LES ICÔNES DU DESIGN GUIDE PRATIQUE - Violette Boullet - Ecole Camondo - Diploma Camondo
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
LES ICÔNES DU DESIGN GUIDE PRATIQUE Mémoire de fin d’études Violette Boullet - Ecole Camondo Sous la direction d’Alexis Markovics 2 3
Remerciements Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à l’élaboration de ce mémoire. Merci à mon directeur de mémoire Alexis Markovics pour ses conseils précieux et rassurants qui ont su guider mon travail. Merci à Sophie et Valentine pour leur patience et leurs relec- tures. Merci à Marguerite, Sarah, Léna, Chloé, Manon, Romy et Julie pour leurs conseils et leur soutient. 4 5
Sommaire Introduction 11 I. LES PIÈCES ICONIQUES DU DESIGN 15 C. Une reproduction authentique? 51 1. Adaptations les caractéristiques, les critères. Adapter les produits au goût du jour 1. Normes actuelles 2. Les matériaux 3. Dimensions 4. Finitions A. Un design d’auteur 17 La place des ayants droits 2. La copie B. Des créations emblématiques d’une époque 21 3. Limites de la réédition Question d’originalité Une réédition est-elle une copie? C. Des productions manifeste d’innovations 27 1. Des innovations techniques et matérielles : le retour à l’industrie. Le tube d’acier chromé La question du moulage III.LES ICÔNES AUJOUD’HUI 73 Le porte-à-faux 2. De formes, d’esthétisme. A.Des produits toujours omniprésents 75 1. Des produits prescrits dans les projets Un succès commercial toujours présent Une valeur sûre II. LA RÉÉDITION 35 2. Une omniprésence toujours actuelle un phénomène dans le phénomène. Dans les musées Dans les ouvrages Au cinéma A. Des alliances entre éditeurs et créateurs 37 1. Vitra et les Eames 2. Knoll et Mies Van Der Rohe B.Eternelles inspirations / référencement 85 3. Cassina et Charlotte Perriand, Le Corbusier et Pierre Jeanneret 1. Un terrain de jeu pour les designers 2. Un référencement inconscient? Un patrimoine culturel B. Diffusion abondante des icônes 43 Copies d’inspiration 1. Pourquoi rééditer? Faire perdurer l’Histoire Rendre accessibles des pièces historiques Conclusion 91 2. Diffusion mondiale Le processus de fabrication Bibliographie 95 La rencontre d’un marché 8 9
Introduction Quelle est la première pièce à laquelle vous pensez lorsque l’on parle d’icône du design? La Lounge Chair des Eames? La Chaise Longue LC4 de Le Corbusier et de Charlotte Perriand? La Chauffeuse Barcelona de Mies Van Der Rohe? Pourquoi parlons-nous d’icônes pour ces créations? De part sa définition, une icône relève d’abord de la sacralisa- tion et pourtant ces meubles n’ont rien de religieux. Cependant, la deuxième définition du terme, au sens figuré, témoigne d’une incarnation, d’un symbole. Que symbolisent ces icônes du design? Une histoire, un mou- vement? Sont-elles un emblème? De quoi? 1 Dans l’Église d’Orient, Peinture religieuse exécutée sur un panneau de bois (Robert). 2 AU FIGURÉ Personne, personnage qui symbolise (un courant…). (Robert). 10 11
Dans ce mémoire, j’ai cherché à comprendre le phénomène des icônes du design. Pourquoi et comment elles ont accédé à ce statut privilégié, qu’engendrent-elles? Ce ‘guide pratique’ est avant tout une enquête. Telle une journaliste, je tente d’ex- pliquer ce sujet. En menant mon investigation, j’ai découvert un univers. J’ai réalisé qu’il y avait une réelle réflexion autour de ces icônes. Elles sont bien plus que de simples meubles. En tant qu’étudiante en architecture intérieure et design, elles sont pour moi d’incontestables inspirations. Elles ont rythmé mes cours d’histoire et ont pris une place dans mon parcours. Elles suscitent en moi un émerveillement particulier, avant même de mieux les connaître. Pour tenter de comprendre ce phénomène, j’ai d’abord cherché à définir les caractéristiques d’une icône : nous verrons alors qu’il s’agit d’un design d’auteur, de productions emblématiques d’une époque marquée par des ruptures, et enfin que ces créa- tions sont témoins d’innovations. Nous nous intéresserons ensuite à la réédition de ces icônes, les rencontres qui ont été à son origine, son importance dans le marché du mobilier, et enfin, nous nous interrogerons sur l’au- thenticité des icônes rééditées. Pour clore ce mémoire, nous évoquerons la place actuelle de ces icônes, aussi bien dans la prescription de mobilier que dans l’inspiration qu’elles génèrent. 12 13
I. LES PIÈCES ICONIQUES DU DESIGN Les caractéristiques, les critères. Le XX°siècle aura été, pour le monde du design, une période majeure. La production de mobilier a été aussi dense que les événements qui ont rythmé le siècle. Le mouvement moderne a offert une production riche de mobilier et d’idéologies. Certains de ces produits sont encore aujourd’hui admirés, contemplés, préservés, et suscitent toujours autant d’adoration. Ces ‘icônes’ sont devenues cultes. Mais qui sont-elles et comment ont-elles accédé à ce statut privilégié? Plusieurs personnalités, encore admirées aujourd’hui, ont offert un regard innovant sur la conception de mobilier, et plus en- core. La période moderne a ainsi révolutionné la manière de concevoir l’objet, offrant ainsi des productions devenues cultes. 14 15
I. A. Un design d’auteur Le mouvement moderne a bouleversé la façon de créer. Cette nouveauté est bien évidemment l’œuvre d’artistes qui ont mené un travail de recherches phénoménal sur la manière de vivre et de construire. Ces personnalités sont les précurseurs d’un mouvement qui a chamboulé le milieu du Design. Avec leurs productions inédites, parfois difficilement acceptées par le grand public lors de leur parution, ils ont marqué l’Histoire. Si ces produits ont aujourd’hui le statut d’icône, de classique, de meuble culte, c’est en partie car ils ont été pensés par des figures emblématique du XX° siècle. Nous parlons alors de de- sign d’auteur, car ce design iconique n’est pas anonyme, bien au contraire, c’est bien un design dont l’auteur est connu et reconnu. Ces auteurs, qui sont-ils? Certains sont architectes, comme Ludwig Mies Van Der Rohe ou Le Corbusier. Ce dernier aura été un des plus grands théo- ricien de sa génération. Avec un regard audacieux sur l’archi- tecture, Le Corbusier est reconnu comme l’une des figures fon- damentales du siècle dernier, il est le visage de l’architecture moderne. Il se place presque comme un prophète ou encore un gourou de l’architecture. L’architecte allemand devenu américain Ludwig Mies Van Der Rohe, est lui aussi une figure emblématique. Maître du mini- malisme, il est devenu un modèle pour des générations d’ar- chitectes, avec son ‘Less is More’, ou la manière dont il a réécrit l’architecture américaine à partir des années 1945. Troisième et dernier directeur du Bauhaus, il a apporté au milieu de l’ar- chitecture, puis du design, une liberté nouvelle guidée par la simplicité. Page de gauche : de gauche à droit et de bas en haut : Le Corbusier, Ludwig Mies Van Der Rohe, Marcel Breuer, Jean Prouvé, Charlotte Perriand, Ray et Charles Eames 16 17
Cette simplicité, nous la retrouvons également chez Marcel Breuer, qui a lui aussi créé des modèles qui continuent d’inspi- rer. Cette figure du Bauhaus est un artiste qui continue encore d’émerveiller. Charlotte Perriand, la première féministe du design qui a su se faire une place dans ce milieu quasiment exclusivement masculin, est elle aussi une figure emblématique. Celle qui a longtemps été dans l’ombre de Le Corbusier et de son cousin Pierre Jeanneret est aujourd’hui considérée comme un modèle absolu. Les conceptrices contemporaines peuvent se retrouver en elle : elle est une icône de liberté. Charlotte Perriand est une grande créatrice dont la carrière et les productions sont excep- tionnelles. Le couple d’architectes révolutionnaires formé par Charles et Ray Eames sont eux aussi des personnalités dont les oeuvres sont toujours vénérées. Ils ont conquis l’Amérique ainsi que le monde occidental. Jean Prouvé, grand ingénieur du XX° siècle, qui a eu une car- rière étonnante et un parcours singulier est encore un person- nage symbolique de cette période. Ces grands noms et tant d’autres ont joué un rôle essentiel dans l’histoire de l’art du XX° siècle. Ils se placent en designers manifestes ayant créé une œuvre fondamentale. Ces productions sont souvent anecdotiques dans leur produc- tion, comme par exemple la chauffeuse Barcelona de Ludwig Mies Van Der Rohe, ‘juste’ un siège dans son immense pro- duction architecturale. C’est bien parce qu’il y a l’intégralité de l’œuvre de ces créateurs que ces icônes sont des icônes. Une sorte de label est alors accordé à leurs productions. La simple signature de ces créateurs leur apporte une importance parti- culière. Ces icônes sont donc considérées comme un design d’auteur: on peut y attacher un nom, une étiquette. Si ce sont des au- teurs, leurs productions sont donc des œuvres d’art. La Joconde est signée Léonard de Vinci, et la Wassily Marcel Breuer. Cette idée de signature, de label, cette notion d’auteur fait donc de ces produits des œuvres, et les classe alors comme iconiques. Ce design d’auteur va produire des objets qui deviennent em- blématiques d’une période. Page de gauche : de bas en haut : signatures de Le Corbusier, Ludwig Mies Van Der Rohe, Marcel Breuer, Charlotte Perriand, Charles & Ray Eames et Verner Panton. 18 19
I. B. Des créations emblématiques d’une époque « Les classiques imposent une harmonie de composition, ce sont des objets du passé visibles à toutes les époques. Ce sont des pièces qui ont parfois changé l’Histoire, bousculé les habitudes, offert un nouveau point de vue», 1 Ces productions iconiques sont également des objets mani- festes de leur période. Elles marquent les ruptures sociales et économiques qui ont défini le XX° siècle. Mais en quoi sont- elles emblématiques? Elles sont bien sûr les témoins du passé, de l’Histoire. Elles ra- content en effet les tournants stylistiques, entre autres, d’une période. Elles définissent ainsi une époque : Le mouvement moderne a révolutionné le monde du design. Ces idées nou- velles se lisent sur le mobilier conçu durant cette phase. Si ces icônes continuent de traverser le temps et de rester actuelles, c’est en partie grâce à l’histoire qu’elles portent en elles. Elles sont un véritable témoignage de cette histoire, des innovations techniques, sociales. Ces meubles portent en eux toute la réflexion d’une époque. Ils sont la trace physique d’une évolution de mode de vie, d’un bouleversement. Les esprits créatifs de chaque époque ont laissé comme hé- ritage leur production. Ces créateurs ont ainsi changé, mais changé quoi? La manière de s’asseoir? De lire? De discuter? De cuisiner? Toutes ces gestes quotidiens ont été questionnés, repensés. Certains ont révolutionné la façon de concevoir l’objet, d’autres sont emblématiques de leur époque. 1 Barbara Lehmann, responsable des archives historiques de Cassina. DEYDIER, C. Design : La bonne fortune des rééditions. Le Figaro. 24/09/2019. 20 21
« Ils étaient sous-tendus par une véritable réflexion, une philosophie de l’objet ancrée dans leur contexte. La notion de classique nécessite du temps et une culture. Et du courage. N’oublions pas le contexte dans le- quel ils arrivaient » 1 Prenons l’exemple de la chauffeuse Barcelona, emblème de toute l’œuvre de Mies Van Der Rohe mais aussi de toute la mo- dernité. Conçue en 1929 et présentée lors de l’Exposition Universelle de la même année à Barcelone, la chauffeuse Barcelona repré- sente à elle même les idéologies du mouvement moderne. La forme suit la fonction, sans superflu. C’est le fameux ‘Less is more’. Fini l’ornement, on ne montre à présent que l’essentiel, à savoir la fonction. L’objet est clarifié et les proportions géné- reuses. Ces aspirations sont propres à l’école du Bauhaus, qui dans l’entre deux guerres a offert des idées nouvelles, en réac- tion au style Art Nouveau et au mouvement Arts and Crafts : on ôte l’ornement, et on ne laisse que des lignes épurées, simples et minimalistes, comme un prolongement de l’architecture. La chauffeuse Barcelona est donc une création symbolique du mouvement moderne : fini l’art nouille, place à la radicalité des formes. Place à une nouvelle ère avec le couple Eames qui va profiter de l’ambiance post Seconde Guerre Mondiale pour instaurer un modèle américain, qui va rapidement se répandre dans le monde occidental. En effet, lorsque l’Europe freine face à la guerre, ils inventent le mobilier de demain. On cherche à limiter le coût de production, des matériaux, ce qui influe donc sur l’es- thétique du mobilier. Leur chaise Dinning Armchair Rod, DAR, va incarner cette nouvelle transition. On tend désormais vers un ‘art d’habiter’ avec un mobilier modulable et fonctionnel. 1 LAFFANOUR, F. Living with Charlotte Perriand, Edition Skira, 2019. Page de gauche : Chauffeuse Barcelona Ludwig Mies Van Der Rohe. 22 23
Ce modèle de la modernité, du fonctionnalisme va être mis en perspective et critiqué dès les années 1950 avec le Pop Art. En effet, ce mouvement conteste les règles dictées par le fonction- nalisme typique du Bauhaus, jugé oppressant. Les années 60 marquent un tournant de l’histoire, ce qui se lit dans le mobilier de l’époque. Fini les lignes figées, place à la folie. Cette période de création extravagante voit s’imposer le plastique malléable qui permet de créer toutes les formes. Les lignes sont courbes, les formes molles, et surgissent des couleurs vives. Les productions d’Arne Jacobsen sont le parfait exemple de cette rupture. Avec sa Egg Chair ou la Swan Chair, parues en 1957, le changement est flagrant. Avec ses formes organiques, elles annoncent un grand confort et une générosité. Ces caractéristiques se retrouvent également dans la Panton Chair. Elle est d’autant plus symbolique puisqu’elle réunit de nombreux principes de toute l’histoire du XX° siècle. Très réfé- rencée, elle rappelle les essais de Rietveld avec la chaise en porte-à-faux. Peut être pouvons-nous y voir un aboutissement technique ou symbolique? C’est donc dans les ruptures que les icônes se forment, car elles font preuve d’innovation. Les tournants stylistiques et les inno- vations techniques sont étroitement liées. Page de gauche, de haut en bas : Egg Chair et Swan Chair d’Arne Jacobsen, Panton Chair de Verner Panton © Verner Panton Design AG 24 25
I. C. Des productions manifestes d’innovations Le design du XX° siècle est marqué par les nombreuses inno- vations techniques, matérielles et formelles des productions. Elles sont manifestes de ces découvertes. L’utilisation des matériaux a connu un véritable tournant avec le mouvement moderne. La place est à la reproduction en série, les matériaux doivent ainsi servir cette production industrielle. Exploités pour des aménagements professionnels, ces matériaux ont été dé- tournés, repensés. Le tube de métal, par exemple, est cintré et la tôle d’acier pliée. On voit alors naître un mobilier facilement reproductible, avec des matériaux peu coûteux, pour le rendre accessible à tous et à un prix raisonnable. Fini les pièces arti- sanales, trop chargées, place à la production massive en série. L’emploi de nouveaux matériaux est une grande caractéristique du mouvement moderne. Le design moderne, c’est avant tout des objets fonctionnels, avec de nouvelles matières et tech- niques, aux lignes inédites. 26 27
1. Des innovation techniques et matérielles: Le retour à l’industrie L’ère industrielle à marqué le début du XX° siècle, qui témoigne d’un intérêt particulier pour les matériaux et les méthodes iné- dites. L’utilisation de ces nouveaux matériaux, tels que l’acier, le contre-plaqué moulé ou encore le plastique, offre de nouvelles possibilités techniques et donc formelles. Le tube d’acier chromé La chaise Wassily, l’emblème du Bauhaus. Marcel Breuer, en regroupant les ateliers ‘ébénisterie’ et ‘métal’ à l’école du Bauhaus a permis des nouvelles recherches tech- niques. La chaise, originellement appelée Modèle B3 en 1925 et aujourd’hui appelée Wassily, est le premier siège dont la structure est en tube d’acier chromé. Cette révolution a ainsi permis la production en série, et de nombreux meubles se sont ensuite dessinés avec ce tube. C’est une icône car on a utilisé des éléments industriels pour produire dans les années 1920 un mobilier fonctionnel et peu onéreux. En plus de sa beauté, grâce à sa structure squelettique, son porte-à-faux renvoie à l’industrie, et plus particulièrement à un objet industriel du XIX° siècle : le vélo. La question du moulage. La Dinning Armchair Rod des Eames est également un parfait exemple de l’importance de l’industrie dans le design du XX° siècle : c’est la question du moulage. La fibre de verre, utili- sée alors seulement dans l’aéronautique, fait de cet assise une création révolutionnaire. Sa nudité, sans garniture ou revê- tement, fait de la DAR un siège léger. Constituée d’un unique matériau, elle ne nécessite aucun assemblage, aucune vis. Elle est ainsi d’une facilité absolue à reproduire en série, et permet là encore de créer un design accessible. Les Eames sont égale- ment à l’origine de la collection Plywood, utilisant cette fois le bois lamellé collé moulé, puis enfin de l’incontournable Lounge Chair, avec là encore une coque en bois moulée. Page de gauche de haut en bas : Chaise Plywood, Charles et Ray Eames. Chaisse Wassily, Marcel Breuer.. 28 29
Le porte-à-faux Et si une chaise ne reposait plus sur quatre pieds? En testant les qualités de résistance de l’acier, Mart Stam dessine en 1926 la chaise ‘S32’. Grâce à la technique du porte-à-faux, il dessine ainsi la première chaise à deux pieds de l’Histoire. Un jeu d’équi- libre et une forme aérienne qui semble flotter dans l’air. Ce pro- cessus novateur inspirera également Marcel Breuer, ou encore Gerrit Thomas Rietveld, avec sa célèbre chaise Zig Zag. Ces innovations techniques et matérielles permettent ainsi de créer des formes nouvelles. 2. De formes, d’esthétisme. Le design moderne est particulièrement une histoire d’esthé- tisme. En rupture avec le passé, les créateurs du XX° siècle ont carte blanche pour expérimenter techniques et matériaux, lais- sant place à des dessins - pour l’époque - inédits. Nous l’avons vu, le ‘Less is More’ de Ludwig Mies Van Der Rohe a apporté le minimalisme à la production moderne. Les lignes changent et évoluent. Cet esthétisme devient alors un symbole. Les grandes créations du mouvement deviennent manifestes de cette philosophie recentrée vers l’essentiel où la fonction fait la forme. Page de gauche, de haut en bas : Chaises S32 ‘Cesca’ de Marcel Breuer. Chaise Zig Zag de Gerrit Thomas Rietveld. 30 31
Ces icônes du design moderne sont donc en premier lieu un design d’auteur, attribué à des personnalités fondamentales. Elles sont également emblématiques d’une période rythmée par des ruptures, qu’elles soient sociales, économiques ou techniques. Ces innovations techniques permettent la repro- duction en série et rend ainsi accessible ce mobilier nouveau. Ces icônes ont été pensées pour leur facilité de production, et donc de reproduction. 32 33
II. LA RÉÉDITION Un phénomène dans le phénomène des icônes « Il est du principe de l’oeuvre d’art d’avoir toujours été reproductible. Ce que des hommes avaient fait, d’autres pouvaient toujours le refaire. […] La reproduction mécanisée de l’oeuvre d’art représente quelque chose de nouveau; technique qui s’élabore de manière intermittente à travers l’histoire, par poussées à de longs intervalles, mais avec une intensité croissante. » 1 1 WALTER, B. L’oeuvre d’art a l’époque de la reproduction mécanisée, Edition Allia. pp. 40. Page de gauche : Chaise S32 ‘Cesca’ de Marcel Breuer. Photo par Ágnes Mezösi 34 35
II. A. Des alliances entre éditeurs et créateurs Si la réédition a un tel impact dans le monde du design, c’est grâce à des entreprises qualifiées : les maisons d’édition. Une maison d’édition est une entreprise qui commercialise les œuvres dont elle possède les droits de distribution. Elles sont trois à se partager les droits de distribution des meubles les plus emblématiques. Cassina, Vitra et Knoll regroupent à elles seules les productions de plus de vingt-cinq grands noms du design. Comment est né ce phénomène? Ce sont les rencontres entre créateurs et - parfois futurs - édi- teurs qui en sont à l’origine. Vitra et les Eames Lorsque Willi Fehlbaum, fondateur de Vitra, se rend aux Etats- Unis en 1953, il découvre le travail du couple Eames. Inspiré par la modernité et l’innovation de leurs productions, il pense à devenir fabricant de meuble, afin d’apporter cette nouveauté en Europe. Il rencontrera Charles et Ray Eames en personne et une amitié durable va rapidement naître entre eux. Le couple américain va ensuite accorder les droits de reproduction de leurs productions à Willi Fehlbaum, pour une diffusion en Eu- rope et au Moyen-Orient. Cette collaboration va marquer les débuts de l’entreprise Vitra, et est à l’origine de son prestige. Le travail et la philosophie des Eames restent encore au- jourd’hui ancrés dans la philosophie de l’entreprise suisse : un design juste, intemporel, sans superflu et de qualité. Les nombreuses collaborations de l’entreprise avec de grands créateurs vont accentuer sa renommée, comme celle avec Verner Panton, dont va naître son œuvre la plus célèbre : la Panton Chair. Page de gauche : Vitra Design Museum. Architecture Herzog & de Meuron. 36 37
Knoll et Ludwig Mies Van Der Rohe Hans et Florence Knoll sont passionnés d’architecture et de mobilier. Ils ont côtoyé pendant leurs études les grands noms du Bauhaus, comme Walter Gropius ou Marcel Breuer. En s’as- sociant, le couple définit leur style moderne : le ‘Style Knoll’. ‘Knoll Associates’ propose des intérieurs et des bureaux. En 1948 ils proposent à Ludwig Mies Van Der Rohe de lui racheter les droits de production de sa chauffeuse Barcelona. Cette as- sociation va être bénéfique pour tous : d’un coté, Ludwig Mies Van Der Rohe voit renaître sa création - parue en 1929, sa pro- duction ayant été interrompue en 1931 - d’un autre coté, pour les Knoll, cela va être le déclenchement d’une multitude de collaborations qui feront fait le succès de l’entreprise, comme celles avec Harry Bertoia, Eero Saarinen, ou Warren Platner. Cette modernité continue d’être l’emblème de la maison. « Knoll is Modern Always because modern always works. » 1 Cassina et Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jean- neret. L’entreprise est fondée en 1927 par deux frères, Cesare et Um- berto Cassina. D’abord ordinaires fabricants de meubles, ils voient plus loin que la simple fabrication de mobilier. Compre- nant rapidement l’intérêt de la fabrication en série, ils se lancent dans l’édition de pièces originales qui deviendront iconiques . En 1964, ils obtiennent les droits pour la production de la chaise longue LC4. Cette création emblématique qui avait connu une popularité moyenne depuis sa parution devient alors un véri- table succès commercial. S’en suit ensuite toute une collection de ces créateurs : « LC » (Le Corbusier). Aujourd’hui, Cassina édite également des œuvres contempo- raines mais continuent de faire vivre les créations de maîtres. Le catalogue de l’éditeur est une véritable collection de chefs- d’œuvre du Design, regroupés dans leur collection ‘I Maestri’. 1 www.knoll.com (Knoll est toujours moderne parce que le moderne fonctionne toujours) Page de gauche : LC Collection Miniatures. Cassina 38 39
Ces entreprises pionnières jouèrent ainsi un rôle fondamental dans la ‘création’ des icônes. Elles ont eu un rôle majeur quant à leur popularité et ont su faire fructifier ces objets. Elles ont été capables de les mettre en scène, d’en faire la publicité et de les adapter à un monde plus contemporain. Les maisons d’édition se placent ainsi comme les commanditaires de ces produits devenus emblématiques. Elles doivent toutes leur renommée aux grands créateurs qui leur ont accordé les droits de distri- bution de leurs productions. 40 41
II. B. Une diffusion abondante des icônes 1. Pourquoi rééditer? Rééditer c’est reproduire à l’identique une pièce d’origine, et la commercialiser à un prix juste. C’est respecter le dessin ori- ginal d’un objet, son essence, son message. Ces icônes sont aujourd’hui très présentes sur le marché. Plusieurs maisons d’édition les commercialisent, mais ce n’est pas sans normes. Ces meubles cultes sont aujourd’hui réédités afin de permettre au plus grand nombre de les acquérir, et donc de continuer leur histoire. Ces pièces emblématiques sont assimilées à des standards, des références intemporelles et classiques. Leur es- thétique et leur confort sont devenus des valeurs universelles. Ces icônes ont été pensées pour leur facilité de production, et donc de reproduction. La réédition de ces icônes a influencé leur statut. Le simple fait qu’elles soient rééditées traduit leur intérêt toujours actuel. Page de gauche : Coque de chaises Série 7 d’Arne Jacobsen. archdaily © 42 43
Faire perdurer l’histoire Acheter une réédition, c’est obtenir une part de l’histoire du design. Rééditer c’est faire redécouvrir et maintenir vivantes ces pièces emblématiques. C’est prolonger leur histoire et celle de leur créateur, tout en permettant leur accès à un plus large public. Pour ne pas figer ces productions dans une époque et de continuer à les faire vivre, ces rééditions leur rendent hom- mage. Les maisons d’édition, en rééditant ces pièces emblé- matiques, affirment la modernité de celles ci. Leur succès de vente et l’intérêt qu’on leur porte encore aujourd’hui prouvent bien que ce sont des créations intemporelles, éternelles. Ces meubles d’une autre époque restent, grâce à la réédition, tou- jours aussi actuels et continuent d’émerveiller et d’inspirer. « Au moins ils sont sortis des limbes, car c’est bien là qu’ils étaient […] Aujourd’hui, vous pouvez les juger, les regarder, les utiliser, les critiquer » 1 1 Charlotte Perriand en parlant de la collection ‘I Maetri’ de Cassina Page de gauche : Ant Chair, Arne Jacobsen. 44 45
Rendre accessible des pièces historiques et de qualité Une pièce rééditée est une garantie de provenance et de quali- té : c’est acheter un produit historique neuf. Lors de leur parution, ces créations était difficilement ac- cessibles. Souvent protégées par des brevets, on ne pouvait presque se les procurer que par le biais d’architectes ou de décorateurs d’intérieur. Grâce à la réédition, l’offre est plus importante car les icônes sont reproduites en masse. La réédition permet ainsi de diffuser en grand nombre des pièces authentifiées et d’une qualité non négligeable, à prix juste. Ces versions neuves sont nettement moins chères que les ori- ginales. Prenons pour exemple le Tabouret Berger de Charlotte Perriand qui vaut environ 550€ chez Cassina (donc réédité) et peut atteindre 9000€ en maison de vente ou chez des an- tiquaires qualifiés. En effet, ces meubles destinés à être éco- nomiques lors de leur production, deviennent aujourd’hui des objets de luxe quand ils sont d’époque : une table trapèze de Jean Prouvé qui valait 15 000 francs lors de sa parution en 1956, et a été, estimée à plusieurs centaines de milliers d’euros, puis été adjugée 1,241 millions d’euros lors d’une vente chez Artcurial en 2008! Cette même table est disponible chez Vitra pour 4 970 euros. Les rééditions sont produites en série, leur coût est donc nette- ment moins élevé que les originaux, qui sont aujourd’hui bien plus rares. Page de gauche : Tabourets Berger de Charlotte Perriand. 46 47
2. Une diffusion mondiale La rencontre d’un marché Ces créations iconiques sont de plus en plus demandées. La réédition apporte une offre à cette demande qui ne cesse de croitre. La popularité de ces icônes du design est telle que tout le monde les veut. La réédition permet ainsi de diffuser ces icônes aux quatre coins du monde, de manière légale et offi- cielle. La réédition montre un glissement entre la pièce unique et la reproduction de celle-ci. C’est bien parce qu’elles sont re- productibles que s’ouvre un marché. Le processus de fabrication Les entreprises décident du choix des pièces à rééditer en fonction du potentiel de la demande, de leur coût de production et de leur impact écologique. La réédition se doit d’être une reproduction conforme au dessin du créateur, à son essence. Lors de la réédition d’une pièce, les archives sont sollicitées, afin de respecter au mieux le des- sin originel. Un dialogue est alors ouvert entre l’entreprise qui les fabrique et les ayants droit, suivi d’une équipe performante constituée d’historiens ou d’ingénieurs. Une réédition se doit d’être dans le respect du travail de création. On prend des me- sures, on consulte les archives. Rééditer c’est retourner à la création de l’objet : on prend en compte le contexte, les maté- riaux. Aucun détail n’est négligé pour une authenticité certifiée. Cette authenticité est assurée par les éditeurs : ils détiennent les droits de production afin de faire des œuvres certifiées et officielles. Parfois, les rééditions ne sont pas toujours 100% conformes aux pièces originales. Page de gauche : Chaises Série 7 Arne Jacobsen. 48 49
II. C. Une reproduction authentique? La reproduction suit-elle les méthodes exactes de l’original ou est-elle adaptée aux techniques d’aujourd’hui ? 1. Adaptations Les éditeurs peuvent se permettre quelques modifications lors de la réédition d’un meuble, mais ils doivent rester les plus fidèles au dessin originel. Il faut en effet conserver le lien d’origine et respecter les éléments primaires, très spécifiques à chaque création, à chaque auteur. Il faut toujours chercher à comprendre l’objet pour mieux le révéler, sans le dénaturer. Cependant, les rééditions des créations modernes se confrontent à certains obstacles. Avec le changement d’époque, les processus de fabrication sont bien différents aujourd’hui. Ainsi le mode de production diffère grâce aux méthodes de fa- brication qui ont évolué. Les rééditions ne peuvent pas toujours être exactement conformes aux originaux, et ce, sur plusieurs points. Adapter les produits au goût du jour 1. Normes actuelles Les changements d’époques et les besoins qui en découlent sont un autre facteur d’une adaptation parfois contestée. Les enjeux écologiques sont aujourd’hui un point phare de la pro- duction dans le design, il faut notamment limiter le plastique et ainsi trouver des alternatives pour reproduire sans trop trans- former. C’est ainsi une première contrainte pour les éditeurs. Ces évolutions industrielles peuvent compromettre la réplique parfaite des originaux. Un bon exemple est la LED qui à rem- placé les ampoules à filaments, plus écologique. Il faut ainsi réadapter le processus de conception de chaque lampe pour y appliquer cette nouvelle méthode. Les normes de sécurité sont également bien différentes au- jourd’hui qu’il y a des décennies, notamment sur les points électriques, ce qui modifie encore la production des rééditions. 50 51
2.Les matériaux La question des matériaux peut être pour les éditeurs un vé- ritable questionnement. La plupart de ces icônes ont plus de cinquante ans. A l’époque, l’utilisation des matériaux était bien différente. Aujourd’hui, leur réédition présente quelques changements en terme de matière. C’est le cas pour la Panton Chair rééditée par Vitra. Originellement fabriquée en résine de polyester renforcée de fibre de verre, elle est aujourd’hui en polypropylène, ce qui lui donne une finition plus mate. Ce chan- gement a été cependant approuvé par Verner Panton lui même. Par ailleurs, certaines essences de bois sont devenues bien plus rares que dans les années 1950, contraignant ainsi les pro- ducteurs à se tourner vers d’autres essences, souvent moins chères. En effet, il ne faut pas l’oublier mais la réédition est censée être plus accessible, donc moins coûteuse. Certains éditeurs se permettent ainsi quelques modifications. 3. Dimensions Une étude montre que les femmes et les hommes étaient plus petits au milieu du XXeme siècle. Il a donc fallu modifier les dimensions de certaines pièces. C’est le cas de la Lounge Chair de Charles et Ray Eames, qui chez son éditeur Vitra, connait une version XL. En s’adaptant à notre époque, les éditeurs cherchent comment l’accommoder aux tendances actuelles tout en respectant son essence. Les proportions de la chaise longue en bambou de Charlotte Perriand ont également dû- être repensées, pour les normes actuelles. Certains canapés peuvent eux aussi connaître un changement de dimension, en passant par exemple de 2 à 3 places. Page de gauche : Panton Chair, Verner Panton, Vitra. 52 53
4. Finitions Afin d’apporter à ces créations modernes un esprit plus contemporain, les éditeurs peuvent décider d’en modifier les finitions. Changer un tissu ou une couleur peut apporter un coup de jeune à une pièce. Pour faire vivre une œuvre, il faut la mettre dans l’ère du temps présent pour assurer son futur. Un classique se doit de traverser le temps et pour cela il doit être adapté. C’est le cas notamment chez Knoll, ou la table Tu- lip de Saarinen a connu une nouvelle finition d’un marbre plus mat, donnant à cette table des années 1950 une dimension plus contemporaine. Dans ce même but, la chaise Standard de Jean Prouvé a connu une déclinaison de couleurs pastel. Certaines pièces de Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret ont également subi un « relooking » avec un changement de couleur plus ac- tuelles. Un autre exemple, très actuel, est la collaboration de Kartell avec la marque de vêtement italienne « La Double J ». La collaboration intègre les déclinaison de tissus iconiques de la marque sur les produits cultes de l’éditeur. Ces adaptations permettent ainsi de prolonger la longévité des icônes, mais elles doivent se faire dans le plus grand respect du dessein originel, et ne sont pas sans normes. C’est alors qu’in- terviennent les ayants-droit. Page de gauche : Collection ‘Standard SP’, Jean Prouvé, Photographie Vitra. 54 55
La place des ayants droit Les ayants droit sont les héritiers des créateurs et du dessein de leurs travaux. Ils sont les titulaires du droit moral des œuvres de ces créateurs. Les descendants ont hérité de la propriété intellectuelle des créations. Ils sont les garants de ces meubles, de leur dessin, de leur conformité. Touchant des royalties - dont le montant est confidentiel - ils sont les donneurs d’ordres dans toute réédition. Légalement, aucune réédition, transformation, adaptation ne peut se faire sans les consulter. En étroite com- munication avec les éditeurs, ils imposent leurs règles car ils sont les gardiens de leur héritage. Un ayant droit peut être un descendant du créateur mais pas seulement. L’héritage moral de Le Corbusier, par exemple, est géré par la Fondation Le Corbusier qui est légataire de ce droit. Pour les éditeurs, chaque réédition est un travail de recherche. Il faut retracer toute le processus de la création originale : son histoire, ses matériaux, ses dimensions… Ces garants d’héri- tage sont les chefs d’orchestres, ils décident de la liberté que peuvent prendre ou non les éditeurs. Certains ayants droit prennent leur rôle et leur héritage très à coeur. C’est notamment le cas de Pernette Perriand, la fille de Charlotte Perriand, qui défend fermement le travail de sa mère, refusant toute concession. Elle souhaite que les reproductions soient les plus fidèles possible. Pour elle modifier une œuvre, c’est la dénaturer. « Quand ils nous ont demandé s’ils pouvaient agrandir une chaise longue qu’ils jugeaient trop étriquée, c’était hors de question pour moi, précise-t- elle. En modifiant une proportion, vous dénaturez une œuvre. A cause des normes actuelles, nous avons été obligés d’épaissir une chaise longue en bambou, ce qui m’a beaucoup attristée. » 1 1 GODFRAIN, M. Design : le bon filon des rééditions. Le Monde. 17/04/2020 56 57
Cependant d’autres ayants droit comme Catherine Prouvé, fille de Jean Prouvé, soutiennent l’idée qu’il faut vivre et avancer avec son temps. « Je suis partisane de laisser une certaine liberté à mon éditeur. Il faut aussi s’adapter aux évolutions des goûts, des modes » 1 Malheureusement, certains descendants n’accordent pas la même importance à leur héritage, et n’y voit d’intérêt que par l’appât du gain, laissant ainsi aux éditeurs toute la liberté qu’ils le souhaitent. Prenons pour exemple le cas d’un descendant de Pierre Guariche, dont les chaises ont été rééditées massive- ment par Maison du Monde. De qualité déplorable, cette com- mercialisation massive avait été sujet de grand débat. En tant que gardiens de ces œuvres, les ayants droit se battent pour la protection de leur héritage, menacé par un autre phé- nomène, celui de la copie. S’il y a une marge d’adaptation possible par le propriétaire des droits, qu’est ce qui empêche les faussaires d’adapter les co- pies? 1 GODFRAIN, M. Design : le bon filon des rééditions. Le Monde. 17/04/2020 58 59
2. La copie L’engouement autour des icônes est tel que la présence de copies sur le marché est abondante, et malheureusement très facilement accessible. En effet, il suffit de rentrer le nom d’un modèle dans un moteur de recherche, pour qu’on nous propose immédiatement des sites où se vendent des copies. Pas une icône n’y échappe : de Breuer à Charlotte Perriand en passant par Saarinen, toutes les créations iconiques font malheureuse- ment face à cette expérience. La quantité de contrefaçon prouve bien que la demande est là : les icônes sont désirées, à tout prix. Est-ce un honneur ou crime? Editeurs et ayants droit ne voient guère ça comme un hom- mage, au contraire. Pernette Perriand, fille de Charlotte Perriand, dit lutter en vain contre ces contrefaçons qui circulent si faci- lement. En effet, sur internet, les premiers sites qui s’affichent lorsqu’on recherche une icône sont trop souvent des sites de copies. Revendiquant ou non leur authenticité, ces vendeurs de faux vont parfois jusqu’à présenter le maître copié en lui accordant une biographie et même l’histoire de l’objet falsifié. Certes moins coûteuses, elles sont d’une qualité nettement in- férieure à celle d’une production certifiée. Souvent fabriquée en Chine où la contrefaçon est légale, on remarque leur manque de régularité. Les problèmes de sécurité, entre autres, sont un aspect bien désastreux du faux. Mis à part leur prix, ces copies représentent peu d’avantage, elles vont au contraire déshono- rer le travail et l’héritage de leur créateur. 60 61
Le commerce du faux est une incontestable insulte aux créa- tions iconiques du design. Pour contrer cette propagation trop importante de copies, la réédition propose des pièces authen- tifiées, normées et de qualité. La réédition est un moyen pour les ayants droit de limiter la copie, et donc de protéger leur héritage, en confiant à des entreprises qualifiées le monopole de la reproduction de certaines pièces. L’augmentation de la production des contrefaçons montre mal- heureusement que la demande est très importante. Véritable fardeau pour les éditeurs, les faux circulent partout et bien trop facilement. Les icônes du design sont copiées, c’est un fait, mais ce sont aussi les rééditions qui sont imitées. En effet, les adaptations des éditeurs sont également reproduites dans les contrefa- çons. Par exemple, les couleurs pastel - évoquées précédem- ment - de la chaise Standard de Jean Prouvé se retrouvent dans certaines copies. Les ayants droit luttent contre ce phé- nomène et multiplient les actions en justice. « C’est une catastrophe pour les ayants droit, qui touchent des royalties sur les rééditions de marques et financent les recherches et publications sur les artistes » 1 1 Jacques Barsac, gendre de Charlotte Perriand, BENSOUSSAN, D. La vérité sur… la contrefaçon de pépite du design. Challenges. 04.03.2017 62 63
Cette lutte contre la contrefaçon n’implique pas que les ayants droit et éditeurs. Les créateurs actuels sont également agacés par ce phénomène défavorable au Design. Le studio 5.5, en ré- ponse à cette prolifération de contrefaçons, a réalisé en 2017 un projet manifeste intitulé « Copie originale ». Ce projet est en réalité une campagne de sensibilisation avec une touche d’hu- mour. Un ruban adhésif sur lequel apparait « Copie Originale design by 5•5» permet de sceller les copies, comme une pièce à conviction. L’objet enrubanné devient alors symbolique. Cette intervention est également une alternative à la destruction des copies, qui représente malgré tout un gaspillage écologique. «L’idée première réside dans le souhait d’identifier les copies présentes sur le marché pour les révéler aux yeux du grand public et éviter qu’elles ne diffusent une mauvaise image de la marque et des designers. […] Nous offrons ainsi la possibilité à un consommateur berné de donner un nou- veau statut à son patrimoine mobilier. » 1 www.5-5.paris 64 65
3. Limites de la réédition Question d’originalité La diffusion massive de ces rééditions pose en effet des ques- tions d’originalité : ‘Tout le monde en veut’, vrai comme faux. Ces rééditions devenues abordables se retrouvent désormais partout. Cette diffusion, bien que certifiée authentique, est-elle réelle- ment avantageuse? Fait-elle l’éloge de ces pièces embléma- tiques, ou les fait-elles tomber dans le banal? Pour les collectionneurs de pièces originales, cette réédition ne semble pas bénéfique : La cote de ces icônes peut parfois baisser à cause de la grande production des rééditions. On peut aujourd’hui s’offrir à un prix juste ces icônes. Mais reve- nons à la pensée première de celles-ci. Elles ont été créées pour justement être diffusées au plus grand nombre à un prix correct. Le design devenu industrialisé est le résultat même de cette réflexion. Ce sont cependant deux systèmes différents : d’une part le galeriste - entre autres - magnifie le travail d’origine, avec son histoire et son contexte, qui devient alors objet rare et précieux. D’autre part, les rééditeurs permettent à une clientèle moins fortunée de posséder une part de l’histoire, avec toute l’au- thenticité revendiquée de celle ci. Cependant, mêmes les réé- ditions prennent de la valeur grâce à leur ancienneté : dans les maisons de vente, les premières rééditions atteignent parfois des prix bien supérieurs à ceux des rééditions actuelles. Les considère-t-on comme des pièces d’antiquité? La valeur de ces objets s’amplifie-t-elle avec le temps? 66 67
Une réédition est-elle une copie? Par définition, une réédition est une reproduction autorisée et authentifiée, identique à son modèle d’origine. Pour beaucoup, ces rééditions sont de véritables hommages rendus à leur créateur, et non une copie, mais pour d’autres, la valeur des rééditions est bien moindre que celle des originaux. Une réédition est légitime et légale. C’est un processus très normé, qui reconnait l’authenticité réelle d’un objet car il a été produit d’après les dessins d’origine de l’auteur. Le meuble ré- édité ne raconte pas la même histoire que l’original : il a été produit hors contexte, quand les originaux répondaient parfois à une commande spécifique. Ces nouvelles éditions, bien que fidèles aux originaux manquent-elles de singularité ? Elles sont des reproduc- tions, certes, mais signées. Sont-elles pour autant originales? Puisqu’elles sont reproduites à l’identique, sont-elles des co- pies - certes certifiées? « Il me semble que ces rééditions sont davantage des hommages que des copies à l’identique et que l’on sent bien la différence. [...] Les éditeurs bénéficient de notre travail de fond depuis trente ans pour réhabiliter ce mobilier que nous avons sauvé de la destruction, de l’oubli. » 1 Parfois sujettes à polémiques, ces rééditions agréées ont le mérite de mettre au jour des modèles de qualité. 1 GODFRAIN, M. Design : le bon filon des rééditions. Le Monde. 17/04/2020 68 69
Vous pouvez aussi lire