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Canadian Journal of Education
Revue canadienne de l'éducation

Les pratiques enseignantes mises en oeuvre en contexte de
classe autochtone universitaire : analyse du discours du corps
enseignant d’une université québécoise
Gabriel Gingras-Lacroix and Oscar Labra

Volume 44, Number 4, Winter 2021                                                  Article abstract
                                                                                  This phenomenological qualitative research conducted among ten members of
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1085209ar                                     the teaching staff of the University of Quebec in Abitibi-Témiscamingue studied
DOI: https://doi.org/10.53967/cje-rce.v44i4.5043                                  teaching practices used to support the success of indigenous students. It results
                                                                                  from the thematic analysis of the participants’ discourse, collected through
See table of contents                                                             semi-structured interviews, that their pedagogical choices do not depend on
                                                                                  the presence of indigenous students in the group. This study also shows that, in
                                                                                  this context, participants adapt the content of their courses and adopt an
                                                                                  attitude of listening, flexibility, openness and respect. This reflects individual
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Canadian Society for the Study of Education                                       students.

ISSN
0380-2361 (print)
1918-5979 (digital)

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Gingras-Lacroix, G. & Labra, O. (2021). Les pratiques enseignantes mises en
oeuvre en contexte de classe autochtone universitaire : analyse du discours du
corps enseignant d’une université québécoise. Canadian Journal of Education /
Revue canadienne de l'éducation, 44(4), 1051–1083.
https://doi.org/10.53967/cje-rce.v44i4.5043

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Les pratiques enseignantes mises en œuvre en contexte
de classe autochtone universitaire : analyse du discours
du corps enseignant d’une université québécoise

Gabriel Gingras-Lacroix
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Oscar Labra
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

                                         Résumé
Cette recherche qualitative phénoménologique réalisée auprès de dix membres du
corps enseignant de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue s’intéresse aux
pratiques enseignantes utilisées pour favoriser la réussite des étudiants autochtones. Il
résulte de l’analyse thématique du discours des participants, collecté par des entrevues
semi-dirigées, que leurs choix pédagogiques ne dépendent pas de la présence ou non
d’étudiants autochtones dans le groupe. Cette étude révèle également que, dans ce contexte,
les participants adaptent le contenu de leurs cours et adoptent une attitude d’écoute, de

                     Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021)
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                                                           Société canadienne pour l’étude de l’éducation
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flexibilité, d’ouverture et de respect. Cela témoigne des efforts individuels déployés pour
rendre l’enseignement universitaire plus inclusif.

Mots-clés : pédagogie universitaire, pratiques enseignantes, étudiants autochtones,
apprentissages holistiques, corps enseignant universitaire

                                          Abstract
This phenomenological qualitative research conducted among ten members of the
teaching staff of the University of Quebec in Abitibi-Témiscamingue studied teaching
practices used to support the success of indigenous students. It results from the thematic
analysis of the participants’ discourse, collected through semi-structured interviews, that
their pedagogical choices do not depend on the presence of indigenous students in the
group. This study also shows that, in this context, participants adapt the content of their
courses and adopt an attitude of listening, flexibility, openness and respect. This reflects
individual efforts made to make university education more inclusive of indigenous
students.

Keywords: university pedagogy, teaching practices, indigenous students, holistic learning,
university teaching staff

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                                               Introduction
Les universités québécoises sont depuis plusieurs années confrontées à de nombreuses
mutations les menant à offrir des services pédagogiques novateurs et à adopter des
pratiques enseignantes adaptées aux étudiants et aux attentes de la société (Nayyar, 2008).
Cette vision néolibérale de l’éducation ayant comme visée première l’employabilité,
celle-ci fait référence à un modèle d’éducation eurocentrique (Bousquet, 2008; Giroux,
2010; Nayyar, 2008; Sanford et al., 2012; St-Onge, 2016; Watkins, 2008). Or, si
plusieurs mobilisations autochtones ont permis aux Premiers Peuples d’avoir une plus
grande autorité en éducation (Commission de l’éducation, 2007; Fraternité des Indiens
du Canada, 1972), l’obtention d’un diplôme universitaire oblige toujours les étudiants
autochtones à intégrer une structure universitaire occidentale.

                                             Problématique
Le dernier recensement canadien montrait que le taux de diplomation universitaire
de l’ensemble des populations autochtones1 est de 11 %, alors qu’il se situe à 29 %
chez l’ensemble de la population canadienne (Statistique Canada, 2016). Cet écart
reposerait notamment sur plusieurs facteurs historiques, socioéconomiques et culturels
(Archambault, 2010; Colomb, 2012). L’un de ces facteurs serait lié aux méthodes
pédagogiques fréquemment utilisées dans les milieux universitaires (Colomb,
2012; Timmons et al., 2009). Selon Romainville et Michaut (2012), la qualité des
pratiques pédagogiques utilisées par le corps enseignant universitaire a un impact non
négligeable sur la persévérance scolaire des étudiants. Or, Kermoal (2018) souligne que
l’autochtonisation des universités nécessite que ces dernières amorcent une réflexion
approfondie concernant les valeurs promues, les rapports de pouvoir et les privilèges qui
sont présents au sein de leur établissement.
        Plusieurs communautés autochtones partagent une vision semblable de
l’éducation (Augustus, 2015), à savoir que celle-ci devrait : 1) accorder une importance
particulière aux territoires; 2) impliquer la communauté et la famille dans le processus

1   Membres des Premières Nations, Métis et Inuit (Statistiques Canada, 2016).

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d’apprentissage; 3) promouvoir les langues autochtones; 4) utiliser des approches
pédagogiques holistiques; 5) favoriser un processus de décolonisation (Anuik et Gillies,
2012; Battiste, 2008; Battiste et Henderson, 2009; Black et Hachkowski, 2018; Borrows,
2016; Colomb, 2012; Lévesque et al., 2015; Loiselle et Legault, 2010; Munroe et al.,
2013; Sioui, 2012; Styres et al., 2013). Comme certaines de ces communautés adoptent
la pensée circulaire, basée sur une éthique qui promeut l’existence d’interrelations entre
toutes choses existantes et/ou subjectives (Sioui, 2008), une approche holistique2 en
éducation s’avère indiquée au contexte de classe autochtone (Borrows, 2016; Price et
Burtch, 2010).
         Selon Battiste (2013) et Colomb (2012), les méthodes pédagogiques universitaires
devraient comprendre des pratiques et une communication ayant une congruence avec
les cultures autochtones, introduire et valoriser des concepts de ces cultures, ainsi
que présenter et mettre de l’avant la contribution présente et historique des peuples
autochtones à la société contemporaine. En ce sens, plusieurs étudiants autochtones
désireraient que le corps enseignant soit davantage sensibilisé à leurs réalités et à leurs
besoins pédagogiques, et qu’il fasse preuve de flexibilité (Adelman et al., 2013; Dufour,
2015; Irwin et Hepplestone, 2012; Joncas, 2013, 2018; Lefevre-Radelli, 2019; Milne
et al., 2016; Rodon et Tremblay, 2007; Shield, 2004; Wanner et Palmer, 2015). Pour
leur part, Fenelon et LeBeau (2005) recommandent de mettre en place une pédagogie
interactive et axée sur le territoire et les récits traditionnels (p. ex., utiliser des histoires,
des métaphores de chasse) (Colomb, 2012).
         Dans le contexte actuel, plusieurs Autochtones perçoivent l’éducation
postsecondaire comme un milieu intégrant et perpétuant une forme d’assimilation qui
s’inscrit dans le néocolonialisme, puisque les établissements postsecondaires accordent
très peu d’importance au bagage culturel, aux traditions et aux valeurs autochtones
(Langevin, 2006; Malatest, 2002; Mareschal et Denault, 2020; Papillon et Cosentino,
2004; Robert-Careau, 2019; Savard, 2010). Il s’avère également que le corps enseignant
ignore généralement la dimension spirituelle3 des étudiants (Miller et al., 2005) et que
les systèmes d’éducation traditionnels sont principalement axés sur la performance

2   Ce concept est présenté dans le cadre conceptuel.
3   L’aspect spirituel ne réfère pas à une croyance religieuse ou à un système de croyances objectives, mais plutôt à une
    vision singulière que les individus ont de leur relation avec ce qui les entoure (Curwen Doige, 2003).

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scolaire des étudiants et non pas sur leur développement général (Lee et al., 2014;
Ricci et Pritscher, 2015). À cet effet, Moldoveanu et Campeau (2016) affirment que la
scolarisation actuelle « imposée aux communautés autochtones s’inscrit plutôt dans un
paradigme d’échec » (p. 198) et agit négativement sur la confiance en soi et la motivation
des étudiants autochtones.

Les objectifs de recherche
Dans l’état actuel des connaissances, plusieurs recherches ont étudié les parcours de
vie des étudiants universitaires autochtones (Bailey, 2016; Cazin, 2005; Loiselle et
Legault, 2010; Rodon et Tremblay, 2007; Walton et al., 2020). Il s’avère toutefois que
les pratiques enseignantes universitaires sont peu connues (Duguet et Morlaix, 2012;
Michaut, 2012; Romainville et Michaut, 2012), notamment celles en contexte de classe
incluant ou constituée uniquement d’étudiants autochtones. Les pédagogies utilisées
par le corps enseignant constituant des facteurs favorisant la rétention et la réussite des
étudiants universitaires (Fontaine et Peters, 2012), il s’avère pertinent de savoir : quelles
pratiques sont mises en œuvre par le corps enseignant en contexte de classe autochtone ?
Deux objectifs émergent de cette question : 1) identifier les modèles et les méthodes
pédagogiques utilisés en contexte de classe autochtone; et 2) identifier les pratiques
enseignantes déclarées visant à favoriser les apprentissages à caractère holistique chez les
étudiants autochtones universitaires.

                                  Cadre conceptuel

Les pratiques enseignantes
Cette recherche s’intéresse aux pratiques enseignantes des professeurs et des chargés de
cours universitaires en contexte de classe incluant ou constituée uniquement d’étudiants
autochtones et visant à favoriser leur réussite éducative. Selon Altet (2002), les pratiques
enseignantes constituent des activités professionnelles intériorisées de façon singulière
par les enseignants et appliquées dans des contextes de classes hétérogènes. Ces pratiques
sont construites et orientées vers des objectifs et des normes d’un corps professionnel,

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mais tiennent aussi compte de plusieurs dimensions (sociale, psychologique, didactique,
pédagogique, épistémique) permettant à l’enseignant de s’adapter aux différentes
situations, souvent imprévisibles, en présence d’étudiants (Altet, 2002; Bressoux, 2001).
Les pratiques enseignantes englobent ainsi l’ensemble du savoir-faire professionnel,
comprenant notamment le temps en présence des étudiants, la préparation des cours et les
rencontres entre les professionnels (Bru et Maurice, 2001; de Saint-André et al., 2010;
Marcel, 2009). Par ailleurs, ces pratiques englobent les méthodes utilisées par le corps
enseignant qui s’inscrivent dans un modèle pédagogique auquel celui-ci peut se référer
concernant ses actes professionnels (Morandi et La Borderie, 2001).

Les modèles et les méthodes pédagogiques
Pour analyser les pratiques enseignantes, il s’avère pertinent d’identifier quels modèles
pédagogiques sont adoptés par le corps enseignant, notamment en raison du fait que
les étudiants autochtones perçoivent la pédagogie magistrocentrée comme eurocentrée
(Colomb, 2012) et que l’utilisation d’une pédagogie pédocentrée est davantage propice
à l’acquisition de nouveaux apprentissages et de nouvelles compétences chez les
étudiants universitaires (Duguet et Morlaix, 2012; Goodman et al., 2015; Mostrom
et Blumberg, 2012; Troop et al., 2015; Wanner et Palmer, 2015). Ces deux modèles
pédagogiques, magistrocentré et pédocentré, cohabitent dans les établissements
d’éducation universitaire. Dans le modèle magistrocentré, l’enseignant est perçu tel un
expert de sa discipline qui doit transmettre son savoir théorique et qui a la responsabilité
des apprentissages de ses étudiants (Demougeot-Lebel et Perret, 2010; Frenay, 2006;
Lison et Jutras, 2014). Les méthodes pédagogiques dites « traditionnelles » s’inscrivent
dans le modèle magistrocentré, comme l’enseignement magistral qui correspond à des
« conférences monologues » ou à des « monologues expressifs » (Duguet et Morlaix,
2012). Dans le modèle pédocentré, l’enseignant est considéré comme un accompagnateur
qui cherche à favoriser les interactions et à laisser les étudiants devenir maitres de leurs
apprentissages (Demougeot-Lebel et Perret, 2010; Frenay, 2006; Lison et Jutras, 2014).
Les méthodes pédagogiques dites « innovantes » s’inscrivent dans le modèle pédocentré
et englobent « tout ce qui ne relève pas de l’enseignement magistral » (Béchard et
Pelletier, 2004, p. 50), comme la méthode des cas, l’apprentissage par problème ou

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par projet (Béchard et Pelletier, 2004). Il n’en demeure pas moins que ces méthodes
s’inscrivent dans la tradition occidentale/eurocentrique.
        L’utilisation d’une approche favorisant des apprentissages à caractère holistique
est grandement recommandée en contexte de classe autochtone (Anuik et Gillies, 2012;
Borrows, 2016; Colomb, 2012; Price et Burtch, 2010). Des apprentissages à caractère
holistique permettent à l’étudiant de se développer et de trouver un équilibre sur les
plans intellectuel, émotionnel, physique et spirituel (Anuik et Gillies, 2012; Bousquet,
2012; Colomb, 2012; Mayes et al., 2016; Miller et al., 2005). Pour susciter de tels
apprentissages, le corps enseignant doit adapter le climat de classe aux étudiants tout en
laissant une place importante à leurs expériences vécues au sein de leur environnement
(Fuentes et Reyes, 2019). Cette expérience doit mener l’étudiant à analyser, dans une
perspective globale et une vision intégrée, les éléments du cours qui lui sont présentés,
tout en lui accordant la possibilité d’analyser sa relation personnelle avec l’objet d’étude
(Colomb, 2012; Fenelon et LeBeau, 2005). La valeur temporelle est essentielle, car
ces apprentissages doivent tenir compte de l’interrelation entre le passé, le présent et le
futur de l’individu, et demandent davantage de temps qu’une approche traditionnelle qui
perçoit l’apprentissage de façon séquentielle, linéaire et hiérarchique (Colomb, 2012).
La pédagogie expérientielle est régulièrement perçue comme favorable à l’introduction
d’apprentissages holistiques (Colomb, 2012; Curtis et al., 2015; Loiselle et Legault, 2010;
Moldoveanu et Campeau, 2016; White, 2001).

                                         Méthode
Une approche qualitative de type phénoménologique a permis d’examiner les pratiques
enseignantes des participants à partir de leur discours et de leurs perceptions (Aubin-
Auger et al., 2008; Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2003). Cette approche
phénoménologique, privilégiant la collecte et l’analyse de données expérientielles, a
fourni des informations significatives et propres au vécu des participants, tout en évitant
de s’insérer dans un mécanisme explicatif (Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2003;
Savoie-Zajc, 2006).

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Les participants
Un échantillonnage par homogénéisation a été utilisé pour recruter les participants
(Pires, 1997). Cette méthode consiste à déterminer les caractéristiques et les rapports
socioculturels établissant l’homogénéisation de la population à l’étude (Fortin et
Gagnon, 2016; Pires, 1997). Les critères d’homogénéisation retenus s’appuient sur la
Classification nationale des professions de Statistique Canada (2012) et sur le choix d’un
établissement universitaire. La Classification nationale des professions a permis d’établir
quels étaient les professionnels ayant à s’acquitter de l’enseignement universitaire :
1) les professeurs disposant d’un doctorat dans leur domaine de spécialisation, et 2)
les chargés de cours ayant au minimum un diplôme de deuxième cycle. Ensuite, un
établissement universitaire permettant d’étudier un contexte de classe autochtone a été
choisi, soit l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue4 (UQAT). Ce choix repose
notamment sur le temps et les couts inhérents à la recherche dans le cadre d’un projet de
maitrise. Bien qu’il s’agisse d’une contrainte, la pertinence de ce lieu d’étude se justifie
par sa proximité et ses relations avec des communautés autochtones. En effet, le territoire
desservi par cette université comprend notamment sept communautés algonquines
(Thibeault, 2015) pour lesquelles elle offre des cours en français et en anglais afin de
répondre à leurs besoins. De plus, cet établissement contient l’École d’études autochtones
qui offre plusieurs programmes destinés spécifiquement aux autochtones de premier et
de deuxième cycle5. Ainsi, les facteurs d’inclusion étaient : 1) être professeur ou chargé
de cours en activité à l’UQAT, et 2) avoir enseigné dans une classe incluant ou constituée
uniquement d’étudiants autochtones.
        L’échantillonnage par homogénéisation vise aussi une diversification interne au
sein du groupe homogène, c’est-à-dire que le chercheur doit choisir des participants qui
présentent différentes caractéristiques (p. ex., âge, genre, années d’expérience, titre de
l’employé et département d’enseignement) (Pires, 1997). Au total, l’échantillon comptait
six professeurs et quatre chargés de cours (6 hommes et 4 femmes) enseignant dans cinq
programmes : études autochtones, développement humain, éducation, gestion ainsi que

4   L’UQAT dessert un territoire éloigné des grands centres urbains et rejoint plus de 6 300 étudiants annuellement. Cet
    établissement compte environ 385 professeurs et chargés de cours.
5   Il n’est pas possible de savoir combien d’étudiants autochtones cheminent à l’UQAT, car cet établissement
    n’emploie pas de stratégie d’identification systématique lors de l’inscription.

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création et nouveaux médias. Les participants avaient de 3 et 14 années d’expérience
en enseignement universitaire et un seul d’entre eux avait déjà suivi une formation
universitaire en enseignement postsecondaire, laquelle ne concernait pas l’enseignement
en contexte de classe autochtone. Aucun des participants n’était autochtone et seulement
trois professeurs avaient présenté des cours universitaires à des classes constituées
uniquement d’étudiants autochtones.
        Pour recruter les participants, les secrétariats de l’École d’études autochtones, du
Service Premiers Peuples de l’UQAT et de chaque unité d’enseignement et de recherche
de l’UQAT ont envoyé un courriel d’invitation à tout le corps enseignant. Le recrutement
des participants a par ailleurs constitué un défi6 puisque, malgré les stratégies de
recrutement répétées pour augmenter le nombre de participants, seules dix personnes ont
manifesté leur intérêt et ont finalement participé à l’étude. Par conséquent, il n’a pas été
possible d’assurer, comme prévu, une diversification interne.

La collecte et l’analyse des données7
Les données ont été collectées d’octobre 2017 à octobre 2018 au moyen d’entrevues
semi-dirigées, lesquelles favorisent une compréhension des phénomènes par le point de
vue et le sens que les participants ont de leur réalité (Boutin, 2000; Savoie-Zajc, 2010).
Les entrevues, d’une durée de 60 à 90 minutes, se sont déroulées sur le lieu de travail des
participants et leur discours a été recueilli à l’aide d’un enregistreur vocal. Le Tableau 1
présente les différents thèmes abordés8.

6   Les refus obtenus découlent en majorité du fait que les participants potentiels n’avaient pas conscience de la
    présence d’étudiants autochtones au sein de leur groupe.
7   Cette recherche a été réalisée dans le cadre d’études de deuxième cycle. C’est l’étudiant-chercheur (premier
    auteur de cet article) qui a réalisé la collecte et l’analyse des données, et ce, sous la supervision de son directeur de
    recherche (le second auteur de cet article).
8   Les résultats présentés dans ce texte sont issus d’un projet de maitrise et ceux-ci ne couvrent que deux des quatre
    objectifs de la recherche. Le guide d’entrevue était donc composé d’autres thèmes qui ne sont pas présentés dans cet
    article.

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Tableau 1

Thèmes de l’entrevue

                          Thèmes                               Sous-thèmes
  Objectif 1       Connaissances au regard             Connaissances pédagogiques
                     des enseignements                    Habiletés pédagogiques
                                                   Connaissances sur la culture autochtone
  Objectif 2        Pratiques enseignantes                Déroulement des cours
                                                     Rôles des étudiants dans le cours
                                                       Techniques utilisées en classe

        Les entrevues ont été transcrites, puis une analyse thématique a été menée pour
« dégager quels thèmes sont présents, avec quelle importance, associés de quelle façon,
etc. » (Paillé et Mucchielli, 2003, p. 145). Enfin, les extraits encodés manuellement dans
le logiciel QSR NVivo 10 ont été soumis à un examen discursif qui consiste à mettre en
relation des thèmes avec le cadre conceptuel de la recherche et/ou les écrits scientifiques
(Fortin et Gagnon, 2016). Le type de codage utilisé était mixte, c’est-à-dire que certains
thèmes étaient prédéfinis par le cadre conceptuel, mais que les thèmes analysés étaient
aussi ouverts à des modifications et des ajouts (Van der Maren, 2004).
        Pour répondre aux critères de scientificité (Lincoln et Guba, 1985), plusieurs
stratégies ont été mises en œuvre. D’abord, la réplication par étape (stepwise replication),
effectuée par les deux auteurs de cet article, ainsi que la saturation théorique ont été
utilisées pour favoriser la fiabilité des résultats (Lincoln et Guba, 1985; Pires, 1997).
Ensuite, le recours à la méthode de l’audit a permis d’assurer la validation, c’est-à-
dire que le directeur de recherche a joué le rôle d’expert en vérifiant la valeur des
interprétations de l’étudiant-chercheur. Enfin, la transférabilité des résultats est possible
puisque le contexte de l’étude ainsi que les considérations méthodologiques sont décrits
dans le mémoire de l’étudiant (voir Gingras-Lacroix, 2019). La crédibilité des résultats
constitue néanmoins une limite puisqu’aucune méthode de triangulation ou de vérification
par les participants n’a été utilisée (Lincoln et Guba, 1985; Savoie-Zajc, 2009)

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                                        Résultats
Cette section présente les pratiques enseignantes dégagées du discours des participants.
La première section décrit les modèles et les méthodes pédagogiques utilisés en contexte
de classe ayant au moins un étudiant autochtone. La deuxième section aborde plus
précisément les résultats concernant la préoccupation des participants au regard des
apprentissages à caractère holistique. Enfin, la troisième section présente les pratiques
pédagogiques que les participants ont affirmé mettre en œuvre dans le but de favoriser la
réussite éducative des étudiants autochtones.

Les modèles et les méthodes pédagogiques utilisés en contexte de classe
autochtone
Il s’avère que tous les participants adoptent les deux modèles pédagogiques. En effet,
le choix du modèle pédagogique adopté varie selon : 1) les objectifs du cours (axés sur
la théorie ou la pratique); 2) le mode du cours (en présentiel ou par visioconférence);
et 3) le nombre d’étudiants. À cet effet, tous les participants ont mentionné
qu’avoir des « groupes de taille humaine » (participant 3) fait en sorte qu’il devient
« pédagogiquement plus facile d’adapter ses pratiques que dans une classe de 40-45
étudiants » (participant 7). Il n’y a cependant pas de consensus en ce qui concerne la
pédagogie qui serait la plus appropriée aux étudiants autochtones. Six participants
soulignent que ces étudiants préfèrent une pédagogie pédocentrée : « pour moi, c’est
une pédagogie qui regroupe tout le monde qui désire apprendre, et encore plus chez les
étudiants autochtones » (participant 10). Pour quatre autres participants, ce n’est pas le
fait que les pratiques soient axées sur des méthodes traditionnelles (magistrocentrées)
ou innovantes (pédocentrées) qui influence la réussite des étudiants autochtones, mais
davantage le fait que ces dernières soient axées sur ce qui est concret. Par exemple, le
participant 8 déclare : « Souvent, je dis aux étudiants : Ça, c’est en théorie… mais dans
la vraie vie maintenant, ce n’est pas toujours comme ça que ça se passe ! ». Ainsi, selon
neuf participants, il n’y aurait pas une pédagogie propre aux étudiants autochtones : « j’en
ai presque à chaque année des étudiants autochtones, puis c’est la même façon de faire
qu’avec tout le monde. Je ne fais pas une différence » (participant 9).

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         Parmi les méthodes pédagogiques recensées dans le discours des participants, il
a été possible de constater qu’ils ont tous recours à la présentation magistrale du contenu
théorique. Le coenseignement est une méthode qui a été mise en place uniquement par le
participant 5. Ce dernier explique que cette méthode lui demande « d’accompagner » les
étudiants qui doivent « s’approprier la matière » afin d’être « en mesure de la redonner
aux autres ». Son rôle consiste à « valider » ce qu’ils présentent, à « corriger » et à
« ajuster s’il y a des choses qui ne sont pas bien comprises » (participant 5).
         L’enseignement par projet est une autre méthode pédagogique utilisée par
quatre participants. Celle-ci n’est toutefois pas mise en place de la même façon par ces
participants. Dans le cas du participant 1, « il y a une première session où on donne les
bases théoriques et techniques, puis la deuxième session où on passe en mode projet
par rapport à une thématique ». Ce participant offre une liberté à ses étudiants quant au
choix du projet : « Ils doivent trouver un projet à faire et puis c’est sûr que ce projet-là,
ils le font à partir de ce qu’ils vivent, d’où est-ce qu’ils veulent aller ». Le participant 5,
quant à lui, propose à ses étudiants de réaliser un « projet individuel, mais qui va faire
partie d’un projet collectif ». Il explique que cette méthode pédagogique touche, selon
lui, à la fois « la collaboration et l’individu » puisqu’« il faut que l’individu ait un bagage
pour être vraiment à même de collaborer avec les autres puis d’apporter quelque chose
aux autres ». Le participant 4 a pour sa part moins aimé son expérience d’enseignement
par projet puisqu’il considère que cela s’est révélé « un échec monumental ». Dans ce
cas, le projet était proposé à un groupe composé uniquement d’étudiants autochtones
et consistait en un « travail à produire » qui s’étalait sur toute la session. Le participant
raconte comment cela s’est passé :

       J’essayais de les appuyer, j’essayais de les suivre… mais ils voyaient ça comme
       une grande période de temps libre avec un travail à remettre à la fin. J’ai eu beau
       tout décortiquer le travail qu’ils avaient à faire : « ok, cette semaine vous devez
       appeler pour rencontrer des gens… » Ça n’a pas du tout marché. (Participant 4)

        Une autre méthode pédagogique utilisée par cinq des participants est la mise en
situation. Pour les participants 2, 7 et 10, ces mises en situation sont vécues sous forme
de jeux de rôle. Par exemple, l’un d’eux propose à ses étudiants des situations fictives et
transforme la salle de classe en « laboratoire d’expérimentation d’intervention sociale ».
Pour les participants 6 et 8, les mises en situation se réalisent plutôt sous forme écrite. En

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ce sens, le participant 6 propose à ses étudiants de se plonger dans une mise en situation
dans le cadre d’un travail écrit à rédiger :

       Moi, c’est : « trouve-moi une situation dans la vraie vie puis interviens. Travaille
       là-dessus. Ou invente un “business” » Ça, j’aime bien ce genre de projet là.
       Quelqu’un a vraiment une liberté totale. Il choisit le produit que ça lui tente et il
       met une stratégie en œuvre, sur le papier. (Participant 6)

        Une autre méthode pédagogique déclarée par deux participants consiste à partir de
la pratique (p. ex., le vécu et les expériences des étudiants) pour aller vers la théorie. Le
participant 2 qualifie cette méthode d’« approche inductive » dans laquelle, « à partir de
choses qu’on fait, on essaie d’en tirer des généralisations, des idées ». Le participant 7 la
qualifie quant à lui de « pédagogie inversée ». L’extrait suivant illustre dans quel contexte
ce participant y a recours :

       À l’UQAT, j’ai déjà enseigné à un groupe d’adultes que ça faisait 10-15 ans qu’ils
       étaient sur le terrain. Ils avaient des techniques, ils faisaient leur baccalauréat.
       On fonctionnait à l’inverse. C’est une pédagogie inversée quand les étudiants
       ont beaucoup de pratique : on y va par les éléments concrets qu’ils ont vécus,
       on les décortique, on les analyse. Puis, après ça, on les rattache à des éléments
       théoriques.

        Il est néanmoins important de souligner que les participants ont affirmé qu’ils
choisissaient les méthodes pédagogiques utilisées indépendamment de la présence ou non
d’étudiants autochtones dans le groupe classe : « Je dis autochtone – allochtone, mais
moi, je ne fais pas tant que ça une grosse distinction à part l’aspect culturel » (participant
3); « Moi j’en ai presque à chaque année (des étudiants autochtones), puis c’est la même
façon de faire qu’avec tout le monde » (participant 9). Ce choix est parfois influencé par
le nombre d’étudiants autochtones dans le groupe : « Mes pratiques sont sensiblement la
même chose parce que les étudiants autochtones sont un faible pourcentage d’étudiants
dans mes cours. […] Si j’ai 50 personnes et que j’ai une personne autochtone, jusqu’où je
dois aller dans l’adaptation » (participant 7). Néanmoins, aucune tendance de ce choix de
pratique n’a pu être dégagée en fonction de la proportion d’étudiants autochtones présents
dans le groupe ou de l’endroit dans lequel avait lieu le cours (sur le campus ou sur la
réserve autochtone).

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Les apprentissages à caractère holistique
En ce qui concerne les apprentissages à caractère holistique, soit la possibilité de
se développer sur les plans physique, cognitif, émotionnel et spirituel, la moitié des
participants affirment être ouverts au fait que leurs étudiants autochtones les intègrent
dans leurs travaux et leurs productions, dans la mesure où le travail demandé répond aux
critères d’évaluation. En ce sens, selon le participant 8, la création d’un portfolio par
les étudiants est un moyen pour eux de toucher certains éléments spirituels : « il y en a
qui vont me parler de leurs croyances […]. Ce serait plus là que je te dirais qu’on irait
toucher l’expérience spirituelle ».
        L’un des travaux proposés par un participant enseignant dans le domaine de
l’audiovisuel offre également aux étudiants la possibilité d’acquérir des apprentissages
qui ont une portée holistique. En effet, les étudiants allochtones et autochtones doivent ici
produire une vidéo dont l’évaluation porte sur la technique, la lumière, la colorimétrie,
la musique, etc. Or, les étudiants sont libres dans leur création. L’extrait suivant en est
d’ailleurs un bon exemple :

       Je viens de penser à une autre personne qui était autochtone, à qui j’enseignais.
       Il y avait un processus de guérison dans son travail. Un processus de guérison
       intérieure. Un processus de guérison et de transformation de soi. Il y avait, dans
       tous les cas, une volonté de se servir de l’art comme un mode de transformation,
       de métamorphose, comme d’éclosion. Pas de renaissance, mais comme un serpent
       qui change de mue. (Participant 1)

        Toutefois, dans le discours des participants, aucune méthode pédagogique visant
explicitement des apprentissages holistiques n’a pu être identifiée. En effet, comme
le souligne le participant 8 : « On reste quand même beaucoup dans l’intellectuel,
le cognitif ». Le participant 9 indique pour sa part : « Je n’utilise pas de pratiques
pédagogiques holistiques. Parfois, je présente des outils qui touchent des approches
holistiques, mais on ne va pas vivre la tente tremblante dans la classe, par exemple ».
Cinq participants affirment néanmoins qu’ils aimeraient inclure davantage des
apprentissages à caractère holistique au sein de leurs pratiques : « Je pense que j’y
touche un petit peu (apprentissage holistique), mais je pense que ça pourrait être plus
poussé » (participant 8). Néanmoins, comme le mentionne le participant 9, ajouter de tels

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apprentissages s’avère difficile puisque : « c’est tellement rigide la culture universitaire
que je pense que c’est mieux de faire des pas en classe dans la relation et les outils ».
Aucune stratégie n’a donc été mentionnée par les participants afin d’ajouter des activités
favorisant des apprentissages à caractère holistique.

Les pratiques enseignantes visant à favoriser la réussite des étudiants
autochtones
Les discussions concernant les pratiques enseignantes ont permis de faire ressortir des
éléments qui, selon les participants, favorisent la réussite des étudiants autochtones.
Ainsi, établir des relations positives basées sur le respect, l’écoute, l’ouverture et la
flexibilité sont des pratiques importantes à mettre en œuvre selon les participants, de
même qu’adapter le contenu du cours aux réalités et au vécu des étudiants autochtones.

         Interagir en faisant preuve d’écoute, de flexibilité, d’ouverture et de respect.
Dans le discours des participants, quatre attitudes, qui favorisent selon eux les
apprentissages des étudiants autochtones, ont été dégagées, soit : l’écoute, la flexibilité,
l’ouverture et le respect, notamment envers la notion de silence, les savoirs autochtones
et le rythme d’apprentissage des étudiants. Huit participants considèrent que le fait
d’être à l’écoute de leurs étudiants est une attitude importante à développer, et ce,
particulièrement auprès des étudiants autochtones. À cet effet, certains participants
expliquent qu’être à leur écoute permet de connaitre leur vécu, notamment en ce qui
concerne « le départ de leur communauté, difficile pour certains, mais extraordinaire pour
d’autres » (participant 4), ou encore les situations particulières auxquelles certains ont
été confrontés, comme « l’effondrement des relations familiales dans leur communauté,
la pauvreté aigüe dans laquelle ils vivent, les parcours scolaires atypiques qu’ils ont »
(participant 2).
         Être à l’écoute afin de connaitre le vécu des étudiants autochtones est d’ailleurs
lié à une autre attitude qui a été identifiée dans le discours de tous les participants : la
flexibilité. Entre autres, le participant 3 explique qu’il adapte le calendrier des cours en
fonction des demandes faites par ses étudiants autochtones, par exemple, en déplaçant
un cours qui est prévu le même jour qu’un pow-wow ou qu’un tournoi de hockey. Deux
participants ont également mentionné que la notion de temps pour plusieurs étudiants

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autochtones est différente de celle qui est attendue dans les universités et que cela
demande donc une certaine flexibilité à l’égard du délai de remise des travaux.
        L’ouverture est aussi une attitude à développer selon tous les participants. Cette
dernière les amène parfois à revoir leurs méthodes de travail, ainsi que leur conception du
milieu universitaire. En ce sens, deux participants constatent que l’écriture, notamment
celle des travaux et des mémoires, diffère chez les étudiants autochtones. Par exemple,
deux participants font preuve d’ouverture envers la façon qu’ont leurs étudiants
autochtones de présenter leurs travaux qui sont « plus biographiques que théoriques, plus
axés sur l’expérience personnelle, sur le récit » (participant 2). Le participant 2 a fait ce
constat alors qu’il encadrait un étudiant autochtone aux cycles supérieurs :

       Quand il fait ses résultats de recherche, il ne présente pas ça comme nous autres
       : il présente ça sous la forme d’un récit. De l’avant, du passé, de l’est, de l’ouest,
       de la roue médicinale. Puis chaque partie du récit, il base ça sur le récit d’une
       personne qu’il a rencontrée pendant son stage d’essai. Donc, on va faire un récit,
       ça va être le bison, la perdrix, la loutre et le renard dans les récits qu’il va faire.
       Puis quand tu lis les mémoires de maitrise d’étudiants amérindiens au travers du
       Canada, tu vas te rendre compte des grands récits et que la structure de pensées
       n’est pas la même.

         Faire preuve de respect, selon deux participants, implique d’être en mesure
de « comprendre et de décrypter » (participant 5) les silences qui se produisent en
contexte de classe avec des étudiants autochtones puisque « le silence est important
pour les étudiants autochtones » (participant 7). Le participant 5 explique que, pour ces
derniers, le concept de silence « n’est pas nécessairement un synonyme de passivité ou
de désintérêt ». En ce sens, pour le participant 7, le silence est pour ces étudiants un
temps pour « réfléchir » et « regarder » puisqu’« habituellement, dans nos cours, on va
beaucoup trop vite pour eux ». Il ajoute qu’il faut laisser aux étudiants autochtones « le
temps d’intégrer la matière » et souligne qu’ils ont besoin de voir comment ils peuvent la
transmettre et l’adapter au sein de leur communauté.
         Tous les participants affirment qu’il est essentiel de respecter les savoirs
autochtones. Cette attitude signifie pour eux qu’ils doivent reconnaitre les différences
et les richesses liées aux cultures autochtones, mais aussi reconnaitre les savoirs et les
compétences de ces étudiants.

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        Le participant 5 considère que « c’est important d’avoir quand même une petite
connaissance de qui tu as en face de toi. Sinon, on reste dans une dimension encore
une fois d’étrangeté, puis de dominant/dominé, puis on ne crée rien ». Le participant 7
souligne que « s’il y a des étudiants autochtones qui voient qu’on a une préoccupation
par rapport à leur culture, bien c’est un respect. Et moi, je me dis qu’un étudiant qui sent
qu’il est respecté par le professeur, il risque plus d’être partie prenante bien sûr ». Ce
respect favorise ainsi, selon les participants, l’établissement d’un lien de confiance avec
les étudiants autochtones ainsi que leur participation en classe.

        Adapter le contenu du cours aux réalités et au vécu des étudiants autochtones.
Les résultats révèlent que les participants ne choisissent pas leurs méthodes pédagogiques
en fonction du contexte de classe autochtone, et ce, peu importe la proportion d’étudiants
autochtones dans le groupe. Les discours analysés permettent toutefois de constater que
les participants considèrent qu’il est important d’adapter le contenu du cours aux réalités
et au vécu des étudiants autochtones. En effet, tous les participants rencontrés considèrent
que ces étudiants cheminent dans un programme allochtone qui n’est pas toujours adapté
à leur culture et à leur réalité. À cet effet, le participant 7 explique que, selon lui, les
interventions sociales enseignées à l’université sont centrées sur la culture « blanche »
et que « ce n’est pas toujours adapté à leur culture. Loin de là. C’est loin d’être adapté
et ce n’est pas toujours évident de l’adapter ». Ainsi, cela représente un défi pour le
corps enseignant rencontré puisque, dans de telles situations, les étudiants « n’ont rien à
s’accrocher » (participant 3). De plus, comme le souligne le participant 2 : « tu peux leur
enseigner des cours super théoriques, mais s’ils n’y voient pas d’utilités, ils décrochent
bien vite. Donc, ils se retrouvent démunis sur des plans théoriques quelquefois ».
        Une pratique utilisée par tous les participants consiste donc à bonifier les contenus
avec des exemples qui accordent une importance aux territoires sur lesquels évoluent
les communautés autochtones. Ces exemples peuvent notamment provenir du vécu et
des connaissances des étudiants autochtones eux-mêmes : « J’adapte en me servant
de l’expérience de mes étudiants pour enrichir le cours » (participant 5). Selon les
participants, l’utilisation de l’expérience des étudiants autochtones permet à ces derniers
de mieux comprendre le monde dans lequel ils évoluent et de faire des liens avec la
théorie vue en classe : « J’essaie de rattacher la théorie à des faits, des situations, des
problèmes qu’ils ont rencontrés parce que, des fois, ils trouvent ça dur et ils ont de la

                         Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 44:4 (2021)
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Pratiques enseignantes en contexte autochtone                                                  1068

difficulté à comprendre la théorie » (participant 9). Lier le contenu du cours aux réalités et
aux cultures autochtones n’est cependant pas toujours simple lorsqu’il y a peu d’étudiants
autochtones dans le groupe. En ce sens, l’un des participants mentionne que, pour lui,
cette adaptation se fait davantage lors de rencontres qui se déroulent en dehors des
heures de cours afin de « s’assurer de ce que les étudiants ont compris, de quelle façon
ça pourrait être traduit et comment ça pourrait être vulgarisé pour travailler au niveau de
leur communauté » (participant 7). Or, il reconnait que cela implique une certaine volonté
personnelle en raison de l’investissement de temps qui y est rattaché : « J’en ai passé
des heures, moi, avec des étudiants autochtones en dehors de mes cours ! Parce que j’en
ai fait une volonté personnelle. […] Souvent, on donne quasiment un deuxième cours »
(participant 7).

                                       Discussion
Dans l’état actuel des connaissances, peu de données sont disponibles concernant les
pratiques du corps enseignant universitaire visant à favoriser la réussite éducative
des étudiants autochtones. Cette recherche s’est ainsi penchée sur les modèles et les
méthodes pédagogiques utilisés à l’université en contexte de classe incluant ou constituée
uniquement d’étudiants autochtones, ainsi que sur les pratiques enseignantes visant
à favoriser les apprentissages à caractère holistique chez ces étudiants. Cette section
présente une discussion concernant les principaux résultats dégagés de cette étude.
         Cette recherche a permis de constater que les participants ne considèrent pas
qu’il existe un modèle ou des méthodes pédagogiques qui sont plus propices aux
apprentissages des étudiants autochtones. Par conséquent, les méthodes pédagogiques
utilisées par les participants correspondent à la fois au modèle magistrocentré et au
modèle pédocentré. Par ailleurs, l’ensemble des méthodes pédagogiques identifiées
s’inscrivent davantage dans une perspective eurocentrique. Ce résultat pourrait
s’expliquer par le fait que les participants affirment ne pas choisir leurs méthodes
pédagogiques en fonction de l’origine culturelle de leurs étudiants, mais plutôt en
fonction de leur désir de répondre aux besoins des différents étudiants du groupe. En
s’appuyant sur les résultats d’une revue de la littérature australienne (Lloyd et al., 2015,
p. 13), il est possible d’affirmer que cette pratique enseignante est pertinente dans la

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