Les CAHIERS - La finance au service des mutations du système électrique Avec le concours de Romain Schweizer, Thomas Deschatre, Olivier Féron ...
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Les CAHIERS N° 33 | JUILLET 2019 L’actualité économique et financière vue par la recherche La finance au service des mutations du système électrique Avec le concours de Romain Schweizer, Thomas Deschatre, Olivier Féron, René Aïd et Corinne Chaton
SOMMAIRE N° 33 | JUILLET 2019 Les acteurs financiers Comment un producteur La gestion des producteurs doivent s’adapter peut-il détecter les pics d’énergies renouvelables au changement climatique de prix sur les marchés face aux marchés de gros de gros de l’électricité ? de l’électricité 6 10 4 D’après un entretien avec Romain Schweizer D’après un entretien avec Thomas Deschatre D’après un entretien avec Olivier Féron Comment améliorer Comment mesurer la gestion active la précarité énergétique de la demande en électricité ? en temps réel ? 12 D’après un entretien avec René Aïd 14 D’après un entretien avec Corinne Chaton Retrouvez l’actualité et les archives de l’Institut Louis Bachelier, sur le site internet louisbachelier. org, classées par thème : transition financière, transition démographique, transition environnementale et transition numérique. Restez informé, sur les évènements, les appels à projet, les publications… Les CAHIERS N° 33 | JUILLET 2019 L’actualité économique et financière vue par la recherche La finance au service des mutations du système électrique Avec le concours de Romain Schweizer, Thomas Deschatre, Olivier Féron, Publication de l’Institut Louis Bachelier – Palais Brongniart, 28 place de la Bourse 75002 Paris René Aïd et Corinne Chaton Tél. 01 73 01 93 40 – www.institutlouisbachelier.org – www.louisbachelier.org Directeur de la publication : Jean-Michel Beacco Rédacteur en chef : Ryadh Benlahrech (ryadh.benlahrech@institutlouisbachelier.org) Collaboration à ce numéro : Damien Fessler Secrétariat de rédaction, conception et réalisation : Eux Production – Tél. 06 64 49 79 72 – www.euxproduction.com Imprimeur Kava : 42 rue Danton – 94270 Le Kremlin-Bicêtre – Tél. 06 14 32 96 87 2 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I JUILLET 2019
ÉDITO L e Laboratoire de Finance des Marchés de l’Énergie (FiME) réunit des chercheurs académiques et des ingénieurs d’EDF R&D depuis 2006. Cette collaboration fructueuse, menée en lien étroit avec la Chaire Finance et Développement Durable, permet de déve- lopper des méthodes quantitatives appliquées aux questions de développement durable et de répondre à des probléma- tiques métiers – dont vous pourrez avoir un aperçu dans les électrique carbonée, tout en accompagnant la croissance de la demande en électricité engendrée par l’électrification des usages comme la mobilité électrique. Toutefois, si le poids des ENR a considérablement augmenté dans le mix-énergé- tique mondial ces dernières années, il reste de nombreuses contraintes à lever, notamment pour pallier l’intermittence de leur production. Pour répondre aux nombreux défis liés à la lutte contre le réchauffement climatique, la recherche scientifique doit pages de ce nouveau numéro des Cahiers Louis Bachelier mutualiser ses efforts et ses ressources. À cet égard, le lan- – comme l’intégration du changement climatique dans les cement du programme de recherche interdisciplinaire Green décisions d’investissement des acteurs financiers, l’amélio- & Sustainable Finance par l’Institut Louis Bachelier, en 2018, ration de la gestion active de la consommation en électricité constitue une opportunité pour permettre à la recherche pour un fournisseur, la planification incitative de la transition de fournir des recommandations et des solutions concrètes énergétique, ou encore la représentation des pics de prix sur dans le but de décarboner l’économie et d’orienter les flux les marchés de gros de l’électricité. financiers vers des investissements favorables à la transition En dépit du volontarisme affiché lors de la conclusion de l’Ac- environnementale. cord de Paris sur le climat en 2015, ratifié par 184 États en 2016, visant à limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Bonne lecture ! Celsius d’ici à la fin du siècle et de la prise de conscience mondiale sur l’obligation de réduire les émissions de car- bone, les derniers chiffres publiés sont loin d’être à la hau- teur des enjeux. Ainsi, d’après le dernier rapport de l’Agence Clémence Alasseur, Internationale de l’Énergie (AIE), en 2018, la consommation directrice scientifique de l’Initiative d’énergie a progressé de 2,3 % dans le monde, soit la plus de recherche FiME et ingénieur- forte hausse depuis 2010 et s’accompagne d’une augmen- chercheur chez EDF R&D tation de 1,7 % des émissions de carbone… Cette crois- sance tous azimuts constitue de mauvais signaux, alors que la demande d’énergie devrait poursuivre sa tendance haus- sière, en particulier pour produire de l’électricité. Or, dans ce secteur spécifique, les sources d’énergies non émissives, Nizar Touzi, professeur comme les renouvelables (ENR), ont un rôle fondamental de mathématiques appliquées à jouer pour permettre le remplacement de la production à l’École polytechnique Partenaires JUILLET 2019 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I 3
LES ACTEURS FINANCIERS DOIVENT S’ADAPTER AU CHANGEMENT CLIMATIQUE Le changement climatique a des effets sur tous les aspects de la société et le secteur financier n’échappe pas à cette règle : le changement climatique se traduit par l’apparition de nouveaux « risques » que les acteurs de la finance doivent évaluer et intégrer dans leurs calculs. Dans ses travaux, un jeune chercheur développe des méthodes pour intégrer ces risques dans les évaluations des banques d’investissement. L e changement climatique est au‑ LES LIMITES DES OUTILS EXISTANTS jourd’hui un, si ce n’est LE, risque majeur du xxie siècle. Défi inédit pour Cependant, il n’est pas aisé de traduire de l’humanité, il peut représenter un risque pour façon quantitative (primes de risque, prix…) les agents qui n’y seraient pas, ou mal, pré- ces risques nouveaux, à l’aide des outils clas- parés. Tous les acteurs économiques, en siques dont disposent les acteurs financiers. particulier financiers, sont confrontés à ces D’un côté, les climatologues estiment que la risques, dont les effets commencent à se part d’incertitude concernant les évolutions manifester de façon dramatique à certains à venir est très grande. L’attribution de liens endroits. indubitables entre un événement extrême et le réchauffement climatique est, par exemple, très UN RISQUE NOUVEAU ET MULTIFORME difficile, voire impossible à prouver. Néanmoins, Depuis le discours, en 2015, de Mark Carney, quelques tendances peuvent être dégagées, gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, comme l’augmentation de la fréquence de ces les spécialistes distinguent le risque physique événements extrêmes et des évolutions tendan- traditionnel, c’est-à-dire les effets du réchauf- cielles (montée du niveau des océans, fonte des fement sur les écosystèmes, et le risque de glaces…). transition qui représente l’impact des chan- Quant au risque de transition, la tâche est plus gements réglementaires, technologiques et difficile encore : « Le risque de transition résulte sociaux instaurés pour minimiser les effets du de processus sociaux et de décisions politiques réchauffement. face à un phénomène inédit dans l’histoire des Concernant le premier type de risque, l’année sociétés humaines. Ces évolutions sont donc 2018 offre plusieurs exemples : la canicule aus- difficilement prévisibles, même à des hori- tralienne ou les feux de forêts de Californie aux zons temporels proches », souligne Romain conséquences désastreuses. Schweizer. Sur le second risque, un exemple plus récent encore permet de fournir une bonne illus- CONSTRUIRE UNE CARTOGRAPHIE tration : la faillite de la société Pacific Gas & DES RISQUES DE TRANSITION… Electric Company, considérée comme « l’EDF En parallèle de l’échec répété des tentatives de la Californie », a été annoncée le 6 février d’accords internationaux et de l’absence d’au- dernier. Les raisons ? Sa condamnation pour torité et de coordination multilatérale, des D’après les travaux sa responsabilité dans les feux de forêts qui actions plus locales et concrètes ont émergé à de thèse de Romain ont ravagé le sud de la côte ouest américaine. des échelles inférieures. De fait, à des niveaux Schweizer, intitulés « On peut y voir les signes avant-coureurs inférieurs, la présence de dispositifs institution- Analyse des risques liés au changement d’une tendance que les acteurs financiers nels plus à même de prendre des mesures et climatique pour ne peuvent plus ignorer », observe Romain de les faire respecter permet d’imaginer que le secteur financier. Schweizer. de multiples solutions vont se développer plus 4 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I JUILLET 2019
Romain Schweizer est titulaire d’un master de mathématiques appliquées de l’Université Paris-Dauphine. Il prépare actuellement un doctorat à l’Université Paris-Dauphine (thèse CIFRE réalisée en partenariat avec Crédit Agricole CIB). Sa thèse porte sur la prise en compte du risque climatique pour les acteurs financiers. Méthodologie Le chercheur tente de construire un indicateur quantitatif et qualitatif qui permettra d’inclure les risques liés au changement climatique dans les systèmes de notation des risques pays, à partir d’une série d’observations objectives : données statistiques, déclarations des entreprises ou encore engagements des États. Cet indicateur, qui devra ensuite être régulièrement mis à jour, devrait être intégré dans la prime de risque des lignes de crédit accordées par les banques, ou, plus généralement, dans les politiques de gestion et d’exposition au risque du secteur bancaire. localement. Or, ces mesures peuvent être per- d’intégrer ce nouveau risque à l’analyse des la prime de risque associée à ces titres, voire çues comme des « risques » pour les industries risques pays qui est une compétence historique d’établir une politique d’exclusion de finance- qui n’y seraient pas préparées, ou pour les des banques », anticipe Romain Schweizer. ment. Du point de vue des acteurs financiers, industries qui seraient « ciblées ». Et c’est déjà cela reviendrait à évaluer le risque de défaut le cas, même si les mesures peuvent paraître …AFIN DE GUIDER LES DÉCISIONS ou de liquidité sur les titres de ces entreprises, modestes pour l’instant : si aucun prix mondial D’INVESTISSEMENT DES ACTEURS sachant qu’elles pratiquent cette activité depuis du carbone n’a émergé pour l’instant, quelques FINANCIERS très longtemps déjà ! l pays ou provinces ont déjà instauré des sys- Par la suite, cette cartographie permettra de tèmes de taxation ou de tarification (la Norvège, guider les décisions du secteur financier, dans le Québec), tandis que des réseaux de grandes le sens de l’investissement ou du désinvestis- À retenir villes (comme le Global Climate City Challenge sement. Dans le premier cas, les acteurs finan- ou le C40 Cities) émergent et cherchent à parta- ciers chercheront à identifier les pays les plus Pour les acteurs financiers, ger leurs solutions et leurs avancements. à même d’accueillir les infrastructures liées à il est crucial d’identifier « C’est à partir de ce constat que je cherche la lutte contre le changement climatique ou les pays ou les secteurs les plus à établir un ou des indicateurs qui puissent à l’adaptation à ses conséquences. Dans le sensibles au changement permettre d’identifier les secteurs ou les zones second, ils chercheront, au contraire, à réduire climatique car cela représente géographiques plus ou moins affectés par des leurs participations ou leurs engagements liés un risque de défaut nouveau changements éventuels de réglementation ou aux infrastructures émettrices. et mal pris en compte. technologiques », explique Romain Schweizer. Plus précisément, en prenant l’exemple du sec- Et plusieurs pistes sont à l’étude, notamment teur des énergies fossiles – en mettant de côté L’identification des sites la constance d’un État à lutter contre le chan- l’hypothèse selon laquelle le développement de d’extraction ou de gement climatique dans son agenda politique la géo ingénierie ou des technologies de capture transformation d’énergies fossiles à long terme. La Norvège constitue ainsi un et de stockage du CO2 (Carbon Capture and les plus exposés à une contraction exemple pertinent. De même pour la volonté Storage – CCS) à l’échelle industrielle résou- de la demande globale constitue affichée d’un État à s’imposer comme un lea- dront tous les problèmes – il est, d’ores et déjà, un indicateur intéressant pour der sur le secteur des énergies renouvelables. certain que l’ensemble des réserves d’hydrocar- qu’un acteur financier investisse C’est le cas de la Chine, comme en témoigne bures actuellement connu ne sera pas épuisé. ou non dans ce secteur polluant. le nombre croissant de brevets concernant les Partant de ce constat, il est possible de cher- énergies vertes, et sa politique industrielle de cher à évaluer les effets d’une contraction de Lorsqu’ils seront mieux développement de ces technologies. Mais, il est la demande sur les compagnies qui exploitent appréhendés, ces risques également possible de s’intéresser à une multi- les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), se traduiront en termes de tude d’autres facteurs telles que les conditions en tenant compte des différents coûts d’extrac- signal-prix et de prime de risque, géographiques, la sensibilité des populations tion selon les champs et d’évaluer ses consé- ce qui permettra aux acteurs aux questions climatiques et écologiques, l’his- quences directes et indirectes sur la rentabilité d’orienter les flux financiers vers toire des évolutions de comportement (comme de ces activités. Ainsi, en étant capable de clas- les investissements nécessaires la baisse récente de la consommation de viande ser des champs pétroliers/gaziers avec leur coût à la transition écologique. en France). « Cette cartographie permettra ainsi d’exploitation, il serait possible de mieux évaluer JUILLET 2019 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I 5
COMMENT UN PRODUCTEUR PEUT-IL DÉTECTER LES PICS DE PRIX SUR LES MARCHÉS DE GROS DE L’ÉLECTRICITÉ ? Pour équilibrer la production d’électricité (l’offre) aux besoins (la demande) en temps réel, les énergéticiens peuvent échanger sur les marchés de gros de l’électricité à court terme. Toutefois, les cours sont fluctuants et volatils avec parfois des pics importants, nécessitant ainsi des anticipations. Des chercheurs ont développé une approche permettant de détecter les valeurs extrêmes des prix sur ces marchés de gros. S i le secteur de la production électrique aux marchés de gros de l’électricité à court peut paraître simple, avec des acteurs terme, qui sont de deux types : les marchés produisant de l’électricité, à partir de day ahead fonctionnant avec un système d’en- différentes sources fossiles (gaz, charbon), chères pour une livraison de l’électricité à hori- nucléaire ou renouvelables (éolien, solaire, zon 24 heures ; les marchés infra-journaliers, hydraulique), qui est injectée ensuite sur les qui permettent d’échanger jusqu’à 45 minutes réseaux pour y être consommée immédiate- avant la livraison effective de l’électricité durant ment, il est, en réalité, beaucoup plus com- les 24 tranches horaires composant une plexe. Parmi les particularités notables, figure journée. notamment le fait que les producteurs doivent produire à la hauteur de la consommation à tout LES MARCHÉS DE L’ÉLECTRICITÉ moment. Cette contrainte de base oblige ainsi À COURT TERME SONT TRÈS VOLATILS les producteurs à anticiper le plus finement Sans rentrer dans les spécificités du fonction- possible entre leur équilibre offre-demande. nement de ces marchés de l’électricité à court Il existe des aléas sur la production pouvant terme, ils servent de variables d’ajustement être difficiles à anticiper en raison notamment pour équilibrer la production et la consom- de la montée en puissance des sources d’éner- mation d’électricité en permettant d’échanger gie renouvelable (ENR), qui sont intermittentes, les surplus de certains acteurs. Comme dans dans la production d’électricité. Des événe- tout marché, les prix y jouent un rôle fon- ments fortuits sur les centrales peuvent aussi damental. Des épisodes de forte demande/ créer de l’incertitude sur la production. Qui plus faible production peuvent succéder à des est, pour répondre à la demande, ce sont les épisodes de faible demande/forte production. moyens de production les moins chers et les Ainsi, l’électricité n’étant pas stockable, les moins polluants qui sont mobilisés en premier, variations de cours sont très élevées : « Les dépriorisant ainsi les centrales thermiques de marchés spot de l’électricité sont très vola- complément à gaz ou au charbon qui sont plus tils avec des pics de prix importants, ce qui D’après Estimating fast mean-reverting coûteuses. génère des risques financiers qui doivent être jumps in Parallèlement aux difficultés de prévoir la pro- pris en compte par les énergéticiens », indique electricity market duction, la consommation électrique, quant Thomas Deschatre. Par exemple, en France, models, écrit par à elle, peut également être sujette à de fortes en novembre 2016, trois épisodes de pics de Thomas Deschatre, variations à la hausse, comme l’hiver dernier prix ont été observés, où le mégawatheure Olivier Féron et Marc Hoffmann, ainsi en France, ou à la baisse. Pour remédier à ces (MWh) a dépassé les 800 euros, alors que son qu’un entretien avec difficultés et compenser leurs éventuels écarts prix annuel moyen a été de 34,60 euros, selon Thomas Deschatre. de production, les producteurs peuvent recourir les données de la Commission de régulation 6 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I JUILLET 2019
Thomas Deschatre est ingénieur-chercheur au sein du département Osiris d’EDF R&D, avec des activités autour des modèles de prix de l’électricité, ainsi que de la gestion des risques de marchés. Il a effectué sa thèse en mathématiques appliquées au sein d’EDF, ainsi qu’au CEREMADE à l’université Paris-Dauphine, sur des problématiques de modélisation de la dépendance entre processus stochastiques et d’estimation statistique. Il est également diplômé de l’École Supélec, ainsi que de l’École Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique. Méthodologie Les chercheurs ont conduit des travaux statistiques sur des modèles existants de la littérature dans le but d’estimer les pics de prix sur les marchés de gros de l’électricité dans un cadre général. Pour ce faire, ils ont utilisé des méthodes de statistique des processus stochastiques, qui permettent de prendre en compte des données évoluant au cours du temps (par exemple, les prix de l’électricité sur les marchés et les températures). Dans un second temps, ils ont mobilisé des méthodes de statistiques non paramétriques, c’est-à-dire sans modèle, pour incorporer de la dépendance entre les pics de prix et des aléas physiques (températures, pénétration de l’énergie éolienne). Au final, leurs travaux statistiques leur ont permis de calculer les probabilités que des pics de prix se produisent sur les marchés à court terme de l’électricité. de l’énergie. Outre-Rhin, c’est l’inverse, avec les pics de prix et les températures, tandis des pics de prix négatifs, en raison de la forte que pour l’Allemagne, ils ont choisi le taux de proportion d’ENR dans la production d’élec- pénétration de l’éolien par rapport à la produc- tricité : en 2017, 146 heures sur 24 jours de tion totale. « Nos résultats sont cohérents avec prix négatifs ont été observées sur le marché notre intuition de base. En France, la proba- day ahead et 185 heures sur 34 jours sur le bilité d’avoir un pic de prix à chaque instant marché infra-journalier, d’après Epex Spot, une diminue avec la hausse des températures et plateforme européenne d’échanges. « Les prix inversement. En Allemagne, le pourcentage de de l’électricité sont très dépendants d’aléas pénétration de l’éolien n’a pas d’impact sur les physiques exogènes, comme la météo. Nous pics de prix à la hausse, mais il en a sur la fré- sommes partis de cette intuition de base, identi- quence d’apparition de pics de prix négatifs », fiée dans la littérature existante et observable en détaille Thomas Deschatre. Avec cette méthode À retenir pratique, pour réaliser nos travaux d’estimations statistique, les producteurs ont la possibilité de statistiques des pics de prix sur les marchés de mieux gérer leurs risques financiers. Il est important pour l’électricité à court terme », explique Thomas un producteur d’électricité Deschatre. L’originalité de ces travaux consiste UNE MÉTHODE STATISTIQUE POTENTIELLEMENT INDUSTRIALISABLE de prendre en compte la présence à détecter statistiquement les pics de prix sans des pics de prix sur les marchés modèle préalable, afin d’observer leur fré- Pour l’heure, les travaux statistiques dévelop- de gros de l’électricité à court quence d’apparition et donc de permettre aux pés par les chercheurs servent de références et terme, car ils ont des impacts producteurs de les prendre en compte dans la d’indicateurs au sein du service de recherche & immédiats sur la gestion gestion de leurs risques financiers. « En restant développement d’EDF. « Ils permettent de réali- de ses risques financiers. dans un modèle gaussien classique, les queues ser des études, d’interpréter et de présenter des de distribution sont fines, ce qui ne permet pas résultats aux différentes branches de métiers La fréquence des pics à un producteur de capter les valeurs extrêmes, au sein d’EDF. Nos travaux peuvent également de prix peut être fortement qu’elles soient basses ou hautes, et donc de être appliqués aux marchés du gaz », conclut dépendante d’aléas exogènes modéliser tous les risques financiers », justifie Thomas Deschatre, qui va poursuivre ses tra- physiques comme la température Thomas Deschatre. vaux pour tenter de parvenir à les appliquer à en France ou la production une échelle industrielle. l éolienne en Allemagne. UNE MÉTHODE APPLIQUÉE SUR DES DONNÉES RÉELLES La méthodologie innovante Les chercheurs ont utilisé des données réelles des chercheurs permet de pics de prix sur les marchés français et alle- de mieux gérer les risques mand, afin de confirmer ou d’infirmer leur intui- financiers des énergéticiens. tion de départ. Pour la France, ils ont analysé JUILLET 2019 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I 7
LA GESTION DES PRODUCTEURS D’ÉNERGIES RENOUVELABLES FACE AUX MARCHÉS DE GROS DE L’ÉLECTRICITÉ Avec la disparition progressive des tarifs d’achat des énergies renouvelables (ENR) en Europe, les producteurs d’ENR seront exposés aux variations des prix des marchés de gros de l’électricité. Des chercheurs ont théorisé scientifiquement la stratégie optimale, incluant l’utilisation d’une batterie de stockage, qu’un producteur devra mettre en œuvre. L a progression des énergies renouve- engagements sur leurs prévisions de production lables (ENR) dans le mix-énergétique d’électricité à base d’ENR pour maximiser leurs mondial, en particulier pour produire revenus et éviter des pénalités financières. Pour de l’électricité, constitue une nécessité pour schématiser, un énergéticien doit indiquer, aux réduire les émissions de carbone dans l’atmos- gestionnaires de réseaux, un jour à l’avance, phère et limiter ainsi le réchauffement clima- l’électricité qu’il compte leur fournir. Or, la tique. Chaque année depuis 2016, l’électricité marge d’erreur de la production d’une ferme à base d’ENR a représenté les deux tiers des éolienne peut, par exemple, atteindre 20 % investissements en capacités de produc- de ses capacités installées à un horizon de six tion dans le monde, d’après le World Energy heures. En outre, le caractère peu stockable de Investment Reports de l’Agence Internationale l’électricité accentue les difficultés des produc- de l’Énergie (AIE). Dans l’Union européenne teurs, même si les technologies de stockage (UE), le développement des ENR poursuit aussi avec des batteries se développent et que les une bonne dynamique : en 2016, l’électricité coûts de stockage sont voués à diminuer dans produite à partir de sources d’énergies renou- les deux prochaines décennies, selon l’AIE. Et velables représentait 29,6 % de la consomma- pour ne rien arranger, les tarifs de rachat (feed tion intérieure brute d’électricité totale au sein in tariffs en anglais) des ENR par les grands des 28 membres de l’UE, selon Eurostat. Et les énergéticiens nationaux (EDF dans le cas de la objectifs contraignants de la Commission euro- France), qui représentent un soutien financier péenne – qui doivent porter la part des ENR à 27 % dans la consommation totale d’énergie d’ici à 2030 – devraient contribuer à la ten- dance actuelle. LES PRODUCTEURS D’ENR Le caractère peu stockable ONT BEAUCOUP DE PROBLÉMATIQUES de l’électricité accentue les difficultés À INTÉGRER des producteurs, même si les D’après Optimal Toutefois, si ce volontarisme s’inscrit dans technologies de stockage avec management le bon sens et qu’il reste encore beaucoup à des batteries se développent of a wind power plant faire, les producteurs d’ENR sont confrontés with storage capacity, et que les coûts de stockage à de nombreuses problématiques, et non des écrit par Jérôme sont voués à diminuer dans moindres, pour alimenter les réseaux élec- Collet, Olivier Féron triques. Il faut dire que l’intermittence des les deux prochaines décennies. et Peter Tankov, ainsi qu’un entretien ENR représente des incertitudes pour les pro- avec Olivier Féron. ducteurs, alors qu’ils doivent respecter des 10 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I JUILLET 2019
Olivier Féron est ingénieur-chercheur au sein d’EDF R&D depuis 2006 et rattaché au Laboratoire de Finance des Marchés de l’Énergie (FiME) depuis 2008. Il est titulaire d’un doctorat en mathématiques appliquées et d’un diplôme d’ingénieur de Supélec. Méthodologie Les chercheurs ont défini la stratégie optimale d’un producteur d’énergie éolienne, qui peut à la fois recourir aux marchés de gros à court terme de l’électricité et à une batterie de stockage. Ils ont, d’abord, modélisé et calibré avec des données historiques un modèle des prix infra-journaliers de l’électricité sur les marchés, ainsi que des prévisions de la production de l’énergéticien. Puis, ils ont résolu un problème de contrôle optimal par programmation dynamique. pour rentabiliser la filière des ENR, dispa- certaines hypothèses pour réduire le nombre raissent progressivement en Europe. « Cette de décisions possibles, mais tout en restant mesure a déjà commencé en Allemagne et va proches de la réalité. Cela nous a permis de se mettre en place en France. Par conséquent, résoudre notre problème mathématique », les producteurs français devront se confron- affirme Olivier Féron. Sans rentrer dans des ter aux prix des marchés de gros de l’électri- détails trop techniques, les chercheurs ont cité », souligne Olivier Féron. Plus précisément, employé les outils d’optimisation stochastique ils devront intervenir sur les marchés dits pour décrire les différentes options d’un pro- infra-journaliers apparus très récemment, et ducteur éolien, et choisir celles qui maximisent, qui permettent de vendre ou acheter de l’élec- en moyenne, le profit du producteur, tenant tricité à livraison quasi-immédiate. Ces marchés compte des prix du marché et des prévisions permettront aux producteurs de revendre leurs imparfaites de la production. surplus éventuels d’électricité ou d’en acheter pour compenser les écarts de production par LES PRODUCTEURS D’ENR DOIVENT FAIRE DES COMPROMIS À retenir rapport aux quantités qu’ils se sont engagés à fournir et à injecter sur les réseaux. « Cette Alors quelle est la stratégie optimale à adopter Un producteur d’énergie nouvelle donne implique des questions pour pour un producteur d’ENR ? « Cela dépend de renouvelable (ENR) les producteurs quant à la rentabilité des ENR, la facilité d’accéder aux marchés de gros et de doit définir une gestion optimale l’investissement dans des batteries de stockage la disponibilité des capacités de stockage. Dans de sa production pour faire face ou encore le recours aux marchés de gros de notre article, nous avons fait l’hypothèse que aux marchés à court terme l’électricité. Les acteurs des ENR doivent désor- le producteur puisse accéder directement aux de l’électricité. mais davantage définir une gestion optimale marchés, alors qu’en réalité la plupart doivent de leur production par le biais d’arbitrages passer par un agrégateur. Pour un tel produc- La gestion optimale pour faire face aux prix des marchés de gros », teur, nous avons déterminé les stratégies opti- de la production d’ENR explique Olivier Féron. males et les bénéfices potentiels d’achat d’une intermittente nécessite l’étude batterie de stockage. Un producteur qui ne des impacts et des intérêts LES MODÉLISATIONS MATHÉMATIQUES peut accéder au marché que via un agrégateur CONSTITUENT DES AIDES pour un producteur de recourir peut quand même utiliser ces estimations pour À LA PRISE DE DÉCISION à une batterie de stockage négocier un tarif équitable avec celui-ci. Pour de l’électricité. C’est dans ce contexte et pour répondre aux l’instant, les coûts de stockage restent trop éle- questions mentionnées plus haut que les vés pour qu’il soit rentable qu’un petit produc- Les résultats d’une gestion chercheurs ont réalisé leurs travaux de modé- teur investisse dans une batterie. Néanmoins, optimale de la production lisation mathématique, où un petit producteur la baisse des coûts et la transformation des d’ENR dépendent du compromis d’énergie éolienne a la possibilité de recourir marchés de l’électricité peuvent modifier la entre l’efficacité des prévisions au marché de l’électricité à court terme ou de donne. Il est également possible d’utiliser ce de production d’un énergéticien, stocker de l’énergie dans une batterie coûteuse. type de résultat dans l’optique non pas de l’utilisation de batteries Son objectif est d’optimiser sa production avec maximiser le bénéfice de vente, mais d’assurer de stockage et le recours l’un ou l’autre des deux leviers à sa disposition l’indépendance électrique d’une communauté aux marchés de gros à court terme et de maximiser ses bénéfices. « Nous avons à moindre coût avec un mix 100 % renouve- de l’électricité. dû nécessairement faire des simplifications et lable », conclut Olivier Féron. l JUILLET 2019 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I 11
COMMENT AMÉLIORER LA GESTION ACTIVE DE LA DEMANDE EN ÉLECTRICITÉ ? Les dispositifs de gestion active de la demande visent à inciter les particuliers à réduire leur consommation d’électricité certains jours de l’année, lorsque la production est particulièrement contrainte. Des chercheurs essayent de définir les meilleurs modes de tarification des contrats de fourniture d’électricité, afin de rendre ces dispositifs plus efficaces. Le procédé qui agit sur la demande plutôt que sur l’offre d’électricité D ans un système électrique, la pro- s’appelle la gestion active duction doit toujours être égale à la consommation. Quand la demande de la demande. est élevée, par exemple en hiver quand les températures sont basses, il peut être plus intéressant pour les producteurs d’inciter les consommateurs à réduire leur consommation qui diminue la fiabilité du mécanisme. Plus pré- plutôt que de démarrer des centrales élec- cisément, cette situation renvoie à ce que l’on triques de pointe coûteuses et carbonées. Le appelle en économie un problème de hasard procédé qui agit sur la demande plutôt que sur moral », explique René Aïd. l’offre d’électricité s’appelle la gestion active de la demande. UNE SITUATION DE HASARD MORAL Quand le consommateur signe le contrat men- INCITER LES PARTICULIERS tionné précédemment, il engrange le bénéfice À RÉDUIRE LEUR CONSOMMATION lié au rabais consenti sur le prix de son élec- La forme la plus courante pour gérer active- tricité. Plus tard, quand l’événement tarifaire ment la demande d’électricité consiste en la se produit, il compare le coût induit par cette mise en place d’un contrat entre un produc- hausse ponctuelle de son tarif avec la gêne teur et un consommateur. Ce contrat permet que lui causerait une réduction de sa consom- au client de bénéficier d’un prix inférieur au mation. Parfois, il préférera ne pas baisser sa prix normal toute l’année. En revanche, le prix consommation au grand dam du producteur. qu’il devra payer sera beaucoup plus élevé un « Dans cette situation, le problème du produc- certain nombre de jours. Et ces derniers ne teur est alors de proposer au consommateur un sont pas connus à la signature du contrat, car contrat indexé seulement sur sa consommation ils dépendent des aléas météorologiques qui pour l’inciter à la réduire et à la rendre plus pré- vont se réaliser pendant l’année. Pour lui per- visible », poursuit René Aïd. mettre de prendre ses dispositions et réduire En effet, le particulier peut réduire sa consom- D’après Optimal electricity demand sa consommation, le client est prévenu la mation en agissant sur chacun des usages élec- response contracting veille que le prix élevé s’appliquera le lende- triques de son foyer : le chauffage, le four, les with responsiveness main. « Les expérimentations des dispositifs plaques de cuisson, mais également les ordina- incentives, de gestion active de la demande montrent que teurs et tout autre appareil électrique équipant écrit par René Aïd, ce mécanisme permet de réduire la consom- son logement. Le consommateur peut égale- Dylan Possamaï et Nizar Touzi, ainsi mation. Toutefois, elles constatent également ment faire un effort pour que sa réponse à une qu’un entretien avec une variance importante dans les réponses des demande de réduction de la part du producteur René Aïd. consommateurs aux événements de prix, ce soit la plus régulière possible. 12 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I JUILLET 2019
René Aïd est professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine depuis 2016 et maître de conférences à l’École polytechnique depuis 2015. Au préalable, il a été ingénieur de recherche en économie financière des marchés de l’énergie (1998-2003), puis directeur (2003-2006) au sein d’EDF R&D. Il est co-fondateur et directeur (2006-2013) du programme de recherche Laboratoire de Finance des Marchés de l’Énergie (FiME), qui a reçu le prix AEF 2014 de la meilleure initiative de recherche entreprise/université. Directeur adjoint du département recherche d’EDF R&D sur la production et la gestion des risques financiers (2014-2016), il a également été conférencier plénier à la conférence SIAM Financial Mathematics & Engineering (2016) et au congrès mondial Bachelier Finance Society (2018). Membre du bureau scientifique de l’Institut Louis Bachelier, il a publié la monographie Electricity Derivatives (Springer, 2015) et co-édité le livre Commodities, Energy and Environmental Finance (Fields Institute Communications, Springer, 2015). Méthodologie Les auteurs se placent dans le cadre d’un modèle principal-agent en temps continu, dans lequel interagissent un producteur À retenir d’électricité (le principal) et un consommateur (l’agent). Le principal ne peut pas observer les efforts de l’agent pour réduire sa consommation. Sous certaines hypothèses (pour le producteur, Les dispositifs de gestion coûts marginaux de l’énergie et de la volatilité constants ; active de la demande pour le consommateur, valeur marginale de l’énergie constante), d’électricité, qui visent à inciter la résolution du modèle permet de spécifier un contrat optimal. les consommateurs à réduire Cette résolution s’appuie sur des avancées récentes réalisées leur consommation lors par Jaksa Cvitanic (Caltech), Dylan Possamaï (Columbia University) et Nizar Touzi (École polytechnique) sur les méthodes de périodes critiques, permettent de programmation dynamique appliquées aux problèmes de réduire la consommation de principal-agent. d’électricité mais exhibent une variance importante dans les réponses des consommateurs. La modélisation de la Cependant, le producteur ne peut pas observer le particulier pour sa baisse de consomma- relation entre un producteur les efforts spécifiques que fait le particulier. Un tion à un prix bien supérieur à la valeur que le et un consommateur avec compteur intelligent relève la consommation consommateur attribue à l’énergie. Néanmoins, le problème du principal-agent totale d’un foyer et pas celle de chaque appa- si la consommation ne réduit pas, alors le permet d’établir les conditions reil. Pour cette raison, les paiements prévus consommateur paye son électricité bien plus pour que les dispositifs de gestion dans le cadre du contrat ne peuvent se baser cher que la valeur qu’il lui attribue. active de la demande d’électricité que sur sa consommation réalisée. Plus pré- Le consommateur reçoit ainsi une incitation soient les plus efficaces, cisément, le contrat théorique envisagé dans économique à réduire sa consommation car, ce qui revient à inciter ce travail de modélisation devra associer un contrairement à la forme des contrats usuels les consommateurs à être plus paiement à chaque trajectoire possible de qui lui permettent d’engranger un bénéfice à réactifs lorsque le producteur consommation. « Les méthodes nouvelles de la signature du contrat, le contrat optimal ne les incitera à réduire leur la théorie des contrats en temps continu per- permet un gain que si une baisse effective de consommation. mettent de formuler ce problème et de lui don- la consommation se réalise. Par ailleurs, un ner une réponse simple capable de réduire de même mécanisme indexé sur la volatilité de la Le contrat optimal est façon optimale la consommation d’électricité, consommation permet sa réduction. Si cette du type « remise », forme tout en incitant le consommateur à fournir des volatilité baisse, le consommateur est rému- existant dans le marché : le contrat réponses régulières aux sollicitations du pro- néré. Dans le cas contraire, il est facturé. Dès rémunère le consommateur ducteur », explique René Aïd. lors, la réduction de la volatilité du consomma- pour sa baisse de consommation teur assure que ses réponses aux sollicitations à un prix bien supérieur à la valeur LE CONTRAT OPTIMAL BASÉ du producteur seront plus régulières. De quoi SUR UN MODÈLE SIMPLE que le consommateur attribue envisager une meilleure gestion active de la à l’énergie. Si la consommation Le contrat optimal entre le consommateur et le demande de la part des producteurs, et donc ne réduit pas, alors le producteur décrit dans ce modèle est constitué un meilleur fonctionnement du système élec- consommateur paye son électricité d‘une part fixe et d’une part variable. La part trique dans son ensemble. l bien plus cher que la valeur qu’il fixe assure que le consommateur bénéficiera lui attribue. Un mécanisme d’un rabais minimum pour accepter le contrat. similaire indexé sur la volatilité Cette part fixe ne dépend pas de la consomma- Visionnez ILB Methods n°1 consacré au problème du principal-agent de la consommation permet de tion réalisée, contrairement à la part variable du sur www.louisbachelier.org réduire la variance des réponses. contrat. Cette dernière, de son côté, rémunère JUILLET 2019 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I 13
COMMENT MESURER LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE EN TEMPS RÉEL ? Si la précarité énergétique s’est réduite ces dernières années en France, ses modalités d’évaluation souffrent de lacunes liées aux indicateurs retenus et à la disponibilité de données récentes. Des chercheurs ont développé une approche pour mesurer finement cette forme de précarité et aiguiller ainsi les pouvoirs publics dans le ciblage des aides. L a précarité énergétique est loin de nationale logement (ENL) effectuée par l’Insee, constituer un phénomène marginal qui compile les informations les plus fiables et en France, bien au contraire. Ainsi, complètes sur les caractéristiques des ménages d’après les derniers chiffres de l’Observatoire et de leur logement dont les deux dernières édi- national de la précarité énergétique (ONPE), tions ont eu lieu en 2006 et en 2013. « Pour en 2017, 3,3 millions de ménages ont été en calculer des chiffres fins et actualisés sur la pré- situation de précarité énergétique. Au total, ce carité énergétique, il faut passer par un modèle sont 6,7 millions de personnes, soit 11,6 % de ou obtenir de nouvelles données à l’échelle la population, qui sont concernées. nationale, car l’ENL est trop espacée dans le Pour rappel, la précarité énergétique est ins- temps », affirme Corinne Chaton. Et d’ajouter : crite dans la loi Grenelle II de juillet 2010 et « Nous avons décidé d’élaborer un modèle concerne uniquement les dépenses d’éner- pour pouvoir évaluer la précarité énergétique gie dans les logements. Elle se caractérise aujourd’hui et en savoir plus sur ce phéno- lorsqu’un ménage n’a pas suffisamment de mène, sachant qu’il y a eu très peu de publica- ressources pour satisfaire ses besoins éner- tions scientifiques sur ce sujet ». gétiques de base (chauffage, électricité…) et/ ou quand ses conditions de vie ne sont pas UNE BAISSE DE LA PRÉCARITÉ adéquates, en termes d’isolation par exemple. ÉNERGÉTIQUE EN TROMPE-L’ŒIL « Il est malheureusement courant que les Alors, certes, ce phénomène a baissé de trois ménages en précarité énergétique soient dans points par rapport à 2013, où il concernait les deux situations à la fois : ils ont de bas reve- 14,6 % de la population, en raison d’une aug- nus et vivent dans des passoires thermiques », mentation des revenus des ménages et d’une observe Corinne Chaton. relative baisse des prix de l’énergie, mais il est sensible à toute variation des tarifs de vente des L’OBTENTION DE DONNÉES RÉCENTES énergies. Qui plus est, les méthodes d’évalua- CONSTITUE UN CASSE-TÊTE tion de la précarité énergétique n’ont pas été Historiquement, l’ONPE mesure la précarité homogènes sur les deux périodes. Désormais, énergétique à partir de plusieurs indicateurs pour être considéré en précarité énergétique, distincts qui ne regroupent pas forcément les dans la dernière étude de l’ONPE, un ménage mêmes populations : le taux d’effort énergé- doit avoir des revenus parmi les 30 % les plus tique, qui est le ratio entre les dépenses d’éner- modestes de la population et un taux d’effort gie d’un ménage dans son logement par rapport énergétique de 8 % ou plus, alors qu’en 2013 à son revenu disponible ; les indicateurs bas et auparavant, l’ONPE prenait en compte les revenus/dépenses élevées qui considèrent un trois indicateurs mentionnés précédemment ménage en précarité énergétique si les deux dont un taux d’effort de 10 %. « Ce chan- D’après Simulation of conditions de faibles revenus et de dépenses gement de seuil ne permet pas de faire des fuel Poverty, écrit par énergétiques élevées sont remplies ; et le froid comparaisons homogènes d’une période sur Corinne Chaton et Alexandre Gouraud, ressenti, qui est une notion subjective, calculée l’autre et la restriction de l’ONPE à un seul indi- ainsi qu’un entretien selon les déclarations des ménages. Quant aux cateur retire automatiquement des personnes avec Corinne Chaton. données utilisées, l’ONPE se base sur l’Enquête de la précarité énergétique », précise Corinne 14 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I JUILLET 2019
Corinne Chaton est économiste, chercheur expert « marché d’énergie et régulation environnementale » au sein du département EFESE d’EDF R&D. Titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de Toulouse 1 sur la problématique des décisions d’investissement en environnement incertain, elle a commencé sa carrière dans l’industrie en 1999 au sein de la direction de la recherche de Gaz de France (désormais ENGIE) en tant qu’économiste. Elle a rejoint la R&D d’EDF en 2005 et le Laboratoire de Finance des Marchés de l’Énergie en 2006. Ses travaux sont actuellement orientés sur les problématiques environnementales et la précarité énergétique. Méthodologie Les chercheurs ont développé un programme de micro-simulation, avec le langage de programmation R, pour mesurer la précarité énergétique en temps réel. Ce programme comprend trois modèles économétriques distincts, s’imbriquant les uns aux autres, qui permettent de calculer et projeter les revenus disponibles des ménages, leurs dépenses énergétiques et l’impact des rénovations thermiques. Ce travail scientifique s’est appuyé sur l’Enquête nationale logement (ENL) de 2006. Les chercheurs ont ensuite projeté leurs résultats sur la période 2012-2014, afin de les comparer avec ceux de l’ENL de 2013. Chaton. Ce changement s’est fait conjointe- donc de davantage de ménages. En 2018, ce ment avec l’utilisation par l’ONPE d’un modèle pourcentage était de 17,8 %. de micro-simulation, dénommé Prometheus, Outre ces différences avec l’ONPE, le modèle élaboré par le Commissariat général au déve- des chercheurs permet de réaliser des pro- loppement durable. « Parallèlement à nos tra- jections sur l’évolution de la précarité énergé- vaux, l’ONPE a décidé de faire un suivi annuel tique, en cas de hausse ou de baisse d’une de la précarité énergétique en s’appuyant sur variable, par exemple, l’augmentation des Prometheus. Les premiers résultats sont sortis coûts de l’énergie ou la réduction des revenus l’an dernier, mais nous ne connaissons pas les des ménages. De quoi permettre aux pouvoirs caractéristiques de ce modèle », souligne la publics de mieux identifier les personnes en dif- chercheuse. ficulté et d’orienter ainsi les aides. L’exemple du chèque énergie est très frappant, car il n’est pas LE MODÈLE PERMET DE PROJETER adapté à tous les ménages en précarité énergé- ET D’ANTICIPER LA PRÉCARITÉ tique, en particulier ceux qui ont de bas reve- ÉNERGÉTIQUE À retenir nus et qui vivent dans une passoire thermique : Quant au modèle des chercheurs, il s’appuie sans travaux, leurs factures seront toujours très Le modèle de micro- également sur les données de l’Insee, tout en élevées. simulation, développé impliquant plusieurs variables importantes qui par les chercheurs, permet influent sur la précarité énergétique : le revenu LA RÉNOVATION THERMIQUE NÉCESSITE UN MEILLEUR CIBLAGE de chiffrer la précarité énergétique disponible des ménages, leurs dépenses à une date donnée en fonction énergétiques et l’impact des rénovations ther- Les rénovations thermiques constituent ainsi de différentes variables et selon miques. Il a aussi la particularité d’évaluer la une solution intéressante pour réduire la plusieurs indicateurs. précarité énergétique en fonction des diffé- consommation énergétique des logements et rents indicateurs mentionnés précédemment. des objectifs ambitieux ont été adoptés par les Ce modèle est capable « Lorsque nous avons débuté nos travaux, les autorités. Toutefois, pour qu’elles soient effi- de prédire l’impact résultats de l’ENL de 2013 n’étaient pas encore caces, les aides financières doivent être ciblées de variations de revenus et/ou connus. Nous avons donc utilisé les données et incitatives. « Les aides à la rénovation ther- des prix de l’énergie sur de 2006 que nous avons ensuite projetées et mique doivent être orientées vers des popula- la précarité énergétique, comparées avec celles de 2013. Cela nous a tions qui en ont vraiment besoin, comme par afin d’aider à la prévenir. permis de conforter notre modèle, car nos pro- exemple, des personnes âgées retraitées, qui jections pour 2013 sont en ligne avec celles de vivent dans leur maison mal isolée. Ces aides La rénovation l’ONPE, même si nos chiffres pour 2017 sont doivent aussi comporter des incitations pour les des logements est un plus élevés », explique Corinne Chaton. De bailleurs mais éviter des effets pervers, en limi- moyen de réduire la précarité fait, selon le modèle des chercheurs, en 2017, tant, par exemple, les hausses de loyers après énergique, mais elle pose près de 17 % des ménages étaient en préca- des rénovations thermiques », conclut Corinne un problème à la fois de ciblage rité énergétique contre 11,6 % pour l’ONPE. Chaton, qui prévoit de réaliser des projections des ménages qui en ont besoin Cette différence est en cohérence avec la prise de la précarité énergétique à des échéances et d’incitation pour limiter en compte de plusieurs indicateurs, à savoir le plus lointaines dans le temps et d’inclure le coût les hausses de loyers de bailleurs taux d’effort énergétique au seuil de 10 % et les de la mobilité dont la hausse a agité la sphère après des rénovations. indicateurs bas revenu/dépenses élevées, et sociale ces derniers mois. l JUILLET 2019 I LES CAHIERS LOUIS BACHELIER I 15
Crédits photo : © EDF/PHILIPPE ERANIAN, © EDF/CHRISTEL SASSO, © EDF/GETTY IMAGES, © EDF/TEUN VAN DEN DRIES/SHUTTERSTOCK, © EDF/XAVIER POPY, Estelle Chhor et Ludovic Le Couster
Vous pouvez aussi lire