Les aides d'État dans le secteur de l'énergie
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Concurrences Revue des droits de la concurrence Competition Law Journal Les aides d’État dans le secteur de l’énergie Droit & économie l Concurrences N° 1-2014 www.concurrences.com François Lévêque l Professeur d’économie, Mines ParisTech l Associé fondateur, Microeconomix Dörte Fouquet l Directrice, Fédération européenne des énergies renouvelables Marcelo Saguan l Économiste senior, Microeconomix Sébastien Douguet l Économiste, Microeconomix Patrick Thieffry l Avocat, Thieffry & Associés l Professeur associé, École de droit de la Sorbonne Université de Paris-I Jean-Michel Glachant l Professeur d’économie l Directeur Florence School of Regulation Vincent Rious l Économiste senior, Microeconomix Leigh Hancher l Of Counsel, Allen & Overy l Professeur de droit européen, Université de Tilburg Adrien de Hauteclocque l Référendaire, Cour de justice de l’Union européenne, Luxembourg l Conseiller, Loyola de Palacio Chair et Florence School of Regulation Institut universitaire européen, Florence
Les aides d’État dans @ Droit & économie le secteur de l’énergie François Lévêque francois.leveque@mines-paristech.fr Nouvelles interactions et Professeur d’économie, Mines ParisTech Associé fondateur, Microeconomix tensions entre la politique Dörte Fouquet doerte.fouquet@bbh-online.be énergétique européenne et Directrice, Fédération européenne des énergies renouvelables l’approche de la Commission Marcelo Saguan marcelo.saguan@microeconomix.com en matière d’aides d’État* Économiste senior, Microeconomix Sébastien Douguet sebastien.douguet@microeconomix.com Économiste, Microeconomix Patrick Thieffry Introduction patrick.thieffry@thieffry.com Avocat, Thieffry & Associés François Lévêque Professeur associé, École de droit de la Sorbonne Professeur d’économie, Mines ParisTech Université de Paris-I Associé fondateur, Microeconomix Jean-Michel Glachant jean-michel.glachant@eui.eu Professeur d’économie Directeur Florence School of Regulation Vincent Rious 1. Quel diagnostic donner de l’approche en termes de politique énergétique vincent.rious@microeconomix.com de l’Union européenne pour favoriser l’intégration des marchés et la transition Économiste senior, Microeconomix énergétique ? Alors que certaines problématiques n’ont pas été résolues de manière satisfaisante, de nouveaux chantiers surgissent et nécessitent des prises de décision Leigh Hancher rapides de la part des gouvernements et de la Commission. leigh.hancher@AllenOvery.com Of Counsel, Allen & Overy 2. Ces défis sont nombreux : à l’évolution contrôlée vers un système de production Professeur de droit européen, décarbonée viennent s’ajouter les enjeux en termes de sécurité d’approvisionnement, Université de Tilburg de fiabilité des réseaux ou encore de sobriété énergétique. La Commission se retrouve Adrien de Hauteclocque alors face à la tâche difficile de définir de nouveaux compromis permettant de relever adrien.de_hauteclocque@curia.europa.eu ces défis efficacement. En particulier, elle doit statuer sur la place à donner aux aides Référendaire d’État dans les mesures envisagées pour atteindre les objectifs européens. Cet enjeu Cour de justice de l’Union européenne, Luxembourg est crucial pour plusieurs raisons. Conseiller, Loyola de Palacio Chair et Florence School of Regulation 3. La première raison est liée à l’actualité. Les nouvelles lignes directrices pour le Institut universitaire européen, Florence contrôle simplifié des aides d’État pour l’énergie et l’environnement doivent être publiées début 2014. Leur contenu déterminera l’approche des gouvernements Abstract pour soutenir leurs objectifs en termes énergétique et environnemental au cours Les nombreux défis auxquels fait face l’Union européenne des prochaines années. On s’attend notamment à une approche plus extensive de la en matière de politique énergétique imposent de revoir les notion d’aides d’État et à une révision des critères d’appréciation de la compatibilité mécanismes à l’œuvre pour l’intégration des marchés et la transition énergétique. La question de la révision de l’approche des aides d’État. de la Commission au sujet des aides d’État dans le secteur de l’énergie se pose. Les articles de ce dossier transcrivent 4. La deuxième raison est d’ordre opérationnel. L’analyse économique est peu certaines interventions de la conférence récemment organisée par le cabinet Microeconomix sur ce sujet. mobilisée dans le domaine des aides d’État. On peut se demander quelle serait l’utilité de renforcer sa présence dans l’approche adoptée par la Commission. Si tel T he growing number of challenges on energy policy that est le cas, il faut alors déterminer comment la mettre en œuvre et comment articuler the European Union faces call for a review and an update of the current mechanisms implemented for market integration l’expertise juridique et l’expertise économique. and energetic transition. A new paradigm regarding the utilisation of State aid by EU member States to serve national and common interest could thus be defined. The articles in 5. La troisième raison touche au fond de la problématique. Le marché intérieur de this issue transcribe some interventions made at the recent l’électricité et du gaz est loin d’être achevé, et les politiques européennes de l’énergie conference organized by Microeconomix. et de l’environnement rencontrent aujourd’hui un grand nombre de difficultés. Il faut * Conférence organisée par le cabinet alors se demander si les aides d’État sont favorables à l’aboutissement et à l’efficacité Microeconomix le 27 septembre 2013, Paris. de ces politiques, et si elles sont une partie de la solution ou bien du problème. Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 1 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
6. Dans ce contexte, la conférence annuelle de Microeconomix est l’occasion de dresser un panorama des discussions et des enjeux liés à la redéfinition de la place des aides d’État dans la réalisation des défis européens en matière énergétique et environnementale. Microeconomix a réuni parmi les meilleurs spécialistes du domaine, des intervenants de haut niveau, praticiens et académiques, qui partagent leurs points de vue afin d’éclairer les débats actuels. 7. Les articles qui suivent transcrivent les différentes interventions de la conférence. Dans le premier thème, Dörte Fouquet (présidente de la Fédération européenne des énergies renouvelables et avocate), Marcelo Saguan (économiste senior chez Microeconomix) et Sébastien Douguet (économiste chez Microeconomix) et Patrick Thieffry (avocat chez Thieffry & Thieffry et professeur associé à Paris-I) présentent leur point de vue sur les aides aux sources d’énergie décarbonée. Dans le second thème, Jean‑Michel Glachant (professeur d’économie et directeur de la Florence School of Regulation), Vincent Rious (économiste senior chez Microeconomix), Leigh Hancher (Of Counsel chez Allen & Overy et professeur de droit européen à l’université de Tilburg) et Adrien de Hauteclocque (référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne) présentent leur point de vue sur le traitement des tarifs en matière d’aides d’État. n Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 2 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
Les aides d’État dans le secteur de l’énergie Thème 1 : Aides d’État et sources d’énergie décarbonée Introduction Dörte Fouquet Directrice, Fédération européenne des énergies renouvelables 1. C’est un grand plaisir pour moi et je remercie à Bruxelles comme avocate. En ce moment, je gère la partie François Lévêque de m’avoir invitée à être modératrice droit européen à Bruxelles du plus grand cabinet en droit de pour cette session. Notre “train bleu” pour cette session est l’énergie allemand et je conseille également depuis de longues évidemment comment agir pour le futur des aides d’État, années des administrations, ainsi que le secteur privé. Par vers l’évaluation de différents systèmes. Avant quelques exemple, sur le sujet dont nous parlons aujourd’hui, les aides mots d’introduction, j’ai le plaisir de présenter les personnes d’État, cela fait plus de douze ans que je conseille le ministère qui vont discuter de ce thème. Nous commençons d’abord de l’Environnement en Allemagne sur le système feed-in des avec Marcelo Saguan, économiste expérimenté chez tarifs d’achat. n Microeconomix et chef de file de la pratique énergie. Il est docteur en sciences économiques et il coopère beaucoup avec notre cher professeur Jean-Michel Glachant. Il a signé sous son égide une thèse sur l’analyse économique des architectures du marché électrique, application au market design du temps réel. À la fin de notre panel, nous avons Patrick Thieffry, avocat chez Thieffry & associés. Il travaille depuis de longues années dans le secteur de l’énergie et a créé le cabinet il y a déjà plus de trente ans. Il est également professeur associé à l’université de Paris-I, où il est spécialisé en droit de l’environnement. Il a beaucoup conseillé non seulement les administrations, mais aussi les entreprises. L’apport de ces deux expériences va permettre d’animer le débat. 2. Je voudrais profiter de ces propos introductifs pour expliquer mon intérêt pour la question des aides d’État. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai plusieurs chapeaux. Je suis invitée parce que je viens du secteur des énergies renouvelables, en particulier les producteurs indépendants. Depuis douze ans, je représente les intérêts d’une association européenne de producteurs d’énergie renouvelable à Bruxelles auprès des institutions européennes, avec l’objectif d’ouvrir un marché européen avec un accès à ce marché, d’établir un système beaucoup plus juste pour que tout le monde ait ses chances, surtout le secteur indépendant (i.e., les structures au niveau communal qui ne font pas elles-mêmes partie d’une grande structure centrale de producteurs). 3. De l’autre côté, je suis avocate depuis les années 1980. Et depuis le début, je travaille dans le droit de l’énergie. J’ai d’abord été fonctionnaire à Hambourg puis on m’a envoyée au nord vers Bruxelles et, depuis 1993, je travaille Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 3 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
Les aides d’État dans le secteur de l’énergie Aides d’État et sources d’énergie décarbonée L’analyse économique des aides à la production d’électricité : Le cas des énergies renouvelables et décarbonées Marcelo Saguan, Sébastien Douguet Économistes, Microeconomix 1. Des mesures de soutien à la production d’électricité possibilités d’implémentation des mesures d’aides pourraient d’origine renouvelable et décarbonée sont aujourd’hui donc bientôt évoluer selon les modifications des règles nécessaires pour permettre aux technologies concernées d’encadrement. (c.-à-d. éolien, solaire photovoltaïque) de combler leur défaut initial de compétitivité par rapport aux technologies 5. Dans ce contexte, un besoin réel est exprimé pour une de production conventionnelle et de se développer. En définition plus rigoureuse de la mécanique d’évaluation de la Europe, de nombreux mécanismes ont ainsi été mis en compatibilité des aides d’État pour la production électrique œuvre pour atteindre les objectifs européens en matière renouvelable et décarbonée. Parmi les pistes possibles, d’énergie renouvelable. L’exemple classique est celui du tarif l’analyse économique permet d’apporter une contribution d’achat garanti (feed-in tariff). Mis en place notamment en significative. Nous proposons donc d’étudier en quoi l’analyse Allemagne et en Espagne, il a permis le développement de économique permet de renforcer la rigueur de l’approche de plus de 150 GW d’éolien et de photovoltaïque en Europe la Commission européenne. (fin 2012)1. 3. Jusqu’à présent, les mécanismes européens de soutien I. L’approche actuelle de aux énergies renouvelables (EnR) ont pu être implémentés la Commission pour évaluer sans obstacles majeurs en termes de droit européen de la concurrence2. En particulier, ces aides ont dans la plupart la compatibilité des aides d’État : des cas échappé à la qualification en tant qu’aides d’État, Le balancing test leur permettant alors d’être mises en place en toute légitimité 6. Une mesure d’aide qualifiée d’aide d’État par les critères du point de vue de la Commission. La question de leur du TFUE n’est autorisée que si son évaluation au regard compatibilité avec les objectifs européens en matière de des critères de compatibilité utilisés par la Commission est concurrence a donc rarement été évoquée. concluante. L’approche de la Commission pour l’évaluation de la compatibilité a fortement été influencée par l’analyse 4. Cette situation est à présent susceptible d’évoluer et économique5. En effet, les critères généraux du traité ont été pourrait conduire à la multiplication des évaluations de précisés et le cœur de l’approche repose maintenant sur un la compatibilité de ces aides par la Commission. L’avocat balancing test, qui consiste à analyser et à confronter les coûts général de la CJUE a par exemple conclu en juillet 2013 (distorsions de concurrence et des échanges) et les bénéfices que les tarifs français de rachat de l’électricité éolienne (correction d’une défaillance de marché) de la mesure d’aide. constituaient une aide d’État au regard des critères de Selon ce cadre, une mesure d’aide est compatible avec le droit qualification du TFEU, jetant ainsi l’incertitude sur les européen si elle répond à un objectif bien défini d’intérêt perspectives de la filière française et ouvrant la porte à une commun ou de correction des défaillances de marché, si elle réévaluation générale des plans de soutien aux énergies est bien conçue pour répondre à cet objectif, et si les distorsions renouvelables3. Certains mécanismes d’aides (actuels ou de concurrence et d’échanges qu’elle induit sont limitées et futurs) risquent désormais d’être qualifiés d’aides d’État, contrebalancées par les effets positifs qu’elle entraîne. et devront dans ce cas démontrer leur compatibilité avec le droit européen. En parallèle, la question même de la 7. En pratique, on observe que la Commission met compatibilité de telles mesures d’aides est étudiée en généralement en œuvre ce test de manière qualitative ou profondeur par la Commission4. Les débats actuels sur les simplifiée. Elle utilise souvent des critères généraux qui ont nouvelles lignes directrices pour cadrer les aides accordées peu à voir avec les effets économiques des cas particuliers. aux EnR suscitent des interrogations quant aux modalités Elle quantifie rarement les bénéfices ou les coûts et apprécie de mise en œuvre de l’évaluation de la compatibilité. Les leur ampleur au jugé. Dans le cadre des mesures d’aides aux énergies renouvelables, les lignes directrices pour les aides 1 Cf. http://www.eurobserv-er.org. environnementales (EAG) simplifient encore davantage le 2 V., p. ex., Keay (2013). cadre d’analyse. 3 V., p. ex., Thieffry (2013). 4 Cf. European Commission (2013). 5 V., p. ex., Friederiszick et al. (2007) ou Haucap et Schwalbe (2011). Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 4 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
8. Cette approche a le mérite d’être simple et peu se traduire par un manque d’investissement en R&D. Les coûteuse, mais elle emporte des risques importants d’erreur mécanismes de subventions directes aux activités R&D dans qu’une approche plus sophistiquée permettrait de réduire les énergies propres peuvent déjà traiter cette externalité7. considérablement. L’analyse économique permet tout à fait de renforcer la rigueur du balancing test, par l’identification 13. La troisième externalité, liée au lock-in des technologies des effets économiques et par la quantification de leur conventionnelles et aux effets d’apprentissage, est celle qui ampleur. Nous proposons ici de synthétiser la problématique justifie le plus l’existence de mécanismes de soutien aux EnR, de la compatibilité des aides d’État pour un économiste. car elle n’est actuellement pas corrigée par un mécanisme Dans la suite de l’article, nous recadrons le balancing test spécifique8. Il apparaît ainsi intéressant de l’analyser plus en d’un point de vue purement économique à l’aide de quatre détail dans un cadre économique. questions structurantes, en nous appuyant sur le cas des mesures d’aides aux EnR décarbonées. 14. La figure 1 représente de façon schématique l’évolution des coûts totaux de production (coûts variables, coûts II. Le balancing test pour d’investissement) en fonction de la capacité installée cumulée pour les EnR (courbe noire) et les technologies un économiste conventionnelles (courbe rouge). La courbe correspondant aux EnR illustre comment l’augmentation de la capacité installée permet de réduire fortement le coût de production 1. Existe-t-il une défaillance de marché pour les nouvelles capacités. Pour ces nouvelles technologies, qui pourrait justifier une mesure d’aide les gains en termes d’économies d’échelle et d’apprentissage sont ainsi très élevés et peuvent permettre à ces technologies à l’électricité renouvelable décarbonée ? de devenir à terme compétitives par rapport aux technologies 9. Il convient tout d’abord de justifier en quoi la mesure conventionnelles. Une mesure d’aide est cependant nécessaire d’aide permet de répondre économiquement à un pour déclencher ces effets d’apprentissage étant donné l’écart objectif d’intérêt commun et peut notamment répondre actuel de compétitivité entre les deux types de technologies. à un problème de défaillance de marché. Dans le cas de la Puisque l’investisseur d’aujourd’hui ne bénéficiera pas production d’électricité à partir de sources renouvelables complètement des réductions futures de coûts dans les décarbonées, les mesures d’aides peuvent être justifiées par EnR, il n’investira pas ou pas assez dans ces technologies l’existence de défaillances de marché sous la forme d’effets s’il ne dispose pas de soutien. Les EnR n’atteindront alors externes (externalités). jamais un niveau de développement et d’apprentissage leur permettant de devenir compétitives. Les mesures d’aides à ce 10. Dans la théorie économique, les externalités sont la niveau seraient donc justifiées. conséquence d’actions dont les auteurs ne supportent pas l’intégralité des coûts (externalité négative) ou n’engrangent Figure 1. Externalités liées aux effets d’apprentissage pas l’intégralité des bénéfices (externalité positive). L’existence d’externalités peut avoir un coût pour la société, ne permettant pas de maximiser le bien-être social général. Dans notre cas, le sous-investissement en EnR pourrait être associé à l’existence de trois externalités principales : les externalités environnementales liées aux émissions de CO2, celles relatives au problème des investissements en R&D et celles liées aux effets d’apprentissage. 11. La première externalité identifiée est celle du bénéfice environnemental en termes d’émissions de CO2 évitées par le développement des EnR décarbonées. Le développement d’énergies décarbonées plutôt que de solutions carbonées permettant de réduire le niveau d’émissions et d’assurer la 15. Cet exemple montre comment l’analyse économique protection de l’environnement, un investissement adéquat peut être utilisée pour identifier et analyser les défaillances en EnR doit être assuré en compensant les technologies de marché ciblées par les mécanismes de soutien (ici, les décarbonées ou en pénalisant les technologies carbonées. externalités). L’analyse économique permet également Cet enjeu est traité – pour le moment partiellement – par le d’estimer les bénéfices générés par la correction de ces système de quotas EU ETS6. défaillances. Par exemple, l’ampleur des bénéfices générés par la correction de la défaillance de marché liée aux effets de 12. La deuxième externalité identifiée est liée aux activités de lock-in pourrait être estimée en comparant le bénéfice futur recherche et développement. Dans le secteur de l’énergie, un lié au développement des EnR (surface bleue sur la figure 1) investissement en R&D génère des bénéfices qui ne peuvent au coût nécessaire pour générer l’apprentissage et atteindre la pas être complètement capitalisés par l’acteur privé réalisant compétitivité (surface jaune). l’investissement et qui profitent aux nouveaux entrants. Cet effet de spillover témoigne d’une externalité qui peut 7 V., p. ex., Olmos et al. (2011). 6 V., p. ex., Ellerman et Joskow (2008). 8 V., p. ex., Neuhoff (2005). Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 5 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
16. Il ne suffit cependant pas qu’une mesure d’aide permette 19. L’étude des performances de ces deux mécanismes en de corriger une défaillance de marché pour qu’elle puisse être termes d’efficacité et d’effectivité permet de déterminer jugée compatible. En effet, son design et son fonctionnement lequel est le plus adéquat pour corriger le problème de peuvent limiter le montant des bénéfices espérés en termes de défaillance du marché du point de vue économique. Nous réduction des défaillances, et un autre mécanisme peut alors utilisons ici les résultats d’une étude économique réalisée se révéler plus adéquat et efficace pour répondre à l’objectif pour la Commission européenne en 2011 (Steinhilber et al., ciblé à moindre coût. L’analyse économique de la mesure 2011) pour illustrer nos propos. Cette étude évalue plusieurs d’aide passe alors par une deuxième question. mécanismes de soutien mis en œuvre en Europe pour l’éolien terrestre. 2. La mesure d’aide envisagée 20. Les résultats sont présentés selon deux axes (figure 3) : l’axe vertical représente une mesure de l’effectivité en termes permet‑elle de corriger la défaillance de production renouvelable permise par le mécanisme, et de marché (effectivité) au moindre coût l’axe horizontal correspond au coût du mécanisme pour le (efficacité) ? consommateur. Chaque barre de la figure correspond à un mécanisme appliqué dans un État membre, les barres bleues 17. L’analyse économique s’intéresse dans un deuxième pour le feed-in tariff et les barres rouges pour les certificats verts. temps à l’effectivité et à l’efficacité de la mesure d’aide. De façon synthétique, un mécanisme de soutien sera effectif Figure. 3. Illustration de l’évaluation de l’effectivité et de s’il permet de corriger la défaillance de marché, c’est-à-dire l’efficacité de mécanismes de soutien (cas éolien terrestre) d’augmenter la capacité installée cumulée des EnR afin d’activer les effets d’apprentissage. Un mécanisme de soutien sera efficace s’il y arrive à moindre coût. Indicateur d’effectivité Feed in tariff (Portugal, Irlande, 18. Dans le cas des mesures de soutien aux EnR Allemagne, Espagne, Hongrie) décarbonées, cette analyse impose un traitement au cas par Certificats verts (Belgique, Suède, cas des mécanismes. Il existe en effet une grande variété Royaume-Uni, Italie) de mécanismes aux propriétés économiques spécifiques9. Prenons les mécanismes de feed-in tariff et de certificats verts, qui représentent deux cas polaires parmi les mécanismes les plus appliqués en Europe (figure 2). D’un côté, le mécanisme Indicateur du coût du de tarif d’achat garanti ou feed-in tariff (partie gauche de la Feed in tariff mécanisme Certificats verts figure) impose à un gestionnaire (souvent le gestionnaire de Source: Steinhilber et al (2011) réseau de transport, “GRT”) d’acheter la production EnR à un prix fixe pendant la durée de vie de l’actif. En général, 21. La figure montre qu’il existe une grande hétérogénéité ce mécanisme est combiné à une règle de priorité d’injection de résultats et que le type de mécanisme ne suffit pas pour des EnR devant les autres technologies, indépendamment déterminer les niveaux d’efficacité et d’effectivité de la mesure des signaux du marché. On comprend bien que ce type de d’aide. Si on se focalise uniquement sur les mécanismes les mécanisme isole complètement les producteurs EnR du plus effectifs ou bien conçus, on peut cependant observer marché de l’électricité. D’un autre côté, le mécanisme de qu’en général le mécanisme feed-in tariff présente de certificats verts se trouve à l’autre extrême concernant la meilleurs résultats en termes d’effectivité et d’efficacité dimension “participation aux marchés” (partie droite de la que les certificats verts. La théorie économique permet figure 2). En effet, le producteur EnR est alors rémunéré d’identifier deux raisons principales de la meilleure efficacité par deux marchés : il vend la production sur le marché des feed-in tariffs. Tout d’abord, ce type de mécanismes d’électricité, mais également des certificats “verts”, générés permet d’ajuster plus finement la rémunération aux coûts des selon le caractère renouvelable de son installation, sur un différentes technologies ou selon les différentes conditions marché associé. géographiques. Cela permet de limiter les effets d’aubaine et de réduire le coût effectif du mécanisme par rapport aux Figure 2. Exemples de mécanismes de soutien aux EnR (feed- certificats verts. Par ailleurs, le coût de capital des producteurs in tariff et certificats verts) EnR serait plus faible pour ce type de mécanismes du fait de leur isolement vis-à-vis des risques du marché. En effet, le mécanisme de feed-in tariff limite l’allocation des risques à l’investisseur et diminue ainsi son coût de capital et la prime de risque nécessaire pour déclencher un investissement. Cet isolement du marché a néanmoins une contrepartie : si les producteurs EnR ne voient pas les signaux de marché, ils risquent de générer davantage de distorsions au regard de la concurrence et des échanges. 22. Dans le cas étudié des mesures d’aides à la production 9 V., p. ex., Batlle et al. (2011), Steinhilber et al. (2011), Hiroux et Saguan (2010) ou Finon EnR, le mécanisme le plus adéquat pour répondre à la et Perez (2007). défaillance de marché au moindre coût pourrait également Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 6 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
générer un certain nombre de distorsions sur le marché 26. Regardons maintenant la situation pour un mécanisme de l’énergie. Il convient donc d’étudier économiquement de soutien du type feed-in tariff avec priorité d’injection l’impact de la mesure sur les objectifs de la Commission en (partie droite de la figure 4). Du fait de la priorité d’injection, matière d’énergie et d’échanges aux frontières. la production renouvelable est placée tout en bas de la courbe d’offre, et cela implique une translation complète de la courbe vers la droite. En effet, cette technologie a la priorité 3. La mesure d’aide envisagée devant les autres technologies présentes sur le marché. crée‑t‑elle des distorsions de Pour une situation analogue de demande faible, cela entraîne l’émergence des prix négatifs qui sont la conséquence directe concurrence et des échanges ou des d’un mécanisme de soutien qui génère une inflexibilité et externalités entre les États membres ? non des conditions économiques de concurrence. On voit clairement pourquoi un mécanisme de feed-in tariff avec une 23. Les mécanismes de soutien peuvent créer des distorsions règle de priorité de dispatch peut induire des pics de prix de la concurrence et des échanges entre les États membres négatifs et générer ainsi des distorsions de concurrence. ou de nouvelles externalités10. L’analyse économique permet d’identifier ces distorsions et d’évaluer leurs conséquences économiques. 4. Les distorsions de concurrence et 24. Un exemple de distorsion est identifié dans le phénomène des échanges sont-elles assez limitées des pics de prix négatifs provoqués par le mécanisme de feed- pour assurer un effet net positif ? in tariff avec une règle de priorité d’injection. Ce phénomène commence à prendre de l’ampleur dans certains pays. 27. Si la mesure d’aide s’est révélée capable de régler un Par exemple, en 2009, l’Allemagne a expérimenté 70 heures problème de distorsion au moindre coût sans induire de de prix négatifs avec un pic négatif à –500 €/MWh11. nouvelles distorsions de la concurrence et des échanges, l’analyse économique permet de conclure à la compatibilité 25. Afin de comprendre pourquoi ces prix négatifs de la mesure. Si, au contraire, on identifie plusieurs correspondent à une distorsion, il faut d’abord s’intéresser distorsions potentielles liées à l’application de la mesure, au cas d’un marché électrique sans distorsion (partie gauche l’analyse économique doit passer par une quatrième phase, de la figure 4). La courbe bleue correspond à la courbe qui consiste à mettre en balance les différents effets, ou d’offre d’électricité pour une heure donnée. La partie encore les coûts et les bénéfices de la mesure d’aide (figure 5). négative de l’offre est notamment due aux contraintes physiques de fonctionnement des centrales thermiques. 28. Dans le cas où l’analyse économique est utilisée au Puisqu’elles ne peuvent pas fonctionner en dessous d’un mieux pour mesurer l’ampleur des effets, il est alors possible niveau minimal de production, elles intègrent dans leurs d’obtenir un résultat fiable sur la compatibilité de la mesure offres le coût d’opportunité de s’arrêter et de redémarrer. en limitant les risques d’erreur. Reprenant l’exemple des Elles sont donc prêtes à payer pour produire. Il est également pics de prix négatifs exposé dans la figure 4, cela suppose possible d’analyser sur cette figure quel serait l’impact de que l’économiste est capable d’évaluer quantitativement le l’introduction des EnR. L’entrée des EnR avec un coût bénéfice de la mesure en termes de traitement des externalités variable de production proche de zéro déplace la partie initiales, ainsi que les inefficacités engendrées par les supérieure de la courbe d’offre vers la droite. Dans une distorsions au niveau de la concurrence et des échanges. situation où la demande d’électricité est faible (par exemple pendant la nuit ou le week-end), le prix d’équilibre sera alors 29. À l’opposé, si l’analyse économique s’est limitée à proche de zéro, car la production d’EnR sera ajustée pour donner des réponses qualitatives ou si elle a été appliquée de équilibrer l’offre et la demande. manière trop simplifiée, la mise en balance ne fournira pas un résultat clair. Par exemple, si on est dans une situation où Figure 4. Phénomène des prix négatifs l’analyse détecte des effets positifs de l’aide mais aussi des effets négatifs sans évaluer leur ampleur, la mise en balance devra être faite en s’appuyant sur des appréciations de nature politique présentant un risque d’erreur important. Le cas du mécanisme de feed-in tariff avec une règle de priorité d’injection peut illustrer cette situation. Si ce mécanisme de soutien permet bien de corriger la défaillance de marché, et cela à un coût faible pour le consommateur (coût de capital plus faible), il peut générer des distorsions importantes par les effets sur le prix et sur le mix énergétique, et donc des inefficacités. Pour trancher entre les effets positifs et négatifs sans disposer d’une évaluation quantitative des ampleurs des effets, il serait nécessaire d’utiliser des appréciations d’ordre politique (c.-à-d. privilégier la problématique environnementale aux objectifs en matière de concurrence 10 V., p. ex., Baritaud (2012), Crampes (2012) ou Keay (2013). et vice-versa) qui peuvent être en décalage avec le bien-être 11 Cf. Nicolosi (2010). collectif. Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 7 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
Figure 5. Mise en balance de différents effets IV. Bibliographie Baritaud, M. (2012). Securing Power during the Transition. OEDC/IEA 2012. Batlle, C., Pérez-Arriaga, I.J., Zambrano-Barragan, P. (2011). Regulatory Design for RES-E Support Mechanism: Learning Curves, Market Structure, and Burden-Sharing. CEEPR WP 2011‑011. Crampes, C. (2012). EU competition policy and the three 20s. Working paper TSE, septembre 2012. Ellerman, E., Joskow, P. (2008). The European Union’s Emissions Trading System in perspective. Rapport pour le Pew Center on Global Climate Change, mai 2008. European Commission (2013). Environmental and Energy Aid Guidelines 2014-2020. Consultation paper, mars 2013. III. Conclusion Finon, D., Perez, Y. (2007). The social efficiency of instruments of promotion of renewable energies: A transaction-cost perspective. 30. L’approche pour l’évaluation de la compatibilité des Econological economics 62 (2007) 77-92. aides d’État adoptée par la Commission européenne a fortement été influencée par l’analyse économique mais Friederiszick, H., Röller, L. H., Verouden, V. (2007). European State Aid Control: An economic framework, dans Handbook est généralement mise en œuvre de manière qualitative et of Antitrust Economics, Paolo Buccirossi (éd.), MIT Press, 2007. simplifiée. La rigueur du balancing test utilisé pourrait alors être renforcée par l’identification des effets économiques Haucap, J., Schwalbe, U. (2011). Economic Principles of State Aid et par la quantification de leur ampleur. Cette analyse Control. Discussion paper, Düsseldorf Institute for Competition économique plus évoluée permettrait de réduire les risques Economics, avril 2011. d’erreur dans les évaluations de compatibilité et d’obtenir un résultat fiable permettant de réaliser un arbitrage rationnel Hiroux, C., Saguan, M. (2010). Large-scale wind power in European electricity markets: Time for revisiting support schemes entre les mesures d’aides. and market designs? Energy Policy 38 : pp. 3135-3145. 31. Dans le contexte actuel d’évolution de l’approche vis-à-vis Keay, M. (2013). UK Electricity Market Reform and the EU, des mesures d’aides au renouvelable, une analyse économique Oxford Energy Comment, avril 2013. approfondie permettrait d’évaluer et de quantifier les effets, et d’assurer ainsi le développement des EnR décarbonées à Neuhoff, K. (2005). Large scale deployment of renewable for moindre coût pour la société, et en minimisant les niveaux de electricity generation, Oxford Revue of Economic Policy (Spring 2005) 21 (1) : pp. 88-110. distorsions et d’externalités engendrées. Nicolosi, M. (2010). Wind power integration and power system 32. Bien entendu, cette approche implique des coûts de flexibility—An empirical analysis of extreme events in Germany mise en œuvre élevés. Une approche simplifiée basée sur under the new negative price regime, Energy Policy 38 (2010) : des considérations politiques est actuellement privilégiée, pp. 7257-7268. mais avec des risques d’erreur plus importants, par exemple dans l’arbitrage politique entre les problématiques Olmos, L., Newbery, D., Ruester, S., Jen Liong, S. et Glachant, J.‑M. (2011). Public support for the financing of RD&D activities environnementales et de concurrence qui permettent in new clean energy technologies, THINK, Final report, janvier actuellement la mise en place des mesures d’aides. Face aux 2011. objectifs de modernisation du contrôle des aides d’État et de mise à jour des lignes directrices, la Commission européenne Steinhilber, S., Ragwitz, M., Rathmann, M., Klessmann, C. et a donc actuellement la tâche difficile de trouver le bon Noothout, P. (2011). Indicators assessing the performance of renewable energy support policies in 27 Member States, D17 report équilibre entre le coût de mise en œuvre et les risques d’erreur RE-Shaping: www.reshaping-res-policy.eu. pour déterminer sa nouvelle approche. Thieffry, P. (2013). Le soutien à l’éolien français : Une aide d’État compatible avec les règles de concurrence ? Concurrences N 1-2014. n Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 8 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
Les aides d’État dans le secteur de l’énergie Aides d’État et sources d’énergie décarbonée Le soutien à l’éolien français : Une aide d’État compatible avec les règles de concurrence ? Patrick Thieffry Avocat, Thieffry & Associés Professeur associé à l’École de droit de la Sorbonne (université de Paris-I) Le cas particulier du soutien public français à l’énergie de qualification d’aide d’État à titre préjudiciel devant la Cour de source éolienne fournit à bien des égards une illustration justice de l’Union européenne. En l’état, son avocat général, topique de l’importance croissante, mais encore insuffisante, dans ses conclusions du 11 juillet 201316, ne conçoit pas que de l’analyse économique tant dans le droit de l’environnement le sort du dispositif français puisse différer de celui annoncé que dans la pratique des autorités de concurrence. Si par les oiseaux de mauvais augure qu’ont été en l’espèce la l’Union européenne s’est fixée en 2008, pour des raisons plupart des commentateurs17. L’affaire est d’importance, environnementales bien connues, un objectif contraignant ce soutien public ayant incontestablement contribué au de 20 % de sources d’énergie renouvelables dans l’énergie développement de l’énergie éolienne en France, ce qui consommée dans l’Union en 2020 dans le cadre du plan avait pu paraître louable avant que les grands énergéticiens d’action climat12, un régime national de soutien public à leur s’alarment de ce que leur concurrence, ainsi faussée, porte développement, certes de ce fait souhaitable au regard des atteinte au maintien de centrales thermiques, lesquelles sont dispositions du droit de l’environnement13, n’est pas ipso facto indispensables à la sécurité d’approvisionnement en période conforme à la réglementation des aides d’État. De ce point de pointe de consommation18. de vue, depuis le plan d’action dans le domaine des aides d’État de 2005, qui avait tenté d’élargir un peu la place du 2. Sur le plan juridique, même si la protection de raisonnement économique dans une pratique encore souvent l’environnement constitue l’un des objectifs essentiels de très formaliste, l’idée-force est que les aides ne doivent être l’Union, la nécessité de la prendre en compte ne justifie pas utilisées que lorsqu’elles constituent un instrument approprié l’exclusion de mesures d’aides d’État du champ d’application pour atteindre un objectif d’intérêt commun défini, pour des règles y relatives, encore très largement indifférente à corriger certaines défaillances du marché ou pour favoriser l’analyse économique : elle peut tout au plus intervenir lors de la cohésion sociale et régionale, la diversité culturelle ainsi l’appréciation de la compatibilité de la mesure d’aide d’État que, de manière plus pertinente pour ce qui concerne l’objet avec le marché commun19, stade auquel la Commission est de ces lignes, le développement durable14. Il convient alors notoirement plus réceptive, à tout le moins aux aspects que ces aides créent des incitants adéquats, qu’elles soient financiers des activités en cause, sinon encore suffisamment proportionnées à leurs objectifs et faussent le moins possible à leurs incidences réelles sur le marché. Il convient donc de la concurrence, ce qui doit conduire à trouver un équilibre bien distinguer ces deux phases logiques du raisonnement entre leurs effets négatifs sur la concurrence et leurs effets juridique en précisant les modalités de principe de positifs en termes d’intérêt commun. Or, le développement l’interdiction des aides pertinentes – ce qui est l’objet de des énergies renouvelables figurant au premier plan des la saisine de la Cour de justice à l’encontre du mécanisme priorités de la politique énergétique de l’Union, les États français de soutien public à l’éolien – (I.), puis les conditions membres se sont efforcés de mettre en œuvre des incitations d’application des importantes dérogations dont il est assorti économiques à la production de ces externalités positives. – dont elle n’est en revanche pas saisie ! – (II.). 1. S’agissant de la France, la pièce maîtresse du dispositif est constituée par les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations éoliennes, lesquelles sont remises en cause par la voie d’un recours en annulation contre les arrêtés ministériels qui les ont fixées. Le Conseil d’État a ainsi soulevé, dans un arrêt du 15 mai 201215, l’éventualité d’une 12 Communication de la Commission du 23 janvier 2008, Deux fois 20 pour 2020. Saisir la 16 Conclusions de l’avocat général Nilo Jääskinen du 11 juillet 2013, aff. C 262/12. chance qu’offre le changement climatique, COM(2008)13 final. 17 V., p. ex., B. Le Baut-Ferrarese, L’obligation d’achat d’électricité renouvelable face au 13 Directive 2009/28 du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie droit des aides d’État de l’Union européenne, Contrats publics no 129, février 2013 ; chr. produite à partir de sources renouvelables, JOUE no L 140 du 5 juin 2009 ; v., P. Thieffry, F. Martucci, RFDA 2012, p. 961 ; v., ég., B. Le Baut-Ferrarese et I. Michalet, Traité de droit Droit de l’environnement de l’Union Européenne, Bruylant 2011, 2e édition, pp. 245 et s. des énergies renouvelables, Éd. Le Moniteur, 2e éd. 2012, pp. 591 et s. 14 Communication du 7 juin 2005, Plan d’action dans le domaine des aides d’État – Des 18 A. Feitz, Le cri d’alarme des énergéticiens européens, Les Échos du 11 septembre 2013 ; aides d’État moins nombreuses et mieux ciblées : une feuille de route pour la réforme des J.-M. Bezat, L’industrie de l’énergie plaide pour un changement de politique européenne, aides d’État 2005-2009, COM(2005) 107 final ; v., ég., P. Thieffry, op. cit., pp. 963 et s. Le Monde du 10 octobre 2013. 15 CE, 15 mai 2012, Association Vent de Colère ! Fédération nationale, no 324852. 19 CJUE, 8 septembre 2011, Commission c/ Pays-Bas, aff. C-279/08 P, Rec. p. I-7671. Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 9 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
I. Une vraisemblable qualification 7. Par ailleurs, les interventions publiques procurant des avantages – tels que ceux ci-dessus – à des entreprises ne d’aide d’État constituent des aides d’État que lorsqu’elles sont sélectives, c’est-à-dire qu’elles ne bénéficient qu’à certaines entreprises 3. La question posée par le Conseil d’État laisse transparaître – ou à l’une d’elles. La question suscite souvent peu “en creux” que le tarif d’achat de l’électricité produite d’hésitations, comme dans le cas des mesures en faveur des avec l’énergie mécanique du vent paraît remplir toutes les énergies de sources renouvelables25. Par hypothèse, en effet, conditions d’une qualification d’aide d’État, à l’exception elles ne profitent pas aux autres producteurs… éventuelle d’une seule d’entre elles. C’est pourquoi la Haute juridiction nationale ne demande d’interprétation que pour 8. Le terrain où le silence de l’analyse économique est le plus cette seule condition. Mais, avant d’envisager cette question, il assourdissant est sans doute celui sur lequel il apparaît que n’est pas inutile de rappeler celles qui n’en sont pas en l’espèce. tout avantage sélectif est réputé fausser ou menacer de fausser la concurrence en affectant le commerce entre États membres dès lors que des échanges sont constatés dans les domaines 1. Les questions qui n’en sont pas : d’activité des entreprises bénéficiaires. Ainsi, la Commission Avantage sélectif, impact sur le marché se limite à cet égard en général à relever que l’électricité fait l’objet d’échanges entre les États membres, ou qu’elle et imputabilité à l’État affecte les opérateurs économiques actifs dans des secteurs 4. Le Conseil d’État n’a pas éprouvé le besoin d’appeler la ouverts à la concurrence, ne serait-ce que ceux dans lesquels Cour de justice à la rescousse pour caractériser un avantage opèrent des entreprises grandes consommatrices d’électricité. sélectif ayant un impact sur le marché et imputable à l’État, Le système français est d’autant moins susceptible de susciter conditions pourtant requises pour qu’il y ait aide d’État au d’hésitation que les producteurs d’énergie conventionnelle, sens du droit de l’Union. qui s’alarment de la concurrence des énergies renouvelables “lourdement subventionnées”, ne doivent pas manquer de 5. Il ne fait pas de doute que constituent des avantages, fourbir leurs arguments en ce sens. en matière énergétique, les aides à l’investissement et les obligations d’achat de l’électricité de source renouvelable à 9. Troisième élément caractéristique essentiel de l’aide un prix supérieur au prix de marché, également appelés tarifs d’État, elle est accordée par l’État ou au moyen de ressources d’achat ou feed-in tariffs, qui visent à stimuler la montée en d’État, formule duale qui les englobe “sans qu’il y ait lieu de puissance des “énergies vertes” en dépit de leur coût supérieur distinguer selon que l’aide est accordée directement par l’État à ceux des énergies de sources conventionnelles20. ou par des organismes publics ou privés qu’il institue ou désigne en vue de gérer l’aide”26. S’en infèrent deux critères eux 6. En revanche, la loi française disposant que “les charges aussi distincts, destinés à exprimer l’exigence selon laquelle imputables aux missions de service public assignées aux “pour que des avantages puissent être qualifiés d’aides (…) ils opérateurs électriques (…) sont intégralement compensées”, doivent, d’une part, être accordés directement ou indirectement charges parmi lesquelles figurent les obligations d’achat au moyen de ressources d’État, et, d’autre part, être imputables contractées avec des exploitants d’éoliennes21, il a été à l’État”27. Pour ce qui concerne la condition d’imputabilité, soutenu que la compensation accordée aux distributeurs l’hésitation n’est pas permise lorsqu’une mesure est instituée qui supportent ce prix d’achat supérieur au prix du marché par la loi, comme en France le tarif de rachat de l’électricité pourrait relever des compensations de charges de service d’origine éolienne28 : il est de ce fait considéré que “ce public, dont la jurisprudence Altmark admet qu’il ne s’agit sont les pouvoirs publics qui sont à l’origine du dispositif”29. pas d’aides d’État22. Toutefois, outre qu’elle ne viserait pas le La Commission retient également la circonstance que le versement du prix majoré aux producteurs ici en cause, mais régulateur national de l’énergie “calcule et distribue l’aide l’indemnisation consentie aux acheteurs qui l’effectuent, à chaque bénéficiaire selon une formule précisée par la cet argument n’a pas été soulevé et débattu dans le cadre du législation”30. recours pendant23 et il est peu probable que le montant de 25 V. décisions de la Commission précitées concernant les régimes mis en œuvre par la la compensation respecte les conditions posées par la Cour Slovénie, le Luxembourg et l’Autriche. dans l’arrêt Altmark24. 26 CJCE, 30 janvier 1985, Commission c/ France, aff. 290/83, Rec. p. 439, pt 14 ; v., ég., CJCE, 15 juillet 2004, Pearle BV, aff. C-345/02, Rec. p. I-7139, pt 34 ; v., ég., conclusions 20 V., p. ex., décision de la Commission du 24 avril 2007 concernant le régime d’aides d’État de l’avocat général Jääskinen du 11 juillet 2013, aff. C-262/12, Association Vent de mis en œuvre par la Slovénie dans le cadre de sa législation relative aux producteurs Colère ! Fédération nationale. d’énergie qualifiés, COM(2007)1181 final ; déc. de la Commission du 28 janvier 2009 27 CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-126/01, Ministère de l’Économie, des Finances et de concernant l’aide sous la forme d’un fonds de compensation dans le cadre de l’organisation l’Industrie c/ GEMO, Rec. p. I-13769, pt 24. du marché de l’électricité mis à exécution par le Luxembourg, COM(2009)230 final ; lettre de la Commission no C (2012) 565 final du 8 février relative à l’aide d’État SA.33384 28 Article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement (2011/N) de l’Autriche Green Electricity Act 2012. du service public de l’électricité, codifiée à l’article L. 314-1 du code de l’énergie. La Commission avait fait le même constat à propos des tarifs “standards”et “de retour”de 21 Articles L. 121-6 et L. 121-7 du code l’énergie. l’électricité (décision no C(2012)2559 final de la Commission du 12 juin 2012 concernant 22 En ce sens, B. Le Baut-Ferrarese, L’obligation d’achat d’électricité renouvelable face au l’aide d’État no SA.21918 mise à exécution par la France – Tarifs réglementés de droit des aides d’État de l’Union européenne, art. cit. l’électricité, précitée, pt 124). 23 Conclusions de l’avocat général Jääskinen du 11 juillet 2013, précitées, pt 25. 29 Conclusions de l’avocat général Jääskinen du 11 juillet 2013, aff. C-262/12, Association Vent de Colère ! Fédération nationale, précitées. 24 En revanche, la Commission pourrait être conduite à vérifier l’absence de surcompensation si, la qualification d’aide d’État étant acquise, elle était appelée à se prononcer sur 30 Décision de la Commission du 28 janvier 2009 concernant l’aide sous la forme d’un fonds la compatibilité de cette aide avec les règles du marché intérieur, seconde phase du de compensation dans le cadre de l’organisation du marché de l’électricité mis à exécution raisonnement juridique en la matière. par le Luxembourg, COM(2009)230 final, pt 57. Concurrences N° 1-2014 I Droit & économie 10 Les aides d’État dans le secteur de l’énergie
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