Thierry RABOUD Crever l'écran - Éditions Empreintes Chavannes-près-Renens, 2019 - ch Stiftung

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Thierry RABOUD Crever l'écran - Éditions Empreintes Chavannes-près-Renens, 2019 - ch Stiftung
Thierry RABOUD
Crever l'écran
Éditions Empreintes
Chavannes-près-Renens, 2019

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Thierry RABOUD Crever l'écran - Éditions Empreintes Chavannes-près-Renens, 2019 - ch Stiftung
Thierry RABOUD
                                               Crever l'écran

Roman, 160 Seiten / pages / pagine
Éditions empreintes, Chavannes-près-Renens, 2019
CHF 21.00
ISBN 978-2-940505-36-4
www.empreintes.ch

Inhaltsübersicht / Bref résumé / Breve riassunto
Minimaliste et engagé, Crever l’écran interroge notre aliénation au numérique,
en comparant le temps d’« #avant » à celui d’« #après » Internet, pour
reprendre les deux titres sous lesquels est distribuée les soixante poèmes,
courts en denses comme des textos ou des tweets, qui composent le recueil.
Sans nostalgie ni technophobie, mais avec une lucidité aux aguets, Thierry
Raboud analyse notre perception de soi dans un monde digital de plus en plus protéifome. Confiant
malgré tout dans le pouvoir de la poésie et des mots, il démonte le langage pour faire renaître le sens par
des jeux de mots, d’assonances et d’allitération jamais gratuits.
« Quand j’ai vu le jour, Internet n’existait pas. Que je serai mort, je vivrai toujours. Je fais partie d’un
temps inquiet : un futur augmenté nous est promis, un avenir incertain nous attend. »

Begründung des Vorschlags / Motivation de la proposition / Motivazione della proposta
« Avec beaucoup de talent, dans une langue aussi riche qu’épurée, Crever l’écran se donne comme le
récit d’une transformation, d’une liquéfaction de soi où l’on se réjouit de rencontrer, sans moralisme,
certaines des questions les plus cruciales du monde contemporain. Une expérience poétique à faire de
toute urgence. »
Aurélien Maignant, Viceversalittérature.ch, 24 mai 2019

Biografie / Biographie / Biografia
Né en 1987, Thierry Raboud est journaliste culturel au quotidien La Liberté (Fribourg) et guitariste.
Musicien et musicologue, formé aux Universités de Lausanne et Fribourg ainsi qu’à la Haute école de
musique de Lausanne, il développe une pratique artistique où dialoguent littérature et musique.
Crever l’écran est son premier recueil de poèmes; il lui a valu le Prix de Poésie de la Fondation Pierrette
Micheloud 2020.
Thierry RABOUD Crever l'écran - Éditions Empreintes Chavannes-près-Renens, 2019 - ch Stiftung
Thierry Raboud

                         Publié avec l’aide de la Fondation Leenaards.

Crever l’écran

                                      www.empreintes.ch

                                  © 2019, Éditions Empreintes,
                         case postale 6, CH-1022 Chavannes-près-Renens

                                    ISbn 978-2-940505-36-4

   Editions Empreintes
e-monde

                                    Graffiti, gare de Vevey, 19 mai 2018
En mémoire de Philippe Rahmy,

à José-Flore Tappy              Notre attention au réel comme nos capacités d’agir
                                sur lui passent aujourd’hui majoritairement par
et à ma fille.                  l’intermédiaire d’appareillages techniques qui
                                conditionnent ce que nous sentons, pensons,
                                exprimons et faisons.

                                                             Yves Citton

                                Nous avons été dépossédés de tout,
                                même du désert.

                                                            Emil Cioran
Je n’étais

         Pas né

#avant   Ou si peu

           13
J’avais soif     Je creusais
De tout regard   Les poches pleines
Et croyais       D’une terre conquise
Tel épris
Sûr de prendre   Hautes luttes
Vie              Sous les ongles
                 Germait le savoir

     14               15
Langue envieuse            Chaque jour
De toute nuit              Monter à bord
J’avançais                 Perdu
                           Un risque à prendre
Couru de retard            Ou à l’essai
Enduit d’ennui             Tenter si bien

Le hasard ajouré           Nous n’avions peur
Fut notre courte échelle   D’aucune nuit

          16                      17
Nous vivions             Nous souvenir
Au présent simple        Ouvrir le sens
                         Comme un fruit mûr
Je prenais l’air         À l’odeur lente
Du temps                 Et sûre
Pour ce qu’il était
                         Blessure
Une goûteuse égoutture   Hâtée d’un dieu
Léchée de mémoire        Tombé trop vite
                         Sous le sens
Souviens-toi
                         Remuer ciel
                         Se taire

       18                     19
Il pleuvait             Il n’y avait d’eau
Sans prévenir           Qu’à l’humeur des aurores
                        Essorant nos déboires
Aux paumes du ciel
Élire demain            D’une mer à voir
À mains levées          Suer bouche bée

L’orage applaudissait   Tyran d’eau
Notre impudence         Pluie soumise
                        Au courant

                        Tu douchais
                        Mes espoirs

         20                    21
Nous aimions         J’étais sûr
                     De moi
Suspendre le temps   Au moins

Le laisser sécher    Que le soi
                     Soit un oiseau
                     Volé aux éclats
                     Du nid défait

                     J’étais sûr
                     De toi
                     À moi

      22                  23
Antonio Rodriguez: Dans l’avant‐propos de votre recueil, vous évoquez le poète comme une «vigie des
mots» face à un monde devenu «liquide et interconnecté». Pourquoi et comment la poésie peut servir de
rempart à un délitement aujourd’hui ? S’agit‐il de bâtir des formes avec des mots «solides»?

Thierry Raboud: Par sa profonde densité, son absolue concentration du sens, le poème tel que je le conçois
exige une attention entière, ralentie. Au vertige du scroll infini, aux temps superposés du web, à ce présent
perpétuel, il oppose l’intensité du mot esseulé sur la page, pierre de touche d’un nouveau rapport à la réalité.
Le poème est décélération. En cela, il est effectivement rempart à l’effritement que provoque notre
asservissement au numérique.

J’aime à voir la poésie comme cette tour de vigie, émergée du tumulte. Les poètes, notamment en Suisse
romande, y ont longtemps chanté rêveusement les beautés du monde alentour. Mais il y a désormais
urgence ; les romanciers, les essayistes, les cinéastes l’ont bien compris. Il s’agit de poser un regard critique sur
ce que nous devenons, esseulés bien qu’interconnectés.

L’époque exige du poète‐vigie qu’il s’immerge, lui aussi, dans cette «société liquide» décrite par Zygmunt
Bauman, qu’il abandonne la contemplation pour l’engagement. En redonnant aux mots leur pleine intensité, il
peut inventer de véritables points d’appui sur lesquels rebâtir une conscience collective du monde.

A.R.: L’inquiétude portée par ce recueil, qui consiste à «crever l’écran», concerne‐t‐elle davantage
l’humanité «augmentée» par des attributs numériques, la dissolution des liens aujourd’hui ou l’orgueil
insensé de vouloir survivre par les innovations sans suffisamment se rappeler de ce qu’est le vivant ?

T.R.: Au cœur de ce recueil, il y a la prise de conscience de l’extraordinaire rapidité avec laquelle le numérique
a investi notre existence. Je suis né juste avant l’invention du Web, en 1987. Dix ans plus tard apparaît le
Tamagotchi, petite bestiole virtuelle qui amorce le principe d’une dépendance aux écrans. L’ordinateur Deep
Blue remporte la partie contre le champion du monde des échecs, Google tisse sa toile. En 2007, le premier
iPhone arrive sur le marché. Et aujourd’hui, en 2019, plus de la moitié de la population mondiale est
connectée à internet.

Cela s’est fait à une vitesse inouïe! En 30 ans, le numérique a changé la face du monde sans que nous n’ayons
jamais appris à nous en servir autrement qu’intuitivement. Il a modifié, cartographié, accéléré notre
appréhension du réel. Il a affecté les conditions d’émergence de notre pensée, virtualisé nos relations
interpersonnelles, rendu obsolètes nos facultés mémorielles. Notre point de vue sur le monde passe
aujourd’hui par cette minuscule fenêtre, écran de poche qui nous augmente et nous asservit. Ce n’est pas une
simple révolution technologique, c’est une mutation anthropologique, que j’ai tenté de mettre en mots.
Explorer ce qu’il reste de vivant en nous une fois les écrans éteints, sonder le moi profond pour voir comment,
diffracté en tant de plateformes, il peut demeurer le socle de notre identité intime ou collective, voilà
l’ambition de ce recueil. Plutôt qu’une poésie inquiète : une poésie alerte, une poésie d’alerte.

A.R. : Le danger aujourd’hui ne semble‐t‐il pas aussi celui d’une nostalgie et de revenir en arrière vers un
XXe siècle qui a tout de même porté de nombreux totalitarismes, des génocides et des «crimes contre
l’humanité» ? En quoi le présent sert‐il de rempart aux risques du futur et du passé?

T.R.: En ne cédant pas à la technophobie, il s’agit aussi de se prémunir du « mieux avant », de cette nostalgie
confortable qui nous dédouanerait d’une vraie confrontation aux enjeux de l’ère contemporaine.

Bien sûr le XXe siècle, tout déconnecté qu’il fût, a exploré tous les registres de l’inhumanité. Non, ce n’était pas
mieux avant. Il faudrait pourtant que ce soit mieux aujourd’hui. Porter un regard critique sur notre époque,
c’est résister à la tyrannie de l’immédiateté, manière d’étaler le présent jusqu’au seuil du passé et du futur
pour en apprendre. Quand les historiens nous rappellent la litanie de l’horreur, quand la science‐fiction
suggère des lendemains désenchantés, c’est une mise en garde. Car le risque est grand que le totalitarisme
politique du siècle passé se mue, insidieusement, en une forme de totalitarisme numérique tel qu’on le voit
émerger en Chine.

Nous sommes à ce point de bascule. Si le recueil «Crever l’écran» est structuré en deux parties, #avant et
#après, c’est pour suspendre le temps entre ce que nous étions et ce que nous serons, saisir l’interstice où tout
changement est encore possible. Nourrir le rêve d’un internet libéré de ses tutelles commerciale ou policière,
faire advenir un nouvel humanisme technologique : voilà l’urgence.

A.R. : En même temps, ce recueil évoque la venue au monde de votre fille? En quoi cette naissance devient
un élément central du recueil? Cette nouvelle génération est‐elle plus menacée que celle qui a vu le début
de l’Internet?

T.R.: Avoir grandi sans internet est une chance. J’ai appris à écrire avec un crayon, à lire avec un livre, à
interagir sans prothèse technologique. Somme d’expériences fondamentales sur lesquelles j’ai ensuite
échafaudé d’autres compétences, notamment numériques. Je fais partie de cette génération dite de Millenials
à qui l’on suppose un génie informatique inné, un rapport intuitif aux écrans alors que cette faculté n’est rien
d’autre qu’une soumission consciente à la stupeur hypnotique qu’ils génèrent. D’être venu au monde sans
écran dans la poche nous permet ce recul salutaire que les générations suivantes n’auront pas.

«Crever l’écran» est dédié à ma fille, née en novembre 2017. Elle grandira, que je le veuille ou non, aux lisières
de ce monde électronique, de cet «e‐monde» interconnecté qui menace de se substituer au réel. Alors que
certaines structures éducatives ambitionnent de placer une tablette entre les mains de chaque enfant, il faut
rester en alerte : l’école devrait ralentir le monde plutôt que chercher à lui courir après. Heureusement, la
fascination numérique reflue et les gourous de la Sillicon Valley, bien conscients des monstres addictifs qu’ils
ont créé, envoient leurs propres enfants dans des écoles déconnectées. Oui, au cœur secret de ce recueil, en
deçà des mots et des craintes, il y a bien cette naissance. Donner la vie, c’est garder espoir.

A.R. : La figure divine semble omniprésente, sensiblement cachée cependant? Est‐ce que la poésie
représente pour vous une forme de spiritualité, qui célèbre et avertit, qui suspend le temps, ou lie à des
forces plus hautes?

T.R.: Je suis un profond agnostique, le doute me tient debout. Celui de ne pas savoir sans pour autant me
résoudre à croire. Si la figure divine se promène d’un poème à l’autre dans «Crever l’écran», c’est donc bien
comme un fétiche ancien, dérisoirement tombé au sol, remplacé par d’autres pourvoyeurs d’immortalité.
Notre ciel est vide mais nous ne renoncerons pas à l’élévation, à ce qui peut nous édifier, nous tenir à distance
de l’absurde. La poésie en fait partie, spirituelle dans sa capacité à relier l’intime et l’universel, à explorer l’au‐
delà du sens. Y aurait‐il de plus hautes forces ? Je n’en sais rien, alors j’écris vers cet inconnu. Certains vers en
portent l’empreinte : «Remuer ciel / se taire», c’est une quête d’absolu et de silence.

A.R. : Vous choisissez une forme courte en vers libre, proche d’un certain minimalisme, comme ici :

vent vide muet
dévoilé

émois étêtés
reste moi
coi

Pourquoi le choix de cette forme et de ces rythmes très saccadés alors que vous cherchez à célébrer le lien ?

T.R.: Mon écriture poétique se voudrait une quintessence du dire, une lente réduction de la pensée vers le
mot. J’aime cette densité de caillou, cette compacité du poème, ce presque rien qui tient debout. Ecrire peu
pour en dire long.

De plus, la forme courte me semblait idéale à la fois pour dire et contredire notre époque, marquée par une
attention fragmentée mais débordée de flux d’informations. Célébrer le lien, c’est aussi tailler jusqu’à l’os,
jusqu’à trouver nos plus petits dénominateurs communs.

Et c’est de cette épure que surgit la pulsation, faite de syncopes sonores, de réécritures rythmiques d’un
même thème. A l’amplitude symphonique, je préfère ce jazz minimaliste, libre et précis, en bande‐son de
notre temps.

A.R. : On ressent aussitôt la nécessité de votre écriture, son urgence et son ralenti, son impératif et son
invitation. Je vous remercie de ces précisions pour notre site.

www.poesieromande.ch
Crever l'écran | Viceversa Literatur   https://www.viceversaliteratur.ch/book/19292

1 von 1                                                          31.03.2020, 12:13
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