Mangerons-nous bientôt des génomes édités ? - Enov
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Mangerons-nous bientôt des génomes édités ? “Quel bilan pour l’agriculture génome-éditée ? Faut-il prolonger son utilisation ?”. C’est la question que posait la neuvième séance du Design Fiction Club hébergé à la Gaïté Lyrique de Paris, le 26 juin 2018. Cette séance, qui prenait la forme d’un débat spéculatif et participatif innovant, constituait le point de départ d'une consultation citoyenne de plusieurs mois, portée aux autorités de l’Union Européenne, via un “avis éthique experts citoyens”. Le scénario futuriste imaginé par les animateurs de cette “agora spéculative” nous projetait en 2046, lors de la 10ème édition des États Généraux de la Bioéthique pour débattre des enjeux de la “CripR-food”. Cette assemblée du futur, composée de citoyens plus ou moins avertis, a imaginé pendant 2h30 quels pouvaient être les enjeux de l’autorisation des techniques de mutagénèse dirigée pour notre alimentation. Il faut donc commencer par expliquer ce qu’est la technologie CRISPR- Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats ou « courtes répétitions palindromiques regroupées et régulièrement espacées ») : elle permet la mutagénèse dirigée1 des espèces vivantes, c’est à dire de provoquer de façon “précise” la mutation génétique qui nous intéresse. Carine Giovannangeli 1 Mutagénèse dirigée, permet d’activer ou de désactiver certains gènes au sein d’un brin d’ADN de façon ciblée. 1
Cette technique de modification des gènes, dite des “ciseaux moléculaires”, s’inscrit dans le continuum des OGM, dont la transgénèse (transfert d’ADN depuis un organisme étranger) est interdite en Europe (puisqu’elle use de processus de modification qui n’ont pas lieux dans la nature et reposent donc entièrement sur l’intervention humaine). Facile à mettre en œuvre, plus précise, et moins chère que les autres techniques, la technologie CrispR-Cas9 possède de nombreuses applications (plantes, animaux, homme). Une technologie déjà en application... Les géants de l’agroalimentaire mondial ont rapidement réalisé le potentiel de cette technologie. C’est donc fin 2016, que Monsanto le spécialiste des OGM, filiale de Bayer à l’origine de nombreux scandales sanitaires, a acquis les droits d’exploitation de CrispR-Cas9. En mars 2018, Monsanto a investi 125 millions de dollars dans la création de nouveaux types de maïs2, soja, blé, coton et colza grâce à CRISPR. Premier produit envisagé : des fraises rendues génétiquement plus sucrées. Du côté de la recherche, Alison Van Eenennaam - chercheuse du département de Science animale à l’Université de Californie, travaille sur des modifications génétiques visant à rendre la viande des boeufs d’élevage meilleure, et à supprimer les cornes des veaux pour éviter qu’ils se blessent. Yinong Yang, un biologiste végétal et son équipe de l'université de Pennsylvanie ont travaillé sur le champignon de Paris qui ne brunit pas. Harry J. Klee du Centre d’Innovation sur les végétaux de l’université de Floride a imaginé une tomate qui aurait meilleur goût. L’institut pour l’Agriculture Durable Espagnol a créé du blé sans gluten, ... Autant avancées laissant présager les effets de grande portée de la nourriture éditée par CrispR. La CrispR-food, ça ressemblerait pas un peu aux OGM ? En effet, les défenseurs de la CrispR-food avancent des arguments similaires aux pro-OGM de l’époque, à savoir des ingrédients plus nutritifs3 qui se détériorent moins vite (lutte contre le gaspillage alimentaire), une meilleure sécurité alimentaire, la réduction de la faim dans le monde, une démarche “eco-friendly” par la création d’espèces nécessitant moins d’eau et de pesticides, des plantes et animaux résistants aux maladies, aux prédateurs et aux aléas climatiques, etc. Cependant, un argument avancé par les partisans vient distinguer la technologie CrispR de celle des OGM. “Le produit final sera celui qui aurait pu se produire dans la nature”, sous-entendu le produit issu de la manipulation génétique CrispR (qui, rappelons-le, active / désactive les gènes au lieu de les remplacer par les gènes d’un organisme étranger) est “naturel” puisqu’il reproduit les mutations aléatoires déjà présentes dans la nature. Comme nous le verrons plus tard, surfer sur la vague du produit “naturel” est tendance puisqu’il est préférable - pour de nombreuses raisons que nous détaillerons ensuite, de consommer des produits soi-disant “naturels” (versus les produits “non naturels/ industriels”). CRISPR pourrait donc avoir un avantage dans l’opinion publique par rapport aux OGM. 2 https://www.pioneer.com/home/site/about/news-media/news-releases/template.CONTENT/guid.95ED9999-5719-1E79-8DA3-CE9A62C58CA2 3 https://www.dirt-to-dinner.com/how-will-crispr-impact-our-food/ 2
Argument de la naturalité de la technologie CrispR - Source : https://www.dirt-to-dinner.com/how-will-crispr-impact-our-food/ Face aux préoccupations actuelles (augmentation de la population mondiale4, faim dans le monde5, réchauffement climatique, disparition d’espèces6, gaspillage alimentaire7 ou encore la réduction de terres arables8) la CrispR-food se présente donc comme la nouvelle solution miracle. Et en matière de santé publique, ça donne quoi ? Une nouvelle étude9 vient cependant bouleverser ce futur radieux : la technologie CrispR ne serait pas si précise et sécurisée que prévue. De quoi réveiller de vieilles angoisses chez les consommateur.trice.s. A l’époque des OGM, certains parlaient d’un refus sociétal orchestré, notamment par une désinformation médiatique récurrente ou encore par le positionnement marketing de la Grande Distribution contre les OGM (Carrefour). Article de presse Source 4 Selon les estimations de l’Organisation des Nations-Unies (ONU) publiées dans le rapport « World Population Prospects : The 2012 Revision », la population mondiale pourrait atteindre 9,6 milliards d'habitants à l’horizon 2050 5 “Dans le monde, environ 62 millions de personnes, soit 1/1000ème de l’humanité − toutes causes de décès confondues − meurent chaque année. En 2006, plus de 36 millions sont mortes de faim ou de maladies dues aux carences en micronutriments.” Jean Ziegler, L'empire de la honte (Fayard, 2005) 6 https://www.rtbf.be/info/societe/detail_le-nombre-d-insectes-a-baisse-de-78-depuis-1989?id=9614949 https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/07/11/alerte-rouge-sur-l-extinction-des-especes_5158968_3232.html 7 http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-16-3989_fr.htm 8 https://www.lesechos.fr/10/01/2016/lesechos.fr/021608908597_la-fertilite-des-sols-part-en-poussiere.htm 9 https://www.newscientist.com/article/2174149-crispr-gene-editing-is-not-quite-as-precise-and-as-safe-as-thought/ 3
Mais une étude10 sur l’impact des labels “GMO food”11 utilisés aux USA par Jane Kolodinsky, montre une amélioration de l’attitude des consommateurs (réduction de 19% de l’opposition aux OGM) face aux produits indiqués comme fabriqués à partir d’“OGM”. Son hypothèse : le fait d’apposer un label/une information fiable (peu importe sa nature) offre au.à la consommateur.trice un meilleur contrôle sur son alimentation (“je sais ce que je mange”). En effet, pour le.a consommateur.trice, la connaissance de la provenance du produit est très souvent citée comme élément rassurant12. Il demeure néanmoins que le consommateur est angoissé par son alimentation. C’est “le paradoxe de l’omnivore”13 : l’homme oscille sans cesse entre une crainte de l’inconnu (néophobie) et un besoin vital d’exploration et de nouveauté (néophilie). Ces 20 dernières années ont vu une augmentation du risque alimentaire perçu par les mangeur.se.s à cause de l’industrialisation et de la globalisation de l’industrie agroalimentaire, qui laissent plus de place à l’erreur humaine. Les nombreux scandales alimentaires de contamination “organique” (dioxine), “symbolique” (lasagnes Findus) et sanitaire (vache folle, grippe H1N1) ont éveillé les consciences. Désormais les consommateur.trice.s sont préoccupé.e.s par l’utilisation des pesticides, les ingrédients artificiels (additifs, colorants), et l’adoption de technologies alimentaires comme les OGM. Claude Fischler Face à toutes ces inquiétudes, la distance entre les individus et l'agro-industrie est vécue comme plus grande et le fossé de connaissances (comment et où la nourriture est-elle produite ?) demande à être comblé. Cette “disqualification” du public dans les enjeux alimentaires se traduit par un contexte d’incertitude et de méfiance vis à vis des systèmes de production, des effets de la nourriture sur la santé, de la contribution du système alimentaire au changement climatique… et amène les consommateur.trice.s à se questionner sur les conséquences environnementales et sociales de la production alimentaire. 10 http://advances.sciencemag.org/content/4/6/eaaq1413 11 Il est à noter un changement de dénomination du label de “Genetically Modified Organism” (GMO) à “Bioengineered” (BE) aux USA. La CrispR-food et les OGM pourraient donc bientôt partager un même label outre-Atlantique. 12 LAMBERT, J.L., 1996, « Les mangeurs entre traditions et nouveautés : quelques spécificités du « marketing alimentaire », in I. Giachetti (eds), Identités des mangeurs, images des aliments, Cnerna-Cnrs, Polytechnica, Paris, 151-173. 13 C. Fischler, 2001, “L’homnivore”, Odile Jacob, Paris. 4
Dans la tête des consommateurs, quelles perceptions ? On note des liens étroits entre l’image que se font les individus du mode de production et le goût d’un produit, son effet sur la santé et sur le corps : c’est le principe d’incorporation14. Incorporer un aliment n’est pas anodin. Les propriétés d’un aliment sont incorporées sur les plans réel et imaginaire : nous devenons ce que nous mangeons tant d’un point de vue physiologique, avec les nutriments associés à l’aliment, que d’un point de vue imaginaire, avec des représentations associées. On retrouve cette caractéristique dans diverses sociétés : en mangeant la chair d’un animal, l’individu acquiert les qualités physiques et morales/intellectuelles de cet animal. Par exemple, certains guerriers évitent de manger du lièvre ou du hérisson de peur de perdre leur courage ou de se recroqueviller devant le danger. Ou encore, chose étonnante aujourd’hui, les Allemands préféraient boire de la chicorée plutôt que du café, censé affaiblir leur virilité. L’individu projette donc une partie de son identité sur les aliments qu’il consomme, renforçant par là même le caractère intime qu’il.elle entretient avec son alimentation. Ainsi en Europe, on constate une opposition radicale dans les imaginaires entre les produits perçus comme “frais-naturels” et ceux “industriels-transformés”, les premiers ayant un effet bénéfique sur le corps, les seconds un effet néfaste. Au-delà du principe d’incorporation, concept universel qui détermine la relation de l’humain à son alimentation, de multiples drivers interviennent dans le choix d’un produit : le prix et le goût, les inquiétudes vis à vis de la santé (maladies liées aux allergies et intolérances (gluten), maladies liées au mode de vie/ d’alimentation : diabète, obésité, etc.), la durabilité (conscience de la pollution environnementale, de la finitude des ressources naturelles) et la praticité (restauration hors domicile ou livraison en augmentation, produits congelés, tout prêts, micro-ondables, etc.). Il faut également garder en tête que même si les comportements peuvent paraître paradoxaux (acheter du nutella et manger bio par exemple), il n’y a là pas de contradictions mais des “petits arrangements” 15 afin de justifier des comportements pouvant aller à l’opposé des principes que les individus avancent. Pour résumer, les discours révèlent une attente en matière d’information sur l’origine du produit16 afin de satisfaire cette envie profonde et universelle : “savoir ce que je mange pour savoir qui je suis”. C’est pourquoi, au-delà des obligations juridiques, certaines marques, par soucis de transparence, fournissent des informations de plus en plus détaillées sur leurs produits et sur leurs circuits de production. Cette attente des consommateur.trice.s reste néanmoins révélatrice d’une certaine incertitude quant à la provenance des aliments et leurs procédés de fabrication. 14 C. Fischler, 2001, “L’homnivore”, Odile Jacob, Paris. 15 KAUFMANN, J.C., 2005, Casseroles, amour et crises, Armand Colin, Paris. 16 Marielle Salvador-Perignon, « Les représentations mentales du mode de production des produits alimentaires (France) », Anthropology of food 5
Le rôle des labels dans le choix du consommateur Des études récentes17 montrent que pendant l’année 2013, presque 27% des nouveaux packagings alimentaires lancés en Europe portaient au moins un “label sain” (“clean label”). Cette création de “labels sains” par l’industrie pour indiquer le mode de production (AB), l’origine géographique d’un produit (AOP) ou l’absence de certains ingrédients (additifs, sucres, huile de palme, etc.) dans un produit, répondent aux attentes croissantes des consommateurs. Mais que sont les labels sains ? Comment ces labels sont-ils perçus et évalués par le.a consommateur.trice ? Quelles sont les implications pour les industriels de l’agroalimentaire d’une telle demande pour des produits “plus sains” ? Il est bien connu que les consommateur.trice.s effectuent leur choix en matière d’alimentation dans des environnements surchargés d’informations (en magasin, sur les packs, via des applications type Yuka, via les médias, etc.). De plus, la relation d’un individu à la nourriture varie en fonction de l’expression de son mode de vie (comportement quotidien, façon de vivre selon certaines valeurs, utilisation d’un certain pouvoir d’achat, etc.), de son statut social, de son lieu d’habitation, de sa personnalité ou de son identité. Cependant les choix alimentaires sont caractérisés par des habitudes, une routine, répétées inlassablement pour minimiser l’effort cognitif de lecture des informations sur un produit. Les consommateur.trice.s vont donc utiliser des informations périphériques (indices visuels ou informationnels simples) pour raccourcir leur jugement, et les labels peuvent jouer ce rôle d’indice. Daniele Asioli De plus, à travers le choix d’un produit labellisé (ou porteur d’un logo), les consommateur.trice.s peuvent exprimer des motivations liées à leurs préoccupations envers la société et/ou l’environnement, et/ou des motivations plus personnelles, telles que la recherche de produits de qualité supérieure et de la préservation de la santé. Il en résulte que les consommateur.trice.s sont prêts à payer un prix plus élevé pour les produits certifiés ou faisant preuve de transparence quant à leur origine, leur procédé de fabrication ou la liste des ingrédients. Cependant une étude18 de Onozaka et McFadden montre que les labels sont plus efficaces sur certains produits plutôt que sur d’autres (tomates vs pomme de terre par exemple) et que l’organisme certificateur pèse également dans la décision d’achat d’un produit. 17 http://emea.ingredion.com/content/dam/ingredion/pdf-downloads/emea/87%20- %20The%20Clean%20Label%20Guide%20to%20Europe%20from%20Ingredion.pdf 18 https://www.researchgate.net/publication/254388820_Consumer_Motivations_and_Buying_Behavior_The_Case_of_the_Local_Food_System_Mo vement 6
Le consommateur évalue l’aspect sain d’un produit en regardant le devant du pack (construction via des aprioris) et en lisant les informations au dos (où l’on trouve également des labels). Confronté à un produit nouveau, fera l’effort d’aller au-delà des informations en facing pour lire celles indiquées ailleurs sur le pack (en magasin ou à son domicile), voire même de se renseigner au-delà du pack (application Yuka par exemple). Le jugement (“ce produit est-il naturel ?”) dépendra de divers facteurs socio-culturels touchant l’individu (normes et valeurs19, équilibre de vie, degré de confiance dans les institutions et les médias, éducation et composition du foyer). Les caractéristiques intrinsèques (propriétés nutritionnelles, effet bénéfique sur la santé, absence de caractéristiques négatives (pollution, additifs, manipulation humaine, etc.), présence d’ingrédients frais ou crus, degré de transformation, attributs sensoriels) et extrinsèques (durabilité, labels et certifications, forme et couleur du pack, allégations santé, prix) d’un produit influeront également sur la perception de ce dernier comme étant “naturel” ou non. A noter que les produits portant la mention “sans…” (gluten, sucre, conservateurs, arômes artificiels, etc.) tendent à être classés différemment des produits qualifiés de “bio” ou “naturels”. De plus, certaines méthodes de productions sont perçues comme “moins naturelles” (agriculture conventionnelle par exemple) tandis que certains ingrédients sont perçus comme “malsains” et “non familiers” (additifs par exemple). Mais donc quels ingrédients sont considérés comme “sains/naturels” ? Et bien tout dépend du degré de familiarité de l’individu avec un produit en particulier, et de ce qu’il sera capable de percevoir et d’interpréter des informations fournies sur et autour du produit. La perception est tellement subjective d’un individu à l’autre que la recherche peine à établir ce qui motive un individu à classer un produit comme “naturel”. Parfois la présence d’un seul ingrédient (l’huile de palme par exemple) peut disqualifier un produit. Les industriels de l’agroalimentaire font donc face à plusieurs défis de taille : ils doivent proposer des produits “meilleurs pour la santé” sans rogner sur l’aspect plaisir, leurs chaînes logistiques et leurs usines doivent être écologiques, leurs ingrédients doivent avoir voyagé le moins possible, leurs produits doivent être durables (emballage minimaliste en matière recyclée, moindre utilisation des ressources naturelles), soutenir les producteurs locaux et respecter le bien-être animal, et proposer leurs produits en ligne par soucis de praticité pour le.a consommateur.trice… Tout en comblant le besoin de transparence totale et absolue des consommateurs. C’est donc un vrai enjeu de communication visant à donner des explications beaucoup plus complètes et honnêtes sur comment, où, quand et qui fait pousser, récolte, fabrique ou revend les ingrédients des produits alimentaires. Comme nous l’avons vu plus tôt, communiquer clairement sur les aspects perçus comme négatifs d’un produit (taux élevé de sucre par exemple20) renforce la confiance du consommateur et évite un sentiment de trahison, fatal pour la marque. Dans ce contexte, comment se place la CrispR-food ? Relèvera-t-elle le défi de produire des aliments perçus comme “naturels” ? C’est en tout cas sur ces arguments que repose sa réussite, si on en croit le discours des partisans. 19 Référence au fait que ce qui est naturel est meilleur car moralement et esthétiquement supérieur à ce qui a été modifié par l’homme, et au fait que ce qui est naturel profite d’attributs supérieurs comme l’efficacité (nutritionnelle), la sécurité (alimentaire) et les bénéfices pour la santé. 20 1% des consommateurs britanniques de snacks s’accordent à dire que les en-cas trop sucrés ou trop salés sont acceptables s’ils s’intègrent à un régime équilibré. Source : http://fr.mintel.com/tendances-alimentaire-et-boissons/ 7
La naturalité comme argument de la CrispR-food Comme nous l’avons dit plus tôt, l’argument du caractère naturel de la manipulation génétique effectuée via la technologie CrispR est fortement mis en avant dans les discours. En effet, l’adoption dans un régime alimentaire de produits issus de la CrispR-food réduirait l’empreinte écologique de la production alimentaire par une utilisation restreinte d’eau et la disparition de l’usage de produits phytosanitaires. À ce compte, les produits issus de la CrispR-food pourraient-ils porter un label “bio” ? C’est en tout cas ce que projettent les scénarios d’anticipation présentés lors de la neuvième séance du Design Fiction Club. En introduisant deux labels fictifs, “Bioptimale” et “Réseau Confiance”, l’équipe organisatrice cherchait à chambouler nos représentations de consommateurs de 2018. En effet l’un des labels semblait combler toutes nos attentes : le label “Bioptimale”. Il reprend tous les codes du label “Agriculture Biologique” : faible empreinte écologique grâce à la réduction maximale de l'emploi des intrants - et autres produits chimiques de synthèse, et exclusion de l’usage des OGM. Entre les mains des participants circule alors une baguette de pain somme toute lambda, fabriquée à partir de farine de blé issue de l’agriculture biologique, mais qui, à bien y regarder, peut se conserver 2 semaines, et présente des qualités nutritives supérieures à notre baguette de 2018. C’est que, derrière ce label, se cache la technologie CrispR de “l'optimisation génétique du vivant”. Le second label, « Réseau Confiance », prône quant à lui une agriculture non modifiée : la traçabilité de chaque produit (et de sa graine) est assurée par un simple scan de son code-barres. Il semble être la réponse au premier label. Les deux labels imaginés pour les États généraux de la Bioéthique de 2046 « Logo Bioptimale » et « Logo Confiance » / Licence CC BY-NC-SA 4.0 8
Projetons nous un instant dans la comparaison de ces deux labels au regard des attentes des consommateur.trice.s actuel.lle.s : Alors que le naturel et l’artificiel semblent se confondre dans le premier label, le deuxième assure quant à lui la traçabilité du produit, répondant aux enjeux de transparence exigés par le.a consommateur.trice. Cependant, et comme le montrent de nombreuses études21, les aspect santé et respect de l'environnement sont équivalentes dans les motivations d’achat de produits biologiques. Jusqu’à preuve du contraire, les effets de la consommation de produits issus de la technologie CrispR sont inconnus et le demeureront pendant encore de nombreuses années. C’est pourquoi l’aspect “naturel” de cette nouvelle technologie est mis en avant, afin de camoufler ce doute persistant qui peut, à la manière des OGM, inquiéter le consommateur. Cependant, et c’est indéniable, si la technologie CrispR appliquée à l’industrie agro-alimentaire permet de résoudre les impacts environnementaux provoqués par cette dernière, elle pourra jouir d’un statut favorable auprès des consommateur.trice.s. Alors, serons-nous confrontés à un dilemme de taille dans le futur, nous obligeant à choisir entre la préservation de notre santé et celle de notre environnement ? 21 Sihem Dekhili et Mohamed Akli Achabou, « Pertinence d’une double labellisation biologique-écologique auprès des consommateurs. Une application au cas des oeufs », Économie rurale [En ligne], 336 | juillet-août 2013. 9
Update : Le 24 juillet 2018, la cour de l’Union Européenne a décidé de placer la technologie d’édition des gènes sous la même législation que les OGM22, c’est-à-dire : l’interdiction. Une décision critiquée notamment par la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis et certains pays africains23. Les enjeux soulevés dans cet article restent pourtant inchangés car la législation concernant les OGM autorise l’importation et la commercialisation d’aliments OGM provenant de l’étranger24. De plus, les plantes OGM importées ou cultivées en Europe sont majoritairement destinées à nourrir les animaux d’élevage (poissons compris). On peut donc légitimement supposer que des aliments modifiés par la technologie CRISPR, autorisés dans les pays exportateurs, se retrouverons un jour dans nos assiettes sans que nous n’en soyons réellement informés. Selva Gaberscek Chargée d’études qualitative 22 http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=204387&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=9 73678 23 https://www.contrepoints.org/2018/08/06/321848-edition-de-genes-une-reglementation-europeenne-regressive-et-obsolete 24 https://ec.europa.eu/food/plant/gmo_en 10
Bibliographie “Les OGM peuvent-ils nourrir le monde ?” 23 mai 2015 https://sciences-critiques.fr/dossier-les-ogm- peuvent-ils-nourrir-le-monde/ ASIOLI Daniele, Jessica Aschemann-Witzel, Vincenzina Caputo, Riccardo Vecchio, Azzurra Annunziata, Tormod Næs, Paula Varela , “Making sense of the “clean label” trends: A review of consumer food choice behavior and discussion of industry implications”, Food Research International (2017), DOI DEKHILI Sihem et Mohamed Akli Achabou, « Pertinence d’une double labellisation biologique-écologique auprès des consommateurs. Une application au cas des oeufs », Économie rurale [En ligne],336 | juillet- août 2013 FISCHLER Claude, 2001, “L’homnivore”, Odile Jacob, Paris. GALLEN, C., 2005, « Le rôle des représentations mentales dans le processus de choix, une approche pluridisciplinaire appliquée au cas des produits alimentaires », Recherche et Applications en Marketing, 20, 3, 59-76. DOI KAUFMANN, J.C., 2005, Casseroles, amour et crises, Armand Colin, Paris. LAMBERT, J.L., 1996, « Les mangeurs entre traditions et nouveautés : quelques spécificités du « marketing alimentaire », in I. Giachetti (eds), Identités des mangeurs, images des aliments, Cnerna-Cnrs, Polytechnica, Paris, 151-173. PICHON, P.E., 2002, « Les marques alimentaires cautionnées par les grands chefs de cuisine, un retour vers la confiance du consommateur ? », Centre de Recherche en Gestion, IAE de Toulouse, cahier de recherche, 148, juin. POULAIN, J.P., 2001, Manger aujourd’hui. Attitudes, normes et pratiques, Editions Privat, Toulouse. SALVADOR-PERIGNON Marielle, « Les représentations mentales du mode de production des produits alimentaires (France) », Anthropology of food 11
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