LES ICÔNES DU DESIGN GUIDE PRATIQUE - Violette Boullet - Ecole Camondo - Diploma Camondo

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LES ICÔNES DU DESIGN GUIDE PRATIQUE - Violette Boullet - Ecole Camondo - Diploma Camondo
LES ICÔNES
DU DESIGN
               GUIDE PRATIQUE

Violette Boullet - Ecole Camondo
LES ICÔNES DU DESIGN GUIDE PRATIQUE - Violette Boullet - Ecole Camondo - Diploma Camondo
LES ICÔNES
    DU DESIGN
                         GUIDE PRATIQUE

          Mémoire de fin d’études
     Violette Boullet - Ecole Camondo
    Sous la direction d’Alexis Markovics
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Remerciements

          Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué de près ou de
          loin à l’élaboration de ce mémoire.

          Merci à mon directeur de mémoire Alexis Markovics pour ses
          conseils précieux et rassurants qui ont su guider mon travail.

          Merci à Sophie et Valentine pour leur patience et leurs relec-
          tures.

          Merci à Marguerite, Sarah, Léna, Chloé, Manon, Romy et Julie
          pour leurs conseils et leur soutient.

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Sommaire

  Introduction                                                              11

  I. LES PIÈCES ICONIQUES DU DESIGN                                         15   C. Une reproduction authentique?                                    51
                                                                                 1. Adaptations
  les caractéristiques, les critères.                                            Adapter les produits au goût du jour
                                                                                 1. Normes actuelles 2. Les matériaux 3. Dimensions   4. Finitions
  A. Un design d’auteur                                                     17   La place des ayants droits
                                                                                 2. La copie
  B. Des créations emblématiques d’une époque                               21   3. Limites de la réédition
                                                                                 Question d’originalité
                                                                                 Une réédition est-elle une copie?
  C. Des productions manifeste d’innovations                                27
  1. Des innovations techniques et matérielles : le retour à l’industrie.
  Le tube d’acier chromé
  La question du moulage                                                         III.LES ICÔNES AUJOUD’HUI                                           73
  Le porte-à-faux
  2. De formes, d’esthétisme.                                                    A.Des produits toujours omniprésents                                75
                                                                                 1. Des produits prescrits dans les projets
                                                                                 Un succès commercial toujours présent
                                                                                 Une valeur sûre
  II. LA RÉÉDITION                                                          35
                                                                                 2. Une omniprésence toujours actuelle
  un phénomène dans le phénomène.                                                Dans les musées
                                                                                 Dans les ouvrages
                                                                                 Au cinéma
  A. Des alliances entre éditeurs et créateurs                              37
  1. Vitra et les Eames
  2. Knoll et Mies Van Der Rohe                                                  B.Eternelles inspirations / référencement                           85
  3. Cassina et Charlotte Perriand, Le Corbusier et Pierre Jeanneret             1. Un terrain de jeu pour les designers
                                                                                 2. Un référencement inconscient?
                                                                                 Un patrimoine culturel
  B. Diffusion abondante des icônes                                         43   Copies d’inspiration
  1. Pourquoi rééditer?
  Faire perdurer l’Histoire
  Rendre accessibles des pièces historiques
                                                                                 Conclusion                                                          91
  2. Diffusion mondiale
  Le processus de fabrication                                                    Bibliographie                                                       95
  La rencontre d’un marché

                                                 8                                                                            9
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Introduction

                                            Quelle est la première pièce à laquelle vous pensez lorsque l’on
                                            parle d’icône du design?
                                            La Lounge Chair des Eames? La Chaise Longue LC4 de
                                            Le Corbusier et de Charlotte Perriand? La Chauffeuse Barcelona
                                            de Mies Van Der Rohe?

                                            Pourquoi parlons-nous d’icônes pour ces créations?
                                            De part sa définition, une icône relève d’abord de la sacralisa-
                                            tion et pourtant ces meubles n’ont rien de religieux. Cependant,
                                            la deuxième définition du terme, au sens figuré, témoigne d’une
                                            incarnation, d’un symbole.
                                            Que symbolisent ces icônes du design? Une histoire, un mou-
                                            vement? Sont-elles un emblème? De quoi?

     1
         Dans l’Église d’Orient, Peinture religieuse exécutée sur un panneau de bois (Robert).
     2
         AU FIGURÉ Personne, personnage qui symbolise (un courant…). (Robert).

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Dans ce mémoire, j’ai cherché à comprendre le phénomène
     des icônes du design. Pourquoi et comment elles ont accédé
     à ce statut privilégié, qu’engendrent-elles? Ce ‘guide pratique’
     est avant tout une enquête. Telle une journaliste, je tente d’ex-
     pliquer ce sujet. En menant mon investigation, j’ai découvert un
     univers. J’ai réalisé qu’il y avait une réelle réflexion autour de
     ces icônes. Elles sont bien plus que de simples meubles.
     En tant qu’étudiante en architecture intérieure et design, elles
     sont pour moi d’incontestables inspirations. Elles ont rythmé
     mes cours d’histoire et ont pris une place dans mon parcours.
     Elles suscitent en moi un émerveillement particulier, avant
     même de mieux les connaître.

     Pour tenter de comprendre ce phénomène, j’ai d’abord cherché
     à définir les caractéristiques d’une icône : nous verrons alors
     qu’il s’agit d’un design d’auteur, de productions emblématiques
     d’une époque marquée par des ruptures, et enfin que ces créa-
     tions sont témoins d’innovations.
     Nous nous intéresserons ensuite à la réédition de ces icônes,
     les rencontres qui ont été à son origine, son importance dans le
     marché du mobilier, et enfin, nous nous interrogerons sur l’au-
     thenticité des icônes rééditées.
     Pour clore ce mémoire, nous évoquerons la place actuelle de
     ces icônes, aussi bien dans la prescription de mobilier que
     dans l’inspiration qu’elles génèrent.

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I.
     LES PIÈCES ICONIQUES DU DESIGN
     Les caractéristiques, les critères.

                     Le XX°siècle aura été, pour le monde du design, une période
                     majeure. La production de mobilier a été aussi dense que les
                     événements qui ont rythmé le siècle. Le mouvement moderne a
                     offert une production riche de mobilier et d’idéologies. Certains
                     de ces produits sont encore aujourd’hui admirés, contemplés,
                     préservés, et suscitent toujours autant d’adoration. Ces ‘icônes’
                     sont devenues cultes. Mais qui sont-elles et comment ont-elles
                     accédé à ce statut privilégié?

                     Plusieurs personnalités, encore admirées aujourd’hui, ont offert
                     un regard innovant sur la conception de mobilier, et plus en-
                     core. La période moderne a ainsi révolutionné la manière de
                     concevoir l’objet, offrant ainsi des productions devenues cultes.

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I.
     A. Un design d’auteur

                                        Le mouvement moderne a bouleversé la façon de créer. Cette
                                        nouveauté est bien évidemment l’œuvre d’artistes qui ont mené
                                        un travail de recherches phénoménal sur la manière de vivre
                                        et de construire. Ces personnalités sont les précurseurs d’un
                                        mouvement qui a chamboulé le milieu du Design. Avec leurs
                                        productions inédites, parfois difficilement acceptées par le
                                        grand public lors de leur parution, ils ont marqué l’Histoire.

                                        Si ces produits ont aujourd’hui le statut d’icône, de classique,
                                        de meuble culte, c’est en partie car ils ont été pensés par des
                                        figures emblématique du XX° siècle. Nous parlons alors de de-
                                        sign d’auteur, car ce design iconique n’est pas anonyme, bien
                                        au contraire, c’est bien un design dont l’auteur est connu et
                                        reconnu.

                                        Ces auteurs, qui sont-ils?
                                        Certains sont architectes, comme Ludwig Mies Van Der Rohe
                                        ou Le Corbusier. Ce dernier aura été un des plus grands théo-
                                        ricien de sa génération. Avec un regard audacieux sur l’archi-
                                        tecture, Le Corbusier est reconnu comme l’une des figures fon-
                                        damentales du siècle dernier, il est le visage de l’architecture
                                        moderne. Il se place presque comme un prophète ou encore un
                                        gourou de l’architecture.
                                        L’architecte allemand devenu américain Ludwig Mies Van Der
                                        Rohe, est lui aussi une figure emblématique. Maître du mini-
                                        malisme, il est devenu un modèle pour des générations d’ar-
                                        chitectes, avec son ‘Less is More’, ou la manière dont il a réécrit
                                        l’architecture américaine à partir des années 1945. Troisième
                                        et dernier directeur du Bauhaus, il a apporté au milieu de l’ar-
                                        chitecture, puis du design, une liberté nouvelle guidée par la
                                        simplicité.

     Page de gauche : de gauche à droit et de bas en haut : Le Corbusier, Ludwig Mies Van Der Rohe, Marcel Breuer, Jean Prouvé,
     Charlotte Perriand, Ray et Charles Eames

16                                                                     17
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Cette simplicité, nous la retrouvons également chez Marcel
                                        Breuer, qui a lui aussi créé des modèles qui continuent d’inspi-
                                        rer. Cette figure du Bauhaus est un artiste qui continue encore
                                        d’émerveiller.
                                        Charlotte Perriand, la première féministe du design qui a su
                                        se faire une place dans ce milieu quasiment exclusivement
                                        masculin, est elle aussi une figure emblématique. Celle qui a
                                        longtemps été dans l’ombre de Le Corbusier et de son cousin
                                        Pierre Jeanneret est aujourd’hui considérée comme un modèle
                                        absolu. Les conceptrices contemporaines peuvent se retrouver
                                        en elle : elle est une icône de liberté. Charlotte Perriand est une
                                        grande créatrice dont la carrière et les productions sont excep-
                                        tionnelles.
                                        Le couple d’architectes révolutionnaires formé par Charles et
                                        Ray Eames sont eux aussi des personnalités dont les oeuvres
                                        sont toujours vénérées. Ils ont conquis l’Amérique ainsi que le
                                        monde occidental.
                                        Jean Prouvé, grand ingénieur du XX° siècle, qui a eu une car-
                                        rière étonnante et un parcours singulier est encore un person-
                                        nage symbolique de cette période.

                                        Ces grands noms et tant d’autres ont joué un rôle essentiel
                                        dans l’histoire de l’art du XX° siècle. Ils se placent en designers
                                        manifestes ayant créé une œuvre fondamentale.
                                        Ces productions sont souvent anecdotiques dans leur produc-
                                        tion, comme par exemple la chauffeuse Barcelona de Ludwig
                                        Mies Van Der Rohe, ‘juste’ un siège dans son immense pro-
                                        duction architecturale. C’est bien parce qu’il y a l’intégralité de
                                        l’œuvre de ces créateurs que ces icônes sont des icônes. Une
                                        sorte de label est alors accordé à leurs productions. La simple
                                        signature de ces créateurs leur apporte une importance parti-
                                        culière.
                                        Ces icônes sont donc considérées comme un design d’auteur:
                                        on peut y attacher un nom, une étiquette. Si ce sont des au-
                                        teurs, leurs productions sont donc des œuvres d’art.
                                        La Joconde est signée Léonard de Vinci, et la Wassily Marcel
                                        Breuer. Cette idée de signature, de label, cette notion d’auteur
                                        fait donc de ces produits des œuvres, et les classe alors comme
                                        iconiques.
                                        Ce design d’auteur va produire des objets qui deviennent em-
                                        blématiques d’une période.
     Page de gauche : de bas en haut : signatures de Le Corbusier, Ludwig Mies Van Der Rohe, Marcel Breuer, Charlotte Perriand,
     Charles & Ray Eames et Verner Panton.

18                                                                     19
I.
     B. Des créations emblématiques d’une
     époque

                                            « Les classiques imposent une harmonie de composition, ce sont des
                                            objets du passé visibles à toutes les époques. Ce sont des pièces qui
                                            ont parfois changé l’Histoire, bousculé les habitudes, offert un nouveau
                                            point de vue», 1

                                            Ces productions iconiques sont également des objets mani-
                                            festes de leur période. Elles marquent les ruptures sociales et
                                            économiques qui ont défini le XX° siècle. Mais en quoi sont-
                                            elles emblématiques?

                                            Elles sont bien sûr les témoins du passé, de l’Histoire. Elles ra-
                                            content en effet les tournants stylistiques, entre autres, d’une
                                            période. Elles définissent ainsi une époque : Le mouvement
                                            moderne a révolutionné le monde du design. Ces idées nou-
                                            velles se lisent sur le mobilier conçu durant cette phase.

                                            Si ces icônes continuent de traverser le temps et de rester
                                            actuelles, c’est en partie grâce à l’histoire qu’elles portent en
                                            elles. Elles sont un véritable témoignage de cette histoire, des
                                            innovations techniques, sociales. Ces meubles portent en eux
                                            toute la réflexion d’une époque. Ils sont la trace physique d’une
                                            évolution de mode de vie, d’un bouleversement.

                                            Les esprits créatifs de chaque époque ont laissé comme hé-
                                            ritage leur production. Ces créateurs ont ainsi changé, mais
                                            changé quoi? La manière de s’asseoir? De lire? De discuter?
                                            De cuisiner? Toutes ces gestes quotidiens ont été questionnés,
                                            repensés.

                                            Certains ont révolutionné la façon de concevoir l’objet, d’autres
                                            sont emblématiques de leur époque.
     1
         Barbara Lehmann, responsable des archives historiques de Cassina.
         DEYDIER, C. Design : La bonne fortune des rééditions. Le Figaro. 24/09/2019.

20                                                                         21
« Ils étaient sous-tendus par une véritable réflexion, une philosophie de
                                         l’objet ancrée dans leur contexte. La notion de classique nécessite du
                                         temps et une culture. Et du courage. N’oublions pas le contexte dans le-
                                         quel ils arrivaient » 1

                                         Prenons l’exemple de la chauffeuse Barcelona, emblème de
                                         toute l’œuvre de Mies Van Der Rohe mais aussi de toute la mo-
                                         dernité.
                                         Conçue en 1929 et présentée lors de l’Exposition Universelle de
                                         la même année à Barcelone, la chauffeuse Barcelona repré-
                                         sente à elle même les idéologies du mouvement moderne. La
                                         forme suit la fonction, sans superflu. C’est le fameux ‘Less is
                                         more’. Fini l’ornement, on ne montre à présent que l’essentiel,
                                         à savoir la fonction. L’objet est clarifié et les proportions géné-
                                         reuses. Ces aspirations sont propres à l’école du Bauhaus, qui
                                         dans l’entre deux guerres a offert des idées nouvelles, en réac-
                                         tion au style Art Nouveau et au mouvement Arts and Crafts : on
                                         ôte l’ornement, et on ne laisse que des lignes épurées, simples
                                         et minimalistes, comme un prolongement de l’architecture. La
                                         chauffeuse Barcelona est donc une création symbolique du
                                         mouvement moderne : fini l’art nouille, place à la radicalité des
                                         formes.

                                         Place à une nouvelle ère avec le couple Eames qui va profiter
                                         de l’ambiance post Seconde Guerre Mondiale pour instaurer
                                         un modèle américain, qui va rapidement se répandre dans le
                                         monde occidental. En effet, lorsque l’Europe freine face à la
                                         guerre, ils inventent le mobilier de demain. On cherche à limiter
                                         le coût de production, des matériaux, ce qui influe donc sur l’es-
                                         thétique du mobilier. Leur chaise Dinning Armchair Rod, DAR,
                                         va incarner cette nouvelle transition. On tend désormais vers un
                                         ‘art d’habiter’ avec un mobilier modulable et fonctionnel.

     1
       LAFFANOUR, F. Living with Charlotte Perriand, Edition Skira, 2019.
     Page de gauche : Chauffeuse Barcelona Ludwig Mies Van Der Rohe.

22                                                                      23
Ce modèle de la modernité, du fonctionnalisme va être mis en
                                       perspective et critiqué dès les années 1950 avec le Pop Art. En
                                       effet, ce mouvement conteste les règles dictées par le fonction-
                                       nalisme typique du Bauhaus, jugé oppressant. Les années 60
                                       marquent un tournant de l’histoire, ce qui se lit dans le mobilier
                                       de l’époque. Fini les lignes figées, place à la folie. Cette période
                                       de création extravagante voit s’imposer le plastique malléable
                                       qui permet de créer toutes les formes. Les lignes sont courbes,
                                       les formes molles, et surgissent des couleurs vives.

                                       Les productions d’Arne Jacobsen sont le parfait exemple de
                                       cette rupture. Avec sa Egg Chair ou la Swan Chair, parues en
                                       1957, le changement est flagrant. Avec ses formes organiques,
                                       elles annoncent un grand confort et une générosité.

                                       Ces caractéristiques se retrouvent également dans la Panton
                                       Chair. Elle est d’autant plus symbolique puisqu’elle réunit de
                                       nombreux principes de toute l’histoire du XX° siècle. Très réfé-
                                       rencée, elle rappelle les essais de Rietveld avec la chaise en
                                       porte-à-faux. Peut être pouvons-nous y voir un aboutissement
                                       technique ou symbolique?

                                       C’est donc dans les ruptures que les icônes se forment, car elles
                                       font preuve d’innovation. Les tournants stylistiques et les inno-
                                       vations techniques sont étroitement liées.

     Page de gauche, de haut en bas : Egg Chair et Swan Chair d’Arne Jacobsen, Panton Chair de Verner Panton © Verner Panton Design
     AG

24                                                                   25
I.
     C. Des productions manifestes d’innovations

                Le design du XX° siècle est marqué par les nombreuses inno-
                vations techniques, matérielles et formelles des productions.
                Elles sont manifestes de ces découvertes. L’utilisation des
                matériaux a connu un véritable tournant avec le mouvement
                moderne. La place est à la reproduction en série, les matériaux
                doivent ainsi servir cette production industrielle. Exploités pour
                des aménagements professionnels, ces matériaux ont été dé-
                tournés, repensés. Le tube de métal, par exemple, est cintré et
                la tôle d’acier pliée. On voit alors naître un mobilier facilement
                reproductible, avec des matériaux peu coûteux, pour le rendre
                accessible à tous et à un prix raisonnable. Fini les pièces arti-
                sanales, trop chargées, place à la production massive en série.
                L’emploi de nouveaux matériaux est une grande caractéristique
                du mouvement moderne. Le design moderne, c’est avant tout
                des objets fonctionnels, avec de nouvelles matières et tech-
                niques, aux lignes inédites.

26                                    27
1. Des innovation techniques et matérielles:
                                        Le retour à l’industrie

                                        L’ère industrielle à marqué le début du XX° siècle, qui témoigne
                                        d’un intérêt particulier pour les matériaux et les méthodes iné-
                                        dites. L’utilisation de ces nouveaux matériaux, tels que l’acier, le
                                        contre-plaqué moulé ou encore le plastique, offre de nouvelles
                                        possibilités techniques et donc formelles.

                                        Le tube d’acier chromé
                                        La chaise Wassily, l’emblème du Bauhaus.
                                        Marcel Breuer, en regroupant les ateliers ‘ébénisterie’ et ‘métal’
                                        à l’école du Bauhaus a permis des nouvelles recherches tech-
                                        niques. La chaise, originellement appelée Modèle B3 en 1925
                                        et aujourd’hui appelée Wassily, est le premier siège dont la
                                        structure est en tube d’acier chromé. Cette révolution a ainsi
                                        permis la production en série, et de nombreux meubles se sont
                                        ensuite dessinés avec ce tube. C’est une icône car on a utilisé
                                        des éléments industriels pour produire dans les années 1920
                                        un mobilier fonctionnel et peu onéreux. En plus de sa beauté,
                                        grâce à sa structure squelettique, son porte-à-faux renvoie à
                                        l’industrie, et plus particulièrement à un objet industriel du XIX°
                                        siècle : le vélo.

                                        La question du moulage.
                                        La Dinning Armchair Rod des Eames est également un parfait
                                        exemple de l’importance de l’industrie dans le design du XX°
                                        siècle : c’est la question du moulage. La fibre de verre, utili-
                                        sée alors seulement dans l’aéronautique, fait de cet assise une
                                        création révolutionnaire. Sa nudité, sans garniture ou revê-
                                        tement, fait de la DAR un siège léger. Constituée d’un unique
                                        matériau, elle ne nécessite aucun assemblage, aucune vis. Elle
                                        est ainsi d’une facilité absolue à reproduire en série, et permet
                                        là encore de créer un design accessible. Les Eames sont égale-
                                        ment à l’origine de la collection Plywood, utilisant cette fois le
                                        bois lamellé collé moulé, puis enfin de l’incontournable Lounge
                                        Chair, avec là encore une coque en bois moulée.

     Page de gauche de haut en bas : Chaise Plywood, Charles et Ray Eames. Chaisse Wassily, Marcel Breuer..

28                                                                    29
Le porte-à-faux
                                        Et si une chaise ne reposait plus sur quatre pieds? En testant
                                        les qualités de résistance de l’acier, Mart Stam dessine en 1926
                                        la chaise ‘S32’. Grâce à la technique du porte-à-faux, il dessine
                                        ainsi la première chaise à deux pieds de l’Histoire. Un jeu d’équi-
                                        libre et une forme aérienne qui semble flotter dans l’air. Ce pro-
                                        cessus novateur inspirera également Marcel Breuer, ou encore
                                        Gerrit Thomas Rietveld, avec sa célèbre chaise Zig Zag.

                                        Ces innovations techniques et matérielles permettent ainsi de
                                        créer des formes nouvelles.

                                        2. De formes, d’esthétisme.

                                        Le design moderne est particulièrement une histoire d’esthé-
                                        tisme. En rupture avec le passé, les créateurs du XX° siècle ont
                                        carte blanche pour expérimenter techniques et matériaux, lais-
                                        sant place à des dessins - pour l’époque - inédits.

                                        Nous l’avons vu, le ‘Less is More’ de Ludwig Mies Van Der Rohe
                                        a apporté le minimalisme à la production moderne. Les lignes
                                        changent et évoluent. Cet esthétisme devient alors un symbole.
                                        Les grandes créations du mouvement deviennent manifestes
                                        de cette philosophie recentrée vers l’essentiel où la fonction fait
                                        la forme.

     Page de gauche, de haut en bas : Chaises S32 ‘Cesca’ de Marcel Breuer. Chaise Zig Zag de Gerrit Thomas Rietveld.

30                                                                     31
Ces icônes du design moderne sont donc en premier lieu un
     design d’auteur, attribué à des personnalités fondamentales.
     Elles sont également emblématiques d’une période rythmée
     par des ruptures, qu’elles soient sociales, économiques ou
     techniques. Ces innovations techniques permettent la repro-
     duction en série et rend ainsi accessible ce mobilier nouveau.
     Ces icônes ont été pensées pour leur facilité de production, et
     donc de reproduction.

32                        33
II.
     LA RÉÉDITION
     Un phénomène dans le phénomène des icônes

                                           « Il est du principe de l’oeuvre d’art d’avoir toujours été reproductible. Ce
                                           que des hommes avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire. […]
                                           La reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art représente quelque chose
                                           de nouveau; technique qui s’élabore de manière intermittente à travers
                                           l’histoire, par poussées à de longs intervalles, mais avec une intensité
                                           croissante. » 1

     1
       WALTER, B. L’oeuvre d’art a l’époque de la reproduction mécanisée, Edition Allia. pp. 40.
     Page de gauche : Chaise S32 ‘Cesca’ de Marcel Breuer. Photo par Ágnes Mezösi

34                                                                         35
II.
     A. Des alliances entre éditeurs et créateurs

                                       Si la réédition a un tel impact dans le monde du design, c’est
                                       grâce à des entreprises qualifiées : les maisons d’édition.
                                       Une maison d’édition est une entreprise qui commercialise les
                                       œuvres dont elle possède les droits de distribution. Elles sont
                                       trois à se partager les droits de distribution des meubles les
                                       plus emblématiques. Cassina, Vitra et Knoll regroupent à elles
                                       seules les productions de plus de vingt-cinq grands noms du
                                       design.
                                       Comment est né ce phénomène?
                                       Ce sont les rencontres entre créateurs et - parfois futurs - édi-
                                       teurs qui en sont à l’origine.

                                       Vitra et les Eames
                                       Lorsque Willi Fehlbaum, fondateur de Vitra, se rend aux Etats-
                                       Unis en 1953, il découvre le travail du couple Eames. Inspiré
                                       par la modernité et l’innovation de leurs productions, il pense
                                       à devenir fabricant de meuble, afin d’apporter cette nouveauté
                                       en Europe. Il rencontrera Charles et Ray Eames en personne et
                                       une amitié durable va rapidement naître entre eux. Le couple
                                       américain va ensuite accorder les droits de reproduction de
                                       leurs productions à Willi Fehlbaum, pour une diffusion en Eu-
                                       rope et au Moyen-Orient. Cette collaboration va marquer les
                                       débuts de l’entreprise Vitra, et est à l’origine de son prestige.
                                       Le travail et la philosophie des Eames restent encore au-
                                       jourd’hui ancrés dans la philosophie de l’entreprise suisse :
                                       un design juste, intemporel, sans superflu et de qualité. Les
                                       nombreuses collaborations de l’entreprise avec de grands
                                       créateurs vont accentuer sa renommée, comme celle avec
                                       Verner Panton, dont va naître son œuvre la plus célèbre : la
                                       Panton Chair.

     Page de gauche : Vitra Design Museum. Architecture Herzog & de Meuron.

36                                                                  37
Knoll et Ludwig Mies Van Der Rohe
                                        Hans et Florence Knoll sont passionnés d’architecture et de
                                        mobilier. Ils ont côtoyé pendant leurs études les grands noms
                                        du Bauhaus, comme Walter Gropius ou Marcel Breuer. En s’as-
                                        sociant, le couple définit leur style moderne : le ‘Style Knoll’.
                                        ‘Knoll Associates’ propose des intérieurs et des bureaux. En
                                        1948 ils proposent à Ludwig Mies Van Der Rohe de lui racheter
                                        les droits de production de sa chauffeuse Barcelona. Cette as-
                                        sociation va être bénéfique pour tous : d’un coté, Ludwig Mies
                                        Van Der Rohe voit renaître sa création - parue en 1929, sa pro-
                                        duction ayant été interrompue en 1931 - d’un autre coté, pour
                                        les Knoll, cela va être le déclenchement d’une multitude de
                                        collaborations qui feront fait le succès de l’entreprise, comme
                                        celles avec Harry Bertoia, Eero Saarinen, ou Warren Platner.
                                        Cette modernité continue d’être l’emblème de la maison.

                                        « Knoll is Modern Always
                                        because modern always works. » 1

                                        Cassina et Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jean-
                                        neret.
                                        L’entreprise est fondée en 1927 par deux frères, Cesare et Um-
                                        berto Cassina. D’abord ordinaires fabricants de meubles, ils
                                        voient plus loin que la simple fabrication de mobilier. Compre-
                                        nant rapidement l’intérêt de la fabrication en série, ils se lancent
                                        dans l’édition de pièces originales qui deviendront iconiques .
                                        En 1964, ils obtiennent les droits pour la production de la chaise
                                        longue LC4. Cette création emblématique qui avait connu une
                                        popularité moyenne depuis sa parution devient alors un véri-
                                        table succès commercial. S’en suit ensuite toute une collection
                                        de ces créateurs : « LC » (Le Corbusier).
                                        Aujourd’hui, Cassina édite également des œuvres contempo-
                                        raines mais continuent de faire vivre les créations de maîtres.
                                        Le catalogue de l’éditeur est une véritable collection de chefs-
                                        d’œuvre du Design, regroupés dans leur collection ‘I Maestri’.

     1
       www.knoll.com (Knoll est toujours moderne parce que le moderne fonctionne toujours)
     Page de gauche : LC Collection Miniatures. Cassina

38                                                                    39
Ces entreprises pionnières jouèrent ainsi un rôle fondamental
     dans la ‘création’ des icônes. Elles ont eu un rôle majeur quant
     à leur popularité et ont su faire fructifier ces objets. Elles ont été
     capables de les mettre en scène, d’en faire la publicité et de les
     adapter à un monde plus contemporain. Les maisons d’édition
     se placent ainsi comme les commanditaires de ces produits
     devenus emblématiques. Elles doivent toutes leur renommée
     aux grands créateurs qui leur ont accordé les droits de distri-
     bution de leurs productions.

40                           41
II.
     B. Une diffusion abondante des icônes

                                        1. Pourquoi rééditer?

                                        Rééditer c’est reproduire à l’identique une pièce d’origine, et
                                        la commercialiser à un prix juste. C’est respecter le dessin ori-
                                        ginal d’un objet, son essence, son message. Ces icônes sont
                                        aujourd’hui très présentes sur le marché. Plusieurs maisons
                                        d’édition les commercialisent, mais ce n’est pas sans normes.
                                        Ces meubles cultes sont aujourd’hui réédités afin de permettre
                                        au plus grand nombre de les acquérir, et donc de continuer
                                        leur histoire. Ces pièces emblématiques sont assimilées à des
                                        standards, des références intemporelles et classiques. Leur es-
                                        thétique et leur confort sont devenus des valeurs universelles.
                                        Ces icônes ont été pensées pour leur facilité de production, et
                                        donc de reproduction.
                                        La réédition de ces icônes a influencé leur statut. Le simple
                                        fait qu’elles soient rééditées traduit leur intérêt toujours actuel.

     Page de gauche : Coque de chaises Série 7 d’Arne Jacobsen. archdaily ©

42                                                                   43
Faire perdurer l’histoire

                                           Acheter une réédition, c’est obtenir une part de l’histoire du
                                           design. Rééditer c’est faire redécouvrir et maintenir vivantes
                                           ces pièces emblématiques. C’est prolonger leur histoire et celle
                                           de leur créateur, tout en permettant leur accès à un plus large
                                           public. Pour ne pas figer ces productions dans une époque et
                                           de continuer à les faire vivre, ces rééditions leur rendent hom-
                                           mage. Les maisons d’édition, en rééditant ces pièces emblé-
                                           matiques, affirment la modernité de celles ci. Leur succès de
                                           vente et l’intérêt qu’on leur porte encore aujourd’hui prouvent
                                           bien que ce sont des créations intemporelles, éternelles. Ces
                                           meubles d’une autre époque restent, grâce à la réédition, tou-
                                           jours aussi actuels et continuent d’émerveiller et d’inspirer.

                                           « Au moins ils sont sortis des limbes, car c’est bien là qu’ils étaient […]
                                           Aujourd’hui, vous pouvez les juger, les regarder, les utiliser, les critiquer » 1

     1
       Charlotte Perriand en parlant de la collection ‘I Maetri’ de Cassina
     Page de gauche : Ant Chair, Arne Jacobsen.

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Rendre accessible des pièces historiques et de qualité

                                        Une pièce rééditée est une garantie de provenance et de quali-
                                        té : c’est acheter un produit historique neuf.
                                        Lors de leur parution, ces créations était difficilement ac-
                                        cessibles. Souvent protégées par des brevets, on ne pouvait
                                        presque se les procurer que par le biais d’architectes ou de
                                        décorateurs d’intérieur.
                                        Grâce à la réédition, l’offre est plus importante car les icônes
                                        sont reproduites en masse. La réédition permet ainsi de diffuser
                                        en grand nombre des pièces authentifiées et d’une qualité non
                                        négligeable, à prix juste.
                                        Ces versions neuves sont nettement moins chères que les ori-
                                        ginales. Prenons pour exemple le Tabouret Berger de Charlotte
                                        Perriand qui vaut environ 550€ chez Cassina (donc réédité)
                                        et peut atteindre 9000€ en maison de vente ou chez des an-
                                        tiquaires qualifiés. En effet, ces meubles destinés à être éco-
                                        nomiques lors de leur production, deviennent aujourd’hui des
                                        objets de luxe quand ils sont d’époque : une table trapèze de
                                        Jean Prouvé qui valait 15 000 francs lors de sa parution en 1956,
                                        et a été, estimée à plusieurs centaines de milliers d’euros, puis
                                        été adjugée 1,241 millions d’euros lors d’une vente chez Artcurial
                                        en 2008! Cette même table est disponible chez Vitra pour 4 970
                                        euros.
                                        Les rééditions sont produites en série, leur coût est donc nette-
                                        ment moins élevé que les originaux, qui sont aujourd’hui bien
                                        plus rares.

     Page de gauche : Tabourets Berger de Charlotte Perriand.

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2. Une diffusion mondiale

                                       La rencontre d’un marché
                                       Ces créations iconiques sont de plus en plus demandées. La
                                       réédition apporte une offre à cette demande qui ne cesse de
                                       croitre. La popularité de ces icônes du design est telle que tout
                                       le monde les veut. La réédition permet ainsi de diffuser ces
                                       icônes aux quatre coins du monde, de manière légale et offi-
                                       cielle. La réédition montre un glissement entre la pièce unique
                                       et la reproduction de celle-ci. C’est bien parce qu’elles sont re-
                                       productibles que s’ouvre un marché.

                                       Le processus de fabrication
                                       Les entreprises décident du choix des pièces à rééditer en
                                       fonction du potentiel de la demande, de leur coût de production
                                       et de leur impact écologique.
                                       La réédition se doit d’être une reproduction conforme au dessin
                                       du créateur, à son essence. Lors de la réédition d’une pièce,
                                       les archives sont sollicitées, afin de respecter au mieux le des-
                                       sin originel. Un dialogue est alors ouvert entre l’entreprise qui
                                       les fabrique et les ayants droit, suivi d’une équipe performante
                                       constituée d’historiens ou d’ingénieurs. Une réédition se doit
                                       d’être dans le respect du travail de création. On prend des me-
                                       sures, on consulte les archives. Rééditer c’est retourner à la
                                       création de l’objet : on prend en compte le contexte, les maté-
                                       riaux. Aucun détail n’est négligé pour une authenticité certifiée.

                                       Cette authenticité est assurée par les éditeurs : ils détiennent
                                       les droits de production afin de faire des œuvres certifiées et
                                       officielles. Parfois, les rééditions ne sont pas toujours 100%
                                       conformes aux pièces originales.
     Page de gauche : Chaises Série 7 Arne Jacobsen.

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II.
     C. Une reproduction authentique?
                La reproduction suit-elle les méthodes exactes de l’original ou
                est-elle adaptée aux techniques d’aujourd’hui ?

                1. Adaptations

                Les éditeurs peuvent se permettre quelques modifications
                lors de la réédition d’un meuble, mais ils doivent rester les
                plus fidèles au dessin originel. Il faut en effet conserver le lien
                d’origine et respecter les éléments primaires, très spécifiques
                à chaque création, à chaque auteur. Il faut toujours chercher
                à comprendre l’objet pour mieux le révéler, sans le dénaturer.
                Cependant, les rééditions des créations modernes se
                confrontent à certains obstacles. Avec le changement d’époque,
                les processus de fabrication sont bien différents aujourd’hui.
                Ainsi le mode de production diffère grâce aux méthodes de fa-
                brication qui ont évolué. Les rééditions ne peuvent pas toujours
                être exactement conformes aux originaux, et ce, sur plusieurs
                points.

                Adapter les produits au goût du jour

                1. Normes actuelles
                Les changements d’époques et les besoins qui en découlent
                sont un autre facteur d’une adaptation parfois contestée. Les
                enjeux écologiques sont aujourd’hui un point phare de la pro-
                duction dans le design, il faut notamment limiter le plastique et
                ainsi trouver des alternatives pour reproduire sans trop trans-
                former. C’est ainsi une première contrainte pour les éditeurs.
                Ces évolutions industrielles peuvent compromettre la réplique
                parfaite des originaux. Un bon exemple est la LED qui à rem-
                placé les ampoules à filaments, plus écologique. Il faut ainsi
                réadapter le processus de conception de chaque lampe pour y
                appliquer cette nouvelle méthode.
                Les normes de sécurité sont également bien différentes au-
                jourd’hui qu’il y a des décennies, notamment sur les points
                électriques, ce qui modifie encore la production des rééditions.

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2.Les matériaux
                                         La question des matériaux peut être pour les éditeurs un vé-
                                         ritable questionnement. La plupart de ces icônes ont plus
                                         de cinquante ans. A l’époque, l’utilisation des matériaux était
                                         bien différente. Aujourd’hui, leur réédition présente quelques
                                         changements en terme de matière. C’est le cas pour la Panton
                                         Chair rééditée par Vitra. Originellement fabriquée en résine de
                                         polyester renforcée de fibre de verre, elle est aujourd’hui en
                                         polypropylène, ce qui lui donne une finition plus mate. Ce chan-
                                         gement a été cependant approuvé par Verner Panton lui même.
                                         Par ailleurs, certaines essences de bois sont devenues bien
                                         plus rares que dans les années 1950, contraignant ainsi les pro-
                                         ducteurs à se tourner vers d’autres essences, souvent moins
                                         chères. En effet, il ne faut pas l’oublier mais la réédition est
                                         censée être plus accessible, donc moins coûteuse. Certains
                                         éditeurs se permettent ainsi quelques modifications.

                                         3. Dimensions
                                         Une étude montre que les femmes et les hommes étaient plus
                                         petits au milieu du XXeme siècle. Il a donc fallu modifier les
                                         dimensions de certaines pièces. C’est le cas de la Lounge Chair
                                         de Charles et Ray Eames, qui chez son éditeur Vitra, connait
                                         une version XL. En s’adaptant à notre époque, les éditeurs
                                         cherchent comment l’accommoder aux tendances actuelles
                                         tout en respectant son essence. Les proportions de la chaise
                                         longue en bambou de Charlotte Perriand ont également dû-
                                         être repensées, pour les normes actuelles. Certains canapés
                                         peuvent eux aussi connaître un changement de dimension, en
                                         passant par exemple de 2 à 3 places.

     Page de gauche : Panton Chair, Verner Panton, Vitra.

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4. Finitions
                                         Afin d’apporter à ces créations modernes un esprit plus
                                         contemporain, les éditeurs peuvent décider d’en modifier les
                                         finitions. Changer un tissu ou une couleur peut apporter un
                                         coup de jeune à une pièce. Pour faire vivre une œuvre, il faut
                                         la mettre dans l’ère du temps présent pour assurer son futur.
                                         Un classique se doit de traverser le temps et pour cela il doit
                                         être adapté. C’est le cas notamment chez Knoll, ou la table Tu-
                                         lip de Saarinen a connu une nouvelle finition d’un marbre plus
                                         mat, donnant à cette table des années 1950 une dimension plus
                                         contemporaine.
                                         Dans ce même but, la chaise Standard de Jean Prouvé a connu
                                         une déclinaison de couleurs pastel. Certaines pièces de Le
                                         Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret ont également
                                         subi un « relooking » avec un changement de couleur plus ac-
                                         tuelles. Un autre exemple, très actuel, est la collaboration de
                                         Kartell avec la marque de vêtement italienne « La Double J ». La
                                         collaboration intègre les déclinaison de tissus iconiques de la
                                         marque sur les produits cultes de l’éditeur.

                                         Ces adaptations permettent ainsi de prolonger la longévité des
                                         icônes, mais elles doivent se faire dans le plus grand respect du
                                         dessein originel, et ne sont pas sans normes. C’est alors qu’in-
                                         terviennent les ayants-droit.

     Page de gauche : Collection ‘Standard SP’, Jean Prouvé, Photographie Vitra.

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La place des ayants droit

                                           Les ayants droit sont les héritiers des créateurs et du dessein
                                           de leurs travaux. Ils sont les titulaires du droit moral des œuvres
                                           de ces créateurs. Les descendants ont hérité de la propriété
                                           intellectuelle des créations. Ils sont les garants de ces meubles,
                                           de leur dessin, de leur conformité. Touchant des royalties - dont
                                           le montant est confidentiel - ils sont les donneurs d’ordres dans
                                           toute réédition. Légalement, aucune réédition, transformation,
                                           adaptation ne peut se faire sans les consulter. En étroite com-
                                           munication avec les éditeurs, ils imposent leurs règles car ils
                                           sont les gardiens de leur héritage.
                                           Un ayant droit peut être un descendant du créateur mais pas
                                           seulement. L’héritage moral de Le Corbusier, par exemple, est
                                           géré par la Fondation Le Corbusier qui est légataire de ce droit.

                                           Pour les éditeurs, chaque réédition est un travail de recherche.
                                           Il faut retracer toute le processus de la création originale : son
                                           histoire, ses matériaux, ses dimensions… Ces garants d’héri-
                                           tage sont les chefs d’orchestres, ils décident de la liberté que
                                           peuvent prendre ou non les éditeurs.

                                           Certains ayants droit prennent leur rôle et leur héritage très à
                                           coeur. C’est notamment le cas de Pernette Perriand, la fille de
                                           Charlotte Perriand, qui défend fermement le travail de sa mère,
                                           refusant toute concession. Elle souhaite que les reproductions
                                           soient les plus fidèles possible. Pour elle modifier une œuvre,
                                           c’est la dénaturer.

                                           « Quand ils nous ont demandé s’ils pouvaient agrandir une chaise longue
                                           qu’ils jugeaient trop étriquée, c’était hors de question pour moi, précise-t-
                                           elle. En modifiant une proportion, vous dénaturez une œuvre. A cause des
                                           normes actuelles, nous avons été obligés d’épaissir une chaise longue en
                                           bambou, ce qui m’a beaucoup attristée. » 1
     1
         GODFRAIN, M. Design : le bon filon des rééditions. Le Monde. 17/04/2020

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Cependant d’autres ayants droit comme Catherine Prouvé, fille
                                           de Jean Prouvé, soutiennent l’idée qu’il faut vivre et avancer
                                           avec son temps.

                                           « Je suis partisane de laisser une certaine liberté à mon éditeur. Il faut
                                           aussi s’adapter aux évolutions des goûts, des modes » 1

                                           Malheureusement, certains descendants n’accordent pas la
                                           même importance à leur héritage, et n’y voit d’intérêt que par
                                           l’appât du gain, laissant ainsi aux éditeurs toute la liberté qu’ils
                                           le souhaitent. Prenons pour exemple le cas d’un descendant
                                           de Pierre Guariche, dont les chaises ont été rééditées massive-
                                           ment par Maison du Monde. De qualité déplorable, cette com-
                                           mercialisation massive avait été sujet de grand débat.

                                           En tant que gardiens de ces œuvres, les ayants droit se battent
                                           pour la protection de leur héritage, menacé par un autre phé-
                                           nomène, celui de la copie.

                                           S’il y a une marge d’adaptation possible par le propriétaire des
                                           droits, qu’est ce qui empêche les faussaires d’adapter les co-
                                           pies?

     1
         GODFRAIN, M. Design : le bon filon des rééditions. Le Monde. 17/04/2020

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2. La copie

     L’engouement autour des icônes est tel que la présence de
     copies sur le marché est abondante, et malheureusement très
     facilement accessible. En effet, il suffit de rentrer le nom d’un
     modèle dans un moteur de recherche, pour qu’on nous propose
     immédiatement des sites où se vendent des copies. Pas une
     icône n’y échappe : de Breuer à Charlotte Perriand en passant
     par Saarinen, toutes les créations iconiques font malheureuse-
     ment face à cette expérience.
     La quantité de contrefaçon prouve bien que la demande est là :
     les icônes sont désirées, à tout prix.
     Est-ce un honneur ou crime?
     Editeurs et ayants droit ne voient guère ça comme un hom-
     mage, au contraire. Pernette Perriand, fille de Charlotte Perriand,
     dit lutter en vain contre ces contrefaçons qui circulent si faci-
     lement. En effet, sur internet, les premiers sites qui s’affichent
     lorsqu’on recherche une icône sont trop souvent des sites de
     copies. Revendiquant ou non leur authenticité, ces vendeurs
     de faux vont parfois jusqu’à présenter le maître copié en lui
     accordant une biographie et même l’histoire de l’objet falsifié.
     Certes moins coûteuses, elles sont d’une qualité nettement in-
     férieure à celle d’une production certifiée. Souvent fabriquée en
     Chine où la contrefaçon est légale, on remarque leur manque
     de régularité. Les problèmes de sécurité, entre autres, sont un
     aspect bien désastreux du faux. Mis à part leur prix, ces copies
     représentent peu d’avantage, elles vont au contraire déshono-
     rer le travail et l’héritage de leur créateur.

60                          61
Le commerce du faux est une incontestable insulte aux créa-
                                          tions iconiques du design. Pour contrer cette propagation trop
                                          importante de copies, la réédition propose des pièces authen-
                                          tifiées, normées et de qualité. La réédition est un moyen pour
                                          les ayants droit de limiter la copie, et donc de protéger leur
                                          héritage, en confiant à des entreprises qualifiées le monopole
                                          de la reproduction de certaines pièces.
                                          L’augmentation de la production des contrefaçons montre mal-
                                          heureusement que la demande est très importante. Véritable
                                          fardeau pour les éditeurs, les faux circulent partout et bien trop
                                          facilement.
                                          Les icônes du design sont copiées, c’est un fait, mais ce sont
                                          aussi les rééditions qui sont imitées. En effet, les adaptations
                                          des éditeurs sont également reproduites dans les contrefa-
                                          çons. Par exemple, les couleurs pastel - évoquées précédem-
                                          ment - de la chaise Standard de Jean Prouvé se retrouvent
                                          dans certaines copies. Les ayants droit luttent contre ce phé-
                                          nomène et multiplient les actions en justice.

                                          « C’est une catastrophe pour les ayants droit, qui touchent des royalties
                                          sur les rééditions de marques et financent les recherches et publications
                                          sur les artistes » 1

     1
         Jacques Barsac, gendre de Charlotte Perriand,
         BENSOUSSAN, D. La vérité sur… la contrefaçon de pépite du design. Challenges. 04.03.2017

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Cette lutte contre la contrefaçon n’implique pas que les ayants
                         droit et éditeurs. Les créateurs actuels sont également agacés
                         par ce phénomène défavorable au Design. Le studio 5.5, en ré-
                         ponse à cette prolifération de contrefaçons, a réalisé en 2017
                         un projet manifeste intitulé « Copie originale ». Ce projet est en
                         réalité une campagne de sensibilisation avec une touche d’hu-
                         mour. Un ruban adhésif sur lequel apparait « Copie Originale
                         design by 5•5» permet de sceller les copies, comme une pièce
                         à conviction. L’objet enrubanné devient alors symbolique. Cette
                         intervention est également une alternative à la destruction des
                         copies, qui représente malgré tout un gaspillage écologique.

                         «L’idée première réside dans le souhait d’identifier les copies présentes sur
                         le marché pour les révéler aux yeux du grand public et éviter qu’elles ne
                         diffusent une mauvaise image de la marque et des designers. […] Nous
                         offrons ainsi la possibilité à un consommateur berné de donner un nou-
                         veau statut à son patrimoine mobilier. »

     1
         www.5-5.paris

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3. Limites de la réédition

     Question d’originalité
     La diffusion massive de ces rééditions pose en effet des ques-
     tions d’originalité : ‘Tout le monde en veut’, vrai comme faux.
     Ces rééditions devenues abordables se retrouvent désormais
     partout.
     Cette diffusion, bien que certifiée authentique, est-elle réelle-
     ment avantageuse? Fait-elle l’éloge de ces pièces embléma-
     tiques, ou les fait-elles tomber dans le banal?
     Pour les collectionneurs de pièces originales, cette réédition
     ne semble pas bénéfique : La cote de ces icônes peut parfois
     baisser à cause de la grande production des rééditions. On
     peut aujourd’hui s’offrir à un prix juste ces icônes. Mais reve-
     nons à la pensée première de celles-ci. Elles ont été créées
     pour justement être diffusées au plus grand nombre à un prix
     correct. Le design devenu industrialisé est le résultat même de
     cette réflexion.
     Ce sont cependant deux systèmes différents : d’une part le
     galeriste - entre autres - magnifie le travail d’origine, avec son
     histoire et son contexte, qui devient alors objet rare et précieux.
     D’autre part, les rééditeurs permettent à une clientèle moins
     fortunée de posséder une part de l’histoire, avec toute l’au-
     thenticité revendiquée de celle ci. Cependant, mêmes les réé-
     ditions prennent de la valeur grâce à leur ancienneté : dans les
     maisons de vente, les premières rééditions atteignent parfois
     des prix bien supérieurs à ceux des rééditions actuelles. Les
     considère-t-on comme des pièces d’antiquité? La valeur de ces
     objets s’amplifie-t-elle avec le temps?

66                          67
Une réédition est-elle une copie?
                                           Par définition, une réédition est une reproduction autorisée et
                                           authentifiée, identique à son modèle d’origine.
                                           Pour beaucoup, ces rééditions sont de véritables hommages
                                           rendus à leur créateur, et non une copie, mais pour d’autres, la
                                           valeur des rééditions est bien moindre que celle des originaux.

                                           Une réédition est légitime et légale. C’est un processus très
                                           normé, qui reconnait l’authenticité réelle d’un objet car il a été
                                           produit d’après les dessins d’origine de l’auteur. Le meuble ré-
                                           édité ne raconte pas la même histoire que l’original : il a été
                                           produit hors contexte, quand les originaux répondaient parfois
                                           à une commande spécifique.
                                           Ces nouvelles éditions, bien que fidèles aux originaux
                                           manquent-elles de singularité ? Elles sont des reproduc-
                                           tions, certes, mais signées. Sont-elles pour autant originales?
                                           Puisqu’elles sont reproduites à l’identique, sont-elles des co-
                                           pies - certes certifiées?

                                           « Il me semble que ces rééditions sont davantage des hommages que
                                           des copies à l’identique et que l’on sent bien la différence. [...] Les éditeurs
                                           bénéficient de notre travail de fond depuis trente ans pour réhabiliter ce
                                           mobilier que nous avons sauvé de la destruction, de l’oubli. » 1

                                           Parfois sujettes à polémiques, ces rééditions agréées ont le
                                           mérite de mettre au jour des modèles de qualité.

     1
         GODFRAIN, M. Design : le bon filon des rééditions. Le Monde. 17/04/2020

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