Love&Collect La cuisine du peintre Dorothée Selz (née en 1946) - dorothee-selz.art

 
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Love&Collect La cuisine du peintre Dorothée Selz (née en 1946) - dorothee-selz.art
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                                 La cuisine du peintre
                                 Dorothée Selz (née en 1946)

11.03.2021

Dorothée Selz
Filtre improvisé
1993
Technique mixte sur bois
Titrée, signée et datée au dos
47 × 60 cm

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Love&Collect La cuisine du peintre Dorothée Selz (née en 1946) - dorothee-selz.art
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Love&Collect La cuisine du peintre Dorothée Selz (née en 1946) - dorothee-selz.art
Si le sculpteur
Nouveau Réaliste
Daniel Spoerri est
le «Pape du Eat Art»,
Dorothée Selz est sa
première disciple.

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                             La cuisine du peintre
                             Dorothée Selz (née en 1946)

11.03.2021                   Si le sculpteur Nouveau Réaliste Daniel Spoerri est le Pape du
                             Eat Art, Dorothée Selz est sa première disciple. Compte tenu
                             de ses engagements constants, notamment féministe, et de son
                             rejet viscéral de toute autorité illégitime, l’expression semble
                             d’abord contre-nature. Invitée, en 2015 à participer à l’exposition
                             The World Goes Pop à la Tate Modern de Londres, elle apparaît
                             soulagée que l’époque soit venue de dépasser une certaine
                             image, parfois figée et superficielle, de l’art des années 1960,
                             dont elle a été pleinement partie prenante: Quelle vision avions-
                             nous à l’époque, nous les artistes, du pop art? Pas seulement
                             le pop art esthétisant, coloré et amusant, mais le pop art plus
                             politique, plus engagé sur, par exemple, le rôle social de
                             la femme?

                             Son irruption dans le Eat Art, par une œuvre collaborative,
                             réalisée avec son mari d’alors, le sculpteur catalan Antoni
                             Miralda, joue indéniablement sur la dimension sacrée qui,
                             traditionnellement, unit art et nourriture. Comme le rappelle
                             en effet l’historienne de l’art Camille Paulhan, spécialiste de
                             l’artiste, le grand début de la carrière artistique de Dorothée Selz,
                             c’est véritablement la constitution en 1967 d’un duo d’artistes
                             avec Antoni Miralda, les Traiteurs coloristes. Tout part d’une
                             fantaisie, pour Noël 1967, lorsque Selz et Miralda envoient à leurs
                             amis le Croque-Jésus, une carte de vœux en trois dimensions
                             fabriquée à partir de produits alimentaires fabriqués en série
                             et achetés dans le commerce: l’assemblage propose un petit
                             enfant Jésus meringué dans sa crèche, entouré d’une mâchoire
                             en sucre, le tout fixé à la colle vinylique dans une petite boîte
                             en rhodoïd circulaire à motifs floraux.

                             Ces dimensions spirituelles, rituelles, anthropologiques,
                             éphémères, critiques, chromatiques, décoratives… ne sont
                             naturellement pas totalement absentes du Eat Art version
                             Daniel Spoerri, mais elles n’en constituent pas le centre, alors
                             qu’elles infusent absolument tout l’art de Dorothée Selz depuis
                             l’origine. Spoerri est arrivé au Eat Art par l’extérieur, par l’objet,
                             en fixant ses reliefs de repas présentés à la verticale en
                             Tableaux-Pièges susceptibles de leurrer le regardeur, tandis
                             que Selz se place à l’intérieur même de la relation, ô combien
                             intime et mystérieuse, entre l’être et ce qui le nourrit. Dans ce
                             sens, le Croque-Jésus de 1967 est absolument programmatique:
                             il donne chair et forme à l’absorption du corps du Christ, la
                             sortant du registre symbolique où elle est traditionnellement
                             cantonnée, mais sous forme d’un ready made, s’emparant
                             d’une confiserie anodine réservée aux enfants. Dès lors,
                             le sucré est devenu le royaume de Dorothée Selz (elle a même
                             été la co-commissaire de l’exposition de référence sur le sujet,
                             Sucre d’art, au Musée des arts décoratifs à Paris en 1978,
                             regroupant des œuvres populaires en sucre du monde entier,
4/25                         des pâtisseries, de l’Art Brut et du Eat Art issu de la collection
personnelle de Daniel Spoerri).

       Réalisée en 1993, cette œuvre est la dernière disponible
       d’une série importante, élaborée par Dorothée Selz à partir
       des cent trente-sept gravures sur bois et dix planches
       chromolithographiques réalisées par le dessinateur Étienne
       Antoine Eugène Ronjat pour le célèbre Livre de Pâtisserie
       de Jules Gouffé, paru chez Hachette en 1873. Naturellement,
       cette entreprise porte la trace de l’attirance de Dorothée Selz
       pour l’imagerie populaire (forgée dès l’enfance, son père,
       Guy Selz, figure du monde des arts et grand collectionneur,
       notamment d’art populaire et de chromos), mais aussi de son
       travail au long cours sur les usages culinaires, de la conception
       des plats à leur consommation. Élève du grand Antonin
       Carême, Gouffé est un célèbre cuisinier et pâtissier, que ses
       contemporains surnommaient précisément l’apôtre de la
       cuisine décorative. Pourtant, l’illustration choisie par Dorothée
       Selz comme base de cette œuvre n’est pas l’une de celles –
       sublimes, exquises de symétrie et de détails décoratifs – d’un
       plat dressé (comme le fait, à la même époque, Philippe Mayaux,
       qui s’inspire du même livre pour certains de ses plus célèbres
       tableaux d’aspics), mais d’un ingénieux ustensile improvisé
       par système D...

       En effet, l’image de Ronjat apparaît à la page 379 de l’ouvrage,
       au chapitre XI Entremets de douceur, dans la partie Gélatine,
       lorsqu’il s’agit de filtrer cette infusion de couenne indispensable
       en pâtisserie. En effet, l’usage d’une chausse est alors
       incontournable… À défaut de disposer de ce filtre conique en
       feutre ou en tissu épais, de la forme approximative d’un soulier,
       Gouffé préconise de tendre une serviette à œil de perdrix sur un
       tabouret renversé, et de la fixer avec de la ficelle aux quatre pieds.
       Apologie de la débrouille, l’image choisie par Dorothée Selz
       paraît énigmatique et mystérieuse, son lien avec la nourriture
       n’apparaissant pas immédiatement. Mais elle témoigne d’une
       attirance certaine pour le renversement et le passage d’un
       domaine vers un autre, caractéristique de tout son art, qui invite
       à questionner ce que l’on voit, et à dépasser les apparences,
       et les réactions premières qu’elles suscitent en nous.

       Ce lien à la fois étroit et suspicieux à la vision est à la base même
       du concept de mimétisme relatif emblématique de son œuvre,
       par lequel, ainsi que le souligne Camille Paulhan, il n’est pas
       uniquement question de dénoncer [les] images, mais comme
       le titre l’indique, d’exprimer la fascination que celles-ci peuvent
       exercer: le mimétisme peut être perçu comme une contrainte,
       mais également comme une façon de [se les] approprier.

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Le grand début de
la carrière artistique
de Dorothée Selz,
c’est véritablement
la constitution en 1967
d’un duo d’artistes
avec Antoni Miralda,
les «Traiteurs coloristes».
Camille Paulhan

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L’inspiration se trouvait
dans les rues, les affiches,
les publicités, la mode.
La pop était influencée
par des tendances
subversives, qui
protestaient contre la
rigidité des institutions,
les traditions
conservatrices et le
rôle des femmes en tant
que femmes au foyer.
Dorothée Selz
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                                    La cuisine du peintre
                                    Dorothée Selz (née en 1946)

Propos recueillis par l’équipe      Le terme Pop Art était-il utilisé par vous-même ou par des
de la Tate Modern en juillet 2014   artistes autour de vous, ou existait-il une autre terminologie
dans le cadre de l’exposition       faisant référence à un nouveau mouvement d’art figuratif dans
«The World Goes Pop»,               les années 1960 et au début des années 1970?
commissaires Jessica Morgan
et Flavia Frigeri                   Oui, je connaissais le terme Pop Art depuis le début des années
                                    1960; il était utilisé par mes amis artistes. Plus tard, vers 1969,
                                    j’ai découvert le Nouveau Réalisme et rencontré le critique et
                                    commissaire d’exposition Pierre Restany.

                                    Notes sur mes découvertes:
                                    Je suis née à Paris en 1946 et j’ai grandi dans cette ville. Dès
                                    mon plus jeune âge, j’ai été attirée par les arts visuels et j’ai visité
                                    de nombreuses expositions, souvent avec mon père Guy Selz
                                    (1901-1976), qui travaillait à l’époque comme journaliste pour
                                    le magazine ELLE; il était Secrétaire Général (directeur
                                    administratif) et responsable de la section culturelle du
                                    magazine. Entre 1964 et 1967, je suis allée à l’école Camondo,
                                    une école d’architecture intérieure. L’École des Beaux-Arts de
                                    Paris en 1964 semblait ne jamais avoir entendu parler du Pop
                                    Art, des performances, de l’art abstrait ou de l’Op Art et je ne
                                    voulais pas étudier dans une institution aussi conservatrice.
                                    Je suis une autodidacte.

                                    En 1965 à Paris, le Pop Art britannique et le Pop Art nord-
                                    américain n’étaient pas beaucoup exposés; je ne connaissais
                                    que la galerie Alexandre Iolas, qui avait ouvert en 1964.
                                    Le Centre Américain avait un excellent programme intégrant
                                    les avant-gardes expérimentales américaines, françaises et
                                    internationales comme le Festival Fluxus, John Giorno, John
                                    Cage, le théâtre de Marc’O, Bernard Heidsieck, la poésie action
                                    ou la poésie visuelle, le Living Theatre, Philip Glass. Cela a
                                    constitué mon université marginale, où j’ai tout découvert et
                                    appris. J’étais fascinée par ces nouveaux modes d’expression,
                                    ces œuvres subversives, provocantes, poétiques et dérangeantes.

                                    Vous êtes-vous déjà considérée (aujourd’hui ou par le passé)
                                    comme une artiste pop?

                                    Pas vraiment, mais la culture pop m’a influencée. Aujourd’hui
                                    encore, je peux me définir comme influencée par le Pop art, le
                                    Eat Art et la performance. Entre 1962 et 1972, je suis souvent allée
                                    à Londres. J’étais fascinée par les Beatles, les Rolling Stones,
                                    le rock britannique, les concerts au Roundhouse, l’Arts Lab
                                    créé par Jim Haynes (1967), le design des pochettes de disques,
                                    la mode chez Biba, le style de Twiggy, le style de The Shrimp
                                    [Jean Shrimpton], les maquillages de Mary Quant, les artistes
                                    pop que j’avais vus dans les galeries – Peter Blake (chez Kasmin),
                                    Richard Hamilton – et les événements à l’ICA [Institute of
9/25                                Contemporary Arts]. À Londres, ce sont surtout les changements
radicaux de la société, les changements socioculturels, qui
        étaient les plus visibles et palpables. J’étais fascinée par une
        partie de la jeunesse britannique. Je vivais et embrassais
        pleinement la culture pop, je voulais être pop, que je le sois
        ou non. L’inspiration se trouvait dans les rues, les affiches,
        les publicités, l’industrialisation de la vie quotidienne, la mode.
        La pop était influencée par des tendances subversives, qui
        protestaient contre la rigidité des institutions, les traditions
        conservatrices et le rôle des femmes en tant que femmes au foyer.

        J’ai pensé que le statement de Harald Szeemann, When Attitudes
        Become Form, titre de son exposition, pouvait être appliqué
        à d’autres pratiques et recherches artistiques que le seul
        minimalisme.

        Votre travail était-il lié à l’actualité des années 1960 et du début
        des années 1970?

        Oui, mon travail était lié au contexte socioculturel des années
        1960 à 1975. La société changeait ainsi que les comportements
        et je ressentais la nécessité de développer de nouvelles attitudes
        dans mon travail:

        - de nouveaux sujets picturaux liés à des questions
         sociopolitiques d’actualité
        - de nouveaux modes d’action en dehors des galeries
         (performances dans la rue pour désacraliser l’art)
        - de nouvelles approches du public (avec sa participation active)
        - l’utilisation de nouveaux matériaux (industriels ou inhabituels,
         comme le comestible)
        - des tentatives de destruction de quelques tabous (à l’instar
         de nos prédécesseurs dadaïstes).

        La société française était alors en pleine métamorphose. J’ai
        vécu les événements de mai 1968 à Paris avec conscience, gravité
        et euphorie: manifestations étudiantes et ouvrières, mouvements
        féministes, libération sexuelle, prise de conscience de toute
        une population. Révolution? plutôt Évolution.

        L’actualité était aussi à l’origine de peurs ou d’interrogations:

        - la guerre d’indépendance de l’Algérie contre la France
         (1954-62)
        - la dictature du Général Francisco Franco en Espagne
        - les États-Unis et la guerre du Vietnam
        - les dictatures en Amérique Latine
        - le Black Power aux États-Unis
        - la guerre froide et la course au nucléaire entre les États-Unis et
         l’Union soviétique (cf. Docteur Folamour film de Kubrick)
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Mais l’actualité était aussi marquée par une certaine utopie
        et poésie, avec la Beat Génération, le mouvement hippie, la
        nouvelle littérature et le boom de la musique, avec Woodstock
        en 1969 et le festival de l’île de Wight, auquel je suis allée. J’étais
        une fan des Who et de Jimi Hendrix.

        Les jeunes se sentaient soit en danger, à cause des guerres et de
        la répression (selon les pays), soit dans un mouvement utopique,
        aspirant à un nouveau mode de vie (comme les hippies, les
        beatniks), avec la musique rock et ses immenses rituels collectifs.
        Je me suis identifiée à cela.

        En France, le boom économique a permis aux femmes d’être
        indépendantes financièrement. Il y avait alors peu de chômage
        et la vie quotidienne ne coûtait pas cher. L’évolution des
        traditions, des lois et les changements socioculturels ont permis
        enfin aux femmes d’avoir d’autres rôles dans cette société en
        mutation. J’étais féministe et je le suis toujours, dans le sens des
        droits à défendre, du nouveau rôle social des femmes, des
        hommes, et des changements à construire dans la vie privée,
        en parallèle avec les changements de la société. Cela impliquait
        aussi de nouvelles relations sexuelles/érotiques, mais bien sûr
        avec la complicité des hommes, dans la mesure où une nouvelle
        femme implique aussi un nouvel homme, non?!

        En septembre 1969 à Paris, j’ai réalisé ma première performance
        collective avec mes amis artistes Antoni Miralda, Joan Rabascall
        et Jaume Xifra au Centre américain – une installation-
        performance rituelle visuelle et comestible qui recherchait la
        participation directe du public, avec un esprit pop indirect. Nous
        avons rencontré Pierre Restany en 1969 et Daniel Spoerri en 1971.
        Depuis 1973, nous poursuivons nos propres carrières artistiques,
        influencées - entre autres - par le pop art. Et nous restons des
        amis très proches.

        J’étais fascinée par le comestible en tant que nouveau matériau
        expérimental (j’ai travaillé avec des boulangers et des pâtissiers),
        et j’ai collaboré avec Miralda sous la bannière Miralda-Selz
        Traiteurs Coloristes et créé de nombreuses œuvres comestibles.

        Comment avez-vous choisi le sujet de votre œuvre incluse dans
        The World Goes Pop?

        De 1960 à 1975, la femme était représentée dans l’imagerie
        populaire (calendriers) ou sophistiquée (magazine Playboy ou
        œuvres d’Allen Jones) comme une séductrice, une femme fatale
        ou une pseudo prostituée. Ou, à l’inverse, comme une femme
        au foyer ou une mère de famille. Ces deux clichés étaient les
        plus courants: mère ou femme fatale. Je pensais que les femmes
11/25   étaient dans une position ambiguë, entre le désir secret de
ressembler aux mannequins sexy et le rejet de ces modèles.
        C’est dans cet esprit que j’ai conçu cette série où je me suis mise
        en scène comme un mannequin, en soulignant avec humour
        l’ambivalence de l’image féminine dans les photos sexy. En
        posant comme un modèle – à imiter ou à rejeter? – je devenais
        moi-même le modèle de ce sujet délicat. Quel genre de femme
        vais-je devenir? A quelle femme voudrais-je ressembler? Quelle
        femme suis-je? Je ne voulais pas me dépeindre, mais je ne voyais
        personne d’autre que moi pour illustrer mon intention. En fait,
        je dirais qu’en présentant le modèle et moi-même, le sujet
        est double, c’est un duo complexe: le modèle et son imitation,
        le modèle et son imitation ironique, le modèle anonyme et
        moi-même.

        Au fil des années, je me suis interrogée sur la vie de cette femme
        anonyme - quelle était la vie réelle du modèle?
        Notes sur les processus de création des diptyques:
        1. Choisir une image parmi des centaines.
        2. Je me fais photographier nue (ou pas) sur un fond blanc.
        Je prends la même pose.
        3. Imprimer les photos en noir et blanc.
        4. Dessiner sur ces photos, à l’encre de Chine, les accessoires
        du modèle féminin, ou son environnement (bottes en cuir,
         lampe, etc.).
        5. Imprimer une deuxième fois en noir et blanc la photographie
        avec les dessins ajoutés.
        6. Créer le diptyque avec les deux images des deux femmes
        dans le même format.
        7. Encadrer le duo comme une pâtisserie: la peinture et le ciment
        sont appliqués avec la poche à douille d’un pâtissier, le modèle
        et moi-même devenons maintenant comestibles, des femmes
        offertes à l’œil et au goût.

        Le cadre de type comestible est un cadre délibérément absurde,
        avec des couleurs de pâtisserie pop: à partir de 1967, je me suis
        beaucoup intéressée au comestible en tant que sujet, objet de
        partage et matériau de la vie quotidienne.

        J’ai réalisé de nombreuses œuvres comestibles accompagnées
        des indications Touche-moi ou Mange-moi. Avec aussi cette idée
        de partage. Le sexe est tabou mais le comestible l’est aussi s’il
        est sorti de son contexte habituel et de sa fonction originelle,
        qui est de nourrir. J’ai eu le désir de provoquer de nouveaux
        comportements, depuis 1967 jusqu’à aujourd’hui.

        Mimétisme relatif, avec son apparence faussement comestible,
        posait la question suivante: comment parler avec humour des
        femmes stéréotypées?

12/25
Où avez-vous puisé votre imagerie (quelles sources avez-vous
        utilisées, le cas échéant)?

        De diverses sources industrielles et populaires produites en
        grande quantité, comme des calendriers, des cartes postales,
        des magazines tels que Lui ou Playboy. Elles provenaient toutes
        de France, d’Espagne, d’Italie, de Turquie et des États-Unis.

        Connaissiez-vous le Pop art dans d’autres parties du monde?

        J’avais quelques informations sur le Pop Art en Angleterre et aux
        États-Unis. Je connaissais les œuvres du groupe Equipo Crónica
        en Espagne, j’ai rencontré le Brésilien Antonio Dias à Paris ainsi
        que Lourdes Castro et René Bertholo, du Portugal, Erró, qui est
        Islandais, et les Nouveaux Réalistes. Mais je ne savais rien du
        Pop Art dans le reste du monde. L’information ne circulait que
        par le bouche-à-oreille, qui était plus efficace que la presse.

        L’art commercial a-t-il eu une influence sur votre travail ou sur
        la manière dont il a été réalisé?

        Oui, j’étais très intéressée par l’industrialisation de l’image,
        à travers la publicité, les emballages, les photographies de
        presse/mode/alimentation, les pochettes de disques, les
        affiches de films, les vitrines de magasins, les grands étalages
        alimentaires industriels, les nouvelles techniques architecturales,
        les formes, les couleurs, les textures: tout dans l’environnement
        urbain quotidien m’inspirait. Pour gagner ma vie, je travaillais
        pour le quotidien France-Soir, où je retouchais des photos de
        presse, et pour divers magazines de mode. J’essayais de
        décrypter les messages des produits et de les déformer. J’ai
        été très influencée et inspirée par les dessins de Saul Steinberg.

        Aviez-vous le sentiment, à l’époque, de faire quelque chose
        d’important et de nouveau, d’apporter un changement...?

        Non, je n’en étais pas consciente, mais je pensais être dans
        l’esprit de l’époque, et que le sujet était important. La société
        française des années 1960 était très conservatrice et vivre un
        autre mode de vie demandait beaucoup d’énergie. Ce qui était
        important pour moi, c’était ce qui était vécu, et plus que d’opérer
        un changement, c’était moi qui changeais. Je n’avais pas assez
        de recul pour juger mon travail. Je pensais que les artistes
        avaient un rôle à jouer dans la société et devaient s’exprimer
        autant que possible. Mais je n’avais pas de plan de carrière et
        je ne pensais même pas à photographier le travail que je faisais.
        C’est pourquoi il existe très peu de documentation sur mes
        œuvres de 1967 à 1975. J’étais motivée par le fait d’expérimenter,
        de découvrir, de sentir et de réagir aux choses.
13/25
Y avait-il un public pour votre travail à l’époque – et si oui, quelle
        a été sa réaction?

        Oui, il y avait un public intéressé par mon travail, positif et
        surpris par son caractère humoristique. En 1975, Fernando
        Amat m’a invité à la Sala Vinçon à Barcelone, une galerie
        expérimentale située dans le premier magasin de vente d’objets
        de design. Un endroit très visité. Puis en 1976 à la Galerie
        Contrejour du photographe Claude Nori, un espace expérimental
        exposant de la photographie. Les deux galeries avaient un public
        plutôt jeune.

        En regardant ces œuvres, que pensez-vous d’elles aujourd’hui?

        Aujourd’hui, je pense que le concept et la réalisation de ces
        œuvres sont bons, mais je remarque que leur sujet est toujours
        d’actualité, et que je pourrais produire plus d’œuvres de cette
        série aujourd’hui. En 1970, je pensais que l’imagerie des pin-up
        allait disparaître, comme j’étais naïve! Le corps masculin est
        aussi devenu une sorte de pin-up dans tous les médias visuels.

        En 2014, à travers les publicités, les corps de femmes et d’hommes
        sexy (entre autres) sont exposés, offerts à la consommation de
        masse par l’imaginaire sexuel collectif. L’industrie, à coup
        d’images et de slogans provocateurs, tente de vendre tout et
        n’importe quoi. L’art a aussi ses codes provocateurs, comme
        Allen Jones en 1970. Apprendre à décrypter les images
        trompeuses devrait être enseigné dans les écoles.

        La lutte contre les stéréotypes féminins et masculins est toujours
        d’actualité. Je suis optimiste et je vois que la nature multiple de
        l’identité érotique de l’individu est de mieux en mieux acceptée
        dans certaines parties du monde. Le dialogue entre l’homme et
        la femme a beaucoup changé, dans notre vie privée et dans la
        société. Le monde devient pop? Je dirais, en tant que rêveuse
        utopique, The World Goes Sexy.

14/25
J’ai réalisé de nombreuses
œuvres comestibles
accompagnées des
indications «Touche-moi»
ou «Mange-moi».
Le sexe est tabou mais
le comestible l’est aussi
s’il est sorti de son
contexte habituel et
de sa fonction originelle,
qui est de nourrir.
Dorothée Selz
15/25
Pour deux peintres,
«parler cuisine» signifie
s’échanger des recettes
picturales, parler métier,
en somme. Pour naturelle
qu’elle paraisse, cette
analogie entre peinture
et cuisine est plus
profonde qu’on pourrait
le croire.

17/25
Daniel Spoerri réalisait
des éditions d’œuvres
d’artistes comestibles.
Je me souviens qu’il avait
fait un Pouce de César
en bonbon. Cela nous a
forcés à reconsidérer ce
que nous appelions les
arts visuels. Les œuvres
d’art sont-elles vouées
à vivre indéfiniment?
Dorothée Selz
19/25
Love&Collect
8, rue des Beaux-Arts
Fr-75006 Paris
Du lundi au samedi
de 10 h à 19 h
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                             La cuisine du peintre
                             Quarante-huitième semaine

Quarante-huitième semaine    Pour deux peintres, parler cuisine signifie s’échanger des
Chaque jour à 10 heures,     recettes picturales, parler métier, en somme. Pour naturelle
du lundi au vendredi,        qu’elle paraisse, cette analogie entre peinture et cuisine est
une œuvre à collectionner    plus profonde qu’on pourrait le croire. Il y aurait tout à chapitre
à prix d’ami, disponible     à ouvrir sur les liens entre art et cuisine – on y croiserait, pour
uniquement pendant           l’époque contemporaine, le Nouveau Réaliste Daniel Spoerri,
24 heures.                   qui a tant œuvré dans et pour le Eat Art, parfois en invitant
                             l’artiste Dorothée Selz à officier. Celle-ci se remémore: À
                             l’époque, peu de revues ou de critiques d’art s’intéressaient aux
                             liens entre l’art et la nourriture, à part Pierre Restany qui fut
                             l’un des premiers à écrire sur le sujet. Daniel Spoerri réalisait
                             des éditions d’œuvres d’artistes comestibles. Je me souviens
                             qu’il avait fait un Pouce de César en bonbon. Cela nous a forcés
                             à reconsidérer ce que nous appelions les arts visuels. Les œuvres
                             d’art sont-elles vouées à vivre indéfiniment? Comme avec
                             le happening, l’avènement du Eat Art a bousculé cette idée
                             pour mettre en avant celle de l’éphémère et du geste quotidien.

                             C’est bien cette question du geste qui est au centre de cette
                             nouvelle semaine, et plus précisément l’analogie entre le geste
                             du peintre et celui du cuisinier, dans l’idée d’une transmission
                             exigeante, d’un champ créatif où l’apprentissage de la tradition
                             est indissociable de la transgression et de la novation.

                             Dans ses Mémoires, le peintre Giorgio De Chirico livre une
                             anecdote éclairante, sur laquelle ce tenant du métier
                             traditionnel est souvent revenu. Elle concerne ses débuts de
                             peintre, encore enfant, en Grèce, où il découvre cette fameuse
                             cuisine... J’avais décidé de peindre une nature morte, j’avais
                             choisi trois citrons, raconte-t-il. J’avais entendu parler de
                             peinture à l’huile et je pensais que cette peinture se faisait
                             avec de l’huile. Alors j’ai pris de l’huile d’olive qu’il y avait dans
                             la salle à manger. Mais l’huile d’olive a cette propriété: elle ne
                             sèche jamais. Au bout de trois mois, le jaune de ces citrons restait
                             sur les doigts quand on touchait la toile. Alors j’ai demandé à
                             un peintre, un vieux monsieur spécialiste de peinture de marine,
                             qui enseignait quelquefois, et qui m’a parlé de l’huile de lin.

                             La dimension alchimique de la peinture est consubstantielle
                             à sa naissance; en effet, les pigments ne sont pas applicables
                             directement sur un support (même si Yves Klein s’en est
                             approché). Aussi, pour assurer son adhérence, ils doivent au
                             préalable être dispersés dans une substance (le liant) afin
                             de maintenir en suspension les particules en évitant toute
                             agglomération. À l’ère paléolithique, les liants employés
                             pouvaient être de l’huile végétale, déjà, mais plus couramment
                             de la graisse animale, du sang, de l’urine, du crachat…
                             Le portrait du peintre en alchimiste parcourt toute l’histoire de
                             l’art. Ainsi, Giorgio Vasari écrit-il en 1550, à propos du créateur
20/25                        de la peinture à l’huile Jan Van Eyck: Ce fut une belle invention
et une grande commodité pour l’art de la peinture d’avoir
        découvert le coloris à l’huile. Le premier inventeur en fut Jean
        de Bruges... Il chercha diverses sortes de couleurs, étant très
        amateur d’alchimie et distillant continuellement des huiles
        pour composer des vernis et différentes sortes de choses, comme
        cela arrive fréquemment aux personnes imaginatives. Dans une
        conversation avec le conservateur Didier Ottinger, spécialiste
        du Surréalisme, et notamment de Chirico, Magritte et Picabia,
        l’artiste Philippe Mayaux établit un parallèle direct entre les
        trois disciplines: Un élément connu plus un élément connu égale
        un élément inconnu, c’est la base de la cuisine, mais aussi une
        métaphore de l’art.

        Alchimie, cuisine et peinture sont intimement liées par une
        notion centrale: la transmutation, ce changement spontané
        ou provoqué d’une substance en une autre.

        Quel cuisinier, ou quel peintre, ne se reconnaîtrait dans
        l’axiome énoncé par Paul Valéry, en 1936 dans Variété: Ainsi,
        des affections de l’âme, des loisirs et des rêves, l’esprit fait des
        valeurs supérieures; il est une véritable pierre philosophale,
         un agent de transmutation de toutes choses matérielles
        ou mentales.

        Comme le cuisinier, le peintre apprend à utiliser tous les outils,
        avant de les détourner, d’en découvrir de nouveaux usages,
        parfois grâce à l’intervention du hasard, voire est contraint
        d’en inventer d’inédits, afin d’accompagner sa quête d’un art
        réellement neuf: Max Ernst ou Jackson Pollock peignent
        directement avec la pâte sortie du tube, ce dernier substitue
        au pinceau une simple baguette de bois, ou laisse la peinture
        couler d’un seau dont le fond est percé, Yves Klein peint au
        lance-flammes, ou par anthropométrie, avec des femmes-
        pinceaux, Brice Marden peint avec des branches d’arbre,
        Jean Tinguely invente des machines à peindre, Niki de Saint
        Phalle perce des poches de peinture à la carabine, Olivier Debré
        détourne le balai en un gigantesque pinceau, et Hans Hartung
        la sulfateuse…

        L’atelier est une cuisine, les pinceaux des ustensiles, la peinture
        un appareil… cette semaine nous visitons la cuisine du peintre,
        pour en percer à jour les tours-de-mains!

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J’avais décidé de peindre
une nature morte, j’avais
choisi trois citrons.
J’avais entendu parler
de peinture à l’huile
et je pensais que cette
peinture se faisait avec
de l’huile. Alors j’ai pris de
l’huile d’olive qu’il y avait
dans la salle à manger.
Giorgio De Chirico

23/25
Love&Collect
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                             08.03  12.03.2021  En ligne

                             Love&Collect: La cuisine du peintre
                             Gérard Schlosser, Dorothée Selz, Roy Adzak, Philippe Mayaux
                             et Malcolm Morley. Inscription sur notre site et suivez ce projet
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                             04.03  30.04.2021  À la galerie : 15, rue des Beaux-Arts

                             Milan Kunc & Philippe Mayaux
                             Pop & Surréalistes
                             Depuis qu’il était étudiant à la Villa Arson à Nice, à la fin des
                             années 1980, le peintre Philippe Mayaux (lauréat du Prix Marcel
                             Duchamp en 2006) ne cesse de clamer sa dette à l’égard de la
                             peinture de Milan Kunc. De 17 ans son aîné, celui-ci est né à
                             Prague, en République tchèque, où il a étudié dans les années
                             1960 à l’Académie des Beaux-Arts de Prague. Malgré une
                             carrière internationale bien remplie, Kunc demeure quasiment
                             inconnu en France, où il n’a exposé que sporadiquement.
                             Dans la lignée de nos relectures historiques, toujours effectuées
                             depuis un point de vue contemporain, nous avons décidé de
                             permettre à ces deux artistes que tout oppose, mais que tout
                             rapproche, d’enfin pouvoir partager les mêmes cimaises.

                             Depuis décembre 2020  Nouvel espace : 8, rue des Beaux-Arts

                             Ouverture de Love&Collect
                             Stéphane Corréard et Hervé Loevenbruck annoncent
                             l’ouverture de Love&Collect, « magasin d’histoires de l’art »,
                             en ligne et à Saint-Germain-des-Prés. Expérimenté depuis
                             huit mois, le projet en ligne Loeve&Co-llect a été plébiscité
                             quotidiennement par plusieurs milliers d’abonnés, et
                             a engendré la vente de près de cent-cinquante œuvres.
                             Ses initiateurs décident de le pérenniser et de le développer,
                             en le rendant autonome, et de lui consacrer un espace
                             physique, au 8 rue des Beaux-Arts à Paris.

25/25
Robert Robert
et SpMillot ont dessiné
cette Fiche
pour Love&Collect
Écrans imprimables
Format 21 × 29,7 cm
28.02.2021

Crédit photographique
Fabrice Gousset
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