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Les préalables à un débat sensé sur l’euthanasie, et la
pertinence du document de la Commission de Réforme du droit
sur l’euthanasie, considérant le projet de loi C-384
Michel T. Giroux

Volume 24, Number 1-2, Fall 2011, Spring 2012                                    Article abstract
L’aide médicale à mourir                                                         The Law Reform Commission of Canada (LRC) published, in 1982, a working
                                                                                 paper, Euthanasia, Aiding Suicide and Cessation of Treatment. In 2009, MP
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1013081ar                                    Francine Lalonde proposed to the House of Commons bill C-384, An Act to
DOI: https://doi.org/10.7202/1013081ar                                           amend the Criminal Code (right to die with dignity). This bill was undone. A
                                                                                 period of about thirty years separates these two documents. What are the
                                                                                 concerns which share these documents ? Does the bill understand assisted
See table of contents
                                                                                 suicide in a way which differs from that of the LRC document ? The
                                                                                 examination of the LRC document, bill C-384 and the works of the House of
                                                                                 Commons highlights persistent difficulties in our public discussions. Some
Publisher(s)                                                                     suggestions need to be done about the desirable debate on a subject as
                                                                                 contentious as euthanasia and aiding suicide.
Université du Québec à Montréal

ISSN
1916-0976 (digital)

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Giroux, M. T. (2011). Les préalables à un débat sensé sur l’euthanasie, et la
pertinence du document de la Commission de Réforme du droit sur
l’euthanasie, considérant le projet de loi C-384. Frontières, 24(1-2), 18–30.
https://doi.org/10.7202/1013081ar

Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2012                    This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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                                                                                Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                                promote and disseminate research.
                                                                                https://www.erudit.org/en/
A       r         t         i        c          l         e       s

  Résumé
  La Commission de réforme du droit du
  Canada (CRD) a publié, en 1982, un docu-
  ment de travail intitulé Euthanasie, aide
                                                                  Les préalables
  au suicide et interruption de traitement.
  En 2009, la députée Francine Lalonde a                       à un débat sensé sur
                                                         l’euthanasie, et la pertinence
  déposé à la Chambre des communes le
  projet de loi C-384 intitulé Loi modifiant
  le Code criminel (droit de mourir digne-
  ment). Ce projet de loi a été défait. Une
  période de près de trente ans sépare ces              du document de la Commission
  deux documents. Quelles sont les préoc-
  cupations que partagent ces documents ?
  Le projet de loi envisage-t-il l’aide au sui-
                                                               de Réforme du droit
  cide d’une manière qui diffère de celle du
  document de la CRD ? L’examen du docu-
                                                         sur l’euthanasie, considérant
  ment de la CRD, du projet de loi C-384 et
  des travaux de la Chambre des communes
  fait ressortir des difficultés persistantes
                                                              le projet de loi C-384                            .
  dans nos discussions publiques. Cer-
  taines suggestions s’imposent à propos
  du débat souhaitable dans une matière
  aussi contentieuse que l’euthanasie et
  l’aide au suicide.
  Mots clés : discussion publique –
  euthanasie – aide au suicide –
  interruption de traitement – droit
  de mourir dans la dignité – Commission
  de réforme du droit du Canada –
  projet de loi C-384.

  Abstract
  The Law Reform Commission of Canada
  (LRC) published, in 1982, a working paper,
  Euthanasia, Aiding Suicide and Cessa-
                                                           Michel T. Giroux, LL. B., M. A., Ph. D.,                 forum de discussion approprié – judiciaire
  tion of Treatment. In 2009, MP Fran-                    directeur, Institut de consultation et de recherche
  cine Lalonde proposed to the House of                                                                             ou parlementaire – pour les questions dont
                                                                    en éthique et en droit (ICRED).
  Commons bill C-384, An Act to amend                                                                               nous discutons ici.
  the Criminal Code (right to die with                    La Commission de réforme du droit du                          L’examen rapproché du document de la
  dignity). This bill was undone. A period            Canada (CRD) a publié, en 1982, un docu-                      CRD, du projet de loi C-384 et des travaux
  of about thirty years separates these               ment de travail intitulé Euthanasie, aide                     de la Chambre des communes fait ressor-
  two documents. What are the concerns                au suicide et interruption de traitement. Le                  tir des difficultés persistantes dans nos
  which share these documents ? Does                  13 mai 2009, madame Francine Lalonde,                         discussions publiques. C’est pourquoi,
  the bill understand assisted suicide in a
                                                      députée de La Pointe-de-l’Île, a déposé à                     avant de présenter le document de la CRD
  way which differs from that of the LRC
  document ? The examination of the LRC
                                                      la Chambre des communes le projet de                          et le projet de loi C-384, certaines sugges-
  document, bill C-384 and the works of the           loi C-384 intitulé Loi modifiant le Code                      tions s’imposent à propos du débat souhai-
  House of Commons highlights persistent              criminel (droit de mourir dignement). Ce                      table dans une matière aussi contentieuse
  difficulties in our public discussions. Some        projet de loi a été défait en seconde lecture                 que l’euthanasie et l’aide au suicide.
  suggestions need to be done about the               le 21 avril 2010. Il n’a donc pas fait l’objet
  desirable debate on a subject as conten-            des travaux d’un comité parlementaire.                            Les préalables
  tious as euthanasia and aiding suicide.             Une période de près de trente ans sépare                          à un débat sensé
  Keywords : public discussion –                      ces deux documents, dont chacun a été                            Dans ce texte, les préalables repré-
  euthanasia – aiding suicide – cessation             rédigé dans un contexte social et juridique                   sentent les conditions de nature concep-
  of treatment – right to die with                    distinct. L’objet de ce texte est de présen-                  tuelle sans lesquelles nous ne pouvons pas
  dignity – Law Reform Commission                     ter le document de la CRD et le projet                        soutenir un débat judicieux, marqué par la
  of Canada – bill C-384.                             de loi C-384 pour identifier les préoccu-                     raison. Les discussions portant sur l’eutha-
                                                      pations qu’ils partagent, et pour évaluer                     nasie et l’aide au suicide achoppent sur
                                                      si le projet de loi envisage l’aide au sui-                   trois obstacles récurrents : l’imprécision
                                                      cide d’une manière qui diffère de celle du                    du vocabulaire employé, l’évitement de la
                                                      document de la CRD. Nous compléterons                         circonstance limite et l’absence de distinc-
                                                      ce propos par quelques remarques sur le                       tion entre la règle de droit et les situations

FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2                                                     18                                                  automne 2011 / printemps 2012
Les discussions portant sur l’euthanasie                         discussion sur l’euthanasie doit débuter
                                                                                                 par l’adoption d’une définition.
                   et l’aide au suicide achoppent sur trois obstacles                               À titre d’illustration, nous pourrions
                                                                                                 définir ainsi l’euthanasie : une action
                 récurrents: l’imprécision du vocabulaire employé,                               visant à provoquer le décès d’une personne
                                                                                                 atteinte d’une maladie incurable qui lui
                                     l’évitement de la circonstance limite                       impose des souffrances physiques ou psy-
                                                                                                 chologiques intolérables, mise en œuvre à
                   et l’absence de distinction entre la règle de droit                           la demande de cette personne et pratiquée
                                                                                                 par un médecin ou sous sa supervision. Le
                                                 et les situations particulières.                Code criminel interdit l’euthanasie ainsi
                                                                                                 définie par ses dispositions sur l’homicide,
particulières. L’imprécision du vocabulaire         telle, l’euthanasie devrait évoquer des      particulièrement celles qui se rapportent
employé vise ce que les interlocuteurs ont          moyens de soulager les souffrances           au meurtre et au fait de conseiller le suicide
en tête lorsqu’ils utilisent le mot « euthana-      d’une personne atteinte d’une maladie        ou d’y aider.
sie ». L’évitement de la circonstance limite        dont l’issue fatale est imminente.
se produit lorsque la dispensation de soins         Ainsi entendue, l’euthanasie est                L’évitement
palliatifs constitue la réponse automatique         conforme à la morale, même si la vie            de la circonstance
et universelle à toutes les formes de souf-         est abrégée : c’est l’acte à double effet       limite
france en fin de vie. Finalement, l’absence         (Blais, 2000, p. 163).                           Malgré les progrès remarquables des
de distinction entre la règle de droit et les       Dans le contexte de ce passage, l’eutha-     soins palliatifs depuis une vingtaine
situations particulières dissimule la possi-     nasie est l’approche clinique utilisant des     d’années, il demeure des situations
bilité bien réelle d’un conflit irréductible     moyens propres à soulager la souffrance.        pour lesquelles les soins palliatifs sont
entre la règle de droit et le choix qu’exprime   Elle constitue une intervention adéquate        moins efficaces qu’on le souhaiterait.
une conscience individuelle.                     sur le plan de l’éthique, même si elle a pour   Ces situations sont celles de personnes
                                                 effet d’abréger la vie.                         atteintes de souffrances physiques ou
   Des définitions                                  Le Rapport du Comité sénatorial              psychologiques intolérables pour elles,
   de l’euthanasie                               spécial sur l’euthanasie et l’aide au sui-      alors qu’elles anticipent « la perte de la
   Au Canada, le mot « euthanasie » ne           cide contient un chapitre portant sur la        vie corporelle, qui par nature fait horreur
représente aucun concept juridique. Le           terminologie pertinente. L’euthanasie           à la nature humaine » (Thomas d’Aquin,
Code criminel ne contient aucune infrac-         y est définie ainsi : « Acte qui consiste à     iiia, q. 46, a. 6, Ad 1, 1986 : 340). Les
tion s’appelant euthanasie ; les catégories      provoquer intentionnellement la mort            professionnels ou les proches de ces per-
juridiques pertinentes sont l’homicide, le       d’autrui pour mettre fin à ses souffrances »    sonnes peuvent leur offrir une solution
meurtre et l’aide au suicide. Le droit ne        (Sénat du Canada, 1995 : 15). Cette             comportant des changements à la
nous offre donc aucune définition notoire        définition diffère grandement de la pré-        médication, diverses interventions cli-
de l’euthanasie à laquelle nous pourrions        cédente, puisque la mort y est un passage       niques possiblement plus satisfaisantes,
nous reporter dans nos débats. L’absence         obligé dans le but de mettre un terme           une aide spirituelle et une présence plus
d’une définition notoire contribue sans          aux souffrances, plutôt qu’un effet non         assidue. Cette première solution manifeste
doute à la confusion observée à propos           recherché de la thérapeutique employée.         dévouement et imagination. Par contre,
de concepts comme la cessation de traite-        L’intention de procurer l’euthanasie ainsi      que faire si la personne concernée persiste
ment, l’abandon thérapeutique, la sédation       définie se distingue de l’intention motivant    à demander qu’on l’aide dans son projet
terminale et l’euthanasie1.                      un soulagement des souffrances au risque        de mourir ?
   La consultation de divers ouvrages            d’abréger la vie.                                   Nous nous trouvons face à une cir-
révèle à quel point le mot « euthanasie »           Considérons enfin une troisième défi-        constance limite lorsque la personne
est susceptible de revêtir des significations    nition apparaissant dans Le trésor de           concernée affirme que les soins palliatifs
divergentes. Débutons par l’étymologie du        la langue française informatisé : « mort        ne la soulagent pas adéquatement de sa
mot. Un dictionnaire historique nous la          douce, de laquelle la souffrance est absente,   souffrance physique ou psychologique,
rappelle ainsi. Euthanasie « est un emprunt      soit naturellement, soit par l’effet d’une      et qu’elle demande qu’on l’aide à termi-
(1771) au grec tardif euthanasia “mort           thérapeutique dans un sommeil provoqué »        ner ses jours. L’inévitabilité de ce type de
douce et facile”, de eu- “bien”, et d’un         (Dendien, 2012). La mention du sommeil          situation nous place devant la nécessité de
dérivé de thanatos “mort” » (dictionnaire        provoqué introduit un détail qui n’apparaît     choisir entre accepter ou refuser d’aider la
Le Robert, 1998 : 1343). Pris dans un sens       pas dans les autres définitions citées et qui   personne à mourir. Si notre choix est de
proche de son étymologie, « euthanasie »         semble s’apparenter à la notion de sédation     refuser de l’aider à mourir, nous savons que
signifie l’art de rendre la mort douce.          terminale.                                      nous ne répondons pas à ses attentes ou
   Lorsqu’il aborde le sujet de l’euthana-          Il est impossible à des interlocuteurs qui   à l’expression de son autodétermination.
sie, le philosophe Martin Blais rappelle la      discutent de l’euthanasie d’avancer dans        L’évitement de la circonstance limite se
nécessité de la définir et il propose une        leur discussion si l’un comprend l’eutha-       produit lorsque la dispensation de soins
définition proche de l’étymologie du mot :       nasie selon la première définition, un autre    palliatifs est perçue comme adéquate dans
   Pour voir un peu plus clair dans le           selon la seconde, et un autre encore selon      toutes les situations, incluant celles dans
   problème de l’euthanasie, il importe          la troisième. Il n’existe pas une bonne et      lesquelles la personne concernée continue
   d’abord de définir l’euthanasie               de mauvaises définitions de l’euthana-          à demander qu’on l’aide à mourir 2. Nous
   comme telle avant de lui accoler              sie. Toutefois, l’objectif d’avancer dans la    devons reconnaître explicitement cette
   les qualificatifs d’usage : directe,          discussion rappelle la nécessité de préciser    réalité que les soins palliatifs ne consti-
   indirecte, active, passive. Comme             ce dont on parle. Conséquemment, toute          tuent pas nécessairement une réponse effi-
                                                                                                 cace à toutes les souffrances en fin de vie.

automne 2011 / printemps 2012                                         19                                                FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2
quelqu’un, l’empathie6, ne peut se réaliser
        Maintenir ou non l’interdiction de l’aide au suicide                                   qu’approximativement, puisque je ne suis
       Voici quelques raisons fréquemment évoquées pour maintenir l’interdiction               pas l’autre. Mais cet effort pour pratiquer
    de l’aide au suicide :                                                                     l’empathie permet d’être sensible à la souf-
    • les demandes d’assistance à suicide ne manifestent pas toutes un désir réel ou           france d’autrui et engage à ne pas rejeter
       définitif de mourir afin d’abréger les souffrances ;                                    sommairement la possibilité que l’élimina-
    • la promotion de la vie implique le respect de son caractère sacré ;                      tion de la souffrance commande des gestes
    • l’amoindrissement du caractère sacré de la vie occasionne un préjudice moral             sanctionnés par la loi.
       au patient, aux médecins et à l’ensemble de la société ;
    • le phénomène appréhendé de la pente dangereuse pourrait prendre deux
                                                                                                  Le document de travail
       formes : une érosion progressive des mécanismes juridiques de protection
                                                                                                  de la CRD
       de la vie et l’adoption de conduites de plus en plus permissives à l’égard des             L’avant-propos du document de travail
       contraintes légales ;                                                                   de la CRD identifie les deux objectifs que
    • la crainte des patients actuels et potentiels que leur mort soit provoquée sans          poursuit le document. Il s’agit d’abord de
       qu’ils l’aient demandé ;                                                                considérer certains problèmes moraux
    • la difficulté d’opérer suivant des concepts clairs, notamment sur ce qu’est la           et juridiques que posent la cessation de
       phase terminale ;                                                                       traitement et l’euthanasie, de percevoir
    • chez certains médecins, la notion que le premier devoir de leur profession se            comment ces problèmes affectent l’état du
       trouve dans le mouvement de respecter la vie ;                                          droit en vigueur, et d’examiner leurs effets
    • l’appréhension que la valeur de la vie d’une personne puisse être établie à partir       dans une perspective de réforme législa-
       de son utilité sociale ou économique.                                                   tive. Deuxièmement, le document veut
       Voici certains motifs fréquemment évoqués pour modifier la loi de manière à             explorer certaines questions fondamen-
    permettre l’aide au suicide :                                                              tales de politique sociale pour encourager
    • la souffrance physique ou psychologique est parfois pire que la perspective de           l’émergence d’un débat public. La CRD
       la mort qui apparaît comme une délivrance ;                                             perçoit ce débat comme devant précéder
    • la personne concernée est seule détentrice des droits associés à ses dimensions          une éventuelle réforme juridique. Dans
       corporelle et psychique ;                                                               cette optique, la loi intervient comme la
    • suivant le principe d’autodétermination, la personne doit pouvoir exercer un             manifestation juridique d’une orientation
       contrôle sur sa vie et son mourir ;                                                     sociale générale.
    • une vie qui vaut d’être vécue doit présenter une qualité acceptable aux yeux
       de l’intéressé.
                                                                                                  La définition des problèmes
                                                                                                   Dans sa première partie, le document
                                                                                               de travail de la CRD rappelle que la vie
                                                                                               humaine constitue une valeur fonda-
    La règle de droit                           l’élaboration des lois ne reposent pas sur     mentale des systèmes de droit modernes.
    et les situations particulières             les mêmes préceptes.                           Les lois interdisent l’homicide et elles
   Dans l’état actuel de notre droit, un            Shakespeare expose l’abîme qui sépare      punissent les actes qui constituent un
acte qui provoque la mort d’autrui ou qui       la sagesse et le détachement du bien-          danger ou une menace pour la vie d’au-
fournit une aide afin qu’une personne           portant de la passion subjuguant celui qui     trui. Les dispositions du Code criminel
mette fin à sa vie constitue une infraction     souffre :                                      canadien sur l’homicide considèrent la vie
criminelle. D’aucuns estiment que la légis-         Vois-tu, frère, les gens peuvent donner    humaine dans une perspective quantitative
lation actuelle est opportune et devrait            des conseils et parler de calme à une      et non qualitative. Il y a homicide si la per-
être maintenue. D’autres revendiquent               douleur qu’ils ne ressentent pas ; mais,   sonne touchée décède. Il n’y a pas d’homi-
des modifications considérables à la loi.           dès qu’ils l’éprouvent eux-mêmes,          cide si la personne continue de vivre en
Nonobstant mon point de vue particulier             vite elle se change en passion, cette      étant atteinte d’un préjudice grave, comme
concernant la sagesse de la loi, que ferais-        sagesse qui prétendait donner à la         l’incapacité de mener une vie relationnelle.
je si une personne que j’aime, en proie             rage une médecine de préceptes,            Cette approche du droit reflète l’idée que
à une souffrance terrible, me demandait             enchaîner la folie furieuse avec un        la vie mérite une protection particulière,
avec détermination de l’aider à mourir ?            fil de soie, charmer l’angoisse avec       qu’elle est porteuse d’un caractère sacré.
Comment vivrais-je ensuite, considérant le          du vent et l’agonie avec des mots !
poids moral de ma décision, quelle qu’elle          Non ! Non ! C’est le métier de tout           Le vitalisme et la qualité
soit ? Que ferais-je si j’étais le médecin          homme de parler de patience à ceux            de vie
d’une personne très souffrante qui me               qui se tordent sous le poids de la            Pour un certain courant de pensée, le
demanderait d’abréger ses jours ? Le point          souffrance ; mais nul n’a la vertu ni      vitalisme, la vie est une valeur suprême
de vue du législateur et celui de la per-           le pouvoir d’être si moral, quand il       et tous les moyens doivent être employés
sonne placée en situation présentent de             endure lui-même la pareille. Donc          pour la protéger, pour la prolonger et pour
profondes disparités 3. Justifier sur le plan       ne me donne plus de conseils : ma          combattre la mort. Le vitalisme a exercé
éthique la mise en œuvre d’une action par-          douleur crie plus fort que les maximes     une influence sur la conduite médicale en
ticulière est différent de justifier, en vue        (Shakespeare, 1959, p. 1319).              incitant le médecin à repousser agressive-
du bien commun, une loi ou une bonne                La loi s’exprime d’une façon générale      ment la maladie et la mort. Par ailleurs, les
pratique professionnelle4. Une loi qui inter-   afin de couvrir l’ensemble des situations.     avancées scientifiques et technologiques
dit l’aide au suicide peut être raisonnable,    Elle ne peut toutefois pas prévoir toutes      permettent à la médecine de guérir des
même si elle rend illégaux des actes qui,       les circonstances possibles. Face à une        patients qui seraient autrefois décédés. Il
en eux-mêmes, sont moralement justifiés5.       situation aussi extrême que la fin de vie,     s’agit là d’un incontestable progrès. D’un
L’opération de la morale individuelle et        la faculté de ressentir la souffrance de       autre côté, ce progrès a compliqué les ques-

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tions humaines et juridiques touchant la          tiques rend difficile l’adoption de normes       est susceptible de pousser un médecin à
mort. Des personnes que l’on a maintenues         générales.                                       maintenir un traitement devenu inutile ou
en vie se retrouvent parfois porteuses d’une          En second lieu, la relation entre la règle   de le cesser tardivement. Au contraire, il
qualité de vie peu enviable, par exemple          de droit et la pratique médicale présente        faudrait que la loi établisse l’idée du droit
celles dont l’existence sera végétative, sans     des ambiguïtés. Une règle de droit du droit      de mourir dans la dignité, sans souffrir des
espérance de retrouver une vie cognitive          criminel a pour objet d’interdire une con-       interventions qui sont de l’acharnement
et relationnelle. Le constat de ces situa-        duite jugée répréhensible, et elle joue un       thérapeutique. Deuxièmement, l’adminis-
tions a engendré une réflexion concernant         rôle répressif. Or, le document de la CRD        tration de médicaments afin d’éliminer ou
l’usage de la technologie médicale. Le cri-       souligne qu’aucun tribunal canadien n’a          de réduire la souffrance peut avoir comme
tère d’utilisation basé sur la technique          condamné un médecin pour avoir abrégé la         effet secondaire d’abréger la vie. Certains
favorise l’intervention si elle est techni-       vie d’un patient en phase terminale à l’aide     médecins craignent d’être l’objet de diffi-
quement possible. Le critère d’utilisation        de médicaments, pour avoir interrompu un         cultés pénales, civiles ou disciplinaires
basé sur des considérations humaines pour         traitement devenu inutile ou pour avoir          pour avoir dispensé des soins palliatifs
le patient favorise l’intervention si elle est    refusé de prolonger l’agonie d’un patient.       qui auraient abrégé la vie du patient. Il faut
humainement souhaitable. Cette distinc-           Par contre, cette absence de condamna-           modifier la loi de manière à éliminer cette
tion entre ce qui peut et ce qui doit être fait   tion ne signifie pas que de tels événements      menace virtuelle pesant sur le médecin
conduit au concept d’acharnement théra-           ne se sont jamais produits. L’absence de         qui prodigue des soins adéquats en phase
peutique par lequel on désigne une attitude       condamnation judiciaire ne permet pas            terminale.
qui détourne la technologie de sa finalité        de considérer l’état actuel du droit comme          Le nouveau-né souffrant de malforma-
réelle, qui est d’être placée au service de       satisfaisant. Plusieurs médecins souhaitent      tions graves se trouve lui aussi au centre de
l’humain. Une technologie qui maintient           être guidés par un énoncé précis de leurs        questions juridiques considérables. Depuis
en vie des personnes à tout prix ne réus-         obligations légales, plutôt que de dépendre      le milieu des années 1950, la médecine
sit pas à prolonger la vie, mais à étirer le      de la discrétion en matière de poursuite         a développé des instruments propres à
processus de la mort. En conséquence, il          qu’exerce la Couronne. L’idéal serait que        sauver des enfants qui seraient décédés
faut reconsidérer le caractère absolutiste        les médecins et les juristes puissent prédire    dans le contexte antérieur. Par contre, ces
de l’approche vitaliste.                          comment la loi sera interprétée dans un          progrès ont engendré de nouveaux pro-
    Un nouveau courant de pensée est              cas de cessation de traitement.                  blèmes puisque certains de ces enfants,
apparu dans les pays occidentaux. La vie              La troisième difficulté concerne la          porteurs d’anomalies graves, seront
demeure une valeur fondamentale, mais             possibilité que l’imprécision de la loi          confiés à des institutions ou rejoindront
cette reconnaissance est tempérée par une         actuelle engendre une grande variété de          leur famille en lui imposant un énorme
préoccupation pour la qualité de vie. Ce          pratiques dans les diverses régions du pays.     fardeau financier, affectif et psychologique.
changement est basé sur trois facteurs.           Plutôt qu’être prévisibles et uniformes, les     Une seconde considération est que d’autres
Premièrement, une personne qui veut               décisions des médecins seraient subjectives      personnes que le nouveau-né décident
mourir dans la dignité peut rejeter l’utili-      et fortement influencées par la personna-        pour lui de sa vie ou de sa mort. Il est
sation abusive de la technologie médicale.        lité de leur auteur.                             évidemment impossible de savoir ce que
Deuxièmement, le patient exige une parti-             Selon une certaine perception de l’état      lui-même aurait souhaité. Une troisième
cipation directe dans le choix des soins qui      du droit, les médecins ont peu à craindre        considération vient affecter la percep-
lui seront prodigués. Le respect de cette         par rapport au droit criminel. Par contre,       tion de celui qui décide pour l’enfant : le
autonomie du patient peut conduire à des          il s’agirait de quelques événements pour         nouveau-né est un être humain dont la vie
décisions qui privilégient la qualité de vie,     que des médecins deviennent l’objet du           commence à peine, et pour qui la mort est
plutôt que sa durée. Troisièmement, le            cas type en droit criminel. Les questions        déjà une éventualité.
développement des soins palliatifs permet         relatives à la cessation ou la non-initiation       Pour le médecin, la situation du
de cesser les interventions thérapeutiques        d’un traitement sont trop importantes pour       nouveau-né présente des analogies avec
et de dispenser des soins destinés à assu-        être abandonnées à une telle incertitude.        celle du patient en phase terminale. Dans
rer un certain confort en phase terminale.                                                         les deux cas, si le médecin entreprend
L’avènement des soins palliatifs permet de           Deux cas de figure                            un traitement, la loi lui impose-t-elle
sortir du choix entre un traitement inutile           Le document de la CRD campe sa               de poursuivre ce traitement, même s’il
et l’absence totale de soins.                     réflexion dans deux cas de figure : le           devient inutile ? Dans le cas du nouveau-
                                                  malade en phase terminale et le nouveau-         né, le médecin doit-il agir avec l’accord
   Les problèmes juridiques                       né souffrant de malformations graves. Le         des parents ? Les parents sont-ils les seules
   touchant l’interruption                        malade en phase terminale est celui pour         personnes à pouvoir prendre la décision ?
   de traitement                                  qui la dispensation de soins thérapeutiques
    Trois difficultés se rattachent à l’inter-    ne peut plus assurer une guérison ou un             Les réponses du droit criminel
ruption de traitement. Tout d’abord, notre        certain contrôle sur la maladie. L’intérêt          en 1982
société se trouve dans une période de tran-       du patient consiste alors dans des soins             Face à ces questions, le droit en vigueur
sition où les attitudes concernant la vie, la     destinés à soulager ses souffrances phy-         au moment de la publication du document
mort et l’interruption de traitement sont         siques et morales, pour lui procurer une fin     de la CRD offre certaines réponses. Nous
en mutation, alors que les mentalités n’ont       de vie dans la dignité et la lucidité. Cette     allons parcourir le contenu pertinent du
pas encore cessé d’évoluer. La protection         approche de la phase terminale produit           Code criminel canadien. Suivant l’ar-
de la vie humaine demeure importante,             deux problèmes. Premièrement, la théo-           ticle 197, certains individus ont l’obligation
mais beaucoup de personnes souhaitent             rie et la tradition juridiques veulent que       de fournir les choses nécessaires à la vie
qu’on tienne davantage compte de l’auto-          l’interruption d’une mesure destinée à           aux personnes qui dépendent d’eux. La
nomie personnelle et de la qualité de vie.        sauver la vie d’une personne puisse fonder       jurisprudence a interprété cette disposi-
Toutefois, la CRD considère que l’impossi-        une responsabilité civile et criminelle. La      tion comme s’appliquant à un membre du
bilité d’identifier au moins deux cas iden-       crainte de poursuites civiles et criminelles     personnel médical qui néglige ou refuse

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de fournir des soins médicaux à une per-        par la vengeance, le lucre ou la compassion      notre système de justice pénale effectue un
sonne, si cette personne ne se trouve pas       ne fait pas de différence. Ce qui compte,        processus de filtrage des poursuites suivant
en mesure de prendre soin d’elle-même.          c’est que son auteur avait l’intention de        la discrétion dont dispose le bureau du
Selon cette interprétation, un médecin qui      provoquer la mort.                               procureur général. La CRD observe qu’en
négligerait de dispenser un traitement à un         L’article 14 déclare que le consentement     dehors du contexte médical, les poursuites
patient inconscient pourrait être passible      de la personne à ce qu’on lui donne la mort      criminelles pour meurtre par compassion
d’une poursuite criminelle.                     n’a pas d’influence sur la responsabilité        sont très rares dans l’histoire du Canada.
    L’article 198 contraint celui qui entre-    pénale de l’auteur. Conséquemment, celui         La rareté de la jurisprudence fait que
prend un traitement médical ou chirur-          qui donne la mort à une personne qui le          nous ne savons pas précisément comment
gical pouvant mettre la vie en danger, à        lui demande afin d’abréger ses souffrances       appliquer les dispositions du Code crimi-
employer une connaissance, une habileté         est coupable de meurtre.                         nel au contexte médical et au meurtre par
et des soins raisonnables. L’utilisation du         Enfin, l’article 224 établit une infrac-     compassion.
mot « raisonnable » fait référence à ce qui     tion pour celui qui conseille à une per-             Le document contient un bref survol
peut être considéré comme médicalement          sonne de se suicider ou l’aide à le faire.       de l’état du droit dans les pays suivants :
raisonnable dans chaque cas. Un tribunal        Cette infraction est maintenue, même si          Grande-Bretagne, États-Unis, Allemagne,
pourrait estimer raisonnable qu’un méde-        la tentative de suicide n’est plus un acte       Suisse, Norvège et Uruguay. Au Canada, il
cin ne tente pas de réanimer une personne       criminel.                                        existe une incertitude face à la loi, puisque
en coma dépassé. Par contre, le médecin                                                          les dispositions pertinentes du Code crimi-
serait-il exonéré si, pour des motifs reliés       L’application des textes                      nel sont d’application générale, qu’elles
à la qualité de vie du nouveau-né, il n’avait      Ces dispositions du Code criminel             n’ont pas été conçues précisément pour
pas procédé à une intervention chirurgi-        ont donné lieu à une jurisprudence con-          le contexte médical. De plus, la rareté de
cale bénigne qui l’aurait maintenu en vie ?     sidérable. Cependant, en 1982, la juris-         la jurisprudence nous prive de connaître
    L’article 199 contraint celui qui entre-    prudence appliquant ces dispositions au          l’interprétation que leur donneraient les
prend un acte à le continuer si l’omission      contexte médical est rarissime. Il existe        tribunaux. Au moment de la rédaction du
de le faire comporte un danger pour la                                                           document de la CRD, tous les systèmes
vie. En matière de traitement médical,                                                           juridiques avaient refusé d’admettre l’eu-
cet article a une importance, puisque son                     Au Canada,                         thanasie active et volontaire. Par contre,
dispositif pourrait s’appliquer à l’interrup-                                                    dans tous les pays, nous relevons une
tion de traitement. En effet, la conduite du        il existe une incertitude                    contradiction entre la sévérité de la loi
médecin qui pratique une assistance respi-                                                       et la pratique judiciaire : les auteurs de
ratoire est-elle visée lorsqu’il interrompt           face à la loi, puisque                     certains actes sont rarement accusés, et
le traitement par l’arrêt du respirateur ?                                                       s’ils sont reconnus coupables, leurs peines
L’article 199 semble énoncer que le méde-        les dispositions pertinentes                    sont légères.
cin qui a établi un traitement ne peut pas
le cesser si cette cessation représente un           du Code criminel sont                          La nécessité et les objectifs
risque pour la vie du patient. Cette inter-                                                         de la réforme
prétation de l’article 199 contraindrait les        d’application générale,                         Certains peuvent estimer qu’aucune
médecins à pratiquer l’acharnement thé-                                                          réforme de la loi n’est requise, puisque les
rapeutique. Elle aurait vraisemblablement             qu’elles n’ont pas été                     dispositions pertinentes du Code criminel
pour effet de faire hésiter les médecins à                                                       ont déjà fait l’objet de certaines interpréta-
entreprendre un traitement qu’ils ne pour-            conçues précisément                        tions, et qu’elles sont rarement appliquées
raient cesser. Une règle de cette nature                                                         dans le contexte médical. Par contre, la
serait dommageable pour la pratique               pour le contexte médical.                      CRD recommande une réforme qui réamé-
médicale.                                                                                        nagerait et compléterait des dispositions
    Cependant, l’interprétation de l’ar-                 De plus, la rareté                      en vigueur. Premièrement, le caractère
ticle 199 doit tenir compte de l’article 45                                                      général des dispositions en vigueur a
et des dispositions portant sur la négli-              de la jurisprudence                       pour avantage de permettre leur applica-
gence criminelle. L’article 45 protège de la                                                     tion durant une longue période de temps.
responsabilité criminelle celui qui a prati-        nous prive de connaître                      Cependant, ces dispositions suscitent des
qué une intervention chirurgicale pour                                                           incertitudes quant aux situations nou-
le bien d’une personne, alors qu’il était          l’interprétation que leur                     velles. Deuxièmement, en plus de son rôle
raisonnable de la pratiquer compte tenu                                                          répressif, la loi exerce un rôle préventif.
de l’état de santé du patient. Le standard       donneraient les tribunaux.                      Or, la loi n’offre pas d’indications utiles
de conduite que retient l’article 45 est le                                                      concernant les nouvelles pratiques médi-
caractère raisonnable de l’acte dans les cir-                                                    cales et hospitalières, notamment celles
constances. Les dispositions concernant         donc un décalage entre la rigueur de ces         qui sont mises en œuvre à l’égard des
la négligence criminelle ne pénalisent pas      dispositions et leur application pratique        mourants et des nouveau-nés souffrant
toute interruption de traitement qui met la     dans le contexte médical. Ce décalage            de malformations graves.
vie en danger, mais celle qui manifeste une     s’explique d’abord par le fait que le stan-         Les discussions publiques sur une
insouciance déréglée ou téméraire.              dard de négligence requis pour l’existence       réforme législative peuvent mener à un
    Les articles 202 à 223 portent sur la       d’une responsabilité pénale est élevé. Très      niveau plus ou moins élevé de consensus
négligence criminelle et les différentes        peu de médecins canadiens adoptent ce            social. Par contre, il serait étonnant qu’une
sortes d’homicide. Quant au meurtre, la         type de comportement. Deuxièmement,              réforme législative fasse l’unanimité.
loi ne tient aucun compte de la motivation      établir le lien de causalité entre l’acte posé   Enfin, la réforme législative ne doit pas
de son auteur. Que le meurtre soit motivé       et le résultat est difficile. Troisièmement,     être perçue comme la finalité à atteindre,

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mais plutôt comme le début d’une réforme        et l’autodétermination de la personne,           permet implicitement au patient en phase
plus large, à la fois sociale et institution-   puisque chacun est maître de sa destinée.        terminale de s’enlever la vie.
nelle.                                          En conséquence, chaque personne est libre            La CRD estime que la légalisation de
                                                de refuser un traitement ou de demander sa       l’euthanasie n’est pas acceptable, en raison
   Les impératifs de la réforme                 cessation. Cinquièmement, la vie humaine         de la disproportion que représentent ses
    Le document de la CRD énonce ses            ne comporte pas seulement un aspect              risques par rapport aux profits attendus.
préoccupations à l’égard d’une réforme          quantitatif, mais aussi un aspect qualitatif.    La position de la CRD repose sur trois
du droit criminel sous la forme de trois        Des considérations portant sur la qualité        arguments. L’argument principal est celui des
questions :                                     de vie peuvent être légitimes dans certaines     abus possibles. L’euthanasie pourrait servir
    (1) Le législateur doit-il, d’une façon     décisions, notamment lorsque le patient          à éliminer ceux qui représentent un fardeau
    ou d’une autre, légaliser ou du moins       refuse des traitements. Il revient au patient    pour les autres ou pour la société. Il se peut
    décriminaliser certaines formes             d’exercer son autonomie en définissant           aussi que le consentement à l’euthanasie ne
    d’euthanasie active, comme le meurtre       ses priorités et ses exigences personnelles      soit pas toujours un acte libre et volontaire,
    par compassion ? (2) Le législateur         quant à sa qualité de vie. Enfin, les per-       en dépit des précautions que contiendrait la
    doit-il décriminaliser l’aide au suicide    sonnes dites « incapables » ou plus faibles      loi. Deuxièmement, les procédures entourant
    en abrogeant l’article 224 du Code          doivent bénéficier d’une protection par-         la pratique de l’euthanasie introduiront une
    criminel ? (3) Le législateur doit-il       ticulière parce que leurs droits peuvent         bureaucratisation du processus de décision.
    intervenir dans le cadre des articles       être plus facilement violés ou ignorés.          Or, les délais sont un des maux que les tenants
    14, 45, 198 et 199, pour préciser les       Lorsque la personne concernée ne peut            de l’euthanasie veulent éviter. Troisièmement,
    limites de la légalité du refus et de       plus prendre les décisions concernant sa         une modification législative doit comporter
    la cessation du traitement médical          santé ou sa vie, le consentement substitué       une proportion entre les maux que l’on veut
    (Commission de réforme du droit du          est la solution applicable. Par contre, nul      éviter et les risques nouveaux que crée la
    Canada, 1982, p. 36-37) ?                   ne peut être certain que la personne elle-       modification. Cette proportion est inaccep-
    Les réponses apportées à ces questions      même prendrait les mêmes décisions.              table dans le cas de l’euthanasie.
doivent être guidées par certains principes
ou règles fondamentales. Sur le plan de            La réforme – légalisation                        La réforme – décriminalisation
la nature de la réforme, celle-ci doit être        de l’euthanasie                                  du meurtre par compassion
consciente des limites du droit criminel, les      Lorsqu’il entreprend de répondre à la            L’examen de l’hypothèse de la
solutions proposées doivent être suffisam-      première question, le document précise ce        décriminalisation du meurtre par compassion
ment souples pour s’appliquer aux divers        qu’il entend par euthanasie : « l’acte positif   invite à examiner trois possibilités : conserver
contextes, et les solutions doivent s’insérer   de causer la mort de quelqu’un pour des          intégralement le régime actuel, qui ne tient pas
harmonieusement dans le contexte social         raisons humanitaires » (Commission de            compte du motif ayant poussé à l’homicide ;
et juridique actuel.                            réforme du droit du Canada, 1982 : 50). Les      créer une catégorie d’homicide qui tienne
    Sur le plan du contenu, la CRD              tenants de la légalisation de l’euthanasie       compte des cas où le motif est excusable ;
identifie six principes. Le premier prin-
cipe est le refus de fonder une réforme
sur la reconnaissance de deux catégories                               Les tenants de la légalisation de l’euthanasie
d’êtres : les personnes humaines et les
non-personnes. La CRD affirme clairement                  soulignent ce qu’ils estiment être l’illogisme de la loi.
que le statut d’humain est applicable à tous
ceux qui sont nés de parents humains.                          Le patient détient le droit de refuser un traitement
Deuxièmement, la CRD ne fait pas sienne
la distinction connue entre mesures              et celui de requérir son interruption, afin de ne pas prolonger
ordinaires et mesures extraordinaires.
Cette distinction est trop ambiguë pour                  son agonie. Le fondement de ce droit est que le patient
qualifier avec précision l’intensité de
l’obligation du médecin à l’égard de son                 est maître de sa personne. Si l’autonomie décisionnelle
patient. Troisièmement, la préservation de
la vie humaine est une valeur fondamentale                             permet une omission ou une absence d’action,
dans notre société. Une réforme du droit
ayant un impact sur la vie humaine doit                     pourquoi ne permet-elle pas de poser un acte positif ?
admettre une présomption en faveur de la
vie, sans toutefois requérir l’acharnement
thérapeutique : « si un traitement peut être    soulignent ce qu’ils estiment être l’illogisme   maintenir l’infraction actuelle, mais tenir
raisonnablement appliqué pour préserver         de la loi. Le patient détient le droit de        compte du motif dans le choix de la sentence.
la vie ou la santé d’une personne, on doit      refuser un traitement et celui de requérir       La qualification du motif ayant poussé à
présumer que la volonté de cette per-           son interruption, afin de ne pas prolonger       l’homicide est un problème considérable,
sonne, si elle avait pu la manifester, eût      son agonie. Le fondement de ce droit est         puisque des meurtres crapuleux pourraient
été de recevoir le traitement et non de         que le patient est maître de sa personne.        être commis sous le couvert de l’homicide
le refuser » (Commission de réforme du          Si l’autonomie décisionnelle permet une          par compassion. La CRD perçoit une solution
droit du Canada, 1982 : 42). De cette façon,    omission ou une absence d’action, pourquoi       possible dans la reconnaissance que l’acte
le fardeau de la preuve incombe à celui         ne permet-elle pas de poser un acte positif ?    posé continue d’être un meurtre, mais que le
qui, dans un cas réel, ne favorise pas le       De plus, puisque depuis 1972, la tentative de    motif de la compassion ait un impact majeur
prolongement ou le maintien de la vie. Le       suicide n’est plus un acte criminel, le droit    sur la sentence. Cette position de la CRD
quatrième principe reconnaît l’autonomie                                                         n’est pas définitive.

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La réforme – décriminalisation              ser la continuation du traitement entre-         la CRD conclut « qu’une décriminalisation
    de l’aide au suicide                        pris si sa cessation représente une menace       complète de l’aide ou de l’incitation au
    La seconde question demande si le           pour la vie. Cette interprétation du droit       suicide serait inopportune et dangereuse
législateur devrait décriminaliser l’aide       criminel paraît encourager l’acharnement         dans le contexte actuel » (Commission de
au suicide. Comme nous l’avons déjà             thérapeutique. Or, il existe une différence      réforme du droit du Canada, 1982 : 78-79).
mentionné, la tentative de suicide n’est plus   entre l’acte qui provoque la mort et le fait     Toutefois, la CRD propose de modifier
un acte criminel. Dans certains cas, la per-    de cesser un traitement lorsque le patient       l’article 224 par l’addition d’un second
sonne atteinte d’une maladie dégénérative       le demande. Le document approche cette           paragraphe précisant qu’une poursuite
peut souhaiter vivre encore jusqu’à un          question d’abord pour la personne capable        en vertu de cet article doit avoir été
moment où elle préférera mourir. Il se peut     de décider, puis, pour la personne inca-         autorisée par le procureur général
qu’à ce moment, elle ne dispose plus de la      pable. Rappelant le concept de la mort           lui-même. Sur l’interruption de traitement
capacité physique de procéder. Pourquoi         dans la dignité, la CRD propose de recon-        et la renonciation au traitement, la CRD
interdire qu’une personne l’assiste dans        naître aussi clairement que possible, pour       suggère l’addition au Code criminel d’un
son projet ? La CRD reconnaît qu’il             toute personne capable, le droit absolu          texte établissant que le médecin n’a pas
semble, « à première vue, fort incongru         de refuser ou d’interrompre un traitement        l’obligation d’administrer un traitement
de criminaliser la participation à un acte      médical qui lui est destiné.                     lorsque le patient le refuse ou lorsque ce
qui n’est plus lui-même un acte criminel »          Le cas de la personne incapable est          traitement est médicalement inutile et n’est
(Commission de réforme du droit du              plus complexe. Une personne incapable            pas dans le meilleur intérêt du patient,
Canada, 1982 : 60). L’interdiction d’aider      est « tout être humain qui, par la suite d’un    sauf si celui-ci a clairement manifesté sa
une personne à mourir ne vise pas que les       défaut d’âge, d’un état d’inconscience tem-      volonté du contraire. La CRD propose
cas de phase terminale. Cette interdiction      poraire ou permanent, ou d’un handicap,          aussi l’addition d’un texte protégeant de
est beaucoup plus vaste. Elle protège           est dans l’impossibilité de manifester           la responsabilité criminelle le médecin
notamment la personne dépressive que            sa volonté et de prendre une décision            qui dispense des soins palliatifs ou des
quelqu’un pourrait encourager à mourir,         éclairée et perd ainsi sa faculté de choisir »   mesures destinées à éliminer ou à atténuer
non pas pour des motifs humanitaires,           (Commission de réforme du droit du               les souffrances, alors que ces soins ou ces
mais pour des avantages financiers.             Canada, 1982 : 65). La CRD énonce que            mesures sont susceptibles de raccourcir
Décriminaliser entièrement l’aide au            l’incapacité d’une personne ne doit pas          l’espérance de vie du patient.
suicide n’est probablement pas une poli-        servir à nier ses droits fondamentaux. La
tique souhaitable sur un plan général. Par      personne incapable doit bénéficier d’une            Le projet de loi C-384
contre, serait-ce une initiative avantageuse    protection accrue de la loi. Les méca-               Le 13 mai 2009, madame Francine
s’agissant de personnes en phase                nismes de protection comme la curatelle          Lalonde, députée de La Pointe-de-l’Île,
terminale ? Comme pour l’homicide par           existent pour que les décisions prises au        a présenté à la Chambre des communes
compassion, la motivation de la personne        nom de la personne représentée soient            son projet de loi C-384. Le dispositif de
qui intervient est, en principe, de nature      raisonnables, aussi à l’abri que possible        ce projet de loi autorise l’intervention d’un
humanitaire. Toutefois, comment nous            de l’arbitraire. Pour le médecin, l’objectif     médecin pour aider une personne âgée
assurer de l’intention réelle de l’auteur de    poursuivi ne devrait pas être le maintien        d’au moins 18 ans à « mourir dignement ».
l’acte ? Il se peut que, pour des motifs peu    en vie, mais le bien du patient. Une façon       Le sommaire du projet de loi expose qu’il
nobles, quelqu’un commette l’homicide           de se représenter le bien du patient est         s’agit de modifier le Code criminel afin
d’une personne en phase terminale, et           de se rappeler les volontés qu’il aurait pu      de permettre à un médecin, suivant cer-
réussisse à camoufler son acte en une aide      exprimer sur le sujet. Par contre, certaines     taines conditions, « d’aider une personne
au suicide. Par contre, la CRD reconnaît        personnes n’ont jamais pu s’exprimer sur de      qui éprouve des douleurs physiques ou
la possibilité qu’une personne en aide une      telles questions : c’est le cas du nouveau-né    mentales aiguës sans perspective de soula-
autre à mourir, alors que son intention         et de la personne atteinte d’une déficience      gement ou qui est atteinte d’une maladie en
est exclusivement humanitaire. La CRD           intellectuelle majeure. Pour ces personnes,      phase terminale à mourir dignement quand
recommande donc un amendement à                 différents modes décisionnels sont pos-          elle y consent de façon libre et éclairée ».
l’article 224 du Code criminel précisant        sibles. La décision pourrait être prise              Le texte du projet de loi C-384 ne pré-
qu’une poursuite pour aide au suicide ne        par le médecin, par un tribunal ou par           sente évidemment pas la réflexion qui se
peut être entreprise sans l’autorisation du     les proches, dont le curateur. Après avoir       trouve derrière son dispositif. Par contre,
procureur général lui-même.                     envisagé les avantages et les inconvénients      la consultation de la transcription des
                                                de chaque mode, la CRD conclut que le            débats à la Chambre des communes nous
    La réforme – interruption                   moins mauvais semble être celui qui confie       permet de mieux faire ressortir les inten-
    de traitement et renonciation               la décision au médecin.                          tions à l’origine du projet de loi. Nous
    au traitement                                                                                espérons réussir à ne pas faire dire plus
   La troisième question demande si le             Les recommandations                           ni autre chose au projet de loi que ce qui
législateur devrait intervenir pour préciser       de réforme                                    était entendu par ses rédacteurs.
les limites de la légalité du refus et de la        En réponse aux trois questions qu’elle           Lors d’un débat à la Chambre des com-
cessation du traitement médical. La CRD         a posées, la CRD formule certaines               munes le 2 octobre 2009, madame Lalonde
note qu’il existe une distance considérable     recommandations. Sur l’euthanasie active,        a identifié précisément l’objectif poursuivi :
entre la pratique médicale et la conduite       la CRD recommande que les prohibitions           « le droit d’avoir une fin de vie conforme
que pourrait autoriser une interprétation       en vigueur concernant l’homicide soient          aux valeurs de dignité et de liberté […] En
restrictive des dispositions du Code crimi-     maintenues. Il faut aussi maintenir              fait, c’est pour que les personnes aient le
nel. Une personne capable de décider doit       l’interdiction du meurtre par compassion.        choix, le droit de choisir qui existe dans
pouvoir exercer le droit de refuser un trai-    Cependant, le motif compassionnel                d’autres pays » (Lalonde, 2009 : 1330).
tement et celui d’en demander la cessation.     pourrait intervenir pour une réduction pos-      Madame Lalonde décrit ainsi la démarche
Toutefois, le droit criminel semble impo-       sible de la sentence. Sur l’aide au suicide,     concrète que la personne qui souhaite

FRONTIÈRES ⁄ vol. 24, nos 1-2                                        24                                            automne 2011 / printemps 2012
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