Les relations entre syndicats et associations en Belgique
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Les relations entre syndicats et associations en Belgique : origines et actualité Jean FANIEL∗ La Belgique compte davantage de syndiqués que la France, pour une population six fois moindre1. La nature et le poids du syndicalisme y sont sensiblement différents. Avec un taux de syndicalisation de 60%, les organisations syndicales apparaissent comme des acteurs incontournables du champ social belge. Par conséquent, leurs relations avec les associations diffèrent à certains égards de ce qu’elles peuvent être en France. L’objet de ce texte est de brosser un tableau de ces relations et de son évolution dans le temps avant de s’interroger sur ses perspectives actuelles. Similarités et divergences avec le cas français pourront ainsi être relevées. Complémentarité dans la pilarisation Au début du XIXe siècle, la Belgique est le premier pays du continent touché par la révolution industrielle. Conditions de vie et de travail misérables, infériorité juridique et politique, interdiction des syndicats et faiblesse des salaires caractérisent la condition de la classe ouvrière naissante2. Malgré et à cause de ces difficultés, les ouvriers s’organisent peu à peu et fondent des mutualités, des coopératives et des unions professionnelles. Les rôles de ces organisations ne sont pas toujours clairement définis, les premiers syndicats se dotant par exemple de “caisses de secours mutuel”3, visant notamment à protéger leurs membres en cas de maladie ou de chômage. Peu à peu s’organise une société dans laquelle deux “mondes” distincts coexistent et s’opposent, fondés d’une part autour du Parti ouvrier belge (POB)4, créé en 1885, et d’autre part de l’Eglise et des préceptes contenus dans l’encyclique Rerum novarum de 1891. Chacun de ces deux “piliers”5 entend encadrer la classe ouvrière “du berceau à la tombe”, à travers des syndicats, des mutualités, des coopératives, ainsi qu’une multitude d’associations culturelles, sportives, de jeunes, de femmes, etc.6 Ces différentes organisations, syndicales et associatives, nouent des relations de complémentarité au sein de leur pilier7. Leurs membres sont fréquemment adhérents de ∗ Assistant en sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles (ULB). jfaniel@ulb.ac.be 1 Environ 2,6 millions d’adhérents en Belgique à la fin des années 1990, pour 10 millions d’habitants, contre 2 millions en France. EBBINGHAUS B., VISSER J., Trade Unions in Western Europe since 1945, Londres, Macmillan, cd-rom. 2 Voir NEUVILLE J., La condition ouvrière au XIXe siècle, Bruxelles, Editions Vie ouvrière, 1976-77, 2 vol. 3 CHLEPNER B.S., Cent ans d’histoire sociale en Belgique, Bruxelles, Institut de sociologie, 1956, pp. 112-5, 118 et 129-30. 4 Ancêtre de l’actuel Parti socialiste. 5 Voir LORWIN V.R., « Segmented Pluralism: Ideological Cleavages and Political Cohesion in the Smaller European Democracies », Comparative Politics, New York, vol. 3, n°2, 1971, LIJPHART A. (éd.), Conflict and Coexistence in Belgium. The Dynamics of a Culturally Divided Society, Berkeley, Institute of International Studies, 1981 et SEILER D.-L., « Un système consociatif exemplaire : la Belgique », Revue internationale de Politique comparée, Bruxelles, 1997, vol. 4, n°3. 6 WITTE E., CRAEYBECKX J, La Belgique politique de 1830 à nos jours. Les tensions d’une démocratie bourgeoise, Bruxelles, Labor, 1987, pp. 182-8 et DELWIT P., Composition, décomposition et recomposition du paysage politique en Belgique, Bruxelles, Labor, 2003, pp. 25-7. 7 YERNA J., « Le mouvement ouvrier d’hier à aujourd’hui », Colloque “Associations et Syndicats, quelles complémentarités pour quels changements ?”, Liège, 05/10/2002.
plusieurs d’entre elles à la fois et les partis frères coordonnent (du côté socialiste) ces organisations et en défendent (des côtés socialiste et catholique) les intérêts sur la scène politique. L’étroitesse du lien entre partis, associations et syndicats à tous les niveaux marque assurément une différence avec le cas français. D’idéologie réformiste, le POB et les organisations qui lui sont liées luttent prioritairement pour l’obtention du suffrage universel et pour la liberté syndicale. Ces revendications n’aboutiront qu’au lendemain de la première guerre mondiale. Les syndicats connaissent alors une explosion du nombre de leurs adhérents. Les services qu’ils fournissent à leurs membres, en particulier en matière de chômage, expliquent partiellement ce développement8. Leur présence dans les entreprises y contribue également. Les syndicats parviennent en effet progressivement à se faire reconnaître comme interlocuteurs obligés par les employeurs et leurs organisations9. Sous la pression du mouvement ouvrier, catholique et socialiste, se développe aussi dans l’entre-deux-guerres une série d’assurances sociales. Le rôle des mutualités en est par conséquent renforcé. Les autres associations constituant les deux principaux piliers poursuivent elles aussi leur action. Cette pilarisation structure la société belge de cette époque. Le parti libéral crée également un syndicat et d’autres organisations mais, tout comme les associations “neutres”, “hors piliers”, ces initiatives restent assez marginales par rapport aux structures socialistes et catholiques. Renforcement après-guerre Sous l’occupation, dirigeants syndicaux et patronaux se rencontrent clandestinement pour discuter du modèle socio-économique à mettre en place dès la Libération. Le “projet d’accord de solidarité sociale” auquel ils aboutissent jette les bases du système de sécurité sociale des travailleurs salariés mis en place dès 1945. Les syndicats sont consacrés comme représentants des salariés et comme interlocuteurs incontournables du patronat et du monde politique. La prospérité économique des années d’après-guerre leur permettra d’obtenir des avancées non négligeables, sans pour autant que les employeurs y voient une menace insupportable pour leurs intérêts. L’architecture de la “concertation sociale” se complète progressivement, renforçant encore d’autant le poids des syndicats10. La mise en place de la sécurité sociale confirme également le rôle des syndicats en matière de paiement des allocations de chômage, service qui contribue incontestablement à la forte syndicalisation belge11. Les mutualités voient elles aussi leur existence consacrée par la création de la sécurité sociale, en particulier en matière d’assurance maladie-invalidité. La pilarisation de la société belge est réaffirmée après-guerre. Dès 1945, le “Mouvement ouvrier chrétien” (MOC) chapeaute syndicat, mutualité, coopératives et associations 8 NEUVILLE J., Une génération syndicale, Bruxelles, La pensée catholique, 1959, p. 151 et VANTHEMSCHE G., Le chômage en Belgique de 1929 à 1940. Son histoire, son actualité, Bruxelles, Labor, 1994, pp. 37-9. 9 CHLEPNER B.S., op. cit., pp. 119-28 et 222-4. 10 Voir par exemple ALALUF M., « Le modèle social belge », in DELWIT P., DE WAELE J.-M., MAGNETTE P. (dir.), Gouverner la Belgique. Clivages et compromis dans une société complexe, Paris, PUF, 1999, pp. 217-46. 11 En Belgique, 85% des chômeurs sont syndiqués. ARCQ E., AUSSEMS M., « Implantation syndicale et taux de syndicalisation (1992-2000) », Courrier hebdomadaire du CRISP, Bruxelles, n°1781, 2002, p. 20. 2
chrétiennes12, tandis que l’“Action commune” fédère le “monde” socialiste à partir de 1949, incluant le parti13. Au sein de chaque pilier, la division des tâches entre les différentes organisations est relativement claire. Si les collaborations entre organisations de piliers différents apparaissent parfois, comme en témoigne la pratique de “front commun syndical”, la fusion est par contre rejetée14. Le modèle ainsi décrit diffère considérablement de la situation française, tant par l’organisation de la “société civile”, qu’en ce qui concerne le lien entre partis et organisations syndicales et associatives, l’accès de ces dernières à la prise de décision15 ou encore le poids des syndicats, la nature de leur rôle et les motivations des travailleurs à y adhérer. “Nouveaux mouvements sociaux” et crise économique Par son organisation et ses luttes, la classe ouvrière a obtenu des transformations majeures de ses conditions de vie et de travail. Ses préoccupations se sont élargies. Sa composition s’est également peu à peu modifiée. Et si les appareils syndicaux ne reflètent guère cette tendance, des grèves “spontanées” viennent le leur rappeler : grèves de femmes en 1966, de travailleurs immigrés en 196916. Mais le salariat se réduit de moins en moins aux seuls ouvriers. Les années soixante marquent également l’essor des “nouveaux mouvements sociaux”, portés par les “classes moyennes”17 : pacifistes, tiers-mondistes, féministes, étudiants,… En Belgique, ceux-ci vont bénéficier du mouvement de “dépilarisation” qui se fait progressivement jour, en même temps qu’ils vont le favoriser. Bon nombre de ces nouvelles associations transcendent en effet les piliers et groupent des militants venus d’horizons divers. Quoique contestant ipso facto le monopole que les syndicats avaient en quelque sorte acquis sur le champ social belge, ces mouvements en complètent l’action plus qu’ils ne la remettent en cause. Aussi les relations entre syndicats et associations sont-elles plutôt bonnes dans ce contexte, même si des conflits existent. Les collaborations ne sont pas rares, notamment en ce qui concerne les mobilisations pacifistes ou tiers-mondistes, dans lesquelles les syndicats prendront une part active aux côtés d’associations18. La crise économique survenant au début des années soixante-dix modifie cependant la donne. La progression rapide du chômage, la dégradation des conditions salariales des travailleurs, et 12 Reprenant le travail déjà effectué depuis 1921 par la Ligue nationale des Travailleurs chrétiens (LNTC). WITTE E., CRAEYBECKX J, op. cit., pp. 183 et sq. 13 Lors de sa constitution en 1945 et sous la pression de son aile anarcho-syndicaliste (renardiste) wallonne, la FGTB (Fédération générale du Travail de Belgique) a toutefois proclamé son indépendance par rapport aux partis politiques, ce qui la distingue nettement de son ancêtre d’avant-guerre. Dans les faits, la cohésion de l’Action commune sera dès lors très variable selon les régions et les périodes. 14 Lorsque le syndicat socialiste se reconstitue en 1945, il inclut des composantes communistes et anarcho- syndicalistes, alors que la CSC chrétienne quitte rapidement les discussions. 15 Voir MEYNAUD J., LADRIÈRE J., PERIN F. (dir.), La décision politique en Belgique. Le pouvoir et les groupes, Paris, Armand Colin, 1965. 16 CAPRON M., « La mutation des luttes ouvrières », La Revue nouvelle, Bruxelles, vol. 87, n°4-5, 1988, pp. 29- 38. 17 HELLEMANS S., « Nieuwe sociale bewegingen in de Belgische politiek. Een impressie », Res Publica, Louvain, vol. 35, n°2, 1993, pp. 197-8, HELLEMANS S., HOOGHE M. (red.), Van mei ’68 tot Hand in Hand. Nieuwe sociale bewegingen in België, Louvain, Garant, 1995, et RIHOUX B., MOLITOR M., « Les nouveaux mouvements sociaux en Belgique francophone : l’unité dans la diversité ? », Recherches sociologiques, Louvain- la-Neuve, vol. 28, n°1, 1997, p. 60. 18 RIHOUX B., MOLITOR M., op. cit., pp. 64-7. 3
plus largement l’offensive idéologique néo-libérale vont affaiblir le syndicalisme. Quoique cela ne se traduise guère au niveau du nombre de leurs membres19, les syndicats belges n’échappent pas à cette tendance. Leur position de “partenaire social” du patronat se voit vidée de sa substance par l’évolution de la concertation sociale, qui en vient à gérer l’austérité plus que la répartition des augmentations de richesse produite20. Quand les négociations professionnelles ne cessent pas purement et simplement. Dans certains cas, la proximité des deux grandes confédérations syndicales avec les partis sociaux chrétiens et socialistes contribuera également à enfermer les directions syndicales dans la posture inconfortable de courroie de transmission des politiques gouvernementales d’austérité budgétaire et de modération salariale. A côté des difficultés que connaît le syndicalisme, le “tissu associatif” se développe. Les organisations qui le composent présentent une grande diversité quant à leurs champs d’action, leurs formes de travail, leurs buts, leurs orientations idéologiques, les origines de leurs dirigeants et de leurs membres, la forme de leurs structures, etc. Certaines sont liées aux piliers, tandis que d’autres sont plus autonomes. Ces associations vont peu à peu investir des domaines pas ou peu occupés par les syndicats, voire des terrains délaissés par ceux-ci en raison de leurs difficultés. Certaines d’entre elles bénéficient d’aides publiques accordées dans le cadre de la lutte contre le chômage21, ce qui leur permet d’engager du personnel et de se structurer quelque peu. Parfois, leurs militants sont en même temps engagés dans l’action syndicale. Certains souhaitent ainsi mener différents types de lutte, tandis que d’autres sont déçus par le fonctionnement trop bureaucratique des appareils syndicaux. Un acteur syndical incontournable Si des complémentarités avec les syndicats apparaissent alors, des oppositions, parfois vives, naissent également. Que ce soit par exemple sur les objectifs, ponctuels ou à plus long terme, ou sur les méthodes – concertation avec les pouvoirs publics, mobilisation, etc. Ce développement de l’activité associative pallie certaines failles de l’action syndicale, sert parfois d’aiguillon à celle-ci, et lui nuit également dans une certaine mesure. En effet, face à une multiplication des acteurs en présence, les dirigeants politiques instrumentalisent parfois les associations contre les syndicats. La consultation de “la société civile” permet ainsi d’affaiblir ces derniers22. Cette évolution n’est pas propre à la Belgique. Au cours de la dernière décennie, certaines institutions de l’Union européenne ont consciemment mis en œuvre une série de lieux de discussion dans lesquels les représentants syndicaux se trouvent “noyés” parmi des dirigeants 19 Et ce, en raison notamment du lien particulier entre syndicats et chômeurs déjà évoqué. 20 BOUCKÉ T., VANDAELE K., Het sociale overleg in België, Gand, Academia Press, 2003, p. 59. 21 YERNA J., op. cit. 22 Voir notamment ALALUF M., « Partis, syndicats et citoyens : la gouvernance contre la démocratie », Colloque “Associations et Syndicats, quelles complémentarités pour quels changements ?”, Liège, 05/10/2002, PAYE O., « (Re)penser le politique en (re)découvrant les liens entre syndicats et société civile », in BELLAL S., BERNS T., CANTELLI F., FANIEL J. (coord.), Syndicats et société civile : des liens à (re)découvrir, Bruxelles, Labor, 2003, p. 13 ou ARCQ E., DEROUBAIX J.-C., GOBIN C., « Entre participation et disciplinarisation du social : quel projet politique pour l’Etat belge ? », in PAYE O. (éd.), Que reste-t-il de l’Etat ?, Louvain-la- Neuve, Academia Bruylant, 2004, pp. 68-78. 4
d’associations de nature très diverse, incluant même des organisations issues des milieux économiques23. Le cas belge se singularise toutefois, dans la mesure où le taux de syndicalisation y demeure très important. Par conséquent, les syndicats restent des acteurs qu’il est difficile d’ignorer purement et simplement. Tant pour le monde politique que pour les associations elles-mêmes. Les syndicats belges conservent des moyens humains (en Belgique, aucun type d’organisation ne compte plus de membres que les syndicats) et financiers conséquents, ainsi qu’un poids politique important dans certaines matières. Ils n’hésitent par ailleurs pas à se prévaloir de cette large représentativité pour affirmer leur place incontournable face aux associations24. De leur côté, celles-ci avancent leur meilleure connaissance concrète de certains terrains (en matière d’environnement, de lutte contre la pauvreté,…), leur “expertise” en certaines matières, de même que leur souplesse – par opposition au caractère lourd et bureaucratisé prêté aux syndicats de manière parfois un peu caricaturale – pour affirmer leur présence et leur utilité dans le champ social contemporain. Vers de nouvelles complémentarités ? Face à la montée en puissance du “monde associatif”, et devant la persistance de la forte implantation syndicale, apparaît progressivement chez certains militants et dirigeants de ces deux “sphères” la volonté d’établir des collaborations plus systématiques et plus suivies. Ce genre de pratique n’a rien de neuf, comme cela a été montré plus haut. De telles concertations et actions communes ont déjà existé, que ce soit à travers les piliers d’abord, ou plus tard sur des questions comme celle de la lutte pour la paix. De nombreux militants de base sont en outre actifs sur le plan syndical et associatif. Ce qui semble en revanche plus neuf est la volonté de certains responsables associatifs et syndicaux de tracer des collaborations plus régulières sur des terrains où la rivalité était davantage de mise. C’est ainsi que certains responsables syndicaux régionaux ont par exemple participé – non sans tensions – aux activités du groupe belge des Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions en 1997-9925. Mais c’est surtout le développement de l’“altermondialisme” qui renforce cette recherche de convergences, et la facilite en même temps. Etant donné le caractère incontournable des syndicats sur la scène socio-politique belge, un mouvement altermondialiste n’a en effet de chances de se développer en Belgique qu’à la condition d’impliquer, au moins partiellement et ponctuellement, les organisations syndicales. D’autre part, l’occupation par la Belgique de la présidence de l’Union européenne durant le second semestre 2001 a favorisé les contacts, notamment dans la préparation des manifestations organisées en marge des sommets. Ces éléments ont souligné la nécessité d’opérer de tels rapprochements entre syndicats et associations. 23 VAN KEIRSBILCK F., « Entre le peuple et le pouvoir. Syndicats et organisations populaires », in BELLAL S. et al., op. cit., p. 136 en fournit un exemple par rapport à une autre institution internationale, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). 24 Voir BELLAL S. et al., op. cit., deuxième partie. 25 FANIEL J., « Le Collectif belge des Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions : entre mobilisation et expertise », papier présenté lors du colloque Les mobilisations antimondialisation, Paris, 05/12/2003. 5
Ces contre-sommets et, plus encore, le développement des forums sociaux à différents niveaux, du mondial au local, facilitent quant à eux les contacts et les discussions entre organisations de ces deux horizons. Souvent de manière ponctuelle, mais avec certaines initiatives plus instituées et s’inscrivant dans le long terme26. La diversité associative, ainsi que les stratégies de certaines composantes des directions syndicales font cependant que ces rapprochements ne vont pas de soi. L’organisation des manifestations lors de la présidence belge de 2001 illustre bien les tendances divergentes à l’œuvre. A Liège, en septembre, la coordination s’est faite entre syndicats et associations, débouchant sur un cortège commun. Le mois suivant ont eu lieu à Gand, au même moment et de manière concurrente, deux défilés : l’un syndical, l’autre associatif. Enfin se sont déroulées à Bruxelles en décembre une manifestation syndicale mise sur pied par les organisations belges et la Confédération européenne des syndicats (CES) puis, le lendemain, une manifestation associative. Bien des militants “de base” ont défilé les deux jours. A l’inverse, en avril 2002, la CSC wallonne a convié des représentants associatifs à une journée de débat et de confrontation. Si d’aucuns ont pris cela pour une opération de séduction, voire de bluff, il n’en demeure pas moins qu’une telle rencontre, initiée par un sommet syndical, reste à ce jour assez exceptionnelle mais illustrative de certains changements. Enfin, il semble que les thématiques européennes et internationales permettent parfois davantage les collaborations entre syndicats et associations que ne l’autorisent les questions nationales, sur lesquelles les sensibilités sont souvent plus vives, et les “prés carrés” à défendre, mieux identifiés et protégés. C’est ainsi que se sont produites en 2003 et 2004 des mobilisations, ponctuées par des manifestations, concernant l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) et le projet de directive dite “Bolkestein” sur les échanges de services au sein de l’Union européenne. Préparées en commun, ces manifestations ont vu défiler des militants actifs dans le cadre associatif, syndical, voire des deux côtés à la fois. Conclusion L’histoire des relations entre syndicats et associations en Belgique est ancienne. Leurs rapports se sont toutefois considérablement modifiés au fil du temps, présentant un visage nettement différent aujourd’hui de ce qu’ils ont pu être dans le contexte de la pilarisation présentée au début de ce texte. La société dans laquelle évoluent ces acteurs a également connu des transformations substantielles. Cela a un impact certain sur les combats menés, sur la physionomie des groupes actifs dans ces luttes, ainsi que sur les relations se nouant dans ce cadre entre associations et syndicats27. L’observation des rapports entre ces deux sphères du militantisme met clairement en lumière la coexistence de complémentarités et de concurrences, de collaborations et de conflits entre syndicats et associations. La nature de ces relations varie en fonction des thématiques 26 A ce titre, la coordination “D’autres mondes”, qui regroupe à Liège quelque 90 associations, dont les deux grandes organisations syndicales, et accomplit un travail régulier et substantiel, est considérée par certains comme un modèle du genre. Voir PLEYERS G., « Le mouvement altermondialiste liégeois », papier présenté lors du colloque Les mobilisations antimondialisation, Paris, 04/12/2003. 27 Un bon exemple est fourni par ALALUF M., DE SCHUTTER R., « La régularisation des travailleurs clandestins (1974-2002) », in BELLAL S. et al., op. cit. 6
abordées, ainsi que des niveaux examinés. Si de nombreux militants sont impliqués dans les deux sphères à la fois, ce qui facilite les rapprochements à la base, les logiques d’appareils sont souvent plus difficiles à mettre en connexion. D’autre part, la défense de la paix fédère les organisations syndicales et associatives de manière plus consensuelle que celle, par exemple, des chômeurs. Ce qui ressort assurément de cette étude, et qui met en lumière la différence majeure du cas belge par rapport à celui du voisin français, est le poids des organisations syndicales sur la scène socio-politique. Cet élément en fait des acteurs incontournables pour les associations qui cherchent à développer une action d’une certaine ampleur – à tout le moins en ce qui concerne certains sujets28. Ainsi, plusieurs dizaines d’associations se sont regroupées ces dernières années pour lutter contre les projets gouvernementaux de réforme du droit au revenu minimum (équivalent du RMI)29, ou de contrôle des chômeurs. Capables de définir des positions de manière autonome et de mobiliser un certain nombre de personnes, ces associations ont néanmoins perçu la nécessité d’entraîner les syndicats dans leur combat afin de lui donner l’ampleur voulue. Mais les organisations syndicales – pas plus que le “monde associatif” – ne forment des blocs monolithiques. Différentes logiques étant à l’œuvre, certaines sections syndicales régionales ou professionnelles ont soutenu le combat – radical, de rejet des textes gouvernementaux – de ces associations, tandis que leurs directions nationales privilégiaient la voie de la négociation avec le pouvoir politique en vue d’“adoucir” les réformes présentées. Ce qui indique au passage que les liens entre syndicats et acteurs politiques n’ont pas disparu. Constituant visiblement une étape nouvelle dans les relations entre syndicats et associations, y compris en Belgique, il faudra voir si l’altermondialisme et les collaborations qu’il facilite et encourage au niveau international aura des effets croissants et durables sur le terrain national et local. 28 L’effet de cette différence du poids syndical entre la Belgique et la France est examiné en ce qui concerne la mobilisation des chômeurs dans FANIEL J., « The Unemployed in Belgium and France. A Different Way of Mobilizing », papier présenté lors 15ème congrès mondial de l’Association internationale de sociologie, Brisbane, 09/07/2002. 29 FANIEL J., « Associations et syndicats face à la réforme du minimex », in BELLAL S. et al., op. cit. 7
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