Le veuvage : problèmes et facteurs d'adaptation Widowhood : problem and factors of adaptation - Érudit

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Santé mentale au Québec

Le veuvage : problèmes et facteurs d’adaptation
Widowhood : problem and factors of adaptation
Francine Lavoie

Mourir                                                                       Résumé de l'article
Volume 7, numéro 2, novembre 1982                                            Le décès du conjoint est une situation de crise susceptible d'être vécue par la
                                                                             majorité de la population. Certaines personnes gardent longtemps les séquelles
URI : https://id.erudit.org/iderudit/030150ar                                d'un deuil alors que d'autres s'y adaptent plus facilement. À partir d'une
DOI : https://doi.org/10.7202/030150ar                                       recension des écrits, cet article décrit tout d'abord les principales étapes de la
                                                                             réaction au deuil, puis il identifie les problèmes financiers, de santé physique
                                                                             et mentale et les problèmes interpersonnels vécus par les veufs et les veuves.
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                                                                             L'âge, le revenu, l'histoire antérieure de deuil, l'existence d'un confident, la
                                                                             fréquentation d'ami(e)s et d'autres veufs et veuves, la satisfaction par rapport à
                                                                             l'aide reçue, la participation à diverses associations sont les principaux
Éditeur(s)                                                                   facteurs pouvant favoriser l'adaptation au veuvage. Le comportement
                                                                             dépressif à un mois de veuvage et la réaction retardée de deuil indiquent une
Revue Santé mentale au Québec
                                                                             possibilité de réaction négative au deuil.

ISSN
0383-6320 (imprimé)
1708-3923 (numérique)

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Citer cet article
Lavoie, F. (1982). Le veuvage : problèmes et facteurs d’adaptation. Santé
mentale au Québec, 7(2), 127–135. https://doi.org/10.7202/030150ar

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                                                                            https://www.erudit.org/fr/
LE VEUVAGE : PROBLÈMES ET FACTEURS D'ADAPTATION

                                                                                                      Francine Lav oie*

       Le décès du conjoint est une situation de crise susceptible d'être vécue par la majorité de la population.
       Certaines personnes gardent longtemps les séquelles d'un deuil alors que d'autres s'y adaptent plus facile-
       ment. À partir d'une recension des écrits, cet article décrit tout d'abord les principales étapes de la réaction
       au deuil, puis il identifie les problèmes financiers, de santé physique et mentale et les problèmes interper-
       sonnels vécus par les veufs et les veuves. L'âge, le revenu, l'histoire antérieure de deuil, l'existence d'un
       confident, la fréquentation d'ami(e)s et d'autres veufs et veuves, la satisfaction par rapport à l'aide reçue,
       la participation à diverses associations sont les principaux facteurs pouvant favoriser l'adaptation au veuvage.
       Le comportement dépressif à un mois de veuvage et la réaction retardée de deuil indiquent une possibilité
       de réaction négative au deuil.

    Chaque année au Québec, environ 15 00O1 per-                  Murphy, Woodruff, 1974), la réaction au deuil
sonnes font face à la crise la plus difficile de leur             se décrit plutôt comme un enchaînement ordonné
vie : le décès de leur conjoint. La majorité de                   de réactions psychologiques et physiologiques
ces veufs et veuves mettent deux ans à résoudre                   tributaires de certaines normes culturelles (Averill,
l'essentiel de cette crise (Parkes, 1972). On cons-               1968). Lindemann (1944) est le premier à avoir
tate que certaines personnes en gardent des sé-                   fourni une description empirique des divers
quelles, que d'autres retrouvent leur équilibre                   comportements et états émotionnels des per-
et leur mode de vie antérieur et que d'autres enfin               sonnes en deuil. D'autres auteurs (Maddison,
considèrent cette épreuve comme un moment                         1968; Parkes, 1972) ont par la suite repris ces
de développement personnel (Harvey et Bahr,                       analyses auprès de plus vastes échantillons de
1980; Lopata, 1979). Il est donc essentiel non                    population (dans des sociétés industrialisées) en
seulement de connaître les étapes de la réaction                  précisant la durée du deuil et la fréquence des
au deuil et les problèmes de veuvage mais égale-                  divers comportements. L'ensemble des auteurs
ment d'identifier les facteurs pouvant faciliter ou               s'entend pour identifier trois ou quatre étapes
hâter l'adaptation au deuil. Les intervenant(e)s                  dans la réaction au deuil.
en santé mentale ou physique et les groupes
communautaires pourront ainsi identifier les                          La première étape consiste en un état de choc
clientèles à risque et préparer de façon plus                     pouvant présenter trois types de réactions : un
éclairée des programmes de prévention et d'inter-                 comportement de déni sans manifestation d'émo-
vention pouvant toucher une grande partie de la                   tions, une certaine hyperactivité accompagnée
population car, selon Balkwèll (1981), 75% des                    d'une détresse extrême, ou une alternance entre
épouses2 seront veuves à un moment de leur vie.                   ces deux réactions. Le problème particulier que
                                                                  l'on rencontre chez un petit nombre de personnes
                                                                  durant cette étape, est la manifestation de malaises
ÉTAPES DE LA RÉACTION AU DEUIL                                    physiques semblables à ceux du conjoint décédé.
   Malgré ses ressemblances cliniques avec la                     Cette étape peut couvrir une période allant de
dépression (Briscoe, 1975; Clayton, Herjanic,                     quelques heures à deux mois (Parkes, 1972).
                                                                     La deuxième étape en est une de désespoir se
* L'auteure, Ph. D., est professeure à l'École de psycho-         manifestant par une alternance entre lacentration
  logie de l'Université Laval.                                    sur la personne décédée et la centration sur ses
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 propres sentiments. Il y a tout d'abord une période       de n'être plus aimée et de ne plus pouvoir aimer,
 de recherche active de la personne décédée, période       le désir d'une relation intime et d'une présence
 qui se manifeste par des ruminations sur le passé,        dans la maison, le mécontentement d'être seule à
 des pleurs et des hallucinations3 concernant la           faire face aux responsabilités, le regret d'un
 présence du décédé. Cette période comprend                style de vie, le sentiment d'aliénation causé par la
 également des moments d'hyperactivité au cours            baisse du statut social, l'hostilité face aux ami(e)s
 desquels la personne en deuil cherche à s'occuper         qui ne la fréquentent plus, et enfin par la diffi-
mais réussit à peine à effectuer les tâches quoti-         culté à établir de nouveaux liens. Chez les veuves
 diennes à cause de ses problèmes de concentration.        plus jeunes, l'éducation des enfants (Harvey et
 C'est par ailleurs durant cette période que la per-       Bahr, 1980) est un problème encore plus impor-
 sonne en deuil ressent une variété de sentiments :        tant que la solitude.
 culpabilité face au décès, agressivité face au con-
joint qui l'a abandonnée, ou encore hostilité face
                                                           LES EFFETS DU VEUVAGE
 à son entourage (tant le personnel hospitalier que
 ses proches). Cet état s'accompagne de nombreux               Durant les deux premières années de deuil,
problèmes psychosomatiques (Clayton, 1974;                 de nombreux problèmes assaillent le veuf ou la
Maddison, 1968). Peu à peu, un certain état                veuve. Nous analyserons tout à tour les problèmes
dépressif remplace les épisodes intenses de détresse       financiers, les problèmes de santé physique et
du début. Les personnes en deuil sont alors apa-           mentale et les problèmes interpersonnels.
thiques, rarement hyperactives. Cette deuxième                 Les problèmes financiers affectent autant les
étape commence après environ un mois de deuil              hommes que les femmes mais ils se posent d'une
et peut s'étendre jusqu'à un an.                           façon différente : par exemple, les hommes peu-
    La troisième étape consiste en une nouvelle            vent éprouver des problèmes de réorganisation
centration sur le présent et en l'exploration de           de budget alors que les femmes peuvent subir
nouveaux rôles. Les personnes faisant face à de            une baisse notable de statut. Les femmes âgées
nouvelles responsabilités peuvent avoir de la diffi-       souffrent le plus de cette situation. Le Conseil
culté à prendre des décisions, éprouver de la              national du bien-être social (1979) rapporte que
dépendance face à leurs proches et connaître des           deux veuves âgées sur trois vivent sous le seuil
moments de dépression. L'isolement dans lequel             de la pauvreté. Un grand nombre de femmes de
la société confine le veuf et la veuve rend difficiles     moins de 65 ans connaissent également des diffi-
ces premières tentatives de réinsertion sociale et         cultés financières ; c'est le cas des femmes dont le
de développement personnel. Cette troisième                conjoint n'a pas ou a peu cotisé à un régime
étape peut avoir une durée d'un an à deux ans.             public de pension ou n'a pas souscrit à un régime
    La quatrième étape est celle de l'acceptation          privé. Il faut noter que le fait de subir une baisse
du deuil et de la réorganisation des rôles sociaux.        notable de revenus peut avoir un impact à court
La vie se réorganise autour de nouveaux centres            terme aussi négatif que le fait de vivre sous le
d'intérêt : les enfants, les anciennes ou les nou-         seuil de la pauvreté. Les veuves rencontrées par
velles connaissances, les loisirs, l'engagement            Lewis et Berns (1975) ont subi une baisse de
social, le travail et, pour certains, le remariage.        revenus de 44% au cours des deux premières
En effet, d'après Helsing, Szklo et Comstock               années de veuvage et 60% d'entre elles ont dû
(1981), la moitié des hommes de moins de 55 ans            changer leur style de vie. Enfin, quelle que soit
se remarient durant une période médiane de six             la situation financière des veufs et des veuves,
ans et demi après le deuil de leur conjointe alors         la première année de veuvage est vécue dans
que seulement 10% des femmes le font durant                l'insécurité. La personne en deuil doit faire de
cette période. Ainsi, d'après Lopata (1969), le            nouveaux apprentissages tels que gérer un budget
problème le plus important pour 48% des veuves             ou effectuer des achats. Harvey et Bahr (1974)
âgées interviewées reste la solitude. Cette solitude       proposent même que les nombreuses recherches
de la veuve se caractérise par la nostalgie de la          sur les effets négatifs du veuvage devraient porter
vie passée avec le conjoint décédé, le sentiment           attention au revenu puisque cette variable pourrait
Le veuvage !problèmes et facteurs d'adaptation                             129

être plus déterminante que le veuvage même.                  ont été faites aux États-Unis, pays où les visites
Pour résoudre leurs problèmes financiers, plusieurs          médicales sont défrayées le plus souvent par le
femmes tenteront de se trouver un emploi. D'après            patient; ce facteur peut expliquer la différence
Balkwell (1981), l'âge, le sexe et le manque                 de comportement chez les personnes en deuil
d'habileté nuisent à l'intégration de ces femmes             subissant une baisse de revenus (Parkes et Brown,
au marché du travail. Au Québec, 94% des veuves              1972). De plus, on a constaté une consommation
ont 45 ans et plus et 66% ont moins de neuf ans              plus élevée de médicaments chez les veufs et les
de scolarité (Conseil du statut de la femme, 1981),          veuves (Parkes, 1964).
ce qui peut expliquer pourquoi elles sont nom-                   Quant aux études épidémiologiques de mor-
breuses à vivre dans un état de pauvreté.                    talité, elles indiquent qu'il y a un risque plus élevé
    Les problèmes de santé causés par le veuvage sont        de mortalité chez les veufs et les veuves dans les
très nombreux mais à la différence des problèmes             six premiers mois de veuvage que chez les per-
financiers, ils sont passagers. Lors d'une enquête           sonnes mariées; ce risque est plus élevé chez les
auprès de 375 veuves américaines de moins de                 veufs que chez les veuves et plus élevé chez les
60 ans, Maddison (1968) conclut que 21% d'entre              jeunes que chez les personnes âgées (Epstein
elles ont subi une détérioration de leur santé,              et al, 1975 ; Helsing et al, 1981).
environ treize mois après le décès de leur mari.                 Il faut noter qu'une étude de suivi de Parkes
D'après ce chercheur, les symptômes les plus                 et Brown (1972) sur un petit échantillon ne
fréquents sont : la nervosité, la dépression, la             montre pas de différence quant aux symptômes
crainte de devenir folle, les sentiments de panique,         rapportés par les personnes veuves ou mariées,
la peur, les cauchemars, l'insomnie, les tremble-            après une période de deux à quatre ans. Ainsi,
ments, la perte d'appétit, la perte de poids, les            le veuvage s'accompagne de détresse physique
difficultés à travailler et la fatigue. Cette recherche      mais ce problème disparaît généralement avec
a mis en évidence d'autres symptômes considérés              le temps. Le veuvage peut malheureusement être
comme peu typiques de la réaction au deuil                   l'occasion d'acquérir des habitudes de surconsom-
soient : les maux de tête, les étourdissements, la           mation de médicaments.
vue embrouillée, les éruptions cutanées, les pro-                Les personnes en deuil peuvent également
blèmes de transpiration, l'indigestion, les diffi-           faire face à des problèmes de santé mentale
cultés à avaler, les vomissements, les douleurs              différents des problèmes psychosomatiques décrits
menstruelles, les douleurs à la poitrine, les pal-           plus haut. Peu d'études systématiques ont été
pitations, les problèmes de respiration, les infec-          faites sur ce sujet. Celles qui existent traitent
tions et les douleurs généralisées. Parkes et Brown          surtout de l'expérience des personnes hospitalisées
(1972) confirment ces données quoi qu'ils trou-              dans une institution psychiatrique, ce qui éclaire
vent moins de symptômes chez les veufs et veuves             peu sur les personnes traitées dans la commu-
de moins de 45 ans. Epstein, Weitz, Roback et                nauté. Dans ses études de cas portant sur 35 per-
McKee (1976) rapportent que l'expérience du                  sonnes hospitalisées à la suite d'un deuil, Parkes
deuil peut exacerber certains problèmes comme                (1972) relève que 26 diagnostics de dépression
la thrombose coronarienne et certains types de               profonde ont été rapportés, 6 d'alcoolisme,
cancer, ou encore provoquer de nouveaux pro-                 5 d'hypocondrie, 4 de symptômes phobiques,
blèmes comme la colite ulcéreuse, l'arthrite                 2 de réactions psychotiques et quelques-uns
rhumathoïde, l'asthme, l'hyperthyroï die etl'ostéo-          enfin de crises de panique et de problèmes de
arthrite.                                                    dépersonnalisation. Stern et Larivière (1957)
    Un autre indice de troubles de santé est la              posent les diagnostics suivants sur des patients
consultation médicale. Maddison et Viola (1968)              hospitalisés à Montréal pour des problèmes psy-
ainsi que Parkes (1964) trouvent une forte aug-              chiatriques et ayant vécu un deuil (pas nécessai-
mentation des consultations chez les veufs et                rement celui du conjoint) : dépression, hystérie
veuves de moins de 60 ans, surtout pour des cas              d'angoisse et compulsions, hystérie de conversion,
de dépression, d'anxiété et d'insomnie. D'autres             changement dans la conduite sociale, psychose
recherches contredisent ces données, mais elles              et somatisation. Toutes ces personnes ont une
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réaction de deuil semblable à la réaction de deuil        69 ans sont veufs selon Abu-Laban (1980) - et
normale. Elles rapportent cependant plus de               ils trouvent difficile de maintenir des liens avec
sentiments extrêmes de culpabilité et se distinguent     les enfants. Par ailleurs, la performance au travail
par une réaction de deuil prolongée ou une réaction       du veuf et de la veuve peut être affectée pendant
retardée (Parkes, 1972). Stern et Larivière (1957)       une période plus longue que ne le tolèrent un
notent que 21 des 38 personnes hospitalisées             employeur ou des camarades de travail (Pratt,
qu'ils ont étudiées retournent à leurs occupations        1981). Finalement, les divers problèmes d'incom-
précédentes. Quant aux personnes en deuil qui            préhension et d'intolérance de l'entourage ainsi
n'ont pas été placées en institution, elles consul-      que la solitude se manifestent plus longtemps que
tent davantage pour des problèmes de dépression          les problèmes de santé.
et d'anxiété que pour des problèmes d'origine                 En résumé, les personnes en deuil ont deux
physique (Maddison et Viola, 1968 ; Parkes, 1964).       tâches principales à réaliser : se détacher de l'être
Selon Bornstein, Clayton, Halikas, Maurice et            aimé et développer une nouvelle identité sociale
Robins (1973), 35% des gens rapportent une               (Maddison, 1968). Ces personnes font face à di-
réaction importante de dépression lorsqu'ils sont        verses situations stressantes qui peuvent ajouter au
interrogés un mois après le décès et 17% en rap-         désarroi ressenti à la mort de leur conjoint et avoir
portent une lorsqu'ils sont interrogés un an après       un impact sur leur santé. À l'avenir, il sera nécessaire
le décès (de ces 17%, les trois quarts étaient           de faire appel à des groupes de comparaison dans
déprimés durant le premier mois de deuil). Ainsi,        les recherches sur le veuvage avant de conclure
plusieurs veufs et veuves doivent faire face à des       quoi que ce soit sur la spécificité ou l'importance
problèmes de santé mentale, mais cela pendant une        de ces troubles. Harvey et Bahr (1980) nous rap-
assez courte période alors que la majorité d'entre       pellent ainsi, qu'après six mois de veuvage, la
eux n'ont pas ce type de problème.                       majorité des veuves interviewées portent des
    Les problèmes interpersonnels causés par             jugements optimistes sur leur passé et leur avenir,
l'expérience du deuil sont moins souvent analysés        n'éprouvent pas de diminution dans l'estime de
dans les recherches mais ils n'en sont pas moins         soi et ont une vie relativement heureuse même
considérés comme importants par les veufs et les         si elles se disent plus déprimées et isolées que les
veuves. En effet, la perte du conjoint mène à une        femmes mariées d'un groupe de comparaison. Il
restructuration de la vie familiale (Arling, 1976);      est donc clair que la majorité s'adapte à cette
les enfants peuvent quitter le domicile, les rela-       crise. Il nous reste à identifier les facteurs liés
tions avec les beaux-parents et les amis peuvent         à l'adaptation au veuvage.
devenir moins fréquentes ou encore difficiles
(Adams, 1968 ; Maddison, 1968). Les veuves disent        FACTEURS D'ADAPTATION AU VEUVAGE
qu'elles perdent plusieurs amies et qu'elles ne
fréquentent plus de couples (Barret, 1977; Strug-            Le tableau 1 énumère l'ensemble des facteurs
nell, 1974). Harvey et Bahr (1980) soulignent            étudiés dans les recherches corrélationnelles ou
qu'après six mois de veuvage, 5% des femmes              les histoires de cas. Parmi les facteurs individuels
interviewées rapportent avoir moins d'ami(e)s            pouvant influencer l'adaptation au deuil, on relève
qu'avant le décès de leur mari ; les autres veuves       les facteurs socio-économiques comme le sexe,
ne diffèrent pas d'un groupe contrôle de femmes          l'âge, le revenu et l'éducation. La majorité des
mariées quant aux nombres d'interactions avec            études concluent que les femmes présentent plus
les amis, les parents et les groupes organisés. Les      de symptômes de mésadaptation et sont plus
veufs, principalement les plus âgés, peuvent             souvent placées en institution lors de la première
souffrir de l'absence de leur femme qui assurait         année suivant le décès de leur conjoint (Carey,
le maintien des relations sociales. Ceux-ci sont         1977; Parkes, 1972); quant aux hommes, ils
souvent plus isolés que les femmes (Berardo, 1970),      seraient par la suite plus déprimés que les femmes
surtout lorsqu'ils sont absents du marché du             (Parkes et Brown, 1972). Or, ces résultats ne sont
travail ; ils font partie d'un groupe minoritaire        pas concluants parce qu'ils peuvent dépendre du
— par exemple, 7% seulement des hommes de 65 à           phénomène culturel suivant : les femmes ont
Le veuvage : problèmes et facteurs d'adaptation                       131

                                                TABLEAU 1

                Principaux facteurs pouvant avoir une incidence sur l'adaptation au veuvage

Facteurs individuels

Facteurs socio-économiques                          Facteurs psychologiques
— sexe                                              — autres crises
— âge                                              ' — histoire psychiatrique individuelle
— revenu                                              — histoire psychiatrique familiale
— éducation                                           — hallucinations
                                                     - histoire antérieure de deuil
                                                     - refus d'exprimer ses émotions
                                                     - survalorisation de l'indépendance

Facteurs sociaux

Vie de couple                  Environnement social proximal               Participation à des associations
— entente conjugale             — présence d'enfants                          — nombre d'associations
— durée de mariage              — réaction pathologique des enfants           — fréquentation d'église
— fnultidimensionnalité         - relation négative avec la mère            — attitude religieuse
                               — relation négative ou compétitive           — insertion dans le marché
                                 avec la belle-famille                        du travail
                               — confident
                               — connaissance de veufs et veuves
                               — nombre de contacts avec la famille, les amis
                               — satisfaction des besoins

Facteurs liés au décès

Type de décès                                       Réaction immédiate du survivant
— durée de la maladie                                - comportement dépressif à un mois
— intensité de la souffrance                         - réaction retardée de deuil
                                                    - culpabilité extrême
                                                    - forts symptômes d'identification
132                                         Santé mentale au Québec

 tendance à rapporter plus de symptômes et à                Seul le fait d'avoir connu d'autres deuils exerce
 consulter plus souvent que les hommes. D'autre            une influence positive sur l'adaptation; selon
 part, les échelles d'adaptation utilisées réfèrent à      Bornstein et al (1973), 25% des personnes dé-
 des symptômes névrotiques mentionnés généra-              primées n'avaient pas connu d'autres deuils.
 lement par les femmes (Carey, 1977). Quant à              Les autres caractéristiques psychologiques, comme
l'impact de l'âge, il semble différent selon que les       le refus d'exprimer ses émotions et la survalori-
 personnes sont placées ou non en institution.             sation de l'indépendance, ne sont mentionnées
Parkes (1972) ne trouve pas de différence d'adap-          que dans quelques histoires de cas (Maddison,
tation entre les personnes de divers groupes                1968; Parkes, 1972). Il faut souligner que de
 d'âge vivant dans un hôpital psychiatrique ; d'autre      nombreuses caractéristiques psychologiques n'ont
part, Carey (1977), Maddison (1968) ainsi que              pas encore été étudiées ; parmi celles qui ont été
Maddison et Walker (1967) soulignent que parmi             étudiées, l'histoire antérieure de deuil a un certain
les veufs et veuves vivant dans la communauté,             impact.
ceux de moins de 45 ans éprouvent le plus de                  Les facteurs sociaux peuvent comprendre trois
difficultés d'adaptation. Clayton et al. (1972)            dimensions : la vie de couple, l'environnement
n'obtiennent pas ces résultats dans l'étude d'une          social proximal et la participation à des associa-
population semblable. Ainsi, les veufs et veuves de        tions. La plupart des gens croient que la détresse
tous les groupes d'âge peuvent avoir une réaction          du survivant est proportionnelle au degré d'en-
de deuil qui nécessite une hospitalisation et ce           tente entre les conjoints. Or, les études tendent
sont les veufs et veuves les plus jeunes restant dans     plutôt à montrer que la mésentente conjugale
la communauté qui souffrent le plus de leur               confine le conjoint survivant à l'isolement social
situation. Les revenus peu élevés vont de pair            et provoque l'apparition de symptômes (Parkes,
avec la mésadaptation, selon Bahr et Harvey                1972). Il reste que cette entente est difficile à
(1980), Bornstein et al. (1973) ainsi que Carey           mesurer, surtout a posteriori, alors que le survi-
(1977); mais dans une étude plus ancienne,                vant idéalise son conjoint (Lopata, 1979). Aussi,
Maddison et Walker (1967) n'ont pas établi de             certains chercheurs ont préféré vérifier l'effet
lien entre ces éléments. Un niveau de scolarité           de la durée du mariage sur l'adaptation au deuil
peu élevé peut également être lié à la mésadapta-         mais ils n'ont pas obtenu de résultats probants
tion, si on se fie à l'étude de jeunes veuves faite       (Clayton et al., 1972). D'autres chercheurs ont
par Bahr et Harvey (1980). Carey (1977) confirme          étudié l'effet de la multidimensionnalité des liens
ces résultats mais ne considère pas l'éducation           entre les conjoints et y ont décelé des différences
comme le facteur principal d'adaptation au deuil          selon les classes sociales : les femmes de classe
à l'instar de Maddison (1968) et Parkes (1972).           moyenne et élevée qui partagent plus d'activités
En conclusion, à l'analyse des facteurs socio-            avec leur conjoint sont davantage affectées par le
économiques, retenons qu'une jeune personne en            deuil (Walker, McBride, Vachon, 1977). Il sera
deuil (certains diraient une femme) dont les revenus      toujours difficile de déterminer l'effet de l'entente
sont peu élevés est une personne à risque. La             conjugale sur l'adaptation au deuil et d'autres
diminution des revenus joue un rôle très important        indices de la qualité de la vie de couple restent
dans la mésadaptation.                                    encore à établir.
    Parmi les facteurs individuels d'adaptation au            En plus de la vie de couple, l'insertion dans un
deuil, les facteurs psychologiques ont longtemps          environnement social bienveillant devrait influencer
été proposés comme déterminants. Or les études            l'adaptation au veuvage. Il est cependant difficile
empiriques montrent que le fait d'avoir vécu              de préciser quel type d'environnement social
d'autres crises (Maddison, 1968; Parkes, 1972),           convient le mieux à chacune des étapes du deuil
l'histoire psychiatrique individuelle (Bornstein          puisque les besoins et les problèmes de la personne
et al, 1973; Clayton et al, 1972; Maddison,               changent. Walker, McBride et Vachon (1977)
 1968), l'histoire psychiatrique familiale (Maddison,     soutiennent que l'environnement composé de gens
 1968), et la manifestation d'hallucinations (Rees,       se connaissant bien, comme la famille, est très
 1971) ne sont pas liés à des problèmes d'adaptation.     utile au début du veuvage. Par contre, durant la
Le veuvage .problèmes et facteurs d'adaptation                            133

période de recherche d'une nouvelle identité               De plus, leur environnement leur a souvent imposé
sociale, un tel environnement ne favorise pas              des comportements qu'elles jugeaient nuisibles,
l'adaptation au deuil; c'est plutôt un environne-          comme les empêcher de s'exprimer, leur faire
ment comprenant quelques veufs et veuves de                compétition quant à la peine ressentie, leur faire
divers milieux qui convient le mieux. Malheureuse-         songer au présent ou au futur et même leur parler
ment, la plupart des études offrent un portrait            de remariage. Clayton et al. (19272) n'ont pu
statique de l'environnement social des veufs et            identifier de tels comportements (aidants ou
veuves et ne contribuent pas à répondre à ces              nuisibles) dans leur étude effectuée auprès de
questions. De plus, les chercheurs ont colligé             femmes ayant un an de veuvage.
plus de données quantitatives, comme le nombre                 Le dernier facteur social étudié est la partici-
 de personnes, que de données qualitatives, comme          pation à des associations ou à des groupes. Seules
le partage des valeurs.                                    la participation à une diversité d'associations
     En ce qui concerne les contacts avec la famille       (Harvey et Bahr, 1980) et la fréquentation d'une
immédiate, Maddison (1968) conclut que la                  église (Bornstein et al, 1973; Bahr et Harvey,
présence d'enfants à la maison est reliée à la              1980) favorisent l'adaptation au deuil; l'attitude
mésadaptation. Par ailleurs, Bornstein et al. (1973)       religieuse (Carey, 1977) ou encore la participation
 soulignent que les personnes déprimées ne restent         au marché du travail (Carey, 1977) ne semblent
 pas avec leur famille tandis que Clayton et al.           pas exercer d'influence particulière. En conclu-
 (1972) constatent que ces dernières ont moins             sion, la présence d'un confident, les nombreux
 d'enfants adultes habitant à proximité. Des études        contacts avec les amis, ou avec d'autres veufs et
 de cas suggèrent que des réactions pathologiques          veuves ainsi que la satisfaction de l'aide reçue par
 de deuil chez les enfants, une relation négative          rapport aux besoins ressentis, la participation à
 avec la mère surtout lorsqu'elle est veuve, une           des associations ainsi que la fréquentation d'une
 relation négative ou compétitive avec la belle-           église sont les facteurs sociaux les plus susceptibles
 famille quant au chagrin ressenti peuvent nuire           d'influencer l'adaptation au veuvage.
 à l'adaptation au deuil (Maddison, 1968). Par                 Les derniers facteurs étudiés sont liés plus
 ailleurs, l'adaptation au veuvage semble favorisée        particulièrement au décès ; ils comprennent le type
 par la présence d'un confident (Harvey et Bahr,           de décès et la réaction immédiate du survivant.
 1980) et par la connaissance de gens ayant vécu           Le type de décès (subit ou à la suite d'une maladie)
 un veuvage (Walker, McBride et Vachon, 1977).             a un effet différent selon l'âge des survivants.
 L'étude sur le nombre de contacts avec la famille         Balkwell (1981) offre la synthèse suivante des
 et les amis fournit des résultats contradictoires         diverses recherches : dans les cas de décès subit,
 (Parkes, 1972; Harvey et Bahr, 1980) mais elle            il y a mésadaptation chez les veufs et veuves de
 tend à conclure que les contacts avec les amis sont       moins de 45 ans ; dans les cas de maladie de plus
 plus importants après un certain temps de veuvage         de six jours, il y a mésadaptation chez les veufs
 (Arling, 1976).                                           et veuves de 46 à 59 ans; enfin, dans les cas de
     L'une des recherches les plus intéressantes sur       maladie chronique, il y a mésadaptation chez les
 l'environnement social porte sur le type d'aide           60 ans et plus. Mais plusieurs auteurs ne relèvent
 offert aux personnes en deuil. Maddison et Walker         pas ces différences (Bornstein et ah, 1973 ; Clayton
 (1967) ont interviewé des femmes ayant trois              et ah, 1972; Maddison, 1968; Parkes, 1972).
 mois de veuvage et trouvent que les personnes en          Par ailleurs, il semble qu'un décès précédé d'une
 difficulté sont insatisfaites de l'aide reçue. En         maladie d'au moins deux semaines favorise l'adap-
 général, leur entourage n'a pas répondu à leurs           tation chez_ les femmes ayant un conjoint très
 besoins. Premièrement, les veuves disent avoir            souffrant ou un conjoint avec lequel elles étaient
 reçu peu d'encouragement à exprimer leurs                 en mésentente (Carey, 1977). Il semble donc
 émotions surtout leur chagrin et leur colère;             qu'une période d'avertissement soit importante
 deuxièmement, elles n'ont pas satisfait leur besoin       lorsque le décès semble improbable et lorqu'il y a
 de parler plus de leur mari et de leur vie passée et,     un besoin de se réconcilier. Quant aux facteurs
 troisièmement, elles n'ont pas reçu d'aide concrète.      concernant la réaction immédiate du survivant,
134                                         Santé mentale au Québec

Bornstein et al. (1973) identifient le comporte-              Afin de préparer des stratégies de prévention
ment dépressif à un mois comme le meilleur                 de type primaire et secondaire, Barrett (1978)
indice d'un comportement dépressif à un an.               recommande qu'en plus de s'inspirer des données
Les études de cas de Parkes (1972) et celles de           ci-haut mentionnées, on tienne compte des opi-
Stern et Larivière (1957) mentionnent que les             nions des veufs et des veuves. Dans son enquête
personnes à risque sont celles qui manifestent une        auprès de 94 veuves sur ce que devraient faire les
culpabilité extrême, de forts symptômes d'identi-         femmes pour se préparer au décès de leur con-
fication au décédé et qui retardent leur réaction         joint, 50% des veuves enjoignent les femmes de
de chagrin de plus de deux semaines.                      se préparer financièrement, 40% de développer
    D'après ces recherches, les facteurs les plus         leur autonomie par l'éducation, le travail, les
susceptibles d'influencer l'adaptation au deuil           loisirs ou la participation dans des associations,
sont donc l'âge, les revenus, l'histoire antérieure       30% de discuter de l'éventualité d'un décès et
de deuil, l'existence d'un confident, la fréquenta-       finalement 17% de se préparer émotivement en
tion d'amis et d'autres veufs, la satisfaction par        se renseignant sur les réactions normales de deuil
rapport à l'aide reçue et la participation à diverses     et en appréciant leur vie actuelle avec leur conjoint.
associations. Le comportement à la suite du décès         Cette recherche confirme l'importance de l'auto-
peut également permettre d'identifier les personnes       nomie financière et personnelle ainsi que celle de
à risque plus particulièrement le comportement            l'éducation dans l'adaptation au deuil.
dépressif à un mois de veuvage et le retard de la             Les avenues d'intervention sont donc multiples
réaction au deuil.                                        et peuvent aller de l'éducation communautaire,
    Il faut souligner que la majorité de ces recher-      à l'organisation de groupes d'entraide4, à l'anima-
ches ont été effectuées auprès de femmes, parce           tion de groupes par des intervenants professionnels
que les veuves sont plus nombreuses que les veufs ;       et à l'action sociale. D'après l'étude de Vachon,
en effet, il n'y aurait au Canada qu'un veuf pour         Lyall, Rogers, Freedman et Freeman (1980), les
cinq veuves (Matthews, 1980). Ainsi, certaines            interventions d'approche communautaire devraient
conclusions devraient être nuancées et d'autres           hâter l'adaptation à cette crise. Tous les membres
recherches devraient être entreprises auprès de           de la société devraient être sensibles au phénomène
veufs en se servant en plus des échelles d'adap-          du veuvage et les personnes affectées par cette
tation s'arrêtant aux symptômes névrotiques,              épreuve devraient disposer de toutes les ressources
des mesures d'adaptation plus pertinentes à leur          nécessaires.
vécu (tenant compte de l'absentéisme, des acci-           NOTES
dents, etc.).                                             1. Service des registres, Québec, 1981, statistique approxi-
    Nous pouvons, à la suite de cette revue des              mative pour l'année 1981 ne tenant compte que des
                                                             conjoints mariés légalement, les conjoints de fait
écrits, esquisser deux portraits de personnes à              n'étant pas rapportés au registre comme mariés.
risque face au veuvage. Le premier portrait est           2. Statistique américaine.
celui d'une jeune personne à revenus faibles,             3. D'après Rees (1971), 41% des personnes veuves ont
                                                             de telles hallucinations.
ayant des enfants à charge, sans histoire anté-           4. Le groupe Community Contacts for the Widows de
rieure de deuil, isolée, loin de sa famille, insatis-        Toronto, sous l'auspice du Clark Institute of Psychia-
faite de l'aide reçue et dont le conjoint, avec              try (Vachon et al, 1980) et le groupe Service d'entrai-
                                                             de des Veuves, 310, boul. Langelier, Québec, GlR 5N3,
qui elle avait des liens multidimensionnels, est             418-522-2048 (Lavoie, F., 1981), offrent deux modè-
décédé subitement. Le deuxième portrait est                  les intéressants d'entraide.
celui d'une personne âgée, à revenus faibles,             RÉFÉRENCES
vivant loin de ses enfants, insatisfaite de l'aide        ABU-LABAN, S. McIRWIN, 1980, The Family Life of
reçue et dont le conjoint a eu une longue maladie,          Older Canadians, in V. W. Marshall (Ed.), Aging in
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ce qui a pu l'amener à s'isoler. Il faut souligner        ADAMS, B.N., 1968, The Middle-class Adult and his
qu'une personne ayant toutes ces caractéristiques           Widowed or Still-married Mother, Social Problems,
n'éprouvera pas nécessairement de difficultés               16, 50-59.
                                                          ARLING, G., 1976, The Elderly Widow and her Family,
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