Littérature étrangère - Nuit blanche
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Document generated on 09/10/2023 8:29 p.m. Nuit blanche Littérature étrangère Number 55, March–April–May 1994 URI: https://id.erudit.org/iderudit/19575ac See table of contents Publisher(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (print) 1923-3191 (digital) Explore this journal Cite this review (1994). Review of [Littérature étrangère]. Nuit blanche, (55), 17–21. Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1994 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
échos qui se répondent d'un E T R A N G E R E l-ranç l chapitre à l'autre, le roman Jpn* °7^lala ****** épouse la forme planche contact dont chaque d'une image révèle un détail, une partie de l'ensemble, mais dont l'ensemble lui-même échappe au regard. Et l'on sent chez Patrick Modiano le même souci de bien cadrer son sujet, de s'en approcher sans le braquer, de le capter tel qu'il est, ou plutôt tel qu'il LA VUE RETROUVEE le perçoit : « Il pensait qu'un Jaan Kross photographe n'est rien, qu'il Trad. de l'estonien doit se fondre dans le décor et par J.-L. Moreau devenir invisible pour mieux Robert Laffont. 1993, travailler et capter — comme 299 p.; 37,50$ il disait — la lumière natu- relle.» L'Estonien Jaan Kross, au- teur du remarquable Départ Et toujours chez Patrick du Professeur Martens (Ro- Modiano cette petite mu- bert Laffont, 1990) — il a ac- sique discrète qui porte à rê- cédé depuis au statut mérité ver, à s'abandonner au seul de « nobélisable » —, gardait pouvoir des mots. en veilleuse ces sept nouvelles PATRICK MODIANO Jean-Paul Beaumier rédigées entre 1979 et 1982 qu'il ne publia, dans leur ver- Chien sion originale, qu'en 1988. de Printemps Les textes sont regroupés ici non pas suivant l'ordre chro- JEAN-JACQUES ET LE PLAISIR _...«> vw f ° s l Françoise Lalande nologique de leur rédaction, mais selon la progression Belfond, 1993,189 p.; 25,95$ temporelle du récit qu'en- Pourquoi Françoise Lalande semble ils composent. De l'un s'est-elle attachée à raconter à l'autre une seule voix se fait toire est trop forte, l'oppres- l'enfance de Jean-Jacques entendre, celle de Peeter Mirk, qui raconte certains épisodes bouleversants d'une seur trop vicieux, le destin inéluctable. Seule la dernière nouvelle offre un espoir, celui I É D I T I O N S DU SEUIL Rousseau, alors que l'écrivain lui-même a retracé cette pé- riode de sa vie dans le Livre I existence perturbée, depuis de voir certains individus, un des Confessions ? Peut-être se l'enfance jusqu'à l'âge adulte, peuple tout entier, souffrant demande-t-elle qui lit encore par la guerre et l'occupation. d'un « obscurcissement de la les Confessions ! On imagine Peeter Mirk, bien sûr, c'est vue », recouvrer enfin la vi- qu'elle a longuement fré- pour beaucoup Jaan Kross sion. Alors, tout autant que lui. » Ainsi s'amorce la lente quenté les écrits de Jean- lui-même qui, par son œuvre son talent, c'est la prescience remontée dans le temps, l'en- Jacques Rousseau, qu'elle le à la fois poétique et roma- étonnante de Jaan Kross qui quête, quasi policière par mo- connaît et l'apprécie. Mais nesque, qu'il qualifie d'« au- nous fascine. ments, menée par le narra- elle n'écrit pas une biogra- tobiographique élargie », té- teur dès lors qu'il entreprend phie, elle écrit un roman, qui moigne, à travers le destin Catherine Sensal de nous relater l'histoire de donne vie aux faits relatés individuel de ses person- ce photographe de presse dans les Confessions, en pre- nages, du sort infligé à toute rencontré par hasard dans un nant pour cadre le climat de une nation au cours de ce café de la place Denfert- l'époque, les caractéristiques siècle. CHIEN DE PRINTEMPS Rochereau quelque trente bien particulières de la fa- Depuis le grand-père obs- Patrick Modiano ans plus tôt. La photo du nar- mille d'Isaac Rousseau, le pu- tiné, en butte à un adminis- Seuil, 1993,120 p.; 23,95$ rateur prise ce jour-là, accom- ritanisme de Genève et le trateur borné, jusqu'aux pri- D'abord, quel beau titre! pagné d'une amie, agit contrôle sévère exercé par le sonniers des geôles russes, en Chien de printemps. À la me- comme détonateur du récit, Consistoire sur les calvinistes passant par les camarades qui sure des fausses promesses comme prétexte à sonder le de la ville. À se demander cherchent à fuir vers la Fin- des morsures laissées par les temps dans une ville qui nous même si elle n'a pas contrôlé lande pour éviter l'embriga- souvenirs du passé. Chien de paraît presque immuable. À son écriture pour rester dans dement dans les forces d'oc- printemps, une expression à la manière d'un puzzle, les l'esprit du XVIIL siècle qu'a cupation, les personnages de l'image de Francis Jansen chapitres s'imbriquent les uns connu Jean-Jacques Rous- Jaan Kross connaissent tous dont le narrateur cherchera à dans les autres, sans nécessai- seau (1712-1778). Miracle, une fin tragique. Le jeune nous restituer l'histoire et, ce rement respecter une logique elle nous pousse à fouiller Mirk, quant à lui, peut-être faisant, il nous livrera la d'ensemble, pourcerner ici le dans de vieux manuels sco- parce que survivant à tout, est sienne. visage d'un inconnu et, au- laires pour retrouver des tenaillé par la culpabilité, «J'ai connu Francis Jan- delà des apparences phy- textes de l'écrivain! sentiment qui revient de fa- sen quand j'avais dix-neuf siques, d'un homme qui de- Quels sont les traits les çon lancinante dans presque ans, au printemps de 1964, et meure insaisissable, inacces- plus frappants de l'enfance de tous les récits: aurait-il dû? je veux dire aujourd'hui le sible. Par son découpage, son Rousseau? D'abord, la pas- aurait-il pu? Et si? Mais l'his- peu de choses que je sais de rythme et par les multiples sion de la lecture. Il apprend • NUIT BLANCHE 17
toire de l'Inde du XX e siècle E T R A N G E R E qui fait ici office de fil con- ducteur. C'est donc l'Histoire de la domination anglaise, des actions non violentes de désobéissance civile inspirées et animées par Gandhi, de la partition de territoires entre l'Inde et le Pakistan qui sera un état musulman, de P Indé- pendance et de l'arrivée au pouvoir de Nehru en 1947 et, plus tard, de sa fille Indira Gandhi. Il est d'ailleurs rela- tivement aisé d'identifier les à lire en jouant avec des personnalités indiennes que plaques de bois sur lesquelles l'auteur fait évoluer sous des lettres sont dessinées. Il y d'autres noms. Le texte s'ins- a beaucoup de livres dans la pire aussi de récits plus an- maison! Sa mère lisait tous ciens, du Mahabharata, vaste les jours, à voix haute, dans poème épique qui sert encore l'atelier d'horloger où travail- de référence à la pensée in- lait son époux; elle partageait dienne contemporaine. Le aussi ses lectures avec ses roman lui-même est découpé amies. Est-ce en souvenir de à la manière du poème, et Suzanne qu'Isaac Rousseau une trentaine de pages sont lira à haute voix pour meubler SHASHI THAROOR écrites en vers! Par ailleurs, les soirées familiales, passant toute l'atmosphère est mani- même la nuit avec Jean- Le Grand Roman festement romanesque. Le Jacques pour terminer un indien narrateur de quatre-vingt- livre? Ils aiment les histoires huit ans a vécu de près les d'amour aussi bien que les événements, a même accom- écrits de Plutarque! Quand pli certaines tâches ministé- Isaac quitte Genève, il confie rielles; il dicte ses mémoires à l'enfant de dix ans à l'oncle un scribe silencieux, mais on Gabriel qui le met en pen- CHARLES hésite à croire tout ce qu'il sion, ainsi que son propre fils, Jean-Michel Béquié dit! Les personnages cen- à Bossey, chez le pasteur Minuit, 1993,133 p.; 13,95$ R O M A N traux sont rattachés à la Lambercier et sa sœur Ga- même famille, celle de Gan- brielle. Les deux cousins y dé- Quel beau livre ! C'est le récit dhi et du narrateur; d'où une couvrent le calme de la cam- d'un vieil homme qui vit seul ÉDITIONS DU SEUIL certaine gêne, l'impression pagne, les merveilles de la avec ses souvenirs. Cet que l'Histoire de l'Inde est nature, la « libre joie de homme, François, ne s'est ja- presque une histoire fami- vivre », les longs moments de mais remis de la mort de son liale. Les événements poli- rêverie couchés dans l'herbe. fils aîné, Charles, il y a plus de tiques relatés sont vérifiables, Une amitié sincère se déve- cinquante ans. Ni sa femme ni mais on est tenté de réserver loppe entre eux, au grand ses enfants n'ont réussi à le ti- l'amoindrissement, est im- son jugement sur les intrigues plaisir de Jean-Jacques qui a rer du lieu où il s'est retiré pressionnante : on croirait de palais, les caractéristiques toujours ressenti le besoin de après le drame pour s'évader l'auteur très vieux et faisant prêtées aux protagonistes, et plaire et d'être aimé. Il dé- des vivants. lui-même face à ces pro- autres détails anecdotiques. couvre de plus le plaisir dans Dans son univers, presque blèmes. On ne peut qu'être Par ailleurs, sont très éclai- son corps le jour où Gabrielle tout s'est arrêté; l'homme se étonné d'apprendre que c'est rants les commentaires, an- lui administre les fessées mé- contente de regarder par la son premier ouvrage... et qu'il noncés par les mots : « Nous ritées après une bataille entre fenêtre les enfants autour de a trente-cinq ans à peine ! Le les Indiens... ». Ils dessinent garçons à coups de pêches l'école maternelle voisine et bonheur pour nous est de sa- peu à peu, à larges traits, une bien mûres! Quand son cou- de vaquer à de menues tâches voir qu'il y aura sans doute un image de la vie dans ce pays; sin entame des études plus sé- ménagères, qui l'horripilent prochain roman qu'on atten- s'y révèle l'empreinte du fa- rieuses à Genève, Jean- de plus en plus. dra avec impatience. talisme hindou pour lequel Jacques est placé en appren- Son fils Frédéric tente de tissage chez un graveur; il en communiquer avec lui, en Francine B. Pelletier certains problèmes ne peu- vent être résolus et dont il est très humilié. Il apprend le vain : il n'a plus rien à donner. faut s'accommoder, en leur mensonge, la fainéantise, le Sa fille l'a compris et donnant d'autres noms; y ap- vol, et mérite souvent le n'éprouve plus pour son père LE GRAND ROMAN INDIEN paraît cette facilité qu'a l'In- fouet. C'est dans l'histoire de qu'un sentiment tenant da- Shashi Tharoor dien de découvrir plusieurs Robinson Crusoé, où il croit vantage du devoir filial que Trad. de l'anglais facettes à chaque question, lire sa propre histoire, qu'il de l'émotion. par Christiane Besse une conscience instinctive de puise le courage de quitter L'écriture de Jean-Michel la subjectivité, de la relativité Seuil, 1993, 520 p.; 39,95$ Genève. Finie l'enfance! Il Béquié est dépouillée et bel- du jugement et de l'impossi- est seul, sans ressources, il a le. On est touché par le récit Ce livre tient à la fois de bilité de l'action. Ces seize ans! sans complaisance de ce vieil- l'Histoire, de la légende et du commentaires permettent de lard encore très lucide. La roman ! L'auteur respecte, comprendre le genre de Monique Grégoire description de la vieillesse, de dans ses grandes lignes, l'His- 18 NUIT BLANCHE
démocratie mis en place dans teur que le titre annonce sans le pays et ses difficultés à con- ambages : il s'agit bien de naître les besoins du peuple. « corps célestes ». Nicolas «Cela est mon histoire à Bréhal a avant tout voulu moi de l'Inde que je connais, échapper au prosaïsme de la avec ses préjugés, choix, condition humaine comme le omissions, déformations, tous laisse entendre cette réflexion miens. Mais on ne peut pas ti- de Baptiste : « S'il n'y avait rer sa cosmogonie d'une seule pas le ciel au-dessus de nous, naissance, Ganapathi. Cha- qui nous appelle sans cesse que Indien doit porter à ja- vers l'infini, nous nous con- mais avec lui, dans sa tête et tenterions sans ennui des ron- son cœur, sa propre histoire deurs de la terre. Hélas, nous de l'Inde. » subissons sans cesse la tenta- Comment fait-on la part tion de l'au-delà, et celle d'es- des choses quand on vit à sayer d'être parfois ce que l'autre bout du monde? nous ne sommes pas. [...] C'est contre l'état de pous- Monique Grégoire sière qu'il nous arrive parfois de nous opposer au destin. » LES CORPS CÉLESTES Jean-Paul Beaumier Nicolas Bréhal Gallimard, 1993, 233 p.; 19,95$ Prix Renaudot 1993, Les corps célestes nous plonge au cœur UNE PLACE AU SOLEIL de l'amitié qui lie deux Driss Chraïbi hommes, Baptiste et Vincent, Denoël, 1993,143 p.; 23,30$ autour de qui gravitent deux Driss Chraïbi est, avec Ah- femmes : Mathilde, l'épouse mad Sefrioui, l'écrivain maro- de Vincent, et Constance, sa cain de langue française qui a maîtresse. La texture même su le mieux sonder la nature des personnages mis ici en du processus d'acculturation scène relève du romanesque à l'œuvre dans son pays. Sa (comme on dirait du théâtral, perspicacité lui a d'ailleurs at- du cinématographique), en ce tiré les foudres des traditio- sens qu'ils sont investis d'une nalistes, car elle lui a permis, mission, qu'ils évoluent avant dans La Civilisation, ma tout pour traduire la pensée mère!... par exemple, de de l'auteur sur l'amitié entre mettre en lumière plusieurs deux hommes, sur la vie, l'a- contradictions flagrantes mour et la mort. Méditation dans les structures de la so- romancée, superbement, cer- ciété marocaine. Certaines de tes, mais qui ne manque pas ces contradictions ont eu d'agacer par moments tant la d'ailleurs des effets non négli- mise en scène est parfaite, geables sur le célèbre conflit trop, justement, d'autant qu'il au Sahara. Aussi étonnantes manque aux personnages un et divertissantes qu'elles caractère propre qui nous eût soient, les aventures de l'ins- fait croire davantage à leurs pecteur Ali, personnage ro- sentiments, à leur quête per- cambolesque s'il en est, ne sonnelle, à leur destinée. mettent toutefois nullement Nulle place ici pour l'humour dans l'ombre la critique poli- qui permet souvent une saine tique. Aucun dérapage n'est distanciation. Les person- ici gratuit. Les noms de Clin- nages trahissent leur enve- ton Bill, Marchais Georges, présenté par Robert Laffont loppe romanesque, leur eva- Arafat & Rabin, Fafka ou • nescence. Ils appartiennent à Kissinger Henry renforcent la un autre monde, celui de la chaîne de valeur ajoutée, car "J'ai rencontré Laurence Ink au cours d'un voyage de pêche fiction, et ce n'est absolument ils projettent les enquêtes de au Québec... Je ne pensais pas, au soir d'une longue carrière pas ce qui gêne — bien au notre agent très spécial sur la contraire —, mais tant d'in- scène mondiale de l'exploita- d'éditeur, que j'aurais encore l'occasion de m'émerveiller de sistance de la part de l'auteur tion. la façon dont les destins se croisent. C'est un grand mystère à les enfermer dans le rôle Comme il se doit, Driss qu'une promenade en bateau aboutisse à l'éclosion d'un qu'il leur a assigné a pour ef- Chraïbi fait du détective le talent véritable." fet de les apparenter à des personnage central de son stéréotypes romanesques et polar. Plus proche toutefois c'est peut-être là le hic : l'aura du Nestor Burma de Léo du panthéon plane au-dessus de Baptiste et de Vincent. Mallet que des Dupin, Sher- lock Holmes, John Thorndy- Robert Laffont Mais c'est là un choix d'au- ke, Maigret ou Sam Spade, ». NUIT BLANCHE 19
• I1IM'7UT! verdeur, les personnages ju- E T R A N G E teux, leur présence déborde tous les cadres, envahit l'es- pace, nous contraint à en faire le tour pour continuer la lecture. Le contexte, la lan- gue, l'imaginaire, tout pour- rait nous perdre en chemin, mais non. Les mots, parfois inconnus, souvent insolites, sont tellement portés par Ali nous plonge, humour l'ensemble que le sens nous caustique aidant, dans l'évi- en arrive sans effort ; ils véhi- dente et complexe réalité du culent une vie intense malgré Maghreb. « Je ne suis pas un les situations parfois tragi- détective de roman policier, ques qu'ils décrivent. Gisèle explique-t-il au PDG d'une Pineau réussit à nous entraî- certaine Banque centrale, ner de notre plein gré et en mais un inspecteur de police tout contentement dans sa dans la vie réelle, ici et main- « drive », cette histoire d'une tenant. » Cette vie, c'est celle famille guadeloupéenne, il- du XX e siècle déclinant, où lustrée par l'ancêtre baiseur même l'éthique (ou les dis- devant l'Éternel qu'il appelle cours qui en tiennent lieu) est à son secours, le fils boiteux et devenue une arme secrète du ses dons qu'il perdra dans le pouvoir. Ali, c'est sa force, rhum, sa femme aux deux jouit donc de l'impunité la mères, ses enfants héritiers plus sûre, l'absurde ayant d'une malédiction, et les com- force de loi. Dans ce contexte, parses de Haute-Terre ou de ce sont toutefois moins ses Pointe-à-Pitre. Ce parcours enquêtes dans les bouges les poétique devient pour nous plus horribles et les clubs les une initiation à une culture plus cotés qui le mettent sur qui s'enracine en pleine na- les dents que ses investiga- ture. tions sur lui-même. « J'ai drô- lement lutté pour ne pas être chirurgicale, la relation qui Blanche Beaulieu suspect à mes propres yeux, s'amorce entre Claire et Tho- comprenez-vous ? » Bien sûr ! mas nous est livrée. Les arri- Giséle Pineau Quand le langage n'a plus vées et les départs. Les atten- LA GRANDE DRIVE d'alibi à invoquer, toutes les tes. Les interrogations de DES ESPRITS improvisations sont permises. Claire sur « sa femme », ses ADIÔS A MAMÂ enfants, sa vie. La description Reinaldo Arenas Michel Peterson ne laisse ici place qu'à l'essen- Trad, de l'espagnol (Cuba) tiel. L'épuration frôle par par Liliane Hasson moments le synopsis : phrases Le Serpent à plumes, 1993, 151 p.; 24,95$ SA FEMME courtes, rythme saccadé, choix du détail. Puis la révéla- Depuis que la fille de Fidel Emmanuèle Bernheim Castro, Alina Fernandez Re- tion : Thomas n'a ni femme ni Gallimard, 1993,113 p.; 15,85$ vuelta, a « secrètement » fui enfants. Il ne peut plus se pas- Claire est une jeune médecin. ser de Claire, voudrait qu'elle vraiment! Non, ce n'est pas l'île de son enfance avec un Elle vit seule. Par choix. De devienne « sa femme ». La un pays de rêve, la vie qu'on passeport espagnol en lais- temps à autre, Michel, avec chute relève ici davantage de nous décrit est dure, nous sant derrière elle sa fille de qui elle vivait auparavant, lui la nouvelle que du roman. Et n'en supporterions pas le seize ans, les élucubrations rend visite. Il a un double de fait immanquablement sou- quart. Non, l'auteure ne dé- les plus saugrenues sont per- ses clés, se sent chez lui chez rire. crit pas des paysages fabu- mises sur le sort qui attend elle. Il se croit toujours leux, des fêtes spectaculaires. Cuba. En décembre dernier, l'homme de sa vie, la pré- Jean-Paul Beaumier Il semble pourtant que le le Time titrait : « Le Cuba de sence rassurante dont Claire plaisir, une sorte de délecta- Castro, La fin du rêve. » Il y a a besoin. Jusqu'au jour où tion, naisse de tout : du bon- pourtant plusieurs années Claire se fait voler son sac et, heur, mais aussi du malheur, que le rêve n'est plus de mise par sécurité, fait changer la LA GRANDE DRIVE de la morale des uns comme et Reinaldo Arenas avait été, serrure de son appartement. DES ESPRITS de la licence des autres, de avec quelques rares intellec- Exit Michel. Entrée en scène Gisèle Pineau l'innocence autant que de la tuels cubains (dont Jorge de Thomas, l'homme qui lui a Le Serpent à plumes, 1993, fourberie, de la Bible antido- Valls, emprisonné durant ramené son sac, sa liberté. 226 p.; 24,95$ te ou de la sorcellerie rassu- vingt ans), l'un des premiers à Thomas est marié, père de La Guadeloupe, l'image rante. Et le triomphe de ce ré- dénoncer le régime. deux enfants. Il est entrepre- qu'on en avait — à moins d'y cit, c'est la fête du langage Dans « Traître », texte neur. Il met toujours trois être allé, les références n'a- qu'il nous offre une page écrit en 1974 et qui ouvre sucres dans son café, ne reste bondent pas — ne sera plus après l'autre. Les images sont Adiôs a mamâ, nous sommes jamais plus qu'une heure et jamais la même après cette là, d'une richesse, d'une sur- déjà dans l'après-Castro : quart chez Claire. Par petites Grande drive des esprits de Gi- abondance confondantes, les « Le système a changé de tranches, de façon presque sèle Pineau. Le ravissement descriptions sont pleines de nouveau. Ah, maintenant, 20 NUIT BLANCHE
tous les gens sont des héros. pays » (il s'agit bien de MEXIQUE ficelles. On évite à peine l'é- Maintenant tous les gens, Cuba...) ou « La fin d'un James A. Michener parpillement. paraît-il, étaient contre. » conte ». Dans « La comète de Presses de la Cité, 1993, Beaucoup, à l'opposé, Arenas était-il cynique, ou vi- Haley », Reinaldo Arenas re- 555 p.; 29,95$ s'étonneront que James A. sionnaire? Ni l'un ni l'autre. joue cette fois le mystère tra- Michener fasse de la tauro- Il était simplement réaliste : gique de La maison de Bemar- Même s'il dorlote un peu trop machie son fil conducteur. De « J'entends parler de nouveau da Alba du grand Garcia son public américain et même fait, tout autre que Michener de liberté. À grands cris. C'est Lorca, non sans faire déraper s'il sépare ici avec plus que sa se serait cassé le cou à pré- mauvais signe. Quand on crie le texte original en y ajoutant prudence coutumière la réali- tendre résumer dans l'affron- de cette manière: 'Liberté!' des touches comiques qui té et la fiction, James A. Mi- tement entre deux toreros, en général, ce que l'on sou- confinent au fantastique ou, chener porte néanmoins sur l'un indien, l'autre de type es- haite, c'est l'inverse », ra- ce qui revient au même, au l'histoire et la culture mexi- pagnol, le caractère hybride conte une vieille femme au délire, les femmes et les caines un regard chaleureux, du Mexique. Si James A. Mi- narrateur, un homme parti à étoiles se liant sous les yeux crédible et pénétrant. Pudeur chener réussit sa fascinante la recherche de son père, bio- de « La Grande Force » (c'est ou habileté, il évite d'accor- parabole, c'est qu'il a saisi, graphe des hauts dirigeants le titre de l'autre nouvelle), der à une ethnie identifiable par-delà le rituel faussement du parti. Une fois dissipées qui constate avec dégoût que l'honneur de constituer sportif de la corrida, la place les illusions, restent l'attente, le genre humain n'est qu'une l'épine dorsale de son récit, que le Mexique, d'accord sur la mort et les « mémoires », monstruosité, inutile à l'uni- mais il en profite pour puiser ce point avec l'Espagne, ac- lesquelles s'expriment à tra- vers. largement dans la diversité corde à la mort. À travers la vers le réalisme merveilleux Oui, comme on s'y attend qu'affichait le Mexique avant tauromachie, James A. Mi- ou les hallucinations, comme depuis au moins vingt ans, les le déferlement européen. Il chener rappelle que l'Espa- c'est le cas tout autant dans la grands quotidiens et les pousse l'ambition jusqu'à in- gne de Lorca et de Sénèque, superbe et faulknérienne grands magazines titreront corporer à son récit des frag- de Vélasquez et du Greco a nouvelle éponyme que dans bientôt: «Cuba coule en ments de l'histoire espagnole transmis au Mexique une « Il se passe quelque chose flamme au milieu du lac Lé- et américaine. Il en paiera le double certitude : la mort sur le dernier balcon », « La man ! ». On pourra enfin dé- prix, car il lui faudra déployer nous frôle sans cesse; tôt ou tour de verre », les quatre ta- noncer... tout son art pour voiler le ca- tard, sa corne frappera. bleaux des « Mémoires du ractère artificiel de certaines Michel Peterson Laurent Laplante Prix Fémina 1993 «Marc Lambron signe un roman dense et emporté, un des MARC LAMBRON ouvrages les plus remarquables de la rentrée littéraire. (...) Au-delà d'une biographie romancée, Marc Lambron a signé un roman d'amour à une belle absente, et il a fabriqué un L'œil du silence roman d'évasion pour tenter de la rejoindre.» Robert Lévesque, Le Devoir «Marc Lambron réincarne Lee Miller tout autant qu'il la change, bref: il revit cette femme, se glisse en elle et nous entraîne avec lui. Je suis séduit, très séduit par ce livre. (...) C'est le roman d'un écrivain séducteur, séduit par la plus séduisante des statues vivantes de l'élégance et de la beauté. Chapeau.» Jacques Folch-Ribas, La Presse FEMINA «Un roman d'évasion... Tumultueux à souhait, brillant, enlevé... construit et écrit avec talent et savoir-faire...» 1993 Patrick Kéchichian, Le Monde Flammarion Flammarion NUIT BLANCHE 21
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