Le phénomène Bernie Sanders : un socialiste en campagne aux Etats-Unis
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
29 juillet 2015 Iris Deroeux Le phénomène Bernie Sanders : un socialiste en campagne aux Etats-Unis Depuis qu’il a fait son entrée dans la campagne pour les primaires démocrates, Bernie Sanders réjouit et réveille la gauche américaine. Son succès populaire surprend ou dérange. " ", s’affolent les républicains, tandis qu’Hillary Clinton se retrouve – une fois encore – à devoir composer avec un encombrant outsider. Mais qui est-il donc, et pourquoi un tel succès ? Qu’il y ait un candidat de gauche aux primaires démocrates pour les élections présidentielles américaines, cela n’a rien de très exceptionnel. En attestent les candidatures d’Eugene McCarthy, séduisant les étudiants, les pacifistes et les intellectuels lors des élections de 1968, du progressiste George McGovern, en 1972, ou encore d’Howard Dean, en 2004. En revanche, que ce même candidat suscite dès les prémices de sa campagne plus d’enthousiasme de la part des électeurs que tous les autres candidats, républicains ou démocrates, voilà de quoi titiller la curiosité du grand public et des médias. À quinze mois des élections présidentielles de 2016, Bernie Sanders, 73 ans, sénateur indépendant rattaché au groupe parlementaire démocrate, défendant son étiquette de "socialiste" depuis plus de quarante ans, perturbe le train-train d’une campagne électorale qui n’excitait pas vraiment les foules jusque-là. Ces premiers mois ont été marqués par la perspective peu engageante d’un duel Clinton- Bush, l’incompréhensible ballet des candidats républicains – seize à ce jour ! – ou encore le verbiage haineux de l’homme d’affaires et candidat Donald Trump, occupant l’espace médiatique en comparant par exemple les immigrés mexicains à des trafiquants de drogue et des violeurs. Bernie Sanders, actuellement sénateur du Vermont, un État du Nord-Est réputé pour son progressisme et ses produits " ", apporte tout simplement un peu de fraîcheur au débat. Depuis qu’il est entré en campagne, en mai dernier, l’argumentaire qu’il déroule peut se résumer ainsi : les inégalités économiques doivent être combattues en augmentant l’impôt sur les hauts revenus, en doublant le salaire minimum pour qu’il atteigne au moins 15 dollars de l’heure, en contrôlant mieux le secteur bancaire, en luttant contre l’évasion fiscale, en investissant dans l’éducation et en allégeant la dette étudiante ou encore en lançant un nouveau programme de grands travaux. Bernie Sanders se prononce en faveur de politiques sociales-démocrates à l’européenne, citant à l’envi les pays scandinaves (et la France). 1
S’il parle surtout d’économie, il insiste aussi sur la réforme du système de financement des campagnes électorales – sans plafond actuellement – afin de " " qui menace la politique américaine. Il ne manque jamais d’alerter sur les effets du changement climatique et milite en faveur de la transition énergétique. Il s’oppose encore à la collecte massive de données par la NSA. Ce message séduit. Depuis juin, Bernie attire des foules de plus en plus larges, qui débordent systématiquement des auditoriums prévus pour l’occasion : 2 600 personnes dans l’Iowa, 3 000 personnes dans le Minnesota, 10 000 personnes dans le Wisconsin début juillet et 11 000 personnes à Phoenix en Arizona, samedi dernier… Ici, une vidéo de son meeting de campagne à Madison dans le Wisconsin : Essayez de regarder cette vidéo sur www.youtube.com Aucun autre candidat démocrate ou républicain n’a réussi à rassembler à ce jour un tel public. Sa cote de popularité dans les sondages suit la même courbe ascendante : en un mois, il est passé de 8 à 15 % des intentions de vote des électeurs se disant démocrates. Si cette percée est remarquable, Bernie Sanders reste cependant loin derrière la candidate de choix des cadres du parti démocrate, Hillary Clinton, qui recueille à ce jour plus de 60 % des intentions de vote. À comparer leurs comptes de campagne, on a même du mal à croire qu’ils jouent dans la même catégorie. Bernie Sanders a levé 15,2 millions de dollars de fonds provenant uniquement de petits donateurs, puisqu’il refuse catégoriquement l’argent des " "1 qui se déverse sur les 1 En 2010, la Cour suprême américaine rend l’arrêt "Citoyens unis contre la commission élection électorale fédérale", qui permet désormais à tout entreprise, syndicat ou individu de financer sans limite de fonds des comités d’action politique – surnommés "PAC" –, afin de venir en aide au candidat de leur choix. Concrètement, cela permet à de riches entrepreneurs d’investir des millions de dollars dans de coûteux spots publicitaires ou des campagnes d’affichage servant notamment à dénigrer les candidats faisant de l’ombre à leur favori. Cette tendance est encore plus marquée dans le camp républicain que chez les démocrates. 2
campagnes américaines depuis 2010. Le comité de campagne d’Hillary Clinton en est lui à 47,5 millions de dollars… Dans ce contexte, aucun expert de la vie politique américaine n’envisage pour le moment que Bernie Sanders remporte les primaires démocrates ou devienne le prochain président des États-Unis. Le succès de Bernie Sanders, c’est d’abord l’expression d’une contestation, d’une défiance à l’égard des candidats de l'" ", comme Hillary Clinton, d’un rejet de la tiédeur centriste du parti démocrate sur les questions économiques. Il se retrouve à porter la colère et l’espoir d’une portion de l’électorat qui aurait pu tout aussi bien se ranger derrière la candidature d’une Elizabeth Warren, sénatrice démocrate dénonçant avec fougue les errements du néolibéralisme et le pouvoir de l’industrie bancaire. Sauf que, malgré sa popularité, celle-ci a choisi de ne pas entrer dans la mêlée. Bernie, lui, n’a pas hésité à entrer dans la campagne, en ayant toute la légitimité nécessaire pour occuper le vide laissé à gauche. Il note que le mouvement Occupy Wall Street a préparé le terrain, que le débat sur le creusement des inégalités est de mieux en mieux relayé par les médias (nous en parlions ici). Les sondages indiquent en outre un glissement à gauche d’une partie de l’électorat démocrate : selon une étude de l'institut Gallup, le pourcentage de démocrates s’identifiant comme " " (au sens américain du terme, c’est-à-dire de tendance sociale-démocrate) sur les questions sociales et économiques a augmenté de 17 points depuis 2001. Né dans une famille juive de Brooklyn, à New York, Bernie Sanders s’installe dans le Vermont dans les années 1960 en même temps qu’une vague de hippies prônant le retour à la nature. Dans ses bagages, quelques années de militantisme anti-guerre du Vietnam à l’université de Chicago, une passion pour la chose publique et un intérêt soutenu pour la théorie marxiste. Il rejoint rapidement un petit parti de gauche, fondé en 1970, nommé le Liberty Union Party et se définissant comme pacifique et " ". Dédié à la politique, enchaînant les petits boulots pour survivre, Bernie Sanders se présente à plusieurs élections sénatoriales, perd à chaque fois, puis, à partir de 1976, poursuit son chemin hors du parti en tant qu’indépendant solidement ancré à gauche. Une étiquette qu’il conserve aujourd’hui. 3
Bernie Sanders en meeting à Washington, le 22 juillet 2015. © Reuters Sa première victoire, celle qui le lance enfin, date de 1981 : avec seulement dix voix d’avance, il remporte la mairie de Burlington. Son message de l’époque ? Autrement dit, les grands groupes immobiliers ne doivent pas s’approprier le centre-ville, Burlington doit rester une ville accessible aux classes moyennes et populaires. Sa gestion municipale convainc les habitants et il est réélu pour trois mandats successifs. Des années au cours desquelles il visite le Nicaragua, soutient le régime sandiniste, et initie le jumelage de Burlington avec la ville de Iaroslavl en Union soviétique. La prochaine étape est logiquement Washington : il est élu représentant du Vermont à la Chambre de représentants, en 1990. C’est le premier indépendant élu en quarante ans. Il choisit cependant d’être affilié au groupe parlementaire démocrate, ce qui signifie qu’il suit le vote démocrate sur un grand nombre de textes de lois. Il a d'ailleurs créé un groupe d’élus démocrates progressistes au Congrès, qui existe toujours (ici). En 2006, il poursuit sa percée et devient cette fois-ci sénateur du Vermont, un siège qu’il occupe toujours. Encore une fois, son étiquette indépendante n’est pas un obstacle, il est soutenu par les démocrates les plus progressistes. Vote après vote, débat après débat, Sanders incarne ainsi parfaitement l’aile gauche du parti : il est opposé aux interventions en Irak, en 1991 comme en 2002 ; il est opposé au Patriot Act ; opposé aux coupes budgétaires et baisses d’impôt qui affectent démesurément les plus démunis ; il défend bec et ongles la transition énergétique et s’oppose à la construction de l’oléoduc Keystone XL (dont nous parlions ici)… Après l’élection de Barack Obama en 2008, il devient un ardent défenseur de la réforme de l’assurance santé, militant pour un système entièrement géré par l’État (à savoir un système à la française ; mais cette idée sera abandonnée face à l’opposition républicaine et les assurances privées garderont un rôle de premier plan dans la couverture maladie des Américains). Il milite alors pour que l’État investisse plus dans le réseau de centres de soins communautaires du pays acceptant les patients quels que soient leurs revenus, et son combat porte ses fruits. Sa constance et sa rigueur depuis son entrée en politique font qu’il est aujourd’hui difficile de douter de la sincérité de ses idéaux, de son engagement. C’est là sa force, notamment face à une Hillary Clinton souffrant de son image de reine des compromis et des petits arrangements entre amis. Cependant, son argumentaire n’est pas sans faiblesse. Ayant tendance à tout ramener à l’économie, il fait ainsi souvent l’impasse sur les questions identitaires, qui ont pris une très large place dans le débat américain. Autrement dit, comment le fait d’être homosexuel, hispanique ou afro-américain 4
transforme son expérience de citoyen américain et donne lieu à des formes de discrimination particulières. Cela explique en partie les doutes exprimés par des experts de la vie politique américaine, comme Daniel Pfeiffer dans le Washington Post. Comparant les candidatures de deux outsiders, Barack Obama en 2008 et Bernie Sanders aujourd’hui, l’ancien conseiller en communication du président sortant tranche : Sanders n’est pas Obama, il aura beaucoup de mal à rassembler au fil de sa campagne une large coalition " ", à parler aux électeurs modérés du parti, à avoir la même popularité auprès de l’électorat hispanique et surtout afro-américain. Une analyse qui n’empêche pas, en conclusion, Daniel Pfeiffer de tempérer son propos et de rappeler que " ". À ce stade, la candidature de Bernie Sanders a le mérite d’insuffler une dose d’optimisme dans la politique américaine. C’est déjà beaucoup. 5
Vous pouvez aussi lire