Les Fleurs du mal De BAUDELAIRE - Développement des clés d'analyse
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Les Fleurs du mal De BAUDELAIRE Développement des clés d’analyse Par Françoise Rullier-Theuret Petits Classiques Larousse -1- Les Fleurs du mal de Baudelaire
L’Albatros Clefs d’analyse Compréhension La composition du poème • Observer la progression des trois premières strophes décrivant une anecdote cruelle (capture de l’oiseau par les marins, maladresse de l’oiseau sur le pont, cruauté des marins et souffrance de l’oiseau). Les trois premières strophes rapportent une petite scène (révoltante) de la vie en mer (« mers » v. 2, rimant avec « amers » v. 4 – rime inclusive, parce que le deuxième mot contient le premier). « Souvent » donne l’action comme ordinaire (cas général). Le déroulement de l’histoire est marqué par le découpage des strophes. Le poème est écrit selon un schéma strophique régulier de quatre quatrains d’alexandrins à rimes croisées (ce n’est pas une forme fixe). La première strophe n’accorde pas la même importance aux différents acteurs ; elle désigne les marins par une périphrase « les hommes d’équipage », et c’est aux victimes, les albatros, que l’auteur accorde son attention : le nom occupe, derrière un enjambement, une place privilégiée à la césure (v. 2). Par la suite, les marins ne seront plus désignés que par des pronoms qui ont pour effet de les banaliser, les effacer (« ils », « l’un », « l’autre »), tandis que les albatros recevront des désignations métaphoriques valorisantes (« rois de l’azur », « voyageur ailé », « prince des nuées », « géant »). La figure de la périphrase, par son ampleur, convient le mieux pour suggérer la splendeur et la noblesse. Cette première strophe met donc en relief la coexistence de deux mondes opposés : celui des hommes (navire) et celui des oiseaux (immensité de l’air et de l’eau). Petits Classiques Larousse -2- Les Fleurs du mal de Baudelaire
La deuxième strophe introduit une brusque rupture « déposés sur les planches », qui génère une série d’oppositions (entre un avant et un après). Baudelaire se sert de deux champs lexicaux contradictoires pour décrire l’albatros. D’un côté celui de la grandeur et de l’orgueil, de l’autre celui de la petitesse et du ridicule. Les lieux : « les planches » v. 5 (métonymie : la matière désigne le bateau) s’opposent à « l’azur » v. 6. Derrière le choix du mot « planches » on voit se dessiner l’image du monde comme un théâtre (« mime » v.12), où se joue l’amère comédie humaine, où tous les êtres sont acteurs, les uns bourreaux, les autres victimes et où le poète se figure sous les traits romantiques du bouffon (« comique et laid » v.10), voir Starobinski. Les situations se répondent entre les deux hémistiches dans le v.6 : au vol triomphal des « rois de l’azur » (métaphore), correspond une inadaptation tragique et pitoyable « maladroits et honteux », les images de l’oiseau forment une antithèse : l’expression « leurs grandes ailes blanches » évoque le vol majestueux, tandis que la comparaison « comme des avirons » et le verbe « traîner » supposent que ces ailes sont désormais inutiles et encombrantes. Lourdeur de l’adverbe « piteusement ». La structure de la strophe représente la situation de victime des oiseaux, enfermées entre le v.5 et le v.8 qui définissent un univers nouveau (« planches », « avirons »), encadrant les deux vers dans lesquels sont exprimées les oppositions. L’oiseau est emprisonné dans une situation dévalorisante. La troisième strophe constitue une aggravation de la strophe précédente en ce qui concerne la situation des oiseaux. C’est ce que souligne le ton exclamatif. Elle décrit les sévices dont les oiseaux sont victimes. Les oppositions du deuxième quatrain sont reprises dans une double exclamation « comme... », « qu’il... » et sont construites de manière similaire après la césure. On remarque une disproportion entre les qualificatifs élogieux « ailé », « beau », et les adjectifs dépréciatifs énoncés systématiquement deux par deux « gauche et veule », « comique et laid ». La multiplicité des sévices est soulignée par la multiplication des sujets « l’un », « l’autre » (alors qu’au même moment l’albatros est devenu une figure singulière, il a quitté le pluriel grammatical du début, pour un singulier qui le désigne comme un individu « ce », « lui »), la méchanceté par le choix des verbes « agace », « mime ». Le mot familier du langage des matelots « brûle-gueule », qui désigne une pipe, évoque en même temps une torture « brûler la gueule ». La strophe se termine par une formule frappante « l’infirme qui volait », contradiction entre les termes, imparfait qui rappelle la perte du vol, et le choix du mot « infirme » (immobilisation, mutilation, dégradation de l’individu), qui vise à éveiller chez le lecteur un sentiment de révolte : récit moralisant (distingue clairement « les bons » des « méchants ») Ainsi se termine la partie narrative du texte. Limité à ces trois strophes, le poème se présente comme le récit d’une scène cruelle de la vie en mer, qui inspire au narrateur une émotion compatissante. Petits Classiques Larousse -3- Les Fleurs du mal de Baudelaire
La majesté de l’oiseau • Observez les noms et les adjectifs qui désignent l’albatros : métaphores et périphrases qui disent la majesté du vol, adjectifs qui qualifient la mer ou l’humain (personnification). Les précisions qui accompagnent la mention des albatros sont remarquables : l’adjectif « vastes » s’appliquerait mieux à l’espace qu’à l’oiseau, « indolent » insiste sur la facilité du vol, « compagnons » en fait des personnes (personnification). L’ensemble souligne la majesté du vol, l’adaptation à l’espace aérien, la nonchalance élégante et l’absence totale d’hostilité. L’harmonie du vol est suggérée par l’harmonie des rythmes et des sons : les mots choisis sont longs, les sonorités assourdies par de nombreuses voyelles nasalisées. • Relevez les mots et images qui évoquent la liberté. v. 2 « vastes oiseaux des mers » v. 3 « indolents compagnons de voyage » v. 6 « rois de l’azur » v.7 « leurs grandes ailes blanches » v. 9 « Ce voyageur ailé » v. 12 « prince des nuées » v. 14 « Ses ailes de géant » Le retournement • Relevez les actions des marins. str. 1 ils « prennent des albatros » str. 2 ils les déposent « sur les planches » str. 3 « L’un agace son bec avec un brûle-gueule » (ils s’amusent à le faire fumer ou à lui brûler le bec) « L’autre mime, en boitant [...] » Les hommes d’équipage, triviaux (« brûle-gueule »), brutaux, violents, représentent le commun des mortels, toujours empressés de se « rire » de l’artiste qu’ils peuvent trop facilement soumettre à la loi du sol et de la matière. Ils sont la multitude inconsciente du génie du poète. Ils veulent « s’amuser » v.1. • Relevez les figures de la contradiction entre les mots. v. 6 « ces rois de l’azur, maladroits et honteux » v. 7 « piteusement leurs grandes ailes blanches » v. 9 « Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! » v. 12 « l’infirme qui volait » v. 16 « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher » Petits Classiques Larousse -4- Les Fleurs du mal de Baudelaire
Le texte permet, grâce au symbole et à l’allégorie, de représenter la double condition de l’artiste, l’adaptation à un contexte élevé, l’inadaptation au monde humain malveillant. L’albatros : le poète face à la foule (image romantique de l’isolement de l’homme de génie). Destiné, comme l’oiseau marin, aux grands espaces de liberté, le poète se sent aliéné dans le monde étroit des mesquineries et des petitesses. Son génie même, inadapté à la bassesse des réalités matérielles, le désigne à la vindicte populaire. L’albatros constitue ainsi une allégorie qui exprime la tension du poète au sein de la société (grandeur et inaptitude). Le poète appartient en tant que créateur au monde de l’idéal, de l’infini, de l’absolu, figuré par l’élément marin et aérien, tandis que les données concrètes de son existence sont des entraves et le transforment en inadapté, en exilé. L’incompréhension dont il est l’objet se transforme en ostracisme, il devient une sorte de bouc émissaire, victime passive et muette. Baudelaire révèle à travers cette image la contradiction à laquelle tout artiste est confronté : mû par un sentiment d’extrême différence et de supériorité quasi aristocratique, le poète ne peut créer sans appartenir au monde qui le rejette et le méconnaît. Poète dandy, il écrit en se traînant « sur les planches », le regard perdu vers l’infini. Petits Classiques Larousse -5- Les Fleurs du mal de Baudelaire
Réflexion La comparaison • Relevez la comparaison qui ouvre la quatrième strophe. v.13 « Le poète est semblable au prince des nuées » la 4e strophe explicite le comparé, après trois strophes consacrées au comparant antéposé (disproportion entre le comparant et le comparé, effet de retard). = je ne vous parlais pas de l’albatros, mais du poète (moi). Cette strophe semble aborder de manière très abrupte (aucun mot de liaison) un thème nouveau, avec un nouveau sujet grammatical « le poète ». Mais la lecture de cette strophe fait apparaître un jeu de correspondances avec les strophes précédentes, qui confère aux trois premières une valeur symbolique. La clé des « correspondances » est l’adjectif « semblable » qui établit les analogies entre les éléments. Le quatrain se décompose en deux distiques antinomiques. Les v. 13 et 14 renvoient à la situation première de l’oiseau « prince des nuées » reprend « rois de l’azur ». Les v. 15 et 16 renvoient à sa condition de prisonnier victime de la cruauté humaine « exilé sur le sol » reprend « sur les planches », « huées » reprend « mime » et « comique », « empêchent de marcher » reprend « infirme ». Rétrospectivement, l’anecdote se dévoile comme une parabole (on appelle « parabole » les récits allégoriques utilisés dans les textes sacrés pour faire passer une leçon religieuse ou morale. La parabole implique nécessairement deux plans qui ont chacun une cohérence complète et indépendante : le plan de l’anecdote concrète et simple, et celui de l’enseignement. On passe d’un plan à l’autre par un système d’analogie). La scène dépasse donc le cadre anecdotique, elle doit être lue comme une allégorie (parabole). • Cherchez les expressions qui peuvent s’appliquer au poète aussi bien qu’à l’oiseau. La personnification constante (« compagnons de voyage », « voyageurs », « infirme », « rois », « prince », images de l’aristocratie de l’esprit) de l’oiseau préparait bien sûr cette application au poète. L’albatros devient dès lors le symbole du poète incompris dont le séjour sur terre est vécu comme un exil. Petits Classiques Larousse -6- Les Fleurs du mal de Baudelaire
La souffrance de l’artiste • Définissez la position de l’artiste dans ce monde-ci. Selon Victor Hugo, l’artiste doit prendre parti dans la société (mouvement romantique en général), il doit être un devin, un mage, un guide, un intercesseur entre les hommes et Dieu. Cependant, déjà chez Hugo, le poète est un poète-Christ, voué à la souffrance. Ce thème de la souffrance de l’artiste devient premier chez Baudelaire. Il accepte le schéma romantique et il l’amplifie : le poète est un être exceptionnel, il a l’orgueil d’être choisi, mais en découle la nécessité de souffrir davantage, il est incompris des hommes – voir Musset, « La Nuit de mai » : image du pélican dévoré par ses petits. L’albatros représente le poète pris dans ses contradictions, à la fois dans le monde et hors du monde, il est celui qui peut planer sur la vie, mais doit redescendre à un moment ou à un autre sur terre. Le poète n’appartient ni vraiment au monde des hommes, ni vraiment au monde surnaturel. Celui qui comprend le langage des fleurs et des choses muettes est sacrifié, du fait de sa position entre les choses ineffables du monde d’en haut et les stupides mortels du monde d’en bas. Le fait même qu’il soit poète, différent des autres et encombré d’un mystérieux savoir, suscite la méfiance. • Montrez comment il est écartelé entre le monde d’ici-bas et la tentation de l’azur. Tout au long des Fleurs du mal, Baudelaire se décrit comme l’homo duplex, l’être déchiré entre deux postulations contradictoires : le vice et l’idéal, le mal et le bien, Satan et Dieu. C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter la figure maudite de l’albatros. Le symbolisme dans l’albatros, à la différence du symbolisme associatif très complexe qu’on voit à l’œuvre dans d’autres poèmes des Fleurs du mal, s’inscrit dans la tradition du symbole = illustration concrète, mise en image, de données abstraites ou conceptuelles. On peut ainsi « décoder » aisément les éléments majeurs de la transposition symbolique dans ce poème : - l’oiseau représente le poète lui-même avec sa capacité d’envol et de liberté, d’élan, d’élévation, mais sa faiblesse aussi, car il représente une proie facile, il devient une victime handicapée et désarmée dès lors qu’il est arraché aux hauteurs pour lesquelles il est fait. Il possède des ailes qui font sa joie, qui lui donnent la possibilité d’atteindre l’idéal, mais qui lui rendent impossible de demeurer sur terre. Le poète est un être supérieur et isolé, incompris et méprisé, qui n’est plus dans son élément lorsqu’il quitte les hautes sphères de l’inspiration majestueuse et belle (l’idéal). L’image de l’albatros (et plus généralement de l’oiseau blanc, en latin alb- signifie blanc) est également une convention littéraire (de nombreux poètes ont eu recours au symbole de l’oiseau pour figurer le poète : l’aigle royal chez les romantiques, le condor chez Leconte de Lisle, le même symbole sera repris par Mallarmé sous forme d’un cygne aux ailes prises par les glaces qui regarde vers le ciel). Évidemment, cette représentation sous le symbole d’un oiseau est plus attendue que le « crapaud » que tu vas trouver juste après (Tristan Corbière). Petits Classiques Larousse -7- Les Fleurs du mal de Baudelaire
- le navire, à la différence de celui sur lequel le poète rêvera de s’embarquer dans le dernier poème du recueil, symbolise ici l’espace limité et contraignant du monde matériel, le voyage de la vie dans lequel le poète et la foule se rencontrent (il y a une figure dérivative qui souligne l’importance du thème ; « voyage », « voyageurs »). Le bateau n’est ni un outil de dépaysement, ni de conquête de l’ailleurs, mais un « plancher » vulgaire, un « sol » aplati, un espace réducteur et traumatisant où l’oiseau-poète ne peut que s’abîmer et dépérir. Il figure aussi l’époque et le milieu où le poète a connu le hasard de vivre. - l’océan (infini d’un espace extérieur aux données sociales), enfin, avec ses gouffres amers qui contrastent avec l’azur, où les nuées et la tempête figurent le cours de l’histoire collective, représente pour le génie individuel de l’artiste une menace et une fatalité (risque de se laisser attraper, peut-être récupérer). Les « gouffres amers » figurent l’angoisse de l’homme devant l’inconnu (mort, enfers... c’est l’image inverse du soleil et de l’idéal). Le voyage sur l’océan est évidemment symbolique (la vie humaine, l’histoire humaine). On remarquera la répartition des quatre éléments : l’eau et l’air pour l’albatros, la terre (sol) et le feu (brûle-gueule) pour les hommes. Petits Classiques Larousse -8- Les Fleurs du mal de Baudelaire
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