Les formes possibles - Semantic Scholar

La page est créée Justine Riviere
 
CONTINUER À LIRE
Les formes possibles - Semantic Scholar
Peter Suber

                           Qu’est-ce que l’accès ouvert ?

                           OpenEdition Press

3. Les formes possibles

DOI : 10.4000/books.oep.1609
Éditeur : OpenEdition Press
Lieu d'édition : OpenEdition Press
Année d'édition : 2016
Date de mise en ligne : 24 octobre 2016
Collection : Encyclopédie numérique
ISBN électronique : 9782821869806

http://books.openedition.org

Référence électronique
SUBER, Peter. 3. Les formes possibles In : Qu’est-ce que l’accès ouvert ? [en ligne]. Marseille : OpenEdition
Press, 2016 (généré le 17 mars 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782821869806. DOI : https://doi.org/10.4000/books.oep.1609.
3. LES FORMES POSSIBLES

  Il existe de nombreuses façons de mettre en œuvre l’accès
ouvert. On peut citer entre autres les sites web personnels,
les blogs, les wikis, les bases de données, les livres numé-
riques, les fichiers vidéo, les fichiers audio, la webdiffusion,
les forums de discussion, les fils RSS et les réseaux de par-
tage P2P, sans parler des nouvelles formes de diffusion que
nous réserve l’avenir grâce à l’esprit créatif des uns et des
autres. Les deux formes dominantes à ce jour sont les revues
ouvertes et les archives ouvertes1.
  Les revues ouvertes ressemblent aux revues payantes. Elles
ont les mêmes caractéristiques, à l’exception de leur mode
d’accès ouvert. Mis à part le nouveau type de finance-
ment rendu nécessaire par cette spécificité, la quasi-totalité
des propriétés de la revue pourraient rester inchangées.
Certaines gardent une structure très traditionnelle alors que
d’autres changent en profondeur pour créer un nouveau
type de revue, ce qui est aussi le cas de certaines revues
payantes. Les unes et les autres peuvent être de bonne
comme de mauvaise qualité, très ou peu connues, sans
qu’il existe un lien systématique entre notoriété et qualité.
Elles peuvent aussi avoir une situation budgétaire saine
comme des problèmes financiers. Telles les revues conven-
tionnelles, la plupart des revues ouvertes sont honnêtes
même si quelques-unes arnaquent les chercheurs.Thomson
Scientific remarquait dès 2004 que « dans chaque domaine
de recherche étudié, il existe au moins un titre en accès
ouvert qui se trouve tout en haut du classement des revues
dans ce domaine2 » pour l’impact des citations. Le nombre
de revues ouvertes de qualité ayant de fortes répercussions a
depuis beaucoup augmenté3.
  Contrairement aux revues payantes, la plupart des revues
ouvertes sont récentes, avec le désavantage de la nouveauté
couplé à l’avantage de l’accès ouvert. Même si les premières
66 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

revues ouvertes ont été lancées dès les années 1980, leur âge
moyen est bien inférieur à celui des revues payantes, avec les
désavantages qui en découlent4.
   On peut préciser également deux points. D’une part, un
nombre décevant de revues ouvertes ne bénéficient pas de
tous les avantages de ce type d’accès parce qu’elles érigent
inutilement d’autres barrières d’autorisation. (Voir la section
sur l’accès ouvert gratis ou libre ci-dessous.) D’autre part, un
nombre encourageant de revues ouvertes existent depuis déjà
plusieurs années et ne souffrent donc plus des désavantages qui
sont le lot des revues récentes.
   Comme pour les éditeurs conventionnels, les éditeurs de
revues ouvertes peuvent être des organismes à but lucratif ou
non lucratif, avec quelques grands éditeurs et de nombreux
petits éditeurs, même si ces grands éditeurs restent « petits »
par rapport aux grands éditeurs conventionnels. Mais contrai-
rement aux éditeurs conventionnels, les éditeurs de revues
ouvertes à but lucratif ont des marges de profit modérées et
non scandaleuses.
   Les archives ouvertes sont des collections ou des bases de don-
nées d’articles disponibles en ligne. Comme elles n’ont pas
d’équivalent « conventionnel » dans le monde de la communi-
cation scientifique traditionnel, il est bien trop facile d’oublier
leur existence ou de faire des contresens à leur sujet.
   Les articles déposés dans ces archives ouvertes sont en accès
ouvert par défaut. Mais le dépôt différé d’articles – destinés à
être mis ultérieurement en accès ouvert – est le plus souvent
autorisé. Si ces archives ouvertes ont d’abord été créées pour
héberger des articles scientifiques (et leurs prépublications)
validés par un comité de lecture, elles incluent aussi d’autres
types de documents tels que des thèses, des mémoires, des jeux
de données, du matériel pédagogique et des exemplaires numé-
riques de documents appartenant aux collections spéciales de la
bibliothèque de l’institution concernée.
   Pour les chercheurs, ces archives ouvertes sont une meilleure
solution que les sites web personnels. Elles procurent des URL
permanentes, elles ont une politique de conservation à long
terme et elles ne vont pas disparaître suite à un changement de
carrière ou à un décès.
3. Les formes possibles x 67

Voie verte et voie dorée

   TERMINOLOGIE
   Le mouvement pour l’accès ouvert utilise le terme
   « voie dorée » (« gold OA » en anglais) pour désigner
   l’accès ouvert par une revue, quel que soit le modèle
   économique de la revue, et le terme « voie verte »
   (« green OA » en anglais) pour désigner l’accès ouvert
   procuré par une archive ouverte. Le terme « auto-
   archivage » (« self-archiving » en anglais) désigne la
   pratique consistant à déposer ses propres articles dans
   une archive ouverte. Les trois termes originaux en
   anglais (« gold OA », « green OA », « self-archiving »)
   ont été créés par Stevan Harnad.

   Les différences entre voie verte (archives ouvertes) et voie
dorée (revues ouvertes) sont au moins de deux ordres. La pre-
mière différence est l’existence ou non d’un comité de lecture.
Les revues ouvertes bénéficient d’un comité de lecture, tout
comme les revues conventionnelles. En revanche, les archives
ouvertes n’en disposent pas, même si les articles qu’elles
hébergent sont publiés par ailleurs dans des revues qui en sont
pourvues. En conséquence, leurs coûts de fonctionnement
diffèrent, tout comme leur rôle dans la communication des
activités de recherche.
   La deuxième différence est que les revues ouvertes
obtiennent les droits ou les autorisations directement des ayants
droit alors que les archives ouvertes demandent aux dépositaires
des articles de faire les démarches eux-mêmes pour obtenir ces
droits ou ces autorisations. Même si ce sont le plus souvent
les auteurs qui déposent leurs propres articles, ils peuvent avoir
déjà transféré des droits importants aux éditeurs. Contrairement
aux archives ouvertes, les revues ouvertes peuvent donc donner
à leur convenance l’autorisation de réutilisation des articles.
L’accès ouvert libre est donc le plus souvent procuré par la voie
dorée, même si cette voie ne signifie pas pour autant que les
articles sont systématiquement en accès ouvert libre. (Voir aussi
la section sur l’accès ouvert libre ou gratis infra.)
68 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

    La voie dorée et la voie verte requièrent une démarche
d­ ifférente de la part des auteurs. Pour publier de nouveaux
 articles par la voie dorée, l’auteur doit soumettre son manus-
 crit à une revue ouverte, en suivant le même processus que
 pour une revue conventionnelle. Pour la voie verte, l’auteur
 doit déposer son manuscrit dans une archive ouverte. Cette
 distinction est essentielle parce que, si les auteurs ne peuvent pas
 adopter la voie verte pour mettre leur travail en accès ouvert, ils
 peuvent adopter la voie dorée, et vice versa.
    L’un des principaux contresens actuels est que l’accès ouvert
 ne réside que dans la voie dorée. Certains auteurs en concluent
 qu’ils ne peuvent pas mettre leurs articles en accès ouvert ou
 bien qu’ils doivent publier leur travail dans une revue de qualité
 inférieure parce qu’il n’existe pas de revue ouverte de qualité
 (ou même prestigieuse) dans leur domaine ou parce que leurs
 articles ont été refusés par ces revues de premier ordre. Or cette
 conclusion est un peu hâtive. En effet, même s’ils publient un
 article dans la meilleure revue payante qui soit, ces auteurs
 peuvent le plus souvent déposer le texte de l’article validé par le
 comité de lecture dans une archive ouverte. La plupart des édi-
 teurs conventionnels donnent carte blanche à la publication par
 la voie verte pour les articles publiés dans des revues payantes5.
 Les éditeurs qui n’accordent pas cette autorisation d’emblée la
 donnent néanmoins lorsque celle-ci est demandée par l’auteur6.
 De plus, pratiquement tous les éditeurs l’accordent lorsque
 l’organisme (université ou agence de financement) finançant
 ou subventionnant l’auteur requiert l’adoption de la voie verte
 pour tous ses articles7. (Voir aussi le chapitre 4 sur les réglemen-
 tations et mandats et le chapitre 10 sur la manière de mettre ses
 propres articles en accès ouvert.)
    Le fait que les éditeurs conventionnels autorisent la publi-
 cation par la voie verte, lorsque celle-ci a été demandée par
 l’auteur, a été l’une des premières victoires du mouvement
 pour l’accès ouvert. Mais cette victoire importante reste l’un
 des secrets les mieux gardés de l’édition scientifique, et le fait
 qu’une telle possibilité soit très peu connue a pour conséquence
 désastreuse l’invisibilité de la voie verte dans le monde de la
 recherche. Cela réduit d’autant le volume d’articles en accès
 ouvert et crée la fausse impression qu’on doit fréquemment
3. Les formes possibles x 69

sacrifier la publication d’un article dans une revue prestigieuse
pour consentir à l’accès ouvert, ce qui est pourtant rare. Le
fait de négliger la compatibilité de la voie verte avec l’édition
conventionnelle crée aussi la fausse impression que les poli-
tiques universitaires requérant la voie verte exigent en réalité
la voie dorée et limitent ainsi la liberté qu’ont les auteurs de
soumettre leurs articles à la revue de leur choix. (Voir aussi le
chapitre 4 sur les réglementations et mandats.)
   La plupart des chercheurs choisiront le prestige plutôt que
l’accès ouvert si on leur donne le choix. Bonne nouvelle, devoir
choisir est chose assez rare. Mauvaise nouvelle, peu de cher-
cheurs le savent. Malgré tous les efforts faits pour expliquer
et faire connaître cette victoire ancienne, les chercheurs sont
également peu nombreux à avoir pris conscience que la grande
majorité des revues payantes autorisent la voie verte lorsque
celle-ci est demandée par les auteurs.
   Il existe deux raisons pour lesquelles l’accès ouvert est com-
patible avec la publication dans une revue prestigieuse : l’une en
lien avec la voie dorée et l’autre, avec la voie verte. La première
raison – en lien avec la voie dorée – est que de plus en plus de
revues ont d’ores et déjà acquis une notoriété prestigieuse ou
sont en train de l’acquérir. Si un chercheur ne trouve pas de
revue ouverte prestigieuse dans son domaine aujourd’hui, trois
choix possibles s’offrent à lui : il peut attendre l’existence d’une
telle revue parce que les choses évoluent vite, il peut contribuer
au prestige d’une revue ouverte en soumettant un excellent
article, ou alors il peut adopter la voie verte en complément
de son article publié dans une revue payante. La deuxième rai-
son – en lien avec la voie verte – est que la plupart des revues
payantes, y compris les revues prestigieuses, autorisent d’ores et
déjà l’archivage en accès ouvert. Comme nous l’avons noté, il
serait possible de passer de la situation actuelle, où la majorité
des revues autorisent cet archivage, à une situation où toutes
les revues l’autorisent de facto, à l’aide d’une politique d’accès
ouvert efficace. (Voir le chapitre 4 sur les réglementations et
mandats.)
   Les archives ouvertes les plus utiles se conforment au pro-
tocole de moissonnage de métadonnées (PMH) de l’Open
Archives Initiative (OAI), qui permet à différentes archives
70 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

d’être compatibles entre elles8. La terminologie spécialisée
parle d’« interopérabilité », ce qui permet à un réseau mon-
dial d’archives individuelles de se transformer en une seule
vaste archive virtuelle et d’être interrogées simultanément.
Cela signifie que les usagers peuvent trouver un article
donné dans une archive conforme au protocole de l’OAI,
sans devoir connaître quelles archives existent, où elles se
trouvent ou ce qu’elles contiennent. Notons aussi que l’accès
ouvert et l’OAI sont des initiatives différentes même si elles
se recoupent9.
   La plupart des grands moteurs de recherche, qu’ils soient
académiques ou non, incluent les articles des revues ouvertes
et des archives ouvertes dans leurs résultats. C’est le cas par
exemple de Google, de Bing ou de Yahoo, qui savent que
c’est dans leur intérêt de faire ainsi. Ces moteurs de recherche
proposent une méthode alternative au protocole de l’OAI
pour une recherche lancée dans l’ensemble des archives
ouvertes sans les connaître nommément. Une méprise fré-
quente incite à considérer les archives ouvertes comme des
jardins entourés de murs qui rendent les articles difficiles à
trouver et requièrent de la part des usagers des recherches
dans chaque archive l’une après l’autre. C’est l’inverse qui
est vrai, d’une part parce que les archives ouvertes rendent
les articles plus faciles à trouver et d’autre part parce que les
jardins entourés de murs sont plutôt les archives d’articles
payants, soit parce qu’elles sont invisibles pour les moteurs de
recherche soit parce qu’elles requièrent des requêtes séparées
pour chacune d’entre elles.
   Les archives par discipline tentent de regrouper tous les
articles scientifiques concernant un domaine donné, alors
que les archives institutionnelles tentent de regrouper tous les
articles scientifiques publiés par les chercheurs d’une institu-
tion en particulier. Comme les unes et les autres sont souvent
conformes au protocole de l’OAI et donc interopérables, le
fait qu’il existe deux types d’archives importe peu pour les
usagers. Ceux qui lancent une recherche dans une archive
sans avoir une référence précise en tête trouveront plus faci-
lement ce qu’ils cherchent dans une archive par discipline
que dans une archive institutionnelle. Mais, plutôt que de
3. Les formes possibles x 71

feuilleter les contenus, la plupart des usagers trouvent ce
qu’ils cherchent en utilisant des mots-clés précis ciblant plu-
sieurs archives à la fois et non pas une seule10.
   Les auteurs sont davantage concernés que les lecteurs par les
différences entre ces deux types d’archives, pour deux raisons.
D’une part, les institutions sont plus à même de motiver leurs
chercheurs, de leur offrir une aide pratique pour le dépôt de
leurs articles et d’adopter une réglementation favorisant l’accès
ouvert. C’est en effet le cas d’un nombre grandissant d’univer-
sités. D’autre part, les chercheurs consultant des articles dans
une grande archive par discipline, par exemple arXiv11 pour la
physique ou PubMed Central12 pour la médecine, sont d’ores
et déjà convaincus des avantages procurés par de telles archives,
et ils ont donc moins besoin d’un encouragement extérieur
pour y déposer leurs articles. (Voir aussi le chapitre 4 sur les
réglementations et mandats.)
   Comme la plupart des éditeurs conventionnels donnent
d’emblée l’autorisation de la voie verte à leurs auteurs, il appar-
tient aux auteurs eux-mêmes d’en tirer profit. En l’absence
d’une réglementation institutionnelle avérée pour encourager
ou exiger ces dépôts, le taux de dépôt spontané de la part des
auteurs est de 15 % environ. L’adoption progressive d’une
réglementation institutionnelle fait que ce taux sera proche des
100 % dans quelques années13.
   La raison pour laquelle le taux de dépôt est plus bas lorsqu’il
est spontané que lorsqu’il est encouragé ou requis par l’institu-
tion est rarement dû à une opposition de la part des chercheurs.
Les raisons sont essentiellement de trois ordres. Premièrement,
les chercheurs connaissent beaucoup mieux la voie dorée
(revues ouvertes) que la voie verte (archives ouvertes) et pensent
que l’accès ouvert se limite à la voie dorée. Deuxièmement, ces
chercheurs pensent que la voie verte enfreint le droit d’auteur,
qu’elle fait l’impasse sur l’évaluation des articles par un comité
de lecture et qu’elle empêche leur publication dans une revue
scientifique connue.Troisièmement, ces chercheurs craignent
que le dépôt de leurs articles dans une archive ouverte leur
prenne trop de temps. Comme on le voit, il s’agit plutôt d’une
méconnaissance du sujet que d’une opposition à l’accès ouvert,
que ce soit de la part des auteurs ou des éditeurs14.
72 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

   Les auteurs sollicités par Muluken Wubayehu Alemayehu
dans le cadre de son mémoire de master15 (publié en 2010)
« ne savaient pas bien en quoi consistait une archive institu-
tionnelle » tout en ayant « une attitude positive à l’égard de
l’accès libre aux résultats de la recherche scientifique16 ». Par
ailleurs, lors d’une enquête menée à l’automne 2010 auprès
d’universitaires néerlandais17, « près de 90 % des maîtres de
conférences dans les universités néerlandaises de sciences
appliquées [étaient] en faveur de la mise à disposition libre
des résultats de leur recherche […] Ils disent aussi qu’ils
aimeraient savoir en quoi consiste exactement le fait de
publier en accès ouvert18 ».
   Les remèdes à cette méconnaissance sont en train de se
généraliser à l’échelle mondiale. Ils consistent à créer davan-
tage de revues ouvertes et d’archives ouvertes, à éduquer les
chercheurs sur les choix qui existent pour la voie verte et
la voie dorée, et à adopter des politiques intelligentes afin
d’encourager la voie dorée et exiger la voie verte. (Voir aussi
le chapitre 4 sur les réglementations et mandats.)

Leur complémentarité19
Certains chercheurs adeptes de l’accès ouvert soutiennent
indifféremment la voie verte et la voie dorée, alors que d’autres
donnent à l’une des deux la priorité absolue. Mon sentiment
est qu’il s’agit de deux voies complémentaires qui sont en
synergie. Il faut les poursuivre simultanément, un peu comme
l’organisme a besoin à la fois de son système nerveux et de
son système digestif. Cela étant, le fait que certains activistes
accordent plus d’importance à la voie verte qu’à la voie dorée,
et vice versa, entraîne une division naturelle du travail, avec de
chaque côté des chercheurs promouvant la voie qu’ils préfèrent,
œuvrant in fine au progrès global de l’accès ouvert.
   La voie verte a certains avantages sur la voie dorée. Ses pro-
grès sont plus rapides puisqu’elle n’exige pas le lancement de
nouvelles revues à comité de lecture ou la conversion de revues
anciennes. Elle est donc plus économique que la voie dorée
et peut s’agrandir rapidement de manière peu coûteuse pour
3. Les formes possibles x 73

répondre à la demande, tandis que développer des revues
ouvertes requiert des fonds substantiels qui sont pour le
moment affectés aux abonnements à des revues payantes.
   La voie verte peut être exigée des chercheurs sans
enfreindre la liberté académique, ce qui n’est pas le cas de la
voie dorée. Plus précisément, la voie dorée ne peut pas être
exigée des chercheurs sans enfreindre la liberté académique
tant que toutes les revues à comité de lecture ne seront
pas en accès ouvert, un objectif impossible à court terme.
Une réglementation requérant la voie verte peut concerner
tous les articles publiés par les chercheurs d’une université
donnée, indépendamment des revues dans lesquelles ils
choisissent de publier leurs articles, alors qu’une réglemen-
tation requérant la voie dorée devra se limiter aux nouveaux
articles que les universitaires sont prêts à soumettre à des
revues ouvertes.
   La voie verte est compatible avec un accès payant, soit
parce que les éditeurs conventionnels disposant des droits
sur les articles publiés décident d’autoriser la voie verte pour
ces articles, soit parce que les auteurs ont conservé le droit
de déposer leurs propres articles dans une archive ouverte.
Des politiques d’accès ouvert clairement rédigées peuvent
s’assurer que leurs auteurs conservent les droits nécessaires
pour la voie verte et leur épargnent ainsi la nécessité de
négocier ces droits avec des éditeurs. (Voir le chapitre 4 sur
les réglementations et mandats et le chapitre 6 sur le droit
d’auteur.)
   Lorsque les meilleures revues dans un domaine donné
sont payantes – ce qui est encore le cas aujourd’hui, même
si les choses évoluent –, la voie verte reste bénéfique pour
les auteurs. Les auteurs publiant leurs articles dans les meil-
leures revues payantes peuvent donc tirer parti des avantages
de la voie verte, sans attendre l’arrivée de revues ouvertes
de haut niveau dans leur domaine. Même si les promotions
et les postes permanents sont souvent liés à la publication
d’articles dans des revues prestigieuses payantes – ce qui est
également encore le cas aujourd’hui même si les choses évo-
luent aussi sur ce point –, le choix complémentaire de la voie
verte par les chercheurs leur permet de publier leur travail
74 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

en accès ouvert sans pour autant se mettre en c­ ontradiction
avec la position de leur institution, ou renoncer à la perspec-
tive d’obtenir une promotion ou un poste permanent.
   La voie verte est valable pour les prépublications (« preprints »
en anglais) comme pour les postpublications (« postprints » en
anglais), contrairement à la voie dorée qui l’est exclusivement
pour les postpublications. La voie verte est valable aussi pour
d’autres documents tels que des jeux de données, du code
source, des thèses, des mémoires et des documents numérisés
(livres, revues, microfiches ou films).
   La voie dorée a, elle aussi, ses propres avantages par rapport
à la voie verte. Les articles publiés dans des revues ouvertes ne
sont pas soumis à des restrictions imposées par des éditeurs
conventionnels craignant l’accès ouvert. La voie dorée est donc
toujours immédiate pour de tels articles, alors que la voie verte
peut être soumise à un délai ou un embargo. De même, la voie
dorée est toujours synonyme d’accès ouvert libre (et pas seule-
ment gratis) même si elle ne tire pas suffisamment parti de cette
possibilité, tandis que c’est rarement le cas pour la voie verte.
(Voir le chapitre 4 sur les réglementations et mandats.)
   La voie dorée procure un accès ouvert à la version publiée,
alors que la voie verte concerne souvent la version finale du
manuscrit validé par un comité de lecture sans le travail de pré-
paration éditoriale ou la pagination définitive. Faire en sorte
que la version ouverte soit la même que la version publiée
réduit la confusion causée par la circulation de multiples ver-
sions. La voie dorée implique la validation des articles par un
comité de lecture, sans dépendre des revues payantes pour que
ce travail soit réalisé. Promouvoir la voie dorée est donc un
moyen d’encourager l’évaluation d’un article par un comité
de lecture quel que soit le type de revue (payante ou ouverte).
Dernier point, la voie verte entraîne des frais, même modiques,
tandis que la voie dorée peut s’autofinancer et même dégager
des profits.
   Les bibliothécaires distinguent le plus souvent quatre fonc-
tions aux revues scientifiques : datation (date de parution),
certification (validation par un comité de lecture), diffusion
(communication de la recherche en cours) et préservation
(archivage de la recherche). La voie verte et la voie dorée sont
3. Les formes possibles x 75

donc complémentaires puisque la voie verte est meilleure que
la voie dorée pour la datation (parce qu’elle est plus rapide) et la
préservation des articles, et la voie dorée meilleure que la voie
verte pour la certification de ces articles.
   Certains limitent la voie verte à une voie de transition vers
la voie dorée, l’idée étant que la voie verte favorisera les résilia-
tions d’abonnements aux revues conventionnelles et les inci-
tera à se convertir elles-mêmes à la voie dorée. Cela pourrait
en effet être la conséquence de l’augmentation du nombre
d’articles publiés par la voie verte. Cette idée est promue par
quelques adeptes de l’accès ouvert tout en étant redoutée par
certains éditeurs, mais rien ne l’approuve. Dans le domaine de
la physique par exemple, la voie verte approche maintenant les
100 % avec un pourcentage en augmentation constante depuis
vingt ans, mais elle n’a pas entraîné pour autant de résiliations
aux revues scientifiques existantes. (Voir aussi le chapitre 8 sur
les dégâts collatéraux.) Mais, même si la voie verte avait eu cet
effet, ce ne serait pas la stratégie adéquate pour promouvoir la
voie dorée. La meilleure serait une révolution pacifique fon-
dée sur le consentement des éditeurs qui en verraient tous les
avantages pour eux. (Voir aussi le chapitre 7 sur les modèles
économiques.)
   Plus important encore, la voie verte sera toujours utile même
si toutes les revues sont diffusées à l’avenir en accès ouvert.
Elle sera utile pour les prépublications, avec une datation per-
mettant d’établir la priorité d’une recherche. Elle sera utile
également pour les jeux de données, les thèses, les mémoires
et d’autres types de recherche non publiables dans des revues,
et parce qu’il est plus sûr d’avoir des exemplaires d’un article
stockés à différents endroits. Les meilleures revues ouvertes ne
diffusent pas seulement leurs articles sur leurs sites web, mais
elles en déposent aussi des copies numériques dans des archives
ouvertes indépendantes.Tant qu’il existera des revues payantes,
la voie verte sera utile également pour le dépôt des articles
dans des archives ouvertes, sans pour autant limiter le choix
des auteurs, qui restent libres de publier leurs articles dans une
revue payante ou ouverte. Et, même dans ce cas, les archives
ouvertes resteront utiles dans la chaîne de diffusion qui permet
de faire connaître largement ces articles.
76 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

    Par ailleurs, un réseau mondial d’archives ouvertes
p­ ermettrait non seulement de faire évoluer les revues scienti-
 fiques telles que nous les connaissons aujourd’hui, mais aussi de
 dissocier les deux opérations que sont l’évaluation des articles
 par un comité de lecture d’une part et la diffusion de ces articles
 d’autre part. Les articles pourraient être évalués par des comi-
 tés de lecture existant indépendamment des revues alors que
 la diffusion de ces articles pourrait être assurée par un réseau
 d’archives ouvertes. Dissocier ces deux étapes aurait deux
 avantages majeurs. Premièrement, les structures responsables
 pour l’évaluation des articles par un comité de lecture (c’est-
 à-dire les éditeurs conventionnels) ne seraient plus tentées de
 créer des barrières d’accès freinant la diffusion de ces articles.
 Deuxièmement, ces mêmes éditeurs ne seraient plus tentés de
 demander des droits exclusifs sur les résultats d’une recherche à
 laquelle ils n’ont pas contribué (par un financement, une sub-
 vention, une aide pratique pour la conduite de cette recherche
 ou une aide à la rédaction) et sur des articles que ces éditeurs
 n’ont pas achetés à leurs auteurs20.
    Tout comme nous aurons toujours besoin de la voie verte,
 nous aurons toujours besoin de la voie dorée, même si tous les
 articles adoptaient la voie verte. De plus en plus utilisée par les
 chercheurs, la voie verte n’a pas pour autant provoqué de rési-
 liations d’abonnements à des revues payantes, même dans des
 domaines où elle touche pratiquement 100 % des articles. On
 ne peut pas affirmer que cela ne sera jamais le cas et on ne peut
 pas affirmer non plus que tous les domaines suivront les traces
 de la physique. Si les revues payantes ne semblent pas durables
 sur le long terme (voir la section sur les solutions offertes par
 l’accès ouvert dans le chapitre 2), le processus de validation
 des articles par un comité de lecture survivra dans les revues
 ouvertes, d’où la nécessité de la voie dorée.
    Il importe peu de savoir quel facteur menace le plus l’exis-
 tence des revues payantes : la popularité de la voie verte, l’aug-
 mentation exorbitante des prix d’abonnement ou le fait que
 ces revues ne puissent pas suivre le rythme de croissance rapide
 de la recherche actuelle. Si l’une ou l’autre de ces menaces
 met l’existence des revues payantes en danger, la validation
 des articles par un comité de lecture sera du ressort des revues
3. Les formes possibles x 77

ouvertes, qui ne sont affectées par aucune d’entre elles. Nous
verrons plus loin (dans le chapitre 8 sur les dommages collaté-
raux) que les résiliations d’abonnements sont bien plus liées à
la hausse des prix qu’à la présence d’articles de ces revues dans
des archives ouvertes.
   Même si tous les articles adoptent la voie verte, les avantages
de la voie dorée à son égard resteront utiles, à savoir : la liberté
procurée par le fait de ne pas devoir demander des autorisations,
celle liée à l’absence de délai ou d’embargo sur la publication
des articles, et enfin celle de ne plus contribuer à ponctionner
encore davantage le budget des bibliothèques. Pour ce faire,
l’une des deux voies n’est pas suffisante, à court terme comme à
long terme. Les deux voies sont utiles simultanément, avec leurs
qualités propres et complémentaires.

L’accès ouvert gratis ou libre21
L’accès ouvert dispose de deux sous-espèces : d’une part l’accès
ouvert gratis, qui se contente de supprimer les barrières liées au
prix de vente (ou d’abonnement), et d’autre part l’accès ouvert
libre, qui supprime à la fois les barrières liées au prix et du
moins une partie de celles liées à la nécessité d’autorisations.
   Avant de les définir plus en détail, il nous faut expliquer en
quoi consiste le droit de citation. La législation sur le droit d’au-
teur autorise en effet la citation de l’extrait d’une œuvre régie
par le droit d’auteur « pour des raisons telles que critique, com-
mentaire, actualité, enseignement […], savoir ou recherche22 »,
selon les termes de la législation américaine23.
   Le droit de citation américain dispose de quatre caracté-
ristiques qui sont pertinentes ici. Premièrement, il est garanti
par la loi et n’exige donc pas de contacter l’ayant droit. Ou
plus exactement l’autorisation de l’ayant droit n’est pas néces-
saire parce que le droit de citation n’est pas une infraction au
droit d’auteur. Deuxièmement, cette autorisation est limitée
et ne couvre donc pas tous les usages qui seraient utiles aux
chercheurs. S’ils dépassent les limites du droit de citation, ils
doivent malgré tout demander l’autorisation de l’ayant droit.
Troisièmement, ce droit de citation existe dans la plupart des
78 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

législations nationales, même si ses limites varient d’une
façon significative d’un pays à l’autre. Quatrièmement, les
limites mêmes du droit de citation restent assez vagues et
peu définies entre les deux extrêmes possibles, à savoir d’une
part l’usage autorisé consistant à inclure une citation courte
dans une critique de livre et d’autre part l’usage non autorisé
consistant à utiliser et diffuser le livre dans son entier.
   Sachant cela, on peut définir l’accès ouvert gratis comme
un accès dont la liberté s’arrête à la gratuité. Les usagers
doivent demander l’autorisation de l’ayant droit s’ils ne
veulent pas se contenter du droit de citation. L’accès ouvert
gratis supprime donc les barrières liées au prix de vente, mais
pas celles liées à la nécessité d’autorisations. Quant à l’accès
ouvert libre, il est à la fois gratuit et exempt de certaines
restrictions en termes de droit d’auteur et de licence d’uti-
lisation. Les usagers ont l’autorisation de dépasser le simple
droit de citation, avec des options diverses. Et comme il existe
beaucoup de façons de dépasser ces limites, l’accès ouvert
libre existe sous autant de formes et à divers degrés. L’accès
ouvert libre supprime donc à la fois les barrières liées au prix
et celles liées à la nécessité de certaines autorisations.
   Fort heureusement, il n’est pas toujours utile d’ajouter
le qualificatif « gratis » ou « libre » (tous deux issus de la
terminologie des logiciels) lorsqu’on parle d’accès ouvert.
Dans ce livre, j’utilise le plus souvent le terme générique
« accès ouvert » sans qualificatif supplémentaire.Tout comme
le terme « glucide » ne pose aucun problème, à moins de
vouloir différencier glucides simples et glucides complexes,
le terme générique « accès ouvert » n’en pose pas jusqu’à
vouloir faire le distinguo entre l’accès ouvert gratis et l’accès
ouvert libre.
   La distinction entre « gratis » et « libre » est différente de la
distinction entre « voie verte » et « voie dorée ». La distinction
entre « gratis » et « libre » concerne les droits des usagers et
répond à la question : « quel est le degré d’ouverture d’un
article ? ». La distinction entre « voie verte » et « voie dorée »
concerne le mode de diffusion et répond à la question :
« Comment cet article est-il diffusé ? »24
3. Les formes possibles x 79

   Si la voie verte peut être soit gratis soit libre, elle est le plus
souvent gratis. C’est également le cas pour la voie dorée. Mais
il lui est plus facile d’être libre, raison pour laquelle la cam-
pagne pour un accès ouvert libre (au lieu d’un accès ouvert
gratis) se focalise davantage sur les revues ouvertes que sur les
archives ouvertes.
   Si un usager accède librement au texte intégral d’un article
en ligne, il sait d’emblée qu’il s’agit d’accès ouvert gratis.
Il n’a pas besoin d’information supplémentaire, même s’il
aimerait parfois en avoir, par exemple pour être certain qu’il
ne s’agit pas d’une copie illicite. Mais ce même usager ignore
si cet article est également en accès ouvert libre, à moins que
l’ayant droit (auteur ou éditeur) ne l’exprime de manière
spécifique dans une licence d’utilisation. Cette dernière est
tout simplement une déclaration de la part de l’ayant droit
expliquant ce que les usagers peuvent et ne peuvent pas faire
avec un article donné.
   Des articles comportant un copyright25 n’ont pas besoin
d’une licence, puisque ce copyright implique par défaut la
mention « tous droits réservés ». La seule utilisation possible
est le droit de citation, sans quoi il importe de demander
une autorisation spécifique. Selon l’usage en cours au niveau
mondial, une nouvelle œuvre est soumise au droit d’auteur
dès sa création sans devoir être enregistrée : ce droit d’auteur
appartient à l’auteur lui-même, mais peut être transféré par
contrat, et enfin l’ayant droit dispose de tous les droits sur
cette œuvre.
   Bien que le terme « droit d’auteur » soit singulier, il couvre
un ensemble de droits qu’un auteur peut conserver ou aux-
quels il peut renoncer en tout ou en partie. C’est la raison
pour laquelle il existe diverses licences ouvertes et divers
types d’accès ouvert libre. Il faut souligner que renoncer
à certains droits pour permettre un accès ouvert libre ne
requiert pas de renoncer à tous les droits ou au droit d’auteur
en général. Au contraire, une licence ouverte présuppose un
droit d’auteur puisqu’elle exprime l’autorisation donnée par
l’ayant droit. De plus, les droits conservés restent pleinement
exécutoires. Pour reprendre la terminologie limpide utilisée
par Creative Commons (CC), les licences ouvertes créent un
80 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

copyright avec certains droits réservés au lieu d’un copyright
avec tous droits réservés. Si les licences ouvertes créées par
Creative Commons sont les plus connues et les plus utilisées,
il existe aussi d’autres licences ouvertes, et les auteurs et les
éditeurs peuvent également rédiger leurs propres licences26.
Néanmoins, pour montrer la variété qu’englobe l’accès ouvert
libre, il est utile de regarder plus en détail les licences CC.
   Le degré maximal d’accès ouvert libre est celui procuré par
une œuvre appartenant au domaine public, soit parce que son
copyright a expiré soit parce qu’elle a été versée d’emblée dans
le domaine public. Les œuvres du domaine public peuvent être
réutilisées de quelque manière que ce soit sans enfreindre le
droit d’auteur. C’est la raison pour laquelle il est légal de tra-
duire ou réimprimer une œuvre de Shakespeare sans devoir
demander l’autorisation de ses héritiers. Dans cet esprit, la
licence Creative Commons CC0 (CC-Zéro) est destinée aux
ayants droit souhaitant verser d’emblée leurs nouvelles œuvres
dans le domaine public. Toutefois, si l’existence du domaine
public permet de résoudre le problème des autorisations liées
à l’accès ouvert, de nombreuses œuvres du domaine public
ne sont pas encore numérisées et disponibles en ligne, si bien
qu’elles ne sont pas encore en accès ouvert. Ce problème
est significatif, et la numérisation de ces œuvres est menée à
grande échelle par nombre d’institutions et d’administrations
publiques, avec des financements importants doublés d’une
réelle volonté politique.
   Après la licence CC0, la licence CC-BY est la moins restric-
tive de toutes. Cette dernière permet tout type d’utilisation,
dans la mesure où l’usager attribue l’œuvre à son auteur ori-
ginal. C’est également la licence recommandée par l’Associa-
tion des éditeurs scientifiques en accès ouvert27 et par SPARC
Europe, qui décerne un sceau de qualité28 pour les revues en
accès ouvert utilisant la licence CC-BY29. C’est celle que j’uti-
lise pour mon blog et ma lettre d’information, et c’est aussi la
licence que je requiers lorsque je publie un article dans une
revue.
   Il existe d’autres licences ouvertes comme la licence
CC-BY-NC, qui requiert l’attribution de l’œuvre à son auteur
tout en interdisant un usage commercial, ou encore la licence
3. Les formes possibles x 81

CC-BY-ND, qui exige l’attribution de l’œuvre à son auteur
tout en autorisant son usage commercial, mais en interdisant
les œuvres dérivées. Si les utilisations possibles ne sont pas les
mêmes selon les licences, toutes donnent des autorisations allant
au-delà du droit de citation et expriment différentes variantes
de l’accès ouvert libre.
   Chacun peut bien entendu rédiger ses propres licences ou
utiliser des licences créées par d’autres, mais l’avantage des
licences Creative Commons est qu’elles sont prêtes à l’emploi,
rédigées par des juristes, exécutoires, utilisées par de plus en
plus d’usagers et reconnues par de plus en plus de juridictions
légales. En outre, chaque licence dispose de trois versions : une
version formulée en langage courant à destination des non-
juristes, une version formulée en langage spécialisé à destination
des juristes, et enfin une version formulée en langage informa-
tique à destination des moteurs de recherche et autres logiciels.
Ces licences sont extrêmement pratiques, et le fait qu’elles le
soient a révolutionné l’accès ouvert libre. La meilleure façon
de se référer à une variante spécifique de l’accès ouvert libre
est donc de se référer à une licence ouverte spécifique. Il serait
impossible de disposer de termes techniques n’offrant aucune
ambiguïté pour exprimer toutes les variantes imaginables. Mais
nous disposons de licences claires pour en exprimer les prin-
cipales, avec possibilité d’y ajouter si nécessaire des variations
subtiles.
   Une œuvre ne disposant pas d’une licence ouverte sera cata-
loguée par défaut comme disposant d’un copyright avec tous
droits réservés. Si l’ayant droit autorise implicitement l’utilisa-
tion de son article au-delà du droit de citation ou s’il décide de
ne pas tenter d’action légale si un usager outrepasse ce droit de
citation, l’usager n’a aucun moyen de le savoir et se voit donc
contraint de choisir la solution la moins mauvaise dans les trois
cas suivants : envisager un délai dans sa recherche pour deman-
der une autorisation, risquer d’aller de l’avant sans demander
cette autorisation, ou choisir de ne pas utiliser l’article en
question. Autant d’obstacles que l’accès ouvert a vocation de
dépasser…
   La définition « BBB » promeut l’accès ouvert à la fois gratis
et libre. Mais la plupart des réussites connues concernent l’accès
82 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

ouvert gratis. Plus précisément, les réussites de l’accès ouvert
gratis augmentent, et la plupart d’entre elles sont remarquables.
Ces victoires ont coûté beaucoup d’efforts et constituent donc
des avancées majeures. Mais certains observateurs en concluent
que le mouvement pour l’accès ouvert se focalise sur l’accès
ouvert gratis en négligeant l’accès ouvert libre, et vice versa. Or
ces affirmations unilatérales sont injustes.
   Un fait avéré est que l’accès ouvert gratis est plus facile à
développer que l’accès ouvert libre. Une victoire majeure a été
par exemple de persuader la majorité des éditeurs convention-
nels d’autoriser la voie verte gratis. Or cela est loin d’être le cas
pour la voie verte libre. De même, la plupart des réglemen-
tations strictes mises en place par les agences de financement
et les universités sollicitent la voie verte gratis. Elles sont peu
nombreuses à requérir la voie verte libre, qui progresse elle
aussi, mais pour d’autres raisons. Si ces organismes avaient dû
attendre de réunir le nombre de voix nécessaires pour autoriser
la voie verte libre, la plupart seraient toujours en train d’at-
tendre. (Voir la section sur la chronologie des réglementations
de l’accès ouvert dans le chapitre 4.)
   Un deuxième fait avéré est que même les réglementations
sur l’accès ouvert gratis peuvent se heurter à de sérieux obs-
tacles d’ordre politique qui rendent leur adoption difficile
(quoique plus facile que pour l’accès ouvert libre). Pour les
National Institutes of Health (NIH) par exemple, une régle-
mentation a été proposée par le Congrès américain en 2004
puis adoptée en tant que requête (ou encouragement) en 2005
avant de devenir une exigence en 2008. Chaque étape du pro-
cessus a été dûment critiquée par un lobby d’éditeurs offensif et
bien financé. Quelques années plus tard, cette réglementation
se limite toujours à l’accès ouvert gratis30. De même, d’autres
réglementations sur l’accès ouvert gratis n’ont été adoptées
qu’après plusieurs années de patientes discussions avec les déci-
deurs (agences de financement ou universités) pour répondre
à leurs objections et rectifier les erreurs d’interprétation. Le fait
que ces réglementations aient été adoptées, particulièrement
suite à un vote unanime, est matière à célébration, même s’il
s’agit « seulement » d’accès ouvert gratis31.
3. Les formes possibles x 83

    Le Directory of Open Access Journals (DOAJ) est le
r­ épertoire le plus complet des revues en accès ouvert et le
 seul consacré exclusivement aux revues à comité de lecture.
 Sur 6 497 revues présentes dans le DOAJ (chiffres du 12 mai
 2011), 1 370 revues, soit 21,1 %, utilisent une licence CC32
 et 723 revues, soit 1,1 %, utilisent une licence CC-BY33, qui
 est la licence recommandée comme précédemment expliqué.
 Près de 80 % des revues à comité de lecture et en accès ouvert
 n’utilisent aucune des licences CC. Certaines d’entre elles
 peuvent recourir à des licences autres que les licences CC, mais
 qui ont des dispositions juridiques similaires. Or ces exceptions
 sont rares. La plupart d’entre elles utilisent un copyright avec
 tous droits réservés qui ne laisse pas à leurs lecteurs d’autre
 liberté que le droit de citation. La majorité n’autorise pas aux
 usagers l’accès ouvert libre. Même celles qui souhaitent sim-
 plement interdire un usage commercial se contentent de ce
 copyright, au lieu de faire appel à une licence ouverte de type
 CC-BY-NC, qui interdirait pourtant l’usage commercial, tout
 en autorisant l’accès ouvert libre.
    Comme nous l’avons vu, il est injuste de critiquer le mou-
 vement pour l’accès ouvert en l’accusant de dénigrer l’accès
 ouvert gratis (d’autant plus que les déclarations publiques de
 ce mouvement promeuvent aussi l’accès ouvert libre) ou de
 négliger l’accès ouvert libre (étant donné que les réussites
 de ce mouvement concernent surtout l’accès ouvert gratis).
 Mais deux autres critiques connexes semblent plus fondées.
 Premièrement, exiger « l’accès ouvert libre ou rien » alors
 que ce type d’accès ne peut pas être obtenu pour le moment
 nous laisse à penser que le mieux est l’ennemi du bien. Cette
 erreur de tactique est heureusement rare. Deuxièmement, se
 contenter du gratis alors que le libre peut être obtenu laisse à
 penser que le « bien » a été choisi au lieu du « mieux ». Cette
 erreur de tactique est malheureusement fréquente, comme on
 peut le voir dans la majorité des revues en accès ouvert qui se
 contentent du gratis alors qu’elles pourraient facilement offrir
 le libre.
    Soyons maintenant plus précis sur les avantages de l’accès
 ouvert libre. Pourquoi choisir le libre plutôt que le gratis ?
 La réponse est que ce choix évite aux usagers le délai (et les
84 x QU’EST-CE QUE L'ACCÈS OUVERT ?

frais) nécessaires à une demande d’autorisation s’ils ne veulent
pas se contenter du droit de citation, par exemple dans les cas
suivants :
• pouvoir citer de longs passages d’un article donné ;
• pouvoir diffuser cet article dans son intégralité auprès
   d’étudiants ou de collègues ;
• pouvoir graver une copie de cet article (et de bien d’autres)
   sur un CD pour un public disposant d’une connexion in-
   ternet aléatoire ;
• pouvoir diffuser des versions modifiées ou augmentées de
   cet article, par exemple des versions munies de tags séman-
   tiques ;
• pouvoir convertir cet article pour lecture dans de nou-
   veaux formats ou sur de nouveaux supports suite aux avan-
   cées technologiques ;
• pouvoir archiver une copie de cet article pour sa préserva-
   tion à long terme ;
• pouvoir inclure cet article dans une base de données ou
   un mash-up ;
• pouvoir enregistrer cet article au format audio ;
• pouvoir traduire cet article dans d’autres langues ;
• pouvoir utiliser cet article pour indexation, exploration des
   données ou autres types de traitements.
   Dans certaines juridictions, une partie de ces usages peut
relever du droit de citation, même si, le plus souvent, ce n’est
pas le cas. Certaines des limites du droit de citation (mais
certainement pas toutes) ont été définies par l’appareil légal
présent dans de nombreux pays, mais il serait difficile de
consulter toutes les décisions de justice. Le flou existant entre
ce qui est permis et les sanctions de plus en plus sévères sur
la violation du droit d’auteur fait que les usagers ont peur de
prendre une telle responsabilité. Ils vont donc agir avec pru-
dence en décidant de ne pas utiliser un article qui leur serait
utile ou de différer leur recherche le temps de demander
l’autorisation nécessaire.
   L’accès ouvert libre procuré par une licence ouverte claire
résout tous ces problèmes. Si l’usage souhaité semble déjà
autorisé par le droit de citation, une licence ouverte claire
dissipera tous les doutes qui pourraient subsister. Si l’usage
Vous pouvez aussi lire