rapport au vote de différents textes de lois. 10. « Estatuto de Cataluña: siete recursos y cuatro recusaciones », El País, 28 juin 2010. 11. Tribunal Constitutionnel, Sentencia 31/2010, 881 p. 11
Le Tribunal Constitutionnel basa sa décision de rejet de l´article 8 du statut sur la reconnaissance juridique d´une « nation » catalane (sans nier son existence historique et culturelle), en le considérant contraire à l´article 1 de la Constitution de 1978 déclarant que « la souveraineté nationale appartient au peuple espagnol », et à l´article 2 proclamant « l´unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols »12. Là où les nationalistes catalans considèrent que l´Espagne est une « nation de nations », le Tribunal Constitutionnel statua au contraire que, d´un point de vue juridique (mais pas forcément politique), seule l´Espagne peut être qualifiée de « nation ». De plus, l´invalidation du caractère préférentiel du catalan (tout en acceptant son caractère obligatoire), fut fondée sur l´article 3.1 de la Constitution stipulant que : « Le castillan est la langue espagnole officielle de l’État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l’utiliser »13. Même si le catalan est reconnu comme la langue officielle de la Catalogne (article 3.2 de la Constitution), l´officialité du castillan dans l´ensemble de l’Espagne engendre donc une co-officialité juridique des deux langues en Catalogne, qui entendait être remise en cause par l´article 6.1 du statut14. Le Tribunal Constitutionnel ne s´opposa pas au fait que le catalan soit « la langue d´usage normal » en Catalogne, mais au qualificatif « préférentiel » qui remettait en cause la co-officialité au profit d´une primauté juridique du catalan. Enfin, l´institution d´une autorité de tutelle sur les juridictions administratives fut rejetée, au motif de l’impossibilité constitutionnelle d’instituer un pouvoir judiciaire catalan indépendant, revendication phare des nationalistes. Pour les nationalistes espagnols, cet arrêt illustre la légitimité et la pertinence de la Constitution, puisqu’elle permettrait d´associer des revendications régionalistes (puisque la majeure partie du statut a été accepté) avec le respect de l´intégrité de l´État espagnol. A contrario, pour les nationalistes catalans, il symbolise l’obsolescence de la Constitution et entraîna de vives protestations citoyennes qui culminèrent par la marche du 10 juillet 2010 à Barcelone autour du slogan « Som una nació. Nosaltres decidim » (« Nous sommes une nation. Nous décidons »)15. Cette manifestation soutenue par l´ensemble des partis catalans, à l´exception du PPC et de Ciutadans, a réuni plus d´un million de personnes, une foule plus nombreuse que lors de la grande manifestation historique du 11 septembre 1977. Cette marche fut d´autant plus historique qu´elle réunit sous une même bannière les six Présidents et ex-Présidents de la Generalitat et du Parlement catalan : Herribert Barrera, Joan Rigol, Jordi Pujol, Pasqual Maragall, Ernest Benach et José Montilla (Fernandez Garcia et Petithomme, 2012, p. 90) 12. Constitution espagnole de 1978, 27 décembre 1978, [http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm], consultée le 4 novembre 2011. 13. Ibid. 14. Estatut d´autonomia de Catalunya, 2006. 15. Cf. « Decenas de miles de catalanes se echan a la calle contra el recorte del Estatuto », El País, 10 juillet 2010. 12
4 Les élections anticipées de novembre 2012 et la restructuration des équilibres politiques 4.1. Le contexte national : crise, austérité et « re-nationalisation » Les élections anticipées au Parlement catalan de novembre 2012 doivent être considérées dans le prolongement des frustrations nées du rejet des éléments les plus emblématiques du statut catalan par le Tribunal Constitutionnel. Toutefois, elles se déroulèrent dans un contexte espagnol marqué par trois éléments principaux. En premier lieu, le contexte politique est caractérisé par la crise économique sévère que traverse l’Espagne depuis 2008 suite à l’éclatement de la bulle immobilière, l’effondrement du secteur du bâtiment (qui employait plus d’un actif sur quatre), la crise du secteur bancaire espagnol et celle des dettes souveraines européennes. Miné par une trop forte dépendance historique à l’égard des deux secteurs du bâtiment et du tourisme, le marché du travail espagnol est encore plus sclérosé que celui de ses voisins européens. Cela se traduit désormais par un chômage de masse atteignant environ 25 % de la population active en février 2013. Cette crise économique sévère s’explique à la fois par des facteurs de long et de court terme. Sur le long terme, aucun des gouvernements du Parti socialiste (PSOE) ou du Parti Populaire (PP) n’ont montré de réelles volontés politiques depuis la transition de combattre les déséquilibres du marché du travail en développant de nouveaux secteurs d’activité, en réformant l’éducation afin de réduire la proportion trop forte d’Espagnols sans diplôme et de développer la formation continue pour les adultes plus âgés, et enfin, en développant une politique sociale et d’égalité hommes-femmes afin de favoriser l’accès de ces dernières au marché de l’emploi16. Sur le moyen terme, la forte immigration de travailleurs étrangers peu qualifiés de la fin des années 1990 (de 637 000 en 1998 à 4 145 000 en 2006), qui fut initialement soutenue par le patronat afin de compenser le manque de main- d’œuvre et afin de peser sur les salaires à la baisse, a fortement amplifié les chiffres du chômage depuis 2008 suite à l’effondrement du secteur du bâtiment. Cette immigration met aussi aujourd’hui en concurrence avec les étrangers les travailleurs espagnols les moins qualifiés, ce qui suscite xénophobie et populisme parmi les classes populaires. Enfin, à court terme, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero n’a pas vu venir et n’a pas su anticiper l’effondrement de la bulle immobilière durant son premier mandat (2004-2008), pas plus qu’il n’a convaincu par sa gestion de la crise durant son second (2008-2011). En second lieu, la victoire très nette du PP lors des élections législatives espagnoles du 20 novembre 2011 (44,6 % contre 28,6 % pour le PSOE) a engendré un virage à droite de la politique menée par le gouvernement central à Madrid. La voie privilégiée par le PP depuis un an a été celle de l’austérité, à travers la réduction drastique des dépenses de l’État et des fonds alloués par celui-ci aux communautés autonomes. Suivant les exigences du patronat, le gouvernement a par exemple voté une loi facilitant les licenciements. En matière de santé, une loi a été votée supprimant l’équivalent de la couverture maladie universelle, ce qui implique que les citoyens étrangers 16. En Espagne, les horaires des écoles publiques de la maternelle jusqu’au lycée (en général de 8h à 14h ou 15h), le manque de crèches et l’absence de politique de la petite enfance, rendent aujourd’hui encore plus difficile l’accès des femmes au marché du travail. Non seulement cela se traduit par l’un des taux de fécondité par femme les plus bas d’Europe (1,48 enfants par femme), mais cette situation engendre aussi un chômage intermittent relativement « structurel » ou une absence d’activité professionnelle des femmes peu diplômées. Par exemple, aujourd’hui encore, seule une femme sur deux travaille en Andalousie. 13
(même issus d’autres pays de l’Union Européenne), devront désormais payer pour pouvoir accéder aux soins au sein des hôpitaux publics espagnols. À Madrid, un vaste plan de privatisations de huit hôpitaux a été lancé, créant une grève sans précédent des personnels du secteur hospitalier et des démissions en chaîne. La TVA et les prix du gaz et de l’électricité ont augmenté, le salaire des fonctionnaires a diminué de 10 %, les embauches ont été gelées dans le secteur public et une vaste réforme visant à contenir les moyens des universités est en discussion. Pour autant, cette cure d’austérité n’a pas encore engendré les effets escomptés puisque le chômage continu encore d’augmenter : de 11,3 % en 2008, il est passé à 21,5 % en 2011 puis à 26,6 % de la population active soit 6,15 millions de chômeurs en janvier 2013. Certains analystes considèrent même que la politique d’austérité menée par le PP depuis 2011 n’a fait qu’aggraver la récession. Enfin, les élections catalanes du 25 novembre 2012 se déroulèrent seulement deux ans après la victoire de CiU (38,4 %, 62 sièges) le 28 novembre 2010 et la lourde défaite de la coalition tripartite (PSC, ERC, ICV-EUiA) au pouvoir depuis 2003. Même si la déroute du PSC en 2010 fut sévère (18,3 %, 28 sièges), Artus Mas (CiU) ne parvint pas à obtenir une majorité absolue, de telle sorte que suite à un accord avec le PSC prévoyant l’abstention de ce dernier, il fut investi à la majorité relative. Malgré l’alternance, les élections de 2010 soulignèrent donc un affaiblissement de CiU par rapport à sa position dominante des années 1980 et 1990, de même qu’une fragmentation plus forte du paysage politique catalan (7 partis obtinrent plus de 3 % des voix). Confronté aux effets de la crise économique, Artur Mas décida de soutenir des plans de rigueur budgétaire de 2010 à 2012 ce qui contribua à augmenter l’impopularité de son gouvernement : il réduisit de 10 % les dépenses de fonctionnement des urgences et des hôpitaux, diminua le salaire des employés de la Generalitat, le nombre d’heures de travail (et donc le salaire) des professeurs ainsi que les moyens alloués aux écoles. Cela donna lieu à l’épisode « Iberdrola » lorsque la lumière fut coupée pendant plusieurs jours dans des établissements publics de la province de Gérone suite à des impayés en juin 2011. La dette publique catalane augmenta toutefois de 35 à 50 millions d’euros en l’espace de deux ans, de telle sorte qu’il dut finalement faire appel au fonds de liquidités mis en place par le gouvernement central afin d’éviter à la région de se financer sur les marchés. Malgré les dires des nationalistes catalans, l’obtention de 2 392 millions d’euros d’aide souligne paradoxalement le dilemme de la dette autonomique et la dépendance de la Catalogne à l’égard de l’État central. 4.2. Les nouveaux rapports de force et la question du référendum C’est donc dans ce contexte marqué par le retour de la droite au pouvoir à Madrid et le soutien à des coupes budgétaires par CiU en Catalogne, qu’à peine deux ans après son arrivée à la Generalitat, la popularité du gouvernement d’Artur Mas était déjà largement entamée. Ainsi, lorsque plusieurs centaines de milliers de personnes défilèrent dans les rues de Barcelone le 11 septembre 2012 en l’honneur de la fête nationale catalane, Artur Mas décida d’enclencher un virage politique en cherchant à profiter du souverainisme ambiant. Moins de deux semaines plus tard, prenant acte de la manifestation massive et cherchant à faire oublier sa mauvaise gestion économique, il décida de convoquer des élections anticipées malgré le fait qu’il n’avait alors effectué que la moitié de son mandat, et ce, dans l’espoir d’obtenir une majorité plus ample en mettant clairement la question indépendantiste au cœur de la campagne. Pour autant, CiU perdit environ 25 % de son électorat lors de l’élection de 2012 (de 1 198 000 à 772 000 voix) qui se solda donc par un échec pour le parti au pouvoir, qui loin d’obtenir une majorité absolue, perdit 12 sièges au Parlament. Il est vrai que la poursuite de la déroute du PSC (qui obtint seulement 14,4 % et perdit encore 7 députés) lui facilita grandement les choses. Au-delà de la progression 14
d’ICV-EUiA, du PPC et de Ciutadans ainsi que de l’émergence d’une extrême-gauche mouvementiste (Candidatura d’Unitat Popular, CUP) dans le sillage du mouvement social des indignés et du 15-N, le grand gagnant de l’élection fut la formation indépendantiste d’Oriol Junqueras (ERC) qui doubla sa représentation parlementaire pour devenir le troisième parti le plus voté (de 7 % à 13,7 % et de 10 à 21 sièges). Résultats des élections au Parlement catalan (2010 et 2012) 2010 2012 Convergence et Union (CiU) 38,5 % 62 * 30,8 % 50 Parti des socialistes de Catalogne (PSC) 18,3 % 28 14,4 % 20 Parti populaire de Catalogne (PPC) 12,3 % 18 13 % 19 Gauche républicaine de Catalogne (ERC) 7% 10 13,7 % 21 Initiative pour la Catalogne - Les Verts - Gauche unie et alternative (ICV-EUiA) 7,40 % 10 9,9 % 13 Citoyens -Parti de la citoyenneté (C’s) 3,4 % 3 7,6 % 9 Candidature d’unité populaire (CUP) 3,5 % 3 Solidarité catalane pour l’indépendance (SI) 3,2 % 4 1,3 % 0 * Nombre de sièges Autrement dit, même si les rapports de force entre les partis nationalistes (CiU, ERC et CUP) et non-nationalistes (PPC, PSC, ICV-EUiA et Ciutadans) demeurèrent inchangés puisque chaque bloc obtint 46 % des voix, il s’opéra une redistribution de l’équilibre des forces au sein de chaque bloc. Au sein du camp non-nationaliste, la proposition fédéraliste du PSC s’effondra littéralement au bénéfice partiel d’ICV-EUiA, mais aussi et surtout de la progression du message re-centralisateur du PPC et de Ciutadans. Au contraire, dans le camp des nationalistes catalans, CiU n’a pas réussi à renverser sa mauvaise image associée aux coupes budgétaires et à la crise économique des dernières années. Malgré son virage souverainiste, c’est ERC qui a bénéficié de la dynamique indépendantiste récente (compensant ses échecs en 2010 et lors des élections locales de 2011 où le parti perdit sa représentation dans les grandes villes catalanes). Le nouveau gouvernement de coalition CiU-ERC traduit donc surtout l’affaiblissement du nationalisme autonomiste de CiU et le développement du pouvoir de chantage de la frange indépendantiste représentée par ERC, donnant corps à ce que l’on pourrait considérer comme un type d’« indépendantisme déséquilibré ». Dépendant d’un partenariat avec ERC pour gouverner, CiU (idéologiquement de centre-droit) se voit donc obligé de tempérer son programme de restrictions budgétaires (puisqu’il est associé à un parti de gauche) et de mettre en place un agenda plus souverainiste sur la question nationale. Comme en 2006 lors de la définition du nouveau statut d’autonomie catalan, ERC joue donc aujourd’hui le rôle de « parti charnière » portant la demande d’organisation d’un référendum d’autodétermination en 2014. CiU se voit donc contraint de reprendre cet agenda, même si les développements récents soulignent que l’organisation d’un futur référendum n’est qu’un prétexte non pas pour obtenir l’indépendance, mais pour légitimer socialement de nouveaux transferts de compétences et une autonomie plus forte, par exemple sur les questions fiscales. Conscient qu’un référendum ne peut être juridiquement valable selon la Constitution que s’il concerne l’ensemble du peuple espagnol, ou s’il est organisé en Catalogne avec l’aval 15
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