LIVRE BLANC CONCERNANT LA DÉRIVE JURISPRUDENTIELLE DE LA RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE DES ARCHITECTES
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LIVRE BLANC CONCERNANT LA DÉRIVE JURISPRUDENTIELLE DE LA RESPONSABILITÉ PROFESSIONNELLE DES ARCHITECTES CONSTAT, ANALYSE ET PROPOSITION DE LOI par Isabelle PERRIN - Olivier CELNIK - Jean-François ESPAGNO architectes septembre 2012
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 1 SOMMAIRE Préambule 2 INTRODUCTION 3 Condition d’exercice des missions d’architecte 3 Jurisprudence 5 1 - LA NATURE DE L’ENGAGEMENT CONTRACTUEL DES ARCHITECTES 17 Quelles sont les compétences des architectes ? 17 La mission de conception des architectes est de créer de l’architecture 19 Suivre un chantier et non le diriger 20 Les interventions de conseils auprès du maître d’ouvrage 24 Pourquoi nous ne sommes pas des constructeurs 25 Une définition de l’engagement contractuel des architectes 27 2 - LES TEXTES QUI REGISSENT LA PROFESSION D’ARCHITECTE 28 La Loi du 3 janvier 1977 28 Le Code des Devoirs Professionnels 30 La Loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients et la responsabilité des médecins 33 3 – PROJET DE LOI 35 La définition de la mission des architectes 35 _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 2 PRÉAMBULE L’augmentation perpétuelle des responsabilités des architectes inquiète toute notre profession. Nous sommes devenus les boucs-émissaires qui devons assumer des erreurs dans les domaines les plus variés et les plus éloignés de notre mission. Un cercle vicieux impose aux architectes des primes d’assurance toujours alourdies afin de répondre aux mises en cause par les juges qui les condamnent parce qu’ils les savent bien assurés, même si les fautes, toujours plus couteuses, sont commises par des tiers. Les architectes, bien naturellement, recherchent maintenant toutes les parades juridiques, même artificielles, pour tenter de se prémunir contre cette dérive envahissante. Quitte à abandonner une part essentielle de notre mission : le chantier, ce qui nous fait perdre notre âme. Les lois qui régissent notre profession sont anciennes, elles ne correspondent plus à la réalité de la construction aujourd’hui. Un nouveau cadre législatif clair et juste permettrait bien mieux de déterminer de façon véritable les responsabilités de chaque intervenant dans l’acte de construire et les architectes pourraient sereinement accomplir leur mission. C’est le propos de ce Livre Blanc, qui tente d’agréger les points de vue de trois architectes ayant bien naturellement leur propre expérience et leur propre réflexion. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 3 Introduction CONDITIONS D’EXERCICE DES MISSIONS D’ARCHITECTE « L’architecte est un bouc émissaire facile. » Philippe Trétiack – « faut-il pendre les architectes ? » Seuil, 2001 Si la réalité juridique du métier d’architecte existe depuis peu (l’Ordre des Architectes date des années 1940-45), la fonction de « maître d’œuvre » est très ancienne, plusieurs fois millénaire. Elle est apparue avec la construction des premiers bâtiments d’importance, car elle en est un élément essentiel, incontournable. Il faut un chef d’orchestre pour mener à bien la réalisation des prototypes que sont tous les bâtiments. Traditionnellement, la fonction de l’architecte est de concevoir l’œuvre et d’en diriger la réalisation. Au fil des époques, notamment quand les architectes travaillaient pour les Princes, ils avaient tout pouvoir (ou presque) sur des entreprises qui devaient leur obéir (régime politique autoritaire oblige). Les techniques étaient simples, par exemple une paroi constituée d’un simple mur – même très épais -, pas d’équipement en fluides, pas de contraintes règlementaires. La réalité de la construction était donc bien plus facile à appréhender. Aujourd’hui, c’est-à-dire depuis un siècle environ, avec l’arrivée de l’acier et du béton armé, des équipements en fluides, eau, électricité, les constructions ont beaucoup évolué. Elles n’ont plus rien de commun avec celles du passé (si ce n’est, trop souvent hélas ! qu’une méchante copie de ce que certains croient être un « style » régional et traditionnel, et qui n’est qu’une grimace ridicule…). Complexité de la structure, des parois, des équipements, des règlementations de tous ordres, multiplicité des intervenants, tant dans les études que dans la réalisation, font actuellement des bâtiments certes performants, mais qui doivent nécessairement être réalisés par des équipes comportant des savoirs et des savoir-faire multiples. Depuis les dernières décennies, ce phénomène s’est beaucoup accentué. L’architecte ne peut plus être le professionnel au savoir universel, créant tout, maîtrisant toutes les techniques, de la mécanique des sols aux compositions chimiques des divers revêtements, des calculs de structures anti-sismiques aux performances énergétiques complexes, de la législation du droit de l’urbanisme, de la construction, de l’environnement, civil, pénal, administratif, etc., au conseil dans l’élaboration des programmes variés, et – quand même – avec un certain talent architectural pour faire une synthèse bâtie de tout cela. Il ne peut pas non plus maîtriser un chantier dans tous ses composants, ne serait-ce que parce que beaucoup d’éléments sont livrés « finis » sur le chantier (les menuiseries, les appareils de chauffage, etc…) et n’ont pas à être démontés pour examen, parce que la fabrication des matériaux de base (briques, ciments, etc.) et des matériels sont élaborés loin de la région du chantier (parfois à l’étranger), parce que la plupart des ouvrages ne sont plus visibles au fur et à mesure de la réalisation des travaux. Aujourd’hui, l’architecte ne peut être qu’un chef d’orchestre. Il a composé la musique, certes, mais il ne joue pas de tous les instruments et il n’est pas responsable des fausses notes éventuelles… Ce rôle limité est bien mentionné dans nos contrats, mais il reste ignoré en général des juges et des non-professionnels de la construction. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 4 Pourtant, au mépris de ses engagements contractuels et surtout contre tout bon sens, l’architecte est jugé de fait le « responsable » de l’ensemble de l’opération, tant au niveau de la conception que de la réalisation. Il est le « sachant » auquel rien n’aurait dû échapper, il aurait dû tout voir, tout savoir, tout deviner, tout prédire. Il est surtout le recours bien commode pour désigner un responsable que notre société veut faire correspondre à chaque problème. C’est ignorer complètement la réalité de la construction aujourd’hui, dont la capacité à tout concevoir et à tout vérifier, on le verra, ne peut plus du tout incomber à une seule personne ; et c’est ignorer qu’un bâtiment n’est pas un objet industrialisé, dont la fabrication est maîtrisée après une mise au point longue et couteuse du – justement – prototype. Les architectes doivent en permanence se prémunir contre cette épée de Damoclès, ils doivent se conformer autant que possible aux techniques les mieux éprouvées et fuir toute innovation dangereuse. Ils doivent reproduire dans leur conception comme dans leur réalisation ce qui s’est révélé être le moins générateur de mise en cause, de tous ordres - sans pouvoir pour autant empêcher toutes les erreurs commises par les tiers. Ainsi, les architectes perdent leur âme, et – sauf dans les opérations d’exception, où le risque est budgété grâce à des honoraires importants et qui restent, justement, exceptionnels - ils n’apportent plus cette évolution de l’architecture qui bénéficierait à tous en améliorant les performances grâce à l’expérimentation sans cesse renouvelée des possibilités techniques qu’offre chaque époque. Enfin, il y a, tout simplement, une immense injustice envers une profession toute entière, dont la vocation est de mettre en œuvre l’intérêt public de l’architecture que la Loi a pourtant reconnu. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 5 JURISPRUDENCE Voici quelques jurisprudences qui illustrent l’aberration des recherches de responsabilité d’architectes, en dehors du bon sens le plus élémentaire et en méconnaissance absolue de la réalité d’une profession. Cet échantillon n’est, hélas ! qu’une toute petite illustration de ce que des expertises et des jugements produisent quotidiennement en France. Il a été glané ici et là, tant sont nombreux les exemples de recherches abusives de responsabilité des architectes. Qu’elle est la profession, autre que la nôtre, qui accepterait une telle injustice ? Les sources en sont les archives de l’Ordre des Architectes et de la Mutuelle des Architectes Français. Les textes en bleu sont les citations de ces sources, les textes en rouge et en italique sont nos commentaires. Entre le marteau et l’enclume, toujours écrasé Le jeudi 10 mars 2011 Jusqu’où va l’obligation de conseil du professionnel lorsque mêmes les autorités autorisées, pour reprendre la formule, se contredisent ? Selon un arrêt de la cour de cassation ( Cour Administrative d’Appel de Bordeaux) Une divergence d’analyse surgit entre le maire d’une commune et le préfet à propos des règles d’édification figurant dans un règlement de lotissement : - Le maire pense que les règles d’urbanisme contenues dans le règlement sont toujours en vigueur puisqu’elles sont reprises dans le cahier des charges du lotissement. - Le préfet conclut que les règlements sont devenus caducs du fait qu’ils n’ont toujours pas été approuvés par les colotis dix ans après. Certes, il ne s’agit alors que de règles de voisinage contractuelles, mais les colotis peuvent continuer à s’en prévaloir les uns à l’égard des autres … à seule fin, généralement, d’entretenir leurs mauvaises relations. L’opposition entre le maire et le préfet dure un certain temps et finit par une injonction faite à la commune de revoir le PLU. L’extension est autorisée malgré tout. Cependant, les pouvoirs du Préfet en matière d’urbanisme n’empêchent pas les aimables voisins d’obtenir la démolition de l’ouvrage devant le juge civil, lequel considère finalement que le règlement de lotissement est bien un cahier des charges (contrat) n’ayant pas de caractère règlementaire. Le maître d’ouvrage ne réussit pas pour autant à ce que l’architecte soit condamné à payer les frais : considérant que la querelle juridique était parfaitement connue et qu’elle s’était achevée par l’injonction de revoir le PLU, les juges mettent hors de cause l’architecte. Mais c’est précisément ce que la Cour de Cassation reproche à la Cour d’Appel par un arrêt du 12 janvier 2011… Elle aurait dû d’abord vérifier que l’architecte avait précisé à son client les conséquences pour lui de l’incertitude juridique (à savoir : le risque de démolition). En partant du principe qu’un risque ne peut être librement accepté par le client que si ce dernier à toutes les cartes en main, l’obligation de conseil porte non seulement sur le risque encouru par le client, mais aussi sur les conséquences du risque. ème Cet arrêt récent de la 3 chambre civile vient une fois de plus répondre que l’architecte n’est pas dédouané de son obligation de conseil en cas d’errements de l’administration. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 6 Restez sur votre réserve Le jeudi 24 février 2011 Certains architectes pensent qu’une réception sans réserve vaut mieux qu’une réception avec réserves, car la première offre notamment la possibilité de bénéficier de la garantie décennale de l’entreprise. Alors parfois, les réserves ne sont pas posées sur des défauts ou des non conformités dont l’existence est connue. Procéder ainsi peut s’avérer risqué… car l’architecte est soumis à un devoir de conseil qui s’achève précisément lors de la réception. Dès lors, l’absence de réserves risque d’engendrer exactement l’effet inverse de celui recherché : si le vice était apparent, l’entreprise sera mise hors de cause et l’architecte sera condamné seul. Les exemples ne manquent pas, que ce soit en marchés publics ou en marchés privés. Ainsi en 1992, la Cour de Cassation approuve le juge d’avoir condamné seul l’architecte sans même un recours contre l’entreprise. Mais, dira-t-on, les désordres qui surviennent en cours de chantier ne sont pas toujours visibles à la réception… Effectivement, mais là n’est pas la question, car du moment que les désordres sont connus, cela suffit à engager la responsabilité de l’architecte pour défaut de conseil à la réception. Pire : le juge peut aussi considérer qu’il s’agit d’une manœuvre dolosive - une tromperie - et alors, l’architecte n’est plus couvert par la MAF « du fait intentionnel ou du dol de l’adhérent, définis dans le présent contrat comme les conséquences de la violation ou de l’omission caractérisée d’une des obligations contractuelles ou règles professionnelles stipulées à l’annexe, accomplie même sans intention de provoquer le dommage » (article 2.111 des conditions générales du contrat RC). Ainsi, la Cour de Cassation a jugé en 2008, à propos d’une entreprise et d’un maître d’œuvre : Les juges ont retenu en appel que la société G (entreprise) n’avait volontairement pas exécuté les travaux comme prévu au marché et avait sciemment violé, par dissimulation ou par fraude, ses obligations nées du contrat alors qu’elle savait que des désordres allaient apparaître très rapidement ; la même faute pouvant être imputée à la société S (maître d’œuvre) qui devait assurer le contrôle des travaux. Comme rien n’obligeait la cour d’appel à diligenter des recherches qui ne lui étaient pas demandées, elle a pu en déduire que ces manquements délibérés constituait un dol qui privait les contrats d’assurance de leur caractère aléatoire. Un contrat d’assurance qui ne comporte plus d’aléa devenant inopérant, les deux constructeurs ne sont donc pas couverts. Par Jean-Luc Bouguier Penserait-on à reprocher à l'entreprise de ne pas signaler une malfaçon visible à la réception ? Non, bien sûr. Alors pourquoi le reprocher à l'architecte ? Surtout quand ce n'est même pas lui qui l'a commise. Il n'a pas droit à l'oubli ou à l'inattention, alors que l'entreprise, qui a fait elle-même les travaux, connaît bien mieux que lui cette malfaçon. Mais voilà, l’architecte est le bouc émissaire facile et universel… Et pourtant, le maître d’ouvrage « savait dès la signature des marchés »... Un sous-traitant occulte est fondé à exercer une action en indemnisation à l’encontre du Maître de l’Ouvrage qui a réglé les situations de travaux à l’entreprise générale alors qu’il connaissait, ou aurait dû connaitre, l’existence de sous-traitants. (Cass.Civ.3, 9 juillet 2003 pourvoi 02- 10644). Le Maître de l’Ouvrage s’expose ainsi à payer une deuxième fois les travaux réalisés, et la tentation est grande de se retourner contre le Maître d’œuvre pour ne pas l’avoir averti du risque. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 7 La jurisprudence n’exige pas de l’architecte qu’il informe le Maître de l’Ouvrage des risques auxquels il s’expose s’il n’accomplit pas l’obligation légale de mettre en demeure l’entreprise de lui présenter ses sous-traitants afin d’agréer leurs conditions de paiement. En revanche, il lui incombe d’avertir le Maître d’Ouvrage dès lors qu’il a connaissance de sous- traitants, et aussi de rappeler simplement l’obligation légale d’adresser une mise en demeure à l’entreprise. (Cass.Civ.3, 12 mars 2008, pourvoi n°07-13651). Dans ce contexte, le visa apposé sur une situation de travaux engagerait la responsabilité du maître d’œuvre, et ce quand bien même son client serait conscient de la situation. Ainsi, la Cour de Caen a condamné un architecte à garantir partiellement le Maître de l’ouvrage qui avait été assigné par les sous-traitants. En l’espèce, le Maître de l’ouvrage savait dès la signature du marché que les travaux seraient donnés en sous-traitance, et il fût donc condamné à indemniser les sous-traitants pour avoir violé l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975. Cependant, l’architecte dût le garantir des condamnations à hauteur de 80 %, car, en tant que er professionnel, il avait failli à son devoir de conseil (CA Caen, 1 mars 2005). Par Jean-Luc Bouguier Ainsi un architecte est condamné pour n’avoir pas rappelé à un maître d’ouvrage un fait (existence d’un sous-traitant), fait que ce maître d’ouvrage connaissait dès la signature des marchés de travaux. Le rappel écrit de l’architecte n’aurait été que de pure forme, puisque son utilité était nulle (le client savait déjà). Pourtant l’architecte a été condamné. Absence de contrat écrit : un bon prétexte. Un architecte accepte de réaliser un projet pour sa nièce comme cadeau de mariage. Dans la mesure où son client est une personne de sa famille, l’architecte ne prévoit pas de contrat de maîtrise d’œuvre fixant les limites de sa mission - à savoir réaliser la conception architecturale de la maison et déposer le permis de construire. Il ne perçoit pas non plus d’honoraires. Après réception, des malfaçons étant apparues, la nièce assigne l’entreprise, qui appelle en garantie l’architecte. Dans la mesure où aucun contrat ne fixait la mission limitée de l’architecte, le tribunal a retenu que ce dernier avait reçu une mission complète, et que, par conséquent, il aurait dû relever l’erreur de l’entreprise. Ainsi, n’avoir simplement pas signé de contrat rend l’architecte ipso facto responsable des travaux, alors qu’il était évident qu’il n’était pas chargé de leur direction, et a fortiori, pas responsable des malfaçons des entreprise. Où l’on se sert de la forme pour condamner sur le fond… Idem… Un maître d’ouvrage choisit un entrepreneur de ses amis, ni qualifié, ni assuré. Des erreurs d’exécution entraînent un sinistre. L’architecte est condamné solidairement avec cet entrepreneur pour défaut de direction de travaux. Pourtant, il n’avait été chargé que de la seule conception de l’ouvrage. Mais la convention avec son client n’était que verbale. Il n’a donc pas pu établir la preuve de sa non-intervention sur le chantier Il y a donc recherche d’une erreur dans la forme (absence de contrat) pour trouver là le prétexte à charger l’architecte d’une condamnation sur le fond qui n’a rien à voir avec l’absence de contrat (malfaçon d’ouvrage réalisés par un tiers, et pas de mission « travaux » chez l’architecte)… _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 8 Idem… Un architecte dresse l’esquisse d’une maison destinée à sa sœur. Celle-ci divorce cinq ans plus tard. L’ex-mari, qui avait confié, au vu de cette seule esquisse et sans plan d’exécution, la réalisation de la maison à un artisan non assuré, obtient la condamnation de l’architecte pour insuffisance de fondations. Exemple édifiant de prétexte artificiel pour charger l’architecte de tous les maux… des autres. Une esquisse n’est pas du tout un plan d’exécution, qu’un tiers peut confier à une entreprise pour réalisation. Idem… Un homme de loi commande à un architecte la réhabilitation d’une ferme, pour un montant de travaux estimé à 91500 euros. Satisfait du résultat, il demande ensuite au maître d’œuvre de transformer en logement une ancienne grange attenante au bâtiment rénové. En fin de mission, l’architecte envoie sa facture. Il reçoit en retour une assignation pour dépassement de l’estimation prévisionnelle. Non seulement il n’obtient pas les honoraires réclamés, mais encore il est condamné à supporter 50% du coût des travaux de la grange car il n’a pu produire ni contrat ni avenant sur la remise en état de celle-ci. Qui peut croire ici à la bonne foi du maître d’ouvrage ? Le tribunal se plairait-il à cautionner les manœuvres de certains « indélicats » ? Conseiller ne suffit pas. La Cour de Cassation a nettement affirmé que l’architecte chargé de la conception d’un projet et de l’établissement des plans du permis de construire est tenu d’un devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage, et doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol (Cass. 3è civ 25 février 1998 n°96-15.894). Il a ainsi été reproché à un architecte de n’avoir pas parfaitement informé le maître de l’ouvrage des conséquences du défaut de réalisation de l’étude géologique (Cass. 3è civ 11 décembre 2007, pourvoi n°06-21.908 arrêt n°1252). Dans le cas d’espèce, la Cour a considéré qu’il ne suffisait pas que l’architecte conseille vivement une étude de sol à son client. Il faut en outre qu’il lui en explique les raisons et les risques encourus, le tout par écrit pour s’en réserver la preuve. Les conséquences d’une construction sur un sol ne la supportant pas, ne sont-elles pas évidentes ? Comment croire que, quand un architecte « conseille vivement » une étude de sol, le maître d’ouvrage ne comprend pas à quoi elle servirait ? Plus responsable que les autres… Même si le maître d’ouvrage est notoirement compétent, l’architecte doit avoir mis celui-ci en mesure d’apprécier le risque de manière délibérée et consciente pour pouvoir s’exonérer de sa responsabilité ( Cass. 3è civ, 20 mars 2002, RD imm 2002.236). La Cour de Cassation estime ainsi que le maître de l’ouvrage doit avoir été clairement informé des risques inhérents à son choix ( Cass. 3è civ, 3 mars 2004 ; Cass. 3è civ 25 mai 2005). Pourquoi un architecte serait-il toujours plus compétent qu’une entreprise ou un maître d’ouvrage professionnel ? Et peut-on en pratique avertir en permanence des risques et des problèmes qui peuvent si fréquemment surgir ? Les risques sont « normaux », autant que pour n’importe quel acte de la vie (descendre un escalier, c’est risqué, et potentiellement mortel en cas de chute. On ne met pas un panneau devant chaque escalier pour autant.), Bâtir un prototype présente, par nature, une part d’aléas. Prévenir son client des risques, surtout s’ils sont exceptionnels, l’architecte le fait le plus souvent ; mais il ne peut le faire en permanence. Et, en construisant, il y aura toujours la possibilité d’un imprévu. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 9 Plus d’innovation ! En matière de choix des matériaux, la Cour de Cassation a considéré que l’architecte dont la mission était limitée à la conception des plans devait être mis hors de cause (Cass. 3è civ 3 juin 1992 ; n°90-11.486). Il est à noter toutefois une tendance conduisant à aggraver la responsabilité de l’architecte dans le cas où celui-ci met en œuvre des matériaux nouveaux ou audacieux, s’il n’attire pas l’attention du maître de l’ouvrage sur l’innovation des matériaux. Pour un architecte, à notre époque, mieux vaut renoncer à toute tentative d’évolution de la technique et donc de l’architecture… Toujours coupable Sur la base de discussions informelles autour d’un programme, un architecte réalise de nombreuses esquisses pour une cliente, qui opte pour une combinaison de ces différentes propositions. Les travaux progressent difficilement compte tenu des hésitations constantes de la cliente. Au final, cette dernière fait arrêter le chantier et lance une assignation en mettant en cause l’ensemble de la conception de la maison et en prétextant l’attitude dirigiste de l’architecte qui lui aurait imposé un projet qui ne lui convenait pas. En l’absence de programme précis, et bien que l’ensemble des esquisses successives ait été transmis à l’expert judiciaire, le juge ne tiendra pas compte de l’instabilité de la demanderesse et rendra l’architecte responsable de la conception réalisée soi-disant à l’encontre des souhaits de la cliente. Exemple édifiant de « mission-bouc-émissaire » de l’architecte. Et pourtant les plans avaient nécessairement été approuvés par la cliente, ne serait-ce que lors de la commande des travaux aux entreprises. Si on applique cette décision à l’ensemble du monde du commerce, alors n’importe qui pourrait prétendre avoir subi une pression anormale avant de signer un contrat et donc se voir dédouané de le respecter, au prétexte qu’il avait fait réaliser 25 devis avant de signer, montrant ainsi son indécision. Mission impossible Un architecte signe une mission Visa (visa des plans d’exécution réalisés par les entreprises) pour la construction d’une maison à ossature bois. Il demande en vain les plans d’exécution de la charpente. La construction est réalisée par l’entreprise sans contreventement. Les désordres qui ont suivi la réalisation ont débouché sur une expertise judiciaire. L’architecte a vu sa responsabilité engagée pour ne pas avoir su obtenir les plans et documents d’exécution de l’entreprise. En cas d’erreur de l’entreprise (pas de plans d’exécution), on met le gendarme-architecte en prison… La petite phrase « pour n’avoir pas su obtenir» est un leitmotiv de la Justice. Exiger qu’un professionnel obtienne une action d’un tiers - avec lequel il n’a aucun contrat- alors même qu’il a fait les demandes nécessaires en bonne et due forme, c’est lui demander l’impossible. Et cela n’est exigé d’aucun autre métier. Par ailleurs, le visa de l’architecte ne consiste qu’à vérifier l’adéquation de la conception technique de l’entreprise avec les objectifs recherchés par sa conception architecturale. Il n’a aucune compétence reconnue par aucun diplôme pour valider la conception technique d’une charpente, son dimensionnement… Cette compétence appartient uniquement au charpentier, raison pour laquelle il est chargé de réaliser la conception technique de l’ouvrage. En validant la construction malgré l’absence de fourniture de plans, il a validé la cohérence du résultat avec son projet, pas sa validité technique, qu’il ignore, plans ou pas. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 10 Piégé ! Un architecte signe une mission limitée à l’établissement du projet architectural et du dossier de permis de construire, le maître d’ouvrage préférant garder la direction des travaux. En cours de chantier, le maître d’ouvrage contacte l’architecte pour lui demander conseil sur une modification au permis de construire. L’architecte se rend sur place. Plus tard, à la suite de malfaçons, l’expert judiciaire requalifie la mission de l’architecte en mission complète pour s’être rendu sur le chantier sans avoir signalé au maître d’ouvrage les malfaçons qu’il avait forcément constatées. L’architecte n’aurait dû accepter de se rendre sur le chantier qu’après avoir obtenu une extension de sa mission. 1- Si l’architecte avait refusé de se rendre sur place, il n’aurait pas pu établir une demande fiable de modification de permis de construire. Si aucun architecte n’acceptait cette mission empoisonnée, n’aurait-on pas pu leur reprocher, surtout si la signature d’un architecte est obligatoire ? Les architectes seront toujours piégés avec de tels raisonnements rendant leur mission impossible. 2- Pour quel motif un client devrait bénéficier d’une prestation d’expertise gratuitement, au seul prétexte d’avoir fait venir chez lui un professionnel, qu’il ne missionne pas pour cette expertise ? 3- Par ailleurs, sur quel fondement pense-t-on qu’un architecte a la capacité de déceler des malfaçons, mieux que le professionnel qui vend la prestation ? 4- Comment une entreprise peut-elle être rendue responsable d’actes de tiers avec lesquels elle n’a aucun contrat ni aucun rapport ? Délation obligatoire ? Un anglais fait réaliser une maison en France. Il confie à l’architecte une mission limitée à certains travaux et fait parallèlement réaliser d’autres travaux sur la base d’esquisses de l’architecte. Un procès-verbal d’infraction au permis de construire est dressé : il est relatif aux travaux exclus de la mission de l’architecte mais les pièces écrites ne sont pas claires. Le tribunal correctionnel retient la responsabilité de l’architecte car, étant présent sur le chantier au moment de la réalisation des travaux litigieux, celui-ci aurait dû signaler les infractions commises. Sans commentaire… Terrain glissant Un client choisit avec un architecte un terrain aux contraintes géologiques évidentes, situé dans une station de sports d’hiver. Le contrat d’architecte est signé avec une mission limitée au projet architectural et au dépôt de permis de construire. Le permis obtenu, les travaux débutent sans étude de sol et sans plans d’exécution. Lors de la réalisation des terrassements, un glissement de terrain se produit. Une étude de sol est alors confiée par le client à un géotechnicien qui préconise la réalisation de murs de soutènement et des enrochements. Le coût des travaux étant disproportionné par rapport au prix de la maison, l’affaire devient judiciaire : l’architecte est condamné au remboursement du terrain ainsi qu’au remboursement de ses honoraires. Qui est responsable des conséquences du choix du terrain ? Le maître d’ouvrage, qui l’a choisi ? Le vendeur, qui est censé bien le connaître ? L’entreprise qui a étudié et réalisé les travaux ? Non, bien sûr… mais l’architecte, dont la mission a été limitée à une demande de Permis de Construire et qui n’a pas été missionné pour établir de plan technique. C’est tellement plus facile comme cela… _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 11 Entreprise imposée Pour la construction d’une maison de ville, un client impose une entreprise « amie ». Cet ami entrepreneur demande une avance de 60 % du montant des travaux. L’architecte avertit son client du montant disproportionné de cette avance. Celui-ci passe outre et le marché est signé avec l’entrepreneur qui sous-traite l’ensemble des travaux à une autre entreprise. Le problème survient en cours de chantier lorsque l’entreprise sous-traitante non réglée de ses prestations se retire du chantier. L’architecte et le client découvrent que le sous-traitant n’est ni qualifié ni assuré. L’architecte est condamné pour n’avoir pas pu prouver qu’il n’était pas au courant de l’intervention de l’entreprise sous-traitante. Une fois encore, « condamné pour n’avoir pas pu prouver qu’il n’était pas… » : l’architecte est toujours présumé coupable. A lui de prouver le contraire, or comment prouver « que l’on ne savait pas » ? C’est impossible. Responsabilité du contrôleur technique ou… 2 poids, 2 mesures. L’affaire : l’exécution de parois moulées et de fondations profondes entraînant de graves désordres aux avoisinants, le bureau de contrôle est mis en cause avec les autres intervenants (architecte, BET, entreprises). Le bureau de contrôle argumente en défense qu’il n’a reçu qu’une mission limitée excluant expressément les avoisinants : or, c’est la vétusté et la fragilité de ces derniers qui restent la cause principale du sinistre. Jugement : le Tribunal, confirmé en Cassation (Cass civ 3°ch 21/05/08) a donné raison au contrôleur technique, considérant qu’il ne peut être tenu responsable que dans la limite de la mission qui lui a été confiée. Les autres intervenants ont par contre été condamnés ! Commentaires : les bureaux de contrôle ont rarement été mis en cause et condamnés, à l’inverse des architectes qui le sont souvent, sauf parfois par des moyens détournés comme le devoir de conseil. Ce devoir de conseil aurait d’ailleurs dû être invoqué pour retenir la responsabilité du bureau de contrôle car la répercussion sur les existants était évidente. Mais ce jugement, en s’appuyant sur les limites de la mission confiée, ne devrait-il pas s’étendre à tous ? Pourquoi y aurait-il deux poids et deux mesures ? Tandis que l’architecte est obligatoirement assuré pour tous ouvrages, les bureaux de contrôle, comme les entreprises, peuvent exclure de leur assurance différents points dont les « travaux accessoires », les VRD ou les avoisinants comme ici. La loi, en rendant l’assurance obligatoire pour tous les intervenants constructeurs, a laissé perdurer ces exceptions. Les cahiers de la profession n°41 Ordre des Architectes Illustration que c’est bien en sa qualité d’architecte que l’on est considéré comme responsable universel, et non pas par la nature de sa mission. Pour les mêmes faits, sur une même affaire, avec les mêmes missions, un Bureau de Contrôle n’est pas responsable, un architecte si. Façades et « histoire » de l’immeuble Opération : réfection des enduits de façade sur immeuble ancien, le vieil enduit sonnant creux et étant largement fissuré. L’architecte a prévu l’exécution d’un enduit teinté dans la masse gratté, correspondant aux exigences du site protégé à proximité d’un monument historique. Sa prescription précise un piquage des anciens fonds dégradés. Un marché forfaitaire est signé avec un « facadier ». L’affaire : dès le début du piquage de l’ancien enduit, ce dernier tombe par plaques entières, découvrant un ancien pan de bois : l’ABF impose alors de restaurer ce dernier... mais le prix n’est pas le même, et l’entreprise, n’est plus qualifiée... l’architecte se trouve pris à partie par son client qui ne veut pas du supplément et le façadier qui a tout approvisionné et monté son échafaudage pour rien. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 12 Constatations d’expertise : le bâtiment se trouve dans un quartier où plusieurs maisons présentent un étage en pans de bois. La maison objet du litige a un premier étage en saillie sur le rez-de-chaussée qui devait faire penser à cette existence de pan de bois souvent en encorbellement. En confirmation, archives consultées, un ancien dessin anonyme montre bien cette rue avec la maison et son pan de bois, et, de surcroît, les témoignages de deux vieilles dames voisines, confirment que la maison se trouvait ainsi il y a seulement 60 ans : elle a été enduite après la guerre ! L’architecte devait-il se méfier et faire cette recherche préalable ? Jugement : le tribunal a jugé que l’architecte devait procéder à cette enquête sur l’histoire de l’immeuble. Dans le cadre de sa mission, il avait une obligation de moyens qui n’a pas été respectée. Commentaire : cette affaire montre l’importance de « l’histoire » dans toute intervention sur existants : et cette « histoire », cette « vie » des existants pleine d’informations précieuses est trop souvent négligée. En l’espèce, l’architecte aurait dû s’informer, examiner attentivement les lieux, et, compte tenu en particulier de l’aspect du vieil enduit, procéder éventuellement à des sondages qui auraient révélé le pan de bois et orienté la prescription à faire. Voilà, l’architecte « n’avait qu’à ». Que le client n’assume pas qu’une bâtisse très ancienne puisse naturellement présenter des imprévus, que l’entreprise de façade – donc spécialiste de tels ouvrages - puisse monter un échafaudage sans rien signaler à l’architecte ou à son client, que l’Administration, et en premier chef l’architecte des Bâtiments de France, délivre un permis sans rien signaler au pétitionnaire, ne choque personne. Seul l’architecte doit être historien-devin ! Responsable… de la mission des autres ! Opération : restructuration d’un collège. Le chantier touche à sa fin, l’économe de l’établissement fait le soir un tour d’inspection avant la rentrée scolaire. Elle trébuche dans un escalier : deux côtes cassées et fracture à la jambe droite. La sécurité sociale se retourne contre l’entreprise, le SPS et l’architecte. Constatations d’expertise : le chantier en finition n’est plus clôturé ni signalé (toutes installations de chantier enlevées). L’éclairage n’est pas en fonction et l’escalier, lieu de l’accident, est encore inachevé : c’est une marche dont le carrelage est à refaire qui a provoqué la chute. L’inachèvement de l’escalier aurait dû être signalé, la victime avait le droit (et le devoir) de faire cette inspection bien que sans lien avec le maître d’ouvrage (le Conseil Général). Jugement : l’entreprise, le contrôleur SPS et l’architecte ont été contraints de rembourser la sécurité sociale et de dédommager la victime. Commentaire : cette affaire montre que, malgré la présence d’un contrôleur SPS, l’architecte peut encore être recherché s’il n’apporte pas la preuve de sa non responsabilité : ici, il avait rédigé un PV de chantier en écrivant que tout était OK... alors que l’escalier restait à traiter, toutes protections et signalisations de chantier enlevées. Encore un exemple, parmi mille autres, de la responsabilité de l’architecte sur le travail et les engagements des tiers – ici, responsable de la mission spécifique SPS du Contrôleur Technique… Idem… Opération : construction d’un centre commercial avec une belle structure de poutres en lamellé-collé présentant un important porte-à-faux. L’architecte a prévu sous les poutres une façade-vitrine transparente qui se découpe pour laisser passer les pièces en lamellé-collé. Trois ans après, les vitrines se brisent une à une, comprimées par le fluage des poutres… l’architecte est assigné avec les entreprises. _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 13 Constatations d’expertise : il a bien été prévu et installé un joint de désolidarisation entre vitrines et poutres… mais insuffisant pour du lamellé-collé qui a la particularité d’avoir un fluage différé pendant près de 4 ans. Ce fluage a bien été indiqué et quantifié par l’ingénieur de structure dans son dossier. L’exécution du travail est irréprochable : les poutres présentent un fluage inférieur aux calculs. Jugement : le tribunal a condamné l’architecte auquel il appartenait de tenir compte du fluage calculé par le BET en faisant réserver entre vitrage et poutres les jeux nécessaires. Commentaire : cette affaire montre l’importance de la prise en compte des particularités des matériaux utilisés : ici le lamellé-collé et son fluage avec, en face, l’extrême fragilité des vitrages à la compression. Elle montre aussi l’importance de l’examen des documents techniques et plans d’exécution : ici l’architecte n’avait pas intégré les prescriptions de l’ingénieur-conseil. Encore un exemple d’erreur technique très spécifique attribuée à… l’architecte, comme toujours. N’est-ce pas plutôt de la responsabilité du menuisier ? C’est bien le menuisier qui conçoit le détail de ses ouvrages, livrés sur chantier. Cette disposition est totalement de son ressort. Et pourquoi ne pas retenir la responsabilité du BET qui avait calculé ce fluage ? Un architecte est bien condamné parfois pour des travaux même s’il n’a qu’une mission de demande de permis de construire… Encore responsable à la place des autres Opération : bâtiment industriel avec un équipement très spécifique. Mission architecte : précise un “marché d’étude global” (donc incluant ces équipements). Affaire : le gros œuvre construit, le client constate que de nombreuses dispositions sont incompatibles avec les équipements à installer et en rend l’architecte responsable. Constatations d’expertise : le client avait la maîtrise des équipements commandés à des spécialistes et devait donc informer correctement l’architecte et voir avec lui la parfaite adéquation des dispositions architecturales et des équipements. Or, il n’a pas transmis toutes les données, et en particulier l’encombrement des machines. Mais l’architecte, ayant une mission “globale”, (bien que sans honoraires sur les équipements), il devait s’en inquiéter et interroger son client en mettant l’accent sur l’importance de la prise en compte des spécificités de l’usine et de ses équipements. Jugement : le tribunal a retenu contre l’architecte une responsabilité partagée au motif qu’il avait signé un contrat d’étude global, mais l’a fortement limitée au motif qu’il s’agissait d’un process industriel que seul le client pouvait maîtriser et conservait le devoir d’information avec ses fournisseurs. La responsabilité de l’architecte a été retenue parce que le client, professionnel et spécialiste dans le domaine qui a généré le problème - alors que l’architecte y était étranger – ne lui a pas transmis toutes les informations nécessaires… Comment expliquer cela ? L’architecte doit prédire l’avenir et en estimer les conséquences… ! 2 Opération : habitation de grand standing bâtie en site campagnard, sur un terrain de 5000 m en légère pente, avec un sous-sol général sur RC surélevé avec la chaufferie. Affaire : le terrain en plaine alluvionnaire présente une épaisseur de 1,50 m d’alluvions argileuses sur un lit de graviers que le sous-sol affleure. Un petit ruisseau de plaine en limite basse du terrain (- 1,20 m) se jette dans la rivière proche. Lors des terrassements, une faible arrivée d’eau se produit dans la couche de gravier, jugée normale, mais la nappe phréatique est bien plus basse (- 2,20 m). _________________________________________________________________________________________
LIVRE BLANC - LA DÉRIVE DE LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTES 14 L’architecte fait établir un drain autour des parois du sous-sol, un enduit ciment extérieur et une couche de flinkote. Il n'y a pas de problème pendant 3 années, puis il y a une légère inondation du sous-sol : l’eau sourd entre les parois et le dallage sur tout le périmètre. Alerté, l’architecte dit que la solution est dans un petit puits d’équilibre qu’il fait réaliser dans un coin, et il ajoute par prudence une pompe avec un flotteur maintenant l’eau sous le niveau du sous-sol. Mais cela ne résout rien, et les inondations se font plus graves : l’année suivante il y a 60 cm en sous-sol, provenant du puits d’équilibre qui déborde abondamment, la pompe est en court-circuit, la chaufferie et toutes les installations et affaires sont perdues. Comme par hasard, seul l’architecte est là : les artisans ont disparu et personne ne sait comment ils étaient assurés. L'architecte ne sait même plus qui a posé la pompe (réglée au noir ?). Il est donc assigné. Constatations d’expertise : le secteur autrefois isolé a été largement urbanisé avec notamment une zone commerciale et artisanale qui envoie toutes les eaux pluviales dans le petit ruisseau, lequel déborde et monte au-dessus du niveau du sous-sol, bloquant l’eau qui circule dans le lit de gravier. La pompe posée est insuffisante, mal protégée et le drain créé aggrave la situation. En fait, le remède appliqué est inadapté à la situation, et la seule solution était dans un cuvelage onéreux. Règlement du litige : Le problème juridique était de dire si la "cause étrangère" pouvait être envisagée, car la cause du sinistre était bien dans un apport d’eau au ruisseau incompatible avec son débit possible. Ce qui n’a pas été retenu : l’architecte a été condamné au motif que le développement du secteur était connu avec ses conséquences liées au terrain et son environnement, et que deux fautes successives avaient été commises : la création d’un sous-sol en présence d’un cheminement d’eau sans cuvelage en réponse, puis l'adoption d'une solution palliative inadaptée. Conclusion : l’architecte ne doit pas seulement tenir compte des lieux en l’état, il doit prédire l’avenir et ses conséquences. On a déjà vu qu’il devait faire des recherches historiques pour connaître le passé, voilà maintenant qu’il doit connaître le futur. La boule de cristal devient donc indispensable. Présence… coupable ! Opération : très grosse opération d’établissement public réalisé en plusieurs tranches “fonctionnelles”. Mission architecte : limitée au projet APD (direction des travaux assurée par les services techniques du maître d’ouvrage). Affaire : la première tranche est achevée et ouverte au public, la deuxième est engagée. Un incendie est provoqué par les travaux en cours, provoquant panique, blessés et morts. Le maître d’ouvrage, les entreprises, l’architecte, le bureau de contrôle, l’administration et sa commission de sécurité sont impliqués au pénal. Constatations d'expertise : le public a été partiellement pris au piège car les issues de secours côté extension sont bloquées, l’alarme incendie n’est pas activée, pas d’extincteurs, les parois coupe-feu sont ouvertes au niveau des plenum à cause de l’extension des réseaux etc. Bien que l’architecte n'ait pas la direction des travaux, il est établi qu’il a été présent chaque semaine (à cause de la troisième tranche) et fait chaque fois un tour avec le client. Jugement : tous ont été condamnés à des niveaux différents, y compris l’architecte qui, dans son projet, n’avait absolument pas parlé des mesures d’interfaces à prendre et qui, bien que déchargé de la direction des travaux, mais constamment présent pour la suite du projet, devait constater l’évidence de nombreuses entorses aux règles de sécurité, et mettre en garde ses clients. « Bien que l’architecte n'ait pas la direction des travaux,… », c’est donc bien sa seule présence qui rend l’architecte coupable, indépendamment des erreurs… qu’il n’a pas commises. _________________________________________________________________________________________
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