Les femmes et la pauvreté - Feuillet d'information de l'ICREF - Canadian Research Institute for ...

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Feuillet d’information de l’ICREF

INSTITUT CANADIEN DE RECHERCHES SUR LES FEMMES                                                             3e édition - 2005

        Les femmes et la pauvreté
On ne peut parler des femmes sans parler de pauvreté              QUI EST SUSCEPTIBLE D’ÊTRE PAUVRE?
pour de nombreuses raisons. Divers facteurs structurels
                                                                  Du simple fait d’être de sexe féminin, un nouveau-né est
font qu’elles sont plus susceptibles de tomber dans la
                                                                  plus susceptible de grandir et de passer sa vie adulte
pauvreté ou d’y rester. Durant la dernière décennie, le           dans la pauvreté. Au Canada, les femmes sont
Canada a peu à peu adopté un modèle économique
                                                                  majoritaires parmi les pauvres. Aujourd’hui, il y a 2,4
différent qui est axé sur une réduction radicale des              millions2 de femmes pauvres; c’est donc dire qu’une
services sociaux. Même si le gouvernement fédéral
                                                                  Canadienne sur sept3 vit dans la pauvreté.
engrange des excédents budgétaires depuis sept ans, il
                                                                  • Les femmes chefs de famille monoparentale : Parmi
n’a pas encore réinvesti dans ces services. On assiste            les familles monoparentales dirigées par une femme,
donc à une aggravation du degré de pauvreté (c’est-à-
                                                                  51,6 % sont pauvres.4 Beaucoup ne reçoivent aucune
dire l’écart entre le revenu moyen des pauvres et le
                                                                  pension alimentaire du parent qui n’a pas la garde des
montant nécessaire pour le ramener jusqu’au seuil de              enfants (en général, le père) ou la reçoivent en retard.5
faible revenu).1 Le Canada a signé des ententes
                                                                  • Les femmes âgées :
internationales comme la Convention sur l’élimination de
                                                                  Près de la moitié
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes          (41,5 %) des femmes
(CEDAW). Il n’offre toutefois pas encore de garanties
                                                                  célibataires, veuves ou
suffisantes pour protéger les droits des femmes au
                                                                  divorcées (dites
pays.                                                             « seules ») ayant plus de    Ce feuillet d’information est
                                                                                               produit par l’Institut canadien
                                                                  65 ans sont pauvres. Le
                                                                                       6
                                                                                               de recherches sur les femmes
La pauvreté frappe les femmes de différentes façons
                                                                  taux de pauvreté pour        (ICREF). Vous pouvez vous
selon leur âge, leur race, leur origine ethnique, leur            l’ensemble des personnes     procurer une copie sur le site
groupe linguistique, leur capacité, leur orientation                                           Web : www.criaw-icref.ca ou
                                                                  âgées s’est amélioré. Il
sexuelle, leur citoyenneté, etc. Les statistiques révèlent,                                    communiquer avec l’ICREF au
                                                                  reste toutefois un large     151, rue Slater, bureau 408,
dans une mesure importante, le degré de pauvreté des              écart entre les sexes : le Ottawa, Ontario K1P 5H3
femmes au Canada. Les expériences vécues sont                                                  Canada. Tél.: (613) 563-0681
                                                                  taux de pauvreté est de
toutefois bien plus complexes que les chiffres à eux                                           Téléc.: (613) 563-0682
                                                                  19,3 % pour les femmes       Courriel: info@criaw-icref.ca.
seuls ne le laissent entrevoir.                                   âgées, mais de 9,5 %         Tous nos feuillets se trouvent
                                                                  pour les hommes âgés.  7     sur notre site Web.
                                                                                                Also available in English.
Les femmes et la pauvreté
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• Les femmes seules : Parmi les femmes seules de              moyens de s’en sortir si elles dépendent financièrement
moins de 65 ans, 35 % vivent dans la pauvreté.8               des hommes de leur famille qui les ont parrainées pour
• Les femmes handicapées : Au Canada, plus de                 venir au Canada.
femmes que d’hommes ont des handicaps. Le taux                • Les lesbiennes : Il existe peu d’informations sur la
d’incapacité parmi les Autochtones est le double du taux      situation économique des lesbiennes, sauf des
national.9 Les femmes handicapées de 35 à 54 ans qui          renseignements épars. Une étude menée à Winnipeg a
vivent chez elles et non dans un établissement ont le         toutefois révélé que 14 % des hommes gais de plus de 65
revenu le plus élevé, quand elles en ont un. Elles touchent   ans avaient un revenu sous le seuil de la pauvreté; c’était
en moyenne 17 000 $, soit 55 % du revenu des hommes           le cas pour 42 % des lesbiennes du même groupe
handicapés du même groupe d’âge. Les femmes                   d’âge.18
handicapées de moins de 35 ans gagnent 13 000 $ en            • Les femmes migrantes : Les femmes migrantes, qui
moyenne et celles de plus de 55 ans en gagnent moins de       sont souvent réfugiées ou employées de maison
14 000 $. Plus une femme a un handicap grave, plus son        étrangères, sont particulièrement susceptibles d’être
revenu est faible.10                                          pauvres et de subir l’exploitation. Elles sont souvent
• Les femmes autochtones : Le revenu annuel moyen             forcées d’accepter du travail non réglementé ou
des femmes autochtones atteint 13 300 $                       clandestin. Les femmes représentent la majorité des
comparativement à 18 200 $ pour les hommes                    travailleurs migrants venus d’Asie et bon nombre d’entre
autochtones et à 19 350 $ pour l’ensemble des autres          elles travaillent ici pour subvenir aux besoins de leur
Canadiennes.11 Une proportion de 44 % des Autochtones         famille restée au pays. Elles touchent des salaires
vivant à l’extérieur des réserves est pauvre. Les condi-      minimes. Malgré leur contribution importante à
tions sont cependant pires pour ceux vivant dans les          l’économie canadienne, elles n’ont pas droit aux
réserves : près de la moitié (47 %) des Autochtones y         nombreux avantages comme l’assurance-emploi.19
touchent un revenu inférieur à 10 000 $.12 Les femmes         • Les personnes à faible salaire : Au Canada, il ne
autochtones sont plus souvent confinées dans des              suffit pas d’avoir un emploi pour se sortir de la
emplois peu payants que les hommes autochtones.13 À           pauvreté.20 La plupart des pauvres travaillent à temps
cause des effets persistants de la Loi sur les Indiens,       plein ou à temps partiel.21 Des salaires inférieurs au
elles se retrouvent dans l’insécurité en fait de logement     seuil de la pauvreté posent un problème particulier pour
et d’accès aux services. Elles font aussi face à la vio-      les femmes. En effet, les femmes et les jeunes
lence à l’intérieur comme à l’extérieur des réserves.14       représentent 83 % des personnes qui gagnent le salaire
• Les femmes de couleur : Parmi les femmes de                 minimum.22 Parmi les mères monoparentales qui ont un
couleur, 37 % ont un faible revenu alors que le taux est      emploi rémunéré, 37 % doivent élever leur famille avec
de 19 % pour toutes les femmes. Au Canada, le revenu          moins de 10 $ l’heure.23
annuel moyen des femmes de couleur est de 16 621 $,           Le salaire féminin représente environ 71 %24 du salaire
soit presque 3 000 $ de moins que les autres                  masculin pour un emploi à temps plein toute l’année.
Canadiennes (19 495 $) et presque 7 000 $ de moins que        L’éducation ne réduit pas de beaucoup l’écart salarial :
les hommes de couleur (23 635 $).15 Les femmes de             les femmes qui ont un diplôme universitaire et
couleur sont aussi surreprésentées dans les emplois           travaillent à temps plein toute l’année gagnent 74 % du
précaires (temporaires et à temps partiel) et elles           salaire des hommes dans la même situation.25 L’écart
doivent souvent vivre dans des immeubles insalubres et        salarial entre les titulaires d’un diplôme universitaire
ségrégés. Elles sont plus susceptibles d’être victimes de     s’est même creusé de 1995 à 2000.26 En 1997, un homme
violence et d’avoir des problèmes de santé.16                 qui avait un emploi à temps plein toute l’année et moins
• Les immigrantes : L’éducation ne réduit pas l’écart         d’une 9e année gagnait en moyenne 30 731 $. Une femme
salarial entre les femmes immigrantes et les                  qui avait le même type d’emploi, mais un certificat ou un
Canadiennes d’origine. Les femmes de 25 à 44 ans              diplôme d’études postsecondaires gagnait seulement
récemment arrivées au pays, qui sont titulaires d’un          29 539 $.27 Les femmes ont un salaire moindre que les
diplôme universitaire et travaillent toute l’année à temps    hommes même lorsqu’elles travaillent dans les mêmes
plein, gagnent 14 000 $ de moins que les Canadiennes          secteurs ou occupent les mêmes fonctions. Il n’y a aucun
d’origine.17 Cette situation est attribuable à un racisme     emploi où les femmes touchent un revenu moyen
flagrant, mais aussi à un racisme structurel qui empêche      supérieur à celui des hommes, y compris dans des
de reconnaître les diplômes et l’expérience des               domaines à prédominance féminine comme le travail de
personnes immigrantes. Les femmes immigrantes                 bureau ou l’enseignement.28 Parmi les 29 pays les plus
récentes qui subissent de la violence ont parfois peu de      industrialisés, le Canada enregistre le cinquième plus

02                                                                                         Les femmes et la pauvreté
important écart salarial entre hommes et femmes travaillant à temps plein. On ne trouve un écart supérieur qu’en
Espagne, au Portugal, au Japon et en Corée.29
• Les femmes prestataires de l’aide sociale et leurs enfants : En 2001, 60 % des femmes chefs d’une famille
monoparentale ont dû compter sur l’aide sociale à un certain moment.30 Parmi les prestataires, 52 % sont des familles
avec enfants.31 Le quart (24 %) des familles qui reçoivent de l’aide sociale sont dirigées par une personne souffrant
d’une certaine forme de handicap.32 Partout au Canada, les prestations sont nettement inférieures au seuil de
pauvreté : elles varient de 20 % à 76 % de ce seuil.33

QU’EST-CE QUE LA PAUVRETÉ?

Selon Statistique Canada, le seuil de faible revenu (SFR) représente le niveau où les gens consacrent une si forte
proportion de leur revenu aux biens essentiels comme la nourriture et le logement qu’ils vivent dans des conditions
très difficiles. Le SFR varie selon la taille de la famille et la taille de la communauté. Cette définition de la pauvreté
soulève toutefois des débats. Selon certains, le Canada est l’un des pays les plus prospères au monde, mais il devrait
mesurer la pauvreté selon les mêmes critères que les pays
en développement où la majorité de la population lutte
pour sa survie. Ils soutiennent que la définition du seuil de L’ANALYSE FÉMINISTE INTÉGRÉE : Pour mener son
faible revenu de Statistique Canada gonfle le taux de              travail, l’ICREF s’efforce d’adopter l’analyse féministe
pauvreté. Elle en sous-estime plutôt la gravité et                 intégrée (AFI). Dans nos recherches et nos études,
l’ampleur. En effet, Statistique Canada exclut de ses              nous essayons de tenir compte des réalités que vivent
calculs les prisons, les réserves autochtones, les maisons         différents groupes de femmes définis selon les
pour personnes âgées, le Yukon, les Territoires du Nord-           catégories suivantes : les femmes autochtones, les
Ouest et le Nunavut. Quiconque a passé du temps dans le            femmes de couleur, les femmes handicapées, les
quartier de Saint-Henri à Montréal ou le quartier nord de          femmes immigrantes, les lesbiennes, les femmes
Winnipeg, le secteur est du centre-ville de Vancouver, le          bisexuelles et les femmes transgenre. Dans nos études,
corridor de Jane-Finch à Toronto, les communautés                  nous tentons aussi de comprendre comment les
rurales du Nouveau-Brunswick ou certaines communautés              institutions sociales entrent en interaction avec ces
autochtones privées d’égout ou d’eau courante potable ne           catégories de femmes et avec divers facteurs comme
peut nier qu’il existe une pauvreté abjecte et chronique           l’ethnicité, la citoyenneté, l’âge et la classe pour
dans ce pays riche et prospère.                                    produire les oppressions et les privilèges. Nous
                                                                   essayons de comprendre comment ces catégories elles-
POURQUOI LES REVENUS DES FEMMES SONT-ILS                           mêmes ont été créées et dans quelle mesure elles
MOINS ÉLEVÉS?                                                      reflètent vraiment les réalités individuelles des
                                                                   femmes.
Des raisons structurelles simples expliquent les revenus
plus faibles des femmes.
• Selon Statistique Canada, l’écart salarial tient surtout à la présence d’enfants et non à l’âge, au mariage ou à
l’éducation.34 On s’attend encore à ce que les femmes accomplissent la majorité des tâches domestiques et s’occupent
des enfants. Dans 52 % des familles où les deux conjoints avaient un emploi rémunéré à temps plein, la femme
assumait toutes les tâches domestiques quotidiennes; dans 28 % des cas, elle en était la principale responsable; dans
10 %, ces tâches étaient partagées également et dans 10 %, l’homme en était le principal responsable.35 Quand les
enfants, les parents ou beaux-parents âgés ou les membres handicapés de la parenté ont besoin de soins, les femmes
sont censées diminuer leur temps de travail rémunéré, quitter leur emploi, prendre un congé d’urgence ou refuser une
promotion. On n’attend pas la même chose des hommes. Pour les femmes, cette situation se répercute à long terme
sur leur salaire, leurs crédits de pension accumulés et leur expérience professionnelle.36 Le manque de partage
équilibré et équitable des responsabilités familiales entre hommes et femmes fait en sorte que la vaste majorité des
travailleurs à temps partiel (70 %) sont des femmes.37 On assiste toutefois à un certain changement : peu à peu, les
hommes s’occupent davantage des enfants, mais les femmes restent les principales responsables des soins.
• Les femmes sont peu payées pour faire un travail « féminin ». Le travail dit « féminin » comprend les tâches
qu’on attend gratuitement des femmes, par exemple : prendre soin des enfants et les éduquer, soigner les malades,
préparer la nourriture, nettoyer, servir les autres, gérer un ménage. Toutes ces tâches ne sont pas considérées

Les femmes et la pauvreté                                                                                                03
comme un travail précieux qui exige des compétences. Sur l’ensemble des femmes ayant un emploi, 70 %
restent concentrées dans quelques secteurs à prédominance féminine comme la santé, l’enseignement, le travail
de bureau, la vente et les services.38

• La plupart des provinces ont réduit l’aide sociale. Elles l’ont fait parce que le gouvernement fédéral a
retranché des milliards de dollars de ses paiements de transfert. Il a aussi aboli la plupart des normes qui
garantissaient de l’aide aux personnes dans le besoin.

• Les pensions sont inadéquates. En 2002, moins de la moitié de la population canadienne ayant un emploi
rémunéré (39,6 %) bénéficie d’un régime de pension de l’employeur.39 Une minorité seulement était des
femmes.40 Les prestations du Régime de pensions du Canada (RPC) ou du Régime des rentes du Québec (RRQ)
sont calculées en fonction du revenu. Puisque les revenus féminins sont plus faibles, ils donnent droit à des
prestations moindres, voire à aucunes. Les hommes de 65 à 69 ans reçoivent ainsi 533 $ par mois en moyenne,
mais les femmes du même groupe d’âge en touchent seulement 299 $ (la pension féminine représente donc 56
% de la pension masculine).41 En général, les femmes gagnent un salaire moins élevé que les hommes durant
toute leur vie. Elles ont donc plus de difficulté à économiser pour cotiser à un régime enregistré d’épargne-
retraite (REER). Le gouvernement fédéral parle de partager les crédits accumulés dans le RPC lors d’un divorce
afin d’atténuer la pauvreté des femmes âgées. Cette mesure n’est toutefois pas obligatoire et très peu de
femmes sont au courant de cette possibilité.

QUE SIGNIFIE ÊTRE PAUVRE?

En Ontario, une mère seule avec un enfant reçoit 957 $ par mois d’aide sociale avant déductions. Elle paie
675 $ pour le loyer et 200 $ pour l’épicerie. Il lui reste 82 $ pour payer les factures (électricité, téléphone et
chauffage), la lessive, le transport, les besoins scolaires de son enfant, les urgences, des aspirines, les coupes
de cheveux, les vêtements, les serviettes sanitaires, le savon, les cadeaux d’anniversaire ou de Noël, les visites
à grand-maman, la réparation ou le remplacement des appareils ménagers, les frais médicaux qui ne sont plus
couverts par l’assurance-maladie et tout le reste.42 Elle doit expliquer à son enfant pourquoi il ne peut pas aller
à la sortie éducative avec ses camarades de classe; pourquoi ses camarades le taquinent parce qu’il porte des
vêtements d’occasion usés; pourquoi il ne peut pas aller à la fête d’un ami parce qu’il n’y a pas d’argent pour
acheter un petit cadeau; pourquoi il ne peut pas participer à la journée des hot dogs à l’école parce qu’il faut de
l’argent; pourquoi le lait a un goût différent parce qu’elle a dû le diluer avec de l’eau; pourquoi, à la fin du mois,
ils doivent se rendre à la banque alimentaire parce qu’il n’y a plus rien à manger. Elle doit côtoyer des personnes
à revenu plus élevé qui, remplies de bonnes intentions, lui suggèrent de faire ses achats en grosse quantité
alors qu’elle n’a pas de voiture, ni les moyens financiers pour le faire. Soudain, la manière dont elle dépense son
argent et les personnes avec qui elle sort deviennent des affaires publiques; on la critique si elle s’accorde une
gâterie pour atténuer sa dépression ou pour faire plaisir à son enfant. Être pauvre c’est avoir des possibilités
limitées et non mal gérer son budget. Se débrouiller avec très peu d’argent c’est comme travailler sept jours
sur sept, sans vacances ni répit. La pauvreté use le corps et l’âme.

• Le logement est un problème majeur. Dans les zones rurales où certaines familles possèdent une maison,
elles sont parfois incapables de bien l’entretenir. Elles vivent ainsi avec une fournaise en mauvais état, des
tuyaux défectueux, des planches pourries, des fondations fissurées. Ces familles n’ont pas l’argent nécessaire
pour réparer portes et fenêtres afin d’économiser de l’énergie ni pour refaire la peinture écaillée, ce qui
affecte leur fierté. Les citadins pauvres sont en grande majorité locataires. Ils doivent trouver les meilleurs
logements possibles pour leur faible revenu. Cela signifie souvent des appartements délabrés, gérés par des
propriétaires malhonnêtes ou méprisants, dans des quartiers au taux de criminalité élevé, dans des rues
bruyantes ou près de zones dangereuses au point de vue environnemental. Les femmes de couleur et/ou
handicapées doivent souvent faire face à des propriétaires qui ont des préjugés ou qui leur refusent un
logement. Des logements surpeuplés favorisent des maladies comme la tuberculose, qui est d’ailleurs réapparue

04                                                                                      Les femmes et la pauvreté
dans les quartiers pauvres au Canada. Ils n’offrent ni la tranquillité ni l’espace nécessaires pour permettre aux
enfants de faire leurs devoirs. Les citadins pauvres ont tendance à déménager souvent pour trouver un meilleur
logement à bas prix et un propriétaire compréhensif. Par conséquent, beaucoup de pauvres voient leur vie
perturbée à cause des déménagements fréquents. Près de 30 % des enfants pauvres ont changé d’école trois
fois avant l’âge de 11 ans par rapport à 10 % pour les enfants des milieux plus aisés.43 Les femmes sont plus
susceptibles de vivre des conflits ou de la violence en raison d’autres facteurs comme l’itinérance cachée,
c’est-à-dire le fait de vivre temporairement avec des amis, de la famille ou un homme.44

• Les attitudes envers les pauvres : La pauvreté mine l’esprit comme la malnutrition mine le corps. Elle
atteint l’estime personnelle, si bien qu’il devient encore plus difficile de sortir de la pauvreté. En blâmant les
individus pour leur pauvreté, on néglige de regarder la
situation de l’économie et du chômage; on oublie le
manque actuel de services d’aide qui permettraient de        SI LES FEMMES SONT PLUS PAUVRES QUE LES
venir à bout du cycle de la pauvreté et de la violence.      HOMMES, POURQUOI LA MAJORITÉ DES
Souvent, les pauvres intériorisent le blâme. Ils en          SANS-ABRI DANS LES RUES SONT-ILS DES
viennent parfois à des comportements ’autodestruction HOMMES? C’est seulement une minorité des sans-
et à des mécanismes d’adaptation nuisibles comme le          abri qui mendie dans les rues. Le phénomène de
tabagisme ou l’abus d’alcool et de drogues. Toutes ces       l’itinérance n’est pas toujours visible. À Toronto, en
questions touchent aussi bien les hommes que les             1996, 26 000 personnes pauvres ont eu recours aux
femmes. Cependant, la plupart des femmes à faible            centres d’hébergement d’urgence. De ce nombre, la
revenu assument en plus la responsabilité des enfants.       moitié faisait partie d’une famille et 5 000 étaient
Elles souffrent de ne pas pouvoir leur offrir un foyer       des enfants.70 Les jeunes femmes sans-abri sont
sécuritaire, tranquille et stable, des aliments nutritifs    beaucoup plus susceptibles de devenir des
et au moins une fraction de tout ce que leurs                travailleuses du sexe pour boucler leurs fins de mois.
camarades de classe tiennent pour acquis. Elles peuvent Vous ne les verrez peut-être pas dans la rue en plein
en venir à penser qu’elles sont de mauvaises mères           jour, mais vous en verrez certaines la nuit. La plupart
alors qu’elles n’y sont pour rien. On accuse parfois les     des sans-abri sont tout à fait invisibles. L’itinérance
femmes à faible revenu d’être « égoïstes » parce             est un problème complexe qui résulte de divers
qu’elles veulent avoir des enfants. Pourtant, on ne          facteurs : la pauvreté et le manque de logements
qualifie pas d’égoïstes les PDG d’entreprises                abordables, une situation que viennent aggraver la
canadiennes qui gagnent en moyenne 703 000 $ (sans maladie mentale et la toxicomanie. Les femmes
                                                   45

compter les options d’achat d’actions et les avantages       itinérantes courent des dangers particuliers. Il ne
sociaux) quand ils paient un salaire insuffisant pour        suffit pas de donner un toit aux femmes, il faut
vivre à certains de leurs employés pour pouvoir, eux,        qu’elles se sentent en sécurité dans leur foyer.71
s’acheter un second bateau. Tout est une question de
point de vue et de réalité vécue.

• La perte du droit à la vie privée : Les femmes pauvres qui reçoivent de l’aide sociale et s’épuisent à tenter
de joindre les deux bouts, pour elles et leurs enfants, subissent souvent des intrusions dans leur vie privée.
Pour obtenir des prestations, une femme doit signer des formulaires généraux qui autorisent la divulgation
d’informations à son sujet. Quiconque a accès aux dossiers des services sociaux peut alors consulter toutes les
informations au sujet de sa situation financière. Les femmes se sentent donc surveillées et épiées à chaque pas.
Elles peuvent aussi se sentir à la merci du pouvoir discrétionnaire des agents de l’aide sociale.46

• La garde des enfants et le droit de visite : Bien des mères de famille monoparentale sont prises pendant
des années dans le système judiciaire pour démêler qui aura la responsabilité juridique et financière de leurs
enfants. Cette épreuve épuisante sur les plans financier, physique et émotif peut même s’avérer dangereuse si
l’ancien conjoint était violent. La mère et l’enfant courent alors des risques. Souvent, les professionnels du
système judiciaire encouragent les femmes à accorder des droits de visite plus étendus à l’ex-conjoint, malgré
le danger potentiel.

Les femmes et la pauvreté                                                                                        05
QUEL EST L’IMPACT DE LA PAUVRETÉ SUR LA                    l’éducation des enfants, elles restent
SOCIÉTÉ ET SUR LES FEMMES?                                 économiquement défavorisées à cause des soins
                                                           prodigués et elles ont moins d’argent pour briguer les
• La pauvreté des enfants : Si les enfants sont            suffrages. Nous perdons donc les points de vue des
pauvres c’est que leurs parents (surtout leur mère)        femmes, qui seraient si importants pour déterminer
sont pauvres. Plus d’un million d’enfants vivent dans la   l’orientation et les priorités du pays entier.
pauvreté au Canada.47 La pauvreté est fortement
associée à une mauvaise santé et à un mauvais              • La santé : Parmi les effets courants de la
rendement scolaire.48 Or, le rendement scolaire est        pauvreté sur les femmes, mentionnons les maladies
le facteur le plus important et le plus constant qui       aiguës et chroniques, la vulnérabilité aux maladies
permet de prévoir la participation à des activités         infectieuses et autres, le risque accru de maladies du
criminelles à l’âge adulte.49 En maintenant les femmes     coeur, d’arthrite, d’ulcères d’estomac, de migraines,
dans la pauvreté, nous maintenons aussi les enfants        de dépression clinique, de stress, de maladies men-
dans la pauvreté, nous les rendons malades, nous           tales et de comportements d’adaptation
sabotons leur avenir, nous contribuons à la                autodestructeurs.53 Les femmes pauvres courent
criminalité et nous perpétuons le cycle de la              davantage le risque de subir de la violence et des
pauvreté.                                                  mauvais traitements, car elles sont prises au piège de
                                                           la pauvreté qui limite leurs choix.54
• Des coûts élevés pour la santé et la sécurité du
revenu : Il existe un lien clair entre un faible revenu    QUE POUVONS-NOUS FAIRE?
et une mauvaise santé.50 La pauvreté mène à recourir
davantage aux services de santé, donc elle augmente        • Assurer un revenu adéquat : Fixer un salaire
les coûts du système de santé. À titre d’exemple,          minimum qui correspond au coût réel de la vie.
beaucoup de femmes âgées ont passé une bonne               Garantir l’accès à la formation professionnelle sans
partie de leur vie à prendre soin gratuitement des         imposer un prix exorbitant, des tracasseries
enfants et des membres de la famille. Par                  administratives et des règlements mal inspirés. Le
conséquent, elles n’ont pas eu un revenu élevé et          Canada est plus prospère que tous les pays européens
leurs pensions sont plus faibles. Elles sont donc plus     en fait de produit national brut (PNB) par habitant.
pauvres et doivent dépenser davantage pour leurs           Pourtant, il affecte une proportion moindre de son
soins de santé. Cette situation n’est pas viable pour      PNB à la sécurité sociale et aux autres mesures de
le système.                                                soutien au revenu (y compris l’assurance-emploi et
                                                           l’aide sociale).55
• Une hausse de la criminalité : Seule une minorité
de pauvres bascule dans la criminalité pour pouvoir        • Adopter d’autres mesures de l’économie : Dans
joindre les deux bouts. Selon une étude à long terme,      la société, on mesure le progrès et la prospérité en
les récidivistes proviennent plus souvent des familles     fonction de la croissance économique.56 D’autres
les plus pauvres et les plus mal logées. De faibles        aspects comme les ressources naturelles et sociales
revenus familiaux, qui ont été évalués lorsque les         ou le travail non rémunéré et bénévole ne font pas
enfants avaient de 8 à 10 ans, permettaient de             partie de l’évaluation officielle du progrès. Nous
prévoir l’échec social général à l’âge de 32 ans.51        mesurons ce qui a une valeur à nos yeux. Tant que le
Selon des études, la plupart des femmes qui                travail des femmes n’aura pas de valeur et tant que
commettent des infractions ont peu de scolarité, peu       les attitudes à ce sujet ne changeront pas, ce travail
de compétences professionnelles et aucune                  sera exclu des éléments considérés comme faisant
ressource financière; elles vivent seules dans des         partie d’une société saine et compatissante. Nous
conditions de pauvreté abjectes et sont incapables         devons favoriser l’utilisation d’autres formes de
de subvenir à leurs besoins.52                             mesures comme l’indice de progrès réel, qui
                                                           comprend 22 facteurs sociaux, économiques et
• L’érosion de la démocratie : Les femmes ne               environnementaux.57
peuvent participer aux structures de décisions sur
un pied d’égalité avec les hommes pour diverses            • Reconnaître le travail non rémunéré : Les milieux
raisons : elles sont les principales responsables de       de travail doivent adopter des pratiques pour aider

06                                                                                  Les femmes et la pauvreté
les femmes et les hommes à assumer leurs                   • Fournir des services de garde d’enfants : Parce
responsabilités familiales. Les gouvernements doivent      qu’elles n’ont pas des services de garde de qualité à
établir des politiques, des lois et des programmes à       prix abordable, beaucoup de femmes ne peuvent
cet égard.                                                 trouver un emploi bien rémunéré à temps plein.
                                                           Uniquement dans le Grand Toronto, 16 000 familles
• Rétablir des normes fondamentales : En 1996, le          sont inscrites sur une liste d’attente. Le tiers de ces
gouvernement fédéral a remplacé le Régime                  parents (plus de 5 000) pourraient accepter un
d’assistance publique du Canada (RAPC) par le              emploi dès demain s’ils avaient des services de
Transfert canadien en matière de santé et de pro-          garde.62
grammes sociaux (TCSPS). En 2004, il l’a divisé en
deux volets, soit le Transfert canadien en matière de      • La privatisation menace les services de garde.
santé (TCS) et le Transfert canadien en matière de         Si cela se produit, ils deviendront trop dispendieux
programmes sociaux (TCPS). Le TCS faisait partie           pour la plupart des parents et ils ne seront pas
des recommandations de la Commission Romanow,              nécessairement soumis aux normes et aux
mais il a été instauré par défaut avec l’argent            règlements. À cause de l’Accord de libre-échange
inutilisé des transferts pour la santé. Il comprend        nord-américain (ALENA), si les services de garde
les fonds versés aux provinces pour l’éducation            d’enfants cessent d’être sans but lucratif, de
postsecondaire et les programmes sociaux. Il y a           grandes chaînes commerciales qui veulent venir au
toutefois eu peu de discussions publiques quant à la       Canada et se préoccupent plus des profits que de la
manière exacte dont elles vont dépenser ces                qualité des services pourraient poursuivre le pays.
transferts sociaux.58 Durant 10 ans, le gouvernement       C’est du moins ce qui s’est produit en Australie.63 Le
fédéral a retiré des millions de dollars de la santé,      gouvernement fédéral doit respecter sa promesse de
de l’éducation et des services sociaux. Il a aussi aboli   mettre en place un programme national de garde
les normes du RAPC qui garantissaient un soutien aux       d’enfants. Il doit veiller à ce que les services soient
personnes défavorisées. Le RAPC finançait les              sans but lucratif, financés et réglementés par l’État,
maisons d’hébergement pour femmes violentées, les          accessibles, abordables et de grande qualité.64
foyers de groupes pour les personnes handicapées et
divers services pour les personnes défavorisées, ainsi     • Les services de garde d’enfants sont nécessaires
que le revenu d’aide sociale. Tout cela a été réduit de    pour les parents qui veulent offrir un revenu décent
manière radicale. Le gouvernement fédéral a renié en       à leur famille. Ils le sont aussi parce que les enfants
grande partie sa responsabilité à l’égard du problème      qui bénéficient de services réglementés de qualité
national de la pauvreté.59 Le financement global qu’il     sont plus susceptibles d’avoir de meilleurs résultats à
verse maintenant aux provinces ne prévoit pas de           l’école.65
fonds réservés à l’aide sociale ou à la réduction de la
pauvreté.                                                  • Garantir des services sociaux : Assurer l’accès
                                                           aux services sociaux, y compris les soins de santé
• Offrir des logements convenables à prix                  physique et mentale, la garde des enfants et le
abordable : Fournir des subventions afin d’adapter le      traitement pour la toxicomanie.
montant du loyer en fonction du revenu pour rendre
abordables les logements existants et maintenir le         • Offrir des allègements fiscaux aux pauvres et
loyer au niveau du marché ou moins. Créer d’autres         non aux riches : Les contribuables doivent payer des
logements à prix abordable par la réfection de vieux       impôts même avec des revenus bien inférieurs au
immeubles et la construction de nouveaux immeubles.        seuil de pauvreté. Avec de 8 500 $ à 12 000 $ par
Les listes d’attente pour un logement subventionné         année, comment fait-on pour payer la nourriture, un
comptent 96 000 personnes dans les grands centres          logement convenable, les factures, le transport, les
urbains du Canada.60 Plus de 68 % des familles             vêtements, les réparations, les besoins personnels,
pauvres avec enfants vivent dans des logements             les soins dentaires et d’autres frais médicaux non
inabordables.61 Le secteur privé ne résoudra pas ce        couverts par l’assurance-maladie, les divertissements
problème, car des logements convenables à prix             occasionnels, les obligations financières comme les
abordable ne donnent pas de profits.                       prêts pour les études ou le soutien d’autres membres
                                                           de la famille et les impôts? Comment en outre

Les femmes et la pauvreté                                                                                       07
épargner pour l’éducation, la retraite et l’achat d’appareils ménagers? Pourtant, des milliers de femmes à faible
revenu se retrouvent dans cette situation difficile. Par contre, les personnes à revenu élevé profitent
d’allègements fiscaux qui leur permettent un autre voyage de vacances outre-mer. Par ailleurs, le Canada a
abaissé le taux général d’imposition des entreprises de 28 % en 2000 à 21 % en 2004.66

• Favoriser la syndicalisation : Les femmes syndiquées gagnent 92 % du revenu des hommes syndiqués. Celles
qui ne le sont pas reçoivent jusqu’à 80 % du revenu de leurs homologues masculins.67 Les avantages de la
syndicalisation et du respect des normes du travail sont évidents.

• Assurer l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’entre les femmes : Pour éliminer la pauvreté
qui frappe les femmes, il est essentiel de réaliser l’égalité. Ceci permettra de tenir compte du point de vue des
femmes, de leur travail, rémunéré ou non, de leurs valeurs et de leurs priorités. Il est toutefois impossible d’y
arriver par une mesure unique ou par une des solutions mentionnées prise de manière isolée. La pauvreté des
femmes est le résultat d’une inégalité systémique et structurelle. Il faut donc une action systémique pour
s’attaquer à la racine de la pauvreté et des inégalités entre les sexes, y compris les inégalités entre les divers
groupes de femmes.68 La reconnaissance juridique des personnes de même sexe en tant que conjoints de fait
les soumettra aux mêmes règles en ce qui concerne les pensions alimentaires pour enfants, l’adoption et les
prestations de retraite. La reconnaissance juridique du mariage pour les personnes de même sexe partout au
Canada leur assurerait une plus grande égalité. Elles obtiendraient divers droits dont celui d’être considérées
comme plus proche parent, le droit à l’héritage et à la succession, etc. Les couples de lesbiennes
bénéficieraient alors des mêmes droits fondamentaux que les couples hétérosexuels.

L’ASSURANCE-EMPLOI : En 1997, le gouvernement fédéral a réduit                  LA PRÉCARITÉ D’EMPLOI : Au Canada,
radicalement le programme d’assurance-chômage. Il l’a renommé « assurance-      34 % de la main-d’oeuvre de plus de 15 ans
emploi », a resserré de beaucoup les critères d’admissibilité et diminué le     a un travail atypique, à temps partiel,
montant des prestations. Résultat : le nombre de personnes qui ont eu droit à   temporaire ou autonome, ou cumule
des prestations est tombé de presque 80 % vers la fin des années 1980 à         plusieurs emplois.77 Plus de femmes que
environ 30 % vers la fin des années 1990.72                                     d’hommes ont un emploi précaire. En 2003,
                                                                                plus de 28 % de la main-d’œuvre féminine
Auparavant, il fallait travailler 12 à 20 semaines (de 15 heures) pour être     (2 millions de femmes) consacrait moins
admissible aux prestations d’assurance-chômage ou d’assurance-emploi (et de     de 30 heures par semaine à son emploi
maternité). Après l’adoption des nouvelles règles, il fallait maintenant        principal. Par comparaison, 11 % des
accumuler 700 heures (soit 20 semaines de 35 heures ou 46,6 semaines de 15      hommes se retrouvaient dans cette
heures, selon le taux régional de chômage).73 Les prestations n’étaient plus    situation.78 Selon les statistiques de 2001,
établies en fonction du nombre de semaines de travail, mais en fonction du      le pourcentage de femmes ayant un travail
nombre d’heures. À la suite de certaines pressions publiques, le gouvernement   rémunéré était de 59,7 % par rapport à
fédéral a été forcé, en 2001, de réduire à 600 le nombre d’heures requis. Au    72,5% pour les hommes.79
même moment, il a abrogé la Loi nationale sur la formation et il a aboli        Les personnes qui ont un emploi précaire
39 programmes d’emplois dont ceux destinés aux femmes.74                        ne bénéficient pas toujours de la protec-
                                                                                tion des codes du travail ou des conven-
Le programme d’assurance-emploi offre maintenant un congé parental d’une        tions collectives. Au Canada, de plus en
durée de 50 semaines, mais il touche seulement un petit nombre de femmes.       plus de gens sont forcés d’accepter du
En fait, 10 000 femmes de moins qu’avant ont pu profiter du congé de            travail à contrat et/ou à temps partiel.
maternité.75 Même quand elles sont admissibles, le taux des prestations         Selon une récente étude, le salaire du
correspond à 55 % des revenus assurables. Or, leurs revenus ne sont pas         personnel nouvellement embauché a
toujours entièrement assurables, c’est notamment le cas du travail à contrat.   fortement chuté par rapport à celui du
Les prestations de maternité et d’assurance-emploi peuvent parfois fournir un   reste du personnel. Dans le secteur privé,
maximum de 413 $ par semaine. Dans bien des cas, ce montant ne suffit même      le pourcentage de personnes récemment
pas à payer le loyer. Il y a aussi une période d’attente obligatoire de deux    embauchées à un poste temporaire a
semaines avant de toucher quoi que ce soit. Pourtant, c’est le moment où une    grimpé de 11 % à 21 % de 1989 à 2004.
femme enceinte ou une nouvelle mère a le plus besoin d’un revenu. Par           (voir : 
42 semaines avec plein salaire et 52 semaines avec 80 % du salaire. 76

08                                                                                            Les femmes et la pauvreté
LES PRESTATIONS POUR ENFANTS :                     LA MONDIALISATION ET LA PAUVRETÉ DES FEMMES : Par
 En 1989, la Chambre des communes a adopté
 à l’unanimité une résolution visant à mettre Resources:
                                                    mondialisation, on entend un ensemble de processus qui facilitent en
                                                    partie une meilleure circulation des matériaux, des produits, des
 fin à la pauvreté des enfants d’ici l’an 2000.     services, des symboles et des pratiques culturelles, tout comme la
 Fait ironique, le taux de pauvreté infantile a     communication entre les groupes, les communautés et les nations. Même
 grimpé de 15 % à 18 % durant la décennie           si les processus en question servent à rapprocher les gens, leur rapidité
 qui a suivi.80 Parmi les pays industrialisés, le   et leur intensité créent également des problèmes. On insiste sur le
 Canada conserve l’un des plus haut taux de         commerce comme moyen d’améliorer la vie des populations partout dans
 pauvreté infantile.81 Même si ce taux a            le monde.88 Parallèlement, on dégrade le filet de sécurité sociale
 diminué un peu en 2000-2001, il atteignait         qu’offrent les gouvernements. Ainsi, la richesse continue de se
 15,7 %.82 Pour s’attaquer à ce problème, il        concentrer entre les mains des gens déjà puissants et privilégiés.
 faut adopter une approche globale qui              Pendant ce temps, les groupes traditionnellement désavantagés, comme
 comprend diverses mesures dont le                  les femmes (surtout celles qui sont marginalisées), sombrent encore
 renforcement de différentes politiques             plus dans la pauvreté ou courent encore plus le risque de devenir
 sociales relatives aux prestations                 pauvres.
 d’assurance-emploi, de maternité et d’aide
 sociale ainsi qu’au logement.                      Les marchés économiques mondiaux sont intégrés à l’aide d’accords de
 Le gouvernement fédéral a pris                     libre-échange. Les gouvernements sont alors forcés de réduire le taux
 l’engagement d’augmenter la Prestation             d’imposition des entreprises pour rendre leur pays et leurs villes plus
 fiscale canadienne pour enfants jusqu’à un         « compétitifs » (plus invitants pour les investissements étrangers) tout
 maximum de 3 243 $ pour un enfant d’ici            en enlevant aux programmes sociaux les fonds nécessaires. Quand ils
 2007.83 Les organismes nationaux ont               ont dépensé cet argent pour les entreprises, les gouvernements ne
 toutefois réclamé un montant annuel de             peuvent plus se permettre de payer des services essentiels comme les
 4 900 $.84 La Prestation est un montant de         soins de santé et les services de garde d’enfants. Ils invitent alors les
 base versé chaque mois aux familles avec           compagnies privées à les offrir; elles le font, mais, en général, à des
 des enfants de moins de 18 ans. Le                 prix trop élevés pour les familles à revenu faible ou moyen. Voilà les
 Supplément de la prestation nationale pour         effets qu’ont les ententes internationales de commerce comme l’Accord
 enfants est un montant supplémentaire              de libre-échange nord-américain (ALENA) et l’Accord de libre-échange
 accordé aux familles à faible revenu avec          entre le Canada et les États-Unis (ALÉ). Qualifiés de simples instru-
 enfants.85                                         ments pour favoriser le passage des biens aux frontières, ces accords
                                                    bouleversent, en réalité, bien des aspects de nos vies, par exemple les
 La majorité des provinces ont récupéré             politiques en matière d’éducation, de santé et d’emploi. Même si les
 chaque dollar d’augmentation du Supplément         gouvernements sont censés agir de manière transparente, ils décident
 que recevaient les familles touchant de            en secret les détails des accords de libre-échange.89
 l’aide sociale; elles ont déduit de leurs
 prestations d’aide sociale le montant total        Parfois, des ONG et des organismes confessionnels tentent de combler
 du Supplément. Beaucoup de provinces               le vide laissé par le gouvernement qui a supprimé ou réduit des services.
 considèrent en effet le Supplément comme           La plupart du temps, le gouvernement réduit les fonds qu’il accorde à
 un revenu.86 Cette politique repose sur le         ces groupes et il ouvre la porte aux multinationales. Ces dernières ne
 stéréotype suivant : les pauvres ne veulent        sont toutefois pas soumises aux normes qui régissent le coût des
 pas travailler, il faut donc « inciter » les       services, les salaires et les conditions de travail. Les pressions en
 gens, surtout les femmes, à trouver un             faveur d’une « réduction de la taille du gouvernement » mènent aussi à
 emploi en les forçant à voir leurs enfants         une perte du pouvoir de réglementer les entreprises et d’exiger des
 souffrir de la faim. Le gouvernement appelle       impôts. Sans des mesures de reddition des comptes, les plus pauvres
 cet argent qu’il enlève aux familles des           sont souvent les plus exploités : ils n’ont plus le moyen de se payer des
 « économies » qu’il est supposé réinvestir         services essentiels ou ils sont forcés de travailler pour les
 dans les programmes pour aider les familles        multinationales au salaire minimum (ou moins) avec des avantages
 à faible revenu avec enfants. Le soutien aux       sociaux insuffisants, voire inexistants. Encore une fois, les femmes
 enfants vivant de l’aide sociale a diminué         (surtout celles qui sont marginalisées) sont beaucoup plus touchées que
 malgré la Prestation nationale pour enfants.       les hommes par les actions des gouvernements. Ceci tient notamment au
 Selon les estimations, la récupération a fait      fait qu’elles sont forcées d’assumer en grande partie les soins aux
 en sorte que seulement 66 % des familles           enfants et qu’elles ont des emplois plus précaires. Comme les femmes
 pauvres avec enfants ont pu profiter de la         risquent davantage de tomber dans la pauvreté, elles doivent plus
 Prestation en 1998 et en 1999. Environ la          souvent compter sur le filet de sécurité sociale que les hommes. À
 moitié (57 %) des familles monoparentales          mesure que les gouvernements rapetissent sous la pression de la
 pauvres ont pu conserver le Supplément.87          mondialisation, l’accès des femmes aux services sociaux, à l’emploi et
                                                    aux avantages diminue également.

Les femmes et la pauvreté                                                                                                  09
L’ÉQUITÉ SALARIALE : Inscrite dans des conventions et des traités internationaux divers, l’équité salariale fait partie des droits
 fondamentaux. Elle repose sur le principe voulant qu’il n’y ait aucune discrimination fondée sur le sexe dans les salaires versés. Elle
 s’inspire de la Loi canadienne sur les droits de la personne et des dispositions relatives à l’égalité contenues dans la Charte canadienne
 des droits et libertés. Pourtant, les femmes gagnent encore en moyenne seulement 71 % du revenu des hommes.90 Dans certaines
 provinces comme Terre-Neuve-et-Labrador, le revenu féminin correspond à peine à 62,4 % du revenu masculin.91 La lutte pour l’équité
 salariale comporte trois aspects importants, mais différents. Le premier est l’idée d’un salaire égal pour un travail égal. Cela signifie
 comparer les emplois masculins et féminins, lorsque ces emplois sont semblables ou relativement semblables, pour vérifier s’il existe
 des différences de salaires. Le deuxième est l’idée d’un salaire égal pour un travail d’égale valeur. Cela consiste à comparer différents
 emplois considérés « masculins » ou «féminins » afin de réduire l’écart salarial. Le troisième concerne la législation relative à l’équité
 salariale, c’est-à-dire les lois et les programmes destinés à réaliser l’équité salariale de manière proactive parce qu’il ne devrait pas
 être nécessaire de déposer une plainte pour atteindre cet objectif.92
 Même si les lois et le système judiciaire du Canada protègent l’équité salariale, les femmes restent concentrées dans des emplois
 féminins traditionnels qui sont généralement moins bien payés et plus précaires. Récemment, la lutte pour l’équité salariale a subi un
 grave revers. La Cour suprême avait statué que le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador était coupable de discrimination envers
 les membres de la Newfoundland Association of Public Employees (dans le système de santé) parce qu’il avait retenu, en 1991, des
 paiements rétroactifs d’équité salariale. Elle a toutefois aussi déclaré que cette action était justifiée en raison de la situation
 financière de la province.93 Le message était donc clair : l’égalité des femmes n’est pas aussi importante que l’économie.
 En 2001, le gouvernement fédéral a constitué le Groupe de travail sur l’équité salariale. Il a par la suite adopté certaines des
 recommandations de ce dernier. Pour qu’il les applique toutes, l’ICREF mène une campagne avec de nombreux groupes de femmes, des
 coalitions provinciales pour l’équité salariale et le Congrès du travail du Canada. Pour en savoir plus sur le Réseau de l’équité salariale,
 consultez le site Internet .
 L’équité en matière d’emploi est aussi importante. Par exemple, les femmes autochtones travaillant dans des milieux soumis aux lois
 fédérales d’équité en matière d’emploi gagnaient 33 310 $, soit 87 % du salaire de leurs collègues de sexe féminin.94 La plupart des
 autres femmes autochtones touchaient des revenus annuels moyens sous le seuil de pauvreté et l’écart était encore plus large par
 rapport au salaire des autres Canadiennes.

CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE

• Parlez à vos élus et demandez-leur quelles mesures concrètes ils choisiront parmi la liste ci-dessus pour réduire ou
éliminer la pauvreté des femmes. Demandez-leur de fixer des cibles et des calendriers réalistes puis d’en faire une
priorité. Faites le suivi pour voir s’ils ont tenu parole.
• Appuyez les organisations qui soutiennent les pauvres et leur fournissent des services : les organisations de défense des
droits; les refuges; les banques alimentaires; les groupes de femmes; et les organisations de développement international
qui tiennent compte des rôles masculins et féminins dans leurs programmes de développement économique.69 Appuyez les
campagnes en faveur d’un salaire minimum décent.
• Quand vous entendez quelqu’un dire « tous les assistés sociaux… », protestez contre le préjugé! On ne doit jamais
stigmatiser tout un groupe à cause des actions de quelques individus. Quand les médias s’acharnent contre les pauvres,
écrivez aux responsables.
• Cherchez des vêtements et d’autres produits du commerce équitable. Assurez-vous que votre argent ne contribue pas à
l’exploitation des femmes dans les industries du vêtement ou en agriculture. Pour en savoir plus, visitez le site Internet du
réseau Ten Thousand Villages à l’adresse .
• Appuyez ou créez une coopérative de buanderie, un groupe d’achats en vrac, une coopérative de logement, un programme
parascolaire gratuit, un fonds pour permettre aux filles de participer à des sports organisés et à d’autres activités, un
magasin de vêtements et de biens équitables.
• Informez-vous des salaires et des conditions de travail des femmes dans les entreprises locales. Appuyez celles qui les
paient bien et les traitent bien.
• Si vous avez un emploi non syndiqué, envisagez la possibilité de former un syndicat dans votre milieu de travail ou de
promouvoir de meilleures normes de travail. Formez un groupe de pression avec vos collègues afin d’obtenir des conditions
plus souples pour les personnes ayant des responsabilités familiales. Connaissez vos droits.
• Si vous êtes un homme, assumez votre juste part des travaux ménagers et des soins aux enfants. Parlez à d’autres
hommes de l’importance de ce travail. Traitez avec le même respect toutes les femmes et tous les hommes que vous
connaissez. Passez de la parole aux actes en participant à des activités comme celles de la Campagne du ruban blanc. Pour
en savoir plus, visitez le site Internet .
• Persuadez tout groupe auquel vous appartenez : milieu de travail, lieu de culte, syndicat, club de lecture, groupe
d’entraide, équipe de bowling, etc. de s’attaquer au problème de la pauvreté en général et de la pauvreté chez les femmes
et les enfants en particulier. Luttez contre la pauvreté dans votre communauté et dans le monde.
• Si vous vivez dans la pauvreté, ne vous découragez pas. Vous êtes une personne incroyablement forte et compétente
puisque vous survivez dans des conditions injustes et dégradantes. Vous n’êtes pas seules.

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