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Document generated on 02/26/2022 10:01 p.m. Canadian Journal of Education Revue canadienne de l'éducation Les pratiques enseignantes mises en oeuvre en contexte de classe autochtone universitaire : analyse du discours du corps enseignant d’une université québécoise Gabriel Gingras-Lacroix and Oscar Labra Volume 44, Number 4, Winter 2021 Article abstract This phenomenological qualitative research conducted among ten members of URI: https://id.erudit.org/iderudit/1085209ar the teaching staff of the University of Quebec in Abitibi-Témiscamingue studied DOI: https://doi.org/10.53967/cje-rce.v44i4.5043 teaching practices used to support the success of indigenous students. It results from the thematic analysis of the participants’ discourse, collected through See table of contents semi-structured interviews, that their pedagogical choices do not depend on the presence of indigenous students in the group. This study also shows that, in this context, participants adapt the content of their courses and adopt an attitude of listening, flexibility, openness and respect. This reflects individual Publisher(s) efforts made to make university education more inclusive of indigenous Canadian Society for the Study of Education students. ISSN 0380-2361 (print) 1918-5979 (digital) Explore this journal Cite this article Gingras-Lacroix, G. & Labra, O. (2021). Les pratiques enseignantes mises en oeuvre en contexte de classe autochtone universitaire : analyse du discours du corps enseignant d’une université québécoise. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l'éducation, 44(4), 1051–1083. https://doi.org/10.53967/cje-rce.v44i4.5043 ©, 2021 Canadian Society for the Study of Education This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Les pratiques enseignantes mises en œuvre en contexte de classe autochtone universitaire : analyse du discours du corps enseignant d’une université québécoise Gabriel Gingras-Lacroix Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue Oscar Labra Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue Résumé Cette recherche qualitative phénoménologique réalisée auprès de dix membres du corps enseignant de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue s’intéresse aux pratiques enseignantes utilisées pour favoriser la réussite des étudiants autochtones. Il résulte de l’analyse thématique du discours des participants, collecté par des entrevues semi-dirigées, que leurs choix pédagogiques ne dépendent pas de la présence ou non d’étudiants autochtones dans le groupe. Cette étude révèle également que, dans ce contexte, les participants adaptent le contenu de leurs cours et adoptent une attitude d’écoute, de Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) ©2021 Canadian Society for the Study of Education/ Société canadienne pour l’étude de l’éducation www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1052 flexibilité, d’ouverture et de respect. Cela témoigne des efforts individuels déployés pour rendre l’enseignement universitaire plus inclusif. Mots-clés : pédagogie universitaire, pratiques enseignantes, étudiants autochtones, apprentissages holistiques, corps enseignant universitaire Abstract This phenomenological qualitative research conducted among ten members of the teaching staff of the University of Quebec in Abitibi-Témiscamingue studied teaching practices used to support the success of indigenous students. It results from the thematic analysis of the participants’ discourse, collected through semi-structured interviews, that their pedagogical choices do not depend on the presence of indigenous students in the group. This study also shows that, in this context, participants adapt the content of their courses and adopt an attitude of listening, flexibility, openness and respect. This reflects individual efforts made to make university education more inclusive of indigenous students. Keywords: university pedagogy, teaching practices, indigenous students, holistic learning, university teaching staff Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1053 Introduction Les universités québécoises sont depuis plusieurs années confrontées à de nombreuses mutations les menant à offrir des services pédagogiques novateurs et à adopter des pratiques enseignantes adaptées aux étudiants et aux attentes de la société (Nayyar, 2008). Cette vision néolibérale de l’éducation ayant comme visée première l’employabilité, celle-ci fait référence à un modèle d’éducation eurocentrique (Bousquet, 2008; Giroux, 2010; Nayyar, 2008; Sanford et al., 2012; St-Onge, 2016; Watkins, 2008). Or, si plusieurs mobilisations autochtones ont permis aux Premiers Peuples d’avoir une plus grande autorité en éducation (Commission de l’éducation, 2007; Fraternité des Indiens du Canada, 1972), l’obtention d’un diplôme universitaire oblige toujours les étudiants autochtones à intégrer une structure universitaire occidentale. Problématique Le dernier recensement canadien montrait que le taux de diplomation universitaire de l’ensemble des populations autochtones1 est de 11 %, alors qu’il se situe à 29 % chez l’ensemble de la population canadienne (Statistique Canada, 2016). Cet écart reposerait notamment sur plusieurs facteurs historiques, socioéconomiques et culturels (Archambault, 2010; Colomb, 2012). L’un de ces facteurs serait lié aux méthodes pédagogiques fréquemment utilisées dans les milieux universitaires (Colomb, 2012; Timmons et al., 2009). Selon Romainville et Michaut (2012), la qualité des pratiques pédagogiques utilisées par le corps enseignant universitaire a un impact non négligeable sur la persévérance scolaire des étudiants. Or, Kermoal (2018) souligne que l’autochtonisation des universités nécessite que ces dernières amorcent une réflexion approfondie concernant les valeurs promues, les rapports de pouvoir et les privilèges qui sont présents au sein de leur établissement. Plusieurs communautés autochtones partagent une vision semblable de l’éducation (Augustus, 2015), à savoir que celle-ci devrait : 1) accorder une importance particulière aux territoires; 2) impliquer la communauté et la famille dans le processus 1 Membres des Premières Nations, Métis et Inuit (Statistiques Canada, 2016). Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1054 d’apprentissage; 3) promouvoir les langues autochtones; 4) utiliser des approches pédagogiques holistiques; 5) favoriser un processus de décolonisation (Anuik et Gillies, 2012; Battiste, 2008; Battiste et Henderson, 2009; Black et Hachkowski, 2018; Borrows, 2016; Colomb, 2012; Lévesque et al., 2015; Loiselle et Legault, 2010; Munroe et al., 2013; Sioui, 2012; Styres et al., 2013). Comme certaines de ces communautés adoptent la pensée circulaire, basée sur une éthique qui promeut l’existence d’interrelations entre toutes choses existantes et/ou subjectives (Sioui, 2008), une approche holistique2 en éducation s’avère indiquée au contexte de classe autochtone (Borrows, 2016; Price et Burtch, 2010). Selon Battiste (2013) et Colomb (2012), les méthodes pédagogiques universitaires devraient comprendre des pratiques et une communication ayant une congruence avec les cultures autochtones, introduire et valoriser des concepts de ces cultures, ainsi que présenter et mettre de l’avant la contribution présente et historique des peuples autochtones à la société contemporaine. En ce sens, plusieurs étudiants autochtones désireraient que le corps enseignant soit davantage sensibilisé à leurs réalités et à leurs besoins pédagogiques, et qu’il fasse preuve de flexibilité (Adelman et al., 2013; Dufour, 2015; Irwin et Hepplestone, 2012; Joncas, 2013, 2018; Lefevre-Radelli, 2019; Milne et al., 2016; Rodon et Tremblay, 2007; Shield, 2004; Wanner et Palmer, 2015). Pour leur part, Fenelon et LeBeau (2005) recommandent de mettre en place une pédagogie interactive et axée sur le territoire et les récits traditionnels (p. ex., utiliser des histoires, des métaphores de chasse) (Colomb, 2012). Dans le contexte actuel, plusieurs Autochtones perçoivent l’éducation postsecondaire comme un milieu intégrant et perpétuant une forme d’assimilation qui s’inscrit dans le néocolonialisme, puisque les établissements postsecondaires accordent très peu d’importance au bagage culturel, aux traditions et aux valeurs autochtones (Langevin, 2006; Malatest, 2002; Mareschal et Denault, 2020; Papillon et Cosentino, 2004; Robert-Careau, 2019; Savard, 2010). Il s’avère également que le corps enseignant ignore généralement la dimension spirituelle3 des étudiants (Miller et al., 2005) et que les systèmes d’éducation traditionnels sont principalement axés sur la performance 2 Ce concept est présenté dans le cadre conceptuel. 3 L’aspect spirituel ne réfère pas à une croyance religieuse ou à un système de croyances objectives, mais plutôt à une vision singulière que les individus ont de leur relation avec ce qui les entoure (Curwen Doige, 2003). Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1055 scolaire des étudiants et non pas sur leur développement général (Lee et al., 2014; Ricci et Pritscher, 2015). À cet effet, Moldoveanu et Campeau (2016) affirment que la scolarisation actuelle « imposée aux communautés autochtones s’inscrit plutôt dans un paradigme d’échec » (p. 198) et agit négativement sur la confiance en soi et la motivation des étudiants autochtones. Les objectifs de recherche Dans l’état actuel des connaissances, plusieurs recherches ont étudié les parcours de vie des étudiants universitaires autochtones (Bailey, 2016; Cazin, 2005; Loiselle et Legault, 2010; Rodon et Tremblay, 2007; Walton et al., 2020). Il s’avère toutefois que les pratiques enseignantes universitaires sont peu connues (Duguet et Morlaix, 2012; Michaut, 2012; Romainville et Michaut, 2012), notamment celles en contexte de classe incluant ou constituée uniquement d’étudiants autochtones. Les pédagogies utilisées par le corps enseignant constituant des facteurs favorisant la rétention et la réussite des étudiants universitaires (Fontaine et Peters, 2012), il s’avère pertinent de savoir : quelles pratiques sont mises en œuvre par le corps enseignant en contexte de classe autochtone ? Deux objectifs émergent de cette question : 1) identifier les modèles et les méthodes pédagogiques utilisés en contexte de classe autochtone; et 2) identifier les pratiques enseignantes déclarées visant à favoriser les apprentissages à caractère holistique chez les étudiants autochtones universitaires. Cadre conceptuel Les pratiques enseignantes Cette recherche s’intéresse aux pratiques enseignantes des professeurs et des chargés de cours universitaires en contexte de classe incluant ou constituée uniquement d’étudiants autochtones et visant à favoriser leur réussite éducative. Selon Altet (2002), les pratiques enseignantes constituent des activités professionnelles intériorisées de façon singulière par les enseignants et appliquées dans des contextes de classes hétérogènes. Ces pratiques sont construites et orientées vers des objectifs et des normes d’un corps professionnel, Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1056 mais tiennent aussi compte de plusieurs dimensions (sociale, psychologique, didactique, pédagogique, épistémique) permettant à l’enseignant de s’adapter aux différentes situations, souvent imprévisibles, en présence d’étudiants (Altet, 2002; Bressoux, 2001). Les pratiques enseignantes englobent ainsi l’ensemble du savoir-faire professionnel, comprenant notamment le temps en présence des étudiants, la préparation des cours et les rencontres entre les professionnels (Bru et Maurice, 2001; de Saint-André et al., 2010; Marcel, 2009). Par ailleurs, ces pratiques englobent les méthodes utilisées par le corps enseignant qui s’inscrivent dans un modèle pédagogique auquel celui-ci peut se référer concernant ses actes professionnels (Morandi et La Borderie, 2001). Les modèles et les méthodes pédagogiques Pour analyser les pratiques enseignantes, il s’avère pertinent d’identifier quels modèles pédagogiques sont adoptés par le corps enseignant, notamment en raison du fait que les étudiants autochtones perçoivent la pédagogie magistrocentrée comme eurocentrée (Colomb, 2012) et que l’utilisation d’une pédagogie pédocentrée est davantage propice à l’acquisition de nouveaux apprentissages et de nouvelles compétences chez les étudiants universitaires (Duguet et Morlaix, 2012; Goodman et al., 2015; Mostrom et Blumberg, 2012; Troop et al., 2015; Wanner et Palmer, 2015). Ces deux modèles pédagogiques, magistrocentré et pédocentré, cohabitent dans les établissements d’éducation universitaire. Dans le modèle magistrocentré, l’enseignant est perçu tel un expert de sa discipline qui doit transmettre son savoir théorique et qui a la responsabilité des apprentissages de ses étudiants (Demougeot-Lebel et Perret, 2010; Frenay, 2006; Lison et Jutras, 2014). Les méthodes pédagogiques dites « traditionnelles » s’inscrivent dans le modèle magistrocentré, comme l’enseignement magistral qui correspond à des « conférences monologues » ou à des « monologues expressifs » (Duguet et Morlaix, 2012). Dans le modèle pédocentré, l’enseignant est considéré comme un accompagnateur qui cherche à favoriser les interactions et à laisser les étudiants devenir maitres de leurs apprentissages (Demougeot-Lebel et Perret, 2010; Frenay, 2006; Lison et Jutras, 2014). Les méthodes pédagogiques dites « innovantes » s’inscrivent dans le modèle pédocentré et englobent « tout ce qui ne relève pas de l’enseignement magistral » (Béchard et Pelletier, 2004, p. 50), comme la méthode des cas, l’apprentissage par problème ou Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1057 par projet (Béchard et Pelletier, 2004). Il n’en demeure pas moins que ces méthodes s’inscrivent dans la tradition occidentale/eurocentrique. L’utilisation d’une approche favorisant des apprentissages à caractère holistique est grandement recommandée en contexte de classe autochtone (Anuik et Gillies, 2012; Borrows, 2016; Colomb, 2012; Price et Burtch, 2010). Des apprentissages à caractère holistique permettent à l’étudiant de se développer et de trouver un équilibre sur les plans intellectuel, émotionnel, physique et spirituel (Anuik et Gillies, 2012; Bousquet, 2012; Colomb, 2012; Mayes et al., 2016; Miller et al., 2005). Pour susciter de tels apprentissages, le corps enseignant doit adapter le climat de classe aux étudiants tout en laissant une place importante à leurs expériences vécues au sein de leur environnement (Fuentes et Reyes, 2019). Cette expérience doit mener l’étudiant à analyser, dans une perspective globale et une vision intégrée, les éléments du cours qui lui sont présentés, tout en lui accordant la possibilité d’analyser sa relation personnelle avec l’objet d’étude (Colomb, 2012; Fenelon et LeBeau, 2005). La valeur temporelle est essentielle, car ces apprentissages doivent tenir compte de l’interrelation entre le passé, le présent et le futur de l’individu, et demandent davantage de temps qu’une approche traditionnelle qui perçoit l’apprentissage de façon séquentielle, linéaire et hiérarchique (Colomb, 2012). La pédagogie expérientielle est régulièrement perçue comme favorable à l’introduction d’apprentissages holistiques (Colomb, 2012; Curtis et al., 2015; Loiselle et Legault, 2010; Moldoveanu et Campeau, 2016; White, 2001). Méthode Une approche qualitative de type phénoménologique a permis d’examiner les pratiques enseignantes des participants à partir de leur discours et de leurs perceptions (Aubin- Auger et al., 2008; Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2003). Cette approche phénoménologique, privilégiant la collecte et l’analyse de données expérientielles, a fourni des informations significatives et propres au vécu des participants, tout en évitant de s’insérer dans un mécanisme explicatif (Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2003; Savoie-Zajc, 2006). Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1058 Les participants Un échantillonnage par homogénéisation a été utilisé pour recruter les participants (Pires, 1997). Cette méthode consiste à déterminer les caractéristiques et les rapports socioculturels établissant l’homogénéisation de la population à l’étude (Fortin et Gagnon, 2016; Pires, 1997). Les critères d’homogénéisation retenus s’appuient sur la Classification nationale des professions de Statistique Canada (2012) et sur le choix d’un établissement universitaire. La Classification nationale des professions a permis d’établir quels étaient les professionnels ayant à s’acquitter de l’enseignement universitaire : 1) les professeurs disposant d’un doctorat dans leur domaine de spécialisation, et 2) les chargés de cours ayant au minimum un diplôme de deuxième cycle. Ensuite, un établissement universitaire permettant d’étudier un contexte de classe autochtone a été choisi, soit l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue4 (UQAT). Ce choix repose notamment sur le temps et les couts inhérents à la recherche dans le cadre d’un projet de maitrise. Bien qu’il s’agisse d’une contrainte, la pertinence de ce lieu d’étude se justifie par sa proximité et ses relations avec des communautés autochtones. En effet, le territoire desservi par cette université comprend notamment sept communautés algonquines (Thibeault, 2015) pour lesquelles elle offre des cours en français et en anglais afin de répondre à leurs besoins. De plus, cet établissement contient l’École d’études autochtones qui offre plusieurs programmes destinés spécifiquement aux autochtones de premier et de deuxième cycle5. Ainsi, les facteurs d’inclusion étaient : 1) être professeur ou chargé de cours en activité à l’UQAT, et 2) avoir enseigné dans une classe incluant ou constituée uniquement d’étudiants autochtones. L’échantillonnage par homogénéisation vise aussi une diversification interne au sein du groupe homogène, c’est-à-dire que le chercheur doit choisir des participants qui présentent différentes caractéristiques (p. ex., âge, genre, années d’expérience, titre de l’employé et département d’enseignement) (Pires, 1997). Au total, l’échantillon comptait six professeurs et quatre chargés de cours (6 hommes et 4 femmes) enseignant dans cinq programmes : études autochtones, développement humain, éducation, gestion ainsi que 4 L’UQAT dessert un territoire éloigné des grands centres urbains et rejoint plus de 6 300 étudiants annuellement. Cet établissement compte environ 385 professeurs et chargés de cours. 5 Il n’est pas possible de savoir combien d’étudiants autochtones cheminent à l’UQAT, car cet établissement n’emploie pas de stratégie d’identification systématique lors de l’inscription. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1059 création et nouveaux médias. Les participants avaient de 3 et 14 années d’expérience en enseignement universitaire et un seul d’entre eux avait déjà suivi une formation universitaire en enseignement postsecondaire, laquelle ne concernait pas l’enseignement en contexte de classe autochtone. Aucun des participants n’était autochtone et seulement trois professeurs avaient présenté des cours universitaires à des classes constituées uniquement d’étudiants autochtones. Pour recruter les participants, les secrétariats de l’École d’études autochtones, du Service Premiers Peuples de l’UQAT et de chaque unité d’enseignement et de recherche de l’UQAT ont envoyé un courriel d’invitation à tout le corps enseignant. Le recrutement des participants a par ailleurs constitué un défi6 puisque, malgré les stratégies de recrutement répétées pour augmenter le nombre de participants, seules dix personnes ont manifesté leur intérêt et ont finalement participé à l’étude. Par conséquent, il n’a pas été possible d’assurer, comme prévu, une diversification interne. La collecte et l’analyse des données7 Les données ont été collectées d’octobre 2017 à octobre 2018 au moyen d’entrevues semi-dirigées, lesquelles favorisent une compréhension des phénomènes par le point de vue et le sens que les participants ont de leur réalité (Boutin, 2000; Savoie-Zajc, 2010). Les entrevues, d’une durée de 60 à 90 minutes, se sont déroulées sur le lieu de travail des participants et leur discours a été recueilli à l’aide d’un enregistreur vocal. Le Tableau 1 présente les différents thèmes abordés8. 6 Les refus obtenus découlent en majorité du fait que les participants potentiels n’avaient pas conscience de la présence d’étudiants autochtones au sein de leur groupe. 7 Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’études de deuxième cycle. C’est l’étudiant-chercheur (premier auteur de cet article) qui a réalisé la collecte et l’analyse des données, et ce, sous la supervision de son directeur de recherche (le second auteur de cet article). 8 Les résultats présentés dans ce texte sont issus d’un projet de maitrise et ceux-ci ne couvrent que deux des quatre objectifs de la recherche. Le guide d’entrevue était donc composé d’autres thèmes qui ne sont pas présentés dans cet article. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1060 Tableau 1 Thèmes de l’entrevue Thèmes Sous-thèmes Objectif 1 Connaissances au regard Connaissances pédagogiques des enseignements Habiletés pédagogiques Connaissances sur la culture autochtone Objectif 2 Pratiques enseignantes Déroulement des cours Rôles des étudiants dans le cours Techniques utilisées en classe Les entrevues ont été transcrites, puis une analyse thématique a été menée pour « dégager quels thèmes sont présents, avec quelle importance, associés de quelle façon, etc. » (Paillé et Mucchielli, 2003, p. 145). Enfin, les extraits encodés manuellement dans le logiciel QSR NVivo 10 ont été soumis à un examen discursif qui consiste à mettre en relation des thèmes avec le cadre conceptuel de la recherche et/ou les écrits scientifiques (Fortin et Gagnon, 2016). Le type de codage utilisé était mixte, c’est-à-dire que certains thèmes étaient prédéfinis par le cadre conceptuel, mais que les thèmes analysés étaient aussi ouverts à des modifications et des ajouts (Van der Maren, 2004). Pour répondre aux critères de scientificité (Lincoln et Guba, 1985), plusieurs stratégies ont été mises en œuvre. D’abord, la réplication par étape (stepwise replication), effectuée par les deux auteurs de cet article, ainsi que la saturation théorique ont été utilisées pour favoriser la fiabilité des résultats (Lincoln et Guba, 1985; Pires, 1997). Ensuite, le recours à la méthode de l’audit a permis d’assurer la validation, c’est-à- dire que le directeur de recherche a joué le rôle d’expert en vérifiant la valeur des interprétations de l’étudiant-chercheur. Enfin, la transférabilité des résultats est possible puisque le contexte de l’étude ainsi que les considérations méthodologiques sont décrits dans le mémoire de l’étudiant (voir Gingras-Lacroix, 2019). La crédibilité des résultats constitue néanmoins une limite puisqu’aucune méthode de triangulation ou de vérification par les participants n’a été utilisée (Lincoln et Guba, 1985; Savoie-Zajc, 2009) Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1061 Résultats Cette section présente les pratiques enseignantes dégagées du discours des participants. La première section décrit les modèles et les méthodes pédagogiques utilisés en contexte de classe ayant au moins un étudiant autochtone. La deuxième section aborde plus précisément les résultats concernant la préoccupation des participants au regard des apprentissages à caractère holistique. Enfin, la troisième section présente les pratiques pédagogiques que les participants ont affirmé mettre en œuvre dans le but de favoriser la réussite éducative des étudiants autochtones. Les modèles et les méthodes pédagogiques utilisés en contexte de classe autochtone Il s’avère que tous les participants adoptent les deux modèles pédagogiques. En effet, le choix du modèle pédagogique adopté varie selon : 1) les objectifs du cours (axés sur la théorie ou la pratique); 2) le mode du cours (en présentiel ou par visioconférence); et 3) le nombre d’étudiants. À cet effet, tous les participants ont mentionné qu’avoir des « groupes de taille humaine » (participant 3) fait en sorte qu’il devient « pédagogiquement plus facile d’adapter ses pratiques que dans une classe de 40-45 étudiants » (participant 7). Il n’y a cependant pas de consensus en ce qui concerne la pédagogie qui serait la plus appropriée aux étudiants autochtones. Six participants soulignent que ces étudiants préfèrent une pédagogie pédocentrée : « pour moi, c’est une pédagogie qui regroupe tout le monde qui désire apprendre, et encore plus chez les étudiants autochtones » (participant 10). Pour quatre autres participants, ce n’est pas le fait que les pratiques soient axées sur des méthodes traditionnelles (magistrocentrées) ou innovantes (pédocentrées) qui influence la réussite des étudiants autochtones, mais davantage le fait que ces dernières soient axées sur ce qui est concret. Par exemple, le participant 8 déclare : « Souvent, je dis aux étudiants : Ça, c’est en théorie… mais dans la vraie vie maintenant, ce n’est pas toujours comme ça que ça se passe ! ». Ainsi, selon neuf participants, il n’y aurait pas une pédagogie propre aux étudiants autochtones : « j’en ai presque à chaque année des étudiants autochtones, puis c’est la même façon de faire qu’avec tout le monde. Je ne fais pas une différence » (participant 9). Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1062 Parmi les méthodes pédagogiques recensées dans le discours des participants, il a été possible de constater qu’ils ont tous recours à la présentation magistrale du contenu théorique. Le coenseignement est une méthode qui a été mise en place uniquement par le participant 5. Ce dernier explique que cette méthode lui demande « d’accompagner » les étudiants qui doivent « s’approprier la matière » afin d’être « en mesure de la redonner aux autres ». Son rôle consiste à « valider » ce qu’ils présentent, à « corriger » et à « ajuster s’il y a des choses qui ne sont pas bien comprises » (participant 5). L’enseignement par projet est une autre méthode pédagogique utilisée par quatre participants. Celle-ci n’est toutefois pas mise en place de la même façon par ces participants. Dans le cas du participant 1, « il y a une première session où on donne les bases théoriques et techniques, puis la deuxième session où on passe en mode projet par rapport à une thématique ». Ce participant offre une liberté à ses étudiants quant au choix du projet : « Ils doivent trouver un projet à faire et puis c’est sûr que ce projet-là, ils le font à partir de ce qu’ils vivent, d’où est-ce qu’ils veulent aller ». Le participant 5, quant à lui, propose à ses étudiants de réaliser un « projet individuel, mais qui va faire partie d’un projet collectif ». Il explique que cette méthode pédagogique touche, selon lui, à la fois « la collaboration et l’individu » puisqu’« il faut que l’individu ait un bagage pour être vraiment à même de collaborer avec les autres puis d’apporter quelque chose aux autres ». Le participant 4 a pour sa part moins aimé son expérience d’enseignement par projet puisqu’il considère que cela s’est révélé « un échec monumental ». Dans ce cas, le projet était proposé à un groupe composé uniquement d’étudiants autochtones et consistait en un « travail à produire » qui s’étalait sur toute la session. Le participant raconte comment cela s’est passé : J’essayais de les appuyer, j’essayais de les suivre… mais ils voyaient ça comme une grande période de temps libre avec un travail à remettre à la fin. J’ai eu beau tout décortiquer le travail qu’ils avaient à faire : « ok, cette semaine vous devez appeler pour rencontrer des gens… » Ça n’a pas du tout marché. (Participant 4) Une autre méthode pédagogique utilisée par cinq des participants est la mise en situation. Pour les participants 2, 7 et 10, ces mises en situation sont vécues sous forme de jeux de rôle. Par exemple, l’un d’eux propose à ses étudiants des situations fictives et transforme la salle de classe en « laboratoire d’expérimentation d’intervention sociale ». Pour les participants 6 et 8, les mises en situation se réalisent plutôt sous forme écrite. En Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1063 ce sens, le participant 6 propose à ses étudiants de se plonger dans une mise en situation dans le cadre d’un travail écrit à rédiger : Moi, c’est : « trouve-moi une situation dans la vraie vie puis interviens. Travaille là-dessus. Ou invente un “business” » Ça, j’aime bien ce genre de projet là. Quelqu’un a vraiment une liberté totale. Il choisit le produit que ça lui tente et il met une stratégie en œuvre, sur le papier. (Participant 6) Une autre méthode pédagogique déclarée par deux participants consiste à partir de la pratique (p. ex., le vécu et les expériences des étudiants) pour aller vers la théorie. Le participant 2 qualifie cette méthode d’« approche inductive » dans laquelle, « à partir de choses qu’on fait, on essaie d’en tirer des généralisations, des idées ». Le participant 7 la qualifie quant à lui de « pédagogie inversée ». L’extrait suivant illustre dans quel contexte ce participant y a recours : À l’UQAT, j’ai déjà enseigné à un groupe d’adultes que ça faisait 10-15 ans qu’ils étaient sur le terrain. Ils avaient des techniques, ils faisaient leur baccalauréat. On fonctionnait à l’inverse. C’est une pédagogie inversée quand les étudiants ont beaucoup de pratique : on y va par les éléments concrets qu’ils ont vécus, on les décortique, on les analyse. Puis, après ça, on les rattache à des éléments théoriques. Il est néanmoins important de souligner que les participants ont affirmé qu’ils choisissaient les méthodes pédagogiques utilisées indépendamment de la présence ou non d’étudiants autochtones dans le groupe classe : « Je dis autochtone – allochtone, mais moi, je ne fais pas tant que ça une grosse distinction à part l’aspect culturel » (participant 3); « Moi j’en ai presque à chaque année (des étudiants autochtones), puis c’est la même façon de faire qu’avec tout le monde » (participant 9). Ce choix est parfois influencé par le nombre d’étudiants autochtones dans le groupe : « Mes pratiques sont sensiblement la même chose parce que les étudiants autochtones sont un faible pourcentage d’étudiants dans mes cours. […] Si j’ai 50 personnes et que j’ai une personne autochtone, jusqu’où je dois aller dans l’adaptation » (participant 7). Néanmoins, aucune tendance de ce choix de pratique n’a pu être dégagée en fonction de la proportion d’étudiants autochtones présents dans le groupe ou de l’endroit dans lequel avait lieu le cours (sur le campus ou sur la réserve autochtone). Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1064 Les apprentissages à caractère holistique En ce qui concerne les apprentissages à caractère holistique, soit la possibilité de se développer sur les plans physique, cognitif, émotionnel et spirituel, la moitié des participants affirment être ouverts au fait que leurs étudiants autochtones les intègrent dans leurs travaux et leurs productions, dans la mesure où le travail demandé répond aux critères d’évaluation. En ce sens, selon le participant 8, la création d’un portfolio par les étudiants est un moyen pour eux de toucher certains éléments spirituels : « il y en a qui vont me parler de leurs croyances […]. Ce serait plus là que je te dirais qu’on irait toucher l’expérience spirituelle ». L’un des travaux proposés par un participant enseignant dans le domaine de l’audiovisuel offre également aux étudiants la possibilité d’acquérir des apprentissages qui ont une portée holistique. En effet, les étudiants allochtones et autochtones doivent ici produire une vidéo dont l’évaluation porte sur la technique, la lumière, la colorimétrie, la musique, etc. Or, les étudiants sont libres dans leur création. L’extrait suivant en est d’ailleurs un bon exemple : Je viens de penser à une autre personne qui était autochtone, à qui j’enseignais. Il y avait un processus de guérison dans son travail. Un processus de guérison intérieure. Un processus de guérison et de transformation de soi. Il y avait, dans tous les cas, une volonté de se servir de l’art comme un mode de transformation, de métamorphose, comme d’éclosion. Pas de renaissance, mais comme un serpent qui change de mue. (Participant 1) Toutefois, dans le discours des participants, aucune méthode pédagogique visant explicitement des apprentissages holistiques n’a pu être identifiée. En effet, comme le souligne le participant 8 : « On reste quand même beaucoup dans l’intellectuel, le cognitif ». Le participant 9 indique pour sa part : « Je n’utilise pas de pratiques pédagogiques holistiques. Parfois, je présente des outils qui touchent des approches holistiques, mais on ne va pas vivre la tente tremblante dans la classe, par exemple ». Cinq participants affirment néanmoins qu’ils aimeraient inclure davantage des apprentissages à caractère holistique au sein de leurs pratiques : « Je pense que j’y touche un petit peu (apprentissage holistique), mais je pense que ça pourrait être plus poussé » (participant 8). Néanmoins, comme le mentionne le participant 9, ajouter de tels Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1065 apprentissages s’avère difficile puisque : « c’est tellement rigide la culture universitaire que je pense que c’est mieux de faire des pas en classe dans la relation et les outils ». Aucune stratégie n’a donc été mentionnée par les participants afin d’ajouter des activités favorisant des apprentissages à caractère holistique. Les pratiques enseignantes visant à favoriser la réussite des étudiants autochtones Les discussions concernant les pratiques enseignantes ont permis de faire ressortir des éléments qui, selon les participants, favorisent la réussite des étudiants autochtones. Ainsi, établir des relations positives basées sur le respect, l’écoute, l’ouverture et la flexibilité sont des pratiques importantes à mettre en œuvre selon les participants, de même qu’adapter le contenu du cours aux réalités et au vécu des étudiants autochtones. Interagir en faisant preuve d’écoute, de flexibilité, d’ouverture et de respect. Dans le discours des participants, quatre attitudes, qui favorisent selon eux les apprentissages des étudiants autochtones, ont été dégagées, soit : l’écoute, la flexibilité, l’ouverture et le respect, notamment envers la notion de silence, les savoirs autochtones et le rythme d’apprentissage des étudiants. Huit participants considèrent que le fait d’être à l’écoute de leurs étudiants est une attitude importante à développer, et ce, particulièrement auprès des étudiants autochtones. À cet effet, certains participants expliquent qu’être à leur écoute permet de connaitre leur vécu, notamment en ce qui concerne « le départ de leur communauté, difficile pour certains, mais extraordinaire pour d’autres » (participant 4), ou encore les situations particulières auxquelles certains ont été confrontés, comme « l’effondrement des relations familiales dans leur communauté, la pauvreté aigüe dans laquelle ils vivent, les parcours scolaires atypiques qu’ils ont » (participant 2). Être à l’écoute afin de connaitre le vécu des étudiants autochtones est d’ailleurs lié à une autre attitude qui a été identifiée dans le discours de tous les participants : la flexibilité. Entre autres, le participant 3 explique qu’il adapte le calendrier des cours en fonction des demandes faites par ses étudiants autochtones, par exemple, en déplaçant un cours qui est prévu le même jour qu’un pow-wow ou qu’un tournoi de hockey. Deux participants ont également mentionné que la notion de temps pour plusieurs étudiants Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1066 autochtones est différente de celle qui est attendue dans les universités et que cela demande donc une certaine flexibilité à l’égard du délai de remise des travaux. L’ouverture est aussi une attitude à développer selon tous les participants. Cette dernière les amène parfois à revoir leurs méthodes de travail, ainsi que leur conception du milieu universitaire. En ce sens, deux participants constatent que l’écriture, notamment celle des travaux et des mémoires, diffère chez les étudiants autochtones. Par exemple, deux participants font preuve d’ouverture envers la façon qu’ont leurs étudiants autochtones de présenter leurs travaux qui sont « plus biographiques que théoriques, plus axés sur l’expérience personnelle, sur le récit » (participant 2). Le participant 2 a fait ce constat alors qu’il encadrait un étudiant autochtone aux cycles supérieurs : Quand il fait ses résultats de recherche, il ne présente pas ça comme nous autres : il présente ça sous la forme d’un récit. De l’avant, du passé, de l’est, de l’ouest, de la roue médicinale. Puis chaque partie du récit, il base ça sur le récit d’une personne qu’il a rencontrée pendant son stage d’essai. Donc, on va faire un récit, ça va être le bison, la perdrix, la loutre et le renard dans les récits qu’il va faire. Puis quand tu lis les mémoires de maitrise d’étudiants amérindiens au travers du Canada, tu vas te rendre compte des grands récits et que la structure de pensées n’est pas la même. Faire preuve de respect, selon deux participants, implique d’être en mesure de « comprendre et de décrypter » (participant 5) les silences qui se produisent en contexte de classe avec des étudiants autochtones puisque « le silence est important pour les étudiants autochtones » (participant 7). Le participant 5 explique que, pour ces derniers, le concept de silence « n’est pas nécessairement un synonyme de passivité ou de désintérêt ». En ce sens, pour le participant 7, le silence est pour ces étudiants un temps pour « réfléchir » et « regarder » puisqu’« habituellement, dans nos cours, on va beaucoup trop vite pour eux ». Il ajoute qu’il faut laisser aux étudiants autochtones « le temps d’intégrer la matière » et souligne qu’ils ont besoin de voir comment ils peuvent la transmettre et l’adapter au sein de leur communauté. Tous les participants affirment qu’il est essentiel de respecter les savoirs autochtones. Cette attitude signifie pour eux qu’ils doivent reconnaitre les différences et les richesses liées aux cultures autochtones, mais aussi reconnaitre les savoirs et les compétences de ces étudiants. Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1067 Le participant 5 considère que « c’est important d’avoir quand même une petite connaissance de qui tu as en face de toi. Sinon, on reste dans une dimension encore une fois d’étrangeté, puis de dominant/dominé, puis on ne crée rien ». Le participant 7 souligne que « s’il y a des étudiants autochtones qui voient qu’on a une préoccupation par rapport à leur culture, bien c’est un respect. Et moi, je me dis qu’un étudiant qui sent qu’il est respecté par le professeur, il risque plus d’être partie prenante bien sûr ». Ce respect favorise ainsi, selon les participants, l’établissement d’un lien de confiance avec les étudiants autochtones ainsi que leur participation en classe. Adapter le contenu du cours aux réalités et au vécu des étudiants autochtones. Les résultats révèlent que les participants ne choisissent pas leurs méthodes pédagogiques en fonction du contexte de classe autochtone, et ce, peu importe la proportion d’étudiants autochtones dans le groupe. Les discours analysés permettent toutefois de constater que les participants considèrent qu’il est important d’adapter le contenu du cours aux réalités et au vécu des étudiants autochtones. En effet, tous les participants rencontrés considèrent que ces étudiants cheminent dans un programme allochtone qui n’est pas toujours adapté à leur culture et à leur réalité. À cet effet, le participant 7 explique que, selon lui, les interventions sociales enseignées à l’université sont centrées sur la culture « blanche » et que « ce n’est pas toujours adapté à leur culture. Loin de là. C’est loin d’être adapté et ce n’est pas toujours évident de l’adapter ». Ainsi, cela représente un défi pour le corps enseignant rencontré puisque, dans de telles situations, les étudiants « n’ont rien à s’accrocher » (participant 3). De plus, comme le souligne le participant 2 : « tu peux leur enseigner des cours super théoriques, mais s’ils n’y voient pas d’utilités, ils décrochent bien vite. Donc, ils se retrouvent démunis sur des plans théoriques quelquefois ». Une pratique utilisée par tous les participants consiste donc à bonifier les contenus avec des exemples qui accordent une importance aux territoires sur lesquels évoluent les communautés autochtones. Ces exemples peuvent notamment provenir du vécu et des connaissances des étudiants autochtones eux-mêmes : « J’adapte en me servant de l’expérience de mes étudiants pour enrichir le cours » (participant 5). Selon les participants, l’utilisation de l’expérience des étudiants autochtones permet à ces derniers de mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent et de faire des liens avec la théorie vue en classe : « J’essaie de rattacher la théorie à des faits, des situations, des problèmes qu’ils ont rencontrés parce que, des fois, ils trouvent ça dur et ils ont de la Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
Pratiques enseignantes en contexte autochtone 1068 difficulté à comprendre la théorie » (participant 9). Lier le contenu du cours aux réalités et aux cultures autochtones n’est cependant pas toujours simple lorsqu’il y a peu d’étudiants autochtones dans le groupe. En ce sens, l’un des participants mentionne que, pour lui, cette adaptation se fait davantage lors de rencontres qui se déroulent en dehors des heures de cours afin de « s’assurer de ce que les étudiants ont compris, de quelle façon ça pourrait être traduit et comment ça pourrait être vulgarisé pour travailler au niveau de leur communauté » (participant 7). Or, il reconnait que cela implique une certaine volonté personnelle en raison de l’investissement de temps qui y est rattaché : « J’en ai passé des heures, moi, avec des étudiants autochtones en dehors de mes cours ! Parce que j’en ai fait une volonté personnelle. […] Souvent, on donne quasiment un deuxième cours » (participant 7). Discussion Dans l’état actuel des connaissances, peu de données sont disponibles concernant les pratiques du corps enseignant universitaire visant à favoriser la réussite éducative des étudiants autochtones. Cette recherche s’est ainsi penchée sur les modèles et les méthodes pédagogiques utilisés à l’université en contexte de classe incluant ou constituée uniquement d’étudiants autochtones, ainsi que sur les pratiques enseignantes visant à favoriser les apprentissages à caractère holistique chez ces étudiants. Cette section présente une discussion concernant les principaux résultats dégagés de cette étude. Cette recherche a permis de constater que les participants ne considèrent pas qu’il existe un modèle ou des méthodes pédagogiques qui sont plus propices aux apprentissages des étudiants autochtones. Par conséquent, les méthodes pédagogiques utilisées par les participants correspondent à la fois au modèle magistrocentré et au modèle pédocentré. Par ailleurs, l’ensemble des méthodes pédagogiques identifiées s’inscrivent davantage dans une perspective eurocentrique. Ce résultat pourrait s’expliquer par le fait que les participants affirment ne pas choisir leurs méthodes pédagogiques en fonction de l’origine culturelle de leurs étudiants, mais plutôt en fonction de leur désir de répondre aux besoins des différents étudiants du groupe. En s’appuyant sur les résultats d’une revue de la littérature australienne (Lloyd et al., 2015, p. 13), il est possible d’affirmer que cette pratique enseignante est pertinente dans la Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021) www.cje-rce.ca
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