Le printemps 2075 en Arctique : des conjectures éclairées - Commission canadienne ...
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Le printemps 2075 en Arctique : des conjectures éclairées Préparé pour la Commission canadienne et du Royaume-Uni pour l’UNESCO David J Drewry Ottawa, Canada, mai 2020
D’autres suggestions de lecture : Une introduction à la Recommandation révisée de l’UNESCO sur la science et les chercheurs scientifiques https://fr.ccunesco.ca//media/Files/Unesco/Resources/2018/11/IntroductionALaRecommandationRevis eeUNESCOConcernantLaScienceEtLesChercheursScientifiques.pdf (2018) La science, un droit humain ? Mettre en œuvre le principe d’une science participative, équitable, et accessible à tous https://fr.ccunesco.ca/-/media/Files/Unesco/Resources/2019/10/LaScienceUnDroitHumain.pdf (2019) La science dans tous ses états. La Recommandation concernant la science et les chercheurs scientifiques de l'UNESCO : questions, défis et opportunités https://fr.ccunesco.ca//media/Files/Unesco/OurThemes/EncouragingInnovation/IdeaLab/DocumentDe ReflexionMicheleStanton-Jean.pdf (2019) Crédit photo : Eaux libres le long de la route maritime du Nord, archipel François-Joseph, Russie (D. J. Drewry) Pour citer cet article : DREWRY J. David, « Le printemps 2075 en Arctique : des conjectures éclairées », IdéesLab de la Commission canadienne pour l’UNESCO, Ottawa, Canada, mai 2020. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle des Commissions canadienne et du Royaume-Uni pour l’UNESCO. II
Table des matières Avant-propos ............................................................................................................................................... IV Auteur .......................................................................................................................................................... IV Les eaux libres du Nord................................................................................................................................. 1 Le Canada attend son heure ......................................................................................................................... 2 Renaissance sibérienne : du goulag aux gadgets .......................................................................................... 3 La nouvelle « Ruée vers le Nord » ................................................................................................................. 4 Réflexions et science ..................................................................................................................................... 5 III
Avant-propos Dans ce document de réflexion IdéesLab, le professeur David J. Drewry présente un monde en 2075 radicalement transformé par les changements climatiques. Les États du Sud des États-Unis sont inhabitables, dévastés par la chaleur et la sécheresse. Des millions de Nord-Américains se sont déplacés vers le Nord il y a des années, lorsque les réservoirs et les aquifères se sont épuisés et que le coût de l'importation d'eau est devenu intenable. Le canal de Panama est plus souvent fermé qu'ouvert en raison d'un manque d'eau. Le Moyen-Orient ne s'est pas remis de la famine et des conflits d'il y a dix ans. Les grandes villes et les ports européens ont été dévastés par des inondations, l'élévation du niveau de la mer et de violentes tempêtes. Les glaces de l’océan Arctique ne se forment plus en dehors des mois d'hiver. Fondé sur des données scientifiques, le scénario du professeur Drewry met en scène cette nouvelle "route maritime du Nord" dont on entend de plus en plus parler. Cette route se veut plus rapide et plus efficace; elle est rendue possible par cette énorme croissance de l'agriculture, de la connaissance et des industries technologiques dans les régions nordiques. Mais attention, cette véritable « Ruée vers le Nord » - est un avertissement subversif pour nous tous. Alors qu'en 2075, les régions septentrionales de notre monde pourraient profiter du potentiel économique et social et des avantages engendrés par le réchauffement global de la planète, la dévastation résultant de l'ignorance de l'urgence climatique imminente en 2020, les progrès insuffisants dans la réalisation des objectifs de développement durable pour 2030 et les occasions manquées d'innover et de réimaginer le monde tel qu'il émergeait de la pandémie de Covid-19 de 2020, ont entraîné des coûts trop importants pour être supportés. Nous espérons que vous tirerez profit de la lecture de cet IdéesLab dont l’objectif premier reste de provoquer la réflexion. Il est le résultat d'une grande amitié et d'une collaboration entre deux Commissions nationales pour l'UNESCO qui ont uni leurs forces pour faire avancer une réflexion qui se doit d’être critique et qui nous invite, surtout, à rêver d'un avenir meilleur et plus durable. Sébastien Goupil James Bridge Secrétaire général canadien Secrétaire général britannique Auteur Le professeur David Drewry est administrateur indépendant pour les Sciences naturelles à la Commission nationale du Royaume-Uni pour l’UNESCO et membre honoraire du Collège Emmanuel de l’Université Cambridge. Il a été président du Comité international pour les sciences arctiques et membre du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). IV
Les eaux libres du Nord On est en 2075 et Yang Hai, le capitaine du « Ice Dragon16 », un navire cargo de Cosco, traverse le détroit de Béring en route vers sa destination, la ville de Kristiansand, en Norvège. Son vaisseau est l’un des 30 navires renforcés pour la navigation dans les glaces que les Chinois ont construits au cours des dix dernières années pour des voyages dans l’Arctique, le long de la très fréquentée route maritime du Nord (RMN). Avec ses 40 000 tonnes, le « Ice Dragon16 » n’est pas grand au regard des normes modernes, et sa proue a été renforcée pour la navigation dans les glaces. Cela se faisait rarement il y a cinquante ans, mais aujourd’hui, le cargo de Yang parcourt les mers de l’Océan Arctique pendant six ou sept mois de l’année. Comme ses navires-frères, il est doté d’un système de propulsion nucléaire. Les moteurs diesel marins ne sont plus utilisés depuis des années, tous les navires devant être propulsés par des technologies d’énergie propre. La Russie a été à l’avant-garde de ces développements et en a clairement bénéficié, surtout au début. Cela s’est fait dans la foulée du succès de ses brise-glaces nucléaires, à mesure que la transition vers le nucléaire se révélait incontournable. Les premières unités nucléaires ont été installées sur des navires marchands au début du siècle, à commencer par le « Sevmorput1 ». L’hégémonie russe n’a toutefois duré que quelques décennies puisque la Chine s’est activée dans la production de ses propres réacteurs nucléaires2, et elle commande maintenant la plus grande flotte de ce type de navires. De nombreux brise-glaces russes ont été démolis ou mis en attente en vue d’être utilisés uniquement pendant les quelques mois d’hiver où il y a de la glace. Yang transporte des conteneurs de marchandises diverses vers l’Europe, depuis les villes de l’est de la Chine, principalement Shanghai, dans le sud, et Dalian, sa ville de résidence dans le Nord. Il adore les ports du sud de la Norvège, qui sont aujourd’hui parmi les plus grands de la planète. Rotterdam a été en partie détruite il y a une décennie, alors que la hausse du niveau des mers et de fortes tempêtes ont inondé des parcelles de basses terres adjacentes aux Pays-Bas et compromis ce grand port maritime. La voie arctique a coupé d’au moins un tiers le parcours entre la Chine et l’Europe, ce qui a considérablement réduit l’énergie nécessaire pour accomplir ce trajet ainsi que la durée des escales3 (voir la Figure 1). Depuis ses débuts, Yang, un jeune sexagénaire, a été témoin de l’ouverture progressive et spectaculaire de la route maritime du Nord. Sur l’écran de son téléphone, il nous montre une section d’un document d’information dans le Arctic Pilot où on explique comment la glace dans la mer Arctique a progressivement diminué depuis le début du siècle. « Regardez, dit-il. La décomposition s’est amorcée lentement il y a cinquante ans, lorsque la glace a commencé à reculer vers le pôle Nord. Nous, les marins, nous en avions entendu parler, et les Russes étaient impatients de nous voir utiliser leurs eaux côtières durant l’été pour accéder aux ports de l’Ouest. Au début, bien sûr, ils nous demandaient des frais importants pour leur soutien logistique et de navigation, mais nous faisions quand même beaucoup d’argent. Aujourd’hui, à l’été, nous pouvons traverser l’océan Arctique en passant par le pôle Nord et éviter de payer. » Aujourd’hui, la RMN est une route commerciale très active qui accueille presque autant de fret que la vieille route maritime du canal de Suez. Le Moyen-Orient est devenu une région sans espoir et dangereuse, ravagée par les guerres qui ont détruit ses infrastructures et ses villes au milieu des années 2040. De graves sécheresses ont forcé des millions de personnes à quitter la région et ont freiné la reconstruction des villes et des villages4. Les Nations Unies patrouillent cette voie navigable massivement puisqu’il s’agit toujours d’un lien essentiel vers les pays de l’Afrique de l’Est et de l’Asie du Sud. 1
La fermeture régulière du canal de Panama, souvent pendant plusieurs mois, est un autre facteur important. Elle a forcé les compagnies de transport maritime à chercher d’autres routes commerciales. En Amérique centrale, le lac Gatùn est au cœur du système du canal de Panama puisqu’il fournit les immenses quantités d’eau nécessaires pour faire fonctionner les écluses. Or, depuis plusieurs décennies, le lac reçoit beaucoup moins de pluie, ce qui a réduit les niveaux de l’eau. Le rabattement progressif du lac a compromis les opérations de transport maritime5. La réduction du nombre de navires en circulation et l’introduction d’un système de quotas, combinées à une hausse des frais, ont fait de cette voie navigable critique entre les océans une option de moins en moins attrayante. Alors que les changements climatiques ont eu un impact négatif sur la route du canal de Panama, ils ont aussi ouvert la route maritime du Nord. La Russie a ainsi bénéficié grandement du réchauffement planétaire. Même dans les années 2020, il était évident que la Sibérie profiterait de gains économiques à mesure que l’habitabilité, l’agriculture et le transport se déplaceraient progressivement et rapidement vers le Nord. « La route maritime du Nord sera la clé du développement de l’Arctique russe et des régions de l’Extrême-Orient. D’ici 2025, le trafic maritime y aura décuplé pour atteindre 80 millions de tonnes », affirmait Vladimir Poutine dès 20186. Cet optimisme et la position avantageuse de grandes étendues du Nord circumpolaire contrastent avec les répercussions négatives profondes, durables et généralisées du réchauffement planétaire sur le monde naturel et l’habitabilité pour les humains. En effet, des crises sociales, économiques, sanitaires et politiques secouent une grande partie de la planète et se sont intensifiées au cours des cinquante dernières années7. Le Canada attend son heure Plus complexe, la route maritime de l’Arctique par le passage du Nord-Ouest est depuis longtemps une source de frustration pour les Canadiens8. Bien que cet itinéraire indirect empruntant des canaux et des détroits soit utilisé depuis de nombreuses années, le mauvais temps, le piètre état des glaces et les dangers de navigation ont réduit son attractivité comparativement à la RMN (Figure 1). En outre, des litiges irrésolus avec les États-Unis concernant la territorialité de ces eaux sont considérés comme un obstacle par certains exploitants de navires9. Les Canadiens imposent des frais pour les installations de navigation et l’aide d’urgence de brise-glace, en plus d’imposer une taxe verte aux navires. Même si ces mesures et l’autorité générale du Canada dans cette région sont contestées par Washington depuis près d’un demi-siècle, on n’a toujours pas répondu de façon satisfaisante à la revendication américaine des « eaux internationales ». Jusqu’à maintenant, la faible densité du trafic a permis aux Canadiens de se soustraire aux contestations de Washington concernant la « haute mer ». Les gouvernements inuits et des Premières Nations ont eux aussi compliqué les relations avec les Américains, leurs représentants affirmant depuis un certain temps leur indépendance et leur rôle important dans les négociations. L’issue de ces enjeux n’est pas encore connue. Le trafic considérable entre la Chine et l’Europe de l’Ouest (ainsi que la côte est de l’Amérique du Nord) est un facteur d’une importance primordiale en faveur de la RMN. Et la Chine ne s’est pas contentée d’être un marchand passif à ce chapitre. Voilà un demi-siècle que Beijing a qualifié la Chine d’« État quasi arctique10 », soulevant l’incrédulité des nations circumpolaires. Faisant montre de sa puissance économique et militaire, la Chine a mis en œuvre et lancé de nombreuses expéditions de recherche dans l’océan Arctique après avoir bâti une flotte de navires de certification glace élevée pour soutenir 2
son trafic commercial. Ces actions de même que le soutien de la Russie ont fini par mener à son accession au Conseil de l’Arctique en 2035, malgré le peu d’enthousiasme des autres membres. Figure 1. Les principales routes maritimes traversant l’océan Arctique - D J Drewry (N. B. — La RMN stricto sensu passe par un grand nombre des ports russes désignés.) Certains ports ne sont pas indiqués sur cette carte. « Tuk » désigne Tuktoyaktuk, (carte disponible en anglais seulement). Renaissance sibérienne : du goulag aux gadgets La domination chinoise et russe sur les voies commerciales de l’Arctique a donné lieu à des commodités portuaires financées par ces deux pays sur les côtes de la Sibérie, dans le prolongement de l’initiative Belt-and-Road (la Ceinture et la Route) lancée plusieurs décennies plus tôt sous le nom prosaïque de « Route polaire de la soie11 ». Ces installations sont d’une importance capitale pour l’activité industrielle et agricole croissante dans le sud, où le défrichement de grandes étendues de forêts septentrionales a progressivement entraîné d’énormes changements économiques et sociaux. Le nord de la Russie est l’une des régions qui ont connu le réchauffement le plus rapide, et diverses autorités régionales se sont précipitées pour tirer profit des meilleures conditions. Villages et petites villes ont vu le jour là où il n’y avait autrefois que la taïga. Une main d’œuvre immigrante est arrivée du centre et du sud de la Russie, où la désertification a dévasté les moyens de subsistance et les communautés. Beaucoup de travailleurs chinois se sont aussi retrouvés ici à la suite d’une entente pour réduire les tensions entourant la région frontalière de la Mandchourie. L’Ob, l’Ienisseï et la Léna, des fleuves qui servaient autrefois au transport 3
saisonnier du bois, sont aujourd’hui des voies navigables desservant la RMN en biens technologiques et en grands volumes de denrées alimentaires, à la fois crues et transformées. Sergei Yanovich travaille dans un centre de bio-ingénierie à Volkhov, à quelque 400 km au nord de Krasnoïarsk. Il s’y est installé en tant que pionnier en 2055 et est technicien en laboratoire. Ici, une multitude de nouveaux composés bioactifs sont dérivés de diverses variétés de plantes nordiques, dont un grand nombre proviennent de la plaine de Sibérie occidentale. Même si les changements climatiques ont réduit le nombre d’espèces végétales dans le monde12, la zone subarctique et certaines régions arctiques offrent de nouvelles sources précieuses pour l’industrie pharmaceutique. « C’est un véritable travail de pionnier dans un environnement de pionnier, dit-il. Les conditions climatiques ne sont pas aussi extrêmes ici que dans l’est, mais il y a une abondance de moustiques à l’été. Nous sommes bien payés et notre qualité de vie est bonne. La ville la plus proche est Krasnoïarsk, mais on y trouve maintenant un lien ferroviaire et on peut y prendre l’avion pour se rendre dans d’autres villes de la Russie, ainsi qu’au Japon et en Chine. » La nouvelle « Ruée vers le Nord » Rick Burton n’en croit pas sa chance. Son arrière-grand-père s’est installé dans le nord de la Saskatchewan après avoir acheté des acres de terrains sur la rivière Churchill. Les vastes terres recouvertes de forêts y étaient bon marché, mais les hivers y étaient glaciaux et la région était pratiquement inhabitée. Malgré son vaste terrain de 20 000 acres (environ 8 000 hectares), c’était une vie dure passée à couper du bois, à chasser et à être plus ou moins autosuffisant. Après deux générations d’épreuves, le vent a tourné. Le gouvernement provincial, à Regina, a désigné trois régions pour de nouveaux peuplements axés sur l’investissement industriel et dans les hautes technologies, et les terres de Rick se trouvent dans l’une de ces régions. Les mouvements de population énormes et incessants vers le nord ont créé de nouvelles occasions dans le nord des Prairies. Au début, de nombreux Américains arrivaient des États du sud, cruellement dévastés par la sécheresse et la chaleur13. Mais cette immigration a commencé à submerger de nombreuses petites communautés, et les autorités fédérales ont fini par fermer la frontière aux citoyens américains, parmi d’autres, dans les années 2050. Cette mesure sans précédent était plus draconienne encore que celles prises après les attaques du 11 septembre à New York et pendant la crise de la COVID-19 en 202014. Il y a eu beaucoup d’affrontements et d’escarmouches le long du 49e parallèle jusqu’à ce que le mouvement vers le nord se redirige vers l’Alaska. Dans les étendues nordiques de la Russie et du Canada, les économies sont florissantes en raison de l’amélioration du climat. Depuis trois décennies, les gouvernements saisissent les nouvelles occasions créées par la hausse des températures, l’allongement de la saison de culture et les conditions de vie généralement meilleures. Ils encouragent les investissements, et des fonds fédéraux sont utilisés pour aider les entreprises commerciales. L’industrie de la construction a été la première à en profiter avec l’établissement de nouveaux accès routiers, d’aéroports et d’infrastructures urbaines. Des milliers de travailleurs ont été domiciliés dans le nord pour travailler à ces projets, un peu comme ceux qui se sont installés sur le versant nord de l’Alaska, dans la plaine de la Sibérie occidentale et au Moyen-Orient au XXe siècle, à l’heure de gloire de l’industrie pétrolière et gazière. On a construit des pipelines pour transporter de l’eau douce des innombrables lacs canadiens vers les communautés américaines au sud. De nombreux travailleurs sont restés après la fin de leurs contrats, attirés par les occasions de plus en plus nombreuses dans les nouveaux quartiers. De jeunes femmes et de jeunes hommes remplis de 4
talent et d’ambition s’établissent dans le nord pour échapper aux problèmes environnementaux, politiques et sociaux persistants au cœur des Amériques. Le nouveau mode de vie, l’environnement propre et les grands espaces ainsi que les possibilités dans les industries des technologies et du savoir ont été des forces d’attraction puissantes. Certains appellent ces nouveaux arrivants au milieu du siècle les « nouveaux Klondikers », et le mouvement général, la « Ruée vers le Nord ». En revanche, il y a de nombreuses villes abandonnées dans les États du sud, qui n’ont étonnamment pas perdu toute leur valeur commerciale. L’obligation politique et économique d’abandonner les sources d’énergie émettrices de carbone ainsi que la demande de sources d’énergie renouvelable ont ouvert la porte à de nouvelles possibilités. Aujourd’hui poussiéreuses, sèches et désertées, les vastes étendues de terre qui traversent le Texas, le Nouveau-Mexique, l’Arizona et le sud de la Californie accueillent des parcs solaires. L’efficacité accrue des unités solaires et la demande en forte croissance d’énergie renouvelable ont transformé le paysage de façon spectaculaire. Des drones et des androïdes patrouillent des rangées apparemment infinies de méga-panneaux. Menacés par les tempêtes de poussière violentes et persistantes qui s’abattent sur ce paysage aride, ils doivent sans relâche surveiller et maintenir ces installations vitales. Parc solaire dans le désert des Mojaves, Californie (par l’entremise de ShutterStock) Réflexions et science Cette brève exploration imaginaire et très sélective des futures répercussions possibles des changements climatiques mondiaux continus, accélérés et de plus en plus extrêmes met l’accent sur divers effets positifs. Il est évident que les changements climatiques auront des répercussions graves, 5
considérables et très dommageables partout sur la planète. Les inondations, les canicules, les sécheresses, les feux incontrôlés, les tempêtes accrues, la hausse des niveaux des mers et autres effets négatifs sont souvent présentés comme les seules conséquences de notre culture du carbone. En aucun cas une discussion sur les effets positifs des changements climatiques ne doit-elle être considérée comme une tentative de minimiser l’urgence de réduire radicalement la charge de carbone dans l’atmosphère, d’atténuer les pires répercussions de la hausse des températures et de s’adapter à un avenir différent. Néanmoins, si elles entraînent des catastrophes, les modifications à notre climat présentent aussi de nouvelles occasions à saisir. De grandes étendues de notre planète embrasseront le réchauffement en même temps que ses avantages économiques et sociaux ainsi que le potentiel emballant qu’il apporte. Cet article met en évidence certains de ces points positifs en se fondant sur de récentes analyses scientifiques menées par des organismes internationaux et régionaux et rendus largement accessibles au public15. L’analyse du GIEC doit être considérée comme la plus fiable, puisqu’elle se fonde sur des points de vue qui font l’objet d’un large consensus parmi des scientifiques compétents. Bien que notre compréhension des processus de changements climatiques constitue une approximation raisonnable de premier ordre, nous perfectionnons continuellement les estimations en y incorporant de nouvelles données, les résultats des recherches et les imprévus. Le Nord circumpolaire est l’une des régions qui bénéficieront des changements climatiques sur le plan du développement socioéconomique. Déjà, la route maritime du Nord connaît un développement rapide16. Depuis un demi-siècle, la couverture de glace de mer diminue de 12 à 13 % par décennie et elle a atteint de nouveaux minimums en 2012 et en 201917. L’âge de la glace dans l’Arctique diminue sans arrêt, et la glace épaisse âgée de 4 ou 5 ans qui se trouve au Nord du Groenland et des îles arctiques canadiennes, considérée comme étant la plus stable, a commencé à se désintégrer. Plusieurs scientifiques prévoient que la glace marine dans l’Océan Arctique disparaîtra complètement à l’été d’ici le milieu du siècle18. Cette réduction de plus en plus rapide est due, en partie, au remplacement de la glace marine « blanche » très réfléchissante par la surface océanique plus foncée, qui absorbe beaucoup plus de chaleur atmosphérique et crée une rétroaction positive. Ce phénomène a été décrit par Mikhail Budyko dès la fin des années 1960 et le début des années 197019. En concomitance avec i) la perte de glace marine, ii) l’augmentation de la superficie d’eaux libres, iii) la réduction des effets isolants d’une glace marine automnale plus mince, il y a eu une augmentation importante des températures de l’air dans les terres arctiques20. Ce phénomène a également été amplifié par la réduction constante et considérable du manteau neigeux et la perte de ses effets réfléchissants et isolants, semblables à ceux de la glace. Par conséquent, les régions nordiques de l’Amérique du Nord continentale, de la Russie et de la Scandinavie connaissent un réchauffement deux fois plus rapide que la moyenne mondiale. Cela est apparent dans la Figure 2, qui montre les changements touchant les températures annuelles au Canada entre 1948 et 2016; dans le Nord, la hausse a atteint 2,3oC21. Les températures ici pourraient grimper de 5 à 6oC d’ici la fin du siècle environ. 6
Figure 2. Changements annuels des températures entre 1948 et 2016 (Rapport sur le climat changeant du Canada 201922) L’une des nombreuses conséquences du réchauffement planétaire a été le mouvement des frontières biogéographiques. Des données démontrent la migration vers le nord de la limite forestière au rythme de 1 à 3 km par année même si de nombreux facteurs mènent à des variations importantes et qu’il y a des décalages considérables avec la hausse des températures23. La saison de croissance des cultures s’est beaucoup allongée en conséquence. En Alaska, dans la région de Fairbanks, on a observé une augmentation de 45 % des jours de croissance depuis le début du XXe siècle, avec une augmentation correspondante de la capacité à cultiver de nouvelles variétés. Entre 2012 et 2017, il y a eu une augmentation de 30 % du nombre de fermes, principalement de petites exploitations24. Les entreprises et les gouvernements doivent tenir compte de ces transformations et évaluer les avantages et les occasions qui s’accroîtront sans doute dans certains secteurs et certaines régions géographiques. La réaction inconsidérée à l’« urgence climatique » a empêché les autorités d’avoir une vue d’ensemble, et une vision à court terme a détourné le regard de l’industrie, ce qui place certains pays en position pour tirer pleinement profit de la situation. 1 W. Davis, « SEVMORPUT Completes Trials After Overhaul; Signs for the Future », Energy Central, 31 décembre 2015. 2 Adam Minter, « The Next Chernobyl Could Be at Sea: Russia and China are leading a push to put nuclear reactors on mobile floating platforms. Rules need to catch up. », Bloomberg, 16 août 2019. 3 La distance entre Shanghai et Rotterdam est de 12 000 milles marins (NM) en passant par la vieille route du canal de Suez. La distance à parcourir en passant par la RMN est de 7500 NM, ce qui se traduit par une réduction du temps de navigation d’environ 15 ou 16 jours. 4 Réchauffement planétaire de 1,5 °C : Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté (https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special- Report-1.5-SPM_fr.pdf). 7
5 « Panama Canal reduces slots for ships due to droughts », Reuters Environment, 13 janvier 2020. « Climate change threatens the Panama Canal », Economist, 21 septembre 2019. 6 « Russia’s Vladimir Putin outlines ambitious Arctic expansion program », Associated Press, septembre 2019. 7 D. Wallace-Wells, The Uninhabitable Earth, Penguin Books, 2019, 320 p.; David Drewry, « Tomorrow’s Earth: 2055 », The Oracle Partnership, 2020. (https://oraclepartnership.com/long-reads/tomorrows-earth-2055/) 8 Willy Østreng et coll., « The Northeast, Northwest and Transpolar Passages in comparison » dans Shipping in Arctic Waters: a comparison of the Northeast, Northwest and Trans Polar Passages, 2013, Springer-Verlag, p. 299– 353. 9 Danita Catherine Burke, International Disputes and Cultural Ideas in the Canadian Arctic, Palgrave, 2018. D. Pharand, Canada’s Arctic waters in international law, CUP, 1988, 288 p. 10 « China defines itself as a "near-arctic state" », Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, 2012. 11 « China’s Arctic Policy », Bureau de l’information du Conseil des affaires d’État de la Chine, janvier 2018, première édition 2018 (english.gov.cn). 12 I. M. Maclean et R. J. Wilson, « Recent ecological responses to climate change support predictions of high extinction risk », Proc Natl Acad. Sci. vol. 108, no 30, 2011, 12337-42. 13 A. P. Williams et coll., « Large contribution from anthropogenic warming to an emerging North American megadrought », Science, vol. 368 (6488), 2020, p. 314-318. 14 M. L. Carpentier, Canada and 9/11: Border Security In a New Era, thèse de maîtrise présentée à l’Université de la Saskatchewan, 2007, 104 p.; Federal Register, document 85FR16548, 20 mars 2020 (Notification of Temporary Travel Restrictions Applicable to Land Ports of Entry and Ferries Service Between the United States and Canada) 15 T. Stocker et coll., Climate Change 2013: The Physical Science basis, Contribution of Working Group I to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge University Press, Cambridge, New York, 2013; US Global Change Program, Climate Science Special Report (nca2018.globalchange.gov); N. Stern, The Economics of Climate Change, 2017, CUP692pp; ACIA, Arctic Climate Impact Assessment. ACIA Overview report. CUP, 2005, 1020 p. 16 D. J. Drewry, « North to the Orient: the Northern Sea Route and Climate Change » dans R. Naukova et M. Panstwo Gryzbowski, Demokratyczne, Prawne I Socjalne, tome 4, Cracovie, 2013, p. 781-796. 17 State of the Cryosphere, National Snow and Ice Data Center, octobre 2019. 18 P. Wadhams, A Farewell to Ice: a report from the Arctic, OUP, 2017. 19 M. I. Budyko, « The effect of solar radiation variation on the climate of the Earth », Tellus, vol. 21, no 5, 1969, p. 611–619. 20 Lawrence et coll., « Accelerated Arctic land warming and permafrost degradation during rapid sea ice loss », Geophysical Research Letters, vol. 35, no 11, 2008 (https://doi.org/10.1029/2008GL033985). 21 Bush, E. et Lemmen, D.S., éditeurs.: Rapport sur le climat changeant du Canada, gouvernement du Canada, Ottawa, Ontario, 2019, 444 p. 22 Bush, E. et Lemmen, D.S., éditeurs.: Rapport sur le climat changeant du Canada, gouvernement du Canada, Ottawa, Ontario,2019, p 126 23 L. Biosvert-Marsh, C. Perie et S. de Blois, « Shifting with climate? Evidence for recent changes in tree species distribution at high latitudes », Ecosphere, vol. 5, no 7, 2014, p. 1–33. 24 R. Thoman et J. E. Walsh, Alaska’s changing environment: documenting Alaska’s physical and biological changes through observations, McFarland H R, Ed. International Arctic Research Center, University of Alaska Fairbanks, 2019; A. Arndt Kyle et coll., « Arctic greening associated with lengthening growing seasons in Northern Alaska », Environmental Research Letters, vol. 14, no 12, 2019; Y. Rosen, « Climate change is fuelling a farming boom in Alaska », In These Times, 2019. 8
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