HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera

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HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
HOTSPOT

Services écosystémiques
      Dialogue entre recherche et pratique
 Informations du Forum Biodiversité Suisse
                                  30 | 2014
HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
Auteurs
              Katie Horgan prépare son docto-                                Irene Ring est vice-directrice du                                Adrienne Grêt-Regamey est
              rat à l’Institut de biologie de                                département d’économie au cen-                                   professeur extraordinaire de plani-
              l’évolution et des sciences de l’en­                           tre Helmholtz de recherche envi-                                 fication des paysages et des sys­
              vironnement de l’Université de                                 ronnementale (UFZ). Elle a partici-                              tèmes urbains (PLUS) à l’Institut
              Zurich. Ses travaux portent sur le                             pé à l’étude internationale TEEB                                 de développement du territoire et
              thème «Global Change and Biodi-                                et dirige conjointement avec                                     du paysage de l’EPF de Zurich. Ses
versity Research Priority Programme» et                       Bernd Hansjürgens (UFZ) le projet «Capital na-                    travaux de recherche portent principalement
s’intéressent aux corrélations entre la fournitu-             turel de l’Allemagne» (TEEB DE). Elle enseigne à                  sur l’analyse et l’intégration de systèmes socio-
re de services écosystémiques et la biodiversité.             l’Université de Leipzig et de Bayreuth, et prési-                 économiques et de leurs services écosysté-
Avant son Master, elle a travaillé pendant huit               de la Société européenne d’économie écolo-                        miques dans des systèmes géographiques
ans comme garde forestière dans des forêts et                 gique. > p. 8                                                     d’aide à la décision au profit de la planification
d’anciennes zones industrielles de Grande-                                                                                      du paysage. > p. 12
Bretagne > p. 6                                                             Urs Moesenfechtel est spécialis-
                                                                            te de la formation des adultes et                                Gregor Klaus, journaliste scienti-
              Owen Petchey est professeur ex-                               travaille depuis de nombreuses                                   fique et rédacteur de HOTSPOT. Il
              traordinaire à l’Institut de biologie                         années aux interfaces entre la                                   est notamment collaborateur in-
              de l’évolution et des sciences de                             presse, les relations publiques,                                 dépendant auprès du Forum Bio-
              l’environnement de l’Université de                            l’or­­ganisation de manifestations                               diversité Suisse et de l’Office fédé-
              Zurich. Son groupe de recherches                et la gestion de la formation. La transmission                                 ral de l’environnement, de même
              analyse les causes et les consé-                de thèmes liés à la protection de l’environne­                    qu’auteur et rédacteur de plusieurs livres sur le
quences de l’extinction des espèces, en modéli-               ment et de la nature constitue la dominante de                    thème de la biodiversité et du paysage. > p. 18
sant les incidences liées aux changements envi-               son travail. Depuis 2013, il est responsable de
ronnementaux sur des réseaux alimentaires ex-                 la communication du projet «Capital naturel de                                  Werner Müller est expert en bio-
périmentaux. Il est codirecteur et membre du                  l’Allemagne» (TEEB DE) > p. 8                                                   diversité et directeur de l’As­so­cia­
comité de direction des «Global Change and                                                                                                    tion suisse pour la protection des
Biodiversity Research Priority Programme».                                  Roger Keller est doctorant à                                      oiseaux ASPO/BirdLife Suisse. Il
> p. 6                                                                      l’Institut de géographie de                                       coordonne l’apport des organisa-
                                                                            l’Université de Zurich. De 2009 à                                 tions environnementales au plan
              Bernhard Schmid est professeur                                2013, il a travaillé comme collabo-                 d’action Biodiversité, qu’il représente dans la
              à l’Institut de biologie de l’é­  vo­                         rateur scientifique à l’OFEV et diri-               délégation suisse auprès de la Conférence des
              lution et des sciences de l’envi­                             gé notamment le champ d’action                      Etats signataires de la Convention sur la biodi-
              ronnement de l’Université de Zu-                «recensement des services écosystémiques» du                      versité > p. 20
              rich. Il est en outre doyen de la Fa-           plan d’action lié à la Stratégie Biodiversité Su-
              culté de mathématiques et de                    isse. > p. 10                                                                    Après ses études de biologie de
scien­ces naturelles de même que codirecteur et                                                                                                philosophie, Martin Gorke a tra-
membre du comité de direction des «Global                                 Felix Kienast est professeur titu-                                   vaillé pendant sept ans comme
Change and Biodiversity Research Priority Pro-                            laire en écologie du paysage à                                       gardien sur l’île aux oiseaux de
gramme». Son groupe de recherches s’intéresse                             l’EPF de Zurich. Il dirige le centre                                 Norderoog. Il est actuellement re-
notamment à la variation à l’intérieur des indi-                          Paysage du WSL et préside l’As­                                      présentant local dans la réserve de
vidus, des populations et des espèces animales                            sociation internationale d’éco­                       biosphère de Schorfheide-Chorin pour le projet
et végétales ainsi qu’aux interactions entre les                          logie du paysage (IALE). Il a parti-                  «Exploratoriums de la biodiversité» de l’As­
espèces dans la nature et dans des conditions                 cipé à de nombreux projets nationaux et inter-                    sociation allemande pour la recherche (Deut-
expérimentales contrôlées. > p. 6                             nationaux sur le thème de la cartographie des                     sche Forschungsgemeinschaft). Il enseigne de-
                                                              systèmes écosystémiques et il est directeur sci-                  puis 1997 l’éthique environnementale ainsi que
                                                              entifique du programme suisse d’observation                       la théorie et l’histoire de l’écologie à l’université
                                                              du paysage LABES. > p. 12                                         de Greifswald. > p. 21

IMPRESSUM Le Forum Biodiversité Suisse encou-                 3007 Berne, tél. +41 (0)31 312 02 75, biodiversity@scnat.
rage l’échange de connaissances entre la recherche,           ch, www.biodiversity.ch. Directrice: Daniela Pauli. Coût
l’administration, la pratique, la politique et la société.    de production: 15 CHF/exemplaire.
HOTSPOT est l’un des instruments de cet échange. HOT-
SPOT paraît deux fois par an en allemand et en français:      Pour que le savoir sur la biodiversité soit accessible à toutes
il est disponible au format PDF sur le site www.biodiversi-   les personnes intéressées, nous souhaitons maintenir la
ty.ch. HOTSPOT 31|2015 paraîtra en avril 2015. Editeur:       gratuité de HOTSPOT. Mais toute contribution sera bienve-         Sauf indication contraire, les photos du présent HOTSPOT
© Forum Biodiversité Suisse, Berne, avril 2014. Rédac-        nue. Compte postal: CP 30­204040­6. Les manuscrits sont           sont d’Albert Krebs, Winterthour. Il a mis ces merveilleuses
tion: Gregor Klaus (gk), Daniela Pauli (dp). Traduction       soumis à un traitement rédactionnel. Ils ne doivent pas           photos gratuitement à notre disposition. Nous le remer-
en français: Henri-Daniel Wibaut, Lausanne. Mise en           forcément refléter l’opinion de la rédaction. La forme mas-       cions de tout cœur.
page/composition: Esther Schreier, Bâle. Photos: Les          culine est utilisée dans le présent document pour faciliter
photographies sont accompagnées de l’indication de leur       la lecture. Cette disposition ne reflète en rien une discrimi-    Page de titre (de haut en bas):
auteur. Impression: Print Media Works, Schopfheim im          nation basée sur le genre et les termes s’appliquent aussi        1. Nid de guêpes; 2. Criocère du lis; 3. Ascalaphe soufré
Wiesental. Papier: Circle matt 115 g/m2, 100% Recy-           bien au genre féminin qu’au genre masculin.                       (œufs et larves); 4. Azuré du genêt
cling. Tirage: 3000 ex. en allemand, 1000 ex. en français.
Contact: Forum Biodiversité Suisse, Schwarztorstr. 9, CH–

2                                                                                                                                                                    HOTSPOT 30 | 2014
HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
Editorial                                       Services écosystémiques
                                                04      Introduction
                                                        Le concept de services écosystémiques permet d’intégrer la biodiversité dans les consi-
                Photo Pete Manning

                                                dérations sociales et politiques.

Peut-être avez-vous entendu parler de ce
portrait photographique impressionnant
                                                06      Services écosystémiques: influence de la biodiversité
                                                        La biodiversité est en principe la condition sine qua non de la fourniture des services
                                                écosystémiques dont nous tirons un profit direct ou indirect.
réalisé par un macaque (Macaca nigra) de
l’île indonésienne de Sulawesi, et du cu-
rieux débat qui en résulte puisque le ma-
caque avait déclenché lui-même l’appareil       08      TEEB: rendre visible l’invisible
                                                        Les approches économiques gagnent en importance dans la politique biodiversitaire.
                                                Quelle contribution la perspective économique peut-elle apporter?
photo, de sorte que la question se pose des
droits d’exploitation de cette photo. Qui

                                                10
peut l’utiliser? Et qui peut en exiger com-             Les services écosystémiques au banc d’essai
bien? Le photographe, le macaque, per-                  Défis et opportunités dans l’application du concept de services écosystémiques à diffé-
sonne? Et pourquoi ne se poser ces ques-        rents domaines de la politique et de la pratique en Suisse.
tions que si un macaque appuie sur le
déclencheur?
Selon nous, nous pouvons exploiter gra-
tuitement la nature et les services qu’elle
                                                12      Représentation géographique des services écosystémiques
                                                        La représentation géographique des services écosystémiques apporte des plus-values
                                                considérables à la planification du paysage. Les exemples sont nombreux.
nous rend. Et les amoureux de la nature
n’apprécieront peut-être pas l’idée de lui

                                                14
donner un prix. Non seulement cela man-                 Interview
querait de romantisme, mais cela rendrait               «Le coût de l’action est nettement inférieur à celui de l’inaction»
aussi possible la vente. La nature n’a donc
apparemment aucun prix. Ce qui corres-
pond à zéro. Et c’est là que commence le
destin tragique d’un bien collectif puisque     18      Précieuses zones protégées
                                                        Les zones protégées peuvent constituer un important facteur de valeur ajoutée…
                                                pour autant que l’Etat reconnaisse leur valeur et oriente sa politique en conséquence.
tout le monde peut s’en servir comme bon
lui semble. Et la nature est finalement
surexploitée à tel point que tout le monde
en subit les conséquences, non seulement
les amoureux de la nature.
                                                20      Pour la vérité des coûts
                                                        Nombreuses sont les activités qui portent atteinte aux écosystèmes. Ces coûts externes
                                                doivent être assumés par leur responsable.
Mais quel est le bénéfice et le coût de la
nature? Les innombrables processus natu-

                                                21
rels dont nous tirons profit sont appelés                Les réponses de l’éthique environnementale
services écosystémiques. Ils sont rendus                 Dans le débat public, la protection de la biodiversité est de plus en plus souvent justi-
possibles par l’immensité de la diversité       fiée par son profit pour l’être humain. Mais la nature a aussi une valeur intrinsèque.
biologique. Pour pouvoir apprécier le
bénéfice et le coût de la nature, il faut
donc connaître le bénéfice et le coût des
services écosystémiques et de la biodiver-
sité sous-jacente. C’est précisément le
thème du présent HOTSPOT.
                                                Rubriques
Les fantastiques photographies d’Albert
                                                23 Forum Biodiversité Suisse
Krebs, qui illustrent ce numéro, montrent
                                                Biodiversité en politique: entrée en vigueur du protocole de Nagoya
à quel point la biodiversité mérite d’être
protégée, indépendamment de son profit
                                                24 Office fédéral de l’environnement
immédiat. A mon avis, les insectes se-
                                                Stratégie Biodiversité Suisse: elaboration du plan d’action
raient tout à fait d’accord avec cette utili-
sation de «leurs» photographies!
                                                26 Commission suisse pour la conservation des plantes cultivées CPC
                                                La diversité des variétés de petits fruits est considérable. Afin de les préserver pour les généra-
                                                tions à venir, des variétés anciennes sont conservées, déterminées et multipliées à Riehen, près
                                                de Bâle.
Markus Fischer
Président du Forum Biodiversité                 28 La carte de la biodiversité
markus.fischer@ips.unibe.ch                     Puits de carbone en Suisse

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Introduction
De la visibilité des valeurs
Gregor Klaus, rédacteur, et Daniela Pauli, directrice du Forum Biodiversité Suisse, CH-3007 Berne, daniela.pauli@scnat.ch

Une cinquantaine de paysans se tiennent,         za et al. 1997). Ces chiffres sont astrono-       gées génèrent une valeur de 4500 à 6400
en juillet 2013, au bord d’un bas-marais         miques… et abstraits. Leur importance ne          francs par hectare et par an. Les services
renaturé près de Henggart, dans le canton        se révèle qu’à l’échelle régionale ou locale,     en question comprennent entre autres
de Zurich. La surface est débarrassée de sa      quand l’homme exerce une influence né-            eau potable, protection du climat, protec-
couche d’humus et immergée. Les paysans          gative ou positive sur le capital naturel et      tion contre les crues, détente et tourisme.
protestent contre «la destruction d’une          que les écosystèmes fournissent plus ou
précieuse terre cultivée». Ils déplorent la      moins de services.                                Précieux arguments
perte de trois hectares de surface d’assole-     Sept ans plus tard, plus de 1300 scienti-         Revenons à notre marais renaturé du can-
ment et la diminution de la sécurité d’ap-       fiques réunis dans une étude lancée par           ton de Zurich. En tant que champs de
provisionnement résultant de la promo-           l’ONU aboutirent à la conclusion que 15           maïs, les sols marécageux rejetaient du
tion «des grenouilles et des populages des       services écosystémiques examinés sur 24           CO2 en masse. L’aménagement d’une
marais». Les protecteurs de la nature sont       se trouvaient dans un état de destruction         couche de tourbe permet au secteur de de-
vite à court d’arguments. Au Service de          avancée ou persistante (Millennium Eco-           venir à long terme un puits de CO2 et
protection de la nature du canton, le désir      system Assessment 2005). L’intégration            contribue ainsi à la protection du climat à
d’engager de nouveaux projets en est af-         économique proprement dite des services           moindres frais. Autre prestation impor-
fecté, ce qui est regrettable et inutile, car    écosystémiques n’eut toutefois lieu               tante: la protection contre les crues.
la reconstitution ponctuelle d’écosys-           qu’avec l’amorce de l’étude internationale        Jusqu’à présent, les drainages entraî-
tèmes naturels ou proches de la nature           TEEB («The Economics of Ecosystems and            naient rapidement l’eau de pluie jusqu’au
peut aussi se justifier d’un point de vue        Biodiversity»). Elle avait pour objectif d’at-    ruisseau le plus proche. Par contre, le bas-
économique. Quelques chiffres suffiront:         tribuer à la biodiversité une valeur moné-        marais retient l’eau et contribue à écrêter
le maïs, récolté jusqu’à présent sur des         taire et de mettre en évidence en même            les crues. De même, la sécurité d’approvi-
sols marécageux drainés, rapporte à un           temps le coût de l’inaction (cf. p. 8). Les       sionnement alimentaire est plus élevée
agriculteur un produit net de 2000 à 3000        analyses eurent pour effet que les poli-          avec un bas-marais doté d’une couche de
francs par an. Le profit paraît évident.         tiques, les conseillers financiers, les assu-     tourbe intacte: alors que la culture du
Mais que lui rapporterait la zone humide?        reurs et les banquiers commencèrent à             maïs sur les sols tourbeux générait à long
A partir de là, les choses se compliquent.       s’intéresser à cette thématique.                  terme des sols inutilisables en période
Pour faire comprendre le profit que              Aujourd’hui, les services écosystémiques          exempte de disette, le bas-marais est dis-
l’homme peut tirer de la nature, les scien-      sont identifiés et évalués dans toutes les        ponible pour une exploitation agricole à
tifiques ont créé le concept de services éco-    régions du globe. Le concept peut fournir         tout moment en temps de crise.
systémiques. Ils entendent par-là les biens      des arguments importants pour la protec-          Si nous considérons les chiffres correspon-
et les services que les écosystèmes mettent      tion de la nature s’il contribue à rendre vi-     dant à la valeur moyenne d’une zone pro-
à notre disposition et dont nous tirons un       sible les valeurs de la nature (cf. p. 10). Les   tégée, les trois hectares de bas-marais
profit direct ou indirect. Si les écosystèmes    services écosystémiques créent un lien            fourniront des services d’un montant net-
sont dégradés ou détruits, le bénéfice que       entre la nature et le bien-être de l’homme,       tement supérieur à 10 000 francs par an…
nous en tirons se perd (cf. graphique). Par-     ce qui permet d’intégrer la biodiversité          et à la valeur marchande de la récolte de
tout sur notre planète, les chercheurs           dans les considérations sociales et poli-         maïs. A vrai dire, la valeur monétaire des
identifient des synergies entre la satisfac-     tiques. Avec la détermination de la valeur        écosystèmes ne s’apprécie qu’en relation
tion des besoins humains, le bon fonction-       de la biodiversité, une nouvelle base de dé-      avec l’activité humaine et dépend donc
nement des écosystèmes et la prospérité          cision est disponible en cas de conflit sur       non seulement des conditions écologiques
économique. La biodiversité est en même          l’utilisation du sol. L’intégration de la bio-    et géographiques, mais aussi et surtout du
temps le moteur des services écosysté-           diversité dans les diverses politiques secto-     contexte social, économique et culturel.
miques (cf. p. 6).                               rielles pourrait ainsi aboutir. Avec leurs        Il est permis de se demander si ce n’est pas
                                                 milieux naturels ou proches de la nature,         nier la nature que de se laisser aller à ar-
La biodiversité compte                           les zones protégées rendent de vastes et          gumenter de la même manière que ceux
Un article publié en 1997 dans le célèbre        nombreux services écosystémiques. Des             qui la détruisent. En vérité, un marais
magazine Nature constitue un premier ja-         études menées dans l’Union européenne             riche de plusieurs millénaires d’histoire et
lon dans l’appréciation de la valeur de la       sont arrivées à la conclusion que chaque          de développement ainsi que de nom-
nature. Une équipe de chercheurs dirigée         hectare de zone protégée fournit en               breuses espèces végétales et animales
par Robert Costanza évalua le bénéfice           moyenne plusieurs milliers d’euros par an         rares et spécialisées mérite bien respect et
mondial des écosystèmes à 16-54 milliards        en services écosystémiques (cf. p. 18). Si        assistance (cf. p. 21). Pourtant, les aspects
de dollars par an, soit approximativement        ces chiffres sont appliqués à la Suisse, il       moraux et économiques ont un point d’in-
le produit intérieur brut mondial (Costan-       est permis d’estimer que nos zones proté-         tersection essentiel: la sauvegarde de la

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biodiversité et du bon fonctionnement des           des incitations, de nouvelles alliances, la
écosystèmes. Il ne s’agit pas d’un choix            compensation écologique et l’adaptation
entre deux options, mais d’arguments                de subventions néfastes. L’État joue un
supplémentaires en faveur de la protec-             rôle prépondérant, pour garantir à long
tion de la nature, destinés aux couches de          terme l’approvisionnement de la popula-
la population qui font la sourde oreille à          tion et de l’économie en services écosysté-
une argumentation basée sur la valeur in-           miques. Les coûts sont faciles à circons-
trinsèque de la nature. Une mise en valeur          crire et les investissements, bien placés.
économique ne détruit pas cette valeur in-          En revanche, les coûts imputables à la
trinsèque, mais comble une lacune, dans             Suisse, si nous n’enrayons pas la dégrada-
la mesure où la prise en compte des éco-            tion de nos écosystèmes et l’appauvrisse-
systèmes permet une vue globale réaliste            ment de la biodiversité (cf. p. 20), sont dif-
des processus économiques.                          ficiles à évaluer, mais devraient engloutir
Il ne faut toutefois pas dissimuler que la          à moyen terme une partie du produit inté-
monétarisation de la biodiversité présente          rieur brut (Braat et ten Brink 2008).
encore un grand besoin de recherche. De             Les investissements dans une infrastruc-                                      La chenille du Grand Sylvain (Limenitis populi) passe l’hiver dans des feuilles
nombreux calculs se concentrent, par                ture écologique et dans d’autres mesures                                      enroulées. Il faut attendre juin de l’année suivante pour qu’éclose le grand
                                                                                                                                  papillon diurne, habitant menacé des zones alluviales.
exemple, sur quelques services écosysté-            de promotion de la biodiversité pro-
                                                                                                                                  Photo Albert Krebs, Winterthour
miques seulement, en général faute d’in-            mettent un excellent rendement (cf. p. 18).
formation scientifique fondée. D’un côté,           De plus, l’argent investi n’est pas pure-
on constate des doubles comptages de ser-           ment dilapidé, mais injecté dans l’écono-
vices; de l’autre, certaines valeurs néga-          mie régionale et locale. Bref, nous gagnons
tives (rhume des foins, p. ex.) ne sont pas         quand nous préservons et encourageons la
encore déduites. Il serait aussi opportun           biodiversité; nous perdons quand nous dé-
de définir des valeurs seuils pour la biodi-        truisons la biodiversité et dégradons les
versité, sous lesquelles un écosystème ne           écosystèmes. Jusqu’à présent, les budgets
peut plus rendre un service spécifique. De          de protection de la nature ne représen-
plus, nul ne sait précisément quels ser-            taient qu’une fraction des dépenses pu-
vices écosystémiques revêtent une impor-            bliques et beaucoup d’initiatives étaient
tance sociale. A cet égard, il serait utile         prises à titre bénévole. En dépit des me-
                                                                                                     Valeur des services écosystémiques

d’élaborer des cartes nationales de ser-            sures adoptées jusqu’à présent, la biodi-
vices écosystémiques (cf. p. 12). Les ca-           versité s’est réduite aujourd’hui à un très
rences méthodologiques de nombreuses                bas niveau dans de nombreuses régions de
estimations ne doivent toutefois pas inci-          Suisse. La sauvegarde à long terme des ser-
ter à considérer globalement les chiffres           vices écosystémiques requiert de vastes in-
actuels comme insuffisants. Les valeurs             vestissements dans notre capital nature.
sont concrètes et les ordres de grandeur,
connus (cf. interview, p. 14). Le temps             Bibliographie
manque à vrai dire pour affiner les calculs.        www.biodiversity.ch > Publications
Il nous faudra peut-être nous contenter du
                                                                                                                                                        Etat de l’écosystème (intensité d’utilisation)
fait que les services et les valeurs de la bio-
                                                                                                                                          naturel       proche de la nature             intensif         dégradé
diversité sont si multiples qu’ils ne
peuvent être recensées dans leur intégra-
lité. Les chiffres disponibles permettent                                                                                                   Total de tous les services écosystémiques
en tout cas d’agir.                                                                                                                         Fonctions régulatrices (régulation climatique, protection)
                                                                                                                                            Fonctions culturelles (spiritualité, éducation)
Responsabilité de l’État                                                                                                                    Fonctions culturelles (détente, tourisme)
La grande majorité des services écosysté-                                                                                                   Fonctions d’approvisionnement (alimentation)
miques ne pourront jamais s’acheter ou se
                                                                                                             Variation de la valeur des services écosystémiques par rapport à l’in­­­-
vendre sur le marché. Par conséquent, les                                                                    ten­sité d’exploitation du sol. Source: Braat L., ten Brink P. (éd.) (2008):
mesures de sauvegarde et de promotion de                                                                      The Cost of Policy Inaction. The case of not meeting the 2010 biodiversity
la biodiversité doivent mettre l’accent sur                                                                  target. Wageningen, Alterra, Alterra-rapport 1718 (modifié).

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Services écosystémiques
Influence de la biodiversité
Katie Horgan, Bernhard Schmid et Owen Petchey, Institut de biologie de l’évolution et de sciences de l’environnement, Université de Zurich,
CH-8057 Zurich, katherine.horgan@ieu.uzh.ch

Les études scientifiques révèlent que la         génèrent la valeur culturelle et l’impor­       tems and their Services) (Maes et al. 2013,
biodiversité constitue au fond la condi-         tance culturelle (Chan et al. 2012).            Union européenne 2014), élaborés dans le
tion préalable à la fourniture des services      D’autres publications décrivent la biodi-       cadre de la Stratégie Biodiversité de l’UE,
écosystémiques, dont nous tirons un              versité comme un service contribuant en         mettent le déclin de la biodiversité en cor-
profit direct ou indirect. Non seulement         définitive au bien-être de l’homme (Boyd        rélation avec la dégradation des écosys-
le nombre des espèces est déterminant,           et Banzhaf 2007). Selon cette opinion, la       tèmes et estiment que des milieux plus
mais aussi la variété des interactions           biodiversité favorise, par exemple, la four-    riches en biodiversité pourraient fournir
biologiques. Il y a, entre les diverses fonc-    niture de produits pharmaceutiques, mais        davantage de services.
tions écosystémiques, aussi bien des sy-         elle n’est pas le produit lui-même (Fisher      Il est permis de dire en résumé que la bio-
nergies que des conflits d’intérêts.             et al. 2009).                                   diversité est au fond une condition sine
                                                 La biodiversité à un certain niveau d’orga-     qua non de la fourniture des services éco-
Les services écosystémiques jouent un rôle       nisation (spécifique, p. ex.) peut générer de   systémiques. Un survol de la littérature
croissant dans l’appréciation du coût et de      la diversité à un autre niveau (génétique,      publiée sur l’évaluation de ces services au
l’utilité des mesures de sauvegarde de la        p. ex.). Cette interaction entre différents     cours des vingt dernières années révèlent
biodiversité ainsi que des décisions rela-       niveaux révèle que la biodiversité peut         le côtoiement des diverses opinions
tives à l’affectation du sol. D’une part, des    être considérée comme une fonction éco-         concernant la biodiversité en tant que ser-
bases de décision sont ainsi mises à la dis-     systémique en soi. Elle constitue une pro-      vice écosystémique (Cardinale et al. 2012).
position des protagonistes (de Groot et al.      priété des écosystèmes, au même titre que
2012, Crossman et al. 2013); d’autre part,       les fonctions d’approvisionnement, de ré-       Quelle est la contribution apportée par la
le dialogue transdisciplinaire et suprasec-      gulation, de détente et de protection, et       biodiversité aux services rendus par dif-
toriel est encouragé (Abson et al. 2014). Le     donc de toute évidence aussi un service         férents écosystèmes?
rôle joué par la biodiversité dans la fourni-    rendu par les écosystèmes (Daily et al.         La biodiversité contribue en grande partie
ture des services écosystémiques fait néan-      2009).                                          à la fourniture des services rendus par les
moins l’objet de controverses. Le présent        Comme la biodiversité est présentée             différents écosystèmes. Il importe notam-
article examine les principales questions        comme un bien négociable sur des plate-         ment de constater qu’un accroissement de
soulevées.                                       formes telles que l’«Ecosystem Market-          la biodiversité a une incidence positive sur
                                                 place», elle représente effectivement au-       les fonctions écosystémiques, l’impor-
La biodiversité est-elle une fonction éco-       jourd’hui un service doté d’une valeur so-      tance de cet effet décroissant à partir d’un
systémique ou la condition préalable aux         ciale. Un regain de biodiversité est ainsi      certain niveau de biodiversité (Worm et al.
services écosystémiques?                         considéré comme une valeur assurantielle        2006, Hector und Bagchi 2007).
Elle joue ces deux rôles (Fisher et al. 2009,    (Baumgärtner 2008), ce qui permet de la         Cependant, la généralisation de la contri-
Crossman et al. 2013). D’un côté, la littéra-    ranger parmi les services écosystémiques.       bution de la biodiversité aux services ren-
ture scientifique montre que la biodiversi-      D’autres auteurs soulignent la valeur in-       dus par divers écosystèmes ne suffit pas
té est indispensable au bon fonctionne-          trinsèque de la biodiversité (Chan et al.       pour une application concrète. Certes, la
ment des écosystèmes (Cardinale et al.           2012).                                          quasi-totalité des études montrent une in-
2012, Allan et al. 2013, Kremen 2005). Bon       En dépit de ces valorisations de la biodiver-   fluence notable de la biodiversité sur les
nombre de chercheurs estiment certains           sité, bon nombre d’études se fondent sur        processus et fonctions écosystémiques (Al-
éléments de la biodiversité comme essen-         une interaction entre biodiversité et fonc-     lan et al. 2013). Une plus grande variété de
tiels au maintien ou à l’amélioration des        tions écosystémiques, plutôt que de dési-       pollinisateurs sauvages, par exemple, en-
fonctions écosystémiques, mais ils ne sont       gner la biodiversité en soi comme un ser-       traîne une fructification accrue (Garibaldi
pas d’avis que la biodiversité en soi puisse     vice écosystémique. La Convention sur la        et al. 2013), et les forêts gérées présentant
être considérée comme une fonction éco-          biodiversité distingue également entre          un plus grand nombre d’essences four-
systémique à part entière (p. ex. Schläpfer      biodiversité et service écosystémique, ce       nissent de meilleurs services écosysté-
1999, Quijas et al. 2012).                       qui a influencé les stratégies et les initia-   miques (Gamfeldt et al. 2013). Ces études
De l’autre côté, la biodiversité est utilisée    tives se fondant sur cette distinction. La      révèlent toutefois également que l’impor-
comme indicateur dans la mesure des ser-         création de la Plateforme intergouverne-        tance de la biodiversité à cet égard doit
vices culturels rendus par les écosystèmes       mentale sur la biodiversité et les services     être mesurée au cas par cas (Seppelt et al.
(fonction récréative, p. ex.) (de Groot et al.   écosystémiques (IPBES), dans le but de ren-     2012, Crossman et al. 2013). De plus, il ne
2002, Haines-Young et Potschin 2012).            forcer l’interface entre science et politique   faudrait pas seulement prendre en consi-
C’est cependant controversé (Daniel et al.       dans ce domaine, souligne cette évolution.      dération les éléments fonctionnels de
2012), car il en résulte une compréhension       De même, le document de travail et le rap-      l’écosystème, mais aussi le contexte socio-
incomplète des éléments systémiques qui          port final de MAES (Mapping of Ecosys-          politique (Fisher et al. 2009).

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HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
Il convient au fond de se demander si les          quelles les écosystèmes et la biodiversité
fonctions ou les produits d’un écosystème          sont exposés.
peuvent être considérés comme des ser-             Comme la demande en services écosysté-
vices s’ils ne sont pas utilisés directement       miques accroît la pression sur ces milieux,
par l’homme. On pourrait dire, par                 politiques et scientifiques doivent se de-
exemple, qu’une mer riche en biodiversi-           mander combien de temps ou jusqu’à quel
té, mais inutilisée pour la pêche ou la dé-        point un système peut fournir des services
tente, ne rend que des services limités ou         dans une mesure suffisante. D’autant que
ne fournit aucun service écosystémique             le déclin de la biodiversité provoque une
direct. Cependant, la valeur intrinsèque           diminution des fonctions écosystémiques.
reconnue par de nombreux auteurs n’est
pas prise en compte dans ce cas (Kumar             Des conflits d’intérêts opposent-ils les
Duraiappah et Naeem 2005). Le concept de           diverses fonctions écosystémiques?
services écosystémiques considère jusqu’à          Il y a aussi bien des conflits d’intérêts que
présent les écosystèmes avant tout selon           des synergies entre les différentes fonc-
une perspective anthropocentrique. Or,             tions écosystémiques. Par exemple, des
dans une région densément peuplée et               mesures forestières peuvent réduire la
vouée à l’exploitation agricole, la valeur         production de bois en faveur d’un plus
biodiversitaire peut être basse mais l’in-         grand stockage de carbone; une surface fo-
tensité d’utilisation du sol et certains ser-      restière plus vaste favorise le stockage du
vices écosystémiques, tels qu’une belle ré-        carbone, mais réduit la surface utilisable
colte pour une plante utile donnée,                par l’agriculture. Il convient donc de se de-
peuvent y être élevés. Et il est possible que      mander comment déterminer l’utilité-
la diversité du paysage accroisse sa multi-        limite (le montant que quelqu’un est prêt
fonctionnalité et génère par conséquent            à payer pour une unité supplémentaire de
une fourniture de services globalement             fonction) de petits changements d’affecta-
volumineuse, à laquelle une riche diversi-         tion du sol dans des paysages multifonc-
té spécifique peut plus ou moins contri-           tionnels (Cardinale et al. 2012). Il faut des
buer (Cardinale et al. 2012, Quijas et al.         instruments permettant de débattre au su-
2012). Cet aspect apparaît aussi dans les          jet des valeurs-seuils et des critères dans
publications de plus en plus nombreuses            un contexte intégré et bien informé. Le
sur les écosystèmes urbains. Une biodiver-         thème des conflits d’objectifs entre les
sité plus riche engendre des services éco-         fonctions écosystémiques n’est donc pas
systémiques plus précieux; en même                 seulement lié à la sauvegarde de la biodi-
temps, la demande locale en espaces déga-          versité mais aussi aux systèmes socio-éco-
gés ou «naturels» augmente également la            logiques et à leur fonctionnement (Chris-
valeur des parcelles pauvres en diversité          tensen et al. 1996, Abson et al. 2014).
(Bolund et Hunhammar 1999, Davies et al.
2011, Radford et James 2013, Gómez-Bag-            Bibliographie
gethun et Barton 2013).                            www.biodiversity.ch > Publications

Les services écosystémiques sont-ils
fournis «automatiquement»?
Un grand nombre d’interactions sont né-
cessaires pour que des services écosysté-
miques soient fournis. A vrai dire, il faut
d’abord ne pas perdre de vue qu’un service         La grenouille rousse (Rana temporaria) est une figure ty­
écosystémique n’est considéré comme tel            pique parmi nos amphibiens indigènes. Elle peut peser
que s’il contribue au bien-être de l’homme.        jusqu’à 100 g. Les noces commencent parfois, sur le Plateau,
                                                   dès le mois de février, lorsqu’il y a encore de la neige et que
En effet, ce concept n’est qu’un instru-
                                                   la température de l’eau est de 4° C. Les têtards privilégient
ment de mesure des besoins humains ain-            les eaux peu profondes et deviennent de jeunes grenouilles
si que des atteintes et des menaces aux-           en l’espace de deux mois. Photos Albert Krebs, Winterthour

HOTSPOT 30 | 2014   Dossier   Services écosystémiques                                                                7
HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
L‘initiative TEEB
Rendre visible l‘invisible
Irene Ring et Urs Moesenfechtel, Centre Helmholtz de recherche environnementale, D-04318 Leipzig, irene.ring@ufz.de

Étant donné la prédominance des mar-          groupes cibles, de fournir des arguments        gie nationale sur la durabilité, la stratégie
chés et des indices économiques dans          économiques (nouveaux) en faveur de             de l’UE sur la biodiversité et les décisions
l’action politique, entrepreneuriale et       l’importance sociale de la nature ainsi que     de la CDB, l’Allemagne a adopté en 2007
individuelle, les approches économiques       de la protection et de l’utilisation durable    une stratégie nationale pour la diversité
gagnent aussi en importance dans la           de la diversité biologique. En même temps,      biologique (NBS). Dans ce cadre, l’Office al-
politique biodiversitaire. Quelle contribu-   TEEB attire l’attention sur l’accroissement     lemand de la protection de la nature (BfN)
tion la perspective économique peut-elle      des coûts générés par le déclin de la diver-    soutient depuis 2012, avec l’aide du minis-
apporter?                                     sité biologique et des fonctions écosysté-      tère allemand de l’environnement
                                              miques. Elle reconnaît aussi la force de        (BMUB), le projet «capital naturel de l’Alle-
La nature et sa diversité sont la base de     persuasion des argumentations écono-            magne (TEEB DE)», coordonné par le
notre bien-être et de notre prospéri-         miques dans les sociétés modernes et re-        centre de recherche environnementale
té; l’économie et la société en sont di-      vendique une modification fondamentale          Helmholtz (UFZ) au titre de contribution
rectement tributaires. Pourtant, l’état       des paradigmes économiques actuels. Les         nationale à l’initiative internationale
des écosystèmes se dégrade de plus en         résultats de la phase principale de cette       TEEB (Naturkapital Deutschland – TEEB
plus, et la diversité biologique ne cesse     initiative ont été présentés à Nagoya en        DE 2012). Quatre rapports thématiques,
de s’appauvrir. Ce constat s’explique no-     2010 à l’occasion de la Conférence des          consacrés à la politique climatique, au
tamment par le fait que les acteurs de        Etats signataires de la Convention interna-     paysage rural, aux services écosysté-
l’économie ne prennent en considération,      tionale sur la diversité biologique (TEEB       miques en ville ainsi qu’à la synthèse et
dans leurs décisions, qu’une part relative-   2010). Depuis lors, l’initiative TEEB mène      aux options d’initiative, rassembleront
ment faible des services rendus par la na-    des études complémentaires sur un plan          d’ici 2017 le savoir disponible au sujet de
ture, à savoir ceux pour lesquels il existe   sectoriel et biomique.                          l’évaluation économique et de la valorisa-
des prix de marché. C’est en particulier                                                      tion sociale du capital naturel. Cela de-
le cas des aliments et des matières pre­      Succès internationaux                           vrait aussi contribuer, en Allemagne, à
mières. Pourtant ils ne représentent que la   Le concept de services écosystémiques,          corriger un mode d’action restreint du
pointe de l’iceberg. La majeure partie des    leur recensement, leur évaluation et sur-       point de vue social et exclusivement axé
services écosystémiques nous échappe. En      tout la visualisation de leur pertinence        sur l’intérêt économique de quelques pro-
règle générale, nous n’en prenons consci-     économique sont aujourd’hui intégrés            tagonistes, afin que le capital nature et sa
ence que lorsqu’ils ne sont plus disponi-     dans de nombreux programmes de re-              diversité soient mieux pris en compte
bles. Par exemple, nous libérons des sur-     cherche, stratégies et processus décision-      dans nos décisions.
faces pour l’industrie, la construction ou    nels. L’initiative TEEB a ainsi contribué à
l’agriculture, sans tenir compte des inci-    la plus grande prise en compte des aspects      Les premiers résultats de TEEB DE
dences liées au changement d’affectation      économiques dans la stratégie Biodiversité      Un premier rapport, «Capital naturel et
pour le climat, le régime hydrique ou la      de l’UE (jusqu’en 2020) ainsi que dans le       politique    climatique:     synergies    et
diversité biologique.                         plan 2011-2020 de la CDB. En lançant le         conflits», a été publié en février 2014: il
                                              programme WAVES («Wealth Accounting             présente les contributions de la nature à la
L’initiative TEEB                             and Valuation of Ecosystem Services»), la       protection du climat et à l’adaptation cli-
Selon l’initiative internationale TEEB,       Banque mondiale a mis sur pied un parte-        matique (Naturkapital Deutschland –
cette vision restreinte est imputable au      nariat mondial entre organes de l’ONU,          TEEB DE 2014). Selon une des conclusions,
manque de prise en considération de nom-      gouvernements, institutions internatio-         la conservation des surfaces herbagères
breuses fonctions écosystémiques (notam-      nales, ONG et scientifiques, lequel s’en-       constitue une mesure écologique mais
ment dans les décisions économiques).         gage pour la normalisation et la mise en        aussi économique importante pour la pro-
TEEB signifie précisément «The Econo-         œuvre de l’intégration des services écosys-     tection du climat. En Allemagne, le milieu
mics of Ecosystems and Biodiversity» (éco-    témiques dans la comptabilité nationale et      urbain et les surfaces de transport s’é­
nomie des écosystèmes et de la biodiversi-    les comptes d’entreprise. En outre, sur la      tendent surtout au détriment des terres
té) et désigne un processus international     base des conclusions de l’initiative TEEB,      agricoles. En même temps, la perte de
lancé par l’Allemagne en 2007 dans le         plus de vingt pays, dont l’Allemagne, ont       terres cultivées liée à ce changement d’af-
cadre de la rencontre des ministres de        d’ores et déjà lancé leurs propres études       fectation est compensée depuis le milieu
l’Environnement du G8+5 et de la Com-         nationales TEEB.                                des années 1990 par la conversion de sur-
mission de l’UE. Réalisée sous l’égide du                                                     faces herbagères en terres cultivées. Paral-
programme environnemental des Nations         Capital naturel de l’Allemagne (TEEB DE)        lèlement à la demande croissante en den-
unies, l’initiative a pour préoccupation,     Dans le cadre des accords nationaux et in-      rées alimentaires et au regain de conver-
dans le cadre d’études axées sur des          ternationaux existants, tels que la straté-     sion de l’élevage en stabulation intensive,

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HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
15% des surfaces herbagères d’Allemagne            haitable d’exprimer en valeur monétaire
ont ainsi disparu au cours des vingt der-          certains services rendus par la nature. Il
nières années. En même temps, la promo-            est alors possible d’essayer de quantifier
tion des énergies renouvelables a généré           les services écosystémiques sans leur attri-
une expansion des plantes énergétiques             buer de valeur monétaire. Si l’apprécia-
d’origine agricole. Si la part de colza et de      tion quantitative d’effets observés n’est
maïs représentait encore en 2002 20 à 22%          pas possible, par exemple en raison
de la surface cultivée totale, elle est passée     d’informa­tions insuffisantes ou d’incerti-
depuis lors à plus de 30%, et cette part a         tudes et donc faute d’indicateurs, il ne
fortement contribué à la réaffectation des         reste plus qu’à apprécier qualitativement
surfaces herbagères en raison de la concur-        le bénéfice lié à l’écosystème. Enfin, il ne
rence.                                             faut pas oublier que nous ignorons un
La priorité accordée, dans la promotion des        grand nombre de corrélations relatives
plantes énergétiques, à des cultures inten-        aux fonctions et aux services écosysté-
sives d’un an présente plusieurs inconvé-          miques. Notre savoir est lacunaire.
nients. Elle entraînera sans doute des inci-       Indépendamment de la forme et du mode
dences écologiques négatives (charge en            d’expression des valeurs ou des estima-
nutriments, réduction des assolements et           tions des prestations fournies par la na-
emploi accru de produits phytosanitaires),         ture, ce gain d’informations à lui seul
ce qui se répercutera sur la diversité biolo-      n’entraîne pas encore en général une amé-
gique. Cette évolution est inquiétante du          lioration des décisions par rapport à la na-
point de vue de la protection de la nature,        ture. Les institutions sociales et les méca-
mais aussi sur un plan climatique. La mise         nismes régulateurs doivent être en me-
en culture de surfaces herbagères riches en        sure d’utiliser effectivement les informa-
espèces, par exemple, a provoqué la libéra-        tions et les estimations disponibles comme
tion de 88 à 187 tonnes de CO2 par hectare         base de décision et d’action. A cet égard,
et par an en Allemagne. Une réaffectation          un mix politique approprié s’avère néces-
de 5% des surfaces herbagères existantes           saire du côté de l’Etat, sous forme d’une
(52 532 ha) correspondrait à des préjudices        combinaison ciblée de législation, d’outils
climatiques d’un montant annuel d’envi-            économiques et d’instruments complé-
ron 436 millions d’euros. TEEB DE préco-           mentaires facultatifs à vocation informa-
nise donc de suspendre la conversion per-          tive. La politique environnementale ne
sistante de ces surfaces et d’instaurer une        peut toutefois pas tout régler seule: l’en-
production de biomasse énergétique plus            semble des protagonistes, depuis les entre-
compatible avec l’environnement.                   prises jusqu’aux citoyens en passant par
                                                   les associations, assument une part de res-
Prudence dans l’utilisation des arguments          ponsabilité et doivent s’engager, selon
économiques                                        leurs possibilités, pour la sauvegarde et
Les processus d’évaluation d’inspiration           l’exploitation durable de la diversité biolo-
économique s’efforcent d’estimer la va-            gique.
leur des variations de services écosysté-
miques dans l’idée d’un équivalent de re-          Bibliographie
venu – et donc en général sous forme mo-           www.biodiversity.ch > Publications
nétaire pour assurer la comparabilité avec
d’autres biens et services négociés sur le
marché. Comme il n’existe aucun prix de
marché pour de nombreux services éco-
systémiques, l’économie environnemen-
tale a mis au point toute une série de mé-
thodes d’évaluation pour obtenir indirec-
tement des valeurs monétaires. Concer-
nant cette monétarisation, il convient de
souligner les aspects suivants: sur l’en-
semble des services écosystémiques, l’éva-
luation économique ne recense encore
une fois, d’une manière générale, que la           A première vue, il pourrait s‘agir d‘une abeille mellifère.
pointe de l’iceberg. De nombreuses va-             Pourtant, les cellules du couvain révèlent que cette espèce
leurs échappent à la monétarisation, que           est très particulière: l‘abeille coupe-feuille (Megachile wil-
                                                   lughbiella) les construit à partir de morceaux de feuilles.
ce soit pour des raisons méthodologiques
                                                   Elle remplit de pollen et de nectar l’espace habitable, avant
ou bien, par principe, pour des raisons            d‘y déposer un œuf. La larve se transformera en pupe au
culturelles ou éthiques, s’il n’est pas sou-       printemps. Photos Albert Krebs, Winterthour

HOTSPOT 30 | 2014   Dossier   Services écosystémiques                                                               9
HOTSPOT - Services écosystémiques Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 30 | 2014 - Scienze naturali Svizzera
Services écosystémiques au banc d’essai
Risques et effets secondaires
dans l’application
Roger Keller, Institut de géographie de l‘Université de Zurich, CH-8057 Zurich, roger.keller@geo.uzh.ch

L’application du concept de services éco-        Application en Suisse                            répartir les personnes interviewées en
systémiques fait l’objet d’une recherche         Un projet de recherche mené à l’Institut         fonction de leur contexte institutionnel:
internationale intensive dans les milieux        de géographie de l’Université de Zurich          > Appréciations d’ONG (spécialistes de
politiques et scientifiques. Qu’en est-il en     étudie actuellement d’un point de vue so-          Pro Natura, WWF, ASPO/Birdlife Suisse,
Suisse? Quels sont les défis et les oppor-       ciologique la possibilité d’appliquer le           Fondation suisse pour la protection et
tunités que cette approche représente            principe des services écosystémiques en            l’aménagement du paysage et CIPRA):
pour divers domaines de la politique et          Suisse. Il s’intéresse particulièrement aux        Les opinions des spécialistes des ONG,
de la pratique? Le présent article apporte       possibilités, aux risques et aux défis liés à      extrêmement nuancées, vont du refus
des éléments de réponse sur la base des          une application pratique. A cet égard, il          total d’une appréciation quantitative
résultats intermédiaires d’un projet de          convient de ne pas perdre de vue qu’il n’y         des services écosystémiques jusqu’à la
recherche.                                       a pas UNE application possible de cette ap-        revendication d’une monétarisation/
                                                 proche: au contraire, l’éventail des appli-        quantification nationale de la nature. La
Le concept de services écosystémiques est        cations va de la mise en évidence du béné-         monétarisation en tant qu’argument
débattu intensivement depuis longtemps           fice pour l’être humain à la monétarisa-           supplémentaire est notamment souhai-
dans les milieux scientifiques, et la discus-    tion intégrale des services écosystémiques         tée là où prédomine un mode d’observa-
sion s’est étendue à la politique au plus        en passant par la quantification de cer-           tion économique. Un exemple cité
tard depuis les publications du Millenium        taines de ces fonctions.                           concerne l’assainissement des eaux rési-
Ecosystem Assessment (2005) et de l’initia-      La base de données consiste en interviews          duelles: comme la production énergé-
tive TEEB (cf. p. 8) (Keller et al. 2014). A     qualitatives et dirigées de spécialistes re-       tique est actuellement prioritaire, les
l’échelle internationale, plusieurs ins-         présentant la politique, l’administration,         arguments écologiques ne seraient
tances s’intéressent aux fonctions écosys-       l’économie, les zones protégées, les ONG           guère pris en compte. D’un autre côté,
témiques et à leur mise en œuvre dans la         et l’Université, ainsi que diverses commis-        on redoute que la quantification de la
politique et dans la pratique: par exemple,      sions et communautés d’intérêts. Plus de           nature ne la transforme en marchan-
la plateforme intergouvernementale sur la        20 entretiens, en cours d’évaluation, ont          dise négociable. L’initiative européenne
biodiversité et les services écosystémiques      déjà été menés jusqu’à l’été 2014. Outre           «No net loss» est également citée en
(IPBES), créé en 2012, ou le groupe de tra-      ces interviews, les travaux (prévus) de            exemple. Avec ce mécanisme de com-
vail «Mapping and Assessment of Ecosys-          l’OFEV dans le cadre du plan d’action de la        pensation des atteintes à la nature, on
tems and their Services» (MAES) de l’Union       SBS sont étroitement observés et analysés.         craint une plus forte différenciation
européenne. En Suisse, c’est l’Office fédé-      Le travail de recherche a pour but de four-        entre paysages protégés et paysages
ral de l’environnement (OFEV) qui s’en           nir un tableau aussi complet que possible          utiles.
préoccupe en premier lieu. Dans le cadre         de la situation en Suisse, lequel pourrait       > Appréciations des communautés d’in-
d’un travail pionnier, il a proposé en 2011      intéresser d’autres pays (européens).              térêts et des forums Science-Policy
des indicateurs concernant 23 services                                                              (spécialistes d’Alparc, d’Avenir Suisse,
écosystémiques (Staub et al. 2011). Dans la      Premiers résultats                                 de l’Union suisse des paysans, du Forum
Stratégie Biodiversité Suisse (SBS) (Conseil     Les entretiens menés jusqu’à présent               paysages et du Forum Biodiversité):
fédéral 2012), les services écosystémiques       donnent une image relativement hétéro-             Les représentants des communautés
sont utilisés comme arguments de base            gène en ce qui concerne l’appréciation des         d’intérêt et des forums ont souligné
par rapport à l’utilité de la biodiversité:      chances, des risques et des défis. Cepen-          presque unanimement les possibilités
«La biodiversité fournit des services indis-     dant, au moment où le présent article              de sensibilisation liée à l’application du
pensables pour la société et l’économie:         était rédigé, les premiers résultats partiels      concept de services écosystémiques: il
c’est ce que l’on appelle les services éco-      étaient disponibles, quoique susceptibles          permettrait de toucher certains milieux
systémiques. La diversité de ces services        d’évoluer jusqu’à la clôture prévue du pro-        imperméables à d’autres arguments. Un
est immense: la biodiversité fournit des         jet fin 2015.                                      danger éventuel est perçu dans la démy-
aliments, influe sur le climat, préserve la      Seuls certains aspects des entretiens se-          thification de la nature par les chiffres,
qualité de l’eau et de l’air, est indispen-      ront ici examinés. Il importe de souligner         ce qui pourrait avoir un effet contre-
sable à la formation des sols et – aspect        que les personnes interrogées ne l’étaient         productif chez des personnes intrinsè-
non négligeable – offre des espaces de dé-       pas à titre de représentants officiels de          quement motivées. En outre, un danger
tente. La détérioration de la biodiversité       leur organisation ou de leur institution,          est toujours lié aux chiffres, car ils sont
entraîne une diminution de ces presta-           mais en tant que spécialistes. Elles ont           très appréciés et politiquement manipu-
tions et, par conséquent, compromet le dé-       donc fait part de leur opinion (person-            lables; la prudence est de rigueur en ce
veloppement durable de l’économie et de          nelle) de spécialistes. Il apparaît toutefois      qui concerne l’économisation des inté-
la société.»                                     opportun, pour le survol effectué ici, de          rêts politiques. Parmi les défis cités fi-

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