LE PROBLÈME NATIONALITAIRE EN ESPAGNE

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       LE PROBLÈME NATIONALITAIRE EN ESPAGNE
                                  Antoni Rovira i Virgili

Text redactat et 1947, per a un monogràfic de Les temps modernes, de Paris, sobre l’Estat espanyol,
que no arribà a aparèixer.

                      Trois nationalités contre l'État Unitaire

À l'époque contemporaine, on a vu dans l'État espagnol trois
renaissances particularistes: celles de la Catalogne, de la Galice et du
Pays basque, qui ont abouti à la revendication politique de l'autonomie.

Renaissances nationales, régionales ou provinciales? Ces trois peuples
sont-ils des nationalités, des régions ou des provinces? C'est à discuter
si l'on veut. Mais il y a un fait: les Catalans, les Basques et les
Galiciens ont exprimé maintes fois, vigoureusement, leur désir et leur
volonté de posséder des institutions leur permettant de se gouverner
eux-mêmes en tout ce qui concerne leur vie interne.

Pour ceux qui connaissent suffisamment le passé et la réalité actuelle
de la péninsule ibérique, le caractère national ou «nationalitaire» de ces
mouvements ne peut offrir aucun doute. Il s'agit de manifestations
ibériques du mouvement général des nationalités qui a rempli une
grande partie de l'histoire contemporaine de l'Europe et grâce auquel
des peuples ensevelis par leur effondrement historique ou dominés par
la force, se sont dressés à nouveau en clamant leur liberté.

Le mouvement national et le mouvement libéral sont apparus comme
dérivés du même principe. S'il y a des droits pour les hommes, il y a
des droits pour les peuples, et ces derniers droits ne sont qu'une forme
des premiers. Le vrai sujet des libertés humaines est toujours l'individu;
la liberté de la langue, par exemple, c'est bien une liberté –la plus
élémentaire et à la fois la plus spirituelle– des individus qui la parlent.

Un libéral, un démocrate, a un critère objectif pour juger du bien fondé
des aspirations autonomistes la volonté des populations. Donc, si la
volonté des Galiciens, des Basques et des Catalans est de restaurer leur
autonomie tout en l'adaptant aux circonstances actuelles, aucun
homme épris de justice ne peut s'opposer à leurs revendications. Au
point de vue politique, il est secondaire qu'on classifie ces peuples
comme des nationalités, des régions ou des provinces, bien que, à vrai
dire, la volonté persistante d'être libre ou autonome constitue un signe
de la nationalité, car si cette volonté existe et persiste, c'est à cause
des facteurs naturels et humains qui la déterminent: géographie,
histoire, langue, culture, conscience d'être une personnalité collective.
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L'Espagne, sous les régimes politiques changeants, loin d'être une
nation spirituellement unifiée –et Renan disait que la nation est une
âme, un principe spirituel– maintient une structure quadrinationale que
Richelieu, les hommes de la Révolution française et Napoléon ont bien
discerné. Elle est un composé de quatre nationalités distinctes. Il y a
une nationalité occidentale, atlantique: la Galice. Il y a une nationalité
nordiste, cantabriste: le Pays Basque avec la Navarre. Il y a une
nationalité centrale, la Castille (c'est-à-dire les pays péninsulaires de
langue castillane). Il y a une nationalité orientale, méditerranéenne: la
Catalogne (c'est-à-dire, les pays de langue catalane).

La Castille, par le nombre de ses habitants (18 millions à peu près)
l'emporte sur les trois autres nationalités (5 millions et demi de
Catalans par la langue, 3 millions de Galiciens, et 2 millions et demi de
Basques, en tout 10 millions). Mais par la densité de la population, par
la puissance économique et par le degré d'évolution sociale, les peuples
non castillans ont un avantage indéniable. Remarque importante: ils
occupent la plupart du littoral de l'Espagne; ils sont des peuples de la
mer, tandis que la Castille est surtout le peuple des hauts plateaux
intérieurs et elle représente cette «Espagne profonde» dont parlait le
chroniqueur médiéval catalan, Bernat Desclot.

Dans le triple cas «nationalitaire» de l'Espagne, la solution libérale du
problème est d'autant plus normale que les peuples qui se réclament du
principe de l'autonomie, loin de pencher vers des positions extrêmes,
se sont déclarés partisans des solutions fédératives. Ils ont demandé,
pour un proche avenir, des libertés comparables à celles dont jouissent
les États particuliers de l'Amérique du Nord ou les cantons helvétiques.

On ne peut donc parler de séparatisme. Le séparatisme n'est, pour ces
peuples, que l'éventuelle réaction contre la fermeture de la voie qui
mène aux libertés de type fédératif. Non pas qu'ils se considèrent
forcément tenus à une telle limitation; mais par désir de concorde et
aussi par réalisme politique, ils tiennent à établir une compatibilité entre
leur autonomie et leur appartenance à l'État espagnol, un État espagnol
élargi et plus souple. Valentí Almirall, le premier théoricien du
mouvement catalan, dit sans ambages dans son livre El Catalanisme:
«Si nous nous arrêtons à un point qui n'arrive pas à la séparation, ce
n'est pas faute de droit, mais parce que nous ne croyons pas qu'il
convienne d'en faire usage».

Le critère démocratique de la volonté populaire vient faciliter, d'autre
part, la solution de certains problèmes latents au sein des nationalités
ibériques: inclusion de la Navarre dans le Pays Basque autonome;
régime particulier de Valence et des îles Baléares. Ces deus pays, bien
qu'étant linguistiquement et historiquement des parties de la nationalité
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catalane, n'ont pas encore le même degré de sentiment national que la
Catalogne de l'ancien «Principat» (provinces modernes de Barcelone,
Lérida, Gérone et Tarragone). Très probablement, dans le cas d'une
généralisation du régime autonomiste en Espagne, Valence et les
Baléares constitueraient chacune une entité particulière. Ce ne serait
que plus tard qu'on pourrait envisager une fédération des trois pays de
langue catalane, fédération insérée dans le cadre plus large de la
Fédération hispanique ou dans celui –plus ambitieux et plus lointain–
d'une Confédération ibérique. Ce sont des vues d'avenir et les Catalans
du «Principat» n'ont jamais pensé à user de la violence, ni même à faire
pression sur leurs frères valenciens et majorquins. L'essentiel c'est que
les trois groupes reprennent la pleine conscience de leur personnalité
nationale et qu'ils s'efforcent ensemble si possible ou chacun à son
tour de reconquérir, sous des formes modernes, leur liberté.

Voilà le problème de structure de l'Espagne: trois nationalités
méconnues, mais vivantes et puissantes, dressées contre l'État unitaire
absorbant, issu de la Monarchie absolue, État qui s'est servi de la
Castille comme d'un instrument après l'avoir dépouillée des libertés
originaires. Contre cet État, créé par la dynastie autrichienne et
parachevé par la dynastie des Bourbons luttent les patriotes basques,
catalans et galiciens, non pas contre l'existence d'un État espagnol,
moins encore contre la Castille en tant que peuple. Ce que veulent ces
patriotes, c'est que la nationalité castillane se joigne à eux dans un
effort commun pour en finir avec un État artificiel, ayant la prétention
d'être uninational, afin de bâtir le nouvel État quadrinational, l'Espagne
«polyforme» chantée par le grand poète hispano-américain, Rubén
Dario; les Espagnes, au pluriel.

                  L'Espagne, exception dans le monde

Le mouvement des nationalités, sous des formules diverses, a triomphé
partout en Europe, de la Baltique aux Balkans, de l'Irlande à l'Oural. Les
applications du principe de la liberté collective n'ont pas eu toutes la
même valeur et n'apparaissent pas toutes complètement plausibles.
Mais on a reconnu et sauvegardé la personnalité des groupes
linguistiques et historiques et on les a dotés d'institutions autonomes.

Les nationalités qui ont été, pour ainsi dire, les vedettes du mouvement
–l'Italie, la Pologne, la Norvège, la Hongrie, l'Irlande, la Finlande, la
Bohème– sont aujourd'hui des États indépendants. En URSS, la carte
politique s'adapte à la géographie des nationalités et les multiples
langues, stimulés par leur usage officiel dont le drapeau même de
l'Union fait foi, sont en plein essor populaire, littéraire et culturel (nous
n'avons pas ici à juger les autres aspects du régime soviétique). Des
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problèmes tels que ceux des Balkans, de la Crète, du Slesvig et de
l'Alsace-Lorraine, ont reçu des solutions inspirées de la conception
libérale du principe national. L'influence de ce critère s'est fait sentir en
Asie même, où a sonné le glas des régimes coloniaux. Et voici Israël, la
nation dissoute, dispersée, qui retrouve, après les massacres et les
persécutions de vingt siècles, le sol de la patrie perdue et la forme libre
d'un État.

Mais sur la carte des nationalités, il y en a trois qui font tache noire: la
Catalogne, le Pays basque, la Galice. Les trois seuls mouvements
«nationalitaires» que, de nos jours on persécute et on bafoue, sont
ceux de l'État espagnol. L'Espagne est aujourd'hui une exception
criante quant à la question nationalitaire (comme d'ailleurs pour
d'autres questions). C'est l'unique État au monde qui nie en même
temps les libertés collectives.
Les droits de la langue vernaculaire ne sont pas reconnus aux Galiciens,
aux Catalans et aux Basques. On veut la reléguer dans le coin de la vie
familiale comme une étape vers l'extinction. La douce langue
galicienne, mère de la portugaise; la langue basque, merveilleux
héritage préhistorique; la langue catalane qui a reconquis pleinement sa
valeur de langue de culture, se voient infliger un traitement inférieur à
celui que reçoivent les langues de peuplades semicivilisées.

Sera-t-il possible que cette honte continue? Sera-t-il possible que dans
un monde où presque tous les problèmes «nationalitaires» et où les
nombreux problèmes coloniaux ont reçu des solutions plus ou moins
heureuses sur la base de la liberté des peuples, restent à l'extrême sud-
ouest de l'Europe, refoulés, garrottés, meurtris, trois peuples cultivés,
laborieux, et aigris, qui ont un passé glorieux et dont la renaissance
était riche d'espoirs et même de réalisations? Les Catalans, les Basques
et les Galiciens, doivent-ils rester au-dessous des peuples nationaux et
subnationaux que nous avons vus, en un demi-siècle, s'élever au rang
de peuples indépendants ou autonomes? Doivent-ils être les malheureux
successeurs de la Diaspora juive? Les démocrates de l'Occident,
peuvent-ils contempler ce triple cas, qui clame et réclame justice, avec
une indifférence incompréhensible, pendant qu'ils savourent le jus sucré
des oranges espagnoles?

  La monarchie et la république en face du problème «nationalitaire»

La monarchie espagnole, qui a toujours travaillé pour amoindrir et
anéantir les libertés des peuples qu'elle a soumis par la force ou par la
ruse, ne pouvait pas accueillir les demandes, chaque fois plus
pressantes, des nationalités péninsulaires. La monarchie était bâtie sur
leurs ruines. Elle était cuirassée du dogme de l'unité nationale, qu'elle
ajoutait au dogme de l'unité religieuse: Unus Deus, unus rex, una lex.
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En 1907, pendant un débat parlementaire sur la question catalane, le
chef du gouvernement espagnol, qui était alors –triste ironie!– un
Catalan de Majorque, Antoni Maura, opposait aux revendications
politiques des Catalans –bien modérées alors– un refus total et
farouche en invoquant la souveraineté indivisible et intangible, cette
abstraction inventée par les juristes à la solde des rois absolus et dont
on ne sait même pas d'où elle vient. Maura promettait, du bout des
lèvres, une mince réforme administrative; mais au-delà de ces limites,
dans la sphère politique de l'État conçu de manière unitaire, les
Catalans, disait-il, n'auraient pas la plus petite concession. «Nunca,
nada» (jamais, rien) furent ses mots textuels et il lançait ces adverbes,
comme des foudres, sur la tête des députés autonomistes de la
Catalogne, qui étaient 41 parmi les 44 députés des circonscriptions
catalanes. Et douze années plus tard, un autre chef du gouvernement
espagnol, le comte de Romanones, opposait aux députés catalans un
refus de même genre: «En cuanto a la soberanía no admito ni et
diálogo» (En ce qui touche la souveraineté, je n'accepte même pas le
dialogue).

Peu après, la fameuse souveraineté passa aux mains du général Primo
de Rivera, qui, avec la complicité d'Alphonse XIII supprima la
Constitution, le Parlement, les corporations d'élection populaire et,
naturellement, l'institution catalane de la Mancomunitat, sorte de
fédération des quatre provinces catalanes, autorisée par un décret de
l'an 1913, institution qui avait pour les Catalans la grande valeur
morale de reconstituer officiellement l'unité de la Catalogne. Et
Alphonse XIII, de passage à Barcelone, faisait l'éloge de ce Philippe V –
qui abolit les libertés catalanes– et s'en déclarait orgueilleusement le
successeur.

La Monarchie espagnole a jugulé les peuples plus qu'elle ne les a
rassemblés, ayant comme objectif principal le programme que le comte
d'Olivares présenta franchement, dans un mémoire, à Philippe IV.
«reducir estos reinos de que se compone España al estilo y leyes de
Castilla» (Réduire ces royaumes dont se compose l'Espagne au style et
aux lois de la Castille). Le roi et le comte tentèrent vite de mettre en
oeuvre ce programme (déjà ébauché par les Rois Catholiques,
destructeurs des libertés de la Galice). Mais les deux hommes,
maladroits, brisèrent l'unité qu'ils voulaient raffermir: la Catalogne se
souleva, suivie par le Portugal (1640), et l'année suivante, elle
proclama Louis XIII de France Comte de Barcelone moyennant un pacte
qui assurait les institutions autonomistes. Et si l'affaiblissement de la
France, à cause de la Fronde, obligea en 1652 les Catalans à rentrer
dans la Monarchie espagnole, qui leur promit de respecter leurs libertés,
le Portugal, soutenu par l'Angleterre, resta et reste séparé.
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Sauvées sous Philippe IV, les libertés catalanes succombèrent sous
Philippe V La Catalogne, Valence et Majorque, se méfiant du nouveau
roi, avaient lutté pour Charles d'Autriche dans la Guerre de Succession,
et, malgré leur héroïque résistance, elles furent vaincues à la suite de
l'abandon déshonorant dont elles furent l'objet de la part de leurs alliés,
l'Angleterre tory en tête. On les a traitées comme pays conquis, et
c'est en invoquant explicitement le droit de conquête, que Philippe V
établit sur les pays de langue catalane un nouveau régime à la fois
antinational et antilibéral. La voilà, l'origine de la souveraineté royale
concernant ces pays: la conquête par les armes. La Monarchie, bien
qu'ayant annexé par la force, la Navarre, vers la fin du règne de
Fernand le Catholique, respecta longtemps les libertés des Basques
(Navarrais compris); mais elle finit par les détruire dans le dernier tiers
du siècle passé. Menacés par la tendance unitariste des libéraux
espagnols, les Basques devinrent carlistes pour la plupart, et à l'issue
des guerres civiles, les lois de 1839 et 1876, en dépit des conventions
établies, les dépouillèrent de leurs antiques libertés, auxquelles l'arbre
de Guernika avait donné son ombre protectrice.

Ce n'est pas le peuple de Castille qui a détruit, à son profit, les libres
institutions de la Galice, de la Catalogne et du Pays basque; c'est la
Monarchie espagnole qui, après avoir détruit les libertés de la Castille, a
utilisé cette nationalité pour détruire les libertés des autres peuples de
la Couronne. La Monarchie a prétendu favoriser la Castille en se servant
de ses capitaines, de ses golillas et de ses inquisiteurs pour imposer la
langue et les lois castillanes aux autres peuples. Mais elle n'a fait que
couvrir de la pourpre impériale, la misère douloureuse du peuple
castillan.

La République, née en 1931, a mieux compris le cas des Catalans, des
Basques et des Galiciens. Elle est entrée par la voie d'un régime
autonomiste fondé sur les Statuts particuliers, en partant de l'initiative
de chacun des peuples désireux d'un tel régime. Cela n'est pas aller
sans à-coups. L'esprit unitariste de la Monarchie avait enfoncé des
fortes racines dans la terre desséchée de l'Espagne centrale. Si le
premier parti républicain espagnol avait pris une orientation fédéraliste,
c'est parce que son principal inspirateur était un Catalan, Pi i Margall.
La première République, celle de 1873, couvre en grande partie des
Catalans, proclama par ses Constituantes le principe de la République
fédérale, que le manque de préparation du pays et les luttes intestines
firent avorter. Les Constituantes de la Seconde République préférèrent
la méthode graduelle des Statuts à l'établissement, d'emblée, d'un
régime fédératif. Ce fut sage. Moins sage fut le grignotage du Statut
proposé et voté en référendum par la Catalogne, de façon que
l'autonomie catalane ne fût qu'une demi autonomie, bien inférieure à
celle des régimes fédératifs qu'on peut qualifier de classiques.
Néanmoins, les Catalans acceptèrent le Statut passé sous les coups de
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hache, car il contenait encore des libertés importantes que la Monarchie
n'aurait jamais consenties; dans le meilleur des cas, elle aurait offert
une aumône de décentralisation administrative contrôlée, précaire,
toujours à la merci de l'humeur variable et souvent agressive des
hommes politiques du centre et des généraux ambitieux.

Sur le modèle du Statut de la Catalogne, promulgué au mois de
septembre 1932, fut voté par les Cortes, au mois d'Octobre 1936, le
Statut basque, avec quelques variantes notables: la préparation du
Statut galicien fut ajournée par le soulèvement militaire du mois de
juillet 1936. Si la Seconde République avait été victorieuse, nous
aurions vu en Espagne le fonctionnement ordonné et bien faisant des
trois régimes autonomiques de la Catalogne, du Pays Basque et de la
Galicie, et probablement aussi ceux de Valence et Majorque. Le
problème «nationalitaire» de l'Espagne serait en bonne voie, et il faut
croire que les autonomies statutaires se trouveraient élargies
constitutionnellement jusqu'aux limites du fédéralisme classique. Et
l'Espagne en face du problème nationalitaire, ne serait point une noire
exception dans le monde.

                      La valeur de l'esprit national

On a enfin relégué au grenier de la niaiserie démagogique la thèse
absurde qui voulait faire incompatibles le nationalisme (dans le sens de
la liberté des nations) et l'universalisme. Au sein de la société civilisée,
l'humain est une harmonie de l'individuel, du national et de l'universel.
L'authentique esprit national (qu'on ne doit pas confondre avec le
chauvinisme, ni avec l'ambition d'hégémonie, ni même avec l'«égoïsme
sacré») est une grande force créatrice. Le monde lui doit des riches
floraisons d'art, de poésie et de pensée. Un peuple ne trouve la
plénitude de sa vigueur spirituelle que dans la fidélité à sa nature. Qu'il
renonce au signe de sa personnalité distinctive, ou qu'il en soit
dépossédé par la coercition, et vous verrez pâlir et s'éteindre les
lumières de son génie.

Regardez l'histoire des peuples déchus par leur propre abandon ou par
l'agression d'un autre peuple. Leur apport à l'oeuvre commune de la
civilisation en est fortement diminué sinon tari. Mais si, dans l'un de
ces peuples, une renaissance d'esprit national vient se produire, bientôt
sa littérature et son art, sa science et sa vie, montrent un éclat
nouveau.

On l'a vu dans le bas Moyen-Âge, qui a été en Europe le temps où les
nationalités ont pris figure et conscience; on l'a vu dans les modernes
renaissances nationales. Les erreurs, déviations et contradictions de la
politique et de la diplomatie ne suffisent pas à ôter aux mouvements
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nationaux la gloire d'avoir donné de l'impulsion à la vie spirituelle des
peuples.

On l'a bien vu dans la péninsule ibérique, comme ailleurs. Le
mouvement catalan et le mouvement galicien, qui trouvent dans le
langage leur principal ressort, on débuté par un renaissance poétique où
brillent de grands noms. En Galice, Rosalía de Castro, Eduardo Pondal,
Manuel Curros Enríquez; en Catalogne, Jacint Verdaguer, Àngel
Guimerà, Joan Maragall, Miquel Costa i Llobera, Joan Alcover. Dans les
autres genres littéraires, la moisson a été aussi abondante. La
renaissance catalane, qui est la plus évoluée –jusqu'au moment
présent–, a abouti à la restauration de l'intense foyer de culture qui a
ennobli le nom de la Catalogne aux temps où elle bâtissait le plus large
et le plus durable empire méditerranéen après celui de Rome. Le
mouvement basque, de son côté, non seulement a arrêté le cours de la
disparition progressive de la langue basque mais il en a encore renversé
le sens. Le renouveau de l'esprit national redonne la jeunesse aux
peuples.

Pour la Catalogne surtout, il y a le fait que pendant les trois siècles de
dénationalisation dans le domaine du langage écrit, elle n'a donné en
castillan qu'une production limitée et médiocre, et, à l'inverse, pendant
un siècle de renaissance, elle a donné dans sa langue une production
très importante en quantité et en qualité. Ce fait a été reconnu, avec
presque les mêmes mots, du haut de la tribune des jeux Floraux de
Barcelone, par deux hommes éminents, de signe contraire, peut-on dire:
un Castillan de droite, Menéndez Pelayo (1888) et un Catalan de
gauche, Pi i Margall (1901). L'histoire littéraire montre que les
difficultés pour s'adapter à l'expression linguistique castillane sont plus
fortes encore pour un Catalan que pour un Basque ou un Galicien; fait
plus psychologique que philologique. Ainsi, l'atteinte au développement
du langage catalan est un pure perte pour la culture humaine sans que
la culture castillane en tire un bénéfice. Les meilleurs esprits de Castille
ont blâmé, comme il convient, l'imposition de la langue castillane aux
peuples non castillans.

Les Espagnols de tendance vraiment démocratique et libérale
reconnaissent le fait fondamental de la diversité hispanique. La
Monarchie espagnole échoua dans son effort historique de soumettre
tous les peuples de la péninsule au style et aux lois de la Castille. La
République ne peut pas poursuivre cet effort déloyal et dangereux; en
échange, elle peut réussir dans la tâche de réconcilier les peuples
péninsulaires et les amener à une collaboration confiante et constante.
Les revendications autonomistes des Basques, des Catalans et des
Galiciens –trois peuples d'âme libérale et de traditions démocratiques–
se placent dans le camp du fédéralisme et ont, en définitive, l'appui de
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la volonté populaire. Les trois peuples peuvent prendre comme devise,
ces beaux mots catalans d'Àngel Guimerà:

«En la vida dels pobles, qui vol viure té raó de viure» (Dans la vie des
peuples, qui veut vivre a raison de vivre).
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