LE PROBLÈME NATIONALITAIRE EN ESPAGNE
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
http://www.racocatala.cat/cat1714/ LE PROBLÈME NATIONALITAIRE EN ESPAGNE Antoni Rovira i Virgili Text redactat et 1947, per a un monogràfic de Les temps modernes, de Paris, sobre l’Estat espanyol, que no arribà a aparèixer. Trois nationalités contre l'État Unitaire À l'époque contemporaine, on a vu dans l'État espagnol trois renaissances particularistes: celles de la Catalogne, de la Galice et du Pays basque, qui ont abouti à la revendication politique de l'autonomie. Renaissances nationales, régionales ou provinciales? Ces trois peuples sont-ils des nationalités, des régions ou des provinces? C'est à discuter si l'on veut. Mais il y a un fait: les Catalans, les Basques et les Galiciens ont exprimé maintes fois, vigoureusement, leur désir et leur volonté de posséder des institutions leur permettant de se gouverner eux-mêmes en tout ce qui concerne leur vie interne. Pour ceux qui connaissent suffisamment le passé et la réalité actuelle de la péninsule ibérique, le caractère national ou «nationalitaire» de ces mouvements ne peut offrir aucun doute. Il s'agit de manifestations ibériques du mouvement général des nationalités qui a rempli une grande partie de l'histoire contemporaine de l'Europe et grâce auquel des peuples ensevelis par leur effondrement historique ou dominés par la force, se sont dressés à nouveau en clamant leur liberté. Le mouvement national et le mouvement libéral sont apparus comme dérivés du même principe. S'il y a des droits pour les hommes, il y a des droits pour les peuples, et ces derniers droits ne sont qu'une forme des premiers. Le vrai sujet des libertés humaines est toujours l'individu; la liberté de la langue, par exemple, c'est bien une liberté –la plus élémentaire et à la fois la plus spirituelle– des individus qui la parlent. Un libéral, un démocrate, a un critère objectif pour juger du bien fondé des aspirations autonomistes la volonté des populations. Donc, si la volonté des Galiciens, des Basques et des Catalans est de restaurer leur autonomie tout en l'adaptant aux circonstances actuelles, aucun homme épris de justice ne peut s'opposer à leurs revendications. Au point de vue politique, il est secondaire qu'on classifie ces peuples comme des nationalités, des régions ou des provinces, bien que, à vrai dire, la volonté persistante d'être libre ou autonome constitue un signe de la nationalité, car si cette volonté existe et persiste, c'est à cause des facteurs naturels et humains qui la déterminent: géographie, histoire, langue, culture, conscience d'être une personnalité collective.
http://www.racocatala.cat/cat1714/ L'Espagne, sous les régimes politiques changeants, loin d'être une nation spirituellement unifiée –et Renan disait que la nation est une âme, un principe spirituel– maintient une structure quadrinationale que Richelieu, les hommes de la Révolution française et Napoléon ont bien discerné. Elle est un composé de quatre nationalités distinctes. Il y a une nationalité occidentale, atlantique: la Galice. Il y a une nationalité nordiste, cantabriste: le Pays Basque avec la Navarre. Il y a une nationalité centrale, la Castille (c'est-à-dire les pays péninsulaires de langue castillane). Il y a une nationalité orientale, méditerranéenne: la Catalogne (c'est-à-dire, les pays de langue catalane). La Castille, par le nombre de ses habitants (18 millions à peu près) l'emporte sur les trois autres nationalités (5 millions et demi de Catalans par la langue, 3 millions de Galiciens, et 2 millions et demi de Basques, en tout 10 millions). Mais par la densité de la population, par la puissance économique et par le degré d'évolution sociale, les peuples non castillans ont un avantage indéniable. Remarque importante: ils occupent la plupart du littoral de l'Espagne; ils sont des peuples de la mer, tandis que la Castille est surtout le peuple des hauts plateaux intérieurs et elle représente cette «Espagne profonde» dont parlait le chroniqueur médiéval catalan, Bernat Desclot. Dans le triple cas «nationalitaire» de l'Espagne, la solution libérale du problème est d'autant plus normale que les peuples qui se réclament du principe de l'autonomie, loin de pencher vers des positions extrêmes, se sont déclarés partisans des solutions fédératives. Ils ont demandé, pour un proche avenir, des libertés comparables à celles dont jouissent les États particuliers de l'Amérique du Nord ou les cantons helvétiques. On ne peut donc parler de séparatisme. Le séparatisme n'est, pour ces peuples, que l'éventuelle réaction contre la fermeture de la voie qui mène aux libertés de type fédératif. Non pas qu'ils se considèrent forcément tenus à une telle limitation; mais par désir de concorde et aussi par réalisme politique, ils tiennent à établir une compatibilité entre leur autonomie et leur appartenance à l'État espagnol, un État espagnol élargi et plus souple. Valentí Almirall, le premier théoricien du mouvement catalan, dit sans ambages dans son livre El Catalanisme: «Si nous nous arrêtons à un point qui n'arrive pas à la séparation, ce n'est pas faute de droit, mais parce que nous ne croyons pas qu'il convienne d'en faire usage». Le critère démocratique de la volonté populaire vient faciliter, d'autre part, la solution de certains problèmes latents au sein des nationalités ibériques: inclusion de la Navarre dans le Pays Basque autonome; régime particulier de Valence et des îles Baléares. Ces deus pays, bien qu'étant linguistiquement et historiquement des parties de la nationalité
http://www.racocatala.cat/cat1714/ catalane, n'ont pas encore le même degré de sentiment national que la Catalogne de l'ancien «Principat» (provinces modernes de Barcelone, Lérida, Gérone et Tarragone). Très probablement, dans le cas d'une généralisation du régime autonomiste en Espagne, Valence et les Baléares constitueraient chacune une entité particulière. Ce ne serait que plus tard qu'on pourrait envisager une fédération des trois pays de langue catalane, fédération insérée dans le cadre plus large de la Fédération hispanique ou dans celui –plus ambitieux et plus lointain– d'une Confédération ibérique. Ce sont des vues d'avenir et les Catalans du «Principat» n'ont jamais pensé à user de la violence, ni même à faire pression sur leurs frères valenciens et majorquins. L'essentiel c'est que les trois groupes reprennent la pleine conscience de leur personnalité nationale et qu'ils s'efforcent ensemble si possible ou chacun à son tour de reconquérir, sous des formes modernes, leur liberté. Voilà le problème de structure de l'Espagne: trois nationalités méconnues, mais vivantes et puissantes, dressées contre l'État unitaire absorbant, issu de la Monarchie absolue, État qui s'est servi de la Castille comme d'un instrument après l'avoir dépouillée des libertés originaires. Contre cet État, créé par la dynastie autrichienne et parachevé par la dynastie des Bourbons luttent les patriotes basques, catalans et galiciens, non pas contre l'existence d'un État espagnol, moins encore contre la Castille en tant que peuple. Ce que veulent ces patriotes, c'est que la nationalité castillane se joigne à eux dans un effort commun pour en finir avec un État artificiel, ayant la prétention d'être uninational, afin de bâtir le nouvel État quadrinational, l'Espagne «polyforme» chantée par le grand poète hispano-américain, Rubén Dario; les Espagnes, au pluriel. L'Espagne, exception dans le monde Le mouvement des nationalités, sous des formules diverses, a triomphé partout en Europe, de la Baltique aux Balkans, de l'Irlande à l'Oural. Les applications du principe de la liberté collective n'ont pas eu toutes la même valeur et n'apparaissent pas toutes complètement plausibles. Mais on a reconnu et sauvegardé la personnalité des groupes linguistiques et historiques et on les a dotés d'institutions autonomes. Les nationalités qui ont été, pour ainsi dire, les vedettes du mouvement –l'Italie, la Pologne, la Norvège, la Hongrie, l'Irlande, la Finlande, la Bohème– sont aujourd'hui des États indépendants. En URSS, la carte politique s'adapte à la géographie des nationalités et les multiples langues, stimulés par leur usage officiel dont le drapeau même de l'Union fait foi, sont en plein essor populaire, littéraire et culturel (nous n'avons pas ici à juger les autres aspects du régime soviétique). Des
http://www.racocatala.cat/cat1714/ problèmes tels que ceux des Balkans, de la Crète, du Slesvig et de l'Alsace-Lorraine, ont reçu des solutions inspirées de la conception libérale du principe national. L'influence de ce critère s'est fait sentir en Asie même, où a sonné le glas des régimes coloniaux. Et voici Israël, la nation dissoute, dispersée, qui retrouve, après les massacres et les persécutions de vingt siècles, le sol de la patrie perdue et la forme libre d'un État. Mais sur la carte des nationalités, il y en a trois qui font tache noire: la Catalogne, le Pays basque, la Galice. Les trois seuls mouvements «nationalitaires» que, de nos jours on persécute et on bafoue, sont ceux de l'État espagnol. L'Espagne est aujourd'hui une exception criante quant à la question nationalitaire (comme d'ailleurs pour d'autres questions). C'est l'unique État au monde qui nie en même temps les libertés collectives. Les droits de la langue vernaculaire ne sont pas reconnus aux Galiciens, aux Catalans et aux Basques. On veut la reléguer dans le coin de la vie familiale comme une étape vers l'extinction. La douce langue galicienne, mère de la portugaise; la langue basque, merveilleux héritage préhistorique; la langue catalane qui a reconquis pleinement sa valeur de langue de culture, se voient infliger un traitement inférieur à celui que reçoivent les langues de peuplades semicivilisées. Sera-t-il possible que cette honte continue? Sera-t-il possible que dans un monde où presque tous les problèmes «nationalitaires» et où les nombreux problèmes coloniaux ont reçu des solutions plus ou moins heureuses sur la base de la liberté des peuples, restent à l'extrême sud- ouest de l'Europe, refoulés, garrottés, meurtris, trois peuples cultivés, laborieux, et aigris, qui ont un passé glorieux et dont la renaissance était riche d'espoirs et même de réalisations? Les Catalans, les Basques et les Galiciens, doivent-ils rester au-dessous des peuples nationaux et subnationaux que nous avons vus, en un demi-siècle, s'élever au rang de peuples indépendants ou autonomes? Doivent-ils être les malheureux successeurs de la Diaspora juive? Les démocrates de l'Occident, peuvent-ils contempler ce triple cas, qui clame et réclame justice, avec une indifférence incompréhensible, pendant qu'ils savourent le jus sucré des oranges espagnoles? La monarchie et la république en face du problème «nationalitaire» La monarchie espagnole, qui a toujours travaillé pour amoindrir et anéantir les libertés des peuples qu'elle a soumis par la force ou par la ruse, ne pouvait pas accueillir les demandes, chaque fois plus pressantes, des nationalités péninsulaires. La monarchie était bâtie sur leurs ruines. Elle était cuirassée du dogme de l'unité nationale, qu'elle ajoutait au dogme de l'unité religieuse: Unus Deus, unus rex, una lex.
http://www.racocatala.cat/cat1714/ En 1907, pendant un débat parlementaire sur la question catalane, le chef du gouvernement espagnol, qui était alors –triste ironie!– un Catalan de Majorque, Antoni Maura, opposait aux revendications politiques des Catalans –bien modérées alors– un refus total et farouche en invoquant la souveraineté indivisible et intangible, cette abstraction inventée par les juristes à la solde des rois absolus et dont on ne sait même pas d'où elle vient. Maura promettait, du bout des lèvres, une mince réforme administrative; mais au-delà de ces limites, dans la sphère politique de l'État conçu de manière unitaire, les Catalans, disait-il, n'auraient pas la plus petite concession. «Nunca, nada» (jamais, rien) furent ses mots textuels et il lançait ces adverbes, comme des foudres, sur la tête des députés autonomistes de la Catalogne, qui étaient 41 parmi les 44 députés des circonscriptions catalanes. Et douze années plus tard, un autre chef du gouvernement espagnol, le comte de Romanones, opposait aux députés catalans un refus de même genre: «En cuanto a la soberanía no admito ni et diálogo» (En ce qui touche la souveraineté, je n'accepte même pas le dialogue). Peu après, la fameuse souveraineté passa aux mains du général Primo de Rivera, qui, avec la complicité d'Alphonse XIII supprima la Constitution, le Parlement, les corporations d'élection populaire et, naturellement, l'institution catalane de la Mancomunitat, sorte de fédération des quatre provinces catalanes, autorisée par un décret de l'an 1913, institution qui avait pour les Catalans la grande valeur morale de reconstituer officiellement l'unité de la Catalogne. Et Alphonse XIII, de passage à Barcelone, faisait l'éloge de ce Philippe V – qui abolit les libertés catalanes– et s'en déclarait orgueilleusement le successeur. La Monarchie espagnole a jugulé les peuples plus qu'elle ne les a rassemblés, ayant comme objectif principal le programme que le comte d'Olivares présenta franchement, dans un mémoire, à Philippe IV. «reducir estos reinos de que se compone España al estilo y leyes de Castilla» (Réduire ces royaumes dont se compose l'Espagne au style et aux lois de la Castille). Le roi et le comte tentèrent vite de mettre en oeuvre ce programme (déjà ébauché par les Rois Catholiques, destructeurs des libertés de la Galice). Mais les deux hommes, maladroits, brisèrent l'unité qu'ils voulaient raffermir: la Catalogne se souleva, suivie par le Portugal (1640), et l'année suivante, elle proclama Louis XIII de France Comte de Barcelone moyennant un pacte qui assurait les institutions autonomistes. Et si l'affaiblissement de la France, à cause de la Fronde, obligea en 1652 les Catalans à rentrer dans la Monarchie espagnole, qui leur promit de respecter leurs libertés, le Portugal, soutenu par l'Angleterre, resta et reste séparé.
http://www.racocatala.cat/cat1714/ Sauvées sous Philippe IV, les libertés catalanes succombèrent sous Philippe V La Catalogne, Valence et Majorque, se méfiant du nouveau roi, avaient lutté pour Charles d'Autriche dans la Guerre de Succession, et, malgré leur héroïque résistance, elles furent vaincues à la suite de l'abandon déshonorant dont elles furent l'objet de la part de leurs alliés, l'Angleterre tory en tête. On les a traitées comme pays conquis, et c'est en invoquant explicitement le droit de conquête, que Philippe V établit sur les pays de langue catalane un nouveau régime à la fois antinational et antilibéral. La voilà, l'origine de la souveraineté royale concernant ces pays: la conquête par les armes. La Monarchie, bien qu'ayant annexé par la force, la Navarre, vers la fin du règne de Fernand le Catholique, respecta longtemps les libertés des Basques (Navarrais compris); mais elle finit par les détruire dans le dernier tiers du siècle passé. Menacés par la tendance unitariste des libéraux espagnols, les Basques devinrent carlistes pour la plupart, et à l'issue des guerres civiles, les lois de 1839 et 1876, en dépit des conventions établies, les dépouillèrent de leurs antiques libertés, auxquelles l'arbre de Guernika avait donné son ombre protectrice. Ce n'est pas le peuple de Castille qui a détruit, à son profit, les libres institutions de la Galice, de la Catalogne et du Pays basque; c'est la Monarchie espagnole qui, après avoir détruit les libertés de la Castille, a utilisé cette nationalité pour détruire les libertés des autres peuples de la Couronne. La Monarchie a prétendu favoriser la Castille en se servant de ses capitaines, de ses golillas et de ses inquisiteurs pour imposer la langue et les lois castillanes aux autres peuples. Mais elle n'a fait que couvrir de la pourpre impériale, la misère douloureuse du peuple castillan. La République, née en 1931, a mieux compris le cas des Catalans, des Basques et des Galiciens. Elle est entrée par la voie d'un régime autonomiste fondé sur les Statuts particuliers, en partant de l'initiative de chacun des peuples désireux d'un tel régime. Cela n'est pas aller sans à-coups. L'esprit unitariste de la Monarchie avait enfoncé des fortes racines dans la terre desséchée de l'Espagne centrale. Si le premier parti républicain espagnol avait pris une orientation fédéraliste, c'est parce que son principal inspirateur était un Catalan, Pi i Margall. La première République, celle de 1873, couvre en grande partie des Catalans, proclama par ses Constituantes le principe de la République fédérale, que le manque de préparation du pays et les luttes intestines firent avorter. Les Constituantes de la Seconde République préférèrent la méthode graduelle des Statuts à l'établissement, d'emblée, d'un régime fédératif. Ce fut sage. Moins sage fut le grignotage du Statut proposé et voté en référendum par la Catalogne, de façon que l'autonomie catalane ne fût qu'une demi autonomie, bien inférieure à celle des régimes fédératifs qu'on peut qualifier de classiques. Néanmoins, les Catalans acceptèrent le Statut passé sous les coups de
http://www.racocatala.cat/cat1714/ hache, car il contenait encore des libertés importantes que la Monarchie n'aurait jamais consenties; dans le meilleur des cas, elle aurait offert une aumône de décentralisation administrative contrôlée, précaire, toujours à la merci de l'humeur variable et souvent agressive des hommes politiques du centre et des généraux ambitieux. Sur le modèle du Statut de la Catalogne, promulgué au mois de septembre 1932, fut voté par les Cortes, au mois d'Octobre 1936, le Statut basque, avec quelques variantes notables: la préparation du Statut galicien fut ajournée par le soulèvement militaire du mois de juillet 1936. Si la Seconde République avait été victorieuse, nous aurions vu en Espagne le fonctionnement ordonné et bien faisant des trois régimes autonomiques de la Catalogne, du Pays Basque et de la Galicie, et probablement aussi ceux de Valence et Majorque. Le problème «nationalitaire» de l'Espagne serait en bonne voie, et il faut croire que les autonomies statutaires se trouveraient élargies constitutionnellement jusqu'aux limites du fédéralisme classique. Et l'Espagne en face du problème nationalitaire, ne serait point une noire exception dans le monde. La valeur de l'esprit national On a enfin relégué au grenier de la niaiserie démagogique la thèse absurde qui voulait faire incompatibles le nationalisme (dans le sens de la liberté des nations) et l'universalisme. Au sein de la société civilisée, l'humain est une harmonie de l'individuel, du national et de l'universel. L'authentique esprit national (qu'on ne doit pas confondre avec le chauvinisme, ni avec l'ambition d'hégémonie, ni même avec l'«égoïsme sacré») est une grande force créatrice. Le monde lui doit des riches floraisons d'art, de poésie et de pensée. Un peuple ne trouve la plénitude de sa vigueur spirituelle que dans la fidélité à sa nature. Qu'il renonce au signe de sa personnalité distinctive, ou qu'il en soit dépossédé par la coercition, et vous verrez pâlir et s'éteindre les lumières de son génie. Regardez l'histoire des peuples déchus par leur propre abandon ou par l'agression d'un autre peuple. Leur apport à l'oeuvre commune de la civilisation en est fortement diminué sinon tari. Mais si, dans l'un de ces peuples, une renaissance d'esprit national vient se produire, bientôt sa littérature et son art, sa science et sa vie, montrent un éclat nouveau. On l'a vu dans le bas Moyen-Âge, qui a été en Europe le temps où les nationalités ont pris figure et conscience; on l'a vu dans les modernes renaissances nationales. Les erreurs, déviations et contradictions de la politique et de la diplomatie ne suffisent pas à ôter aux mouvements
http://www.racocatala.cat/cat1714/ nationaux la gloire d'avoir donné de l'impulsion à la vie spirituelle des peuples. On l'a bien vu dans la péninsule ibérique, comme ailleurs. Le mouvement catalan et le mouvement galicien, qui trouvent dans le langage leur principal ressort, on débuté par un renaissance poétique où brillent de grands noms. En Galice, Rosalía de Castro, Eduardo Pondal, Manuel Curros Enríquez; en Catalogne, Jacint Verdaguer, Àngel Guimerà, Joan Maragall, Miquel Costa i Llobera, Joan Alcover. Dans les autres genres littéraires, la moisson a été aussi abondante. La renaissance catalane, qui est la plus évoluée –jusqu'au moment présent–, a abouti à la restauration de l'intense foyer de culture qui a ennobli le nom de la Catalogne aux temps où elle bâtissait le plus large et le plus durable empire méditerranéen après celui de Rome. Le mouvement basque, de son côté, non seulement a arrêté le cours de la disparition progressive de la langue basque mais il en a encore renversé le sens. Le renouveau de l'esprit national redonne la jeunesse aux peuples. Pour la Catalogne surtout, il y a le fait que pendant les trois siècles de dénationalisation dans le domaine du langage écrit, elle n'a donné en castillan qu'une production limitée et médiocre, et, à l'inverse, pendant un siècle de renaissance, elle a donné dans sa langue une production très importante en quantité et en qualité. Ce fait a été reconnu, avec presque les mêmes mots, du haut de la tribune des jeux Floraux de Barcelone, par deux hommes éminents, de signe contraire, peut-on dire: un Castillan de droite, Menéndez Pelayo (1888) et un Catalan de gauche, Pi i Margall (1901). L'histoire littéraire montre que les difficultés pour s'adapter à l'expression linguistique castillane sont plus fortes encore pour un Catalan que pour un Basque ou un Galicien; fait plus psychologique que philologique. Ainsi, l'atteinte au développement du langage catalan est un pure perte pour la culture humaine sans que la culture castillane en tire un bénéfice. Les meilleurs esprits de Castille ont blâmé, comme il convient, l'imposition de la langue castillane aux peuples non castillans. Les Espagnols de tendance vraiment démocratique et libérale reconnaissent le fait fondamental de la diversité hispanique. La Monarchie espagnole échoua dans son effort historique de soumettre tous les peuples de la péninsule au style et aux lois de la Castille. La République ne peut pas poursuivre cet effort déloyal et dangereux; en échange, elle peut réussir dans la tâche de réconcilier les peuples péninsulaires et les amener à une collaboration confiante et constante. Les revendications autonomistes des Basques, des Catalans et des Galiciens –trois peuples d'âme libérale et de traditions démocratiques– se placent dans le camp du fédéralisme et ont, en définitive, l'appui de
http://www.racocatala.cat/cat1714/ la volonté populaire. Les trois peuples peuvent prendre comme devise, ces beaux mots catalans d'Àngel Guimerà: «En la vida dels pobles, qui vol viure té raó de viure» (Dans la vie des peuples, qui veut vivre a raison de vivre).
Vous pouvez aussi lire