Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce

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Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
NOTE D’INFORMATION, OCTOBRE 2014

Les négociations sur l’agriculture
après Bali : le défi de mise à jour
des règles internationales de
commerce

Introduction

Lors de la neuvième Conférence ministérielle de l’OMC à Bali,
les ministres se sont engagés à préparer un programme de travail
« clairement défini » sur les questions restantes du Programme
de Doha pour le développement (PDD). Cependant, la situation
des échanges agricoles internationaux a beaucoup évoluée
depuis le gel des négociations en 2008 et encore plus depuis le
lancement de Doha en 2001. Alors que les membres de l’OMC
commencent à élaborer les contours d’un programme potentiel
après Bali, il est essentiel de bien comprendre cette nouvelle
réalité internationale et ce qu’elle implique pour les disciplines
multilatérales agricoles à venir.

                                    Cette note d’information
     Tackling                       résume      quelques      unes
     Agriculture                    des conclusions du livre
     in the Post-Bali               électronique     de    l’ICTSD
     Context                        Tackling     Agriculture    in
                                    the Post-Bali Context: A
    A collection of short essays

     Edited by
                                    Collection of Short Essays »,
                                    édité par Ricardo Meléndez-
     Ricardo Meléndez-Ortiz
     Christophe Bellmann
     and Jonathan Hepburn

                                    Ortiz, Christophe Bellmann
                                    et     Jonathan     Hepburn 1.
                                    Ce livre s’appuie sur les
                                    analyses les plus récentes des
                     October 2014
                                    tendances      internationales
                                    et des réformes politiques
                     ICTSD Programme
                     on Agriculture Trade
                     and Sustainable Development

                                    internes pour éclairer les
                                    négociations après Bali. Il
                                    comprend une série d’articles
non techniques, concis et orientés vers la recherche de solutions
qui ont été écrits par des experts et des penseurs réputés. Ces
articles couvrent de façon systématique tous les éléments des
négociations agricoles concernant l’accès au marché, le soutien
interne et la concurrence à l’exportation.

1   Pour plus d’informations sur cet ouvrage, rendez-vous sur http://www.ictsd.org.
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
1. Le nouveau contexte international                                  et le Brésil), leur importance collective décroît,
                                                                          entre autres à cause du dynamisme des marchés
    Un paysage commercial qui évolue rapidement                           d’importation en Afrique (cf. tableau 1). Les pays
                                                                          émergeants ont également gagné en importance
    Au cours des quinze dernières années environ, le                      avec la croissance des importations chinoises, le
    commerce international de l’agriculture, hors flux                    renforcement du Brésil en tant qu’exportateur clé
    intra-européens, a presque triplé pour atteindre mille                et la participation accrue de l’Inde dont la part des
    milliards de dollars américains. Bien que le commerce                 importations internationales a doublé au cours de la
    soit surtout concentré autour de six acteurs clés                     même période et dont l’excédent commercial net
    (l’Europe, les États-Unis, le Japon, l’Inde, la Chine                 était de 9 milliards de dollars américains2.

    Tableau 1. Les échanges agricoles internationaux : évolution au cours des dix dernières années
        Moyenne annuelle des échanges                               2002-04 :                                   2011-13 :
         agricoles internationaux (hors                              325 914                                     907 507
          commerce intra-européen).
                Millions de USD.
           PART DES EXPORTATIONS                            Part des exportations                       Part des importations
              INTERNATIONALES                                  internationales                             internationales
                                                          2002–04                2011–13               2002–04             2011–13
        BRÉSIL                                               6.9%                  9.0%                  1.0%                 1.2%
        CHINE                                                4.8%                  4.3%                  5.3%                11.1%
        EU28                                                16.3%                  15.1%                22.3%                16.1%
        INDE                                                 1.7%                  2.9%                  1.0%                 2.0%
        JAPON                                                0.5%                  0.4%                 11.6%                 7.1%
        ÉTATS-UNIS                                          18.8%                  15.8%                16.8%                12.3%
        SOUS-TOTAL                                         49.0%                  47.5%                 58.0%                49.9%
    Source : Laborde, D. 2014. « Implications of the Draft Market Access Modalities on Bound and Applied Tariffs » dans Agriculture
    in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.

    Au cours des décennies à venir, avec la croissance                    avec des exportations stables. La forte croissance
    de la population urbaine et les changements                           de la population en Afrique donnera lieu à une
    de régimes alimentaires associés, l’évolution                         augmentation des importations d’aliments, mais la
    de la demande risque d’avoir encore plus                              demande la plus importante viendra d’Asie où on
    d’impact sur l’orientation et la géographie des                       s’attend à voir un déficit des échanges pour toutes
    flux commerciaux. On estime qu’un milliard de                         les marchandises sauf le riz, les huiles végétales
    personnes supplémentaires rejoindront la « classe                     et le poisson en 2023. L’Inde continuera d’être un
    moyenne » en 2020, s’ajoutant aux 1,8 milliards                       des principaux exportateurs de céréales et de riz
    de 20103. D’après les Perspectives agricoles de                       et le sera probablement aussi pour la viande et le
    l’OCDE et de la FAO, les Amériques vont renforcer                     coton ; elle continuera donc d’avoir un surplus des
    leur position de principale région d’exportation,                     échanges pour les produits agricoles.
    à la fois au niveau de la valeur et du volume. La
    croissance est surtout alimentée par l’augmentation                   Ces tendances pourraient créer de nouvelles tensions
    des exportations de marchandises de haute                             commerciales et, dans l’ensemble, accentuer
    valeur comme la viande, l’éthanol, le sucre, les                      le besoin d’un système commercial multilatéral
    oléagineux et le coton, en réponse aux fluctuations                   fort, prévisible et équitable. Elles montrent
    de la demande. L’Europe de l’ouest aura, en                           également une tendance à l’augmentation des
    moyenne, un déficit des échanges commerciaux                          flux commerciaux, en particulier les exportations

    2    Cf. Laborde, D. 2014. « Implications of the Draft Market Access Modalities on Bound and Applied Tariffs » dans l’ouvrage de l’ICTSD
         Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.
    3    Cf. Ernst & Young. 2013. « Hitting the sweet spot. The growth of the middle class in emerging markets » http://www.ey.com/
         Publication/vwLUAssets/Hitting_the_sweet_spot/$FILE/Hitting_the_sweet_spot.pdf.

2   Les négociations sur l’agriculture après Bali : 						                                                                 Octobre 2014
    le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
provenant de pays émergents, quelles que soient les                   a fallu éliminer sur les marchés internationaux,
conditions d’accès au marché. En effet, les régions                   souvent avec l’aide de subventions à l’exportation
qui verront une augmentation assez importante                         qui ont eu pour effet de contribuer à renforcer la
de leur classe moyenne sont aussi celles qui                          baisse des prix internationaux4.
augmenteront significativement leurs importations
nettes pour la plupart des marchandises.                              Dans les pays en développement, le faible niveau
                                                                      et la volatilité des prix ont eu un effet dissuasif sur
D’un système d’échanges agricoles limité par la                       l’investissement agricole, ce qui a souvent donné
demande vers un système limité par l’offre ?                          lieu à une baisse de la production agricole interne
                                                                      tout en faisant évoluer les modes de consommation
Par le passé, les marchés agricoles ont été                           vers des aliments moins chers bénéficiant de
caractérisés par une tendance sur le long terme                       subventions à l’importation. En général, ces
vers la baisse des prix réels. Les avantages de                       politiques ont aidé les pays importateurs nets de
l’augmentation de la productivité et de la baisse                     denrées alimentaires ayant une capacité d’offre
des frais de production étaient transmis aux clients,                 interne limitée, un faible niveau de devises
augmentant ainsi la consommation de calories par                      étrangères disponibles et d’importantes populations
personne et réduisant le pourcentage, voire le                        urbaines. Cependant, elles ont affaibli la capacité
nombre absolu, de personnes souffrantes de la faim                    des exportateurs agricoles efficaces ainsi que des
chronique. Cette abondance de l’offre exerçait une                    pays avec un potentiel de production alimentaire
pression descendante sur les prix des aliments et,                    non exploité (surtout en Afrique subsaharienne)
ainsi, sur les revenus des fermiers. En réaction, les                 à nourrir leurs propres populations et, sur le
décideurs politiques, en particulier dans les pays                    long terme, elles ont étouffé la croissance de la
de l’OCDE, ont eu recours à différentes formes de                     productivité interne5.
soutien des prix, de programmes de stock régulateur
ou de programmes de mise en gel des terres. Bien                      Au cours des cinq dernières années, en revanche,
que ces mesures aient atteint leurs objectifs                         plusieurs marchandises agricoles ont vu une
recherchés au niveau national, l’emploi constant                      flambée des prix et de la volatilité. On peut soutenir
de soutien interne ayant un effet de distorsion                       que les marchés pour certaines marchandises
associé à une protection élevée des frontières a                      agricoles ont toujours fait preuve d’une volatilité
exercé encore plus de pressions descendantes sur                      importante6. Cependant, l’échelle et la fréquence
les prix internationaux et les a rendus encore plus                   des flambées de prix qui ont eu lieu en 2007-08 et
volatiles. Cela a également créé des surplus qu’il                    se sont reproduits en 2010-11 et 2012 étaient telles

4   Cf. Schmidhuber, J. et Meyer, S. 2014. « Has the Treadmill Changed Direction? WTO Negotiations in the Light of a Potential New Global
    Agricultural Market Environment » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.
5   Ibid.
6   Cette tendance est encore plus prononcée pour les marchandises dont les marchés internationaux ont tendance à être « étroits » et
    ne représentent qu’un faible pourcentage de la production internationale.

                                                                                                                                            3
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
qu’elles ont attiré beaucoup d’attention politique,                   s’il faut réexaminer le programme négocié dans
    jusqu’au plus haut niveau du gouvernement. Ces                        le cadre du PDD non seulement afin de traiter
    flambées semblent être la conséquence immédiate                       les distorsions commerciales qui exercent une
    des baisses de production liées à la météo dans les                   pression descendante sur les prix internationaux
    principales régions de production, dans un contexte                   mais également pour introduire des disciplines
    de prix élevés de l’énergie, d’une demande en                         contraignantes pour aider à réduire la hausse des
    croissance continue du fait de l’augmentation des                     prix internationaux et la volatilité excessive des
    revenus moyens et du niveau de croissance de                          prix.
    productivité faible dans de nombreuses régions du
    monde. Bien que l’on ne puisse pas nécessairement                     L’évolution des politiques internes
    considérer que des cas isolés de phénomènes
    météorologiques extrêmes fassent partie d’une                         Les politiques internes ont également évolué
    tendance sur le long terme, il est aussi clair que le                 en réponse aux changements internationaux
    changement climatique risque de faire augmenter                       au niveau du système d’alimentation mondial.
    l’incidence de tels événements à l’avenir, ce qui                     Comme le décrivent Hepburn et Bellmann, des
    suggère que les marchés pourraient continuer à                        groupes environnementaux dans l’UE ont mené
    être caractérisés par des prix volatiles et assez                     une campagne tenace pour réformer la Politique
    élevés. Par ailleurs, le niveau constamment élevé                     agricole commune (PAC) afin de fournir « de
    des prix de l’énergie et les politiques promouvant                    l’argent public pour les marchandises publiques ».
    l’emploi de produits agricoles pour la production                     La nouvelle PAC obligerait les agriculteurs à
    de biocombustibles ont créé un lien direct entre le                   respecter de nouvelles règles environnementales
    prix de l’énergie et le prix des denrées alimentaires,                s’ils veulent recevoir des aides. Cependant, bien
    transformant ainsi la dynamique du commerce et                        que le bloc ait réussi à orienter les politiques vers
    de la production alimentaire7.                                        des aides agricoles qui ont un effet de distorsion
                                                                          plus réduit, les circonscriptions qui ont cherché
    Sur le court terme, les pays à déficit alimentaire                    à inverser la tendance de « découplage » mise en
    et à faibles revenus souffrent particulièrement                       place par une série de réformes précédentes n’ont
    des conséquences de ces flambées. Par le                              obtenu qu’un demi-succès, notamment à cause
    passé, l’augmentation du coût des importations                        des pressions fiscales sur les membres de l’UE à la
    alimentaires venait surtout de l’augmentation des                     suite du ralentissement économique de 2008 et de
    quantités importées. Au contraire, au cours des                       la crise dans la zone euro9. En effet, Tangermann
    dernières années, l’augmentation des prix a eu                        soutient que la réforme de la PAC en 2013 avait
    encore plus d’effet sur les factures d’importations                   très peu, voire rien, à voir avec les négociations en
    alimentaires8. Sur le long terme, si cette tendance                   cours au niveau du système d’échanges multilatéral,
    vers un monde plus limité par l’offre se confirme,                    contrairement aux autres réformes depuis 1992
    cela pourrait avoir des conséquences encore plus                      qui ont toutes contenu des éléments cherchant à
    profondes pour la gouvernance du commerce                             améliorer la participation constructive de l’UE dans
    agricole international. Pour l’essentiel, les                         les négociations du GATT et de l’OMC. L’accès au
    négociations du PDD se concentrent surtout sur la                     marché n’a vu aucune amélioration. La subvention
    protection des producteurs, tandis que les mesures                    des exportations est toujours possible, bien qu’elle
    de protection des consommateurs n’ont pas encore                      ne soit pas utilisée actuellement. En ce qui concerne
    reçu l’attention qu’elles méritent peut-être avec le                  le soutien interne, les réformes passées de la PAC
    passage à un nouveau contexte de marché. Compte                       avaient créé tellement de possibilités pour l’UE que
    tenu de cette situation, on peut se demander                          l’on ne ressent aucune pression de ce côté.

    7   Cf. Schmidhuber, J. et Meyer, S. 2014. « Has the Treadmill Changed Direction? WTO Negotiations in the Light of a Potential New Global
        Agricultural Market Environment » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.
    8   Cf. Konandreas, P. 2014. « Challenges Facing Poor Food-importing Countries: Can WTO Disciplines Help » dans Tackling Agriculture
        in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays. En ce qui concerne les PMA, bien que le volume agrégé des importations
        commerciales de céréales ait presque triplé entre le début des années 1990 et le début des années 2010, la facture des importations
        de céréales a été multipliée par six au cours de la même période. Les PDINPA ont également vu la facture des importations de céréales
        augmenter soudainement, puisque le volume a augmenté de près de 70 pourcent et que la facture des importations de céréales a
        presque quadruplé.
    9   SCf. Tangermann, S. 2014. « The EU CAP Reform: Implications for Doha Negotiations » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali
        Context: A Collection of Short Essays.

4   Les négociations sur l’agriculture après Bali : 						                                                                  Octobre 2014
    le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Les programmes d’aides agricoles chinoises, en
                                                                     croissance rapide, semblent avoir été en partie
                                                                     conçus pour corriger des problèmes causés par
                                                                     un sous investissement traditionnel dans le
                                                                     secteur agricole hérité d’une tendance à imposer
                                                                     l’agriculture au lieu de la subventionner qui a
                                                                     perduré jusqu’à récemment, comme c’est le cas
                                                                     pour de nombreux pays en développement. Les
                                                                     aides semblent aussi se concentrer sur la réduction
                                                                     des énormes disparités croissantes entre les
                                                                     revenus urbains et ruraux. Même si, en termes
                                                                     absolus, les aides agricoles en Chine sont environ au
                                                                     même niveau que les aides agricoles européennes,
                                                                     les aides agricoles chinoises sont particulièrement
                                                                     axées sur le financement des « services généraux »
                                                                     comme l’infrastructure. Par ailleurs, une partie
                                                                     des aides sont également fournies en tant que
                                                                     paiements découplés sur la base du niveau
                                                                     historique des subventions. Puisque les dispositions
Aux États-Unis, la nouvelle loi sur l’agriculture                    précises pour la prestation de ce type d’aide
de 2014 supprime les paiements directs aux                           varient en fonction des provinces, le niveau réel du
producteurs,     que     beaucoup      considéraient                 découplage semble varier, et les aides au niveau
impossibles à justifier d’un point de vue politique                  des différentes régions administratives sont liées à
                                                                     la production d’une ou plusieurs cultures stables.
puisque les prix élevés ont remonté les revenus
des agriculteurs à des niveaux sans précédent.
                                                                     Les aides agricoles internes indiennes ont également
Pour les remplacer, Washington a introduit des
                                                                     augmenté de manière importante au cours des
programmes d’assurance subventionnés pour le
                                                                     dernières années. Elles mettent particulièrement
prix et les revenus qui s’inspirent en grande partie
                                                                     l’accent sur les subventions aux intrants et aux
du modèle des anciens paiements contracycliques
                                                                     investissements dans les pays en développement
et du programme de revenus de l’Average Crop
                                                                     (dans le cadre de l’article 6.2 de l’Accord sur
Revenue Programme qui avait été mis en place dans
                                                                     l’Agriculture qui protège les subventions pour les
le cadre de la Farm Bill précédente10. Puisqu’il est
                                                                     engrais, l’irrigation, l’électricité et les graines).
fort probable que ces nouveaux programmes soient
                                                                     L’achat d’aliments à des prix administrés a
classés « oranges » alors que les paiements directs
                                                                     également une place importante dans le cadre de
étaient « verts », il semble que le gouvernement
                                                                     la politique générale du pays, avec l’augmentation
s’éloigne de la logique d’un découplage progressif
                                                                     des risques de dépasser les plafonds des aides
des aides de la production qui avait été inscrit
                                                                     de minimis ayant un effet de distorsion, comme
à la fin du cycle de l’Uruguay dans l’Accord sur
                                                                     le montre la controverse actuelle sur les stocks
l’Agriculture de l’OMC. Smith soutient que, dans                     publics.
ce nouveau contexte, les États-Unis risquent
d’avoir des difficultés à garder des paiements liés                  Des accords commerciaux mégarégionaux posent
à certaines cultures en particulier dans leur limite                 les bases pour un nouveau développement
d’exemption de minimis de 2,5 pourcent après
Doha. Par exemple, pour la plupart des cultures,                     Une autre caractéristique marquante des
les aides aux primes d’assurance sont d’environ                      transformations     récentes     du    commerce
4 pourcent de la valeur marchande totale de la                       international est l’émergence des négociations
culture.                                                             sur le libre échange dites « mégarégionales ». Les

10 Cf. Smith, V. 2014. The 2014 US Farm Bill: Implications for the WTO Doha Round in a Post-Bali Context » dans Tackling Agriculture in
   the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.

                                                                                                                                          5
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
accords commerciaux régionaux (ACR) ne sont             droits de douane que les ACR Nord-Sud. Un autre
    pas un phénomène nouveau, mais les initiatives          domaine où les mesures OMC-plus les plus étendues
    mégarégionales les plus récentes se font à une          ont eu lieu est celui des mesures à l’exportation.
    toute autre échelle. Les trois plus grandes « méga »    En temps voulu, ce domaine pourrait être propice
    initiatives, le Partenariat transatlantique de          à la mise en place d’efforts multilatéraux.
    commerce et d’investissement (TTIP), l’Accord de        De nombreux ACR ont pris des engagements
    partenariat transpacifique (TPP) et la coopération      concernant les taxes à l’exportation qui vont
    régionale en Asie et dans le Pacifique (RCEP),          plus loin que ceux de l’OMC. Ces instruments
    représentent plus de trois quarts du PIB mondial et     s’appliquent souvent aux matières premières
    deux tiers du commerce international. De ce fait,       et à d’autres produits agricoles (notamment
    elles élaborent de façon efficace la feuille de route   les céréales de base, les oléagineux...). Il
    pour les régimes de réglementation commerciale          convient de noter que l’approche régionale aux
    à venir, avec des résultats qui comprennent une         flexibilités des disciplines a été d’imposer une
    intégration plus profonde ainsi que des disciplines     série de conditions sur l’emploi d’exceptions afin
    OMC-plus ou la libéralisation.                          d’éviter qu’elles ne nuisent aux autres membres
                                                            ou modifient les prix internationaux lorsque des
    D’après Ash et Lejarraga, le régionalisme pourrait      mesures à l’exportation sont mises en place. Un
    naturellement évoluer vers un système multilatéral      grand nombre d’ACR contiennent également des
    complet. Il pourrait également être souhaitable         dispositions interdisant l’utilisation de subventions
    de mener une étude plus explicite des options qui       à l’exportation des produits agricoles au niveau du
    pourraient permettre de faire évoluer certaines         commerce régional12.
    pratiques émergentes vers un cadre réglementaire
    plus international. En effet, la promotion de           Enfin, en ce qui concerne les normes, en
    l’uniformité et de la cohérence au niveau des           particulier les mesures SPS et OTC, la plupart des
    négociations mégarégionales et une étude sur la         exigences de l’OMC concernent l’amélioration de
    façon d’optimiser les synergies avec le régime          la transparence. Les ACR ont permis d’introduire
    multilatéral pourraient permettre de réduire            de nouvelles obligations qui renforcent les
    les coûts de transaction pour les entreprises,          exigences de transparence ex ante et ex post
    simplifiant ainsi le labyrinthe des régimes pour les    pour la conception et l’application de normes
    décideurs politiques et maximisant la prospérité        et la mise en place de meilleurs systèmes
    mondiale. L’examen des leçons et des meilleures         d’information électroniques et de processus de
    pratiques émergeantes au niveau régional pourrait       consultation qui prennent en compte les parties
    ainsi éclairer des options pour des progrès             étrangères intéressées. Puisque la transparence
    multilatéraux11. Cela ne veut pas dire que cet          montre les caractéristiques des marchandises
    engagement serait simplement reproduit dans le          publiques (la non-exclusion et la non-rivalité),
    système d’échanges multilatéral. Un tel processus       il semble probable que, au moins d’un point de
    devrait absolument prendre en compte les intérêts       vue purement technique, le fait d’étendre ces
    et les préoccupations d’autres membres de l’OMC,        engagements au niveau multilatéral n’implique
    en commençant par les pays à faibles revenus qui        pas de frais économiques supplémentaires pour
    ne participent pas à ces négociations.                  les pays qui les ont déjà mis en œuvre au niveau
                                                            unilatéral ou régional13.
    L’élimination des droits de douane a été au cœur
    des efforts de l’OMC-plus en matière d’agriculture,     2. Le chemin à suivre : des
    ce qui a permis d’obtenir des progrès importants au        éléments possibles d’un
    niveau de l’élimination des droits sur les produits        programme après Bali
    agricoles au-delà des concessions multilatérales
    existantes. Il est intéressant de noter que les ACR     En gardant en tête ces changements radicaux,
    Sud-Sud ont fait plus de progrès, et des progrès        on peut envisager plusieurs options pour
    plus rapides, au niveau de la suppression des           l’élaboration d’un programme pertinent après

    11 Ibid.
    12 Ibid.
    13 Ibid.

6   Les négociations sur l’agriculture après Bali : 						                                         Octobre 2014
    le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Figure 1. Conséquences des modalités du PDD sur les tarifs douaniers agricoles de l’OMC
Conséquences possibles des taux appliqués pondérés par les échanges sur les importations (y compris les
régimes préférentiels)

Source : Laborde, D. 2014. « Implications of the Draft Market Access Modalities on Bound and Applied Tariffs » dans Agriculture
in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.

Bali. Afin d’obtenir des résultats plus pertinents                     pourcent en moyenne en 2001 à 18,7 pourcent
au niveau des négociations agricoles, il ne faut pas                   en 2010, et les droits de douane appliqués (y
oublier qu’il faudra traiter un ensemble important                     compris les droits préférentiels) sont passés de
de questions, y compris dans d’autres domaines                         15,8 pourcent à 13,8 pourcent. Cette baisse des
de négociation, en commençant par les MAAN.                            droits NPF appliqués était particulièrement forte
Ensuite, compte tenu des divergences d’opinions                        pour les pays en développement, passant de 31,1
parmi les membres de l’OMC, le partage d’idées                         pourcent en moyenne à 23,2 pourcent, alors que
et l’étude de nouvelles options seront nécessaires                     les droits préférentiels appliqués sont descendus à
pour dépasser l’impasse actuelle. Enfin, toute                         19,8 pourcent en 201015.
réflexion sur le chemin à venir doit prendre en
compte le fait qu’un texte du président actuel est                     Malgré cela, Laborde pense que 50 pourcent
à l’examen et qu’un certain nombre de membres                          des acquis internationaux en matière d’accès
veulent le prendre comme cadre de référence alors                      au marché et de réformes du PDD sur le soutien
que d’autres veulent l’aborder avec flexibilité.                       interne viendront du secteur agricole. Grâce au
Une méthode possible est d’essayer d’identifier                        processus de réforme de l’agriculture, 89 pourcent
les éléments clés à traiter pour apporter un                           des acquis viendront de l’échange de concessions
engagement et une dynamique renouvelés aux                             concernant l’accès au marché à travers une baisse
négociations14.                                                        des droits de douane.

L’accès au marché                                                      La Déclaration de Doha adoptée en 2001 présente
                                                                       clairement un programme ambitieux pour répondre
Depuis le début du Cycle de Doha, les conditions                       aux principales distorsions du commerce mondial,
d’accès au marché ont été caractérisées par                            en particulier pour les marchés agricoles16. Si
la baisse des droits de douane appliqués, le                           les formules étaient appliquées sans exception,
résultat de la libéralisation unilatérale ainsi que                    les taux appliqués baisseraient de plus de 50
des accords commerciaux régionaux. À l’échelle                         pourcent, passant de 15,5 pourcent à 7,5 pourcent
mondiale, les droits NPF sont passés de 24,6                           pour les pays développés et de 13,3 pourcent à

14 Cf. Singh, H. V. 2014. « WTO Agriculture Negotiations: The Way Ahead » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection
   of Short Essays.
15 Cf. Bureau, J-C et J. Sébastien. 2013. « Do Yesterday’s Disciplines Fit Today’s Farm Trade? Challenges and Possible Adjustments for
   the Multilateral Trading System ». Article écrit pour l’Initiative E15 de l’ICTSD.
16 Cf. Laborde, D. 2014. « Implications of the Draft Market Access Modalities on Bound and Applied Tariffs » dans Tackling Agriculture
   in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.

                                                                                                                                             7
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
11,3 pourcent pour les pays en développement qui                        Dans l’ensemble, il n’est pas facile de trouver un
    ne font pas partie des « pays les moins avancés »                       juste milieu entre les contraintes politiques et
    (PMA)17. En revanche, cette même ambition a                             l’ambition originale du Cycle. Laborde considère
    rendu les négociations plus compliquées que prévu.                      que l’on pourrait beaucoup réduire le coût
    Poussés par le besoin de trouver un accord qui soit                     politique d’un accord pour augmenter l’accès au
    accepté par les parties intéressées nationales,                         marché en utilisant une approche proportionnelle
    les négociateurs ont atténué les disciplines en                         au lieu des formules de réduction progressive
    introduisant des flexibilités qui ont éliminé la                        des droits de douane. Comme le souligne Singh,
    motivation pour conclure rapidement le Cycle.                           la note 2 du bas de page du texte du président
    Ces flexibilités (c’est-à-dire les produits sensibles                   d’août 2007 contenait déjà une approche similaire
    et les produits spéciaux) divisent plus de deux fois                    en suggérant une réduction générale de 36
    les réductions internationales des droits de douane                     pourcent avec une baisse minimum de 15 pourcent
    et touchent particulièrement les pays industriels                       pour chaque ligne, selon le modèle du Cycle de
    où les réductions passent de 8,0 à 4,4 points de                        l’Uruguay19. Sinon, Singh soutient qu’accomplir
    pourcentage. Au contraire, pour les pays à revenus                      plus de progrès au niveau des mégas ALE pourrait
    faibles et moyens qui ne font pas partie des PMA,                       faciliter un engagement plus poussé, en particulier
    les réductions baissent de 2,0 à 0,1 points de                          si on prend en compte les tendances attendues au
    pourcentage. En revanche, la moyenne des droits                         niveau des importations à la suite de la croissance
    agricoles appliqués de l’UE, les États-Unis et le                       de la classe moyenne dans les pays émergeants.
    Japon baisse quand même de 26 pourcent, un chiffre                      Si les membres de l’OMC prenaient en compte
    impressionnant si on considère qu’une grande partie                     cette réalité et s’en servaient pour développer ce
    des importations se font dans le cadre d’accords                        qui semble avoir été un consensus précédent sur
    préférentiels. Bien que le Brésil et l’Inde n’aient pas                 des questions comme les concessions d’accès au
    à mettre en place des réductions effectives, la Chine                   marché de l’Inde, ils pourraient peut-être mettre
    (qui n’a presque pas d’excédent de consolidation)                       en place une base de départ leur permettant
    devra quand même baisser les taux appliqués, même                       d’aller plus en avant, par exemple en étudiant la
    après avoir utilisé toutes les flexibilités18.                          possibilité d’introduire des contingents tarifaires

    Figure 2. Les aides qui ne relèvent pas de la catégorie verte sont en baisse pour les grands pays

    17 C’est en partie à cause des caractéristiques principales de la formule elle-même (c’est à dire des réductions moins importantes et
       des limites de niveau plus élevées) et de l’excédent de consolidation de nombreux pays en développement (l’écart entre le taux
       maximal des droits « consolidés » et le taux réel appliqué).
    18 Cf. Laborde, D. 2014. Implications of the Draft Market Access Modalities on Bound and Applied Tariffs » dans Tackling Agriculture in
       the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.
    19 La note de bas de page disait : « En attendant l’accord final sur cet aspect des modalités, les Membres souhaiteront peut-être
       continuer d’examiner l’approche à laquelle il est fait allusion dans le document du Président sur les défis, selon laquelle une approche
       fondamentale analogue au Cycle d’Uruguay pourrait être un abaissement global pour les pays en développement Membres de 36 pour
       cent avec un abaissement minimal de 15 pour cent pour chaque ligne... »

8   Les négociations sur l’agriculture après Bali : 						                                                                    Octobre 2014
    le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Les négociations sur l'agriculture après Bali : le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
Figure 3. En revanche, les aides qui ne relèvent pas de la catégorie verte ont augmenté au Brésil,
en Chine, en Inde et en Indonésie

Source : Brink, L. 2014. « Evolution of Trade-distorting Domestic Support » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context:
A Collection of Short Essays.

pour certains produits en Chine dans le cadre d’un                  ce qui renforce les demandes pour le maintien
accord plus large.                                                  d’un instrument simple, robuste et efficace
                                                                    dans le cadre d’un éventuel accord de Doha. Par
Une autre question essentielle concerne le                          ailleurs, les prix pourraient baisser à l’avenir ;
mécanisme de sauvegarde spéciale (MSS). Ici,                        il serait donc important pour de nombreux pays
Morrison et Mermigkas montrent que la fréquence                     en développement de garder un tel « mécanisme
des « pics d’importation » a beaucoup changé                        d’assurance ». Cette analyse suggère que les profils
depuis le début des années 2000, reflétant le                       d’importation, et par là l’efficacité des différents
passage d’un contexte de prix bas et assez stables                  seuils, peuvent beaucoup varier en fonction
à un nouveau contexte de marché avec des prix                       des groupements de pays. Compte tenu de leur
plus élevés et peut-être plus volatiles. Bien que,                  dépendance assez importante sur l’importation de
comme on pouvait s’y attendre, les baisses de prix                  produits alimentaires en tant que proportion de la
soient revenues à zéro pour la plupart des groupes                  consommation totale, des pics au niveau des PMA
de marchandises étudiés entre 2004 et 2011, on                      ou des « petites économies vulnérables » (PEV)
remarque que la fréquence des pics de volume                        risquent moins de créer une déviation importante
a également beaucoup baissée. Cependant, la                         par rapport à la moyenne mobile. Pour ces pays,
baisse de la fréquence des pics de volume reflète                   un seuil de volume plus sensible (plus bas) pourrait
une augmentation importante des importations à                      être mieux adapté21.
un taux plus constant et ne vient pas des niveaux
d’importation ou des taux de croissance des                         Soutien interne
importations plus faibles20. Néanmoins, cette
réalité ne doit pas suggérer que l’on n’a pas                       Après leur diminution, les versements de soutien
besoin de MSS. Comme nous l’avons dit plus tôt,                     interne qui ne relèvent pas de la catégorie verte
les prix d’aujourd’hui ont tendance à être plus                     en Europe, aux États-Unis et au Japon se trouvent
volatiles et on s’attend à ce que cela perdure,                     à présent entre 5 et 8 pourcent de la valeur de la

20 Cf. Morrison, J. et Mermigkas, G. 2014 « Import Surges and the Special Safeguard Mechanism in a Changing Global Market Context »
   dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.
21 Ibid.

                                                                                                                                      9
production, un niveau bien plus bas que celui de                       avaient augmenté les aides qui ne relèvent pas de
     la période de base 1986-88 du Cycle de l’Uruguay                       la catégorie verte pour atteindre 2 à 4 pourcent
     (cf. figure 2). D’après Brink, les baisses au niveau                   de la valeur de la production agricole, et l’Inde
     des aides qui ne relèvent pas de la catégorie verte                    était passée à 16 pourcent (cf. figure 3). Le niveau
     s’expliquent par des changements politiques,                           du Brésil a atteint les 5 pourcent en 2010 avant de
     certains au niveau des prix administrés, ce qui a                      baisser. En raison de cette évolution, Brink pense
     réduit le soutien mesuré (ex. le Japon) ou l’a fait                    que le niveau des aides qui ne relèvent pas de
     passer dans la catégorie verte (ex. l’UE), tandis que                  la catégorie verte exprimés en pourcentage de la
     certains versements ont baissé avec la hausse des                      valeur de la production se recoupe maintenant
     prix du marché (ex. les États-Unis). Au contraire,                     beaucoup pour les grands pays développés et les
     le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Indonésie ont un                      grands pays en développement22.
     schéma récurrent d’augmentations sur le long
     terme. Cependant, au cours des deux dernières                          Comme nous l’avons souligné ci-dessus, à cause du
     années communiquées, le Brésil, l’Inde et                              marché et de la situation politique actuelle, les
     l’Indonésie ont enregistré des chutes importantes.                     États-Unis pourraient fournir un niveau de soutien
     Toutes les aides indonésiennes qui ne relèvent                         plus élevé que celui débattu précédemment lors
     pas de la catégorie verte, presque toutes celles                       des négociations23. Cependant, certains pays
     de l’Inde et un tiers de celles du Brésil sont des                     exportateurs agricoles sont réticents à l’idée
     subventions dans le cadre de l’article 6.2. Il s’agit                  d’alléger les projets de disciplines proposés pour
     de subventions aux intrants (Indonésie), surtout                       les États-Unis ; ils aimeraient également voir
     de subventions aux intrants (Inde) ou surtout de                       des exigences plus sévères mises en place pour
     subventions aux investissements (Brésil). La Chine                     le soutien interne en Chine et en Inde. En même
     ne peut pas bénéficier de l’exemption de l’article                     temps, ces pays et d’autres pays en développement
     6.2. En 2008, le Brésil, la Chine et l’Indonésie                       s’opposent à d’autres changements qui réduiraient

     22 Cf. Brink, L. 2014 « Evolution of Trade-distorting Domestic Support » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection
        of Short Essays.
     23 Cf. Smith, V. 2014. « The 2014 US Farm Bill: Implications for the WTO Doha Round in a Post-Bali Context » dans Tackling Agriculture
        in the Post-Bali Context: A Collection of Short Essays.

10   Les négociations sur l’agriculture après Bali : 						                                                                  Octobre 2014
     le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
les options de politique interne dont ils peuvent                      S’appuyant sur une série de simulations qui
profiter dans le cadre du projet de texte actuel24.                    couvrent un groupe de pays utilisant actuellement
                                                                       de telles méthodes, son analyse semble indiquer
Pour concilier ces points de vue, il faudrait                          que les pays pourraient fixer une limite à la portée
des approches innovantes. En ce sens, Singh                            de leur programme de soutien des prix, comme
propose certaines pistes, dont la possibilité de                       le suggère la décision du tribunal d’appel dans
changements au niveau de la période de référence                       le cas du bœuf coréen25. Cela pourrait être une
pour le soutien interne ayant un effet de distorsion                   approche pratique à adopter si les pays veulent
(SIED). Ces changements pourraient être associés                       maintenir leurs programmes de soutien des prix
à une quantité de SIED qui augmenterait si le                          mais n’ont pas l’intention d’absorber une grande
pays qui fournit le soutien doit faire face à                          partie de leur production interne. Ce faisant,
une augmentation des importations (comme                               les pays pourraient ne prendre en compte que la
un mécanisme de sauvegarde). D’autres pistes                           quantité réellement achetée de manière légitime
pourraient s’inspirer des idées (pas des disciplines                   et ainsi maintenir leur mesure globale de soutien
en particulier) qui soutiennent les flexibilités                       (MGS) en deçà du plafond de minimis de 10
contenues dans l’annexe VII et l’article 27.4                          pourcent. Cette option n’obligerait pas à modifier
de l’accord sur les subventions et les mesures                         les règles existantes et permettrait même aux
compensatoires. Par exemple, les négociateurs                          pays d’augmenter leur volume d’achats26.
pourraient réfléchir à la possibilité d’un consensus
autour d’un modèle qui garderait les niveaux de                        Si cette option ne répond pas aux préoccupations
minimis proposés dans le dernier projet de texte                       de certains pays, une des alternatives les moins
pour les plus grands pays en développement tant                        controversées serait de permettre l’emploi de
qu’un certain seuil, défini en termes absolus,                         dollars américains pour communiquer les prix et
n’est pas franchi. Cela pourrait être associé à une                    les valeurs monétaires pour le calcul de la MGS et
longue période de mise en œuvre et la suppression                      de ne faire correspondre la production « éligible
progressive du soutien ayant un effet de distorsion                    » qu’à la partie de la production locale qui est
pour atteindre un niveau convenu plus bas. Ces                         vraiment mise sur le marché. Une troisième option
flexibilités pour les pays émergeants pourraient                       serait d’exempter certains pays en développement
être associées à une augmentation du SIED pour                         des plafonds de minimis si leurs achats réels
les pays développés. Par exemple, si le projet de                      ne dépassent pas un certain pourcentage de la
texte augmente le SIED des pays développés de 10                       production locale. Cela pourrait permettre de
pourcent, les conditions actuelles du soutien de                       répondre aux préoccupations des pays avec de
minimis ne changeraient pas pour les grands pays                       petits programmes d’achat qui ne contribuent pas
en développement. Cependant, si le SIED des pays                       beaucoup aux distorsions du marché. Enfin, on
développés n’augmente pas, on pourrait envisager                       pourrait aussi étudier d’autres possibilités, comme
une baisse de 10 pourcent du niveau de minimis                         redéfinir le prix de référence extérieur (ex. en
du soutien des pays en développement si ces                            utilisant une moyenne mobile sur trois ou cinq
membres franchissent un seuil défini en termes                         ans pour les prix internationaux) ou prendre en
absolus.                                                               compte l’inflation à travers l’emploi d’indices de
                                                                       prix à la production. Cependant, ce chemin risque
En ce qui concerne l’emploi de prix administrés                        d’être difficile à suivre puisqu’il est contraire à
pour l’achat de produits alimentaires pour les                         la nature « fixe » des prix de référence. Enfin,
stocks publics, Montemayor étudie les options                          les pays en développement ont la possibilité de
possibles pour une solution permanente qui                             convertir leurs programmes d’achats en mesures
pourrait répondre aux préoccupations des pays                          relevant de la catégorie verte en supprimant les
qui risquent de dépasser leurs plafonds de minimis                     prix administrés et en se contenant d’acheter les
ainsi que celles de leurs partenaires commerciaux.                     produits alimentaires au prix du marché27. Les

24 Cf. Singh, H. V. 2014. « WTO Agriculture Negotiations: The Way Ahead » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A Collection
   of Short Essays.
25 DS161. Corée — Mesures affectant les importations de viande de bœuf fraîche, réfrigérée et congelée.
26 Cf. Montemayor, R. 2014. « Market Price Support in Large Developing Countries » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context:
   A Collection of Short Essays.
27 Ibid.

                                                                                                                                             11
de côté les mesures ayant un effet de distorsion,
                                                                            les études ont montré que même les politiques
                                                                            qui semblent le plus « découplées » ont tout de
                                                                            même un effet sur le commerce. Par ailleurs, avec
                                                                            l’augmentation rapide des dépenses relevant de la
                                                                            catégorie verte dans certaines parties du monde,
                                                                            même un faible impact commercial par dollar
                                                                            risque de ne plus être faible s’il est multiplié par
                                                                            une importante quantité de dollars.

                                                                            Le projet de texte « sur les modalités » de 2008
                                                                            contient un certain nombre de propositions visant
                                                                            à renforcer ou à redéfinir les critères existants
                                                                            en fonction de l’expérience accumulée jusqu’ici.
                                                                            Il faudrait les poursuivre et les mettre en œuvre
                                                                            dans un ensemble de Doha possible. Cependant,
                                                                            la question de savoir si une mesure en particulier
                                                                            a un effet plus que minime sur le commerce et la
     membres de l’OMC pourraient aussi décider que, si                      production est une question empirique que l’on
     le prix administré se trouve au même niveau ou en                      ne peut pas évaluer ex ante. Sur le long terme, il
     dessous du prix du marché, il ne sera pas considéré                    serait peut-être utile d’envisager des approches
     comme étant un soutien de prix et pourra ainsi                         différentes. Comme l’ont souligné Hepburn et
     être considéré comme étant compatible avec la                          Bellmann, une approche possible serait de faire la
     catégorie verte.                                                       différence entre des « versements pour des biens
                                                                            publics » et un « soutien au revenu ». Les mesures qui
     Mesures relevant de la « catégorie verte »                             cherchent à corriger des défaillances persistantes
                                                                            du marché ou à assurer la provision de biens
     Comme nous l’avons souligne ci-dessus, depuis                          publics, comme la conservation de la biodiversité,
     la fin du Cycle de l’Uruguay, les fournisseurs                         l’atténuation du changement climatique, le
     traditionnels de soutien agricole ont réduit                           développement de l’infrastructure ou la recherche
     le soutien ayant un effet de distorsion, une                           et le développement, pourraient demander une
     décision qui est souvent accompagnée par une                           intervention du gouvernement sur le long terme.
     augmentation proportionnelle des subventions                           Même si ces politiques n’avaient qu’un effet limité
     relevant de la catégorie verte. En même temps, le                      sur la production et le commerce, il n’y aurait
     soutien relevant de la catégorie verte augmente de                     aucune logique évidente pour les contraindre tant
     manière constante pour un certain nombre de pays                       que ces défaillances du marché persistent. D’un
     « émergeants » comme la Chine ou l’Inde. Ainsi,                        autre côté, les mesures qui cherchent surtout à
     les versements relevant de la catégorie verte sont                     apporter un soutien au revenu aux agriculteurs
     aujourd’hui de loin la partie la plus importante                       pourraient avoir besoin d’une forme de limite ou
     des aides agricoles, bien que la composition des                       de plafond. Bien qu’elles puissent jouer un rôle
     versements varie fortement entre les membres de                        clé pour faciliter les réformes en compensant les
     l’OMC28. Puisque de plus en plus de subventions                        effets négatifs sur le revenu causés par la baisse
     sont classées comme relevant de la catégorie                           des mesures ayant le plus d’effet de distorsion,
     verte, le fait que la catégorie n’ait pas d’effet de                   elles ne devraient probablement pas être fournies
     distorsion est devenu plus important. Alors que les                    de manière permanente mais plutôt être limitées
     architectes de l’Accord sur l’Agriculture voulaient                    dans le temps. Limiter ces versements permettrait
     visiblement encourager les gouvernements à laisser                     d’atténuer les préoccupations concernant le

     28 Par exemple, une grande partie du soutien de l’UE se fait sous forme de versement direct, surtout à travers l’aide découplée au
        revenu, tandis que les États-Unis privilégient l’aide alimentaire intérieure, notamment à travers leur programme de bons alimentaires.
        La Chine, en revanche, met beaucoup plus l’accent sur les services d’infrastructure, les services d’extension, la recherche et la lutte
        contre les animaux nuisibles et les maladies, tandis que l’Inde donne la priorité aux stocks publics pour la sécurité alimentaire.

12   Les négociations sur l’agriculture après Bali : 						                                                                   Octobre 2014
     le défi de mise à jour des règles internationales de commerce
transfert d’une catégorie à l’autre tout en                            en particulier comme le blé, le maïs ou le soja.
apportant plus de parité entre les gouvernements                       D’autres modifications pourraient être nécessaires
qui ont des recettes budgétaires importantes et                        pour les ECE des pays en développement31. Il
ceux qui n’en ont pas29.                                               faudrait peut-être également mettre en place
                                                                       des réformes pour augmenter la transparence et
La concurrence à l’exportation : un compromis                          améliorer les notifications à l’OMC pour les ECE
possible                                                               qui ne sont pas exploitées selon des modalités
                                                                       commerciales mais qui revendiquent quand
D’après Diaz Bonilla et Harris, en général, les                        même le « secret commercial ». Enfin, il faudrait
subventions à l’exportation sont en baisse, même                       également étudier plus en profondeur le besoin de
si près de 500 millions de dollars américains de                       couvrir les ECE importatrices32.
subventions à l’exportation étaient encore en place
en 2001-12, surtout dans l’UE, au Canada et en                         En ce qui concerne l’aide alimentaire, Clay parle
Suisse. En même temps, 20 membres de l’OMC ont                         de l’émergence d’un nouvel environnement
signalé l’existence de 77 entreprises commerciales                     politique pour l’aide et l’assistance alimentaire
d’État (ECE)30. Alors que certaines des grandes                        internationale puisque les pays développés et les
ECE d’exportation agricole qui étaient exploitées                      pays en développement continuent à reformuler le
par les pays développés ont été réformées ou sont                      programme de la sécurité alimentaire après la crise
en train d’être réformées (comme la Commission                         mondiale. Cependant, l’aide alimentaire semble
canadienne du blé), il semble y avoir plus d’ECE                       être de moins en moins capable de répondre aux
dans les pays en développement.                                        risques graves d’insécurité alimentaire ou de les
                                                                       gérer, notamment à cause de son déclin. Dans ce
La baisse de l’utilisation de subventions à                            contexte, Clay suggère qu’une « catégorie sûre »
l’exportation offre visiblement la possibilité                         simplifiée pourrait permettre d’éviter une aide
d’harmoniser enfin le traitement des subventions                       humanitaire urgente imminente. Deuxièmement,
à l’exportation, en éliminant le traitement                            il faut trouver un juste milieu entre faciliter la
spécial de l’Accord sur l’Agriculture. Le projet                       sécurité alimentaire nationale, surtout pour les
de texte de 2008 « sur les modalités » offre un                        PMA, et éviter les restrictions à l’exportation
modèle pour ce faire. Il faudrait supprimer les                        pour l’aide humanitaire. L’OMC, à l’instar
subventions à l’exportation pour l’agriculture et                      d’autres forums pertinents comme le G-20, doit
harmoniser le système dans le cadre de l’Accord                        poursuivre ses efforts pour obtenir un accord sur
sur les subventions et les mesures compensatoires                      les principes volontaires avec des évaluations
(ASMC). Le texte de 2008 fournit également un                          régulières réalisées par des pairs afin d’éviter
modèle pertinent pour les crédits à l’exportation,                     les restrictions sur l’aide humanitaire. Enfin, le
les garanties à l’exportation et l’assurance.                          projet de disciplines du PDD (annexe L) est encore
Cependant, d’après Diaz Bonilla et Harris, il                          pertinent, car il peut servir de pièce maîtresse
faudrait peut-être réfléchir encore plus au                            pour la gouvernance future de l’aide alimentaire
traitement des ECE dans le projet de texte de 2008.                    internationale, dans la mesure où on reconnaît
Tout d’abord, les ECE des pays développés sont                         qu’il est nécessaire de réduire le plus possible le
exonérées de l’obligation d’arrêter le monopole                        risque que l’aide alimentaire devienne un véhicule
si le produit exporté représente moins de 0,25 du                      pour la gestion des excédents temporaires.
commerce mondial total des produits agricoles
pour la période de base 2003-05. Le pourcentage                        En général, comme l’observe Singh, le projet de
semble faible, mais cela peut représenter entre 8                      modalités existant dans ce domaine n’est pas
et 12 pourcent du commerce mondial de produits                         vraiment remis en question, même s’il faudrait

29 Cf. Hepburn, J. et Bellmann C. 2014. « The Future of Green Box Measures » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A
   Collection of Short Essays.
30 Les pays avec le plus d’ECE étaient la Chine (25), l’Inde (14) et la Colombie (14).
31 Le projet de texte de 2008 sur les modalités permettrait aux pays en développement de garder des ECE ayant un monopole « pour
   préserver la stabilité des prix à la consommation intérieurs et assurer la sécurité alimentaire ». Si ce ne sont pas les objectifs,
   elles pourraient quand même garder leur statut de monopole si leur part des exportations mondiales du/des produit(s) agricole(s)
   concerné(s) est de moins de 5 pourcent sur trois années consécutives. Cependant, ce pourcentage semble être assez important.
32 Cf. Diaz-Bonilla, E. et Harris, J. 2014. « Export Subsidies and Export Credits » dans Tackling Agriculture in the Post-Bali Context: A
   Collection of Short Essays.

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