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Document generated on 07/15/2022 2:46 p.m. Frontières Articles Les préalables à un débat sensé sur l’euthanasie, et la pertinence du document de la Commission de Réforme du droit sur l’euthanasie, considérant le projet de loi C-384 Michel T. Giroux Volume 24, Number 1-2, Fall 2011, Spring 2012 Article abstract L’aide médicale à mourir The Law Reform Commission of Canada (LRC) published, in 1982, a working paper, Euthanasia, Aiding Suicide and Cessation of Treatment. In 2009, MP URI: https://id.erudit.org/iderudit/1013081ar Francine Lalonde proposed to the House of Commons bill C-384, An Act to DOI: https://doi.org/10.7202/1013081ar amend the Criminal Code (right to die with dignity). This bill was undone. A period of about thirty years separates these two documents. What are the concerns which share these documents ? Does the bill understand assisted See table of contents suicide in a way which differs from that of the LRC document ? The examination of the LRC document, bill C-384 and the works of the House of Commons highlights persistent difficulties in our public discussions. Some Publisher(s) suggestions need to be done about the desirable debate on a subject as contentious as euthanasia and aiding suicide. Université du Québec à Montréal ISSN 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this article Giroux, M. T. (2011). Les préalables à un débat sensé sur l’euthanasie, et la pertinence du document de la Commission de Réforme du droit sur l’euthanasie, considérant le projet de loi C-384. Frontières, 24(1-2), 18–30. https://doi.org/10.7202/1013081ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2012 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
A r t i c l e s Résumé La Commission de réforme du droit du Canada (CRD) a publié, en 1982, un docu- ment de travail intitulé Euthanasie, aide Les préalables au suicide et interruption de traitement. En 2009, la députée Francine Lalonde a à un débat sensé sur l’euthanasie, et la pertinence déposé à la Chambre des communes le projet de loi C-384 intitulé Loi modifiant le Code criminel (droit de mourir digne- ment). Ce projet de loi a été défait. Une période de près de trente ans sépare ces du document de la Commission deux documents. Quelles sont les préoc- cupations que partagent ces documents ? Le projet de loi envisage-t-il l’aide au sui- de Réforme du droit cide d’une manière qui diffère de celle du document de la CRD ? L’examen du docu- sur l’euthanasie, considérant ment de la CRD, du projet de loi C-384 et des travaux de la Chambre des communes fait ressortir des difficultés persistantes le projet de loi C-384 . dans nos discussions publiques. Cer- taines suggestions s’imposent à propos du débat souhaitable dans une matière aussi contentieuse que l’euthanasie et l’aide au suicide. Mots clés : discussion publique – euthanasie – aide au suicide – interruption de traitement – droit de mourir dans la dignité – Commission de réforme du droit du Canada – projet de loi C-384. Abstract The Law Reform Commission of Canada (LRC) published, in 1982, a working paper, Euthanasia, Aiding Suicide and Cessa- Michel T. Giroux, LL. B., M. A., Ph. D., forum de discussion approprié – judiciaire tion of Treatment. In 2009, MP Fran- directeur, Institut de consultation et de recherche cine Lalonde proposed to the House of ou parlementaire – pour les questions dont en éthique et en droit (ICRED). Commons bill C-384, An Act to amend nous discutons ici. the Criminal Code (right to die with La Commission de réforme du droit du L’examen rapproché du document de la dignity). This bill was undone. A period Canada (CRD) a publié, en 1982, un docu- CRD, du projet de loi C-384 et des travaux of about thirty years separates these ment de travail intitulé Euthanasie, aide de la Chambre des communes fait ressor- two documents. What are the concerns au suicide et interruption de traitement. Le tir des difficultés persistantes dans nos which share these documents ? Does 13 mai 2009, madame Francine Lalonde, discussions publiques. C’est pourquoi, the bill understand assisted suicide in a députée de La Pointe-de-l’Île, a déposé à avant de présenter le document de la CRD way which differs from that of the LRC document ? The examination of the LRC la Chambre des communes le projet de et le projet de loi C-384, certaines sugges- document, bill C-384 and the works of the loi C-384 intitulé Loi modifiant le Code tions s’imposent à propos du débat souhai- House of Commons highlights persistent criminel (droit de mourir dignement). Ce table dans une matière aussi contentieuse difficulties in our public discussions. Some projet de loi a été défait en seconde lecture que l’euthanasie et l’aide au suicide. suggestions need to be done about the le 21 avril 2010. Il n’a donc pas fait l’objet desirable debate on a subject as conten- des travaux d’un comité parlementaire. Les préalables tious as euthanasia and aiding suicide. Une période de près de trente ans sépare à un débat sensé Keywords : public discussion – ces deux documents, dont chacun a été Dans ce texte, les préalables repré- euthanasia – aiding suicide – cessation rédigé dans un contexte social et juridique sentent les conditions de nature concep- of treatment – right to die with distinct. L’objet de ce texte est de présen- tuelle sans lesquelles nous ne pouvons pas dignity – Law Reform Commission ter le document de la CRD et le projet soutenir un débat judicieux, marqué par la of Canada – bill C-384. de loi C-384 pour identifier les préoccu- raison. Les discussions portant sur l’eutha- pations qu’ils partagent, et pour évaluer nasie et l’aide au suicide achoppent sur si le projet de loi envisage l’aide au sui- trois obstacles récurrents : l’imprécision cide d’une manière qui diffère de celle du du vocabulaire employé, l’évitement de la document de la CRD. Nous compléterons circonstance limite et l’absence de distinc- ce propos par quelques remarques sur le tion entre la règle de droit et les situations FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2 18 automne 2011 / printemps 2012
Les discussions portant sur l’euthanasie discussion sur l’euthanasie doit débuter par l’adoption d’une définition. et l’aide au suicide achoppent sur trois obstacles À titre d’illustration, nous pourrions définir ainsi l’euthanasie : une action récurrents: l’imprécision du vocabulaire employé, visant à provoquer le décès d’une personne atteinte d’une maladie incurable qui lui l’évitement de la circonstance limite impose des souffrances physiques ou psy- chologiques intolérables, mise en œuvre à et l’absence de distinction entre la règle de droit la demande de cette personne et pratiquée par un médecin ou sous sa supervision. Le et les situations particulières. Code criminel interdit l’euthanasie ainsi définie par ses dispositions sur l’homicide, particulières. L’imprécision du vocabulaire telle, l’euthanasie devrait évoquer des particulièrement celles qui se rapportent employé vise ce que les interlocuteurs ont moyens de soulager les souffrances au meurtre et au fait de conseiller le suicide en tête lorsqu’ils utilisent le mot « euthana- d’une personne atteinte d’une maladie ou d’y aider. sie ». L’évitement de la circonstance limite dont l’issue fatale est imminente. se produit lorsque la dispensation de soins Ainsi entendue, l’euthanasie est L’évitement palliatifs constitue la réponse automatique conforme à la morale, même si la vie de la circonstance et universelle à toutes les formes de souf- est abrégée : c’est l’acte à double effet limite france en fin de vie. Finalement, l’absence (Blais, 2000, p. 163). Malgré les progrès remarquables des de distinction entre la règle de droit et les Dans le contexte de ce passage, l’eutha- soins palliatifs depuis une vingtaine situations particulières dissimule la possi- nasie est l’approche clinique utilisant des d’années, il demeure des situations bilité bien réelle d’un conflit irréductible moyens propres à soulager la souffrance. pour lesquelles les soins palliatifs sont entre la règle de droit et le choix qu’exprime Elle constitue une intervention adéquate moins efficaces qu’on le souhaiterait. une conscience individuelle. sur le plan de l’éthique, même si elle a pour Ces situations sont celles de personnes effet d’abréger la vie. atteintes de souffrances physiques ou Des définitions Le Rapport du Comité sénatorial psychologiques intolérables pour elles, de l’euthanasie spécial sur l’euthanasie et l’aide au sui- alors qu’elles anticipent « la perte de la Au Canada, le mot « euthanasie » ne cide contient un chapitre portant sur la vie corporelle, qui par nature fait horreur représente aucun concept juridique. Le terminologie pertinente. L’euthanasie à la nature humaine » (Thomas d’Aquin, Code criminel ne contient aucune infrac- y est définie ainsi : « Acte qui consiste à iiia, q. 46, a. 6, Ad 1, 1986 : 340). Les tion s’appelant euthanasie ; les catégories provoquer intentionnellement la mort professionnels ou les proches de ces per- juridiques pertinentes sont l’homicide, le d’autrui pour mettre fin à ses souffrances » sonnes peuvent leur offrir une solution meurtre et l’aide au suicide. Le droit ne (Sénat du Canada, 1995 : 15). Cette comportant des changements à la nous offre donc aucune définition notoire définition diffère grandement de la pré- médication, diverses interventions cli- de l’euthanasie à laquelle nous pourrions cédente, puisque la mort y est un passage niques possiblement plus satisfaisantes, nous reporter dans nos débats. L’absence obligé dans le but de mettre un terme une aide spirituelle et une présence plus d’une définition notoire contribue sans aux souffrances, plutôt qu’un effet non assidue. Cette première solution manifeste doute à la confusion observée à propos recherché de la thérapeutique employée. dévouement et imagination. Par contre, de concepts comme la cessation de traite- L’intention de procurer l’euthanasie ainsi que faire si la personne concernée persiste ment, l’abandon thérapeutique, la sédation définie se distingue de l’intention motivant à demander qu’on l’aide dans son projet terminale et l’euthanasie1. un soulagement des souffrances au risque de mourir ? La consultation de divers ouvrages d’abréger la vie. Nous nous trouvons face à une cir- révèle à quel point le mot « euthanasie » Considérons enfin une troisième défi- constance limite lorsque la personne est susceptible de revêtir des significations nition apparaissant dans Le trésor de concernée affirme que les soins palliatifs divergentes. Débutons par l’étymologie du la langue française informatisé : « mort ne la soulagent pas adéquatement de sa mot. Un dictionnaire historique nous la douce, de laquelle la souffrance est absente, souffrance physique ou psychologique, rappelle ainsi. Euthanasie « est un emprunt soit naturellement, soit par l’effet d’une et qu’elle demande qu’on l’aide à termi- (1771) au grec tardif euthanasia “mort thérapeutique dans un sommeil provoqué » ner ses jours. L’inévitabilité de ce type de douce et facile”, de eu- “bien”, et d’un (Dendien, 2012). La mention du sommeil situation nous place devant la nécessité de dérivé de thanatos “mort” » (dictionnaire provoqué introduit un détail qui n’apparaît choisir entre accepter ou refuser d’aider la Le Robert, 1998 : 1343). Pris dans un sens pas dans les autres définitions citées et qui personne à mourir. Si notre choix est de proche de son étymologie, « euthanasie » semble s’apparenter à la notion de sédation refuser de l’aider à mourir, nous savons que signifie l’art de rendre la mort douce. terminale. nous ne répondons pas à ses attentes ou Lorsqu’il aborde le sujet de l’euthana- Il est impossible à des interlocuteurs qui à l’expression de son autodétermination. sie, le philosophe Martin Blais rappelle la discutent de l’euthanasie d’avancer dans L’évitement de la circonstance limite se nécessité de la définir et il propose une leur discussion si l’un comprend l’eutha- produit lorsque la dispensation de soins définition proche de l’étymologie du mot : nasie selon la première définition, un autre palliatifs est perçue comme adéquate dans Pour voir un peu plus clair dans le selon la seconde, et un autre encore selon toutes les situations, incluant celles dans problème de l’euthanasie, il importe la troisième. Il n’existe pas une bonne et lesquelles la personne concernée continue d’abord de définir l’euthanasie de mauvaises définitions de l’euthana- à demander qu’on l’aide à mourir 2. Nous comme telle avant de lui accoler sie. Toutefois, l’objectif d’avancer dans la devons reconnaître explicitement cette les qualificatifs d’usage : directe, discussion rappelle la nécessité de préciser réalité que les soins palliatifs ne consti- indirecte, active, passive. Comme ce dont on parle. Conséquemment, toute tuent pas nécessairement une réponse effi- cace à toutes les souffrances en fin de vie. automne 2011 / printemps 2012 19 FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2
quelqu’un, l’empathie6, ne peut se réaliser Maintenir ou non l’interdiction de l’aide au suicide qu’approximativement, puisque je ne suis Voici quelques raisons fréquemment évoquées pour maintenir l’interdiction pas l’autre. Mais cet effort pour pratiquer de l’aide au suicide : l’empathie permet d’être sensible à la souf- • les demandes d’assistance à suicide ne manifestent pas toutes un désir réel ou france d’autrui et engage à ne pas rejeter définitif de mourir afin d’abréger les souffrances ; sommairement la possibilité que l’élimina- • la promotion de la vie implique le respect de son caractère sacré ; tion de la souffrance commande des gestes • l’amoindrissement du caractère sacré de la vie occasionne un préjudice moral sanctionnés par la loi. au patient, aux médecins et à l’ensemble de la société ; • le phénomène appréhendé de la pente dangereuse pourrait prendre deux Le document de travail formes : une érosion progressive des mécanismes juridiques de protection de la CRD de la vie et l’adoption de conduites de plus en plus permissives à l’égard des L’avant-propos du document de travail contraintes légales ; de la CRD identifie les deux objectifs que • la crainte des patients actuels et potentiels que leur mort soit provoquée sans poursuit le document. Il s’agit d’abord de qu’ils l’aient demandé ; considérer certains problèmes moraux • la difficulté d’opérer suivant des concepts clairs, notamment sur ce qu’est la et juridiques que posent la cessation de phase terminale ; traitement et l’euthanasie, de percevoir • chez certains médecins, la notion que le premier devoir de leur profession se comment ces problèmes affectent l’état du trouve dans le mouvement de respecter la vie ; droit en vigueur, et d’examiner leurs effets • l’appréhension que la valeur de la vie d’une personne puisse être établie à partir dans une perspective de réforme législa- de son utilité sociale ou économique. tive. Deuxièmement, le document veut Voici certains motifs fréquemment évoqués pour modifier la loi de manière à explorer certaines questions fondamen- permettre l’aide au suicide : tales de politique sociale pour encourager • la souffrance physique ou psychologique est parfois pire que la perspective de l’émergence d’un débat public. La CRD la mort qui apparaît comme une délivrance ; perçoit ce débat comme devant précéder • la personne concernée est seule détentrice des droits associés à ses dimensions une éventuelle réforme juridique. Dans corporelle et psychique ; cette optique, la loi intervient comme la • suivant le principe d’autodétermination, la personne doit pouvoir exercer un manifestation juridique d’une orientation contrôle sur sa vie et son mourir ; sociale générale. • une vie qui vaut d’être vécue doit présenter une qualité acceptable aux yeux de l’intéressé. La définition des problèmes Dans sa première partie, le document de travail de la CRD rappelle que la vie humaine constitue une valeur fonda- La règle de droit l’élaboration des lois ne reposent pas sur mentale des systèmes de droit modernes. et les situations particulières les mêmes préceptes. Les lois interdisent l’homicide et elles Dans l’état actuel de notre droit, un Shakespeare expose l’abîme qui sépare punissent les actes qui constituent un acte qui provoque la mort d’autrui ou qui la sagesse et le détachement du bien- danger ou une menace pour la vie d’au- fournit une aide afin qu’une personne portant de la passion subjuguant celui qui trui. Les dispositions du Code criminel mette fin à sa vie constitue une infraction souffre : canadien sur l’homicide considèrent la vie criminelle. D’aucuns estiment que la légis- Vois-tu, frère, les gens peuvent donner humaine dans une perspective quantitative lation actuelle est opportune et devrait des conseils et parler de calme à une et non qualitative. Il y a homicide si la per- être maintenue. D’autres revendiquent douleur qu’ils ne ressentent pas ; mais, sonne touchée décède. Il n’y a pas d’homi- des modifications considérables à la loi. dès qu’ils l’éprouvent eux-mêmes, cide si la personne continue de vivre en Nonobstant mon point de vue particulier vite elle se change en passion, cette étant atteinte d’un préjudice grave, comme concernant la sagesse de la loi, que ferais- sagesse qui prétendait donner à la l’incapacité de mener une vie relationnelle. je si une personne que j’aime, en proie rage une médecine de préceptes, Cette approche du droit reflète l’idée que à une souffrance terrible, me demandait enchaîner la folie furieuse avec un la vie mérite une protection particulière, avec détermination de l’aider à mourir ? fil de soie, charmer l’angoisse avec qu’elle est porteuse d’un caractère sacré. Comment vivrais-je ensuite, considérant le du vent et l’agonie avec des mots ! poids moral de ma décision, quelle qu’elle Non ! Non ! C’est le métier de tout Le vitalisme et la qualité soit ? Que ferais-je si j’étais le médecin homme de parler de patience à ceux de vie d’une personne très souffrante qui me qui se tordent sous le poids de la Pour un certain courant de pensée, le demanderait d’abréger ses jours ? Le point souffrance ; mais nul n’a la vertu ni vitalisme, la vie est une valeur suprême de vue du législateur et celui de la per- le pouvoir d’être si moral, quand il et tous les moyens doivent être employés sonne placée en situation présentent de endure lui-même la pareille. Donc pour la protéger, pour la prolonger et pour profondes disparités 3. Justifier sur le plan ne me donne plus de conseils : ma combattre la mort. Le vitalisme a exercé éthique la mise en œuvre d’une action par- douleur crie plus fort que les maximes une influence sur la conduite médicale en ticulière est différent de justifier, en vue (Shakespeare, 1959, p. 1319). incitant le médecin à repousser agressive- du bien commun, une loi ou une bonne La loi s’exprime d’une façon générale ment la maladie et la mort. Par ailleurs, les pratique professionnelle4. Une loi qui inter- afin de couvrir l’ensemble des situations. avancées scientifiques et technologiques dit l’aide au suicide peut être raisonnable, Elle ne peut toutefois pas prévoir toutes permettent à la médecine de guérir des même si elle rend illégaux des actes qui, les circonstances possibles. Face à une patients qui seraient autrefois décédés. Il en eux-mêmes, sont moralement justifiés5. situation aussi extrême que la fin de vie, s’agit là d’un incontestable progrès. D’un L’opération de la morale individuelle et la faculté de ressentir la souffrance de autre côté, ce progrès a compliqué les ques- FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2 20 automne 2011 / printemps 2012
tions humaines et juridiques touchant la tiques rend difficile l’adoption de normes est susceptible de pousser un médecin à mort. Des personnes que l’on a maintenues générales. maintenir un traitement devenu inutile ou en vie se retrouvent parfois porteuses d’une En second lieu, la relation entre la règle de le cesser tardivement. Au contraire, il qualité de vie peu enviable, par exemple de droit et la pratique médicale présente faudrait que la loi établisse l’idée du droit celles dont l’existence sera végétative, sans des ambiguïtés. Une règle de droit du droit de mourir dans la dignité, sans souffrir des espérance de retrouver une vie cognitive criminel a pour objet d’interdire une con- interventions qui sont de l’acharnement et relationnelle. Le constat de ces situa- duite jugée répréhensible, et elle joue un thérapeutique. Deuxièmement, l’adminis- tions a engendré une réflexion concernant rôle répressif. Or, le document de la CRD tration de médicaments afin d’éliminer ou l’usage de la technologie médicale. Le cri- souligne qu’aucun tribunal canadien n’a de réduire la souffrance peut avoir comme tère d’utilisation basé sur la technique condamné un médecin pour avoir abrégé la effet secondaire d’abréger la vie. Certains favorise l’intervention si elle est techni- vie d’un patient en phase terminale à l’aide médecins craignent d’être l’objet de diffi- quement possible. Le critère d’utilisation de médicaments, pour avoir interrompu un cultés pénales, civiles ou disciplinaires basé sur des considérations humaines pour traitement devenu inutile ou pour avoir pour avoir dispensé des soins palliatifs le patient favorise l’intervention si elle est refusé de prolonger l’agonie d’un patient. qui auraient abrégé la vie du patient. Il faut humainement souhaitable. Cette distinc- Par contre, cette absence de condamna- modifier la loi de manière à éliminer cette tion entre ce qui peut et ce qui doit être fait tion ne signifie pas que de tels événements menace virtuelle pesant sur le médecin conduit au concept d’acharnement théra- ne se sont jamais produits. L’absence de qui prodigue des soins adéquats en phase peutique par lequel on désigne une attitude condamnation judiciaire ne permet pas terminale. qui détourne la technologie de sa finalité de considérer l’état actuel du droit comme Le nouveau-né souffrant de malforma- réelle, qui est d’être placée au service de satisfaisant. Plusieurs médecins souhaitent tions graves se trouve lui aussi au centre de l’humain. Une technologie qui maintient être guidés par un énoncé précis de leurs questions juridiques considérables. Depuis en vie des personnes à tout prix ne réus- obligations légales, plutôt que de dépendre le milieu des années 1950, la médecine sit pas à prolonger la vie, mais à étirer le de la discrétion en matière de poursuite a développé des instruments propres à processus de la mort. En conséquence, il qu’exerce la Couronne. L’idéal serait que sauver des enfants qui seraient décédés faut reconsidérer le caractère absolutiste les médecins et les juristes puissent prédire dans le contexte antérieur. Par contre, ces de l’approche vitaliste. comment la loi sera interprétée dans un progrès ont engendré de nouveaux pro- Un nouveau courant de pensée est cas de cessation de traitement. blèmes puisque certains de ces enfants, apparu dans les pays occidentaux. La vie La troisième difficulté concerne la porteurs d’anomalies graves, seront demeure une valeur fondamentale, mais possibilité que l’imprécision de la loi confiés à des institutions ou rejoindront cette reconnaissance est tempérée par une actuelle engendre une grande variété de leur famille en lui imposant un énorme préoccupation pour la qualité de vie. Ce pratiques dans les diverses régions du pays. fardeau financier, affectif et psychologique. changement est basé sur trois facteurs. Plutôt qu’être prévisibles et uniformes, les Une seconde considération est que d’autres Premièrement, une personne qui veut décisions des médecins seraient subjectives personnes que le nouveau-né décident mourir dans la dignité peut rejeter l’utili- et fortement influencées par la personna- pour lui de sa vie ou de sa mort. Il est sation abusive de la technologie médicale. lité de leur auteur. évidemment impossible de savoir ce que Deuxièmement, le patient exige une parti- Selon une certaine perception de l’état lui-même aurait souhaité. Une troisième cipation directe dans le choix des soins qui du droit, les médecins ont peu à craindre considération vient affecter la percep- lui seront prodigués. Le respect de cette par rapport au droit criminel. Par contre, tion de celui qui décide pour l’enfant : le autonomie du patient peut conduire à des il s’agirait de quelques événements pour nouveau-né est un être humain dont la vie décisions qui privilégient la qualité de vie, que des médecins deviennent l’objet du commence à peine, et pour qui la mort est plutôt que sa durée. Troisièmement, le cas type en droit criminel. Les questions déjà une éventualité. développement des soins palliatifs permet relatives à la cessation ou la non-initiation Pour le médecin, la situation du de cesser les interventions thérapeutiques d’un traitement sont trop importantes pour nouveau-né présente des analogies avec et de dispenser des soins destinés à assu- être abandonnées à une telle incertitude. celle du patient en phase terminale. Dans rer un certain confort en phase terminale. les deux cas, si le médecin entreprend L’avènement des soins palliatifs permet de Deux cas de figure un traitement, la loi lui impose-t-elle sortir du choix entre un traitement inutile Le document de la CRD campe sa de poursuivre ce traitement, même s’il et l’absence totale de soins. réflexion dans deux cas de figure : le devient inutile ? Dans le cas du nouveau- malade en phase terminale et le nouveau- né, le médecin doit-il agir avec l’accord Les problèmes juridiques né souffrant de malformations graves. Le des parents ? Les parents sont-ils les seules touchant l’interruption malade en phase terminale est celui pour personnes à pouvoir prendre la décision ? de traitement qui la dispensation de soins thérapeutiques Trois difficultés se rattachent à l’inter- ne peut plus assurer une guérison ou un Les réponses du droit criminel ruption de traitement. Tout d’abord, notre certain contrôle sur la maladie. L’intérêt en 1982 société se trouve dans une période de tran- du patient consiste alors dans des soins Face à ces questions, le droit en vigueur sition où les attitudes concernant la vie, la destinés à soulager ses souffrances phy- au moment de la publication du document mort et l’interruption de traitement sont siques et morales, pour lui procurer une fin de la CRD offre certaines réponses. Nous en mutation, alors que les mentalités n’ont de vie dans la dignité et la lucidité. Cette allons parcourir le contenu pertinent du pas encore cessé d’évoluer. La protection approche de la phase terminale produit Code criminel canadien. Suivant l’ar- de la vie humaine demeure importante, deux problèmes. Premièrement, la théo- ticle 197, certains individus ont l’obligation mais beaucoup de personnes souhaitent rie et la tradition juridiques veulent que de fournir les choses nécessaires à la vie qu’on tienne davantage compte de l’auto- l’interruption d’une mesure destinée à aux personnes qui dépendent d’eux. La nomie personnelle et de la qualité de vie. sauver la vie d’une personne puisse fonder jurisprudence a interprété cette disposi- Toutefois, la CRD considère que l’impossi- une responsabilité civile et criminelle. La tion comme s’appliquant à un membre du bilité d’identifier au moins deux cas iden- crainte de poursuites civiles et criminelles personnel médical qui néglige ou refuse automne 2011 / printemps 2012 21 FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2
de fournir des soins médicaux à une per- par la vengeance, le lucre ou la compassion notre système de justice pénale effectue un sonne, si cette personne ne se trouve pas ne fait pas de différence. Ce qui compte, processus de filtrage des poursuites suivant en mesure de prendre soin d’elle-même. c’est que son auteur avait l’intention de la discrétion dont dispose le bureau du Selon cette interprétation, un médecin qui provoquer la mort. procureur général. La CRD observe qu’en négligerait de dispenser un traitement à un L’article 14 déclare que le consentement dehors du contexte médical, les poursuites patient inconscient pourrait être passible de la personne à ce qu’on lui donne la mort criminelles pour meurtre par compassion d’une poursuite criminelle. n’a pas d’influence sur la responsabilité sont très rares dans l’histoire du Canada. L’article 198 contraint celui qui entre- pénale de l’auteur. Conséquemment, celui La rareté de la jurisprudence fait que prend un traitement médical ou chirur- qui donne la mort à une personne qui le nous ne savons pas précisément comment gical pouvant mettre la vie en danger, à lui demande afin d’abréger ses souffrances appliquer les dispositions du Code crimi- employer une connaissance, une habileté est coupable de meurtre. nel au contexte médical et au meurtre par et des soins raisonnables. L’utilisation du Enfin, l’article 224 établit une infrac- compassion. mot « raisonnable » fait référence à ce qui tion pour celui qui conseille à une per- Le document contient un bref survol peut être considéré comme médicalement sonne de se suicider ou l’aide à le faire. de l’état du droit dans les pays suivants : raisonnable dans chaque cas. Un tribunal Cette infraction est maintenue, même si Grande-Bretagne, États-Unis, Allemagne, pourrait estimer raisonnable qu’un méde- la tentative de suicide n’est plus un acte Suisse, Norvège et Uruguay. Au Canada, il cin ne tente pas de réanimer une personne criminel. existe une incertitude face à la loi, puisque en coma dépassé. Par contre, le médecin les dispositions pertinentes du Code crimi- serait-il exonéré si, pour des motifs reliés L’application des textes nel sont d’application générale, qu’elles à la qualité de vie du nouveau-né, il n’avait Ces dispositions du Code criminel n’ont pas été conçues précisément pour pas procédé à une intervention chirurgi- ont donné lieu à une jurisprudence con- le contexte médical. De plus, la rareté de cale bénigne qui l’aurait maintenu en vie ? sidérable. Cependant, en 1982, la juris- la jurisprudence nous prive de connaître L’article 199 contraint celui qui entre- prudence appliquant ces dispositions au l’interprétation que leur donneraient les prend un acte à le continuer si l’omission contexte médical est rarissime. Il existe tribunaux. Au moment de la rédaction du de le faire comporte un danger pour la document de la CRD, tous les systèmes vie. En matière de traitement médical, juridiques avaient refusé d’admettre l’eu- cet article a une importance, puisque son Au Canada, thanasie active et volontaire. Par contre, dispositif pourrait s’appliquer à l’interrup- dans tous les pays, nous relevons une tion de traitement. En effet, la conduite du il existe une incertitude contradiction entre la sévérité de la loi médecin qui pratique une assistance respi- et la pratique judiciaire : les auteurs de ratoire est-elle visée lorsqu’il interrompt face à la loi, puisque certains actes sont rarement accusés, et le traitement par l’arrêt du respirateur ? s’ils sont reconnus coupables, leurs peines L’article 199 semble énoncer que le méde- les dispositions pertinentes sont légères. cin qui a établi un traitement ne peut pas le cesser si cette cessation représente un du Code criminel sont La nécessité et les objectifs risque pour la vie du patient. Cette inter- de la réforme prétation de l’article 199 contraindrait les d’application générale, Certains peuvent estimer qu’aucune médecins à pratiquer l’acharnement thé- réforme de la loi n’est requise, puisque les rapeutique. Elle aurait vraisemblablement qu’elles n’ont pas été dispositions pertinentes du Code criminel pour effet de faire hésiter les médecins à ont déjà fait l’objet de certaines interpréta- entreprendre un traitement qu’ils ne pour- conçues précisément tions, et qu’elles sont rarement appliquées raient cesser. Une règle de cette nature dans le contexte médical. Par contre, la serait dommageable pour la pratique pour le contexte médical. CRD recommande une réforme qui réamé- médicale. nagerait et compléterait des dispositions Cependant, l’interprétation de l’ar- De plus, la rareté en vigueur. Premièrement, le caractère ticle 199 doit tenir compte de l’article 45 général des dispositions en vigueur a et des dispositions portant sur la négli- de la jurisprudence pour avantage de permettre leur applica- gence criminelle. L’article 45 protège de la tion durant une longue période de temps. responsabilité criminelle celui qui a prati- nous prive de connaître Cependant, ces dispositions suscitent des qué une intervention chirurgicale pour incertitudes quant aux situations nou- le bien d’une personne, alors qu’il était l’interprétation que leur velles. Deuxièmement, en plus de son rôle raisonnable de la pratiquer compte tenu répressif, la loi exerce un rôle préventif. de l’état de santé du patient. Le standard donneraient les tribunaux. Or, la loi n’offre pas d’indications utiles de conduite que retient l’article 45 est le concernant les nouvelles pratiques médi- caractère raisonnable de l’acte dans les cir- cales et hospitalières, notamment celles constances. Les dispositions concernant donc un décalage entre la rigueur de ces qui sont mises en œuvre à l’égard des la négligence criminelle ne pénalisent pas dispositions et leur application pratique mourants et des nouveau-nés souffrant toute interruption de traitement qui met la dans le contexte médical. Ce décalage de malformations graves. vie en danger, mais celle qui manifeste une s’explique d’abord par le fait que le stan- Les discussions publiques sur une insouciance déréglée ou téméraire. dard de négligence requis pour l’existence réforme législative peuvent mener à un Les articles 202 à 223 portent sur la d’une responsabilité pénale est élevé. Très niveau plus ou moins élevé de consensus négligence criminelle et les différentes peu de médecins canadiens adoptent ce social. Par contre, il serait étonnant qu’une sortes d’homicide. Quant au meurtre, la type de comportement. Deuxièmement, réforme législative fasse l’unanimité. loi ne tient aucun compte de la motivation établir le lien de causalité entre l’acte posé Enfin, la réforme législative ne doit pas de son auteur. Que le meurtre soit motivé et le résultat est difficile. Troisièmement, être perçue comme la finalité à atteindre, FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2 22 automne 2011 / printemps 2012
mais plutôt comme le début d’une réforme et l’autodétermination de la personne, permet implicitement au patient en phase plus large, à la fois sociale et institution- puisque chacun est maître de sa destinée. terminale de s’enlever la vie. nelle. En conséquence, chaque personne est libre La CRD estime que la légalisation de de refuser un traitement ou de demander sa l’euthanasie n’est pas acceptable, en raison Les impératifs de la réforme cessation. Cinquièmement, la vie humaine de la disproportion que représentent ses Le document de la CRD énonce ses ne comporte pas seulement un aspect risques par rapport aux profits attendus. préoccupations à l’égard d’une réforme quantitatif, mais aussi un aspect qualitatif. La position de la CRD repose sur trois du droit criminel sous la forme de trois Des considérations portant sur la qualité arguments. L’argument principal est celui des questions : de vie peuvent être légitimes dans certaines abus possibles. L’euthanasie pourrait servir (1) Le législateur doit-il, d’une façon décisions, notamment lorsque le patient à éliminer ceux qui représentent un fardeau ou d’une autre, légaliser ou du moins refuse des traitements. Il revient au patient pour les autres ou pour la société. Il se peut décriminaliser certaines formes d’exercer son autonomie en définissant aussi que le consentement à l’euthanasie ne d’euthanasie active, comme le meurtre ses priorités et ses exigences personnelles soit pas toujours un acte libre et volontaire, par compassion ? (2) Le législateur quant à sa qualité de vie. Enfin, les per- en dépit des précautions que contiendrait la doit-il décriminaliser l’aide au suicide sonnes dites « incapables » ou plus faibles loi. Deuxièmement, les procédures entourant en abrogeant l’article 224 du Code doivent bénéficier d’une protection par- la pratique de l’euthanasie introduiront une criminel ? (3) Le législateur doit-il ticulière parce que leurs droits peuvent bureaucratisation du processus de décision. intervenir dans le cadre des articles être plus facilement violés ou ignorés. Or, les délais sont un des maux que les tenants 14, 45, 198 et 199, pour préciser les Lorsque la personne concernée ne peut de l’euthanasie veulent éviter. Troisièmement, limites de la légalité du refus et de plus prendre les décisions concernant sa une modification législative doit comporter la cessation du traitement médical santé ou sa vie, le consentement substitué une proportion entre les maux que l’on veut (Commission de réforme du droit du est la solution applicable. Par contre, nul éviter et les risques nouveaux que crée la Canada, 1982, p. 36-37) ? ne peut être certain que la personne elle- modification. Cette proportion est inaccep- Les réponses apportées à ces questions même prendrait les mêmes décisions. table dans le cas de l’euthanasie. doivent être guidées par certains principes ou règles fondamentales. Sur le plan de La réforme – légalisation La réforme – décriminalisation la nature de la réforme, celle-ci doit être de l’euthanasie du meurtre par compassion consciente des limites du droit criminel, les Lorsqu’il entreprend de répondre à la L’examen de l’hypothèse de la solutions proposées doivent être suffisam- première question, le document précise ce décriminalisation du meurtre par compassion ment souples pour s’appliquer aux divers qu’il entend par euthanasie : « l’acte positif invite à examiner trois possibilités : conserver contextes, et les solutions doivent s’insérer de causer la mort de quelqu’un pour des intégralement le régime actuel, qui ne tient pas harmonieusement dans le contexte social raisons humanitaires » (Commission de compte du motif ayant poussé à l’homicide ; et juridique actuel. réforme du droit du Canada, 1982 : 50). Les créer une catégorie d’homicide qui tienne Sur le plan du contenu, la CRD tenants de la légalisation de l’euthanasie compte des cas où le motif est excusable ; identifie six principes. Le premier prin- cipe est le refus de fonder une réforme sur la reconnaissance de deux catégories Les tenants de la légalisation de l’euthanasie d’êtres : les personnes humaines et les non-personnes. La CRD affirme clairement soulignent ce qu’ils estiment être l’illogisme de la loi. que le statut d’humain est applicable à tous ceux qui sont nés de parents humains. Le patient détient le droit de refuser un traitement Deuxièmement, la CRD ne fait pas sienne la distinction connue entre mesures et celui de requérir son interruption, afin de ne pas prolonger ordinaires et mesures extraordinaires. Cette distinction est trop ambiguë pour son agonie. Le fondement de ce droit est que le patient qualifier avec précision l’intensité de l’obligation du médecin à l’égard de son est maître de sa personne. Si l’autonomie décisionnelle patient. Troisièmement, la préservation de la vie humaine est une valeur fondamentale permet une omission ou une absence d’action, dans notre société. Une réforme du droit ayant un impact sur la vie humaine doit pourquoi ne permet-elle pas de poser un acte positif ? admettre une présomption en faveur de la vie, sans toutefois requérir l’acharnement thérapeutique : « si un traitement peut être soulignent ce qu’ils estiment être l’illogisme maintenir l’infraction actuelle, mais tenir raisonnablement appliqué pour préserver de la loi. Le patient détient le droit de compte du motif dans le choix de la sentence. la vie ou la santé d’une personne, on doit refuser un traitement et celui de requérir La qualification du motif ayant poussé à présumer que la volonté de cette per- son interruption, afin de ne pas prolonger l’homicide est un problème considérable, sonne, si elle avait pu la manifester, eût son agonie. Le fondement de ce droit est puisque des meurtres crapuleux pourraient été de recevoir le traitement et non de que le patient est maître de sa personne. être commis sous le couvert de l’homicide le refuser » (Commission de réforme du Si l’autonomie décisionnelle permet une par compassion. La CRD perçoit une solution droit du Canada, 1982 : 42). De cette façon, omission ou une absence d’action, pourquoi possible dans la reconnaissance que l’acte le fardeau de la preuve incombe à celui ne permet-elle pas de poser un acte positif ? posé continue d’être un meurtre, mais que le qui, dans un cas réel, ne favorise pas le De plus, puisque depuis 1972, la tentative de motif de la compassion ait un impact majeur prolongement ou le maintien de la vie. Le suicide n’est plus un acte criminel, le droit sur la sentence. Cette position de la CRD quatrième principe reconnaît l’autonomie n’est pas définitive. automne 2011 / printemps 2012 23 FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2
La réforme – décriminalisation ser la continuation du traitement entre- la CRD conclut « qu’une décriminalisation de l’aide au suicide pris si sa cessation représente une menace complète de l’aide ou de l’incitation au La seconde question demande si le pour la vie. Cette interprétation du droit suicide serait inopportune et dangereuse législateur devrait décriminaliser l’aide criminel paraît encourager l’acharnement dans le contexte actuel » (Commission de au suicide. Comme nous l’avons déjà thérapeutique. Or, il existe une différence réforme du droit du Canada, 1982 : 78-79). mentionné, la tentative de suicide n’est plus entre l’acte qui provoque la mort et le fait Toutefois, la CRD propose de modifier un acte criminel. Dans certains cas, la per- de cesser un traitement lorsque le patient l’article 224 par l’addition d’un second sonne atteinte d’une maladie dégénérative le demande. Le document approche cette paragraphe précisant qu’une poursuite peut souhaiter vivre encore jusqu’à un question d’abord pour la personne capable en vertu de cet article doit avoir été moment où elle préférera mourir. Il se peut de décider, puis, pour la personne inca- autorisée par le procureur général qu’à ce moment, elle ne dispose plus de la pable. Rappelant le concept de la mort lui-même. Sur l’interruption de traitement capacité physique de procéder. Pourquoi dans la dignité, la CRD propose de recon- et la renonciation au traitement, la CRD interdire qu’une personne l’assiste dans naître aussi clairement que possible, pour suggère l’addition au Code criminel d’un son projet ? La CRD reconnaît qu’il toute personne capable, le droit absolu texte établissant que le médecin n’a pas semble, « à première vue, fort incongru de refuser ou d’interrompre un traitement l’obligation d’administrer un traitement de criminaliser la participation à un acte médical qui lui est destiné. lorsque le patient le refuse ou lorsque ce qui n’est plus lui-même un acte criminel » Le cas de la personne incapable est traitement est médicalement inutile et n’est (Commission de réforme du droit du plus complexe. Une personne incapable pas dans le meilleur intérêt du patient, Canada, 1982 : 60). L’interdiction d’aider est « tout être humain qui, par la suite d’un sauf si celui-ci a clairement manifesté sa une personne à mourir ne vise pas que les défaut d’âge, d’un état d’inconscience tem- volonté du contraire. La CRD propose cas de phase terminale. Cette interdiction poraire ou permanent, ou d’un handicap, aussi l’addition d’un texte protégeant de est beaucoup plus vaste. Elle protège est dans l’impossibilité de manifester la responsabilité criminelle le médecin notamment la personne dépressive que sa volonté et de prendre une décision qui dispense des soins palliatifs ou des quelqu’un pourrait encourager à mourir, éclairée et perd ainsi sa faculté de choisir » mesures destinées à éliminer ou à atténuer non pas pour des motifs humanitaires, (Commission de réforme du droit du les souffrances, alors que ces soins ou ces mais pour des avantages financiers. Canada, 1982 : 65). La CRD énonce que mesures sont susceptibles de raccourcir Décriminaliser entièrement l’aide au l’incapacité d’une personne ne doit pas l’espérance de vie du patient. suicide n’est probablement pas une poli- servir à nier ses droits fondamentaux. La tique souhaitable sur un plan général. Par personne incapable doit bénéficier d’une Le projet de loi C-384 contre, serait-ce une initiative avantageuse protection accrue de la loi. Les méca- Le 13 mai 2009, madame Francine s’agissant de personnes en phase nismes de protection comme la curatelle Lalonde, députée de La Pointe-de-l’Île, terminale ? Comme pour l’homicide par existent pour que les décisions prises au a présenté à la Chambre des communes compassion, la motivation de la personne nom de la personne représentée soient son projet de loi C-384. Le dispositif de qui intervient est, en principe, de nature raisonnables, aussi à l’abri que possible ce projet de loi autorise l’intervention d’un humanitaire. Toutefois, comment nous de l’arbitraire. Pour le médecin, l’objectif médecin pour aider une personne âgée assurer de l’intention réelle de l’auteur de poursuivi ne devrait pas être le maintien d’au moins 18 ans à « mourir dignement ». l’acte ? Il se peut que, pour des motifs peu en vie, mais le bien du patient. Une façon Le sommaire du projet de loi expose qu’il nobles, quelqu’un commette l’homicide de se représenter le bien du patient est s’agit de modifier le Code criminel afin d’une personne en phase terminale, et de se rappeler les volontés qu’il aurait pu de permettre à un médecin, suivant cer- réussisse à camoufler son acte en une aide exprimer sur le sujet. Par contre, certaines taines conditions, « d’aider une personne au suicide. Par contre, la CRD reconnaît personnes n’ont jamais pu s’exprimer sur de qui éprouve des douleurs physiques ou la possibilité qu’une personne en aide une telles questions : c’est le cas du nouveau-né mentales aiguës sans perspective de soula- autre à mourir, alors que son intention et de la personne atteinte d’une déficience gement ou qui est atteinte d’une maladie en est exclusivement humanitaire. La CRD intellectuelle majeure. Pour ces personnes, phase terminale à mourir dignement quand recommande donc un amendement à différents modes décisionnels sont pos- elle y consent de façon libre et éclairée ». l’article 224 du Code criminel précisant sibles. La décision pourrait être prise Le texte du projet de loi C-384 ne pré- qu’une poursuite pour aide au suicide ne par le médecin, par un tribunal ou par sente évidemment pas la réflexion qui se peut être entreprise sans l’autorisation du les proches, dont le curateur. Après avoir trouve derrière son dispositif. Par contre, procureur général lui-même. envisagé les avantages et les inconvénients la consultation de la transcription des de chaque mode, la CRD conclut que le débats à la Chambre des communes nous La réforme – interruption moins mauvais semble être celui qui confie permet de mieux faire ressortir les inten- de traitement et renonciation la décision au médecin. tions à l’origine du projet de loi. Nous au traitement espérons réussir à ne pas faire dire plus La troisième question demande si le Les recommandations ni autre chose au projet de loi que ce qui législateur devrait intervenir pour préciser de réforme était entendu par ses rédacteurs. les limites de la légalité du refus et de la En réponse aux trois questions qu’elle Lors d’un débat à la Chambre des com- cessation du traitement médical. La CRD a posées, la CRD formule certaines munes le 2 octobre 2009, madame Lalonde note qu’il existe une distance considérable recommandations. Sur l’euthanasie active, a identifié précisément l’objectif poursuivi : entre la pratique médicale et la conduite la CRD recommande que les prohibitions « le droit d’avoir une fin de vie conforme que pourrait autoriser une interprétation en vigueur concernant l’homicide soient aux valeurs de dignité et de liberté […] En restrictive des dispositions du Code crimi- maintenues. Il faut aussi maintenir fait, c’est pour que les personnes aient le nel. Une personne capable de décider doit l’interdiction du meurtre par compassion. choix, le droit de choisir qui existe dans pouvoir exercer le droit de refuser un trai- Cependant, le motif compassionnel d’autres pays » (Lalonde, 2009 : 1330). tement et celui d’en demander la cessation. pourrait intervenir pour une réduction pos- Madame Lalonde décrit ainsi la démarche Toutefois, le droit criminel semble impo- sible de la sentence. Sur l’aide au suicide, concrète que la personne qui souhaite FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2 24 automne 2011 / printemps 2012
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