Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l'agriculture - ictsd
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NOTE DE POLITIQUE – SEPTEMBRE 2018 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture WTO: PATHS FORWARD ICTSD.ORG La Onzième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce s’est terminée sans que les ministres n’apportent d’orientations claires aux pourparlers sur l’agriculture, malgré le besoin urgent d’agir pour contribuer à la réalisation de l’Objectif de développement durable 2, qui ambitionne d’éliminer la faim, d’assurer la sécurité alimentaire, d’améliorer la nutrition et de promouvoir l’agriculture durable. En parallèle, l’évolution des flux commerciaux est en train de redéfinir les marchés de produits alimentaires et agricoles, tout comme les accords commerciaux préférentiels et les décisions de politique nationale. Tous ces facteurs influenceront les futures négociations sur l’agriculture à l’OMC. Pour faire avancer avec succès le dialogue soutenu observé en 2017 et aboutir à des progrès d’ici la Douzième conférence ministérielle prévue en 2020, un travail de fond solide sera nécessaire sur le plan technique. Cette note de politique examine un certain nombre de possibilités pour faire avancer les discussions multilatérales. 1. Introduction La Onzième conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce s’est terminée sans que les ministres n’apportent d’orientations politiques claires sur les négociations relatives au commerce agricole ou ne prennent des décisions collectives sur les questions en suspens. Les lignes directrices actuelles des membres de l’OMC comprennent les instructions formulées par les ministres lors de la précédente conférence ministérielle de Nairobi en 2015 1, ainsi que l’article XX de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture, qui constitue de longue date la base juridique des négociations en cours. Malgré cette absence de nouveaux résultats concrets concernant l’agriculture, un nombre important de nouvelles soumissions et propositions de négociation ont été déposées dans le cadre d’une période de dialogue soutenu entre les membres de l’OMC à l’approche de Buenos Aires (voir tableau 1). Les membres ont également des instructions explicites des dirigeants mondiaux dans les Objectifs de développement durable (ODD) convenus en 2015, dont notamment l’ODD 2, qui engage les gouvernements à ICTSD 1 La Déclaration de Nairobi mentionne que « tous les Membres restent fermement déterminés à faire avancer les négociations sur les questions de Doha restantes » et cite explicitement le soutien interne à l’agriculture, l’accès aux marchés et la concurrence à l’exportation.
éliminer la faim et la malnutrition d’ici 2030, dans le cadre notamment d’actions visant à « corriger et prévenir les restrictions et distorsions commerciales sur les marchés agricoles mondiaux » et à « assurer le bon fonctionnement des marchés de denrées alimentaires 2 » . Cette note de politique examine d’abord le contexte mondial des politiques du commerce et de l’agriculture. Elle présente ensuite un aperçu succinct des sept domaines de négociation recensés en/05/2018 par le président de la session extraordinaire du Comité de l’agriculture de l’OMC, qui est l’instance de négociation des questions relevant du commerce de produits agricoles, et fait ressortir les possibilités de progrès dans chacun de ces domaines. Les sept domaines en question sont le soutien interne, les stocks publics de produits alimentaires, un « mécanisme de sauvegarde spéciale » (MSS) permettant aux pays en développement de relever temporairement leurs droits de douane face à des poussées des importations ou à des baisses de prix3,la concurrence à l’exportation (couvrant différentes mesures jugées analogues à des subventions à l’exportation), les restrictions à l’exportation, l’accès aux marchés et le coton4. En troisième lieu, elle examine les propositions de négociation déposées jusqu’à présent dans chacun de ces domaines, en couvrant les questions en suspens et les solutions possibles. La dernière section formule des conclusions sur les manières d’avancer dans les négociations de l’OMC à l’approche de la 12 ème conférence ministérielle de l’OMC en 2020. 2. Le contexte mondial des politiques du commerce et de l’agriculture Le cadre international du commerce des produits agricoles et alimentaires a considérablement évolué depuis l’après-guerre, avec des pourparlers intenses ces dernières années sur la manière d’actualiser les règles multilatérales. Les négociateurs devront s’assurer que les efforts de progrès supplémentaires s’appuient sur ce qui a été réalisé jusqu’à présent. Pendant la plus grande partie de la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, le commerce de produits agricoles a été exclu dans les faits des règles multilatérales du commerce, le secteur bénéficiant initialement d’une série de dérogations aux engagements pris dans le cadre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), précurseur de l’OMC. Pendant cette période, des niveaux élevés de protection aux frontières et de soutien à l’agriculture ayant des effets de distorsion des échanges se sont généralisés dans un certain nombre de pays à revenu élevé, comprenant notamment les États-Unis, le Canada, la Communauté européenne (devenue ensuite l’UE), le Japon, la Norvège et la Suisse. Pendant le Cycle d’Uruguay du GATT (1986-1994), les négociateurs du commerce avaient convenu d’intégrer l’agriculture aux règles multilatérales du commerce et de limiter les tarifs douaniers et le soutien ayant des effets de distorsion des échanges. Ils avaient également convenu de convertir les mesures non tarifaires aux frontières en tarifs douaniers, dans le cadre d’un processus surnommé « tarification » par les représentants officiels du commerce. Les pays exportateurs de produits agricoles du Groupe de Cairns, dirigés par l’Australie, mais comprenant plusieurs pays d’Amérique latine ainsi que le Canada, ont largement contribué à faire pression pour ces nouvelles règles. Un second groupe de pays, mené par l’Égypte et appelé « PDINPA » (pays en développement importateurs nets de produits alimentaires), s’est efforcé de minimiser l’impact potentiel de la hausse attendue des prix alimentaires après la libéralisation amorcée par le Cycle d’Uruguay. Un troisième groupe de pays, appelé « groupe des pays aux vues similaires » et comprenant l’Inde, la Jamaïque et le Zimbabwe, s’est efforcé pendant les pourparlers d’obtenir un « traitement spécial et différencié » pour les pays en développement. Les tensions commerciales entre les États-Unis et l’UE, deux grands distributeurs de subventions à l’agriculture pendant les années 80, ont également eu une influence importante sur le résultat des négociations. 2 ODD 2b et ODD 2c. Plusieurs autres engagements des ODD sont également applicables : voir analyse de Díaz-Bonilla & Hepburn (2016b). 3 Les pays ont la possibilité de se désigner eux-mêmes comme des pays « en développement » à l’OMC, à la différence des pays les moins avancés (PMA), qui sont définis comme tels par les critères et la méthodologie établis par les Nations unies. 4 Rapport de l’ambassadeur J.R.D. (Deep) Ford au Comité de l’agriculture de l’OMC en session extraordinaire, JOB/AG/136, 24 mai 2018. 2 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture Septembre 2018
Une disposition de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture, résultant des négociations du Cycle d’Uruguay, engageait les membres à poursuivre le processus de réforme dans le cadre de négociations supplémentaires. Entre autres choses, elle rappelait l’objectif des membres « d’établir un commerce des produits agricoles qui soit équitable et axé sur le marché ». Comme le prévoyait cette clause, des négociations ont commencé en 1999 en vue de donner une suite au Cycle d’Uruguay. Deux ans plus tard, ces pourparlers ont été intégrés au Cycle de Doha des pourparlers commerciaux, une série de négociations devant aboutir à un « engagement unique ». En matière agricole, les pourparlers visaient des « améliorations substantielles de l’accès aux marchés, des réductions de toutes les formes de subventions à l’exportation en vue de leur retrait progressif et des réductions substantielles du soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges ». Les ministres du commerce à l’origine des pourparlers avaient également convenu qu’un « traitement spécial et différencié pour les pays en développement » devait faire « partie intégrante » de tous les aspects des négociations. Bien que les pourparlers de Doha étaient censés à l’origine mener à un accord sur un cadre de réduction des droits de douane et des subventions —ou « modalités » — d’ici 2003, avec une conclusion des pourparlers deux ans plus tard, ces échéances ainsi que d’autres n’ont pas été respectées par les négociateurs. Lors de la conférence ministérielle de Cancún en 2003, un groupe de pays en développement appelé le G20, comprenant la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, a rejeté une proposition de négociation commune des États-Unis et de l’UE qu’il jugeait « inacceptable ». Bien que les États-Unis et l’UE figuraient parmi les pays réclamant un meilleur accès aux marchés, notamment sur les marchés en forte croissance de la Chine et de l’Inde, beaucoup de leurs partenaires commerciaux réclamaient une réduction significative du soutien ayant des effets de distorsion des échanges comme condition préalable à une réduction des droits de douane sur les produits agricoles. En parallèle, le groupe G33, composé de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie et de plusieurs pays de plus petite taille d’Afrique et des Caraïbes, recherchait une flexibilité pour les pays en développement, sous forme à la fois d’exemptions aux réductions moyennes de droits de douane et d’un nouveau « mécanisme de sauvegarde spéciale » pouvant être utilisé en cas de poussée soudaine des importations ou de baisses de prix. Le Japon, la Suisse et d’autres pays du groupe G10 ont eux aussi cherché à conserver une certaine flexibilité en matière de soutien interne ayant des effets de distorsion des échanges et de droits de douane élevés sur les produits agricoles. Figure 1. Historique des négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture WTO: Paths Forward 3
Tableau 1: Soumissions concernant l’agriculture depuis la ministérielle de l’OMC de 2015 à Nairobi Date Pays soumissionnaires Sujet Soumissions générales 9/07/2018 G33 Réaffirmation du multilatéralisme et du développement 16/05/2018 15 membres du Groupe de Cairns La voie à suivre 24/05/2018 États-Unis Remise a plat des négociations 17/05/2017 Groupe de Cairns Objectifs pour la CM11 25/04/2017 G33 Réaffirmation du développement Soutien interne 11/07/2018 Canada, Argentine, Australie, Brésil, Guatemala, NZ, Paraguay, Pérou et Uruguay Soutien interne 22/06/2018 Chine et Inde Soutien interne 29/11/2017 Russie Soutien interne 24/11/2017 Philippines Soutien interne 17/11/2017 Mexique Soutien interne 16/10/2017 NZ, Australie, Canada, Chili et Paraguay Soutien interne 5/10/2017 Groupe des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) Soutien interne 18/07/2017 G10 Soutien interne 17/07/2017 Chine et Inde Soutien interne 18/07/2017 Japon Soutien interne 17/07/2017 Brésil, UE, Colombie, Pérou et Uruguay Soutien interne, SP et coton 10/05/2017 8 membres du Groupe de Cairns Soutien interne 4/01/2017 PMA Soutien interne 15/11/2016 ACP Soutien interne 11/11/2016 Argentine, Australie, Colombie, NZ, Paraguay, Uruguay et Vietnam Soutien interne 10/11/2016 Brésil, Argentine, Chili, Colombie, Paraguay, Pérou et Uruguay Soutien interne 12/07/2016 Australie, Chili, Colombie et NZ Soutien interne 17/06/2016 Brésil, Argentine, Colombie et Paraguay Soutien interne 28/04/2016 15 pays du Groupe de Cairns Soutien interne Stocks publics (SP) 20/11/2017 Norvège et Singapour SP 30/10/2017 Russie et Paraguay SP 18/07/2017 G33 SP 24/05/2017 G33 SP Accès aux marchés 13/07/2018 Paraguay et Uruguay Accès aux marchés alternatives 30/10/2017 Tunisie Simplification des tarifs 24/05/2017 Paraguay et Pérou Accès aux marchés 15/11/2016 Uruguay, Argentine, Australie, Colombie, Costa Rica, NZ et Paraguay Accès aux marchés 15/11/2016 Paraguay, Argentine, Australie, Colombie, Uruguay et Vietnam Tarifs excessivement élevés 13/07/2016 Paraguay Accès aux marchés Mesures de sauvegarde 29/11/2017 Philippines Mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS) 12 Sept 2017 Russie MSS 14 Sept 2017 G33 MSS 19/07/2017 G33 MSS 24/05/2017 G33 Volatilité des prix / MSS 24/05/2017 G33 MSS 29/05/2017 Russie Sauvegarde spéciale pour l’agriculture (SSA) 11/11/2016 Paraguay, Argentine, Australie, Colombie, NZ, Pakistan, Uruguay et Vietnam SSA 20/07/2016 G33 SSA Coton 6/10/2017 C4 (Bénin, Burkina Faso, Tchad et Mali) Coton Restrictions à l’exportation 17/07/2017 Singapour Restrictions à l’exportation 26/05/2017 Singapour Restrictions à l’exportation 13/07/2016 Singapour Restrictions à l’exportation Concurrence à l’exportation 4/05/2016 Canada Financement des exportations Remarque : ce tableau a pour but de présenter les soumissions et propositions de négociation les plus significatives et non de répertorier l’ensemble des communications de cette nature. En particulier, plusieurs soumissions informelles présentées par différents pays juste avant ou pendant la conférence ministérielle de Buenos Aires peuvent ne pas figurer dans ce récapitulatif. Source : compilation par ICTSD 4 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture Septembre 2018
Bien que la conférence de Cancún se soit terminée sans résultat de consensus, la conférence de Hong Kong en 2005 a permis aux ministres de se mettre d’accord sur une déclaration commune qui a esquissé les contours d’autres pourparlers intensifs sur une série de projets de texte de négociation. Ces pourparlers ont débouché sur une « mini-conférence » ministérielle à Genève en juillet 2008, qui s’est malgré tout terminée dans une impasse, car les États-Unis et certains pays dits « émergents » comme l’Inde et la Chine ne sont pas parvenus à s’entendre sur la mesure dans laquelle un éventuel mécanisme de sauvegarde spéciale pourrait dépasser les plafonds tarifaires d’avant Doha – en plus d’autres questions essentielles telles que la réduction des droits sur les produits manufacturés 5. Après avoir reconnu en 2011 que les pourparlers multilatéraux se trouvaient dans une « impasse », les membres ont d’abord essayé d’accélérer les progrès sur les questions susceptibles de déboucher rapidement sur un résultat. Ces efforts ont permis d’aboutir en 2013 à un accord sur la facilitation des échanges et à un engagement de ne pas remettre en cause, sous certaines conditions, la conformité des régimes de stocks publics de denrées alimentaires des pays en développement au titre des règles de l’OMC sur les subventions à l’agriculture. Lors de la conférence ministérielle de Nairobi deux ans plus tard, les membres de l’OMC ont également convenu d’éliminer les subventions aux exportations agricoles, tout en reconnaissant formellement qu’ils étaient en désaccord sur la question de savoir s’il fallait réaffirmer les mandats de négociation de Doha. Ils ont également exprimé la ferme détermination de tous les membres de faire avancer les négociations sur les autres questions de Doha, dont notamment le soutien interne à l’agriculture, l’accès aux marchés et la concurrence à l’exportation. Depuis lors, plusieurs dizaines de nouvelles soumissions et propositions de négociation ont été déposées, concernant notamment le soutien interne, sans pour autant conduire à un résultat de consensus ou à un accord sur une feuille de route des pourparlers futurs lors de la conférence ministérielle de Buenos Aires en 2017. Pour progresser dans leurs négociations sur l’agriculture, les membres de l’OMC devront tenir compte des options présentées jusqu’à présent et de l’historique des pourparlers dans ce domaine, tout en adoptant également des solutions créatives pour s’adapter à l’évolution de l’environnement politique, ainsi qu’aux défis nouveaux et émergents, comprenant notamment les changements climatiques. 3. Les domaines de progrès potentiels dans les négociations multilatérales Cette section présente les sept sujets de négociation recensés par le président des pourparlers de l’OMC sur l’agriculture pour faire le point des négociations et répertorier les possibilités de progrès dans chacun de ces domaines. Dans son rapport de mai 2018 aux membres de l’OMC, l’ambassadeur Ford indiquait que les sept grands domaines de travail supplémentaire qu’il avait recensés dans le cadre de ses consultations correspondaient aux priorités des différents pays, bien que chacun d’eux n’y accordait pas forcément la même importance. Certains pays souhaitaient en outre faire le lien entre certains sujets à l’ordre du jour des négociations, alors que dans de nombreux cas, les autres pays s’y opposaient. Cette section se penche sur chacun de ces sujets de négociation pour faire le point des pourparlers à l’OMC avant d’évoquer plus en détail les principales questions, options et approches. Elle s’appuie pour cela sur les nombreuses soumissions et propositions de négociation déposées auprès de l’OMC au cours de ces deux dernières années (voir tableau 1), ainsi que sur celles soumises précédemment. S’appuyant également sur les travaux de l’ICTSD, elle cherche explicitement à identifier des possibilités de progrès. 5 En parallèle, les pays du Groupe de Cairns demandaient la suppression d’une autre mesure de sauvegarde, la Sauvegarde Spéciale pour l’Agriculture (SSA) prévue par l’article 5 de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture. Sachant que ce mécanisme ne pouvait être utilisé que par les pays qui avaient pris certains engagements dans le cadre du Cycle d’Uruguay, il n’était pas utilisable par de nombreux pays en développement. WTO: Paths Forward 5
Soutien interne Pour arriver à faire avancer les pourparlers, il est particulièrement important d’évoquer les différentes conceptions de ce qui pourrait constituer un résultat équitable et raisonnable des négociations sur le soutien interne à l’agriculture. Le type de soutien accordé aux agriculteurs, les objectifs de ce soutien et l’impact des distorsions résultant des politiques mises en place varient en effet considérablement selon les pays, tout comme les contraintes qu’ils subissent au titre des règles existantes de l’OMC ou leur influence sur les marchés internationaux (figure 2). À l’heure actuelle, l’article 6 de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture autorise les pays à distribuer un soutien interne ayant d’importants effets de distorsion des échanges tant que ce soutien ne dépasse pas une limite précédemment convenue (dite « consolidée »). Pour de nombreux pays qui distribuent depuis longtemps un soutien de cette nature, cette limite forme le plafond de leur « Mesure Globale de Soutien » (MGS), qui inclut le soutien lié aux extrants et intrants agricoles ou le soutien des prix de marché. Les subventions de cette nature sont appelées « catégorie orange » par les négociateurs officiels du commerce. Tous les pays ont cependant le droit de distribuer un soutien ayant des effets de distorsion des échanges à concurrence d’un seuil minimum, appelé « de minimis » au sein de l’OMC. Pour les pays développés, ce seuil représente cinq pourcent de la valeur de la production pour le soutien par produit et cinq pourcent supplémentaire de la valeur de la production pour le soutien autre que par produit. La plupart des pays en développement ont le droit de distribuer un soutien deux fois supérieur au soutien de minimis des pays développés. La Chine a toutefois accepté un seuil réduit de 8,5 pourcent pour le soutien par produit et autre que par produit dans le cadre des négociations préalables à son accession à l’OMC. Quelques pays, dont notamment l’UE et le Japon, distribuent des subventions de limitation de la production, dites de « catégorie bleue », qui sont autorisées sans restriction à l’OMC. De leur côté, les pays en développement ont le droit de distribuer des subventions aux intrants agricoles et à l’investissement en faveur des producteurs ayant de faibles revenus ou dotés de ressources limitées en vertu de l’article 6.2 de l’Accord sur l’agriculture, là-aussi sans restriction. Non représenté dans la figure, le soutien dit de catégorie verte est censé avoir des effets minimes de distorsion des échanges en vertu des règles de l’OMC : il couvre les paiements destinés à des services généraux, tels que les services de recherche et de vulgarisation, l’aide alimentaire interne et divers paiements aux producteurs, dont notamment ceux effectués dans le cadre de programmes environnementaux. Dans les négociations, les membres de l’OMC ont évoqué la possibilité de plafonner le soutien total ayant des effets de distorsion des échanges, ainsi que la manière de définir le cas échéant de nouvelles limites dans ce domaine (voir tableau 2). Certains pays ont également indiqué que des disciplines plus strictes étaient nécessaires pour empêcher la concentration des subventions sur un nombre restreint de produits. Selon de récente analyses de l’ICTSD, la Corée, l’UE, les États-Unis et le Japon figurent parmi les membres de l’OMC qui concentrent leur soutien sur des produits tels quel le riz, les produits laitiers, le maïs, le blé, le porc et le bœuf (ICTSD 2017b). Les distorsions affectant des produits spécifiques peuvent avoir un impact particulier sur les pays les moins avancés (PMA), lorsqu’elles concernent par exemple des marchés d’exportation comme le coton, le sucre et certains fruits, légumes ou noix, des denrées alimentaires de base comme le riz, le maïs ou d’autres céréales secondaires ou des secteurs concurrencés par les importations comme la volaille (ICTSD 2017a). Les options de réponse à la concentration du soutien pourraient prendre la forme d’un plafonnement du soutien par produit à hauteur d’une valeur monétaire fixe, d’une limite flottante (pourcentage de la valeur de la production par exemple) ou d’une réduction progressive du soutien maximal autorisé dans un délai convenu. En agissant en priorité sur les distorsions commerciales qui pénalisent les PMA, et notamment sur le soutien affectant les produits qui ont de l’importance pour ce groupe de pays, les membres de l’OMC pourraient s’assurer que les progrès dans ce domaine contribuent aux objectifs plus larges de développement durable. 6 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture Septembre 2018
Figure 2. Notifications relatives au soutien interne à l’agriculture et droits actuels US$ milliards MGS MGS Note : l’abréviation MGS signifie « Mesure Globale de Soutien » Source : calculs par ICTSD sur la base des notifications à l’OMC Stocks publics Un certain nombre de pays en développement continuent de rechercher des résultats négociés sur la manière dont les règles actuelles de l’OMC sur les subventions agricoles affectent leur capacité à se procurer des denrées alimentaires pour leurs stocks publics, la coalition G33 réclamant une plus grande flexibilité dans ce domaine. Les membres de l’OMC ont convenu de rechercher une « solution permanente » aux problèmes que les pays déclarent rencontrer, après avoir initialement convenu lors de la conférence ministérielle de Bali en 2013 qu’ils s’abstiendraient d’initier des différends commerciaux dans ce domaine sous réserve que les pays fournissent des renseignements plus détaillés sur leurs programmes et qu’ils respectent un certain nombre d’autres critères. Cependant, certains pays développés et en développement estiment également que tout accord à long terme doit veiller à ce que les achats pour les programmes de stocks publics de denrées alimentaires n’aient pas d’effet de distorsion des échanges et ne compromettent pas la sécurité alimentaire d’autres pays. Bien que le G33 ait proposé d’exempter de tout plafond le soutien interne destiné aux programmes de stocks publics, les pays exportateurs ont déposé plusieurs propositions qui s’appuient sur le résultat de Bali tout en modifiant des aspects relatifs à la couverture des programmes, aux pays bénéficiaires, aux liens avec la part de production agricole, au niveau des droits de douane appliqués ou au pourcentage de produits concernés exportés, aux obligations de déclaration et de notification et aux mesures de sauvegarde et de prévention des contournements. Une étude d’ICTSD (2016) montre que les prix d’achat du blé et du riz ont en grande partie suivi les prix des marchés internationaux jusqu’en 2012, ce qui limitait leur pouvoir de distorsion des échanges. Elle montre également que les méthodes d’approvisionnement, de détention et de distribution de ces stocks varient considérablement selon les pays. L’étude constate que près de la moitié des pays examinés importent une partie significative de leurs stocks, surtout en Afrique. Mais depuis que les cours mondiaux ont abandonné leurs sommets de 2011, des prix administrés élevés pourraient potentiellement générer des distorsions et pousser les cours encore plus bas. Sachant que l’autoconsommation des petits agriculteurs représente une part importante de la production agricole dans de nombreux pays, la méthodologie d’évaluation du soutien des prix de WTO: Paths Forward 7
marché à l’OMC pourrait avoir besoin d’être réexaminée (Montemayor 2014) 6. Cependant, si les pays ne souhaitent pas s’engager dans un réexamen plus large du mode de calcul du soutien interne à l’agriculture, ils risquent d’avoir besoin de rechercher des solutions pragmatiques aux difficultés rencontrées dans ce domaine, en excluant par exemple les achats du calcul des plafonds de l’OMC lorsque les prix administrés sont inférieurs aux prix de marché internationaux, ou en ignorant les achats qui ne représentent qu’un pourcentage limité de la production agricole nationale. Des données plus transparentes sur les programmes de stocks publics pourraient également aider les autres pays à mieux comprendre comment ces programmes fonctionnent et à mieux évaluer leur impact réel. Selon Josling (2014), un examen prioritaire de l’annexe M du projet de texte de Doha présenté en 2008 pourrait constituer une option pour avancer dans ce domaine. Accès aux marchés Les obstacles à l’accès aux marchés ont diminué depuis le lancement du Cycle de Doha en 2001. Le taux maximal des droits de douane de la nation la plus favorisée (NPF) appliqué à l’OMC est passé d’une moyenne de 24,6 pourcent en 2001 à 18,7 pourcent en 2010 (Bureau et Jean 2013) 7. En parallèle, les droits appliqués (comprenant les tarifs préférentiels) sont passés de 15,8 à 13,8 pourcent. Les réductions de droits de douane ont été particulièrement marquées dans les pays en développement : les droits maximaux autorisés y sont passés de 31,1 à 23,2 pourcent en moyenne sur la même période, tandis que les tarifs préférentiels appliqués baissaient à 19,8 pourcent. Derrière ces chiffres moyens se cachent toutefois toujours des « pics tarifaires », à savoir des droits de douane anormalement élevés sur un petit nombre de lignes tarifaires, ainsi que « l’escalade tarifaire », qui est l’imposition de droits de douane croissants sur les produits à valeur ajoutée. Par exemple, le taux maximal des droits NPF appliqué par le Japon sur les produits laitiers est fixé à 558 pourcent, tandis qu’aux États-Unis, le taux NPF maximal appliqué à la catégorie des boissons et des produits du tabac atteint 350 pourcent8. La prolifération des accords commerciaux préférentiels de ces dernières années est le reflet de l’importance accordée par beaucoup de pays à la recherche d’un accès aux marchés dans le cadre de négociations bilatérales et régionales9. Même si certaines données semblent indiquer que ces accords commerciaux préférentiels ont une incidence croissante, la libéralisation unilatérale semble également avoir été un moteur important de l’évolution des cadres de politique qui régissent les marchés agricoles. Bureau et al. (2017) montre que les accords commerciaux régionaux n’expliquent que 0,5 point de pourcentage dans la variation de 6,5 points de pourcentage du niveau global de protection par les droits de douane appliqués dans l’agriculture entre 2001 et 2013, bien que leur importance ait augmenté depuis 201010. Parmi les différentes propositions déposées depuis 2015, le Paraguay et le Pérou en ont déposé une en mai 2017 qui vise à simplifier puis réduire les obstacles à l’accès aux marchés dans le cadre d’un processus en deux étapes. Les pays convertiraient d’abord leurs tarifs douaniers complexes en droits ad valorem simplement exprimés comme un pourcentage de la valeur des produits plutôt que par unité de volume ou de poids. Ils prendraient ensuite des mesures de réduction des pics tarifaires, de l’escalade tarifaire et des droits consolidés intra-contingents, tout en définissant une formule de réduction supplémentaire des droits, le tout dans le cadre de négociations entre les membres de l’OMC. 6 Le paragraphe 8 de l’annexe 3 de l’Accord de l’OMC sur l’agriculture stipule que ce soutien doit être calculé sur la base de l’écart entre un prix de référence fixe externe et le prix administré appliqué. Ce montant est ensuite multiplié par le volume de production susceptibles de bénéficier du prix administré appliqué. 7 Le taux de droit NPF appliqué est le taux effectivement appliqué à l’ensemble des pays commerçant dans le respect du principe de la nation la plus favorisée de l’OMC, à savoir tous les membres de l’OMC qui ne bénéficient pas de taux préférentiels d’accès au marché en vertu d’accords bilatéraux ou régionaux. 8 OMC, Profils tarifaires dans le monde, https://www.wto.org/french/res_f/reser_f/tariff_profiles_f.htm. 9 Les accords récents et les négociations en cours comprennent l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), le Partenariat économique régional global (RCEP en anglais), la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et des accords bilatéraux et régionaux comme ceux entre les États-Unis et le Japon, les États-Unis et le Mercosur, les États-Unis et le Canada, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, l’UE et l’Australie ou l’Australie et la Chine. 10 Les auteurs en concluent que les réductions tarifaires unilatérales ont joué un rôle relativement plus important, tout en notant qu’elles peuvent avoir tout un éventail de motivations différentes. 8 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture Septembre 2018
Une soumission de négociation déposée en juillet 2018 par le Paraguay et l’Uruguay recense plusieurs questions en suspens en matière d’accès aux marchés pour identifier celles que les membres devraient traiter en priorité. Dans le même esprit, une soumission diffusée le même mois par les États-Unis se penche sur les « problèmes de mise en œuvre des tarifs douaniers » et analyse les données tarifaires (comme par exemple les droits élevés ou complexes) et d’autres questions concernant l’accès aux marchés, comme par exemple les contingents tarifaires, la sauvegarde spéciale pour l’agriculture (SSA), les accords de libre-échange et les accords commerciaux préférentiels. Les progrès dans ce domaine des pourparlers pourraient passer par un examen des possibilités d’élargissement des engagements d’accès aux marchés pris par les pays dans le cadre d’accords commerciaux préférentiels et de la mesure dans laquelle ces engagements pourraient former la base d’engagements complémentaires au niveau multilatéral, dans le cadre éventuellement d’un ensemble plus large d’autres mesures. On pourrait imaginer qu’ils prennent la forme d’engagements limités dans le temps dans l’esprit des « mesures de renforcement de la confiance » or CB (confidence-building measures) proposées par Crawford Falconer, l’ancien président des négociations sur l’OMC sur les négociations, dans un article publié par l’ICTSD en 2015. Mécanisme de sauvegarde spéciale Un certain nombre de pays en développement défendent l’idée d’un mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS) réservé à cette catégorie de pays, qui leur permettrait de protéger leurs producteurs nationaux en cas d’augmentation soudaine des importations ou de forte baisse des prix. Cette sauvegarde les autoriserait à augmenter de manière temporaire leurs droits de douane au-dessus du taux consolidé en place. De leur côté, les pays exportateurs de produits agricoles soutiennent qu’un mécanisme de ce genre devrait s’inscrire dans le cadre d’un ensemble plus large de mesures d’ouverture des marchés de produits agricoles et alimentaires. Une étude de Morrison et Mermigkas (2014) fait ressortir une baisse du nombre de poussées des volumes et une diminution significative de l’incidence des baisses de prix (jusqu’à zéro dans la plupart des catégories de matières premières pour 2004–11), bien que les auteurs notent également que ces tendances ne reflètent pas une baisse globale des volumes importés sur la période analysée. En raison de la dynamique de négociation dans ce domaine, les pourparlers relatifs à un nouveau MSS ont souffert d’une absence de dialogue, le G33 déposant plusieurs propositions successives alors que les pays exportateurs de produits agricoles n’en ont déposé aucune récemment. Ce manque de progrès est un sujet de préoccupation en termes de développement durable, car les changements climatiques risquent d’accroître à la fois la fréquence et l’intensité des événements climatiques extrêmes et donc la volatilité des marchés de produits agricoles et alimentaires. Les petits agriculteurs des pays en développement figurent parmi les populations les plus à risque dans ce nouvel environnement (Montemayor 2018). La clarification des points de vues sur les objectifs d’un nouveau MSS pourrait aider les membres de l’OMC à faire avancer le débat pour parvenir à des progrès dans ce domaine. Si cet instrument a vocation à aider les producteurs à s’adapter à la libéralisation du commerce, il serait logique d’y inclure une sauvegarde liée aux volumes et d’autoriser les pays à appliquer des droits de douane temporaires sur les pays qui ne distribuent pas de subventions. En revanche, si l’objectif consiste à mettre en place un mécanisme compensatoire, il serait important de veiller à ce que le MSS ne soit pas limité par les plafonds de droits de douane de l’OMC et que le commerce préférentiel soit lui aussi couvert par le nouveau mécanisme11. Enfin, si l’objectif est de mettre à la disposition des pays des outils supplémentaires de lutte contre la volatilité des prix, il est important de s’assurer que les plafonds 11 Les simulations et analyses faites par Montemayor (2010) pour l’ICTSD montrent que la limitation des droits de sauvegarde aux niveaux consolidés d’avant Doha réduit de manière significative l’efficacité d’un nouveau MSS envisagé, la limitant à moins de deux pourcent pour réduire l’écart de prix entre les prix intérieurs et les prix internationaux. WTO: Paths Forward 9
tarifaires existants ne puissent pas être dépassés, que les sauvegardes puissent s’appliquer aux pays non distributeurs de subventions et que le commerce préférentiel soit lui aussi couvert. Concurrence à l’exportation Lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Nairobi en 2015, les membres avaient convenu d’un moratoire et d’une élimination progressive des subventions à l’exportation de produits agricoles, ce qui peut être considéré comme une consolidation des réformes politiques mises en place ces dernières années par les grandes économies. Alors que l’UE distribuait à elle seule près de 10 milliards d’euros par an au début des années 90, ce soutien s’est réduit à presque rien ces dernières années. En l’absence d’accord, les pays auraient pu, en principe, augmenter leurs subventions à l’exportation à hauteur de 11,5 milliards de dollars, ce qui aurait eu pour conséquence de faire baisser les cours mondiaux des produits agricoles, de décourager l’investissement et de réduire les revenus des travailleurs ruraux non qualifiés (Díaz-Bonilla et Hepburn 2016a). L’accord de Nairobi contient également des dispositions relatives aux crédits, aux garanties et aux assurances à l’exportation, qui s’avèrent nettement moins contraignantes que les règles envisagées dans de précédents projets de texte soumis dans le cadre des négociations commerciales du Cycle de Doha. L’accord a toutefois eu pour effet de « verrouiller » la pratique répandue aux États-Unis de prévoir un délai de remboursement maximal de 18 mois pour les financements à l’exportation, ce qui limite le risque de retour en arrière. En ce qui concerne l’aide alimentaire internationale, l’accord de Nairobi a mis en place de nouvelles règles qui s’efforcent de garantir la disponibilité de l’aide d’urgence tout en évitant qu’elle serve à déguiser des subventions à l’exportation. Ces règles pourraient aider les gouvernements à maintenir des pratiques d’aide alimentaire plus efficaces même en cas de baisse des prix. Le résultat de Nairobi est particulièrement vague sur le sujet des entreprises commerciales d’État exportatrices de produits agricoles, les gouvernements se contentant d’une clause générique demandant aux pays de ne pas se servir de ces entités pour contourner les disciplines relatives aux subventions à l’exportation. À l’approche de la conférence ministérielle de Buenos Aires, le Canada, le Chili et la Suisse ont soumis une proposition pour que les pays poursuivent leurs discussions dans ce domaine. S’agissant de la concurrence à l’exportation, les membres de l’OMC pourraient veiller à ce que les pourparlers en cours débouchent sur des progrès supplémentaires en revenant sur les sujets qui n’ont été que partiellement traités par le résultat de Nairobi en vue d’élaborer une feuille de route et un calendrier permettant de résoudre les points en suspens. Il serait nécessaire que cette démarche s’effectue en parallèle de la mise en œuvre des engagements de Nairobi, dans le cadre notamment de la soumission des listes révisées d’engagement à l’OMC (Bardoneschi 2017). Restrictions à l’exportation La flambée des prix des denrées alimentaires en 2007–08 et en 2011–12 a ramené l’attention sur les difficultés rencontrées par les pays en développement importateurs nets de produits alimentaire et d’autres pays à faible revenu pour acheter des denrées alimentaires sur les marchés internationaux lorsque les prix sont inhabituellement élevés et volatils. La mise en place d’interdictions et de restrictions à l’exportation et d’autres mesures similaires par de grands pays exportateurs de produits alimentaires fait partie des facteurs susceptibles d’avoir exacerbé l’impact de ces flambées de prix, les mesures concernant le riz jouant un rôle significatif en 2007–08 et celles concernant le blé et les céréales ayant un rôle important en 2011–12. Anania (2013) s’intéresse à l’incidence des différentes formes d’interdiction et de restriction des exportations sur la sécurité alimentaire, examinant leur impact sur les marchés nationaux et internationaux et recensant 10 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture Septembre 2018
plusieurs options possibles que les pays pourraient poursuivre pour répondre à leurs préoccupations de sécurité alimentaire dans ce domaine. Ces options vont de mesures limitées garantissant que les restrictions à l’exportation ne s’appliquent pas aux achats destinés à l’aide alimentaire humanitaire jusqu’à une symétrie complète des restrictions à l’importation et à l’exportation au titre des règles de l’OMC. Les autres options examinées par Anania comprennent les efforts de clarification des termes ambigus relatifs aux restrictions à l’exportation dans les accords de l’OMC en vue de parvenir à un accord sur leur interprétation, l’examen des manières de limiter l’impact des restrictions à l’exportation sur la sécurité alimentaire (au lieu de négocier de nouvelles disciplines), la modification des règles de l’OMC pour garantir que les PDINPA et les PMA soient exemptés des éventuelles restrictions à l’exportation et la mise en place de disciplines plus rigoureuses concernant à la fois les restrictions à l’exportation et les taxes à l’exportation au niveau de l’OMC. En 2016 et 2017, Singapour a déposé deux propositions en vue d’une plus grande transparence des restrictions applicables aux exportations de produits agricoles. Ces propositions faisaient suite à des soumissions de négociation distinctes déposées par le groupe des pays en développement importateurs nets de produits agricoles en avril 2011, puis par les PMA en novembre 2015 (ICTSD 2011; ICTSD 2015b). Ces deux dernières propositions auraient pour effet d’exempter ces groupes de pays des restrictions à l’exportation imposées par d’autres membres de l’OMC. Les progrès dans ce domaine pourraient passer par la définition d’une feuille de route des travaux à effectuer à l’avenir, ainsi que par des mesures permettant de s’entendre sur les résultats « à portée de main » garantissant que les restrictions à l’exportation ne s’appliquent pas aux achats destinés à l’aide alimentaire humanitaire et améliorant la transparence. Coton Le coton est considéré depuis longtemps comme un enjeu clé de développement à l’OMC, ne serait- ce qu’en raison de l’importance disproportionnée des exportations de coton pour un certain nombre de pays africains, et notamment pour les pays d’Afrique de l’Ouest qui forment le groupe C4 (Bénin, Burkina Faso, Tchad et Mali). Lors de la conférence ministérielle de l’OMC à Hong-Kong en 2005, les membres avaient réaffirmé leur « engagement de faire en sorte d’avoir une décision explicite sur le coton dans le cadre des négociations sur l’agriculture et par le biais du Sous-Comité du coton de manière ambitieuse, rapide et spécifique » avec des résultats sur les subventions à l’exportation, l’accès aux marchés et el soutien interne. Les programmes américains de soutien interne au coton ont depuis lors fait l’objet d’une réforme partielle dans le cadre de la loi agricole de 2014 après la victoire du Brésil dans un différend commercial porté devant l’OMC. Washington a également déclaré que toute avancée sur les programmes concernant le coton devait s’inscrire dans le cadre des pourparlers plus larges sur le commerce agricole et également impliquer d’autres grandes économies, et notamment la Chine. Bien qu’un accord sur le coton figure dans le « paquet » de la conférence ministérielle de Nairobi en 2015, il ne contient que des engagements limités concernant l’amélioration de l’accès aux marchés pour les PMA, qui stipulent que l’accès en franchise de droits et sans contingent accordé n’a pas à aller au-delà des régimes préférentiels existants. Le paquet ne contient aucun résultat juridiquement contraignant sur le soutien interne au coton, bien qu’il engage malgré tout les pays développés à mettre fin immédiatement aux subventions à l’exportation concernant le coton et les pays en développement à éliminer progressivement ces mesures d’ici le début de l’année 2017. Pour progresser dans les discussions, les négociateurs pourraient rechercher en priorité un résultat autonome sur le soutien au coton ayant des effets de distorsion des échanges, s’appuyant sur d’autres efforts d’accélération des pourparlers sur les mesures de soutien qui ont des effets négatifs disproportionnés sur les PMA (comme évoqué plus haut ; voir aussi ICTSD 2017a). Des projections budgétaires et des chiffres de référence concernant les dépenses engagées dans le cadre des programmes de soutien au coton, comme ceux publiés à des fins intérieures par le bureau du budget du Congrès WTO: Paths Forward 11
américain, permetrraient de guider les pourparlers en offrant aux négociateurs des points de référence utiles concernant ces politiques. Les récentes réformes de la politique agricole de grands pays, comme par exemple la Chine, pourraient également contribuer à stimuler des progrès dans ce domaine 12. 4. Questions en suspens, options et approches Cette section récapitule les principales questions et les principaux points à résoudre à ce jour dans chacun des domaines de négociation évoqués plus haut, ainsi que les options et approches à la disposition des négociateurs pour les aider à avancer dans les pourparlers. Il est évident que le degré d’avancement des négociations varie selon les sujets. Certaines grandes économies sont réticentes à poursuivre les négociations dans certains domaines, alors que dans d’autres, certains pays font le lien avec d’autres sujets que leurs partenaires commerciaux jugent inacceptables. Indépendamment de ces considérations, le tableau 2 s’efforce de résumer de manière très simplifiée certaines des grandes questions, options et approches possibles dans les sept domaines recensés par le président des négociations de l’OMC sur l’agriculture, sur la base des propositions et des soumissions déposées jusqu’à présent. Ce tableau a pour but de fournir un aperçu succinct des questions en discussion et n’a pas l’ambition de constituer un récapitulatif complet ou exhaustif de l’ensemble des alternatives présentées jusqu’à présent dans les pourparlers. 5. Progresser dans la perspective de la 12Ème conférence ministérielle Dans leurs dernières soumissions de négociation, les États-Unis ont appelé à une « remise à plat » des négociations sur l’agriculture, en vue notamment de mettre davantage l’accent sur l’accès aux marchés. S’il est clair que les membres de l’OMC pourraient trouver un intérêt à prendre du recul pour réfléchir à ce qui a fonctionné ou non dans les pourparlers jusqu’à présent, il est également vrai qu’ils ont accompli un travail considérable ces dernières années, notamment sur les aspects techniques des pourparlers, et que les négociateurs ont la possibilité de s’appuyer aujourd’hui sur ce travail pour définir une feuille de route permettant de guider et de structurer les discussions dans la perspective de la Douzième conférence ministérielle de l’OMC prévue en 2020, en prévoyant notamment des échéances et des jalons susceptibles de servir de repère aux membres. Il sera important dans ce cadre que les représentants officiels du commerce ne perdent pas de vue le chemin parcouru jusqu’à présent, ni les défis de l’avenir. En particulier, les changements climatiques auront probablement des effets significatifs et de grande ampleur sur les marchés de produits alimentaires et agricoles, les acteurs économiques des pays à faible revenu y étant particulièrement exposés. Pour progresser dans la réalisation des Objectifs de développement durable, et notamment de l’ODD 2, les représentants officiels du commerce et les responsables politiques devront réfléchir à une nouvelle manière de concevoir le rôle du commerce dans la réalisation des objectifs de politique publique. 12 Yu (2017) examine l’incidence potentielle des récentes réformes de la politique agricole chinoise concernant le coton et les céréales sur le commerce et les marchés. 12 Progresser dans les négociations commerciales multilatérales sur l’agriculture Septembre 2018
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