LE RÔLE DE LA POLICE SÉCURITÉ URBAINE etet - Maurice Chalom Lucie Léonard Franz Vanderschueren Claude Vézina

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 SÉCURITÉ URBAINE
et
 BONNE GOUVERNANCE:
LE RÔLE DE LA POLICE
                       Maurice Chalom
                          Lucie Léonard
                   Franz Vanderschueren
                          Claude Vézina
JS/625/-01E
ISBN-2-921916-13-4

Programme Villes Plus Sûres
CNUEH (Habitat)
B.P. 30030
Nairobi, Kenya
Tél. : + 254 (2) 62 3208/62 3500
Fax : + 254 (2) 62 4264/62 3536
E-mail : safer.cities@unchs.org
Site internet : http://www.unchs.org/safercities

Centre international pour la prévention de la criminalité
507, Place d’Armes, bureau 2100
Montréal (Québec)
Canada H2Y 2W8
Tél. : + 1 514-288-6731
Fax : + 1 514-288-8763
E-mail : cipc@crime-prevention-intl.org
Site internet : http://www.crime-prevention-intl.org
CENTRE DES NATIONS UNIES POUR LES ÉTABLISSEMENTS HUMAINS (CNUEH - HABITAT)
     CENTRE INTERNATIONAL POUR LA PRÉVENTION DE LA CRIMINALITÉ (CIPC)

                 sécurité urbaine et
               bonne gouvernance :
                le rôle de la police

                           MAURICE CHALOM
                            LUCIE LÉONARD
                        FRANZ VANDERSCHUEREN
                            CLAUDE VÉZINA
Au sujet des auteurs

MAURICE CHALOM

Maurice Chalom, Docteur en andragogie de l’Université de Montréal, a œuvré pendant une
quinzaine d’années dans le champ de l’intervention sociale à titre d’éducateur de rue et travailleur
communautaire. À titre de conseiller en relation avec la communauté pour le Service de police de
la Communauté urbaine de Montréal, il se spécialise sur les questions liées à l’urbanisation, la
violence et le renouvellement des organisations policières à l’échelle locale, nationale et
internationale.

LUCIE LÉONARD

Lucie Léonard du Ministère de la Justice Canada, travaille à titre de criminologue au sein
d’institutions universitaires et gouvernementales dans le champ de la justice, de la prévention et de
la sécurité urbaine. Elle contribue au développement d’approches et de pratiques pouvant servir à
agir sur les problèmes liés à la criminalité et la victimisation.

FRANZ VANDERSCHUEREN

Franz Vanderschueren est sociologue. Depuis 1996, il est Coordonnateur du Programme Villes
Plus Sûres du Centre des Nations Unies pour les établissements humains (Habitat). A partir de
1992, il a été Conseiller technique du Programme de gestion urbaine des Nations Unies, géré par
Habitat et mis en œuvre en Afrique, Asie, Amérique latine et dans les Pays arabes. Il avait
auparavant travaillé pour des projets de développement et de réduction de la pauvreté en
Amérique latine, Asie et Afrique. Il est l’auteur de plusieurs publications sur la violence urbaine et
l’accès à la justice pour les pauvres des villes.

CLAUDE VÉZINA

Claude Vézina est Directeur de l’assistance technique au Centre international pour la prévention de
la criminalité. Il est politicologue et s’est spécialisé dans les questions reliées à la sécurité urbaine,
à la prévention de la criminalité et aux relations interculturelles. Il a agi comme conseiller auprès
des autorités de la Communauté urbaine de Montréal pendant plus de 13 ans. Il est associé à la
mise en œuvre de plusieurs projets de sécurité urbaine et d’échange d’expertise, notamment en
Afrique.
AVANT-PROPOS
Cette publication est destinée aux autorités nationales et locales, aux policiers et aux organisations de la société civile qui veulent
contribuer à la production de la sécurité au niveau local. Elle entend mettre en évidence les défis de l'insécurité pour les
gestionnaires urbains et les policiers. Elle présente et analyse les réponses des villes et des polices à partir des expériences
innovatrices des pays du nord et du sud.

Les villes font face depuis plusieurs années à une délinquance multiforme accrue. Celle-ci entraîne un sentiment d'insécurité et une
progressive méfiance de la population à l'égard de la police. Cette crise de confiance vis-à-vis de la police est accentuée par la
délégation de tâches de sécurité au secteur privé et par la diminution du rôle de l'état. Les citadins formulent de multiples reproches
aux policiers. Parmi ceux-ci les plus fréquents sont l'incapacité d'assurer la sécurité d'importantes zones urbaines en particulier les
quartiers défavorisés et l'attention presque exclusive sur les grands crimes au détriment de la délinquance au quotidien. A cette
perception d'inefficacité s'ajoute parfois celle de corruption ou d'abus de pouvoir.

Face à cette situation d'insécurité accrue et de crise du rôle policier, les états, les policiers et les collectivités locales ont pris
conscience du besoin de prise en charge décentralisée de l'insécurité et du rôle de la société civile dans la prévention de la
criminalité. Différentes approches ont été mises en place basées sur des coalitions locales regroupant des acteurs institutionnels et
de la société civile pour rechercher des solutions concrètes. Ces réponses innovatrices conduisent à une revalorisation du rôle des
polices dans un cadre de partenariat local et de bonne gouvernance urbaine. Elles visent à un rapprochement des polices et de la
population et à l'imputabilité des polices vis-à-vis des citoyens. Elles mènent aussi à une plus grande efficacité en matière de contrôle
et de prévention de la petite délinquance. Elles améliorent la protection des quartiers ou des groupes à risque et la prise en charge
de tous les problèmes d'insécurité des citadins.

Cette publication met l'accent sur les rapports entre les polices et les collectivités locales. En effet, les policiers ne sont plus les seuls
responsables de la sécurité puisqu'il s'agit d'un problème de bonne gouvernance urbaine. C'est une tâche collective de tous les
citadins sous la coordination des autorités locales. Néanmoins les policiers sont des partenaires fondamentaux en raison de leur
expertise et de leur mandat.

Cette publication analyse aussi les différentes pratiques qui témoignent de cette évolution du rôle de la police. Policiers de proximité,
police communautaire ou de quartier, ilôtiers français ou Kobans japonais sont autant de forme d'exercer le métier de policier en
étroite relation avec les populations. Ceci suppose un changement de mentalité des polices et des autorités nationales ou locales. Ce
processus requiert temps, moyens, formation, apprentissage sur le terrain, habitude du partenariat, évaluations et un cadre
institutionnel adéquat.

L'analyse présentée tient également compte des contextes locaux en particulier des pays en développement et des étapes qui
s'imposent dans le processus d'institutionnalisation d'une police locale efficace et bénéficiant de l'appui des populations.

Cette publication ne prétend ni présenter un ensemble de recettes ni vouloir orienter les municipalités ou les polices vers un modèle
unique prédéterminé. Au contraire elle met en évidence un ensemble de pratiques variant selon les contextes et les orientations des
réformes policières dans un contexte urbain démocratique. Cette publication entend ainsi contribuer à la recherche d'une sécurité
locale comprise comme un « bien commun » pour lequel citoyens, collectivités locales, policiers comme états produisent ensemble la
sécurité de tous.

Anna Kajumulo Tibaijuka
Directrice Exécutive
CNUEH (Habitat)

Nairobi, février 2001
TABLE DES MATIÈRES

LEXIQUE ............................................................................................................................................ i

1. TENDANCES ET INDICATEURS DE LA CRIMINALITÉ
     1.1        Urbanisation et développement humain ..........................................................................1
     1.2        Criminalité urbaine dans le monde ..................................................................................3
     1.3        Coûts et effectifs du système pénale ...............................................................................4

2. ÉVOLUTION DE LA POLICE
     2.1        Principes de Peel .............................................................................................................7
     2.2        Réformes de la police moderne ......................................................................................8
     2.3        Systèmes centralisés et décentralisés ...........................................................................11
     2.4        Adaptation aux demandes de sécurité...........................................................................13

3. SÉCURITÉ ET RESTRUCTURATION POLICIÈRE
     3.1        Sécurité et prévention : des questions prioritaires .........................................................16
     3.2        Proximité et territorialisation ..........................................................................................18
     3.3        Participation et mobilisation des collectivités .................................................................18

4. MEILLEURES PRATIQUES POUR DES VILLES SÛRES
     4.1        Services de police innovateurs pour des solutions durables .........................................23
     4.2        Communautés gérant la sécurité et l’environnement ....................................................26
     4.3        Police et prévention par le développement social..........................................................30
     4.4        Police partenaire de politiques urbaines intégrées ........................................................32

5. POLICE ET BONNE GOUVERNANCE ....................................................................................36
     5.1        Police : un service public pour la bonne gouvernance...................................................37
     5.2        Police et villes : mécanismes pour un partenariat efficace ............................................39
     5.3        Police et citoyens ...........................................................................................................42
     5.4        Vers une transformation des organisations policières ...................................................45

6. DÉFIS ET PISTES D’AVENIR...................................................................................................50

RÉFÉRENCES ................................................................................................................................55
LEXIQUE
•   Approche de résolution de problèmes : Processus dynamique de diagnostic de
    sécurité visant la compréhension et la maîtrise des problèmes communautaires dans
    lequel les institutions autres que la police, les organisations non-gouvernementales et les
    citoyens occupent une place centrale. Il comprend l’identification et la description des
    problèmes de quartiers par une analyse détaillée et une consultation avec les citoyens, la
    planification stratégique pour établir les priorités et les modes d’intervention, et
    l’évaluation pour cibler les impacts des actions posées et opérer de manière efficace les
    changements nécessaires. Cette approche offre l'opportunité de tisser des liens durables
    de coopération entre la police et ses partenaires institutionnels et communautaires.

•   Approches réactive et proactive : Caractérisées par l'idéologie sécuritaire fondée sur le
    tout répressif, les fonctions réactives renvoient à l'intervention en aval de la criminalité, à
    la réponse aux appels et les gestions de crises, sans jamais s’attaquer à la source des
    tensions ou des incidents persistants. Elles limitent l'action policière à certaines
    catégories de délits, soit ceux le plus souvent rapportés par les citoyens. Les approches
    proactives, axées sur la prévention, combinent le développement de moyens propres à
    agir en amont de la criminalité et l’élaboration de programmes visant à s’attaquer aux
    conditions génératrices de délinquance et de criminalité.

•   Déontologie policière : Mécanisme prévu par le législateur afin d'assurer que tout
    membre d'un corps ou service de police s'acquitte des devoirs que lui confère la loi en
    protégeant la collectivité contre les violences, les crimes et les actes préjudiciables. Dans
    l'exercice de ses fonctions, le policier doit agir conformément à la loi en veillant à son
    respect et à son application dans les limites de ses compétences. Les règles de
    déontologie policière allient l'intégrité et l'impartialité de la police pour assurer la primauté
    du droit et le respect des principes démocratiques.

•   Îlotage : Pratique policière qui, fondée sur la responsabilité géographique, privilégie la
    connaissance du territoire et de ses habitants par une plus grande accessibilité et une
    capacité accrue d'identifier les problèmes communautaires. Que ce soit à pied, à vélo ou
    à cheval, la méthode de l'îlotage vise à développer des rapports plus étroits avec les
    résidants et, pour l'îlotier, d'acquérir une forme d'expertise à partir de la scène locale.

•   Koban : Système de police japonais qui, composé de mini-postes de police
    communautaires et orienté vers la résolution des problèmes, allie le caractère
    indispensable de l'interaction étroite entre les citoyens et les policiers, vus avant tout
    comme des membres à part entière de la collectivité. Tout en privilégiant la proximité de
    l'action et l’échange de l'information, les policiers interagissent avec diverses
    associations impliquées dans les activités de maintien de l'ordre, de liaison entre les
    citoyens et l'administration municipale, de support aux victimes et de mesures de
    prévention sociale.

                                                                                                   i.
Lexique

•     Police communautaire : Modèle de police qui vise le rapprochement entre la police et
      les collectivités, pour prévenir efficacement la criminalité et l'insécurité, et le partenariat
      avec les collectivités au sens large (élus locaux, associations de citoyens, gens
      d'affaires, syndicats, planificateurs urbains) et l'ensemble des institutions ou services
      publics et privés. La police communautaire est fondamentalement une police
      professionnelle qui articule la poursuite de sa mission autour de deux pôles : l'approche
      communautaire de services ciblés et la résolution de problèmes.

•     Police de proximité : Similaire aux stratégies de travail et d’organisation de la police
      communautaire, ce modèle de police repose essentiellement sur l’idée d’un partenariat
      durable entre la police et la collectivité pour gérer la sécurité et l’ordre public. Une police
      dite de proximité adhère aux principes de l’îlotage, de la responsabilité géographique, de
      la décentralisation et de la territorialisation de l’action policière.

•     Prévention situationnelle : Basée sur l’analyse stratégique d’un territoire ou d’un
      quartier donné pour identifier et répertorier les occasions de délits, les individus et les
      situations à risque, ce type de prévention vise à modifier les conditions criminogènes
      d’un quartier par l’amélioration de la protection des cibles et des lieux physiques.
      S’agissant du développement des moyens propres à réduire les occasions d’infractions
      et d’incivilités, la prévention durable par des mesures situationnelles doit faire appel à la
      responsabilité et à la capacité des habitants à gérer eux-mêmes la sécurité de leur
      habitat.

•     Prévention sociale : Pour l’essentiel, il s’agit d’une démarche qui mobilise les acteurs
      pouvant agir sur les facteurs qui font obstacle à la participation citoyenne, au
      développement durable, et à l’émergence de collectivités saines et viables. Cette
      stratégie préventive consiste le plus souvent à élaborer des politiques ou des
      programmes de développement social intégré qui s’inscrivent dans le cadre d’actions
      multisectorielles servant les intérêts de la collectivité : l’emploi, l’éducation, l’urbanisme,
      les logement, la santé, la jeunesse, l’exclusion sociale, la police et la justice. Dans le
      contexte de la sécurité, les politiques et les programmes de développement social les
      plus appropriés sont ceux qui ciblent les facteurs de risque identifiés comme contribuant
      à l’émergence des comportements délinquants ou violents et à l’exclusion sociale.

•     Surveillance de quartier : Approche basée sur la création de programmes de
      prévention qui combinent mesures situationnelles et sociale ou de groupes de
      surveillance afin de mieux assurer le contrôle social et la sécurité. Elle est axée sur la
      réduction des opportunités ou des occasions de délits et sur une diminution de la
      vulnérabilité par une meilleure protection des cibles. La surveillance de quartier repose
      avant tout sur la création d’un tissu associatif de prévention communautaire apte à
      promouvoir la solidarité et la cogestion de la sécurité par les membres de la collectivité.

•     Territorialisation : Concept qui renvoie à des pratiques administratives ou
      organisationnelles à partir de la zone ou du territoire, notamment en ce qui concerne la
      lutte contre la petite et moyenne délinquance. La territorialisation concerne l’organisation
      de l’action, la police de proximité, l’îlotage et l’organisation de la décision, la
      déconcentration, la décentralisation. La territorialisation de l’action se base sur les
      principes suivants : travail en partenariat, déconcentration administrative, connaissance
      de la zone ou de la localité desservie, pluralité des solutions, initiative policière, relation
      confiance-information, patrouille unitaire, polyvalence policière, coopération.

ii.
1. TENDANCES ET
                 INDICATEURS DE LA
                       CRIMINALITÉ URBAINE

Partout dans le monde, la violence, la délinquance et l’insécurité portent atteinte au droit
fondamental des individus à vivre en toute tranquillité et à tirer pleinement profit d’un habitat
sain et durable. Sans distinction réelle entre les villes prospères ou pauvres, elles
représentent un coût considérable pour la population, notamment par le dépérissement des
communautés, l’augmentation des dépenses de santé et de sécurité et la perte des
investissements. La violence et l’insécurité menacent directement la vie en société, la bonne
gouvernance et le développement durable dans les quartiers et les villes du monde.

1.1    Urbanisation et développement humain

Au cours des vingt-cinq dernières années, l’urbanisation de la planète s’est faite dans des
conditions souvent difficiles et la multiplication des zones d’urbanisation spontanées a eu
pour effet l’exclusion et la marginalisation sociale et physique de portions croissantes de la
population. Les problèmes posés par l’accroissement considérable de la taille des villes
s’associent à une carence d’infrastructures élémentaires, comme la pénurie de logements
salubres, avec pour résultat l’émergence de quartiers et d’agglomérations urbaines
dépourvus de services collectifs et une concentration toujours plus forte de citadins pauvres
vivant dans la rue. Dans plusieurs pays, la présence marquée des marchés fonciers
parallèles illégaux a contribué à l’efflorescence de bidonvilles et de quartiers suburbains
surpeuplés (Nations Unies, 1996).

L’urbanisation progressive et accélérée se révèle par ailleurs la tendance démographique du
XXe siècle et elle semble vouloir se maintenir pour plusieurs décennies dans la plupart des
métropoles (Habitat, 1996). D'ici l’an 2020, les Nations Unies estiment qu’environ 57 % de la
population mondiale vivra dans les agglomérations urbaines. En Afrique, la hausse de
l’émigration des régions rurales vers des villes laisse prévoir que près de 53 % de la
population vivra dans les centres urbains avec un taux de croissance démographique deux
fois et demie-supérieur à celui des régions rurales. Contribuant à une transformation notable
dans de nombreux pays en développement, ces vagues d'émigration apportent un flot
d'individus qui se retrouvent à la ville sans famille, sans logement, sans réseau de
ressources et sans moyen de subsistance licite.

                                                                                               1.
1. Tendances et indicateurs de la criminalité urbaine

Des indicateurs d’urbanisation montrent que 33 des 100 plus grandes régions
métropolitaines du monde comptent plus de cinq millions d’habitants, dont 22 se situent dans
les pays en développement (Population Action International, 1990). Présentement, 17 des 20
plus grandes villes mondiales se situent dans les pays en développement. Ces
transformations substantielles font naître la nécessité pour les gouvernements d’agir sur la
globalité du phénomène de l’urbanisation, en tenant compte des tendances spécifiques à
chaque région.

Beaucoup de villes en transition sont marquées par la carence ou l'absence de logements
adéquats et d’établissements humains durables. Le Rapport mondial sur les établissements
humains de 1996 estime qu'il y a plus de 100 millions de personnes vivant dans la rue. En
Amérique Latine, plus de 120 millions de personnes n’avaient pas de logement en 1990
alors qu'à Caracas (Venezuela) par exemple, on parle de près de 25 % de la population
(Marcus, 1995). Dans ce contexte précaire, les problèmes liés à la criminalité et à l'insécurité
se font sentir avec acuité.

Ces phénomènes ne sévissent pas seulement dans les pays africains et latino-américains,
puisque la majorité des grandes villes du monde font face à des problèmes de logement et
d'indigence. À ce titre, les États-Unis ont le plus haut taux de dénuement infantile parmi les
pays industrialisés, avec 20 % de ses enfants vivant sous le seuil de la pauvreté (UNICEF,
1993). L’Union européenne compte plus de 52 millions de pauvres et plus de 9 millions de
personnes sans logement ou occupant des logements insalubres. Cette misère se concentre
en périphérie des centres urbains, ce qui provoque une détérioration du cadre de vie des
habitants et une perte des investissements potentiels, et met en péril l’amélioration de
l’environnement social et la gestion efficace de la sécurité.

Sans poser de lien de causalité entre l’urbanisation et la criminalité, le Rapport sur le
Développement Humain indique une corrélation de plus en plus évidente entre le
développement humain et la délinquance (Nations Unies, 1994). L'urbanisation accélérée
des 25 dernières années a amené dans plusieurs régions du monde des conditions de vie
déplorables qui se traduisent par la détérioration progressive de la qualité de vie et du tissu
social urbain, contribuant à une hausse de la criminalité sous toutes ses formes qui menace
à la fois la sécurité des individus et le développement social et économique des villes. Ainsi,
dans les sociétés où une portion croissante de la population est exclue du marché de
l’emploi et de l’éducation de façon endémique, nombre d'individus, en particulier les jeunes,
se voient confinés à des modes alternatifs de réussite et de reconnaissance auprès de
groupes de pairs, qui parfois impliquent des actions illicites et criminelles ou mènent à des
comportements violents.

Outre l’influence de l’urbanisation mal contrôlée, le climat politique et économique de même
que les traditions et la culture sont autant d’éléments déterminants d’un environnement
social propice à la violence (Vanderschueren, 1996).

Sous l’effet conjugué de facteurs multiples comme l’éclatement de la structure familiale,
l’insuffisance de moyens d’insertion sociale et la prolifération des biens de consommation,
des jeunes se lancent dans la violence. Celle-ci pose des défis d’envergure qui vont au-delà
de son expression et de sa légitimité, telles que les perçoivent les médias et la société en
général.

2.
1. Tendances et indicateurs de la criminalité urbaine

1.2    Criminalité urbaine dans le monde

Presque partout à l'échelle planétaire, le nombre de victimes de crimes portant atteinte à
l'intégrité physique ou à la propriété augmente. Entre 1975 et 1990, le nombre de délits
rapportés chaque année mondialement est passé de 350 à 500 millions. Selon l’Organisation
des Nations Unies, le nombre de crimes violents contre la personne a augmenté de près de
10 pour cent au cours de la dernière décennie. D'après les statistiques officielles, les délits
tels pillages, larcins, vols et fraudes représentent 70 % des crimes rapportés et ont
augmenté de 30 % entre 1980 et 1990. Toutes catégories confondues, on constate que
globalement plus du trois quarts des crimes relevés sont commis en zone urbaine avec,
dans les pays industrialisés, le vol et les voies de fait comme principales causes de
victimation. Dans de nombreux pays, la croissance économique et le développement urbain
sont associés à des taux de criminalité de deux à trois fois supérieurs à ceux d’il y a 10 ou
20 ans.

Si les risques de victimation varient selon les municipalités et les quartiers, il est aussi vrai
que les zones résidentielles et commerciales s’avèrent les cibles de choix des délinquants.
Pour les délits contre la propriété, ce sont principalement des caractéristiques de la vie
urbaine telles que la haute densité de population, l'anonymat, l'abondance de biens matériels
et les aménagements urbains propices au crime qui contribuent à multiplier les occasions de
délinquance.

Le taux de cambriolage, l'un des délits les plus courants contre la propriété, serait l'un des
meilleurs prédicteurs des problèmes plus généraux de criminalité dans une région donnée,
tant dans les villes africaines que dans les centres urbains des pays industrialisés (van Dijk,
1996).

La violence est multifacétique. La violence dirigée contre des femmes et des enfants dénote
une situation particulièrement préoccupante, bien qu'il soit difficile d'en mesurer l'ampleur. Si
elle sévit au cœur des foyers plutôt que dans la rue, les coûts sociaux et humains qu'elle
entraîne sont néanmoins considérables (UNICEF, 1997). Elle favorise l’inadaptation sociale
et la reproduction des attitudes violentes, tout en s'inscrivant dans un environnement rendu
complexe par un ensemble de facteurs directement et indirectement liés à la crise
économique, à l'exclusion sociale, au flux migratoire et à la détérioration des liens de
sociabilité. Des millions de femmes et d'enfants sont agressés sexuellement, exploités,
mutilés, tués et ces manifestations de violence, qui ne font que s'aggraver, mettent en péril la
dynamique essentielle et les conditions fondamentales propres au développement humain.

Par ailleurs, on attribue une part de l’aggravation de la violence urbaine à l’abus de drogue et
d’alcool, et en particulier à la croissance du nombre d'armes à feu en circulation. Aux États-
Unis, les morts par balles comptaient pour 64 % des homicides en 1990 et représentaient,
chez les jeunes, la deuxième cause de mortalité. Une étude américaine a comparé Seattle
(États-Unis) et Vancouver (Canada), deux villes voisines et similaires sur les plans
démographique et socioéconomique, mais distinctes par leur législation sur les armes à feu.
Si dans l’ensemble on ne note aucune différence significative de leurs taux d’assauts et de
vols, on enregistre pourtant un taux d’homicide commis par arme à feu quatre fois plus élevé
à Seattle, c'est-à-dire là où les lois en matière de port d'arme sont nettement plus
permissives (Sloane, 1988). Cette disponibilité des armes à feu, facilitée par le fléau du
crime organisé à l’échelle mondiale, multiplie les risques de violence urbaine et représente
une menace fondamentale à la sécurité.

                                                                                               3.
1. Tendances et indicateurs de la criminalité urbaine

La quatrième enquête des Nations Unies sur les tendances de la criminalité et le
fonctionnement des systèmes de justice pénale révèle que la plupart des villes les plus
peuplées dans le monde ont des taux d’homicides qui excèdent largement les taux
nationaux, mettant en évidence le caractère foncièrement urbain de ce délit. Toutefois
certains pays font exception comme la Colombie et le Sierra Leone. On a par ailleurs
démontré que les pays avec un faible indice de développement humain caractérisé par la
pauvreté, le manque de logement, le faible niveau d’éducation et l’absence de services à la
collectivité détiennent les plus haut taux d’homicides déclarés, variant de 22 à 64 par
100 000 habitants. Par comparaison, les 20 villes les plus sûres d’Asie et d’Europe, avec des
taux d’homicide inférieur à deux par 100 000 habitants, ont le meilleur indice de
développement (Population Action International, 1990).

Bien sûr la criminalité est inégalement répartie et du reste, les études font apparaître une
diversité dans les données entre les pays. Mais une tendance à la hausse caractérise la
criminalité et la violence de par le monde et, à l’exception du Japon, le risque d’être victime
d’un crime ou d’un délit a doublé, voire triplé au cours des trente dernières années. Les
enquêtes internationales de victimation indiquent que les habitants des régions urbaines
d’Afrique et d’Amérique latine sont plus souvent victimes, principalement de crimes de
violence (UNICRI, 1995). En Asie, les quartiers et les villes ne sont pas étrangers à la
hausse de la criminalité. En Chine, dans cinq quartiers de la ville de Beijing, l’enquête
internationale de victimation des Nations Unies a démontré qu’une personne sur huit (13 %)
a été victime d’un délit pour l’année 1993 et que, sur une période de cinq ans (1989-1994),
une personne sur deux l’a été. Au Japon, on estime que la densité d’occupation du sol
entraînera inévitablement une augmentation de la criminalité (Miyazawa, 1990).

Le Colloque international des maires sur le développement social, réunissant les maires de
135 villes des cinq continents, révèle que la question du crime, de la violence, et de
l’insécurité figure en moyenne au quatrième rang des problèmes urbains les plus sévères,
avec aux premier et second rangs le chômage et la crise du logement. Pour les villes de Rio
(Brésil), San José (Costa Rica), Newark (États-Unis) et Prague (République Tchèque), elle
constitue le problème numéro un (UNDP, 1994).

1.3    Coûts et effectifs du système de justice pénale

Pour l’ensemble des gouvernements, l’augmentation des effectifs de police a été le moyen
privilégié pour faire face à la montée des phénomènes de violence et de criminalité. Depuis
trente ans, les ressources humaines des corps policiers de la plupart des pays industrialisés
ont augmenté de 50 % et elles représentent en moyenne 85 % de tout le personnel employé
par l'appareil de justice (Nations Unies, 1995); dans les pays en développement, on parle
d'une moyenne de croissance en 30 ans de presque 95 % et dans les pays en transition,
d'une moyenne de plus de 75 %.

Selon la quatrième enquête des Nations Unies sur les tendances de la criminalité et le
fonctionnement des systèmes de justice pénale, le ratio international de policiers par habitant
était de 253 par 100 000 en 1985. En 1990, le ratio moyen national variait entre 172 et 350
par 100 000 habitants. Les données internationales démontrent une relation significative
entre l’augmentation du produit national brut et celle des effectifs policiers même si les ratios
les plus élevés n'apparaissent pas nécessairement dans les régions les plus riches (Nations
Unies, 1995).

4.
1. Tendances et indicateurs de la criminalité urbaine

D’autres pays affichent des taux inférieurs aux normes internationales, comme par exemple
la Tanzanie, avec seulement 100 policiers par 100 000 habitants (Findlay et Zvekic, 1993). Il
faut toutefois nuancer ces chiffres en fonction des tâches accomplies par un corps policier
donné puisque dans de nombreux pays, diverses fonctions sont assignées à des forces
auxiliaires alors que dans d'autres elles sont assumées directement par la police.

Mais une tendance se dégage pourtant avec une acuité croissante : malgré l'augmentation
relative de ses effectifs à travers le monde, la police sous sa forme traditionnelle ne semble
plus devoir être la seule responsable de la sécurité dans les villes, comme en témoigne par
exemple la progression du recours à des groupes de surveillance ou encore à des agences
de sécurité privée.

En France, le marché de la sécurité privée a vu son chiffre d’affaires dépasser les 16
milliards de francs en 1990, avec des effectifs de près de 100 000 personnes, soit la moitié
de ceux de la police (Godefroy et Laffargue, 1993). Un nombre ainsi grandissant
d'administrations publiques, d'entreprises et de particuliers font appel à des services privés
afin d'accroître la sécurité des individus et des collectivités. Les effectifs des agences de
gardiennage de plusieurs pays sont deux fois supérieurs à ceux de la police, et à travers le
monde, les effectifs privés égalent ou dépassent ceux du secteur public.

Aux États-Unis, des études font état de 52 milliards de dollars dépensés annuellement dans
le secteur privé de la sécurité contre 30 dans le secteur public, avec respectivement 1,5
million de personnes employées contre 600 000. Soutenue par des investissements
importants, l’expansion de l'industrie privée soulève des questions fondamentales,
particulièrement celles du respect des droits et libertés et du contrôle des espaces publics
alors que déjà, dans plusieurs régions et villes du monde, des corps privés de sécurité
assument des fonctions qui s'apparentent de près à celles de la police. Le Rapport sur le
Développement Humain indique, notamment pour les États-Unis, que des centaines de
milliards de dollars (290 milliards de dollars en 1991) ont été dépensés pour "la sécurité du
territoire, alors que la sécurité humaine à l’intérieur des frontières diminue à un rythme sans
précédent".

Pourtant, les données internationales sur les coûts alloués au système de justice pénale
représentent des sommes considérables. Entre 1986 et 1990, les budgets de la police ont
diminué de 3 %, bien que les coûts totaux du système de justice aient augmenté de 1 %
(Nations Unies, 1992). Dans les pays industrialisés, les coûts de l’administration de la justice
représentent environ 5 % des budgets nationaux, tandis que les pays en développement et
en transition consacrent entre 10 et 14 % de leur budget à la police, aux tribunaux et aux
prisons. Moins de 1 % de ces montants est consacré à l’assistance des victimes ou à la
prévention par le développement social.

En 1992, les coûts directs de la criminalité en termes de services de police, de tribunaux et
d'établissements correctionnels s’élèvent à 90 milliards de dollars par an aux États-Unis,
dont 35 milliards pour la police seulement. Cette somme représente 7 % des dépenses
gouvernementales. Ses coûts indirects, souvent sous-estimés, totalisent pourtant 335
milliards de dollars, répartis comme suit : souffrance et perte de vie potentielle (170
milliards), déclin urbain sous la forme de perte d’emploi et d’exode résidentiel (50 milliards);
dommages à la propriété (45 milliards); traitement des victimes d’actes criminels (5 milliards)
et 65 milliards pour la sécurité privée (Business Week, 1993).

                                                                                              5.
1. Tendances et indicateurs de la criminalité urbaine

À partir du Rapport des Nations Unies sur le Développement Humain (1994), on estime que
le coût en perte d’investissements et en vie ruinées pourrait être de quatre fois supérieur.
Partout dans le monde, il y aurait des millions de victimes en détresse et des milliers de
milliards de dollars dépensés ou perdus à cause de la criminalité. De telles pertes sont un
handicap important au développement social et économique durable des zones urbaines et
les approches traditionnelles fondées sur le renforcement des moyens répressifs semblent
de moins en moins appropriées. L’augmentation des budgets et des ressources de
l’administration de la justice (police, tribunaux, prison) n’a démontré aucun impact durable
sur les tendances de la criminalité. D’ailleurs, en 1995, les villes américaines aux effectifs
policiers les plus importants affichaient également les taux de criminalité les plus élevés
(Sherman, 1997).

Les limites du système de justice pénale coïncident non seulement avec les perceptions
négatives que peuvent avoir les citoyens quant à l’appareil judiciaire et policier en terme
d’accès à la justice rendu difficile par les coûts et les délais, mais aussi avec son évitement,
encore accentué par l’exclusion sociale, la pauvreté et l’absence de services à la collectivité
locale. Dans les pays du Nord et du Sud où les services de police sont perçus avec
méfiance, les citoyens ont encore moins de moyens pour faire face à la criminalité (Alvazzi
del Frate et al., 1993). Cette situation, tout en constituant un risque pour la sécurité des
personnes et des biens, témoigne de l’inefficacité et de l'essoufflement des réponses
traditionnelles fondées sur l'idéologie sécuritaire de la répression.

Si tout acte criminel doit être sanctionné, la recherche de solutions d’un gouvernement
soucieux de villes plus sûres et économiquement viables semble désormais devoir dépasser
l'ajout de moyens traditionnels de répression. La prise en compte du contexte local,
essentielle pour guider le choix des stratégies pouvant être mises en place, ne peut plus
faire l'économie d'un examen judicieux du rapport coûts-bénéfices de la prévention de la
délinquance et de l'insécurité urbaines.

La sécurité des centres urbains et les conditions de vie de leurs habitants justifient des
mesures urgentes d’investissement dans la prévention du crime pour le développement
équitable des villes. Pour élaborer des solutions durables qui vont au-delà des réponses
traditionnelles, il faut tirer profit du savoir-faire autant local qu’international et promouvoir le
recours aux stratégies de prévention de la criminalité qui permettent de réduire la
délinquance et la violence et d’accroître le sentiment de sécurité, notamment dans les villes
qui sont les moteurs de l’activité économique.

6.
2. ÉVOLUTION
                     DE LA POLICE

Pour aborder le thème plus général de la police dite moderne, c’est-à-dire les systèmes de
police occidentaux dont l’influence est ressentie dans le monde entier, il importe de
comprendre les contextes politiques, sociaux, économiques et culturels dans lesquels elle
évolue et les motifs pour lesquels les pratiques policières efficaces à une époque ne le sont
plus forcément à une autre. Quelle que soit leur manière d'appréhender ou de représenter
les défis que posent la sécurité, les services de police contemporains déploient de nouvelles
manières d’aborder et d'opérer le contrôle social dans un environnement de plus en plus
marqué par l’accroissement et la complexité de problèmes analogues : violence, sentiment
d'insécurité liés à la délinquance et à la criminalité, marginalisation sociale et physique de
portions toujours plus grandes de la société, incivilités et urbanisation mal maîtrisée. Agir sur
la globalité de ces phénomènes requiert pour la police l’adoption de stratégies d’actions
concertées, la consolidation de partenariats, la gestion stratégique de leurs propres
ressources et leur collaboration aux actions communes de sécurité et de prévention locale.

2.1    Principes de Peel

L’organisation policière telle qu’on la connaît aujourd’hui un peu partout à travers le monde
fut d’abord introduite au Royaume-Uni, il y a plus de 150 ans. Encore sous la secousse de la
révolution industrielle, l’Angleterre de l'époque est aux prises avec une hausse de la
criminalité, des incivilités et de la corruption des forces de maintien de l’ordre. Ces dernières
reposaient jusqu’alors sur un système de vigiles privés qui n’excluait pas l’intervention des
militaires pour faire face aux situations les plus difficiles. L’insécurité se révèle alors être une
préoccupation politique et sociale dominante un peu partout en Europe. Face à
l’intensification de ces désordres, les administrateurs de la justice et de la police estimèrent
qu’une police préventive, non militaire et non partisane est susceptible de protéger la
population et d’obtenir son soutien (Emsley et al., 1994).

C’est donc à Londres, en 1829, à la suite de l'adoption du Metropolitan Police Act, que
l’organisation policière professionnelle voit le jour à partir des principes énoncés par le
ministre Sir Robert Peel, aujourd'hui considéré comme le fondateur de la police moderne et
comme le précurseur de la police de type communautaire. À l'époque, cette "nouvelle police"
ne prétend pas réprimer le crime par la force militaire et la sévérité des peines, mais cherche
plutôt à le prévenir. Figure emblématique du modèle de Peel, la patrouille à pied est censée
contrer les désordres publics tout en rapprochant policiers et collectivités. Par cette
proximité, la police vise à gagner le respect du public afin d'obtenir sa coopération pour faire
échec à la criminalité et faire face au sentiment d'insécurité. L’usage de la force physique et
de la contrainte devient une stratégie d’action de dernier recours, une fois épuisés la
persuasion, les conseils et les avertissements. La police entend ainsi démontrer son
efficacité par l’absence de crime plutôt que par son action répressive.

                                                                                                 7.
2. Évolution de la police

Pour obtenir et conserver l’approbation du public, enfin, le policier se doit d’observer la
probité la plus stricte, une attitude essentielle pour concrétiser cette vision de Peel selon
laquelle la police est le public et le public la police. Tout comme dans la philosophie du
système de police au Japon (Koban), le policier est d’abord et avant tout un membre de la
collectivité payé pour s’occuper du bien-être de ces concitoyens, un devoir civique vu
comme incombant à chaque citoyen. Le policier devient un opérateur central des moyens
mis en oeuvre pour réduire et pour prévenir la délinquance et un acteur polyvalent dont le
rôle est axé autant sur la résolution des problèmes de la collectivité comme le désordre et
l'insécurité que sur l'application de la loi.

Émanant des principes énoncés dans la réforme proposée par Peel, les transformations
radicales subies par la police métropolitaine de Londres reflètent encore aujourd’hui une
vision exceptionnelle et futuriste de la mission policière. En passant d’une organisation
éclatée, soudoyée et partisane à une organisation professionnelle au service du public, et en
combinant pratiques répressives et préventives pour combattre la criminalité et les incivilités
saillantes, la police londonienne s’est métamorphosée en un agent stabilisateur de la
société. C’est essentiellement ces attributs qui expliquent l’attrait dont elle fera l’objet par la
suite, influençant les pratiques policières en général en Amérique du nord, en Europe ainsi
que dans de nombreux pays régis par le common law.

2.2    Réformes de la police moderne

L'évolution de la police moderne dans les démocraties occidentales est généralement
divisée en trois époques, caractérisées successivement par la corruption, la
professionnalisation puis la "communautarisation" des services de police.

La phase de corruption correspond au moment où des pratiques policières déforment l’image
traditionnelle de la police, ayant des pouvoirs restreints et soumise aux règles de droit.
(Reiner, 1993), comme c'est le cas au XVIIIe siècle en Angleterre, lorsqu'aux yeux du public,
la police a davantage une image de dépravation que de protection. Les systèmes de contrôle
de l’époque, inefficaces pour contrer son avilissement, évacuent les notions d'imputabilité, de
transparence et d’efficacité et contribuent à l’image d’une police despotique dont les
membres participent aux désordres qu’ils sont censés endiguer.

De l'autre côté de l'Atlantique, à partir des années 1930, l’éloignement entre la police
municipale et la collectivité devient l’élément déterminant de la transformation des services
de polices nord-américains. Un mouvement de professionnalisation s'organise en réaction à
la corruption systématique des policiers rendus trop vulnérables par l'influence politique.
Portée par cette vague de professionnalisation, une période de consolidation, concrétisée
par la fusion et la régionalisation des services, mène à la spécialisation de la fonction
policière, principalement influencée par trois administrateurs américains de la police : Wilson,
Volmer et Parker.

8.
2. Évolution de la police

Pour contrer la corruption, ces derniers préconisent une militarisation de la structure et de la
gestion policières, et mettent l’accent sur la formation des agents en matière de lutte contre
la criminalité, sur le développement d’une expertise spécialisée et sur l'instauration de
mécanismes de contrôle du travail policier, désormais axé sur l’application stricte de la loi et
la répression du crime. C'est à partir de ce moment que l’on tente d'établir des critères pour
mesurer l'efficacité de l'action policière. À ce jour, cette police hautement professionnelle est
le modèle le plus courant à travers l’ensemble des pays occidentaux et repris ou adaptés
dans les pays africains, asiatiques et latino-américains.

L'une des conséquences de la professionnalisation a été l'établissement de règles et de
méthodes de contrôle afin d’éviter la corruption et la brutalité policière, avec entre autres
résultats positifs une délimitation du pouvoir discrétionnaire et une diminution du recours à la
force et aux armes à feu (Skogan, 1993). Avec comme fer de lance la patrouille motorisée
non ciblée, la rapidité d’intervention et l’enquête spécialisée, la police professionnelle ne
démontre pourtant que peu d'aptitudes à prévenir ou réduire la criminalité, et ce n'est qu'en
de rares occasions qu'elle peut prendre les délinquants sur le fait.

Éloignée des citoyens et, par conséquent, mal informée sur les collectivités qu'elle dessert,
la police ne peut que réagir aux délits qui lui sont rapportés, sans jamais s’attaquer aux
conditions qui les engendrent. Comme elle met l'accent sur la grande criminalité au détriment
des problèmes et des conflits communautaires persistants, la police ne parvient pas à
s’adapter à l'environnement social qui évolue, d’abord parce qu'elle devient de moins en
moins représentative des membres des collectivités qu'elle sert, mais aussi parce qu'elle est
inapte à opérer des réformes en raison de la culture trop résistante aux changements ou
encore parce que la formation qu'elle dispense à ses agents s'avère obsolète par rapport à
la réalité sociale.

Au cours d’une période traversée par une vague de violence et d'émeutes, une hausse
constante de la criminalité et une diminution du pourcentage d’affaires criminelles élucidées,
aux États-Unis (1950) et en Grande-Bretagne (1960), le fossé s'élargit entre les collectivités
et la police qui fait l'objet de saillantes critiques concernant entre autres ses rapports avec
les groupes ethniques et les plus démunis de la société (Skogan, 1993). Constatant qu'elles
perdent l’appui des citoyens dont elles connaissent mal les besoins, les autorités policières
commencent alors à s’interroger sur l’efficacité du modèle de type professionnel.

Aujourd'hui, la remise en question des principes et des pratiques de la police professionnelle
se justifie également par les contraintes budgétaires des services publics et l’accroissement
de l'imputabilité qui en découle, ainsi que par les pressions exercées par la demande sociale
de sécurité et l’augmentation de la criminalité. Tous ces éléments ont contribué à un
réexamen de l'idéologie sécuritaire dominante qui, fondée sur la répression du crime, tient le
public à l'écart et désamorce les initiatives policières pouvant avoir un impact durable sur la
qualité de vie et le bien-être collectif.

D’où la nécessité d’adapter une philosophie de service, combinée à un stratégie efficace de
gestion par une approche proactive de services communautaires et un élargissement du
mandat de la police par la visibilité accrue des policiers. Tout cela exige, à la base, une
vision policière renouvelée qui met l’accent non pas sur le tout répressif mais sur la
participation de la collectivité dans la poursuite de sa mission (Sarre, 1997). Cette nouvelle
manière de penser la police caractérise de plus en plus les services qui s'orientent vers la
résolution de problème et la police communautaire, des tendances qui prennent forme aux
États-Unis depuis les années 1970 et 1980.

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