Les études sur les domaines turc, kurde et ottoman en France
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Les études sur les domaines turc, kurde et ottoman en France Cahier du GIS Nº5 Septembre 2022
Les études sur les domaines turc, kurde et ottoman en France Cahier du GIS Nº5 Élise Massicard, Alexandre GIS Moyen-Orient et Mondes Septembre 2022 Toumarkine, Musulmans Julien Boucly
Le Groupement d’intérêt scientifique « Moyen-Orient et mondes musulmans » 006 INTRODUCTION 008 [I] LES DÉFIS DE LA FORMATION FACE À L’AUGMENTATION ET LA DIVERSIFICATION DE LA DEMANDE 012 A L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES : UNE OFFRE LOCALISÉE ET AVEC DES LACUNES014 Focus №1 L’enseignement de la langue turque au niveau secondaire 018 B DES CURSUS CONFRONTÉS À UNE FORTE DEMANDE ET À DES PUBLICS DIVERSIFIÉS020 Focus №2 Une croissance et une évolution des mobilités étudiantes de Turquie 023 C L’ENJEU DE L’ARTICULATION DISCIPLINE / SPÉCIALISATION ARÉALE032 D UNE FORMATION À LA RECHERCHE DYNAMIQUE MAIS CONFRONTÉE À DES DIFFICULTÉS033 Focus №3 Une augmentation des recrutements dans certaines disciplines 038
[II] UNE RECHERCHE INÉGALEMENT DYNAMIQUE, PARFOIS EN DÉCALAGE AVEC L’INTERNATIONAL 042 A DES DÉSÉQUILIBRES ENTRE OBJETS DE RECHERCHE, DISCIPLINES ET THÉMATIQUES044 B NE RECHERCHE SUR PROJETS DYNA U MIQUE MAIS ORIENTÉE PRIORITAIREMENT SUR LE CONTEMPORAIN 048 C UNE INTERNATIONALISATION INÉGALE052 D UN BILAN DE DIFFUSION CONTRASTÉ056 E ES CONDITIONS DE TRAVAIL D CONTRASTÉES ET ÉVOLUTIVES EN FRANCE ET EN TURQUIE058 [III] PROPOSITIONS 064 COLOPHON 068
6 LES ÉTUDES SUR LES DOMAINES TURC, KURDE ET OTTOMAN EN FRANCE BILAN ET PERSPECTIVES 7 Institutions membres du Groupement d’intérêt scientifique Le Groupement d’intérêt scientifique Moyen-Orient Moyen-Orient et mondes musulmans et mondes musulmans ● CNRS Créé par le CNRS au 1er janvier 2013, le Groupement d’intérêt scienti- ● Collège de France fique (GIS) Moyen-Orient et mondes musulmans a vocation à fédérer l’en- ● EHESS (École des Hautes Études en Sciences Sociales) semble des équipes de recherche françaises qui se consacrent à ce champ, ● EPHE (École Pratique des Hautes Études) dans toutes les disciplines concernées (histoire, géographie, sciences poli- ● ENS Lyon tiques, sociologie, anthropologie, histoire de l’art, littérature, islamologie, ● FMSH (Fondation Maison des Sciences de l’Homme) philosophie, archéologie). Au 1er juin 2022, le GIS rassemble 40 équipes de ● IFAO (Institut Français d'Archéologie Orientale) recherche (UMR et équipes d’accueil) et 10 UMIFRE / ÉFÉ (Écoles françaises ● INALCO à l’Étranger) ; ces unités relèvent en tout de 25 tutelles, universités, grandes ● INHA (Institut National d’Histoire de l’Art) écoles et organismes de recherche ● IRD (Institut de Recherche pour le Développement) Le champ couvert par le GIS MOMM s’intéresse en priorité au ● Aix-Marseille Université Moyen-Orient et au Maghreb, en raison d’une longue tradition française ● Université Paris I Panthéon-Sorbonne d’étude des sociétés qui les composent. Il n’entend pas pour autant igno- ● Université Sorbonne Nouvelle rer les autres « mondes musulmans » : cette expression se réfère à une his- ● Sorbonne université toire et à une culture communes, développées au-delà des mondes arabe, ● Université de Paris persan et turc dans de vastes espaces qui s’étendent à l’Inde et à l’Asie du ● Université Paris-Nanterre Sud-Est, en passant par l’Asie centrale et l’Afrique subsaharienne, et elle ● Unversité Lumière Lyon 2 englobe toutes les sociétés qui sont aujourd’hui concernées par le fait isla- ● Université Lyon III Jean Moulin mique en Europe et en Amérique. Le champ d’intervention du GIS couvre ● Université Paris Dauphine — PSL donc de très vastes régions de la planète et possède par définition une ● Sciences Po Aix délimitation mouvante. Seul un nombre limité des équipes du GIS s’insère ● Sciences Po Grenoble entièrement dans le champ thématique du groupement. Dans la plupart ● Sciences Po Lyon des cas, il s’agit d’équipes généralistes ou thématiques, au sein desquelles ● Sciences Po Paris œuvrent quelques chercheurs et enseignants-chercheurs spécialistes du ● Université de Tours Moyen-Orient et des mondes musulmans. ● Université de Strasbourg Le GIS MOMM est par son objet d’étude naturellement enclin aux collaborations internationales, ou du moins à une ouverture internatio- nale, que ce soit avec les régions étudiées ou avec les mondes acadé- miques européens et anglo-saxons. C’est dans cette perspective internationale qu’il convient donc de replacer l’ensemble des constats et des réflexions qui seront faits dans ce rapport.
8—9 INTRODUCTION
10 INTRODUCTION [I] 11 L’ÉLABORATION COLLECTIVE Boucly, post-doctorant au GIS, a rejoint l’équipe et a contribué à la poursuite de la consultation, aux recherches statistiques, et à l’écriture. Pour l’élabo- D’UN ÉTAT DES LIEUX ration de ce document, il n’a pas été effectué d’enquête quantitative auprès de l’ensemble des acteurs du champ. En particulier, les étudiants n’ont été associés qu’à la marge à ce travail. Ce document, issu de nombreux entre- tiens, n’est donc pas exhaustif ; il est appelé à constituer une base de discus- sion et de travail. Il a été nécessaire de délimiter le domaine couvert par ce travail, délimitation nécessairement pour partie arbitraire. Ce cahier ne traite pas des études sur l’Asie centrale qui font l’objet d’un cahier spécifique[2]. Les travaux sur l’Empire ottoman, et donc les provinces ottomanes, sont inclus tandis que sont exclus ceux sur les territoires post-ottomans (Balkans ou Caucase post-ottomans). Les études sur le domaine kurde sont intégrées à ce cahier, parce qu’elles ne sont pas traitées dans d’autres cahiers, mais aus- si car elles sont souvent articulées aux études sur les domaines ottoman et turc. Concernant les délimitations chronologiques, nous avons pris comme point de départ l’Empire ottoman, donc les périodes postérieures aux Seldjoukides. Ce cahier a pour but de dresser un état des lieux détaillé de ces domaines d’étude et de recherche, d’établir un bilan des membres compo- sant la communauté des chercheurs, des enseignants-chercheurs et des doc- teurs ou doctorants relevant de ces études. Ce bilan se propose aussi En 2014 un Livre blanc des études françaises sur le Moyen-Orient et les mondes d’identifier les principales disciplines et thématiques de recherche, ainsi que musulmans était rédigé par Catherine Mayeur-Jaouen, directrice du les institutions qui soutiennent ce milieu et les programmes de recherche Groupement d’Intérêt Scientifique Moyen-Orient et Mondes Musulmans structurants des dernières années. Les études françaises sur les domaines (GIS MOMM) du CNRS[1]. En 2021, dans le cadre de la préparation de son turc, kurde et ottoman ont connu de nouvelles dynamiques et un renouvel- forum intitulé « Au-delà des frontières. La recherche française et les nou- lement générationnel ces dernières années, mais elles sont confrontées à un velles circulations régionales des savoirs au Maghreb et au Moyen-Orient », certain nombre de faiblesses (déséquilibres entre des sous-domaines et ce même GIS MOMM a souhaité faire un nouveau bilan des études françaises, périodes très étudiés et d’autres délaissés, internationalisation inégale, etc.), mais cette fois en distinguant plusieurs « sous-aires » plus restreintes. C’est alors même que la demande sociale et politique sur ces domaines est très dans ce cadre qu’a été entrepris ce travail de bilan et perspectives, centré sur forte et en augmentation : l’importance des enjeux politiques dans cette zone, les études françaises sur les domaines turc, kurde et ottoman. mais aussi les enjeux migratoires, nourrissent l’intérêt et la demande sociale, Élise Massicard et Alexandre Toumarkine ont pris les rênes de mais contribuent aussi à déplacer l’attention sur certains domaines au détri- cette entreprise. Ils ont organisé une première rencontre en décembre 2020 ment d’autres, certains pans de la recherche, traditionnellement d’excellence, avec une quinzaine de collègues relevant de différentes disciplines et insti- se retrouvant délaissés. tutions (titulaires et chercheurs associés) auxquels avait été diffusée, en Cet inventaire des forces, des fragilités et des potentialités a pour amont, une grille de questions. Cette rencontre virtuelle a ensuite été com- but d’identifier des pistes de renforcement du paysage actuel de la recherche plétée par plusieurs retours sur des points qui n’avaient pas été suffisam- et de la formation. L’état des lieux traite dans une première partie de la for- ment abordés. Le contenu de cette rencontre a constitué la colonne vertébrale mation et dans un second temps de la recherche. Dans une troisième partie d’une première version de ce texte, qui a été présentée et discutée lors du sont formulées des propositions d’action. forum sus-mentionné en avril 2021 ; elle a ensuite été diffusée au Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC), laboratoire central du champ, pour permettre des ajouts, commentaires et suggestions, de même qu’une seconde version complétée. Enfin, des entre- tiens ont été organisés avec certains autres collègues, notamment pour abor- der des dimensions qui avaient été peu couvertes. À la rentrée 2021, Julien [1] Catherine Mayeur-Jaouen, Livre blanc des études françaises sur le Moyen-Orient et les mondes [2] Julien Thorez, Juliette Cleuziou, Adrien Fauve, Les études centre-asiatiques en France – Cahier musulmans, GIS Moyen-Orient mondes musulmans, septembre 2014. URL : http://majlis-re- du GIS №2, novembre 2021. URL : http://majlis-remomm.fr/cahier-du-gis-n2-les-etudes- momm.fr/livre-blanc sur-lasie-centrale-en-france
12—13 [I] LES DÉFIS DE LA FORMATION FACE À L’AUGMENTATION ET LA DIVERSIFICATION DE LA DEMANDE
14 [I] A LES DÉFIS DE LA FORMATION FACE À L’AUGMENTATION ET LA DIVERSIFICATION DE LA DEMANDE [I] 15 L’ENSEIGNEMENT DES LANGUES : deux niveaux pour parvenir au C2 et offrir à des étudiants déjà turcophones de pouvoir suivre un cursus de langue complet jusqu’au master. UNE OFFRE LOCALISÉE ET AVEC Au niveau national, il y a désormais peu de postes et d’enseigne- ments en linguistique – ceux proposés à Paris par Louis Bazin jusqu’en 1990 DES LACUNES ou Rémy Dor jusqu’en 2012 n’ayant pas véritablement été remplacés. Ces derniers entretenaient plus d’intérêt pour la langue. On note par exemple un manque de formation au turc du début du xxe siècle, i.e. avant le passage à l’alphabet latin, qui pose des problèmes de compréhension étant donné les évolutions rapides de la langue. Un autre point faible de l’enseignement du turc est la littérature, sauf à l’INALCO où elle est centrale. Elle est en effet devenue moins présente à Strasbourg ces dernières années, et est absente à Aix-Marseille. Concernant l’ottoman, la prépondérance de Paris est encore plus nette, car les trois principaux centres d’enseignement de l’ottoman et des études ottomanes en France sont l’EPHE, l’EHESS et l’INALCO ; ce dernier offre une initiation à l’ottoman et des cours d’histoire ottomane en licence, et un séminaire de lecture de sources en master. Depuis 2019, le séminaire « Sources ottomanes : premières lectures » à l’EHESS a permis la constitution de groupes de travail autour des sources ottomanes déchiffrées en commun. Strasbourg propose une initiation à l’ottoman, plusieurs cours d’histoire ottomane et un enseignement de lecture de sources ottomanes. Aix-Marseille propose une initiation à l’ottoman et des enseignements d’histoire ottomane, Cette offre d’enseignement en langues et en études turques, kurdes et otto- ainsi que des enseignements d’histoire de la Méditerranée à l’époque manes est localisée dans trois pôles principaux : Paris, Strasbourg et Aix- moderne – des enseignements d’histoire moderne de la région (Méditerranée Marseille. En turc, l’offre de formation à Paris est très complète. L’Institut ou Moyen-Orient) sont proposés dans plusieurs autres universités en France, national des langues et des civilisations orientales (INALCO) propose une sans nécessairement être centrés sur la dimension ottomane. formation poussée, au sein d’une licence et d’un master LLCER (langues, lit- Ces dernières années ont été mis en place des enseignements plus tératures et civilisations étrangères et régionales) de turc. Pour répondre à ponctuels sous d’autres formes, notamment d’écoles d’été, co-organisés par une importante demande en formation linguistique, a également été mis en plusieurs institutions. Ainsi, depuis 2016 sont co-organisées des écoles d’été place en 2007 un cours d’initiation au turc moderne à l’École normale supé- thématiques de formation à la lecture et à l’analyse des sources ottomanes rieure. En 2016, un autre enseignement de turc a été introduit à l’École pra- par différentes institutions : l’édition 2022 a été co-organisée par l’Institut tiques des hautes études (EPHE), qui est devenu de niveau intermédiaire en Français du Proche-Orient (IFPO), le Centre d’études turques, ottomanes, 2017, afin de s’adresser à un public plus avancé. En outre, il existe à Paris balkaniques et centrasiatiques (CETOBaC), l’Institut de Recherches et une offre d’enseignement variée centrée sur la zone dans différentes disci- d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), le département plines, notamment à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), d’études orientales et islamiques de la Ruhr-Universität Bochum, le Seminar qui ne propose cependant pas d’enseignement en langue. für Sprachen und Kulturen des Vorderen Orients de l’université d’Heidel- Dans l’autre principal foyer, à Strasbourg, la langue est l’un des berg, l’université des sciences sociales d’Ankara (ASBÜ), et l’Orient-Institut fondamentaux du département d’études turques. Il propose une formation Beirut (OIB). Ces écoles ont lieu chaque année à un endroit différent (en solide en grammaire, syntaxe, étymologie, traduction – y compris des forma- Jordanie, au Liban, en Turquie, en Allemagne). Elles se tiennent en anglais tions au travail sur des textes de sciences humaines et sociales écrits en turc. et ont un recrutement international ; la composition change beaucoup d’une Enfin, l’université d’Aix-Marseille (AMU) propose une formation année sur l’autre, mais la venue d’une dizaine de doctorants est prise en en turc à la faculté des arts, lettres, langues, sciences humaines, au dépar- charge. En 2018, cette fois dans un cadre français, a également eu lieu une tement des études moyen-orientales. La licence Langues Étrangères école thématique CNRS « Formation à la lecture des sources manuscrites : Appliquées (LEA) bilingue turc-anglais, très sélective, attire énormément historiographie, épistémologie et philologie ». Elle aussi était co-organisée d’étudiants – notamment originaires de Turquie. Elle est axée sur la traduc- par plusieurs institutions, en l’occurrence le CETOBaC, l’IFPO et l’IREMAM tion, le commerce, la gestion, etc. et débouche sur des formations commer- à Aix-en-Provence, avec la participation de collègues et d’étudiants d’uni- ciales. Il existe une forte demande pour la découverte de la langue turque, versités tunisiennes et marocaines. Ces initiatives ont pour point commun qui concentre une bonne partie des disponibilités d’enseignement en langue. leur caractère transversal, qui attire des étudiants issus de différentes ins- De ce fait, l’offre est plus réduite à des niveaux plus spécialisés, et il manque titutions y compris au-delà des trois principaux pôles, ce qui est adapté en
[I] 16 LES ÉTUDES SUR LES DOMAINES TURC, KURDE ET OTTOMAN EN FRANCE LES DÉFIS DE LA FORMATION FACE À L’AUGMENTATION ET LA DIVERSIFICATION DE LA DEMANDE [I] 17 raison de la taille relativement restreinte du public concerné ; ainsi que la création de communautés autour d’une base de travail pratique (les sources) et de certains problèmes ou certaines questions de recherche, et non des thèmes généraux. Peu d’institutions proposent l’apprentissage du kurde, et celui-ci est presque exclusivement concentré à Paris. Le principal foyer est l’INALCO, avec une section de kurde au sein du même département (Eurasie) que le turc, qui propose une formation poussée dans les dialectes sorani et kurmandji, en licence et master LLCER. L’Institut kurde de Paris propose par ailleurs, en fonction de la demande, des cours de dialectes kurmandji, sorani et zaza- ki. À l’université de Rouen, un professeur de linguistique propose une ini- tiation au kurde en licence de sciences du langage, mais dans une perspective de français langue étrangère ; il encadre cependant des étudiants en thèse. Aucune autre université ne propose d’enseignement du kurde, alors qu’il existe une demande. De ce fait, de nombreux programmes d’enseignement en ligne ont été développés ces dernières années.
18 FOCUS Nº 1 19 FOCUS Nº 1 L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE La langue turque est enseignée dans certains lycées depuis les années 1970. Elle (plus rarement de lycées professionnels) sont contrôlés en commun par des TURQUE AU NIVEAU SECONDAIRE a été déclarée « langue académique » en 1995 par Jack Lang, alors ministre de l’Éducation nationale, à l’instigation de représentants des deux gouvernements. Le recrutement ne favorise pas des enseignants issus des départements de turc. l’écrivain Yaşar Kemal et de l’anthropologue En effet, c’est la partie turque Altan Gökalp. Est à l’ordre du jour depuis qui sélectionne et rémunère les enseignants, des années la question de la création d’un à travers la présidence des Turcs à l’étran CAPES de turc, qui soulève des enjeux ger et des communautés apparentées importants. L’implication de plusieurs (Yurtdıșı Türkler ve Akraba Toplulukları, YTB) ministères – ministère de l’Éducation – agence gouvernementale turque – ou nationale, ministère de l’Enseignement le réseau des instituts culturels turcs Yunus supérieur, ministère des Affaires étrangères Emre (Yunus Emre Enstitüsü) qui délivre et ministère de l’Intérieur notamment, une certification en langue et des cours chacun avec une perspective différente – pour étrangers, sous la seule responsabilité a eu tendance à paralyser ce dossier. du ministère turc de l’Éducation nationale. Peu de développements concrets sont La perspective de la création d’un intervenus au-delà d’initiatives ponctuelles CAPES de turc, qui permettrait de créer relevant de l’Éducation nationale. On des débouchés pour les diplômés des retiendra notamment l’expérimentation départements de turc en France et d’étoffer d’une enseignante certifiée en turc ayant l’offre d’enseignement du turc dans enseigné dans différents lycées à Rennes le secondaire, mais nécessiterait un durant quelques années. Cet enseignement financement du côté français, n’a pas n’a perdu officiellement son « caractère été retenue à ce stade. expérimental » que très récemment dans deux académies – Grenoble et Besançon –, sous l’effet d’initiatives de décideurs motivés. Au final, le front le plus dynamique en matière de création de postes d’enseignants de langue turque est celui des établissements hors contrat, la plupart relevant d’institutions publiques turques ou d’initiatives privées de diverses tendances, principalement islamistes. La question de l’enseignement du turc dans les établissements scolaires en France a été remise à plat à partir de 2016, avec la mise en place des enseignements internationaux de langue étrangère (EILE) pour remplacer les enseignements dans les langues et cultures d’origine (ELCO), et a débouché sur une crise entre la France et la Turquie. L’accord bilatéral transformant les ELCO en EILE a été adopté en 2021. Les 180 à 200 enseignants qui interviennent pour l’enseignement du turc en primaire et dans les collèges
20 [I] B LES DÉFIS DE LA FORMATION FACE À L’AUGMENTATION ET LA DIVERSIFICATION DE LA DEMANDE [I] 21 DES CURSUS CONFRONTÉS aider et accompagner les étudiants en difficulté (Licence+, Tempo, large tutorat). L’INALCO ou l’IEP de Grenoble proposent égale- À UNE FORTE DEMANDE ment des cursus qui s’adressent aux personnes réfugiées. À l’INALCO, cela s’est fait dans le cadre de deux programmes desti- ET À DES PUBLICS DIVERSIFIÉS nés aux réfugiés : Inalc’ER, de 2017 à 2020, et depuis dans celui du DU Passerelle. À noter Beaucoup d’étudiants de ces deux groupes choisissent le domaine des études turques au niveau licence, car ils pensent y avoir plus de facilités. La ressource du turc constitue alors une porte d’entrée dans l’université, et la licence prépare pour certains un projet professionnel en Turquie ou entre la France et la Turquie. Cependant, tous les étudiants issus de Turquie ne s’inscrivent pas en études turques. [3] Des étudiants qui ne sont pas turcophones, qui apprennent la langue et se forment aux études turques en licence. Récemment, se développe un intérêt pour l’apprentissage du turc de la part de personnes, issues d’autres migrations (notamment mais non exclu- sivement musulmanes), de deuxième ou troisième génération, et dont les trajectoires s’apparentent au premier groupe. Sinon, ce troisième groupe est constitué en majorité d’étudiants qui ont sui- vi préalablement, ou suivent en parallèle, des cursus de sciences humaines et sociales. Ils peuvent s’inscrire en études turques (à Strasbourg par exemple), ou simplement suivre des options, une formation continue (INALCO) ou un DU de turc (à Strasbourg et à l’INALCO). Ces étudiants sont souvent très motivés et, notamment La demande de formation en études turques et kurdes, mais aussi plus spé- quand ils sont déjà titulaires d’une licence, d’un master voire d’un cifiquement dans les langues correspondantes, est en augmentation. L’offre doctorat, peuvent montrer une maturité importante et effectuer des institutionnelle, pourtant riche et diversifiée, ne permet pas toujours de progrès rapides. Certains ont déjà un projet professionnel mûri. répondre à cette demande. Les cursus d’études turques, proposés par la section de turc du En master, les logiques diffèrent : arrivent dans les départements et sections département Eurasie à l’INALCO et le département d’études turques de d’études turques de nouveaux profils, notamment des étudiants qui ont géné- l’université de Strasbourg, attirent un nombre croissant d’étudiants. Les ralement une bonne formation disciplinaire en sciences humaines ou effectifs des cursus en études turques au niveau licence augmentent, s’éle- sociales ; mais qu’il est difficile d’initier au turc depuis le niveau débutant. vant à plus d’une centaine d’étudiants en L1 à l’INALCO. L’intérêt pour la À l’IEP de Grenoble, au sein du master pro « études européennes et interna- Turquie croît donc parmi les étudiants, mais pas nécessairement pour en tionales » existe un parcours « Méditerranée Moyen-Orient », dont 10 à 20 % devenir spécialiste. des effectifs s’intéressent à la Turquie et apprennent le turc. À Aix, d’autres Cependant, les publics étudiants sont très diversifiés. On peut en masters professionnalisants, très sélectifs, recrutent beaucoup et de façon distinguer trois principaux – ces trois catégories de publics se retrouvant expansive sur le domaine turc, avec de plus en plus de candidatures et de très également en études kurdes à l’INALCO : bon niveau. À Aix toujours, un master LEA en turc devrait ouvrir en 2023. [1] Des personnes issues de l’immigration de Turquie, souvent de Par ailleurs, au niveau du master, l’EHESS accueille beaucoup d’étudiants de deuxième voire de troisième génération. Ce groupe constitue la Turquie (du second groupe), mais ils sont nombreux à s’inscrire dans des cur- majorité des étudiants de licence de turc, à l’INALCO et à sus disciplinaires. La demande d’apprentissage du turc émane aussi, au Strasbourg ou de licence LEA anglais/turc à Aix-Marseille ; la plu- niveau master et doctorat, de personnes travaillant sur et avec d’autres lan- part sont parfaitement francophones, mais certains ont des diffi- gues parlées en Turquie (kurde, arménien, arabe, grec, ladino, rom, langues cultés à écrire le français et ne maîtrisent pas forcément la caucasiques, syriaque, etc.) et qui ont également besoin du turc. grammaire turque. Leur génération est la première à faire des D’une manière générale, l’intérêt des étudiants pour la Turquie études supérieures, et parfois même à être diplômée du secondaire. (plus que pour l’Empire ottoman) est nourri par les mobilités étudiantes et [2] Des étudiants arrivés récemment de Turquie, certains pour des en particulier les échanges ERASMUS. Si tous les étudiants qui effectuent raisons politiques. Ce public a augmenté ces dernières années, par un échange universitaire avec la Turquie ne s’intéressent pas au domaine exemple à l’INALCO ou à Strasbourg. Un certain nombre de ces des études turques, il reste que ces mobilités nourrissent un intérêt pour la étudiants a un niveau linguistique (en français) et/ou méthodolo- Turquie, l’apprentissage de la langue, et alimentent des viviers de jeunes gique assez faible. L’INALCO propose des aménagements pour chercheurs. (voir infra Focus № 2)
23 FOCUS Nº 2 [I] 22 LES ÉTUDES SUR LES DOMAINES TURC, KURDE ET OTTOMAN EN FRANCE Dans plusieurs villes, hors des foyers identifiés de l’offre, il existe des pôles d’intérêt sur la Turquie, même si les études turques et le turc n’y sont pas enseignés. C’est par exemple le cas à Bordeaux, à Grenoble ou à UNE CROISSANCE Rennes, où des enseignants-chercheurs ont un intérêt pour la Turquie et sus- citent des vocations, et où les échanges ERASMUS produisent des viviers ET UNE ÉVOLUTION d’étudiants. Les Instituts d’études politiques (IEP), notamment, alimentent ces dynamiques. Considérant la demande des étudiants ERASMUS, l’IEP de DES MOBILITÉS Rennes a ponctuellement mis en place un cours de turc. Ces initiatives sont cependant fragiles et liées à l’existence d’enseignants-chercheurs motivés, mais aussi de relais institutionnels réceptifs. Ainsi, à l’IEP de Grenoble, il ÉTUDIANTES DE TURQUIE n’y a pas d’enseignement du turc (à la différence de l’arabe et, jusqu’en 2019, Ségolène Débarre et Işıl Erdinç du persan), ce qui est en décalage avec une demande forte. Ainsi, hors des trois principaux pôles géographiques, il est plus difficile d’acquérir des com- pétences linguistiques et de se former à la connaissance de la région, alors qu’une demande existe. Plusieurs départements font appel à des vacataires ou à des ATER pour compléter l’offre d’enseignement. Plusieurs établissements d’enseigne- ment supérieur français ont aussi recours à des lecteurs envoyés et rémuné- rés par la Turquie dans le cadre d’une coopération franco-turque, pour enseigner la langue et/ou la civilisation. C’est le cas à Aix-Marseille et Strasbourg, mais également dans des universités comme Bordeaux ou Grenoble où ces lecteurs assurent des enseignements sur la Turquie, alors que ces établissements ne proposent pas d’enseignement de la langue turque. Le statut des lecteurs reste souvent flou et fragile, nécessitant des renégo- ciations régulières, ce qui appelle à la fois une clarification et une consoli- dation. Ici encore l’un des enjeux est la question du contrôle exercé par les établissements et la partie française. Cette attractivité des cursus d’études turques et l’augmentation des effectifs des promotions et de la demande de formation engendrent un problème structurel de sous-encadrement, par exemple à Strasbourg où l’équipe enseignante est en flux tendu. À Aix-Marseille, le turc continue sa progression, avec de plus en plus de candidatures, de plus en plus diversi- fiées également au niveau des profils ; il est à espérer que le nombre d’heures d’enseignement suive. Cette surcharge d’enseignement a aussi pour consé- quence que les enseignants-chercheurs ont peu de temps à consacrer à la recherche. Cette contribution est issue du projet : « Circulations étudiantes entre la France et la Turquie : un état des lieux du programme Erasmus » financé par le consortium d’appui à l’université Galatasaray en 2018–2019.
24 FOCUS Nº 2 25 FOCUS Nº 2 Les mobilités étudiantes internationales au cours des années 2000, la Turquie Fig 1 : Total Fig. Fig. 1 Total des 1 :: Total des flux des flux flux Erasmus Erasmus Erasmus entrantsentrants entrants et et sortants etTurquie sortants de de sortants Turquie entre de et entre 2005 2005 Turquie et 2018 2018 entre 2055 et 2018 depuis la Turquie sont anciennes. Les a développé de façon spectaculaire son échanges avec les universités d’Europe, attractivité internationale accueillant en 20 000 20 000 institués à l’époque ottomane, perdurèrent 2018 plus de 125 000 étudiants étrangers, tout au long du XXe siècle, mais furent soit une augmentation de plus de 130 % 18 18 000 000 relégués au second plan dans les années depuis 2013, plaçant le pays au 10e rang 1980 par le parti de la Mère Patrie (ANAP) international des pays d’accueil. Cette de Turgut Özal, qui choisit de privilégier augmentation repose en partie sur l’arrivée 16 16 000 000 les universités américaines. Bien que de réfugiés récents, majoritairement syriens multipliés par cinq entre 1985 et 2001, les (environ 30 000), mais également sur des flux d’étudiants turcs vers les États-Unis voisinages linguistiques et une stratégie 14 000 14 000 ne concernent que l’élite économique d’influence régionale en Asie centrale (19 000 et intellectuelle du pays. Cette réorientation étudiants d’Azerbaïdjan et 17 000 du des flux vers le monde anglo-saxon s’est Turkménistan), au Moyen-Orient et en 12 000 12 000 simultanément accompagnée de la création Afrique. En Europe, seules l’Allemagne (4 378), d’universités privées anglophones en la Bulgarie (3 010) et la Grèce (2 713) 10 000 000 Turquie[3]. envoient un nombre significatif d’étudiants 10 Les flux sortants de Turquie restent, en Turquie[5]. aujourd’hui encore, tournés vers le monde 8 000 000 anglophone et les États-Unis continuent LA TURQUIE DANS LE PROGRAMME 8 d’occuper la première place du classement ERASMUS des mobilités étudiantes sortant de Turquie 6 6 000 000 avec 9 354 étudiants accueillis en 2019. Les flux Erasmus sortants de Turquie ont Ce chiffre est cependant en régression fortement augmenté de 2005 à 2013. Cette (22 % depuis 2011), et l’écart se resserre avec augmentation des mobilités reflète en partie 4 4 000 000 l’Allemagne en deuxième position en 2019 l’élargissement de l’accès à l’enseignement avec 8 494 étudiants de Turquie. La Grande- supérieur en Turquie, sous l’effet cumulé Bretagne occupe la troisième place avec de l’abaissement du seuil d’admission 2 2 000 000 3 710 étudiants, suivie de l’Ukraine (2 284) et au concours national d’entrée à l’université de l’Azerbaïdjan (2 257). La France et l’Italie et de l’ouverture de nouvelles universités 0 viennent ensuite avec 2 000 étudiants de dans l’ensemble du pays. Le nombre 0 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 Turquie environ[4]. Une partie de ces étudiants d’étudiants est passé de 1,9 millions en 2004 effectuent leur mobilité internationale à 3,8 millions en 2011 pour atteindre dans le cadre du programme Erasmus. 7,8 millions aujourd’hui. Entre 2005 et 2013, La ratification du processus de Bologne par le nombre d’étudiants sortants passe ainsi la Turquie en 1999 puis son adhésion, en de 1 142 à 14 442. La courbe d’augmentation 2004, à l’EuRopean Action Scheme for the s’infléchit néanmoins entre 2014 et 2018 Mobility of University Students – ERASMUS (de 14 442 à 17 319), sous l’effet conjugué des (cf. infra) ont renforcé la présence de l’Europe crises politiques et économiques [fig. 1]. dans les échanges universitaires. La baisse a affecté toutes les destinations Dans un contexte de croissance à quelques exceptions près. À part économique et de relative stabilité politique l’Allemagne et la Grande-Bretagne (dont la sortie du programme Erasmus a pris effet en 2021), les destinations privilégiées [3] Cf. David Behar, « Les voies internationales de la Total des des étudiants étudiants des étudiants Erasmus de Turquie sont situées Total Erasmus reproduction sociale. Trajectoires migratoires en grande Erasmus sortant sortant bourgeoisie turque », REMI, vol. 22, № 3, 2009. en Europe centrale et méridionale (Pologne, de Turquie de Turquie [4] Source : Unesco, La mobilité des étudiants internatio- Total Total des des étudiants étudiants naux | UNESCO UIS. URL : http://uis.unesco.org/fr/ Erasmus Erasmus entant entant uis-student-flow [5] Ibidem. Source : statistiques Erasmus + Réalisation S. Débarre, 2022. en Turquie en Turquie
26 FOCUS Nº 2 27 FOCUS Nº 2 loin en tête, Italie, Espagne, République Fig Fig. 2 :2 : Principaux Principaux Fig. 2 : Principaux pays pays d’accueil pays desd’accueil étudiants d’accueil des Erasmus Erasmus des étudiants étudiants de Turquie Erasmus entre de Turquie2005 de et 2005 entre 2018 et Turquie 2018 entre 2005 et 2018 tchèque, Portugal ensuite) en raison d’accords passés avec des universités 5 000 5 000 proposant des cursus anglophones et d’un coût de la vie moins élevé que dans les 4 500 4 500 États d’Europe du nord-ouest [fig. 2]. L’attractivité de la Turquie dans le programme Erasmus a également connu 4 000 4 000 une période de forte croissance passant de 299 étudiants européens accueillis en 2005 à 7 925 en 2014. Les flux ont ensuite 3 500 3 500 diminué, d’abord modestement en 2015 (6 945 étudiants) puis de plus de moitié en 2016 (3 034 étudiants), sous l’effet conjugué 3 000 3 000 des crises politiques et économiques avant une légère reprise [fig. 1]. 2 500 La cartographie des flux Erasmus est 2 500 très contrastée. La Turquie reçoit environ cinq fois moins d’étudiants Erasmus qu’elle 2 000 2 000 n’en envoie [fig. 1]. En outre, les flux entrants sont extrêmement polarisés par le sommet de la hiérarchie urbaine (Istanbul, 1 500 1 500 Ankara et Izmir) qui concentre les universités les plus réputées, alors que les flux sortants sont issus d’un spectre de villes bien plus 1 000 1 000 large, ce qui reflète la diversité sociologique des étudiants turcs en mobilité permise par le programme Erasmus. 500 500 0 0 2005 2005 2007 2007 2009 2009 2011 2011 2013 2013 2015 2015 2017 2017 PolognePologne Allemagne Allemagne Italie Italie EspagneEspagne Rep. Tchèque Rep. Tchèque Pays-BasPays-Bas France France RoumanieRoumanie BulgarieBulgarie Source : statistiques Erasmus + Réalisation S. Débarre, 2022. PortugalPortugal
28 FOCUS Nº 2 29 FOCUS Nº 2 LA PLACE DE LA FRANCE DANS à partir de 2015 et surtout en 2016 après que FigFig3Fig3: :Principaux 3Principaux pays : Principaux pays pays d’origine d’origine des d’origine des des étudiants étudiants étudiants Erasmus enen Erasmus TurquieErasmus entre Turquie 2005 entre eten 2005 2018 et Turquie entre 2005 et 2018 2018 CES MOBILITÉS plusieurs établissements universitaires 3000 ont suspendu les échanges Erasmus avec 3000 La France se situe en 2019 en 6e position la Turquie (de la France vers la Turquie des destinations des mobilités étudiantes uniquement ou dans les deux sens) [fig. 3]. totales (ERASMUS + non ERASMUS) À ce jour, certains établissements n’ont de Turquie et seulement en 10e position pas retrouvé le niveau d’échanges antérieur. 2 500 2 500 des destinations des étudiants de Turquie Ainsi, l’université de Strasbourg a drastique en mobilité sortante avec le programme ment réduit les mobilités vers la Turquie, Erasmus (586 étudiants Erasmus de Turquie bien que les accords d’échange soient en France en 2018, loin derrière les 4 510 toujours valides ; Rennes 1 a interrompu des étudiants Erasmus de Turquie accueillis échanges en Turquie, sans les reprendre. 2 000 2 000 en Pologne[6]). Selon le MESRI, la France a accueilli 3 964 étudiants de Turquie, dont 60 % de femmes, en 2017–2018. Ces étudiants sont principalement inscrits dans les universités (70 %), secondairement 1 500 1 500 en classes préparatoires aux grandes écoles et dans des BTS (à l’issue des cursus en lycées français et francophones de Turquie), et, en troisième lieu, dans des écoles de commerce, 1 000 1 000 d’ingénieur, d’art et d’architecture. Les disciplines plébiscitées sont les lettres, langues et SHS, suivies du droit et de la science politique, puis de l’économie et AES au même niveau que les sciences et STAPS. Si 500 500 le nombre d’étudiants a augmenté en licence et master entre 2012 et 2017, les inscriptions en doctorat d’étudiants venus de Turquie en France, elles, régressent (-22 % sur la période 00 avec 269 inscrits en 2012 contre 211 en 2017). 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 Au sein de ce total, les étudiants en mobilité Année Année Erasmus sont environ 600, un chiffre en légère baisse ces dernières années [fig. 2]. Pour les étudiants français, le programme Erasmus a beaucoup contribué à l’augmentation des flux vers la Turquie, mais son attractivité reste modeste. En outre, après une décennie de croissance (de 37 étudiants Erasmus de France en Turquie en 2004 à 920 en 2014), le nombre d’étudiants en mobilité a diminué Pologne Pologne [6] Alors que la Pologne et la République tchèque sont Allemagne Allemagne parmi les premières destinations Erasmus des étudiants France France de Turquie, elles polarisent une part négligeable Pays-Bas Pays-Bas des mobilités étudiantes de Turquie en dehors du pro- Roumanie Roumanie gramme Erasmus. Source : statistiques Erasmus + Réalisation S. Débarre, 2022. Bulgarie Bulgarie
30 FOCUS Nº 2 31 FOCUS Nº 2 Si les cursus anglophones attirent Fig 4 : Répartition des étudiants Erasmus par département et années à l’université Fig 4 : Répartition des étudiants Erasmus par département et années à l’université de Galatasaray (Istanbul) aujourd’hui une part de plus en plus de Galatasaray (Istanbul) importante des étudiants français en 300 mobilité Erasmus en Turquie, beaucoup continuent de privilégier des cursus Fig 3 : Principaux pays d’origine des étudiants Erasmus en Turquie entre 2005 et 2018 francophones, notamment au sein de Génie industriel Génie informatique Mathématiques l’université de Galatasaray (Istanbul), 3000 Philosophie Langue et littérature université de 4 000 étudiants environ dont françaises le partenariat avec la France date de sa création en 1992. Cette dernière 250 accueillait initialement l’essentiel des 2 500 étudiants Erasmus français en Turquie Communication (environ deux tiers). Les flux augmentant et se diversifiant, elle en attire aujourd’hui environ un tiers. Affectée comme les autres établissements par la brutale diminution 2 000 des échanges en 2016, elle voit de nouveau 200 ses effectifs Erasmus augmenter depuis Sociologie 2017, mais ils restent encore bien en-deçà du pic de 280 Erasmus inscrits en 2015. Les départements de science politique, 1 500 de droit et de relations internationales sont Économie les piliers de l’accueil des étudiants Erasmus dans cette université ; la gestion 150 et, secondairement, la communication 1 000 ont vu leurs effectifs augmenter sur la période, reflétant une diversification Droit Génie informatique sociologique du profil des étudiants, Mathématiques Philosophie tandis que le département de sociologie, Langue lui, perdait de son attractivité. Les 500 et littérature Communication françaises départements liés aux sciences dures Sociologie (mathématiques, génie industriel, génie 100 Génie industriel Économie informatique) peinent, eux, à attirer Génie Langue informatique et littérature Relations plus de cinq étudiants par an, confirmant française internationales Droit le poids des sciences humaines et sociales, 0 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 du droit et de la science politique dans Communication Année les mobilités étudiantes [fig. 4]. Relations Sociologie internationales 50 Économie Gestion Droit Gestion Relations internationales Gestion Science politique Science politique Science politique 0 2006–2007 2015–2016 2018–2019 Source : GSÜ + Réalisation S. Débarre, 2022. Pologne
32 [I] C 33 [I] D L’ENJEU DE L’ARTICULATION UNE FORMATION À LA RECHERCHE DISCIPLINE / SPÉCIALISATION DYNAMIQUE MAIS CONFRONTÉE ARÉALE À DES DIFFICULTÉS La formation à la recherche se maintient à un niveau élevé. Si le nombre total de thèses soutenues dans le domaine est relativement stable, la ventilation par discipline, elle, évolue, que ce soit dans les domaine turc et ottoman ou kurde. Fig.5 : Thèses soutenues entre 2010 et 2021 dans les domaines turc et ottoman 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 Total cumulé (2010–2021) Sociologie 4 3 4 3 1 2 4 2 3 5 2 3 36 Le livre blanc de 2014 faisait le constat d’un grand écart entre formation dis- ciplinaire en sciences sociales et humaines d’une part, et la formation en Anthropologie 0 0 0 0 0 1 0 0 3 0 0 0 4 savoirs linguistiques ou philologiques de l’autre ; il regrettait la difficulté à Science 5 3 6 4 4 6 9 9 5 3 2 6 62 cumuler les deux et la fréquence des lacunes d’un côté ou de l’autre. Ce politique constat semble toujours valable. On peut déplorer la difficulté pour des étu- Histoire 5 6 8 8 10 3 9 6 7 6 7 2 77 diants se destinant à la recherche d’obtenir à la fois une formation discipli- Géographie 1 2 0 1 1 0 0 1 1 3 1 1 12 naire de qualité et une formation linguistique et de civilisation qui permette Langue et 2 1 2 3 3 3 1 8 2 1 1 1 28 un travail original sur les sources. Au niveau de la formation, le hiatus entre littérature le volet linguistique et les disciplines des sciences sociales se fait sentir de Autres 4 12 7 10 9 7 8 9 5 4 4 1 80 manières différentes selon les champs. L’histoire ottomane antérieure au Total cumulé 21 27 27 29 28 22 31 35 26 22 17 14 299 xixe siècle est restée en France longtemps ancrée dans une tradition philo- Réalisation : Boucly, Sakatni / Sources : Theses.fr et consultation des laboratoires de recherche* logique, qui donnait le primat à un travail d’édition des sources. Cependant, * La fiabilité de la sélection est inévitablement limitée par les choix de cadrage et les informations partielles de la plateforme theses.fr. ce déséquilibre supposé entre maîtrise linguistique et approfondissement en SHS semble aujourd’hui dépassé. Depuis plusieurs années en effet, les Parmi les thèses soutenues dans d’« autres » disciplines on compte : 2 thèses études sur l’Empire ottoman tardif, mais aussi, de manière plus récente, sur en « géopolitique », 4 thèses en « philosophie », 2 thèses en « psychologie », les périodes antérieures, s’attachent à combiner travail sur les sources et sou- 1 thèse en « religions et systèmes de pensées », 1 thèse en « sciences reli- ci de problématisation. En science politique, le double master INALCO/ gieuses », 1 thèse en « sciences sociales des religions », 1 thèse en « sciences Sciences Po sur le Moyen-Orient mis en place en 2015 a été fermé ; il formait sociales du sport », 1 thèse en « sciences sociales et philosophie de la connais- chaque année un ou deux étudiants s’intéressant aux domaines turc ou sance », 1 thèse en « socio-économie du développement », 1 thèse en « études kurde. Ce type de double formation est rare et apparaît comme une priori- arabes », 2 thèses en « études néo-hellénistiques », 2 thèses en « études té à encourager. Dans le cadre de la réforme en cours des masters, l’INALCO urbaines ». Quant aux thèses soutenues dans le domaine kurde ces dix der- réfléchit à une disciplinarisation des masters LLCER. Ce type de dispositif, nières années, elles sont moins nombreuses, et présentent une ventilation trop rare, doit être encouragé. disciplinaire assez proche.
[I] 34 LES ÉTUDES SUR LES DOMAINES TURC, KURDE ET OTTOMAN EN FRANCE LES DÉFIS DE LA FORMATION FACE À L’AUGMENTATION ET LA DIVERSIFICATION DE LA DEMANDE [I] 35 Fig.6 : Thèses soutenues entre 2012 et 2021 dans le domaine kurde Au niveau des thèses en cours sur les domaines turc et ottoman, on note une nette prévalence de l’histoire, suivie par la science politique et la sociologie. 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 Total cumulé (2012–2021) Fig.7 : Thèses en cours de rédaction en 2021 dans les domaines turc et ottoman Sociologie 2 0 0 1 1 0 0 1 0 0 5 (inscriptions entre 2010-2021) Anthropologie 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 1 Autres 4 Science politique 1 1 1 0 0 0 0 0 1 1 5 Droit 2 10 3 Sociologie Histoire 0 1 1 1 0 2 0 1 0 0 6 Sciences de l’information et de l’éducation Géographie 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 Arts du spectacles, 1 1 cinéma, musique Anthropologie Langue et littérature 0 0 0 0 0 0 1 0 1 1 3 8 Langue et littérature Sciences de l’information 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 1 Total cumulé 3 2 2 3 1 2 1 3 2 2 21 Réalisation : Boucly, Sakatni / Sources : Theses.fr et consultation des laboratoires de recherche* *La fiabilité de la sélection est inévitablement limitée par les choix de cadrage (thèses dans le domaine kurde, en relation avec les domaines turc et ottoman) et les informations partielles de la plateforme theses.fr. Science politique Géographie 20 7 La ventilation des thèses soutenues par discipline ces dix dernières années – pour les études sur les domaines turc et ottoman, comme sur le domaine kurde – montre une nette domination de trois disciplines : l’histoire (en légère baisse), la science politique et la sociologie (en hausse). Cela reflète, Histoire en partie, l’attractivité susmentionnée de certaines questions liées à des 26 enjeux d’actualité. Total : 82 Qu’en est-il des thèses en cours ? Le nombre d’étudiants inscrits en doctorat est en augmentation et les demandes sont très fortes dans cer- Réalisation : Boucly, Sakatni / Sources : Theses.fr et consultation des laboratoires de recherche[7] taines disciplines. Parmi les thèses inscrites dans d’« autres » disciplines on compte : 3 thèses en « sciences de l’information et de la communication », 2 thèses en « urbanisme », 1 thèse en « psychologie », 2 thèses en « droit », 1 thèse en « démographie », 1 thèse en « art, cinéma, musique ». Concernant en particulier la science politique et la sociologie, le vivier d’étudiants s’intéressant à la Turquie est nourri par la participation de la Turquie au programme ERASMUS, notamment en niveau master – cela représente une dizaine d’étudiants environ par an pour le seul IEP de Grenoble, entre 15 et 20 pour l’INALCO. Ce sont des mobilités plus spécia- lisées que celles de premier cycle, qu’engagent en général des étudiants inté- ressés par la Turquie, dont certains apprennent le turc. Pendant une dizaine d’années, beaucoup d’étudiants francophones à Istanbul sont passés par le séminaire « Introduction à la Turquie contemporaine » commun à l’univer- sité Galatasaray et à l’IFEA – séminaire interrompu en 2018 mais que l’on peut espérer voir reprendre prochainement. Certains de ces étudiants font un stage à l’IFEA, reviennent en master, et font un doctorat. [7] La fiabilité de la sélection est inévitablement limitée par les choix de cadrage et les informa- tions partielles de la plateforme theses.fr, cette dernière renseignant en effet de manière plus exhaustive les thèses soutenues que les thèses en cours.
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