HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
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HOTSPOT Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014
Auteurs Katie Horgan prépare son docto- Irene Ring est vice-directrice du Adrienne Grêt-Regamey est rat à l’Institut de biologie de département d’économie au cen- professeur extraordinaire de plani- l’évolution et des sciences de l’en tre Helmholtz de recherche envi- fication des paysages et des sys vironnement de l’Université de ronnementale (UFZ). Elle a partici- tèmes urbains (PLUS) à l’Institut Zurich. Ses travaux portent sur le pé à l’étude internationale TEEB de développement du territoire et thème «Global Change and Biodi- et dirige conjointement avec du paysage de l’EPF de Zurich. Ses versity Research Priority Programme» et Bernd Hansjürgens (UFZ) le projet «Capital na- travaux de recherche portent principalement s’intéressent aux corrélations entre la fournitu- turel de l’Allemagne» (TEEB DE). Elle enseigne à sur l’analyse et l’intégration de systèmes socio- re de services écosystémiques et la biodiversité. l’Université de Leipzig et de Bayreuth, et prési- économiques et de leurs services écosysté- Avant son Master, elle a travaillé pendant huit de la Société européenne d’économie écolo- miques dans des systèmes géographiques ans comme garde forestière dans des forêts et gique. > p. 8 d’aide à la décision au profit de la planification d’anciennes zones industrielles de Grande- du paysage. > p. 12 Bretagne > p. 6 Urs Moesenfechtel est spécialis- te de la formation des adultes et Gregor Klaus, journaliste scienti- Owen Petchey est professeur ex- travaille depuis de nombreuses fique et rédacteur de HOTSPOT. Il traordinaire à l’Institut de biologie années aux interfaces entre la est notamment collaborateur in- de l’évolution et des sciences de presse, les relations publiques, dépendant auprès du Forum Bio- l’environnement de l’Université de l’organisation de manifestations diversité Suisse et de l’Office fédé- Zurich. Son groupe de recherches et la gestion de la formation. La transmission ral de l’environnement, de même analyse les causes et les consé- de thèmes liés à la protection de l’environne qu’auteur et rédacteur de plusieurs livres sur le quences de l’extinction des espèces, en modéli- ment et de la nature constitue la dominante de thème de la biodiversité et du paysage. > p. 18 sant les incidences liées aux changements envi- son travail. Depuis 2013, il est responsable de ronnementaux sur des réseaux alimentaires ex- la communication du projet «Capital naturel de Werner Müller est expert en bio- périmentaux. Il est codirecteur et membre du l’Allemagne» (TEEB DE) > p. 8 diversité et directeur de l’Associa comité de direction des «Global Change and tion suisse pour la protection des Biodiversity Research Priority Programme». Roger Keller est doctorant à oiseaux ASPO/BirdLife Suisse. Il > p. 6 l’Institut de géographie de coordonne l’apport des organisa- l’Université de Zurich. De 2009 à tions environnementales au plan Bernhard Schmid est professeur 2013, il a travaillé comme collabo- d’action Biodiversité, qu’il représente dans la à l’Institut de biologie de l’é vo rateur scientifique à l’OFEV et diri- délégation suisse auprès de la Conférence des lution et des sciences de l’envi gé notamment le champ d’action Etats signataires de la Convention sur la biodi- ronnement de l’Université de Zu- «recensement des services écosystémiques» du versité > p. 20 rich. Il est en outre doyen de la Fa- plan d’action lié à la Stratégie Biodiversité Su- culté de mathématiques et de isse. > p. 10 Après ses études de biologie de sciences naturelles de même que codirecteur et philosophie, Martin Gorke a tra- membre du comité de direction des «Global Felix Kienast est professeur titu- vaillé pendant sept ans comme Change and Biodiversity Research Priority Pro- laire en écologie du paysage à gardien sur l’île aux oiseaux de gramme». Son groupe de recherches s’intéresse l’EPF de Zurich. Il dirige le centre Norderoog. Il est actuellement re- notamment à la variation à l’intérieur des indi- Paysage du WSL et préside l’As présentant local dans la réserve de vidus, des populations et des espèces animales sociation internationale d’éco biosphère de Schorfheide-Chorin pour le projet et végétales ainsi qu’aux interactions entre les logie du paysage (IALE). Il a parti- «Exploratoriums de la biodiversité» de l’As espèces dans la nature et dans des conditions cipé à de nombreux projets nationaux et inter- sociation allemande pour la recherche (Deut- expérimentales contrôlées. > p. 6 nationaux sur le thème de la cartographie des sche Forschungsgemeinschaft). Il enseigne de- systèmes écosystémiques et il est directeur sci- puis 1997 l’éthique environnementale ainsi que entifique du programme suisse d’observation la théorie et l’histoire de l’écologie à l’université du paysage LABES. > p. 12 de Greifswald. > p. 21 IMPRESSUM Le Forum Biodiversité Suisse encou- 3007 Berne, tél. +41 (0)31 312 02 75, biodiversity@scnat. rage l’échange de connaissances entre la recherche, ch, www.biodiversity.ch. Directrice: Daniela Pauli. Coût l’administration, la pratique, la politique et la société. de production: 15 CHF/exemplaire. HOTSPOT est l’un des instruments de cet échange. HOT- SPOT paraît deux fois par an en allemand et en français: Pour que le savoir sur la biodiversité soit accessible à toutes il est disponible au format PDF sur le site www.biodiversi- les personnes intéressées, nous souhaitons maintenir la ty.ch. HOTSPOT 31|2015 paraîtra en avril 2015. Editeur: gratuité de HOTSPOT. Mais toute contribution sera bienve- Sauf indication contraire, les photos du présent HOTSPOT © Forum Biodiversité Suisse, Berne, avril 2014. Rédac- nue. Compte postal: CP 302040406. Les manuscrits sont sont d’Albert Krebs, Winterthour. Il a mis ces merveilleuses tion: Gregor Klaus (gk), Daniela Pauli (dp). Traduction soumis à un traitement rédactionnel. Ils ne doivent pas photos gratuitement à notre disposition. Nous le remer- en français: Henri-Daniel Wibaut, Lausanne. Mise en forcément refléter l’opinion de la rédaction. La forme mas- cions de tout cœur. page/composition: Esther Schreier, Bâle. Photos: Les culine est utilisée dans le présent document pour faciliter photographies sont accompagnées de l’indication de leur la lecture. Cette disposition ne reflète en rien une discrimi- Page de titre (de haut en bas): auteur. Impression: Print Media Works, Schopfheim im nation basée sur le genre et les termes s’appliquent aussi 1. Nid de guêpes; 2. Criocère du lis; 3. Ascalaphe soufré Wiesental. Papier: Circle matt 115 g/m2, 100% Recy- bien au genre féminin qu’au genre masculin. (œufs et larves); 4. Azuré du genêt cling. Tirage: 3000 ex. en allemand, 1000 ex. en français. Contact: Forum Biodiversité Suisse, Schwarztorstr. 9, CH– 2 HOTSPOT 30 | 2014
Editorial Services écosystémiques 04 Introduction Le concept de services écosystémiques permet d’intégrer la biodiversité dans les consi- Photo Pete Manning dérations sociales et politiques. Peut-être avez-vous entendu parler de ce portrait photographique impressionnant 06 Services écosystémiques: influence de la biodiversité La biodiversité est en principe la condition sine qua non de la fourniture des services écosystémiques dont nous tirons un profit direct ou indirect. réalisé par un macaque (Macaca nigra) de l’île indonésienne de Sulawesi, et du cu- rieux débat qui en résulte puisque le ma- caque avait déclenché lui-même l’appareil 08 TEEB: rendre visible l’invisible Les approches économiques gagnent en importance dans la politique biodiversitaire. Quelle contribution la perspective économique peut-elle apporter? photo, de sorte que la question se pose des droits d’exploitation de cette photo. Qui 10 peut l’utiliser? Et qui peut en exiger com- Les services écosystémiques au banc d’essai bien? Le photographe, le macaque, per- Défis et opportunités dans l’application du concept de services écosystémiques à diffé- sonne? Et pourquoi ne se poser ces ques- rents domaines de la politique et de la pratique en Suisse. tions que si un macaque appuie sur le déclencheur? Selon nous, nous pouvons exploiter gra- tuitement la nature et les services qu’elle 12 Représentation géographique des services écosystémiques La représentation géographique des services écosystémiques apporte des plus-values considérables à la planification du paysage. Les exemples sont nombreux. nous rend. Et les amoureux de la nature n’apprécieront peut-être pas l’idée de lui 14 donner un prix. Non seulement cela man- Interview querait de romantisme, mais cela rendrait «Le coût de l’action est nettement inférieur à celui de l’inaction» aussi possible la vente. La nature n’a donc apparemment aucun prix. Ce qui corres- pond à zéro. Et c’est là que commence le destin tragique d’un bien collectif puisque 18 Précieuses zones protégées Les zones protégées peuvent constituer un important facteur de valeur ajoutée… pour autant que l’Etat reconnaisse leur valeur et oriente sa politique en conséquence. tout le monde peut s’en servir comme bon lui semble. Et la nature est finalement surexploitée à tel point que tout le monde en subit les conséquences, non seulement les amoureux de la nature. 20 Pour la vérité des coûts Nombreuses sont les activités qui portent atteinte aux écosystèmes. Ces coûts externes doivent être assumés par leur responsable. Mais quel est le bénéfice et le coût de la nature? Les innombrables processus natu- 21 rels dont nous tirons profit sont appelés Les réponses de l’éthique environnementale services écosystémiques. Ils sont rendus Dans le débat public, la protection de la biodiversité est de plus en plus souvent justi- possibles par l’immensité de la diversité fiée par son profit pour l’être humain. Mais la nature a aussi une valeur intrinsèque. biologique. Pour pouvoir apprécier le bénéfice et le coût de la nature, il faut donc connaître le bénéfice et le coût des services écosystémiques et de la biodiver- sité sous-jacente. C’est précisément le thème du présent HOTSPOT. Rubriques Les fantastiques photographies d’Albert 23 Forum Biodiversité Suisse Krebs, qui illustrent ce numéro, montrent Biodiversité en politique: entrée en vigueur du protocole de Nagoya à quel point la biodiversité mérite d’être protégée, indépendamment de son profit 24 Office fédéral de l’environnement immédiat. A mon avis, les insectes se- Stratégie Biodiversité Suisse: elaboration du plan d’action raient tout à fait d’accord avec cette utili- sation de «leurs» photographies! 26 Commission suisse pour la conservation des plantes cultivées CPC La diversité des variétés de petits fruits est considérable. Afin de les préserver pour les généra- tions à venir, des variétés anciennes sont conservées, déterminées et multipliées à Riehen, près de Bâle. Markus Fischer Président du Forum Biodiversité 28 La carte de la biodiversité markus.fischer@ips.unibe.ch Puits de carbone en Suisse HOTSPOT 30 | 2014 3
Introduction De la visibilité des valeurs Gregor Klaus, rédacteur, et Daniela Pauli, directrice du Forum Biodiversité Suisse, CH-3007 Berne, daniela.pauli@scnat.ch Une cinquantaine de paysans se tiennent, za et al. 1997). Ces chiffres sont astrono- gées génèrent une valeur de 4500 à 6400 en juillet 2013, au bord d’un bas-marais miques… et abstraits. Leur importance ne francs par hectare et par an. Les services renaturé près de Henggart, dans le canton se révèle qu’à l’échelle régionale ou locale, en question comprennent entre autres de Zurich. La surface est débarrassée de sa quand l’homme exerce une influence né- eau potable, protection du climat, protec- couche d’humus et immergée. Les paysans gative ou positive sur le capital naturel et tion contre les crues, détente et tourisme. protestent contre «la destruction d’une que les écosystèmes fournissent plus ou précieuse terre cultivée». Ils déplorent la moins de services. Précieux arguments perte de trois hectares de surface d’assole- Sept ans plus tard, plus de 1300 scienti- Revenons à notre marais renaturé du can- ment et la diminution de la sécurité d’ap- fiques réunis dans une étude lancée par ton de Zurich. En tant que champs de provisionnement résultant de la promo- l’ONU aboutirent à la conclusion que 15 maïs, les sols marécageux rejetaient du tion «des grenouilles et des populages des services écosystémiques examinés sur 24 CO2 en masse. L’aménagement d’une marais». Les protecteurs de la nature sont se trouvaient dans un état de destruction couche de tourbe permet au secteur de de- vite à court d’arguments. Au Service de avancée ou persistante (Millennium Eco- venir à long terme un puits de CO2 et protection de la nature du canton, le désir system Assessment 2005). L’intégration contribue ainsi à la protection du climat à d’engager de nouveaux projets en est af- économique proprement dite des services moindres frais. Autre prestation impor- fecté, ce qui est regrettable et inutile, car écosystémiques n’eut toutefois lieu tante: la protection contre les crues. la reconstitution ponctuelle d’écosys- qu’avec l’amorce de l’étude internationale Jusqu’à présent, les drainages entraî- tèmes naturels ou proches de la nature TEEB («The Economics of Ecosystems and naient rapidement l’eau de pluie jusqu’au peut aussi se justifier d’un point de vue Biodiversity»). Elle avait pour objectif d’at- ruisseau le plus proche. Par contre, le bas- économique. Quelques chiffres suffiront: tribuer à la biodiversité une valeur moné- marais retient l’eau et contribue à écrêter le maïs, récolté jusqu’à présent sur des taire et de mettre en évidence en même les crues. De même, la sécurité d’approvi- sols marécageux drainés, rapporte à un temps le coût de l’inaction (cf. p. 8). Les sionnement alimentaire est plus élevée agriculteur un produit net de 2000 à 3000 analyses eurent pour effet que les poli- avec un bas-marais doté d’une couche de francs par an. Le profit paraît évident. tiques, les conseillers financiers, les assu- tourbe intacte: alors que la culture du Mais que lui rapporterait la zone humide? reurs et les banquiers commencèrent à maïs sur les sols tourbeux générait à long A partir de là, les choses se compliquent. s’intéresser à cette thématique. terme des sols inutilisables en période Pour faire comprendre le profit que Aujourd’hui, les services écosystémiques exempte de disette, le bas-marais est dis- l’homme peut tirer de la nature, les scien- sont identifiés et évalués dans toutes les ponible pour une exploitation agricole à tifiques ont créé le concept de services éco- régions du globe. Le concept peut fournir tout moment en temps de crise. systémiques. Ils entendent par-là les biens des arguments importants pour la protec- Si nous considérons les chiffres correspon- et les services que les écosystèmes mettent tion de la nature s’il contribue à rendre vi- dant à la valeur moyenne d’une zone pro- à notre disposition et dont nous tirons un sible les valeurs de la nature (cf. p. 10). Les tégée, les trois hectares de bas-marais profit direct ou indirect. Si les écosystèmes services écosystémiques créent un lien fourniront des services d’un montant net- sont dégradés ou détruits, le bénéfice que entre la nature et le bien-être de l’homme, tement supérieur à 10 000 francs par an… nous en tirons se perd (cf. graphique). Par- ce qui permet d’intégrer la biodiversité et à la valeur marchande de la récolte de tout sur notre planète, les chercheurs dans les considérations sociales et poli- maïs. A vrai dire, la valeur monétaire des identifient des synergies entre la satisfac- tiques. Avec la détermination de la valeur écosystèmes ne s’apprécie qu’en relation tion des besoins humains, le bon fonction- de la biodiversité, une nouvelle base de dé- avec l’activité humaine et dépend donc nement des écosystèmes et la prospérité cision est disponible en cas de conflit sur non seulement des conditions écologiques économique. La biodiversité est en même l’utilisation du sol. L’intégration de la bio- et géographiques, mais aussi et surtout du temps le moteur des services écosysté- diversité dans les diverses politiques secto- contexte social, économique et culturel. miques (cf. p. 6). rielles pourrait ainsi aboutir. Avec leurs Il est permis de se demander si ce n’est pas milieux naturels ou proches de la nature, nier la nature que de se laisser aller à ar- La biodiversité compte les zones protégées rendent de vastes et gumenter de la même manière que ceux Un article publié en 1997 dans le célèbre nombreux services écosystémiques. Des qui la détruisent. En vérité, un marais magazine Nature constitue un premier ja- études menées dans l’Union européenne riche de plusieurs millénaires d’histoire et lon dans l’appréciation de la valeur de la sont arrivées à la conclusion que chaque de développement ainsi que de nom- nature. Une équipe de chercheurs dirigée hectare de zone protégée fournit en breuses espèces végétales et animales par Robert Costanza évalua le bénéfice moyenne plusieurs milliers d’euros par an rares et spécialisées mérite bien respect et mondial des écosystèmes à 16-54 milliards en services écosystémiques (cf. p. 18). Si assistance (cf. p. 21). Pourtant, les aspects de dollars par an, soit approximativement ces chiffres sont appliqués à la Suisse, il moraux et économiques ont un point d’in- le produit intérieur brut mondial (Costan- est permis d’estimer que nos zones proté- tersection essentiel: la sauvegarde de la 4 HOTSPOT 30 | 2014
biodiversité et du bon fonctionnement des des incitations, de nouvelles alliances, la écosystèmes. Il ne s’agit pas d’un choix compensation écologique et l’adaptation entre deux options, mais d’arguments de subventions néfastes. L’État joue un supplémentaires en faveur de la protec- rôle prépondérant, pour garantir à long tion de la nature, destinés aux couches de terme l’approvisionnement de la popula- la population qui font la sourde oreille à tion et de l’économie en services écosysté- une argumentation basée sur la valeur in- miques. Les coûts sont faciles à circons- trinsèque de la nature. Une mise en valeur crire et les investissements, bien placés. économique ne détruit pas cette valeur in- En revanche, les coûts imputables à la trinsèque, mais comble une lacune, dans Suisse, si nous n’enrayons pas la dégrada- la mesure où la prise en compte des éco- tion de nos écosystèmes et l’appauvrisse- systèmes permet une vue globale réaliste ment de la biodiversité (cf. p. 20), sont dif- des processus économiques. ficiles à évaluer, mais devraient engloutir Il ne faut toutefois pas dissimuler que la à moyen terme une partie du produit inté- monétarisation de la biodiversité présente rieur brut (Braat et ten Brink 2008). encore un grand besoin de recherche. De Les investissements dans une infrastruc- La chenille du Grand Sylvain (Limenitis populi) passe l’hiver dans des feuilles nombreux calculs se concentrent, par ture écologique et dans d’autres mesures enroulées. Il faut attendre juin de l’année suivante pour qu’éclose le grand papillon diurne, habitant menacé des zones alluviales. exemple, sur quelques services écosysté- de promotion de la biodiversité pro- Photo Albert Krebs, Winterthour miques seulement, en général faute d’in- mettent un excellent rendement (cf. p. 18). formation scientifique fondée. D’un côté, De plus, l’argent investi n’est pas pure- on constate des doubles comptages de ser- ment dilapidé, mais injecté dans l’écono- vices; de l’autre, certaines valeurs néga- mie régionale et locale. Bref, nous gagnons tives (rhume des foins, p. ex.) ne sont pas quand nous préservons et encourageons la encore déduites. Il serait aussi opportun biodiversité; nous perdons quand nous dé- de définir des valeurs seuils pour la biodi- truisons la biodiversité et dégradons les versité, sous lesquelles un écosystème ne écosystèmes. Jusqu’à présent, les budgets peut plus rendre un service spécifique. De de protection de la nature ne représen- plus, nul ne sait précisément quels ser- taient qu’une fraction des dépenses pu- vices écosystémiques revêtent une impor- bliques et beaucoup d’initiatives étaient tance sociale. A cet égard, il serait utile prises à titre bénévole. En dépit des me- Valeur des services écosystémiques d’élaborer des cartes nationales de ser- sures adoptées jusqu’à présent, la biodi- vices écosystémiques (cf. p. 12). Les ca- versité s’est réduite aujourd’hui à un très rences méthodologiques de nombreuses bas niveau dans de nombreuses régions de estimations ne doivent toutefois pas inci- Suisse. La sauvegarde à long terme des ser- ter à considérer globalement les chiffres vices écosystémiques requiert de vastes in- actuels comme insuffisants. Les valeurs vestissements dans notre capital nature. sont concrètes et les ordres de grandeur, connus (cf. interview, p. 14). Le temps Bibliographie manque à vrai dire pour affiner les calculs. www.biodiversity.ch > Publications Il nous faudra peut-être nous contenter du Etat de l’écosystème (intensité d’utilisation) fait que les services et les valeurs de la bio- naturel proche de la nature intensif dégradé diversité sont si multiples qu’ils ne peuvent être recensées dans leur intégra- lité. Les chiffres disponibles permettent Total de tous les services écosystémiques en tout cas d’agir. Fonctions régulatrices (régulation climatique, protection) Fonctions culturelles (spiritualité, éducation) Responsabilité de l’État Fonctions culturelles (détente, tourisme) La grande majorité des services écosysté- Fonctions d’approvisionnement (alimentation) miques ne pourront jamais s’acheter ou se Variation de la valeur des services écosystémiques par rapport à l’in- vendre sur le marché. Par conséquent, les tensité d’exploitation du sol. Source: Braat L., ten Brink P. (éd.) (2008): mesures de sauvegarde et de promotion de The Cost of Policy Inaction. The case of not meeting the 2010 biodiversity la biodiversité doivent mettre l’accent sur target. Wageningen, Alterra, Alterra-rapport 1718 (modifié). HOTSPOT 30 | 2014 Dossier Services écosystémiques 5
Services écosystémiques Influence de la biodiversité Katie Horgan, Bernhard Schmid et Owen Petchey, Institut de biologie de l’évolution et de sciences de l’environnement, Université de Zurich, CH-8057 Zurich, katherine.horgan@ieu.uzh.ch Les études scientifiques révèlent que la génèrent la valeur culturelle et l’impor tems and their Services) (Maes et al. 2013, biodiversité constitue au fond la condi- tance culturelle (Chan et al. 2012). Union européenne 2014), élaborés dans le tion préalable à la fourniture des services D’autres publications décrivent la biodi- cadre de la Stratégie Biodiversité de l’UE, écosystémiques, dont nous tirons un versité comme un service contribuant en mettent le déclin de la biodiversité en cor- profit direct ou indirect. Non seulement définitive au bien-être de l’homme (Boyd rélation avec la dégradation des écosys- le nombre des espèces est déterminant, et Banzhaf 2007). Selon cette opinion, la tèmes et estiment que des milieux plus mais aussi la variété des interactions biodiversité favorise, par exemple, la four- riches en biodiversité pourraient fournir biologiques. Il y a, entre les diverses fonc- niture de produits pharmaceutiques, mais davantage de services. tions écosystémiques, aussi bien des sy- elle n’est pas le produit lui-même (Fisher Il est permis de dire en résumé que la bio- nergies que des conflits d’intérêts. et al. 2009). diversité est au fond une condition sine La biodiversité à un certain niveau d’orga- qua non de la fourniture des services éco- Les services écosystémiques jouent un rôle nisation (spécifique, p. ex.) peut générer de systémiques. Un survol de la littérature croissant dans l’appréciation du coût et de la diversité à un autre niveau (génétique, publiée sur l’évaluation de ces services au l’utilité des mesures de sauvegarde de la p. ex.). Cette interaction entre différents cours des vingt dernières années révèlent biodiversité ainsi que des décisions rela- niveaux révèle que la biodiversité peut le côtoiement des diverses opinions tives à l’affectation du sol. D’une part, des être considérée comme une fonction éco- concernant la biodiversité en tant que ser- bases de décision sont ainsi mises à la dis- systémique en soi. Elle constitue une pro- vice écosystémique (Cardinale et al. 2012). position des protagonistes (de Groot et al. priété des écosystèmes, au même titre que 2012, Crossman et al. 2013); d’autre part, les fonctions d’approvisionnement, de ré- Quelle est la contribution apportée par la le dialogue transdisciplinaire et suprasec- gulation, de détente et de protection, et biodiversité aux services rendus par dif- toriel est encouragé (Abson et al. 2014). Le donc de toute évidence aussi un service férents écosystèmes? rôle joué par la biodiversité dans la fourni- rendu par les écosystèmes (Daily et al. La biodiversité contribue en grande partie ture des services écosystémiques fait néan- 2009). à la fourniture des services rendus par les moins l’objet de controverses. Le présent Comme la biodiversité est présentée différents écosystèmes. Il importe notam- article examine les principales questions comme un bien négociable sur des plate- ment de constater qu’un accroissement de soulevées. formes telles que l’«Ecosystem Market- la biodiversité a une incidence positive sur place», elle représente effectivement au- les fonctions écosystémiques, l’impor- La biodiversité est-elle une fonction éco- jourd’hui un service doté d’une valeur so- tance de cet effet décroissant à partir d’un systémique ou la condition préalable aux ciale. Un regain de biodiversité est ainsi certain niveau de biodiversité (Worm et al. services écosystémiques? considéré comme une valeur assurantielle 2006, Hector und Bagchi 2007). Elle joue ces deux rôles (Fisher et al. 2009, (Baumgärtner 2008), ce qui permet de la Cependant, la généralisation de la contri- Crossman et al. 2013). D’un côté, la littéra- ranger parmi les services écosystémiques. bution de la biodiversité aux services ren- ture scientifique montre que la biodiversi- D’autres auteurs soulignent la valeur in- dus par divers écosystèmes ne suffit pas té est indispensable au bon fonctionne- trinsèque de la biodiversité (Chan et al. pour une application concrète. Certes, la ment des écosystèmes (Cardinale et al. 2012). quasi-totalité des études montrent une in- 2012, Allan et al. 2013, Kremen 2005). Bon En dépit de ces valorisations de la biodiver- fluence notable de la biodiversité sur les nombre de chercheurs estiment certains sité, bon nombre d’études se fondent sur processus et fonctions écosystémiques (Al- éléments de la biodiversité comme essen- une interaction entre biodiversité et fonc- lan et al. 2013). Une plus grande variété de tiels au maintien ou à l’amélioration des tions écosystémiques, plutôt que de dési- pollinisateurs sauvages, par exemple, en- fonctions écosystémiques, mais ils ne sont gner la biodiversité en soi comme un ser- traîne une fructification accrue (Garibaldi pas d’avis que la biodiversité en soi puisse vice écosystémique. La Convention sur la et al. 2013), et les forêts gérées présentant être considérée comme une fonction éco- biodiversité distingue également entre un plus grand nombre d’essences four- systémique à part entière (p. ex. Schläpfer biodiversité et service écosystémique, ce nissent de meilleurs services écosysté- 1999, Quijas et al. 2012). qui a influencé les stratégies et les initia- miques (Gamfeldt et al. 2013). Ces études De l’autre côté, la biodiversité est utilisée tives se fondant sur cette distinction. La révèlent toutefois également que l’impor- comme indicateur dans la mesure des ser- création de la Plateforme intergouverne- tance de la biodiversité à cet égard doit vices culturels rendus par les écosystèmes mentale sur la biodiversité et les services être mesurée au cas par cas (Seppelt et al. (fonction récréative, p. ex.) (de Groot et al. écosystémiques (IPBES), dans le but de ren- 2012, Crossman et al. 2013). De plus, il ne 2002, Haines-Young et Potschin 2012). forcer l’interface entre science et politique faudrait pas seulement prendre en consi- C’est cependant controversé (Daniel et al. dans ce domaine, souligne cette évolution. dération les éléments fonctionnels de 2012), car il en résulte une compréhension De même, le document de travail et le rap- l’écosystème, mais aussi le contexte socio- incomplète des éléments systémiques qui port final de MAES (Mapping of Ecosys- politique (Fisher et al. 2009). 6 HOTSPOT 30 | 2014
Il convient au fond de se demander si les quelles les écosystèmes et la biodiversité fonctions ou les produits d’un écosystème sont exposés. peuvent être considérés comme des ser- Comme la demande en services écosysté- vices s’ils ne sont pas utilisés directement miques accroît la pression sur ces milieux, par l’homme. On pourrait dire, par politiques et scientifiques doivent se de- exemple, qu’une mer riche en biodiversi- mander combien de temps ou jusqu’à quel té, mais inutilisée pour la pêche ou la dé- point un système peut fournir des services tente, ne rend que des services limités ou dans une mesure suffisante. D’autant que ne fournit aucun service écosystémique le déclin de la biodiversité provoque une direct. Cependant, la valeur intrinsèque diminution des fonctions écosystémiques. reconnue par de nombreux auteurs n’est pas prise en compte dans ce cas (Kumar Des conflits d’intérêts opposent-ils les Duraiappah et Naeem 2005). Le concept de diverses fonctions écosystémiques? services écosystémiques considère jusqu’à Il y a aussi bien des conflits d’intérêts que présent les écosystèmes avant tout selon des synergies entre les différentes fonc- une perspective anthropocentrique. Or, tions écosystémiques. Par exemple, des dans une région densément peuplée et mesures forestières peuvent réduire la vouée à l’exploitation agricole, la valeur production de bois en faveur d’un plus biodiversitaire peut être basse mais l’in- grand stockage de carbone; une surface fo- tensité d’utilisation du sol et certains ser- restière plus vaste favorise le stockage du vices écosystémiques, tels qu’une belle ré- carbone, mais réduit la surface utilisable colte pour une plante utile donnée, par l’agriculture. Il convient donc de se de- peuvent y être élevés. Et il est possible que mander comment déterminer l’utilité- la diversité du paysage accroisse sa multi- limite (le montant que quelqu’un est prêt fonctionnalité et génère par conséquent à payer pour une unité supplémentaire de une fourniture de services globalement fonction) de petits changements d’affecta- volumineuse, à laquelle une riche diversi- tion du sol dans des paysages multifonc- té spécifique peut plus ou moins contri- tionnels (Cardinale et al. 2012). Il faut des buer (Cardinale et al. 2012, Quijas et al. instruments permettant de débattre au su- 2012). Cet aspect apparaît aussi dans les jet des valeurs-seuils et des critères dans publications de plus en plus nombreuses un contexte intégré et bien informé. Le sur les écosystèmes urbains. Une biodiver- thème des conflits d’objectifs entre les sité plus riche engendre des services éco- fonctions écosystémiques n’est donc pas systémiques plus précieux; en même seulement lié à la sauvegarde de la biodi- temps, la demande locale en espaces déga- versité mais aussi aux systèmes socio-éco- gés ou «naturels» augmente également la logiques et à leur fonctionnement (Chris- valeur des parcelles pauvres en diversité tensen et al. 1996, Abson et al. 2014). (Bolund et Hunhammar 1999, Davies et al. 2011, Radford et James 2013, Gómez-Bag- Bibliographie gethun et Barton 2013). www.biodiversity.ch > Publications Les services écosystémiques sont-ils fournis «automatiquement»? Un grand nombre d’interactions sont né- cessaires pour que des services écosysté- miques soient fournis. A vrai dire, il faut d’abord ne pas perdre de vue qu’un service La grenouille rousse (Rana temporaria) est une figure ty écosystémique n’est considéré comme tel pique parmi nos amphibiens indigènes. Elle peut peser que s’il contribue au bien-être de l’homme. jusqu’à 100 g. Les noces commencent parfois, sur le Plateau, dès le mois de février, lorsqu’il y a encore de la neige et que En effet, ce concept n’est qu’un instru- la température de l’eau est de 4° C. Les têtards privilégient ment de mesure des besoins humains ain- les eaux peu profondes et deviennent de jeunes grenouilles si que des atteintes et des menaces aux- en l’espace de deux mois. Photos Albert Krebs, Winterthour HOTSPOT 30 | 2014 Dossier Services écosystémiques 7
L‘initiative TEEB Rendre visible l‘invisible Irene Ring et Urs Moesenfechtel, Centre Helmholtz de recherche environnementale, D-04318 Leipzig, irene.ring@ufz.de Étant donné la prédominance des mar- groupes cibles, de fournir des arguments gie nationale sur la durabilité, la stratégie chés et des indices économiques dans économiques (nouveaux) en faveur de de l’UE sur la biodiversité et les décisions l’action politique, entrepreneuriale et l’importance sociale de la nature ainsi que de la CDB, l’Allemagne a adopté en 2007 individuelle, les approches économiques de la protection et de l’utilisation durable une stratégie nationale pour la diversité gagnent aussi en importance dans la de la diversité biologique. En même temps, biologique (NBS). Dans ce cadre, l’Office al- politique biodiversitaire. Quelle contribu- TEEB attire l’attention sur l’accroissement lemand de la protection de la nature (BfN) tion la perspective économique peut-elle des coûts générés par le déclin de la diver- soutient depuis 2012, avec l’aide du minis- apporter? sité biologique et des fonctions écosysté- tère allemand de l’environnement miques. Elle reconnaît aussi la force de (BMUB), le projet «capital naturel de l’Alle- La nature et sa diversité sont la base de persuasion des argumentations écono- magne (TEEB DE)», coordonné par le notre bien-être et de notre prospéri- miques dans les sociétés modernes et re- centre de recherche environnementale té; l’économie et la société en sont di- vendique une modification fondamentale Helmholtz (UFZ) au titre de contribution rectement tributaires. Pourtant, l’état des paradigmes économiques actuels. Les nationale à l’initiative internationale des écosystèmes se dégrade de plus en résultats de la phase principale de cette TEEB (Naturkapital Deutschland – TEEB plus, et la diversité biologique ne cesse initiative ont été présentés à Nagoya en DE 2012). Quatre rapports thématiques, de s’appauvrir. Ce constat s’explique no- 2010 à l’occasion de la Conférence des consacrés à la politique climatique, au tamment par le fait que les acteurs de Etats signataires de la Convention interna- paysage rural, aux services écosysté- l’économie ne prennent en considération, tionale sur la diversité biologique (TEEB miques en ville ainsi qu’à la synthèse et dans leurs décisions, qu’une part relative- 2010). Depuis lors, l’initiative TEEB mène aux options d’initiative, rassembleront ment faible des services rendus par la na- des études complémentaires sur un plan d’ici 2017 le savoir disponible au sujet de ture, à savoir ceux pour lesquels il existe sectoriel et biomique. l’évaluation économique et de la valorisa- des prix de marché. C’est en particulier tion sociale du capital naturel. Cela de- le cas des aliments et des matières pre Succès internationaux vrait aussi contribuer, en Allemagne, à mières. Pourtant ils ne représentent que la Le concept de services écosystémiques, corriger un mode d’action restreint du pointe de l’iceberg. La majeure partie des leur recensement, leur évaluation et sur- point de vue social et exclusivement axé services écosystémiques nous échappe. En tout la visualisation de leur pertinence sur l’intérêt économique de quelques pro- règle générale, nous n’en prenons consci- économique sont aujourd’hui intégrés tagonistes, afin que le capital nature et sa ence que lorsqu’ils ne sont plus disponi- dans de nombreux programmes de re- diversité soient mieux pris en compte bles. Par exemple, nous libérons des sur- cherche, stratégies et processus décision- dans nos décisions. faces pour l’industrie, la construction ou nels. L’initiative TEEB a ainsi contribué à l’agriculture, sans tenir compte des inci- la plus grande prise en compte des aspects Les premiers résultats de TEEB DE dences liées au changement d’affectation économiques dans la stratégie Biodiversité Un premier rapport, «Capital naturel et pour le climat, le régime hydrique ou la de l’UE (jusqu’en 2020) ainsi que dans le politique climatique: synergies et diversité biologique. plan 2011-2020 de la CDB. En lançant le conflits», a été publié en février 2014: il programme WAVES («Wealth Accounting présente les contributions de la nature à la L’initiative TEEB and Valuation of Ecosystem Services»), la protection du climat et à l’adaptation cli- Selon l’initiative internationale TEEB, Banque mondiale a mis sur pied un parte- matique (Naturkapital Deutschland – cette vision restreinte est imputable au nariat mondial entre organes de l’ONU, TEEB DE 2014). Selon une des conclusions, manque de prise en considération de nom- gouvernements, institutions internatio- la conservation des surfaces herbagères breuses fonctions écosystémiques (notam- nales, ONG et scientifiques, lequel s’en- constitue une mesure écologique mais ment dans les décisions économiques). gage pour la normalisation et la mise en aussi économique importante pour la pro- TEEB signifie précisément «The Econo- œuvre de l’intégration des services écosys- tection du climat. En Allemagne, le milieu mics of Ecosystems and Biodiversity» (éco- témiques dans la comptabilité nationale et urbain et les surfaces de transport s’é nomie des écosystèmes et de la biodiversi- les comptes d’entreprise. En outre, sur la tendent surtout au détriment des terres té) et désigne un processus international base des conclusions de l’initiative TEEB, agricoles. En même temps, la perte de lancé par l’Allemagne en 2007 dans le plus de vingt pays, dont l’Allemagne, ont terres cultivées liée à ce changement d’af- cadre de la rencontre des ministres de d’ores et déjà lancé leurs propres études fectation est compensée depuis le milieu l’Environnement du G8+5 et de la Com- nationales TEEB. des années 1990 par la conversion de sur- mission de l’UE. Réalisée sous l’égide du faces herbagères en terres cultivées. Paral- programme environnemental des Nations Capital naturel de l’Allemagne (TEEB DE) lèlement à la demande croissante en den- unies, l’initiative a pour préoccupation, Dans le cadre des accords nationaux et in- rées alimentaires et au regain de conver- dans le cadre d’études axées sur des ternationaux existants, tels que la straté- sion de l’élevage en stabulation intensive, 8 HOTSPOT 30 | 2014
15% des surfaces herbagères d’Allemagne haitable d’exprimer en valeur monétaire ont ainsi disparu au cours des vingt der- certains services rendus par la nature. Il nières années. En même temps, la promo- est alors possible d’essayer de quantifier tion des énergies renouvelables a généré les services écosystémiques sans leur attri- une expansion des plantes énergétiques buer de valeur monétaire. Si l’apprécia- d’origine agricole. Si la part de colza et de tion quantitative d’effets observés n’est maïs représentait encore en 2002 20 à 22% pas possible, par exemple en raison de la surface cultivée totale, elle est passée d’informations insuffisantes ou d’incerti- depuis lors à plus de 30%, et cette part a tudes et donc faute d’indicateurs, il ne fortement contribué à la réaffectation des reste plus qu’à apprécier qualitativement surfaces herbagères en raison de la concur- le bénéfice lié à l’écosystème. Enfin, il ne rence. faut pas oublier que nous ignorons un La priorité accordée, dans la promotion des grand nombre de corrélations relatives plantes énergétiques, à des cultures inten- aux fonctions et aux services écosysté- sives d’un an présente plusieurs inconvé- miques. Notre savoir est lacunaire. nients. Elle entraînera sans doute des inci- Indépendamment de la forme et du mode dences écologiques négatives (charge en d’expression des valeurs ou des estima- nutriments, réduction des assolements et tions des prestations fournies par la na- emploi accru de produits phytosanitaires), ture, ce gain d’informations à lui seul ce qui se répercutera sur la diversité biolo- n’entraîne pas encore en général une amé- gique. Cette évolution est inquiétante du lioration des décisions par rapport à la na- point de vue de la protection de la nature, ture. Les institutions sociales et les méca- mais aussi sur un plan climatique. La mise nismes régulateurs doivent être en me- en culture de surfaces herbagères riches en sure d’utiliser effectivement les informa- espèces, par exemple, a provoqué la libéra- tions et les estimations disponibles comme tion de 88 à 187 tonnes de CO2 par hectare base de décision et d’action. A cet égard, et par an en Allemagne. Une réaffectation un mix politique approprié s’avère néces- de 5% des surfaces herbagères existantes saire du côté de l’Etat, sous forme d’une (52 532 ha) correspondrait à des préjudices combinaison ciblée de législation, d’outils climatiques d’un montant annuel d’envi- économiques et d’instruments complé- ron 436 millions d’euros. TEEB DE préco- mentaires facultatifs à vocation informa- nise donc de suspendre la conversion per- tive. La politique environnementale ne sistante de ces surfaces et d’instaurer une peut toutefois pas tout régler seule: l’en- production de biomasse énergétique plus semble des protagonistes, depuis les entre- compatible avec l’environnement. prises jusqu’aux citoyens en passant par les associations, assument une part de res- Prudence dans l’utilisation des arguments ponsabilité et doivent s’engager, selon économiques leurs possibilités, pour la sauvegarde et Les processus d’évaluation d’inspiration l’exploitation durable de la diversité biolo- économique s’efforcent d’estimer la va- gique. leur des variations de services écosysté- miques dans l’idée d’un équivalent de re- Bibliographie venu – et donc en général sous forme mo- www.biodiversity.ch > Publications nétaire pour assurer la comparabilité avec d’autres biens et services négociés sur le marché. Comme il n’existe aucun prix de marché pour de nombreux services éco- systémiques, l’économie environnemen- tale a mis au point toute une série de mé- thodes d’évaluation pour obtenir indirec- tement des valeurs monétaires. Concer- nant cette monétarisation, il convient de souligner les aspects suivants: sur l’en- semble des services écosystémiques, l’éva- luation économique ne recense encore une fois, d’une manière générale, que la A première vue, il pourrait s‘agir d‘une abeille mellifère. pointe de l’iceberg. De nombreuses va- Pourtant, les cellules du couvain révèlent que cette espèce leurs échappent à la monétarisation, que est très particulière: l‘abeille coupe-feuille (Megachile wil- lughbiella) les construit à partir de morceaux de feuilles. ce soit pour des raisons méthodologiques Elle remplit de pollen et de nectar l’espace habitable, avant ou bien, par principe, pour des raisons d‘y déposer un œuf. La larve se transformera en pupe au culturelles ou éthiques, s’il n’est pas sou- printemps. Photos Albert Krebs, Winterthour HOTSPOT 30 | 2014 Dossier Services écosystémiques 9
Services écosystémiques au banc d’essai Risques et effets secondaires dans l’application Roger Keller, Institut de géographie de l‘Université de Zurich, CH-8057 Zurich, roger.keller@geo.uzh.ch L’application du concept de services éco- Application en Suisse répartir les personnes interviewées en systémiques fait l’objet d’une recherche Un projet de recherche mené à l’Institut fonction de leur contexte institutionnel: internationale intensive dans les milieux de géographie de l’Université de Zurich > Appréciations d’ONG (spécialistes de politiques et scientifiques. Qu’en est-il en étudie actuellement d’un point de vue so- Pro Natura, WWF, ASPO/Birdlife Suisse, Suisse? Quels sont les défis et les oppor- ciologique la possibilité d’appliquer le Fondation suisse pour la protection et tunités que cette approche représente principe des services écosystémiques en l’aménagement du paysage et CIPRA): pour divers domaines de la politique et Suisse. Il s’intéresse particulièrement aux Les opinions des spécialistes des ONG, de la pratique? Le présent article apporte possibilités, aux risques et aux défis liés à extrêmement nuancées, vont du refus des éléments de réponse sur la base des une application pratique. A cet égard, il total d’une appréciation quantitative résultats intermédiaires d’un projet de convient de ne pas perdre de vue qu’il n’y des services écosystémiques jusqu’à la recherche. a pas UNE application possible de cette ap- revendication d’une monétarisation/ proche: au contraire, l’éventail des appli- quantification nationale de la nature. La Le concept de services écosystémiques est cations va de la mise en évidence du béné- monétarisation en tant qu’argument débattu intensivement depuis longtemps fice pour l’être humain à la monétarisa- supplémentaire est notamment souhai- dans les milieux scientifiques, et la discus- tion intégrale des services écosystémiques tée là où prédomine un mode d’observa- sion s’est étendue à la politique au plus en passant par la quantification de cer- tion économique. Un exemple cité tard depuis les publications du Millenium taines de ces fonctions. concerne l’assainissement des eaux rési- Ecosystem Assessment (2005) et de l’initia- La base de données consiste en interviews duelles: comme la production énergé- tive TEEB (cf. p. 8) (Keller et al. 2014). A qualitatives et dirigées de spécialistes re- tique est actuellement prioritaire, les l’échelle internationale, plusieurs ins- présentant la politique, l’administration, arguments écologiques ne seraient tances s’intéressent aux fonctions écosys- l’économie, les zones protégées, les ONG guère pris en compte. D’un autre côté, témiques et à leur mise en œuvre dans la et l’Université, ainsi que diverses commis- on redoute que la quantification de la politique et dans la pratique: par exemple, sions et communautés d’intérêts. Plus de nature ne la transforme en marchan- la plateforme intergouvernementale sur la 20 entretiens, en cours d’évaluation, ont dise négociable. L’initiative européenne biodiversité et les services écosystémiques déjà été menés jusqu’à l’été 2014. Outre «No net loss» est également citée en (IPBES), créé en 2012, ou le groupe de tra- ces interviews, les travaux (prévus) de exemple. Avec ce mécanisme de com- vail «Mapping and Assessment of Ecosys- l’OFEV dans le cadre du plan d’action de la pensation des atteintes à la nature, on tems and their Services» (MAES) de l’Union SBS sont étroitement observés et analysés. craint une plus forte différenciation européenne. En Suisse, c’est l’Office fédé- Le travail de recherche a pour but de four- entre paysages protégés et paysages ral de l’environnement (OFEV) qui s’en nir un tableau aussi complet que possible utiles. préoccupe en premier lieu. Dans le cadre de la situation en Suisse, lequel pourrait > Appréciations des communautés d’in- d’un travail pionnier, il a proposé en 2011 intéresser d’autres pays (européens). térêts et des forums Science-Policy des indicateurs concernant 23 services (spécialistes d’Alparc, d’Avenir Suisse, écosystémiques (Staub et al. 2011). Dans la Premiers résultats de l’Union suisse des paysans, du Forum Stratégie Biodiversité Suisse (SBS) (Conseil Les entretiens menés jusqu’à présent paysages et du Forum Biodiversité): fédéral 2012), les services écosystémiques donnent une image relativement hétéro- Les représentants des communautés sont utilisés comme arguments de base gène en ce qui concerne l’appréciation des d’intérêt et des forums ont souligné par rapport à l’utilité de la biodiversité: chances, des risques et des défis. Cepen- presque unanimement les possibilités «La biodiversité fournit des services indis- dant, au moment où le présent article de sensibilisation liée à l’application du pensables pour la société et l’économie: était rédigé, les premiers résultats partiels concept de services écosystémiques: il c’est ce que l’on appelle les services éco- étaient disponibles, quoique susceptibles permettrait de toucher certains milieux systémiques. La diversité de ces services d’évoluer jusqu’à la clôture prévue du pro- imperméables à d’autres arguments. Un est immense: la biodiversité fournit des jet fin 2015. danger éventuel est perçu dans la démy- aliments, influe sur le climat, préserve la Seuls certains aspects des entretiens se- thification de la nature par les chiffres, qualité de l’eau et de l’air, est indispen- ront ici examinés. Il importe de souligner ce qui pourrait avoir un effet contre- sable à la formation des sols et – aspect que les personnes interrogées ne l’étaient productif chez des personnes intrinsè- non négligeable – offre des espaces de dé- pas à titre de représentants officiels de quement motivées. En outre, un danger tente. La détérioration de la biodiversité leur organisation ou de leur institution, est toujours lié aux chiffres, car ils sont entraîne une diminution de ces presta- mais en tant que spécialistes. Elles ont très appréciés et politiquement manipu- tions et, par conséquent, compromet le dé- donc fait part de leur opinion (person- lables; la prudence est de rigueur en ce veloppement durable de l’économie et de nelle) de spécialistes. Il apparaît toutefois qui concerne l’économisation des inté- la société.» opportun, pour le survol effectué ici, de rêts politiques. Parmi les défis cités fi- 10 HOTSPOT 30 | 2014
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