Le processus d'effacement psychique les souffrances narcissiques et identitaires

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Le processus d’effacement
psychique     dans      les
souffrances narcissiques et
identitaires
Auteur(s) : Florence Vial-Aubey
Mots clés : désinvestissement – vide

Conférence de Sainte-Anne CSA06 du 12 juin 2023

          Florence Vial-Aubey est psychologue, Docteur en psychologie,
                                            psychanalyste membre de la SPP et du GPLRA.

En pratique hospitalière ou libérale, nous rencontrons avec plus
ou moins de violence ou de sidération une clinique qui peut nous
dérouter en nous confrontant à des sujets habités partiellement ou
de façon plus étendue par le blanc, le vide, le désinvestissement.
Nous relevons chez ces patients une certaine absence d’émotion,
une absence partielle ou totale de représentations des expériences
qu’ils ont vécus, d’affects, de capacités narratives. Nos vécus
transféro-contre-transférentiels peuvent alors être mis à rude
épreuve comme de nombreux auteurs ont pu en témoigner. Ces
patients sont là, en face de nous, et en même temps, de manière
ponctuelle, circonstanciée ou plus générale, ils sont absents à eux-
mêmes, absents à certaines expériences qu’ils ont vécues, à
certaines parties de leur histoire qu’ils ne peuvent pas raconter.
Le rien s’impose, que recouvrent parfois l’excitation, l’agitation, le
débordement. Un rien que tente de faire tenir des constructions

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en faux-self, et avec le rien : le retrait psychique, les trous des
oublis, des silences, d’un discours opératoire, factuel ou descriptif,
d’un récit attaché parfois à l’histoire des autres.

Cette clinique de l’effacement psychique nous confronte à quelque
chose d’insaisissable qui échappe au patient, au soignant. La
rencontre avec l’effacement psychique a suscité en moi de
nombreuses réflexions qui m’ont conduite à un travail de
recherche dans lequel j’ai tenté de cerner ce non-cernable.

Ces réflexions, toujours au travail, sont issues de ma pratique de
psychologue et de psychanalyste en hôpital psychiatrique et en
libéral. Elles prennent appui sur un corpus analytique composé
des œuvres de Freud et de ses continuateurs dont Winnicott,
Ferenczi, D. Anzieu, A. Green pour ne citer qu’eux, et sur les
travaux du centre de recherche en psychopathologie et
psychologie clinique de l’université Lyon 2, le CRPPC, dont
l’épistémologie est fondée sur la théorie psychanalytique et une
approche psychodynamique du fonctionnement psychique.

J’aimerais partager avec vous ce soir cette réflexion qui propose
d’aborder l’effacement psychique comme un objet
psychique à saisir et non pas comme l’expression d’un
déficit. Cette clinique témoignerait d’un processus
d’effacement psychique organisant le moi du sujet,
organisant son rapport à lui-même, à l’autre, à
l’environnement. Il mettrait à jour, pour chaque sujet, les
processus qui le régentent et les expériences
désubjectivantes qui le construisent.

Au-delà du constat du blanc d’affects et de représentations,
du retrait de la subjectivité, l’effacement psychique serait

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une modalité de rencontre, une caractéristique du discours,
de la pensée, de l’histoire du sujet et entrerait comme tel
dans la chaîne associative et le récit du patient.

Si l’effacement psychique n’a jamais été théorisé, la notion
d’effacement, qui appartient d’abord au langage courant, n’est pas
nouvelle. Elle apparait dans la langue française au 12° S, avec le
verbe « effacer » qui signifie « faire disparaître une face (une
figure) », « faire disparaître de la pensée sans laisser de trace ».
Dès le 16°S, la voie pronominale « s’effacer » apparaitra avec le
sens d’« empêcher de paraître par sa propre existence », « se
tenir de côté ou de retrait ». Cette notion, qui n’est pas un concept
analytique, est fortement présente dans tous les domaines. On la
trouve dès les débuts de la psychologie dans la traduction en
français ancien de Psychologie ou traité sur l’âme, écrit et publié
en 1745 par Ch. Wolf. L’effacement y est relié à des idées, des
sensations, des impressions trop fortes. Il y serait d’emblée
associé à la question économique qui filera plus tard toute l’œuvre
de Freud.

Dans les traductions en français des œuvres de Freud, le terme
« effacé » apparait très peu et est le fait des traducteurs. Jean
Laplanche l’utilise pour rendre compte des mots allemands
utilisés par Freud : « Verschwinden, » qui évoque que quelque
chose disparaît en se soustrayant à la vue ou en se rendant
insaisissable, et « Schwinden » qui implique un mouvement de
disparition lent et doux, dans le sens de « s’amenuiser, s’évanouir,
fondre ». Que ce soit « l’objet qui s’efface au profit de l’organe »
dans le fonctionnement des pulsions sexuelles, ou « la motion qui
est effacée de la conscience » dans le refoulement, ces traductions
mettent en évidence un mouvement dynamique dont se rapproche

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le mouvement dynamique d’effacement. Dans le refoulement, mais
aussi le clivage, quelque chose, dans les enjeux mobilisés par les
forces pulsionnelles est mis hors de la conscience ou hors du moi,
au profit du maintien de l’équilibre psychique.

Deux destins de l’effacement psychique pourraient être déduits du
corpus freudien.

Un premier, invisible et silencieux soutient l’émergence subjective
et participe aux processus de différenciation. Il se compose de
l’effacement de l’objet réel, indispensable au développement des
pulsions autoérotiques et à la construction de représentations
d’objet interne, Ce que développeront notamment D Winnicott
avec le paradoxe de la capacité à être seul en présence de la mère
(1958), A. Green (1966) avec l’hallucination négative de la mère
qui devient structure encadrante pour le sujet lui-même. À celui-ci
se combine l’effacement de la figure paternelle comme le décrit
Freud dans Totem et tabou, nécessaire à la construction d’un
processus civilisateur, et l’effacement du sujet lui-même comme le
rappelle R Roussillon qui soulignera dans Agonie, Clivage et
Symbolisation la nécessaire participation d’un certain effacement
subjectif au processus de symbolisation primaire.

Ces effacements silencieux, invisibles, participent à la constitution
d’un fond psychique subjectivant.

Le deuxième destin de l’effacement psychique, celui qui nous
intéresse ce soir, ne se fait pas oublier et le travail analytique ou
psychothérapeutique butte souvent contre lui. Il relève de
l’économie traumatique décrite par Freud en 1920 : des
expériences dont la charge pulsionnelle dépasse les capacités de
contenance du Moi de l’infans, effractent le moi et créent des

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impacts traumatiques dans le sujet. Il peut être bruyant,
invalidant, douloureux, silencieux, mortellement présent quand il
conduit à la mort psychique ou physique. Il côtoie la clinique du
blanc, du négatif, du retrait psychique dont la réflexion, amorcée
par Freud avec ses théories du refoulement et du clivage, a été
poursuivie et développée par ses continuateurs confrontés aux
problématiques hystériques, psychotiques, limites,
psychosomatiques.

Dans la littérature analytique contemporaine les termes « effacés,
effacement » sont fréquemment utilisés. Ils décrivent un état, un
constat, un résultat : on relève l’effacement des affects, de la
représentation, l’effacement du sujet, de l’objet, du lien à soi-
même, à l’objet ou à l’environnement ; l’effacement des
investissements ou des traces. Il sera aussi abordé
sensoriellement : on parlera alors de vécus ou d’angoisses
d’effacement. Sous forme plus dynamique, seront évoqués des
processus ou des modalités d’effacement.

Les cliniques de la psychose et de l’autisme, du blanc, du négatif
nous y conduiraient.

P-C. Racamier (1980) décrit les expériences psychotiques comme
des « vécus d’évanouissement du « je », de syncope (…) du
sentiment du moi qui se traduisent par des (…) éclipse(s) du moi
dans une ultra dépersonnalisation ». P. Aulagnier décrit des
blancs par lesquels des parties du plaisir, du désir seront exclus
de la pensée et de l’investissement. R Roussillon (1999) décrit une
neutralisation énergétique qui induit un gel psychique touchant
les affects, la représentation.

Le Narcissisme négatif d’A. Green (66-67), nous y conduit par la

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tendance à « l’inexistence, l’anesthésie, le vide, le blanc, que ce
blanc investisse les affects (l’indifférence), la représentation
(l’hallucination négative), la pensée (psychose blanche) ».

Le travail du négatif le sollicite. À ce propos, René Kaës écrira en
1987 qu’il nous confronte à « un objet dont la pensée se dérobe »,
à « un meurtre silencieux, un blanc, un trou, une éclipse du sujet
par ce qui a été forclos et qui n’ayant pu recevoir d’inscription
dans le sujet reste sans représentation ».

André Green (1993) y relève un « travail de renoncement à
l’objet » dans lequel, la désexualisation, la désaffectation qui
conduit, pour reprendre ses mots, à « une cadavérisation
psychique », évoque l’effacement psychique.

Enfin, Le travail sur le blanc développé essentiellement par André
Green, rejoint cette question de l’effacement. Il décrit le blanc
comme « espace inoccupé et vide qui renvoie à l’invisible,
l’imperceptible, l’insensible à la limite de l’impensable et de
l’inconcevable ». Un blanc qui n’est pas « entre les
représentations et les pulsions », écrit-il, mais un blanc qui
gomme, efface les représentations ». Ce blanc, « royaume du
désinvestissement », se décline selon lui en série blanche :
« hallucination négative, psychose blanche, deuils blancs tous
relatifs à la clinique du vide ou du négatif… sont le résultat d’un
désinvestissement radical… qui laisse des trous psychiques. ».

Chez de nombreux auteurs le blanc sera à mettre en lien avec le
refoulement et le clivage bien sûr. Il sera présenté comme une
défense et sera lié aux impacts traumatiques logés dans la

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rencontre avec l’environnement premier. Une rencontre qui,
comme le souligne A. Green dans le travail du négatif « dépasse
de loin le renoncement au plaisir sexuel, (et) rencontre la question
de l’absence de l’objet et des expériences liées à cette absence
dont la puissance pulsionnelle a un effet traumatique. Une
absence qui suscite des affects d’une vivacité et d’une intensité
telles que le sujet peut chercher la délivrance totale à l’égard de
l’objet, condition du plaisir ou du déplaisir ».

Le processus d’effacement psychique de même s’originerait
dans la rencontre avec l’objet et les processus engagés par
la dialectique présence/absence. Il serait au cœur de la
métabolisation de l’expérience de séparation/individuation
et des échecs de celle-ci dont il serait le témoin.

Issu des expériences archaïques traumatiques vécues par l’infans
dans la relation à ses objets primaires, il serait à la fois le résultat
des défenses intrapsychiques mises en place par le sujet mais
aussi celui des modalités de présence de l’objet, de sa capacité et
de sa qualité d’accueil des mouvements pulsionnels de l’infans.

Le processus d’effacement psychique se construirait en
trois temps.

Les deux premiers temps vont articuler les expériences
archaïques traumatiques auxquelles l’infans non préparé est
soumis passivement, leurs impacts sur le moi du sujet et la mise
en place d’une organisation défensive. Ces deux premiers temps
s’ancrent dans de nombreux développements de la question du
traumatique inaugurés par les travaux de Freud en 1920.

Le premier temps, est donc celui des expériences traumatiques,

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celui du « traumatisme cumulatif » comme le nommera M. Khan
en 1974, qui sera le cumul d’expériences caractérisées par la
défaillance de l’objet maternel. Suivant principalement les travaux
de Ferenczi et de Winnicott, c’est l’absence de réponse de l’objet
si celui-ci n’est pas là trop longtemps, ou ses réponses
insatisfaisantes et/ou inadéquates aux besoins du Moi de l’infans
qui engendrent des expériences traumatiques. Ces expériences
créent un état de détresse dans le sujet qui dépasse ses capacités
de liaison et entrave l’organisation défensive. Ferenczi évoque
alors un point de rupture dans le sujet, « un choc », une
« commotion psychique » qui aurait pour conséquence immédiate
une fragmentation du sujet. Winnicott parle lui « d’effondrement
du self unitaire », de « perte du sentiment de continuité d’être »,
« d’agonie psychique ». Bion parlera de « terreur sans nom ». Le
sujet est alors mis hors de lui, décrit Ferenczi. Ces expériences
catastrophiques sont des expériences d’effacement
psychique .

Ce premier temps est suivi par celui des défenses primaires
auxquelles l’infans va recourir pour organiser une protection
contre l’atteinte traumatique. Pour survivre « coûte que coûte » à
la terreur de leur retour, écrira Ferenczi (1939), le bébé fera
appel à « la folie », à « l’anesthésie », ou encore à « être un corps
sans âme ». Il pourra aussi avoir recours à une « atomisation de sa
vie psychique ». Pour Winnicott si la sensation de la folie est non
éprouvée du fait de l’effondrement des défenses, « la menace de la
folie » a été « éprouvée », accompagnée d’une angoisse
« impensable ». Le deuxième temps, celui de la défense, est un
temps paradoxal. Suivant le renversement pulsionnel proposé par
Freud en 1920, qui porte sur l’expérience et permet de
transformer l’expérience vécue passivement en expérience active,

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Winnicott propose l’organisation d’une modalité
défensive paradoxale, dont R Roussillon poursuivra la réflexion en
conceptualisant une défense paradoxale, qui ici pourrait se
formuler ainsi : s’effacer pour ne pas être effacé. L’infans se
retirerait de lui-même, s’effacerait activement, ou/et effacerait son
environnement pour éviter d’être surpris par un retour de
l’expérience d’effacement, retour imposé par la réalité externe ou
la réalité interne, et qui produirait une nouvelle expérience
traumatique. Ce mouvement défensif renvoie au troisième temps
du traumatisme développé par Winnicott : le temps Z, qui succède
au temps X, Y, caractérise un état de détresse sans secours, un
état de manque insupportable qui tourne en état traumatique, et
dont la seule issue est le retrait psychique. Pour « survivre », le
sujet se retire à nouveau de la scène, et met en place ce que R
Roussillon appelle un « clivage au moi » (1999) Le sujet se coupe
de la trace de l’expérience agonistique dans laquelle il est pris. Il
se coupe d’une partie de sa subjectivité. L’expérience qui a eu
lieu, n’a pas eu lieu pour le sujet. Alors, sous la surface en faux-
self (Winnicott) organisée comme issue à ces expériences, il y
aura, écrit Ferenczi, un « moi assassiné, une masse affective
séparée, inconsciente et sans contenue ». Le sujet est frappé,
marqué, construit par l’effacement psychique.

Le processus d’effacement psychique prendrait racine dans ces
expériences traumatiques qui sont des expériences d’effacement
ayant eu lieu dans les tous premiers temps de vie du sujet et qui
n’ont pas pu s’inscrire dans la chaine représentative, du fait de
l’immaturité du moi, du fait de l’absence ou de la défaillance d’un
objet pouvant accueillir, contenir, traduire, refléter ces
expériences pour les rendre appropriables par le moi de l’infans et
en permettre la symbolisation.

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Ces expériences traumatiques vécues par le sujet laissent des
traces en celui-ci. Freud va développer tout au long de son œuvre
une théorie de l’inscription dans le psychisme des expériences
vécues par le sujet. Il va proposer que les expériences doivent
entrer dans une chaine composée de plusieurs inscriptions
successives pour se constituer en souvenir liant des
représentations de celles-ci et les affects qui lui sont associés. Ces
expériences successives sont possibles du fait d’un abaissement et
d’une transformation de la quantité d’excitation qu’elles recèlent.
Freud propose que la quantité d’excitation de certaines
expériences est telle qu’elles échappent à ces transformations, et
qu’elles restent en l’état dans le sujet, sous forme de « fueros ».
Elles échappent donc au système représentatif, à leur mise en
représentation, en mot, en souvenir. Elles restent « conservé(es),
enseveli(es), inaccessible à l’individu… » sans subir une
« destruction totale » (Freud 1937). Ces expériences non
transformées sont des expériences sensorielles, corporelles.
Inscrites en premier lieu sous forme de traces mnésiques
perceptives, elles siègent dans le ça, et sont soumises à la
contrainte de répétition, décrite Freud en 1920 dans Au-delà du
principe de plaisir. Ces traces mnésiques perceptives sont
réactivées dans la rencontre avec l’actuel du sujet par
réinvestissement hallucinatoire. Freud dans Construction en
analyse propose que l’hallucination soit « le retour d’un
événement oublié des toutes premières années, de quelque chose
que l’enfant a vu ou entendu à une époque où il savait à peine
parler. ». Les traces de ces expériences corporelles, traces
mnésiques perceptives, se présenteront alors dans le sujet « sous
forme de sensations, de perceptions hallucinées, sous formes
d’affects bruts ou d’agirs, de poussée motrice » comme le propose
R Roussillon. Les travaux du CRPPC à Lyon s’articulent autour de

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cette question des traces des expériences premières laissées dans
la psyché et le corps du sujet, sur leur saisie et leur symbolisation.

Les deux premiers temps du processus d’effacement psychique,
celui des expériences traumatiques qui échappent au système
représentatif, et celui des défenses paradoxales mises en place
par le sujet vont être ainsi appréhendables dans le discours des
patients et dans la dynamique transféro-contre-transférentielle
par la saisie des traces de ces expériences. Celles-ci se
manifesteront via l’émergence de vécus corporels s’exprimant
sous forme de signifiants formels.

La théorie des signifiants formels a été développée par D. Anzieu
en 1987. Les signifiants formels sont des vécus hallucinatoires qui
s’imposent dans le sujet sous forme corporelle. Ils sont issus
d’impressions précoces vécus dans un espace non différencié
entre le sujet et le monde extérieur. Ce sont des représentants de
contenus psychiques, des représentations de l’espace et des états
du corps. Ils décrivent un mouvement, l’émergence d’une
expérience non appropriée, des premières figurations du corps et
des objets soumises à une transformation. Ils concernent les
formes, leurs transformations, leurs évolutions, leurs
configurations. Ils sont l’expression d’une impression corporelle
que le sujet ne reconnait pas comme lui appartenant et en cela ils
expriment des expériences dont le sujet n’est pas sujet. En 1990
D. Anzieu précisera que si « les signifiants verbaux sont
nécessaires pour travailler en termes économiques, les signifiants
formels le sont pour travailler en termes topographiques, pour
décrire le Moi, ses niveaux d’organisation, les failles de ses
fonctions ». (P67).

Les expériences archaïques traumatiques d’effacement psychique

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seraient saisissables, dans le sujet, dans l’émergence des
signifiants formels relevant des traces corporelles de leur
première inscription. Elles émergeront dans le sujet sous la forme
d’expériences sans sujet ni objet ainsi que le développent les
travaux du CRPPC. Les signifiants formels d’effacement seront :
« ça disparaît, ça glisse, ça se dissout, ça efface…». Ainsi le non-
saisissable, le non-représentable de ces expériences pourra être
saisi. L’appropriation subjective de l’expérience deviendrait
possible, elle pourrait entrer dans le système représentatif et être
réintégrée dans la réalité historique du patient. Les traces
mnésiques perceptives de ces expériences seront aussi
saisissables dans la dynamique transféro-contre-transférentielle,
par « l’effacement partagé ». Aux notions d’identification
projective, de transfert corporel, ou de transfert par retournement
Anne Brun propose l’ajout du concept de « signifiant formel
partagé » par lequel le patient partage avec le psychologue, dans
des vécus corporels de transfert, ces signifiants formels qui
abritent les éprouvés, les vécus corporels traumatiques logés dans
les traces de ces expériences archaïques : ça sidère, ça troue, ça
asphyxie, ça ampute psychiquement…

Pour revenir sur ces deux premiers temps du processus
d’effacement psychique, je vais vous présenter la rencontre avec
une patiente dont je limiterai le récit clinique aux points essentiels
évoquant ce processus d’effacement. Il s’agit de Sabine que j’ai
suivi pendant de nombreuses années en CMP, centre médico
psychologique, en psychiatrie adulte. Sabine était une jeune
femme de 21 ans qui demandait à être reçue en raison d’idées
suicidaires. Sabine était très silencieuse, comme anesthésiée,
indifférente à tout. Son récit laborieux était entrecoupé de longs
silences. Sabine parlait d’une petite voix à peine audible, restait

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toute la séance campée sur sa chaise dans une immobilité
statuaire que la blancheur de sa peau renforçait. Rapidement, le
récit de Sabine se centra sur le lien à sa mère qui la préoccupait :
elle avait peur que sa mère meure. De son père et de son frère
elle ne parlait guère. Elle disait qu’avec sa mère elles étaient
« siamoises de la tête » : elles pensaient la même chose, toujours,
sans avoir à se parler. Toute séparation les menaçait de désespoir.
Elles ne faisaient qu’une : elle était sa mère, et sa mère était elle.
Le récit s’écartait peu de la description d’une double relation
anaclitique entre elle deux. Sa mère terrifiée à l’idée de la perdre
à la naissance, qu’elle soit échangée contre un autre bébé sans
qu’elle puisse le reconnaître, car tous les bébés se ressemblent,
avait initié un collage absolu entre elles dès son premier souffle.
Sabine décrivait cette unité parfaite selon elle qu’elle constituait
avec sa mère, sans qu’aucun affect ne vienne la troubler.
Cependant, au cours des séances, le silence et le blanc changèrent
de teneur. Ils s’épaissirent, s’alourdirent et éveillèrent en moi une
somnolence presque douloureuse. En même temps, l’effacement
psychique continuait d’infiltrer son discours. Elle rapporta des
rêves dans lesquels c’était « comme dans la réalité » : elle était en
présence de sa mère, elle la regardait faire et dire les choses à sa
place. Au quotidien, elle regardait sa mère vivre pour elle, elle
n’existait pas. C’est pourquoi elle ne pouvait pas quitter le corps
de sa mère qui lui servait de corps, sa pensée qui lui servait de
pensée. Elles avaient un corps et une pensée pour deux. Sabine,
de plus, disait chercher son double de partout. Peut-être avait-elle
eu une jumelle, morte pendant la grossesse de sa mère ? Je me
disais que c’était peut-être « elle » qu’elle cherchait de partout.
Elle comme « sujet perdu », pour reprendre les propositions de D.
Quinodoz et R. Roussillon. La jumelle morte serait l’émergence
d’une première représentation d’un vécu de mort psychique, de

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disparition subjective. L’autre, celle qui était née, en serait la
trace corporelle : elle n’était qu’un corps inanimé, vidé de toute
subjectivité. Mais aussi, la jumelle morte pouvait être la
représentation de l’objet perdu ou pas rencontré. En effet, la suite
de son récit s’ouvrit sur une mère déprimée, triste, habitée par les
morts de personnes importantes pour elle juste avant et pendant
sa grossesse. Sabine formula alors qu’elle devait réparer sa mère,
en prendre soin. Elle devait la protéger en lui offrant tout et en ne
la quittant jamais : cela pourrait lui être fatale. Lui : à elle, mais
surtout à sa mère. La lenteur de son discours dénué d’affect et
d’associativité réflexive s’accentua encore. Ce poids du récit, sa
blancheur, sa lourdeur, l’épaisseur de son silence annonçaient,
j’en ferai l’hypothèse plus tard, le surgissement dans le transfert
du signifiant formel d’effacement partagé.

En effet, un jour je réalisais soudain que j’avais quitté la séance
dans un mouvement de disparition qui avait effacé en moi la
séance, la rencontre analytique, le temps, l’espace. J’avais été
plongée dans une absence totale assez déstabilisante. C’est en
revenant dans la séance que je constatai l’effacement dans lequel
j’avais glissée sans le sentir. Sabine était en face de moi,
silencieuse, immobile. Je nommais le silence dans la séance.
Sabine me dit qu’elle était ailleurs. Ce silence était un temps
blanc, sans rien, dit-elle. J’interrogeais : un temps qui pourrait
être un temps comme quand sa mère était absente ? Elle dit à
nouveau que sans sa mère elle était rien. Entendant l’absence de
négation, je lui demandai alors ce que c’était qu’être « rien », elle
répondit : être un fantôme. Son fantôme ou celui de sa mère elle
ne savait pas. « Le fantôme », nouvelle représentation d’un vécu
d’effacement qui entrait en écho avec celui que j’avais été dans la
dynamique transféro-contre-transférentielle, allait prendre corps.

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Sabine décrivit une mère à qui elle parlait pendant des heures, qui
était toujours d’accord sur tout avec elle, et qui ne parlait pas,
absorbée par elle ne savait quoi. Une maman « comme morte
dedans » dit-elle. Une maman qui disparaissait brusquement pour
aller pleurer. Elle se souvint de la chercher dans toute la maison,
de l’entendre pleurer derrière la porte de sa chambre où d’une
autre pièce dans laquelle sa mère s’était réfugiée. La disparition
pris alors corps dans la réalité extérieure : elle perdit toutes ses
photos. Toujours sans émotion apparente elle raconta qu’elle
prenait des photos de tout, pour garder des traces de tout car elle
oubliait tout. « Tout s’efface en moi dit-elle, je ne retiens rien ».
Sabine put dire alors sa peur d’oublier sa mère ou que celle-ci
disparaisse. La question de l’effacement confondait la disparition
du sujet et de l’objet. Le vécu d’effacement émergea à nouveau
dans le transfert.

Je fus saisie une nouvelle fois par cette absence totale. Quand je
revins à la séance, je la vis absorbée dans le silence et prononçais
son nom. Elle sursauta et me dit qu’elle était ailleurs, elle ne
savait pas où. Elle n’en gardait pas de traces, tout autour d’elle et
en elle avait disparu : tout avait été scotomisé. Troublée par ce
moment d’effacement conjoint, je lui dis que moi aussi j’avais été
ailleurs quelques minutes. « Nous avons alors disparue
ensemble » dit-elle. Quand plus tard elle voulut partager avec moi
ces moments de disparition qu’elle se mit à découvrir en elle dans
ses journées, elle disait : « vous savez », ou « vous comprenez » en
référence à cette séance. Elle dit l’importance pour elle de ce
moment d’effacement partagé, « comme ça, ça devient plus vrai »,
dit-elle.

Pendant les séances, elle commença à identifier les moments où

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elle glissait ailleurs et put décrire progressivement la sensation
qui les accompagnait : « ça se vide, ça se dissout ». Elle ne voyait
plus rien, ne pensait plus à rien, c’était tout blanc. Dans un
premier temps elle dit qu’ainsi, elle se sentait protégée de tout.
Plus rien ne l’atteignait. Aucune excitation venant du monde
externe, ou du monde interne ne pouvait la troubler. Souvent elle
était aussi hors de son corps, à côté de lui. Dans les séances, elle
mit ces moments en lien avec mon silence et les variations de mon
écoute auxquels elle se découvrit sensible. Elle put saisir la
répétition de ces moments dans son quotidien en présence de sa
mère, de son compagnon et l’idée que l’angoisse, la peur, la
tristesse ou tout autre affect puissent se tapir dans ces vécus
devint pour elle une pensée envisageable.

Chez de nombreux patients, l’effacement partagé a permis la
reconnaissance puis la saisie d’expériences d’effacement non
appropriées, c’est-à-dire non reconnues, non senties, non perçues
par le sujet. Les spécificités, les modalités de ces expériences
d’effacement ont pu retrouver cette première forme corporelle
qu’offrent des signifiants formels : « ça glisse, ça s’évapore, ça se
fige dans le vide », mais aussi « ça se dissout, ça devient nuageux,
ça scotomise, ça s’étire, ça troue, ça s’émiette, ça rétrécit… » dans
ou jusqu’à l’effacement. Chaque patient put retrouver comment
l’expérience d’effacement prenait corps en lui.

Ces sensations hallucinées, différentes pour tous, exprimeraient
une spécificité de la réalité historique de chacun et
témoigneraient de comment « ça avait glissé, ça s’était figé, troué,
étiré, dissout…» pour eux dans ces expériences catastrophiques.
La possibilité de repérer et retrouver ces sensations en eux et d’en
construire une première représentation, permet l’amorce de la

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réintégration de l’expérience catastrophique.

L’effacement partagé met à jour quelque chose dans le sujet qui le
constitue de blanc, de vide, de rien. Il met à jour une modalité
d’être qui modifie son rapport à lui-même : les patients disent
glisser ou être dans le blanc, l’oubli, la non-pensée, son rapport à
l’autre dont soudain il ne sent plus la présence corporelle ni
psychique, son rapport à l’environnement enfin car l’espace et le
temps sont abolis. L’effacement psychique devient dès lors un
objet psychique apporté par le patient en séance, à saisir, un objet
contenant des vécus qui tendent toujours à le faire disparaître, à
l’effacer et qui cherchent un point de saisissement dans la
rencontre avec le thérapeute pour être réintégrés dans la chaine
représentative et pour que cesse cette répétition d’un effacement
qui saisit et affecte leur subjectivité et leur rapport à
l’environnement.

Spontanément, en séance, les nominations de l’effacement
créèrent une « métaphore spatiale », pour reprendre la
proposition de Widlöcher (2007). Les patients disaient « être dans
le blanc, dans l’évaporation, le trou… », ils était « ailleurs ». Cette
métaphore leur permettait de se donner une représentation de
« cette autre scène » pour reprendre les mots de Freud, scène
énigmatique qu’ils découvraient en eux. Elle leur permettait de
localiser, de circonscrire le non-représentable, le non-localisable,
le non-saisissable. Elle offrait un lieu contenant ce noyau du moi
qui se localise à la périphérie…en position d’exterritorialité quand
le moi n’habite pas le psychisme comme le décrit D. Anzieu
(1990). Avec cette métaphore, sans doute liée à un « transfert de
conteneur » comme le théorise Ch. Guérin (84), lequel permet de
reprendre ce que le « je » a exporté, l’effacement psychique devint

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une sorte d’espace psychique dans lequel la réalité historique du
patient allait tendre à se rehistoriciser par la saisie et la
transformation des expériences désubjectivantes.

Pour certains patients, la métaphore spatiale a été précédé par
une localisation géographique de l’expérience traumatique. Ainsi
Céleste, dont la terrible histoire incestuelle indépassable la
conduira au suicide, raconte comment lors des visites nocturnes
de son père elle se « logeait » dans l’angle du mur, au plafond, et
comment pour tenter de lui échapper, elle montait sur le toit de sa
maison pour être hors d’atteinte. Pour Céleste, la sensation
d’« être dans l’angle du mur » ou « être sur le toit » étaient
devenus pendant les séances le moyen de me signifier qu’elle
percevait en elle des sensations, réactivées par la dynamique
transféro-contre-transférentielle, qui ne pouvaient pas encore être
saisis dans cette première forme corporelle qu’offrent les
signifiants formels. Dario quant à lui, que sa mère enfermait dans
un placard enfant, put approcher ses états d’effacement en
retrouvant en lui, comme pour Céleste, la sensation « d’être dans
le placard ». Ensuite seulement « être dans l’angle ou sur le toit »,
« être dans le placard » fera éprouver les premières modalités
d’effacement psychique : « ça blanchi, ça troue, ça dissèque… ».
Les patients projetaient ainsi dans l’espace géographique ou dans
l’espace offert par la formulation du signifiant formel
d’effacement, les premières représentations corporelles de ces
expériences traumatiques. Cette métaphore spatiale venait
confirmer l’extériorité de ces expériences qui ne leur
appartenaient pas encore. Ça se passait ailleurs, même si leur
présence dans la dynamique transféro-contre-transférentiels
indiquait que ces vécus d’effacement amorçaient leur
réintégration dans le moi et l’histoire du sujet.

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De là s’est imposé un troisième temps du processus
d’effacement psychique, découlant des deux premiers : la
topique. Non pas une topique au sens freudien qui organiserait
l’appareil psychique, mais une topique au sens d’un espace
psychique relatif à une organisation du moi évoluant dans le
temps du sujet, spécifique à certaines expériences précoces
traumatiques, et caractérisant, pour reprendre les mots de Freud,
« un état dans l’état » qui se dérobe au sujet. Cette topique, lieu
paradoxal que les sujets habitent sans y habiter serait comme « la
maison de l’effacement du sujet », en référence aux travaux de G.
Pankow. G. Pankow proposait d’entrer dans le monde du
psychotique comme dans une maison et de donner ainsi corps à
des représentations de l’espace, du temps. Pour elle la façon dont
le sujet habitait l’espace et son corps étaient des supports pour
mettre en représentation les vécus de dissociation. Le corps était
envisagé comme une structure spatiale dont la construction
psychique et les vécus qu’il abritait, étaient porteurs des éléments
historiques traumatiques. La topique de l’effacement figurerait
cette structure spatiale de l’effacement dont la construction
repose sur des éléments historiques traumatiques qu’il faudra
explorer par la façon dont le sujet habite, par l’effacement,
l’espace, son corps et la relation aux autres.

Dans les séances avec Sabine le blanc laissé par la scotomisation
devint le lieu où nous nous rencontrions, et à travers cette
rencontre organisée par la dynamique transféro-contre-
transférentielle, le lieu où elle rencontrait ou retrouvait les vécus
traumatiques logés dans la rencontre avec l’objet. L’introduction
de la médiation pâte-à-modeler, que je ne peux pas développer
maintenant, permit de les saisir. Avec d’autres patients dont les
capacités représentatives sont moins altérées, les images et les

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signifiants verbaux sont des objets de médiation qui permettent de
capter ces sensations. La thérapeute et le patient « entrent »
alors dans l’effacement et explorent les processus primaires et les
vécus archaïques qui le construisent.

Ces vécus et ces processus nous ramenaient toujours aux échec ou
aux écueils des processus de différenciation et d’individuation.

Sabine reconstruisit comme « ça s’éclipsait » en elle au contact de
sa mère. A la fois dans ce collage par la pensée, les siamoises de
la tête, et à la fois dans la béance qui les séparait : il n’y avait pas
de contact physique entre elles. Elles ne se touchaient pas. Seule
une grande pensée délirante pouvait les lier constamment au-delà
de toutes les contraintes imposées par la réalité. Elle témoignait
de ses tentatives pour retenir un objet insaisissable et
disparaissant toujours, un objet indisponible car habité, bouché
par ce que Sabine appelait, sa dépression. L’idée de sa propre
tristesse, angoisse ou peur trouva des points d’appuis dans les
éléments de sa vie. Elle relia en effet ses éclipses, ses
scotomisations à ces moments dont l’insupportable apparaissait.
Plus les espaces de l’une et de l’autre prenaient corps, plus Sabine
étouffait au contact de sa mère et plus la séparation se teintait de
terreur. Les questions d’altérité et de différenciation
commençaient à se travailler et avec eux les abîmes qu’ils
éveillaient.

Elle commença à se sentir à l’étroit dans la relation à sa mère, à
s’irriter de sa façon de dire « oui » à tout, de ne pas l’écouter,
d’être comme elle pour tout. Elle eut envie d’habiter « un peu
seule », dans une sorte de studio accolé à la maison de ses
parents. Son père, qui jusqu’alors n’avait qu’une présence en
arrière-fond prit plus de place, comme objet d’étayage, de soutien,

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dans des modalités relationnelles plus tendre. De même, son frère
devint/redevint un objet auquel elle put se lier. Le lien anaclitique
à sa mère, sans s’abandonner, se transféra sur son compagnon
avec qui elle emménagea, ce qui lui donna l’impression
d’échapper à ce lien de soumission mortifère qui la liait à sa mère.
L’exploration des vécus d’effacement et des processus qui le
composaient avait donné naissance à une histoire racontable dans
laquelle la réalité subjective prenait corps lentement.

Cependant, quelque chose en séance ramenait sans cesse les deux
protagonistes de la rencontre analytique dans les vécus
d’effacement véhiculés par la dynamique transféro-contre-
transférentielle. Pensée blanchie et confuse, trouée, oublis et
ruptures associatives, fatigue et désinvestissement. L’alternance
de sensations lourdes de collage ou de lâchage total,
d’assimilation à l’autre dans une sorte de non-pensée ou de
détachement complet, d’étouffement ou d’asphyxie en présence de
l’autre ou de non-perception de la présence de l’autre se
répétaient. Je le repérai avec d’autres patients pris par cette
même problématique d’effacement psychique.

Je reliais ces motifs transférentiels d’effacement avec des vécus
appartenant à des expériences archaïques traumatiques dans
lesquelles les modalités de relation avec l’objet primaire auraient
mêlé ou/et alterné l’excès et le manque. Ils s’enchainaient dans
une sorte de boucle de Moebius : l’un versant et se retournant
toujours dans l’autre. Ce mouvement barrait l’accès à l’altérité et
à l’intersubjectivité, au développement des processus
d’individuation /différenciation.

Cela m’a conduite à donner à cette topique les
caractéristiques d’une enveloppe d’effacement psychique.

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Freud décrit le fonctionnement de notre appareil psychique par la
liaison de deux couches qui le composent : une première couche
extérieure, double, qui reçoit les excitations externes, ou internes,
à laquelle est attribuée une fonction de protection, qu’il appelle
pare-stimulus. La deuxième, interne, reçoit et garde l’inscription
des excitations. Ces deux couches sont reliées par un flux
d’innervation dont la discontinuité, la rupture provoque
l’inexcitation du système perceptif.

Didier Anzieu, dans son article Cadre psychanalytique et
enveloppe psychique (1986) et dans L’épiderme nomade et la peau
psychique (1990) reprend cette structuration en double feuillet de
l’enveloppe psychique. L’appareil psychique de l’enfant acquiert
un Moi, écrit-il, quand s’amorce cette structure à double
enveloppe. L’une, l’enveloppe pare-excitation recevant les
excitations, interpose un écran protecteur entre le monde
extérieur et la réalité psychique, elle joue un rôle quantitatif.
L’autre, l’enveloppe surface d’inscription, recevant les
significations, est la membrane sensible de l’appareil psychique ;
elle est support de projections, écran récepteur, enveloppe
d’inscription/communication. Elle a une fonction de filtre qualitatif
au service de la communication. L’enveloppe psychique est ainsi à
la fois pellicule à double face dont l’une est tournée vers le monde
interne, l’autre vers le monde externe, et interface dans sa
fonction de séparer ou mettre en relation ces deux mondes.

Selon D Anzieu le développement de l’appareil psychique passent
par la différenciation progressive, en trois étapes, de ces deux
enveloppes. A l’indifférenciation, succèderont le décollement et
l’emboitement des enveloppes psychiques. Il propose ensuite
différentes combinaisons de ces deux enveloppes, chacune

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caractéristique d’une pathologie.

Les rencontres avec les patients m’ont conduite à faire
l’hypothèse que les expériences d’effacement psychique auraient
altéré le développement des deux enveloppes qui se seraient
construites chacune selon des modalités d’effacement. Sous le
choc des impacts traumatiques, la première enveloppe ne peut
construire sa fonction de pare-excitation. Elle vole en éclats
laissant le moi sans protection. La défense primaire par
retournement reprend à son compte l’effacement qui va occuper
la fonction de pare-excitation. Les sujets ne ressentent plus. La
surface d’inscription, espace de projection des images tactiles et
visuelles, reçoit des expériences marquées par l’effacement
qu’elle ne peut plus ni différencier ni saisir, et dont la surcharge
provoque l’effacement des inscriptions, la perte de la capacité de
fixer les traces. Les deux enveloppes psychiques s’emboiteraient,
se reliraient, dans et par l’effacement : le blanc d’affect et le blanc
de représentation se combineraient et créeraient dans le moi un
espace d’effacement psychique sans issu, car le flux d’innervation
les reliant réactiverait sans cesse les vécus d’effacement, les
enchâsserait. Les deux couches de l’enveloppe d’effacement ne
pourraient plus se différencier et l’effacement psychique
organiserait le moi du sujet dans son rapport à lui-même, à l’autre,
à l’environnement.

Ainsi, l’effacement psychique ne serait pas du « rien », mais un
mode de construction subjective. Être dans l’effacement, être
effacé serait la modalité par laquelle le sujet est sujet,
communique, est présent à l’autre, à lui-même. Il présenterait la
réalité interne du sujet prise par l’effacement.

Le travail avec Sabine et les autres, sera de ressaisir, notamment

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grâce à la dynamique transféro-contre-transférentielle, les
processus qui ont modélisé ces deux enveloppes selon des
modalités d’effacement et de les transformer, afin de leur
redonner leur spécificité.

Un des processus majeur que cette enveloppe d’effacement
abriterait massivement serait le processus mélancolique dont la
présence, délétère pour le sujet, participe au processus
d’effacement psychique.

Dans le travail avec Sabine, « Le fantôme » qu’elle disait être,
entra en résonance avec le fantôme qu’avait été pour elle sa mère.
Une mère morte dedans, disait-elle, et ce dès avant sa naissance,
déjà pendant sa grossesse, habitée et absorbée qu’elle était par
les fantômes de deux pertes essentielles. « Ce fantôme » était le
témoin de l’amputation subjective et de la méconnaissance du
sacrifice de son sentiment d’exister. Il était le résultat des
incorporats mélancoliques (R Roussillon) qui aliénaient son moi.
Sabine était dissoute dans son objet, elle disparaissait
subjectivement sous les effets des identifications incorporatives
avec un objet dont l’échec des capacités réflexives n’avait pas pu
soutenir les processus vitaux et de différenciation. En appui sur
les travaux de R Roussillon, je reliais la présence mélancolique en
elle à « la déception essentielle et fondamentale » dans la
rencontre avec son objet primaire, qui « affecte les conditions
mêmes du développement ou du maintien de l’élan vital ».
L’ombre de l’objet qui tombe alors sur le moi est, propose-t-il, ce
que l’objet n’a pas pu refléter, ce qui « n’a pas reçu de la part de
celui-ci un écho satisfaisant et appropriable. L’ombre de l’objet est
la part non réfléchissante de l’objet qui affecte le narcissisme et la
fonction réflexive du fonctionnement psychique quand elle tombe

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